Souvenirs poétiques de l’école romantique/À une Baigneuse

À une BaigneuseLaplace, Sanchez et Cie, libraires-éditeurs (p. 21-23).



À UNE BAIGNEUSE


Qui donc es-tu, folle étrangère,
Qui sur nos plages viens le soir,
Et dans la mer, au clair miroir,
Cours te plonger, blanche et légère ?

L’écho demande d’où lu sors,
L’écho l’ignore ; — le rivage
Ne sait de toi que ton courage
Et que les grâces de ton corps.

De qui tiens-tu cette âpre flamme ?
De qui tiens-tu ce bras viril
Qui te fait braver le péril
Du vent qui souffle et de la lame ?

La côte, l’autre soir, grondait ;
L’onde accourait sous la tourmente,
Et sur la grève, au loin fumante,
Énorme, elle se répandait.

Les hommes sentaient en silence
Trembler le môle et le rocher :
Ils contemplaient, sans approcher,
L’irrésistible violence…

Tu vins ; tu vis cette fureur,
Tu dénouas soudain ta robe,
Et dans le flot, qui te dérobe,
Tu plongeas du front sans terreur.


Scène d’effroi ! spectacle étrange !
Tu triomphais des flots amers.
Étais-tu la reine des mers ?
De la tempête étais-tu l’ange ?

La plage admirait. — Le soleil,
Retournant à son lit de gloire,
Sur tes bras, sur tes pieds d’ivoire,
Imprimait un baiser vermeil.

Toi, tu jouais dans sa lumière ;
Dressant ta tête aux blonds cheveux,
Tu repoussais d’un bras nerveux
Les flots môles à ta crinière.

Dans l’écume et dans le rayon,
Tu flottais, ô nageuse insigne,
Déployant des blancheurs de cygne
Et des souplesses d’alcyon.

Et nous pensions : Qui donc est-elle ?
Quel est cet être audacieux,
Dont la grâce, au siècle des dieux,
Eût fait jadis une immortelle ?

Un souffle de rébellion
A-t-il émancipé cette âme ?
Qui sait s’il reste un cœur de femme
Sous cette force de lion ?…

Est-ce l’amour qui pourra dire
Ce qu’elle attend pour s’émouvoir,
Ce qu’il faudrait à cet œil noir
Pour se noyer dans un sourire ?

Prodigue, vient-elle à ces bords,
Les soirs trop de vie abonde,

Jeter au vent, jeter à l’onde,
Le superflu de ses trésors ?

Ou bien, est-ce un cœur en démence,
De ses blessures ulcéré,
Qui revient, en désespéré,
Lutter avec la mer immense ?

Serait-ce enfin qu’ayant goûté
À mille coupes décevantes,
Elle demande aux épouvantes
Une suprême volupté ?

Que savons-nous ? Passons ; toute âme
À des replis fermés au jour…
Laissons ses secrets à l’amour
Et ses mystères à la femme !