Souvenirs de la Marquise de Créquy de 1710 à 1803/Tome 4/04

Garnier frères, libraires éditeurs (Tome 4p. 73-108).


CHAPITRE IV.


De l’athéisme. — De la superstition chez les incrédules. — De la secte Balsamite. – Le diable aux carrières Montmartre. — Les Ducs de Chartres, de Fronsac et de Lauzun. — Leur aventure dans une caverne. — Accident qui survient au Duc de Chartres. — Bulletin de la santé du prince. — La Comtesse Agnès de Buffon. — Conjuration magique chez le Duc de Chartres. — Consécration sacrilége d’un crapaud. — Le diable au Palais-Royal. – Portrait de Satan. – Stigmates de la foudre. — Révélation funeste. — Le Comte de Cagliostro. — Ses mémoires. — Histoire du Grand Prieur de Majorque. — Cu rieux détail sur l’île de Malte aux temps des chevaliers. — Le meurtre. — Le revenant. – La punition. – La pénitence. — La Duchesse de Gèvres. — Le trésor du Plessix. — Les têtes de mort angevines. — La manie des trésors. — Le Comte de Baschy. — Les Beaufort-Turenne. — Le château de Chenonceaux. – Le Marquis de Brunoy. – Mot de Louis XVIII au duc de Wellington. – Le Comte de Caylus. — Les Balsamites. — Assemblée nocturne. — Vision sacrilége. — Mort de M. de Caylus. — Prévision qu’il en avait eue. — Propos sinistre. — Soupçons sur la cause de cet événement.

On a dit avec justice qu’il n’existe pas et qu’il ne saurait exister un seul athée, par la raison que l’athéisme n’est rien du tout, si ce n’est un acte d’orgueil sceptique et de négation renforcée, ce qui ne saurait produire une conviction, et par la raison qu’en dehors des croyances établies sur les sciences dogmatiques ou la soumission religieuse, aucune proposition négative équivalente à une affirmation ne saurait être pourvue d’une autorité décisive, à moins d’être établie sur une démonstration mathématique ou sur une expérience physique. Ainsi l’athéisme n’est qu’un doute et ne saurait être une persuasion. Il y a dans les dispositions naturelles de l’homme qui ne veut rien croire, ainsi que dans les dispositions naturelles de l’homme de foi, une force d’obligation qui l’entraîne invinciblement à croire quelque chose, j’entends quelque chose d’occulte et de mystérieux. Les hommes ont tellement la conscience de leur infirmité d’origine et de l’existence d’un mauvais principe ; ils ont tellement besoin de croire à l’existence d’un bon principe, ainsi qu’à l’action de quelque puissance formidable ou secourable pour eux, que l’impiété systématique de Voltaire n’avait abouti qu’à transporter ce principe naturel de la foi sur d’autres objets de croyance ; et vous allez voir que le plus beau temps de l’incrédulité philosophique était devenu l’époque de la crédulité la plus aveugle pour les évocations, les apparitions, les divinations et autres jongleries des plus effrontés charlatans. On refusait hommage au Créateur, et l’on vouait à la lune un culte d’amour ; on ne voulait plus croire à la divinité du Verbe, mais on croyait à la toute-puissance de Cagliostro sur les esprits de l’air ; on osait démentir la révélation divine ainsi qu’elle est déposée dans nos livres saints, et l’on adoptait toutes les recettes et les formules qui sont contenues dans un certain bouquin jaune où vous trouverez notamment que, « pour obtenir du basilic et du thym de qualité supérieure, il faut les semer avec force outrages et malédictions. »

— Pour les malédictions, il n’est pas difficile de s’en acquitter, disais-je à M. de Caylus ; mais, comme le verbe outrager renferme substantiellement et présuppose absolument l’idée de quelque sensibilité pour les injures, ayez donc l’obligeance d’apprendre à mon jardinier comment on peut outrager de la graine de basilic.

M. de Caylus qu’il ne faut pas confondre avec son oncle l’antiquaire[1], était un des adeptes les plus zélés de la nouvelle secte. Il avait eu la satisfaction de communiquer avec Belzébuth et quand il ne pouvait s’empêcher de jurer en bonne compagnie, c’était par Cœur de Satan. Il avait une fois emmené votre père avec M. de Lauzun, M. de  Fronsac et le Duc de Chartres, dans les carrières de Montmartre, afin de leur y faire voir le diable ; mais, à leur entrée dans la caverne, ils furent assaillis par une grêle de coups de bâton dont ces quatre Messieurs ont été couverts de meurtrissures et d’emplâtres pendant près d’un mois. Ils ne furent pas autrement maltraités car on ne les dévalisa point : Lauzun m’a dit que c’était comme des coups de fléau qui seraient tombés sur eux du même côté d’un certain passage assez étroit et fort obscur qu’il fallait traverser avant d’arriver dans la carrière. On apercevait, mais de très loin, la faible lueur d’une lampe qui devait être suspendue à la voûte de la grande caverne ; et voilà tout ce qu’ils virent pour cette fois-là.

La Gazette de France annonça que M. le Duc de Chartres était tombé de cheval et que sa tête avait porté sur la barrière de son manége. Le Duc de Fronsac en fut quitte pour se tenir dans son lit avec ses rideaux et les volets fermés, sans rien changer à ses habitudes. Je fis dire à ma porte que M. votre père était allé voir le diable et qu’il ne s’en était pas bien trouvé, ce qui m’affligeait et m’étonnait médiocrement. Enfin le Duc de Lauzun ne fit rien dire et ne dit rien du tout, quoiqu’il allât partout comme à l’ordinaire ; et quand M. le Dauphin voulait le questionner sur le bras qu’il avait en écharpe et les marques noires qu’il avait à la figure, il répondait à M. le Dauphin : — Qu’est-ce que cela vous fait ? ce qui lui servait parfaitement à détourner l’attention, tant on avait à parler sur la prodigieuse étrangeté d’une pareille réplique[2].

Il m’appelait sa tante, à cause de son mariage avec ma nièce de Boufflers, laquelle était la petite-fille de votre tante de Luxembourg (née de Villeroy). Je vous explique ceci pour l’intelligence de vos listes de parens ; car, au bout de quelques générations, on a souvent de la peine à s’expliquer cette ennuyeuse obligation des demandes de consentement, des deuils et des billets de faire part, écrits à la main. Passons là-dessus prestement.

— Eh bien ! ma tante, je l’ai vu, me dit-il un jour, j’ai vu le diable !…

— Est-ce que c’est encore à Montmartre, mon garçon ? Comment t’en trouves-tu pour aujourd’hui ?

— Ma tante, c’était dans la nuit de vendredi dernier, chez M. le Duc de Chartres, et Mme Agnès de Buffon y a pleuré comme une gouttière.

— Mon Dieu ! comment cette jeune femme ose-t-elle afficher une intimité pareille ?…

— Voilà qui ne me regarde pas du tout, et j’oserai même ajouter que vous avez trop de bonté pour cette Comtesse Agnès de Buffon : Mme de Genlis en dit qu’elle est comme ce papillon du cabinet de son beau-père qui s’appelle la grande coquette, et qu’elle n’a rien de bon que ce qu’elle a de beau.

— Laissez-moi tranquille avec les médisances de Mme de Genlis, et parlez-moi plutôt du diable.

Lauzun me dit alors avec une simplicité sérieuse et qui finit par me donner le frisson, car il a toujours été d’une véracité parfaite et nullement conteur…… Il se trouve ici deux pages raturées

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

et qu’ayant mis sur cette table une coupe de cristal dans laquelle on voyait flotter un crapaud, lequel avait reçu tous les sacremens de l’église, depuis le baptême jusqu’à l’extrême-onction.…… — Mais l’ordre et la confirmation, vous n’y pensez pas, lui fis-je observer. — Ma tante, reprit-il avec un air d’amertume et de mépris douloureux, est-ce que le Duc de Chartres n’a pas à sa disposition les deux mains consacrées et sacriléges d’un évêque ?… Après quoi, cette horrible personne, car Lauzun n’avait pu démêler si c’était un homme ou une femme, se mit à genoux devant la table, en disant tendrement à son crapaud : — Saint Ange, mon cher Ange, mon bel Ange, l’Enfer triomphera-t-il pour nous ? Michel dénouera-t-il ce que Satan a lié ? Oyez-moi, oyez-moi, oyez-moi ! L’animal fit alors des évolutions tellement brusques que l’eau de la coupe en jaillit jusque sur le Duc de Chartres, qui devint blême et qui s’essuya le visage. Ce fut pour lors que les évocations commencèrent, et qu’il fut prescrit à toutes les personnes présentes de se mettre à genoux, ce que M. de Lauzun refusa pour son compte, en disant qu’il se trouvait mal aussitôt qu’il était dans cette posture. Les autres s’agenouillèrent à l’imitation du Duc de Chartres.

On vit apparaître alors à l’autre bout de la salle, ajouta Lauzun, sans aucun bruit et de la manière la plus inexplicable, une figure d’homme absolument nu. Il était de grandeur un peu plus que naturelle, ayant le teint d’un beau pâle et les yeux merveilleusement noirs ; cheveux bouclés, belle poitrine, avec des membres parfaitement bien proportionnés, les hanches et l’abdomen admirablement juvéniles ; une belle barbe frisée, fine et touffue, et du reste nullum cujusvis sexus indicium, ce qui, par-dessus toute chose, avait préoccupé le Duc de Lauzun.

Il me dit aussi que cette figure du diable avait une cicatrice qui lui partait du front, en tournoyant en arêtes aiguës jusqu’à son talon gauche, ainsi qu’un lacet de soie d’un pourpre vif……

… (A fulgure et tempestate libera nos, Domine ! m’écriai-je en baissant la tête ;) et cette belle apparition fut terminée par un éclat de voix sonore qui parut sortir de la bouche de ce diable, laquelle était alors grande ouverte, mais sans aucun mouvement d’articulation visible. Lauzun ne voulut jamais me rapporter ce que Satan leur avait dit ; mais on a su par la Duchesse de Gèvres, à qui M. de Caylus disait toutes choses, que c’étaient les mots suivans, avec des intervalles assez marqués pour y donner une interprétation qui, j’en fais ma coulpe, est revenue souvent à ma pensée.

Victoire Et Malheur. — Victoire Et Malheur. — Malheur. On verra que les tripotages, ou si l’on veut les intrigues politiques du Palais-Royal, n’étaient pas étrangers à ces jongleries profanatoires.

À côté de ces mystifications impies, destinées à satisfaire aux exigences des ennemis du christianisme, on entendait continuellement parler de superstitions absurdes et de folles pratiques auxquelles on assujettissait certains catholiques ayant plus d’attrait pour les curiosités mystiques que pour la dévotion réelle ; et comme on savait, à n’en pouvoir douter, que ces deux sortes de directions et d’illusions tout à fait divergentes étaient néanmoins imprimées et fomentées par le même chef de secte, c’est-à-dire par le fameux Cagliostro, vous pouvez juger l’opinion qu’on aurait dû concevoir de sa loyauté, ce qui n’empêchait pas un assez grand nombre de personnes considérables, et fort estimables du reste, d’éprouver et de manifester pour cet homme un sentiment de confiance et d’enthousiasme incompréhensibles. Cagliostro composait avec les scrupules des catholiques aussitôt qu’il apercevait que leur conviction religieuse était inébranlable. Il avait d’anciens jansénistes convulsionnaires au nombre de ses prosélytes. Il avait des mystiques de la croix et des illuminés du pur attrait parmi ses adeptes les plus ardens, et notamment un visionnaire espagnol appelé Don Luis de Lima-Vasconcellos, lequel était Grand-Prieur de Majorque et frère de M. l’Ambassadeur d’Espagne[3]. J’ai trouvé quelque chose d’assez curieux sur le Grand-Prieur de Lima dans les mémoires de Cagliostro. Vous verrez, lorsque nous en serons à l’affaire du collier, comment les manuscrits de ce prisonnier m’avaient été confiés pour les soustraire à l’activité passionnée du Baron de Breteuil contre le Cardinal de Rohan. Vous y verrez aussi pourquoi je m’étais chargée d’en traduire quelques parties. On y trouve assurément des folies étranges mais on n’a jamais rien lu de plus curieux, de plus spirituellement original et de plus naturellement exprimé. Je ne me flatte assurément pas d’avoir pu traduire et conserver la désinvolture de l’original italien, non plus que son air de singularité naïve ; mais, quoi qu’il en soit, voici quelques détails sur ce visionnaire, à peu près comme ils sont racontés par Cagliostro[4].

« Parmi les protégés du Grand-Maître, mon père, il y avait à Malte un grand dignitaire espagnol qui passait toute sa vie dans les églises, et qui se mourait de chagrin par suite d’un cauchemar de la nature la plus fatigante et la plus obstinée. Tous les Chevaliers castillans, ses compatriotes, attestaient la vérité de son aventure en ce qui concernait un meurtre, un remords dévorant, des pèlerinages et des pratiques de dévotion continuelles, mais ils ne pouvaient affirmer le surplus ; et voici comment il m’a conté son aventure, à laquelle on attribuait son cauchemar. »

« Je suis entré dans l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem de Malte avant d’être sorti de l’enfance, me dit le Grand-Prieur de Lima-Vasconcellos, ayant été reçu de pagenaria, c’est-à-dire, et comme vous le savez sûrement, pour être au nombre des pages de son Altesse Éminentissime le Grand-Maître, qui était alors Don Raymond de Perellos y Zuniga, y Lopès de Zapatan, y Sa de Catalayud. Ce prince avait eu deux aïeules de notre maison, ce qui me procura l’honneur et l’avantage de commander une galère de l’ordre à l’âge de vingt-cinq ans ; et l’année suivante étant une de celles où le Grand-Maître devait exercer son privilége de donazione, S. A. en profita pour me conférer la plus riche commanderie de la langue de Castille. Je pouvais donc prétendre sans témérité aux premières charges de l’ordre ; mais comme on n’y parvient que dans un âge avancé, et qu’en attendant je n’avais absolument rien à faire à Malte, j’y suivais l’exemple de nos premiers dignitaires, qui auraient dû nous en donner un meilleur, et je ne m’occupais qu’à faire l’amour. C’est un péché que je regardais alors comme purement véniel, et plût à Dieu que je n’en eusse jamais commis d’autre ! Celui que je me reproche est un acte d’emportement bien coupable, en ce qu’il m’a fait offenser tout ce que nos préceptes religieux ont de plus sacré ; je n’y saurais penser qu’avec un effroi mortel. Mais n’anticipons pas sur le triste événement que j’ai promis de vous raconter.

« J’aurai l’honneur de vous dire qu’il existe ici[5] quelques anciennes familles nobles, originaires de l’île, auxquelles on ne permet jamais d’entrer dans l’ordre, et qui ne veulent avoir aucune sorte de relation avec les Chevaliers, ne reconnaissant pour supérieurs que le Grand-Maître, qui est leur souverain, et les membres du chapitre qui forment le conseil de son Altesse.

« Immédiatement au-dessous de cette noblesse maltaise, il existe une classe mitoyenne qui exerce les emplois civils, administratifs ou judiciaires, et qui recherche la protection de MM. les Chevaliers. Les dames de cette classe sont désignées par la qualification d’Honorate, qu’elles se donnent entre elles, et qu’elles méritent véritablement par la régularité de leur conduite, ou, si vous l’aimez mieux, par la décence et la prudence qu’elles savent mettre dans leurs amours.

« L’expérience leur a fait connaître que le secret et la sécurité sont incompatibles avec le caractère des Chevaliers français, ou du moins qu’il est prodigieusement rare de leur voir unir la discrétion à toutes les autres qualités qui les distinguent. Il en résulte que les jeunes hommes de cette nation, qui sont accoutumés partout ailleurs à des succès brillans, en sont réduits à Malte à l’intimité des femmes de la plus mauvaise compagnie. Les Chevaliers allemands, qui d’ailleurs sont peu nombreux, sont ceux qui plaisent le plus aux Honorate, et j’ai toujours cru qu’ils devaient cette préférence à leur air de douceur, ainsi qu’à leur teint couleur de rose et blanc. À la suite des blonds viennent les basanés ; après les Teutons viennent les Espagnols, et je pense qu’il faut attribuer nos bonnes fortunes à notre caractère, qui passe avec raison pour honnête et sûr.

« Les Chevaliers français, et surtout les jeunes caravanistes, se vengent des Honorate en les persiflant et les mystifiant de toute manière, et surtout en dévoilant leurs amours secrètes ; mais, comme ils font bande à part et qu’ils négligent toujours d’apprendre la langue du pays, qui est l’italien, tout ce qu’ils peuvent dire entre eux ne saurait produire une grande impression.

« Nous vivions paisiblement avec nos Honorate, lorsqu’un vaisseau français nous amena le Commandeur de Foulquerre, de l’ancienne maison des Sénéchaux de Poitou, qu’on croit issus des premiers Comtes d’Angoulème. Il était venu jadis à Malte, d’abord pour faire ses caravanes contre les Turcs, ensuite pour y chercher un Chevalier milanais avec lequel il voulait absolument se couper la gorge, enfin pour y prêter serment d’obédience et pour y prononcer ses vœux ; et toujours le Commandeur de Foulquerre avait eu des querelles sanglantes. Il y venait cette fois-ci pour solliciter le généralat des galères ; et, comme il avait trente-cinq ans, on s’attendait à le trouver plus rassis. En effet on ne saurait dire que ce grand officier de S. Jean fût resté tout à fait aussi querelleur et tapageur que par le passé, mais il était devenu hautain, jaloux, impérieux, factieux même, et prétendant à plus d’autorité que le Grand Maître de Malte et les Grands-Prieurs de France.

« Le Commandeur ouvrit sa maison, et les Chevaliers français s’y précipitèrent en foule. Nous y allions rarement, et nous finîmes par n’y plus aller du tout, parce que nous y trouvions la conversation dirigée sur des sujets déplaisans pour nous, et particulièrement sur les Honorate, que nous faisions profession d’aimer et de respecter infiniment.

« Lorsque le Commandeur sortait pour se promener dans la ville, on le voyait toujours entouré de jeunes caravanistes français, qu’il menait dans la Strada-Stretta pour leur montrer les endroits de cette rue où il s’était battu, et pour leur expliquer toutes les circonstances de ses duels. Il est bon de vous prévenir, Monsieur le Comte, que le duel est proscrit et puni sévèrement à Malte, à moins qu’il n’ait eu lieu dans la Strada-Stretta, étroite et longue ruelle dans laquelle ne se trouve aucune porte et sur laquelle il ne s’ouvre aucune fenêtre. Elle n’a de largeur que tout juste autant qu’il en faut pour que deux hommes puissent se mettre en garde et croiser leur fer. Ils ne peuvent reculer, et leurs témoins arrêtent les passans pour empêcher qu’on ne les dérange.

« On avait souffert cet usage afin de diminuer le nombre des duels ; car un Chevalier qui ne veut ni provoquer ni répondre à un défi est toujours le maître de ne jamais passer dans la Strada-Stretta ; et si le combat s’engageait ou s’exécutait ailleurs, il est convenu qu’on ne saurait le faire passer légalement pour une rencontre. Du reste, il y a peine de mort pour quiconque viendrait dans cette ruelle avec un poignard ou des pistolets. Le duel est donc tout à la fois interdit et toléré à Malte ; mais cette permission n’est pas avouée ; on en parle toujours avec une sorte d’embarras honteux, comme d’un attentat contraire à la charité chrétienne et comme d’un acte malséant dans le chef-lieu d’un ordre religieux et hospitalier.

« Les promenades et les stations du Commandeur dans la Strada-Stretta étaient donc très déplacées. Elles eurent le mauvais effet de rendre les Chevaliers français très susceptibles et très offensifs. Ils y étaient déjà naturellement disposés ; et comme cet esprit de dispute allait toujours en augmentant, les Chevaliers espagnols redoublèrent de réserve et de gravité. Enfin ils se rassemblèrent chez moi pour nous y consulter sur les moyens d’arrêter des éclats de pétulance et des écarts de légèreté qui devenaient intolérables.

« Je remerciai mes compatriotes de la confiance dont ils m’honoraient. Je leur promis d’en parler au Commandeur de Foulquerre, en lui représentant que la conduite des jeunes Français avait des inconvéniens dont il pourrait arrêter les progrès et l’abus, attendu la juste considération qu’on avait pour lui dans les cinq langues de sa nation ; mais je n’espérais pas que cette explication, dans laquelle je comptais mettre toute la mesure et tous les égards possibles, pût se terminer autrement que par un duel. Pourtant, comme cette affaire d’honneur intéressait la dignité castillane, je n’étais pas fâché d’avoir été choisi pour la soutenir ; enfin je crois que je me laissai dominer par une sorte d’antipathie naturelle que j’avais pour ce Français.

« Nous étions dans la semaine sainte, et l’on convint de retarder mon entrevue avec le Commandeur jusqu’après l’expiration de la quinzaine de Pâques. J’ai toujours cru qu’il avait eu connaissance de ce qui s’était passé chez moi, et qu’il avait résolu de nous prévenir en me cherchant querelle.

« Arriva le Vendredi-Saint. Vous savez que, suivant l’usage espagnol, si l’on s’intéresse à une femme, on la suit ce jour-là d’église en église pour lui présenter de l’eau bénite ; c’est peut-être aussi par jalousie, dans la crainte qu’un autre ne profite de votre absence et de cette occasion-là pour faire connaissance avec votre Dulcinée ; mais toujours est-il que je suivais ce jour-là une jeune Honorata à laquelle j’étais attaché depuis plusieurs années, et que, dès la première église où elle entra, le Commandeur l’aborda familièrement pour lui présenter de l’eau bénite, en se plaçant entre nous deux de manière à me tourner le dos et à me marcher sur les pieds, ce qui fut remarqué par des Français. Ceci ne pouvait rester impuni.

« Au sortir de cette église, j’abordai mon homme d’un air de froideur, en lui demandant d’abord de ses nouvelles, et puis dans quelle autre église il comptait aller pour y faire sa seconde station.

— « Je compte aller à l’église Magistrale de Saint-Jean, répondit-il. Je lui proposai de l’y conduire par le chemin le plus court, et je fus étonné de le voir me répliquer avec le ton le plus poli : — Je serai charmé de m’y rendre à la suite de votre Seigneurie Illustrissime, que je remercie très sensiblement et très humblement pour sa prévenance et sa politesse. Je le menai sans qu’il s’en doutât jusque dans la Strada-Stretta, où je m’empressai de tirer l’épée, bien assuré du reste que personne ne viendrait nous y troubler un jour comme celui-là, où tout le monde était occupé dans les églises. « Le Commandeur s’écria : — Comment ! Segnor Commandador, vous tirez l’épée ? — Oui, Monsieur le Commandeur, je tire l’épée ; je suis en garde, et je vous attends. Après une ou deux secondes il dégaina la sienne, mais il en baissa tout aussitôt la pointe : Un Vendredi-Saint ! dit-il. Il y a six ans que je ne me suis approché du confessionnal : je suis épouvanté de l’état de ma conscience ; mais si vous voulez, dans trois jours, c’est-à-dire lundi matin

« Je ne voulus rien entendre, et je le forçai de se mettre en garde. Je suis d’un naturel paisible, et vous savez que les gens de ce caractère n’entendent jamais raison quand ils sont irrités. La terreur était marquée dans tous ses traits. Il se plaça tout auprès du mur comme s’il avait prévu qu’il allait être renversé et qu’il eût cherché un appui ; ce qui n’était pas sans raison, car dès la première botte je lui passai mon épée au travers du corps.

« Il s’appuya contre la muraille, et me dit d’une voix défaillante : Un Vendredi-Saint ! Puisse le ciel vous pardonner ! Portez mon épée à Têtefoulques et faites dire cent messes pour le repos de mon âme dans la chapelle du château.

« Le Commandeur expira.

« Je ne fis pas dans ce moment une grande attention aux dernières paroles qu’il avait dites ; et si je vous les répète exactement aujourd’hui, c’est que je les ai entendues, malheureusement, bien des fois depuis ce temps-là. Je fis une déclaration dans la forme convenue. Le chapitre trouva naturel que, nous étant rencontrés tous les deux dans la Strada-Stretta, notre hostilité nationale et peut-être la difficulté de nous céder le pas eût dégénéré en querelle sérieuse. Je puis vous assurer que, devant les hommes, mon duel ne me fit aucune espèce de tort ; Foulquerre était généralement détesté, et l’on trouva qu’il avait bien mérité sa destinée. Mais il n’en était pas ainsi devant Dieu, car mon action était doublement criminelle, à raison du Vendredi-Saint, et surtout à cause du refus que je lui avais fait d’obtempérer au délai de trois jours pour qu’il pût recevoir les sacremens. Enfin ma conscience, d’accord avec mon confesseur, ne tarda pas à m’en faire un cruel reproche ; et ce fut trois jours après que notre Éminentissime Grand-Maître eut la bonté de m’investir de la dignité priorissale du royaume de Majorque, que je possède aujourd’hui.

« Dans la nuit du vendredi au samedi suivant je fus réveillé en sursaut. En regardant autour de moi, il me sembla que je n’étais ni dans mon appartement ni dans mon lit, mais dans la Strada-Stretta, et couché sur le pavé. J’aperçus le Commandeur appuyé contre le mur… Le spectre eut l’air de faire un effort pour me parler : Portez mon épée à Têtefoulques, me dit-il d’une voix défaillante, et faites dire cent messes pour le repos de mon âme dans la chapelle du château.

« La nuit suivante je fis coucher dans ma chambre un de mes criados : je ne vis et n’entendis rien, non plus que les six nuits d’après ; mais, dans celle du vendredi au samedi, j’eus encore la même vision, avec la différence que mon valet me semblait couché à quelque distance de moi sur le pavé de la Strada-Stretta. Le Commandeur m’apparut : il me dit les mêmes choses ; et la même vision se répéta successivement tous les vendredis. Mon criado rêvait alors qu’il était couché dans une petite rue fort étroite ; mais du reste il ne voyait ni n’entendait le Commandeur.

« Je ne savais ce que c’était que Têtefoulques, où le défunt voulait absolument que je fusse porter son épée. Des Chevaliers poitevins m’apprirent que c’était un vieux château qui se trouvait à quatre lieues de Poitiers, au milieu d’une forêt ; qu’on en racontait dans le pays des choses extraordinaires, et qu’on y voyait beaucoup d’objets curieux, notamment l’armure du fameux Foulques Taillefer, avec les armes de tous les guerriers qu’il avait tués. On me dit aussi que l’usage immémorial de tous les Foulquerre avait toujours été d’y faire déposer les armes qui leur avaient servi, soit à la guerre, soit dans leurs combats singuliers.

« J’allai d’abord à Rome, où je me confessai au Cardinal Grand-Pénitencier. Je ne lui cachai pas la vision dont j’étais obsédé, et il ne me refusa pas l’absolution que méritait mon repentir ; mais son Éminence ne me la donna que conditionnelle, après ma pénitence future, et les cent messes au château faisaient partie de cette prescription. J’avais eu soin d’apporter de Malte l’épée du Commandeur, et je pris le chemin de la France aussitôt qu’il me fut possible.

« En arrivant à Poitiers je trouvai qu’on y était informé de la mort de M. de Foulquerre, et il me sembla qu’on n’en était pas plus affligé qu’à Malte. Je laissai mon équipage en ville, et je pris le costume d’un pèlerin avec un guide. Il était convenable de me rendre à pied jusqu’à Têtefoulques, et puis d’ailleurs aucun chemin de ce comté de Poitou n’aurait été praticable pour des voitures.

« Nous trouvâmes toutes les portes du château fermées, et nous sonnâmes long-temps à la porte majeure avant que le concierge ne parût. Il était le seul habitant de Tétefoulques, avec une espèce d’ermite qui desservait ou plutôt qui nettoyait la chapelle, et que nous trouvâmes occupé à psalmodier l’office des morts, ce qui me parut lugubre au dernier point. Lorsqu’il eut fini de chanter je lui dis que j’étais venu pour accomplir une obligation de conscience, et que j’avais l’intention de lui faire dire cent messes pour le repos de l’âme du Commandeur. Il me répondit qu’il ne disait jamais la messe, parce qu’il n’était pas dans les ordres, mais qu’il se chargerait volontiers d’en faire acquitter ma conscience.

« Je déposai mon offrande sur l’autel, et je voulus y déposer aussi l’épée du Commandeur ; mais l’ermite me dit avec un air sombre que ce n’était pas la place d’une épée si meurtrière et si souvent trempée de sang chrétien, et qu’il me conseillait de la porter dans une grande salle appelée l’Armurie, où il n’entrait jamais. Le concierge ajouta que c’était dans l’armurie que je verrais déposées toutes les épées des Foulquerre défunts, avec celles des adversaires dont ils avaient triomphé ; que tel était l’usage établi depuis le siècle de Mellusine et de son mari le comte de Poitou, Geoffroy à-la-Grand’-Dent. Je suivis dans l’armurie ce bavard de concierge, et j’y trouvai des épées de toutes les formes, de toutes les tailles et de tous les siècles, ainsi que de curieux portraits, à commencer par celui de Foulques Taillefer, comte d’Angoulême, lequel avait fait édifier le château de Têtefoulques pour un sien fils Manzier (c’est-à-dire bâtard), lequel fut créé Sénéchal de Poitou, et devint la souche des Foulquerre de Têtefoulques.

« Le portrait du Sénéchal et celui de sa femme, Isabeau de Sainte-Hermine, étaient placés des deux côtés d’une immense cheminée. Ils avaient un grand air de vérité. Tous les autres portraits me parurent également d’un assez bon faire, quoiqu’ils fussent de travail gothique ; mais aucun n’était aussi frappant que celui de Foulques Taillefer, armé de toutes pièces et saisissant sa rondache, qui était armoriée de trois lions léopardés, montés et diffamés (en signe de bâtardise apparemment). La plupart des épées étaient réunies et ajustées en trophée au bas de ce portrait.

« Comme cette salle était la seule du château à qui j’eusse trouvé l’air habitable, je demandai au concierge s’il ne voudrait pas m’y faire du feu avant de m’y dresser un lit et de m’y donner à souper. — Quant au souper, je le veux bien, mon cher pèlerin, répondit-il, mais je vous conseille de venir coucher dans ma chambre.

« Je voulus savoir le motif de cette précaution. — J’ai mes raisons, poursuivit-il, et je vais toujours vous aller faire un lit auprès du mien. J’acceptai la proposition d’autant plus volontiers que nous étions au vendredi et que je craignais le retour de ma vision.

« Le concierge de Têtefoulques alla s’occuper de mon souper, et je commençai par examiner les armures et les portraits des Foulquerre. À mesure que le jour baissait, les draperies enfumées se confondaient avec le fond des tableaux, et le feu de la cheminée ne me laissait voir que des visages, ce qui avait quelque chose d’effrayant… Peut-être cela me parut ainsi, parce que l’état de ma conscience m’entretenait dans un trouble continuel.

« Enfin le concierge apporta mon souper, qui consistait dans un plat de truites, avec quelques écrevisses qu’il avait fait pêcher dans les fossés du château. Il me fournit en outre une bouteille de vin potable et assez passable, quoiqu’il me dit que c’était du vin de Poitou. J’aurais voulu que l’ermite se mît à table avec moi ; mais il ne vivait que de racines et d’herbes cuites à l’eau.

« J’ai toujours été exact à réciter mon bréviaire, ce qui est toujours d’usage ainsi que d’obligation pour les Chevaliers profès, et parmi les Espagnols au moins. Je tirai donc mon missel de ma poche, ainsi que mon rosaire, et je dis au concierge qu’il eût seulement à me montrer la chambre où j’irais le retrouver lorsque j’aurais fini mes prières. — À la bonne heure, me répondit-il. Quand vous entendrez l’ermite sonner sa cloche, en faisant sa ronde dans les corridors avant minuit, vous descendrez par cet escalier tournant, et vous ne pourrez manquer de trouver ma chambre, dont je vais laisser la porte ouverte. C’est la sixième porte après la grande ogive, au quatrième repos de l’escalier. Vous entrerez par là dans une allée voûtée qui se termine par une arcade avec une statue de la bienheureuse Jeanne de France. Vous ne pourrez pas vous y tromper, et je vous conseille de ne pas rester ici passé minuit.

« Le concierge se retira ; je continuai mon office ; et de temps à autre je mettais du bois au feu, mais je n’osais trop regarder à l’entour de moi. Les tableaux semblaient s’animer, et si j’en regardais un pendant quelques instans, il me paraissait y voir remuer des yeux et des lèvres, et c’étaient surtout les portraits du Grand Sénéchal et de sa femme à qui je croyais voir des yeux courroucés contre moi, sans compter des regards d’intelligence entre eux… Un coup de vent terrible vint ajouter encore à mes frayeurs ; il ébranla violemment tous les vitraux en agitant les faisceaux d’armures avec une sorte de cliquetis qui me parut surnaturel.

« Enfin j’entendis la cloche de l’ermite, et je descendis l’escalier tournant avec une lumière, que le vent souffla bien avant que je n’eusse reconnu l’arcade, la niche et la figure de la bienheureuse Jeanne de France. Je montai précipitamment dans l’armurie pour y rallumer mon bout de chandelle ; mais jugez de ce que j’éprouvai lorsque j’aperçus le Sénéchal avec la Sénéchale qui étaient descendus de leurs cadres et qui s’étaient mis au coin du feu.

« — M’amie, disait le Sénéchal, que vous siemble de l’oultre cuidance du Kastillan, lequel se vient héberger et goberger en mon chastel à prets havoyr occiz le Commandeur et sanz lui volloyr octroyer confécion ?

« — Messire, répondit aigrement le spectre féminin, m’est adviz qu’iceluy Kastillan fist forfaicture en ce rencontre, et vrayement, seroits mal à poinct quil se dezpartits de ceants sanz que le gant lui jectiez !

« Je me précipitai de nouveau dans l’escalier pour aller chercher la chambre du concierge, qu’il me fut impossible de trouver au milieu des ténèbres. Après une heure et demie d’attente et d’inquiétudes mortelles, je tâchai de me persuader que le jour était prêt à paraître et que le coq avait dû chanter, ce qui ne me laisserait aucune inquiétude, car il est assez connu que les revenans ne sauraient se montrer après le premier chant du Coq.

« J’essayai surtout de me persuader que les deux figures que j’avais cru voir et entendre parler n’avaient existé que dans mon imagination troublée. J’avais toujours à la main ma chandelle éteinte, que je voulais absolument rallumer pour aller me coucher, parce que je tombais de fatigue. Enfin je remontai ce malencontreux escalier à pas de loup, et, m’arrêtant à la porte de l’armurie avec précaution je trouvai qu’effectivement les deux figures gothiques n’étaient pas au coin du feu où j’avais cru les apercevoir (je n’eus pas la prudence et la précaution de regarder si elles étaient remontées dans leurs vieux cadres). Je m’aventurai témérairement en me dirigeant à côté de la cheminée mais à peine eus-je fait quelques pas que je vis Messire Foulques au milieu de la salle.

« Il était en garde et me présentait la pointe de son épée. Je voulus me retourner du côté de l’escalier ; mais la porte en était occupée par une figure d’Écuyer qui me jeta rudement un gantelet de fer au visage. Enfin l’impatience me prit ; je me jetai sur une épée que j’arrachai d’un trophée d’armes (il se trouva que c’était précisément celle du Commandeur que j’y avais placée) et je tombai sur mon fantastique adversaire. Il me sembla que je l’avais pourfendu ; mais tout aussitôt je ressentis au-dessous du cœur un coup de pointe qui me brûla comme aurait fait un fer rouge. Mon sang inondait la salle et je m’évanouis.

« Je me réveillai le lendemain dans la petite chambre du concierge. Ne me voyant pas arriver, il s’était muni d’un bénitier avec son goupillon pour venir me chercher. Il m’avait trouvé étendu sur le pavé de l’armurie sans connaissance, mais sans aucune blessure, et celle que j’avais cru recevoir n’était qu’une fascination. Le concierge et l’ermite ne me firent aucune question, mais ils me conseillèrent de quitter le château le plus tôt possible

« Je partis de Têtefoulques pour retourner en Espagne, et j’arrivai à Bayonne le vendredi suivant. Au milieu de la nuit, je fus réveillé en sursaut par le même Foulques Taillefer, qui me tendait la pointe de son épée. Je fis le signe de la croix, et le spectre parut s’évanouir en fumée, mais je n’en sentis pas moins le même coup d’épée que j’avais cru recevoir dans l’armurie ; il me sembla que j’étais baigné dans mon sang ; je voulus appeler et sortir de mon lit pour aller chercher du secours, mais l’un et l’autre me furent impossibles, et cette angoisse me dura jusqu’au premier chant du coq. Alors je me rendormis mais le lendemain j’étais malade et dans un état digne de pitié. J’ai eu la même vision tous les vendredis. Les actes de dévotion n’ont pu m’en délivrer, et c’est un reste d’espoir dans la miséricorde divine qui me soutient encore et me fait supporter une situation si lamentable. »

Les folles idées de M. de Caylus n’étaient pas de la même nature que celles de M. de Lima, et comme il était classé parmi les superstitieux impies, il était, à mon avis, beaucoup plus déraisonnable que le Grand-Prieur. On a raconté très diversement la dernière aventure de M. de Caylus et les circonstances qui paraissent avoir déterminé sa mort mais c’est très injustement qu’on y a fait intervenir une jeune femme qui, depuis trois mois, était dans ses terres du fond du Quercy. Je vous puis assurer que le nom de Mme de Bonneval ne s’est trouvé mêlé dans tout ceci que par un calcul de malice et de jalousie féminine. Mme la Vicomtesse de Rouault n’est jamais retenue, comme chacun sait, par sa charité chrétienne et son respect pour la vérité quand son amour-propre est en souffrance. Elle a brouillé toutes ses filles avec tous ses gendres, et Mme de Courcy (la plus jeune de ses filles) en est morte de douleur. Voici l’histoire de M. de Caylus ainsi que je la tiens tout directement de sa cousine et son amie, la Duchesse de Gèvres, qui vit encore et qui promet de vivre long-temps[6].

M. de Caylus avait la fureur du prosélytisme, et Mme de Gèvres avait bonne envie de voir le Connétable du Guesclin, ne fût-ce que pour en tirer quelque renseignement sur un trésor qui doit exister dans les ruines du Plessis-Bertrand (c’est un de leurs châteaux, en Bretagne). Je ne sais pourquoi dans la plupart de nos anciennes familles il y a toujours pareille imagination sur quelque trésor enfoui. Le dernier prince de Rohan-Rochefort a fait culbuter son château de Neauffle-le-Vieil, afin d’y chercher je ne sais quel produit des économies du grand Dunois, qui n’avait pourtant jamais eu plus de bon ordre ménagier ni d’arrangement que trois noix dans une écuelle percée, comme dit Rabelais. M. du Cayla m’a conté que son oncle de Baschy[7], que nous prenions pour un prudent personnage, avait fait démolir un vénérable et superbe château qui était dans leur famille depuis le treizième siècle, et ceci pour y découvrir les joyaux du Roi Pharamond, géant à poil follet, dit toujours notre Rabelais. Au lieu du trésor d’un Sicambre, on y découvrit un sépulcre romain qui était rempli de serpens gigantesques.

La Reine Marie Leksinska disait très judicieusement que dans son royaume de France, « le plus beau des royaumes après celui du ciel, » les plus belles églises n’ont jamais qu’une tour et les plus beaux châteaux n’ont jamais qu’une aile ; ce qui manifeste suffisamment le caractère de notre nation qui sait tout entreprendre, ne rien achever, et plutôt détruire avec ardeur qu’édifier avec persévérance. Mais il est un autre symptôme encore plus caractéristique de notre humeur nationale, et c’est l’amour de la destruction sous prétexte d’amélioration. Tout ce que j’ai vu démolir d’anciens édifices est innombrable. La ville de Paris a fait abattre l’ancienne chapelle de Sainte-Geneviève, dont la construction datait des Mérovingiens. Les gens de la couronne ont détruit l’hospice fondé par saint Louis pour loger douze pauvres provinciaux qui auraient à plaider contre la couronne, et le cœur m’en a saigné. Je sais bien que Louis XV a vécu sous le règne de Voltaire ; mais j’ai vu Louis XV aliéner son curieux palais de Chenonceaux pour quelques arpens de garenne[8], et tandis que le Duc de Bouillon laissait crouler sa vieille forteresse de la Tour en Auvergne, on démolissait la plus belle moitié du château d’Amboise à l’effet d’y construire un petit logement pour Mme de Lamballe. C’est à qui s’efforcera d’arracher à la vieille Cybèle sa couronne de créneaux ! Si j’avais écouté mes bourgeois, mes fermiers et mes autres vassaux de Montflaux, j’aurais fait faire dans mon château des Gastines un fameux remue-ménage ! Ils savaient à n’en pouvoir douter que les Comtes d’Anjou, Geoffroy Grise-Gonelle et Foulques le Réchin y avaient enterré des trésors, et la tradition portait que c’était principalement des couronnes (comme s’ils en avaient eu de rechange).

— Je ne vous donnerai seulement pas, leur disais-je, l’argent d’un pic ou d’une pioche, et je vous assure que le premier qui s’avisera d’arracher une pierre à mes Gastines sera condamné par mes officiers de justice à l’amende et à la prison. J’irais plutôt ce jour-là présider mon audience en personne !

Hélas ! mon Dieu ! quand ces méchantes gens, vingt ans plus tard, ont incendié mes admirables charpentes et déraciné mes belles tours angevines, ils ont pioché huit mois durant et n’ont rien trouvé du tout, sinon des eaux souterraines et la fièvre quarte. J’oubliais de vous dire encore une citerne remplie de carcasses et de têtes de morts, lesquelles avaient chacune un clou de fer énorme enfoncé dans le haut du crâne ; et c’était un supplice à la mode angevine, à ce qu’il paraît.

Tout ceci n’est pas hors de propos à l’occasion des Caylus, car ils avaient fait dévaster leur château de Pestels, berceau de leur famille, l’oncle pour y chercher des médailles romaines, et le neveu pour obéir à je ne sais quelle indication de son démon familier. C’était, ce me semble, un manuscrit dans une cassette.

La Duchesse de Gèvres a toujours été dévote et curieuse ; elle était surtout préoccupée de son trésor du Plessis-Bertrand, mais la négociation fut longue et difficile, attendu que M. de Caylus exigeait préliminairement qu’elle se voulût soumettre à certaines pratiques et cérémonies d’initiation qui répugnaient à sa conscience. On n’avait droit à faire une évocation qu’après son affiliation, disait-il. — Alors je ne verrai jamais Bertrand du Guesclin, répondait-elle ; et la chose en restait là pour le moment.

C’était toujours M. de Caylus qui revenait à la charge ; et je n’aurais jamais compris que les Balsamites attachassent tant d’importance à s’affilier Mme de Gèvres, si ce n’était à cause de sa fortune et de sa crédulité. Ce fut après quinze ou dix-huit mois d’insinuations philosophiques et de discussions, de refus, de brusqueries réciproques et d’escarmouches entremêlées de fâcherie sérieuse, que M. de Caylus annonça qu’il avait enfin obtenu du Grand-Cophte la permission de laisser assister Mme de Gèvres à l’évocation du génie des métaux, sans obliger cette profane à prêter aucun serment. Il fut convenu qu’elle se rendrait le lendemain, par les Champs-Élysées, dans la maison de Mme de Brunoy, rue du faubourg Saint-Honoré, et c’était la nuit d’un vendredi qu’on avait choisi pour ce redoutable mystère[9].

Elle arrive à minuit (Mme de Gèvres) à la porte d’un pavillon qui se trouve au bout du jardin de Mme de Brunoy, laquelle était aux eaux de Baréges avec son frère le Baron d’Escars. Elle aperçoit derrière la grille une figure immobile ; on s’approche en lui disant Jéma, elle répond Jéta ; la grille s’ouvre ; on lui recommande de ne témoigner aucune surprise et surtout aucune désapprobation. (— Vous seriez cause de ma mort…) Elle avait reconnu la voix, si ce n’était la figure de M. de Caylus, à qui sans doute elle avait déjà promis de ne manifester aucun sentiment qui pût inquiéter cette réunion d’adeptes. Elle m’a dit qu’en montant l’allée couverte qui conduit de ce pavillon sur les Champs-Élysées au corps du logis, elle avait éprouvé du trouble, avec un saisissement si douloureux qu’elle fut obligée de s’arrêter et de s’asseoir sur un banc de gazon. — J’ai peur ! je ne veux pas entrer, je veux m’en aller, dit-elle en se levant brusquement et se dirigeant du côté du pavillon. — Il est trop tard, lui répondit son guide avec un accent d’effroi qui redoubla son inquiétude… Le poste de la grille est occupé par un autre factionnaire… Vous ne sauriez sortir d’ici que par la rue du Faubourg Saint-Honoré, ce qui est impossible sans traverser la maison… Vous allez compromettre… Vous allez nous exposer… Vous allez me dévouer à des malheurs inévitables !

Enfin, plus morte que vive, elle se laisse entraîner jusqu’à la porte de ce joli boudoir qui se trouve au bout de l’allée couverte ; elle entre, et l’intérieur de ce cabinet était dans une obscurité complète. M. de Caylus se met à frapper mystérieusement sur une boiserie, par petits coups martelés, de manière à former des phrases maçoniques au moyen des nombres et des temps d’arrêt marqués entre celui des coups[10]. On lui répond de l’intérieur, au même endroit et de la même manière ; il y réplique, et dit précipitamment à cette curieuse effrayée : — Voilà que je viens de m’engager pour vous, ne l’oubliez pas ! La porte sur laquelle on avait frappé de part et d’autre s’ouvrit inopinément, et la clarté la plus vive inonda l’intérieur du cabinet, où Mme de Gèvres aperçut alors deux grandes figures qui étaient entièrement couvertes de draperies rouges et qui tenaient à la main des épées nues dont la pointe était dirigée sur elle. — Qu’est-ce à dire ? Est-ce que vous m’amenez dans un coupe-gorge ? s’écrie-t-elle ; et la voilà dans un accès d’effervescence et de poltronnerie révoltée qui lui fait perdre la tête au point de se précipiter et d’aller tomber en bombarde au milieu d’un tabernacle des lumières, en faisant des cris pharamineux. Cette pièce était la belle chambre à coucher de Mme de Brunoy, la parente et l’intime amie de Mme de Gèvres, de sorte qu’elle en connaissait parfaitement bien les distributions intérieures avec leurs aboutissans ; elle était radieusement illuminée, mais il ne s’y trouvait personne ; on pouvait supposer qu’elle ne devait servir que de salle d’attente pour les néophytes ; on n’avait rien changé à son ameublement ni ses décorations ordinaires, et voici tout ce qu’on y remarquait d’inusité. La porte qui communique avec le grand salon et qui se trouve auprès des fenêtres, en face de la porte du boudoir par où Mme de Gèvres était entrée si brusquement, était voilée par une grande courtine en étoffe richement brodée, mais qui n’avait aucun rapport avec le meuble de la chambre, non plus qu’avec les tentures d’aucune autre pièce de la maison. C’était une sorte de brocard à fond bleu qui était semé d’étoiles d’or et de caractères cabalistiques en argent frisé. Il y avait aux deux côtés de cette porte deux trépieds dorés qui supportaient de larges coupes d’agate, ou plutôt d’albâtre rubané, car il est toujours prudent de supposer quelque charlatanisme en pareille matière. Lesdites coupes étaient remplies, l’une de fruits magnifiques, ananas, pêches, oranges et raisins, branches de fruits rouges, épis de blé, maïs et autres productions végétales, l’autre d’or et d’argent monnayé, pêle-mêle avec des perles et des pierreries, vraies ou fausses (ceci n’importait qu’aux illuminés). Remarquez, s’il vous plaît, que ces deux larges coupes étaient rapprochées de manière à laisser tout au juste la place de passer entre elles, et qu’il y avait à terre et en travers de cette porte un grand crucifix sur lequel il était impossible de ne pas marcher pour entrer dans le grand salon…

Un homme inconnu, couvert d’une longue robe mi-partie de velours noir et de satin bleu de ciel, entra dans cette chambre par la porte du boudoir, et, sans rien dire à Mme de Gèvres, il entreprit de s’emparer de sa main pour la conduire dans la salle de l’assemblée ; la portière de brocard en était ouverte ainsi que la porte, et l’on y voyait confusément une foule de personnages étrangement vêtus et symétriquement alignés des deux côtés de cette galerie. — Laissez-moi la main ! Pour qui me prenez-vous ? s’écria la Duchesse avec la résolution courageuse et la fierté qui doivent provenir de son nom du Guesclin. Où prétendez-vous me conduire ? Imaginez-vous que je vais marcher sur le crucifix comme un trafiquant hollandais ?… Plutôt que de fouler aux pieds l’image de notre Seigneur et la sainte Croix, signe de notre salut, je souffrirais mille maux… Ne me touchez pas !… Ne m’approchez pas !

Cet homme hésita la valeur d’une ou deux minutes, ensuite il entra dans la grande salle, et Mme de Gèvres s’enfuit tout aussitôt par une salle de bain qui s’ouvrait sur un corridor attenant au grand vestibule. Elle y trouva que les trois portes qui donnent sur la cour avaient été soigneusement fermées à la clef. La Duchesse est obligée de s’élancer par-dessus la balustrade d’une fenêtre basse, et laisse tomber un de ses souliers ; elle entortille son pied dans son mouchoir, et la voilà qui se met à courir sur le pavé de l’avenue jusqu’à la loge du suisse, où tout le monde était endormi. — Ouvrez, ouvrez-moi ! — Qui va là ? — C’est moi ! — Qui, vous ? — La Duchesse de Gèvres… — Allons donc !… Le débat n’aurait jamais fini si la femme du suisse n’avait pas cru reconnaître la voix de Mme de Gèvres, dont elle avait été fille de garde-robe. La Duchesse ne voulut rien confier de sa mésaventure à ces gens de Mme de Brunoy, qui ne se doutaient en aucune façon de ce qui se passait au bout de leur avenue. Tout ce qu’ils en savaient, c’était que leur maîtresse avait ordonné de mettre ses appartemens et ses clefs à la disposition de M. de Caylus, dont on devait réparer le logement ; mais il n’en profitait guère, et tout donnait à penser que le service des illuminés ne se faisait que par les Champs-Élysées. Je ne doute pas non plus que Mme de Brunoy ne fût parfaitement étrangère à cet indigne emploi de son habitation.

On apprit dans la journée du lendemain que M. de Caylus avait été frappé d’un coup d’apoplexie foudroyante dans la petite maison de M. de Lauzun, rue du Roule, auprès des Champs-Élysées, d’où l’on rapporta son corps à l’hôtel de Comminges, rue de Grenelle, en face de l’hôtel de Créquy. Nos gens furent le voir, et disaient que sa figure était devenue comme celle d’un nègre. Aucun de ses proches parens n’était à Paris, il n’appartenait à personne de faire vérifier chirurgicalement la nature ou la cause de sa mort. Mme de Gèvres était dans son lit avec une fièvre chaude, et n’apprit cette nouvelle que lorsqu’il n’était plus temps de parler (parce que le cercueil de ce malheureux adepte avait été porté dans une église au fond du Rouergue, au milieu de la canicule et par une chaleur de 24 degrés).

Il est inutile de vous dire pourquoi les Balsamites ont été soupçonnés d’avoir fait mourir M. de Caylus. On a fait un nombre infini de broderies sur le même canevas d’histoire, où l’on n’a pas manqué d’ajuster les ornemens les plus merveilleux ; mais vous pouvez compter et vous pourrez vérifier auprès de Mme de Gèvres que voilà toute la vérité sur cette aventure. Je la tiens déjà pour honnêtement extraordinaire et passablement tragique.

  1. Anne-Philippe de Pestels de Tobières de Grimoard de Lévis de Caylus, Sire de Pestels et Sénéchal du Rouergue, Comte de Caylus et de Saint-Clair, Baron de Sallers, de Régniès et de Lacoste en Montalbannais, Chatelain de Villeneuve, Castelnau-de-Vareyres et autres lieux, lequel était petit-fils de l’auteur des Souvenirs de Caylus. C’est le Marquis de Lignerac, son arrière-neveu, qui est devenu l’héritier de leur grandesse d’Espagne et qui est Duc de Caylus aujourd’hui.
    (Note de l’Auteur.)
  2. Armand Louis de Gontaut, Duc de Biron, et d’abord de Lauzun. Il avait eu la coupable faiblesse de se ranger sous les drapeaux du parti révolutionnaire, qui l’a fait condamner à mort et supplicier en 1793.
    (Note de l’auteur.)
  3. Don Jaime de Majonès de Lima de Sotomajor, Commandeur de Calatrava, Ambassadeur d’Espagne à Paris depuis l’année 1747 jusqu’en 1764.
    (Note de l’Auteur.)
  4. Plusieurs journaux littéraires ont annoncé la publication prochaine des Mémoires inédits de Cagliostro, où l’on retrouvera sûrement le fond et les principaux incidens de cette anecdote fantastique.
    (Note de l’Éditeur.)
  5. C’est-à dire à Malte.
  6. Françoise-Marie du Guesclin, mariée en 1758 à Louis-Paris-Joachim Potier de Gèvres-Luxembourg, Duc de Gèvres et de Tresmes, Gouverneur de Paris, Grand-Bailly de Valois, etc., morte à Paris en 1817, âgée de 91 ans.

    Aussitôt que Buonaparte, premier consul, eut appris que Mme de Gèvres était la dernière personne de la maison du Guesclin, il la fit inscrire sur le grand-livre pour une pension viagère de 12 mille francs qu’elle n’a jamais fait toucher ; et ceci n’a jamais cessé de lui causer un sentiment de répugnance et d’humiliation.

    (Note de l’Éditeur.)
  7. François, Comte de Baschy, de Saint Estève et du Cayla, Chevalier des ordes du Roi, Ambassadeur de France à Lisbonne en 1760. Il était le père de Mmes de Lugeac, d’Avarey, de Monteynard et de Turenne. Comme il est impossible que vous n’entendiez pas crier contre des personnes qui portent le nom de Turenne et qui ne sont pas de la maison de Bouillon, je suis bien aise de vous prévenir que c’est l’ignorance ou la malveillance qui font parler contre cette famille, car on ne saurait douter qu’elle ne soit issue des anciens Vicomtes de Turenne, dont la branche aînée s’est fondue dans la maison de la Tour d’Auvergne, en y portant ladite vicomté souveraine avec le comté de Beaufort en Anjou. On pourrait même observer que cette alliance avec l’héritière de Beaufort-Turenne, en 1444, fut la première et principale pierre de cet édifice de grandeur où la maison de la Tour est arrivée (parvenue ne saurait s’appliquer ici convenablement). Les prétentions injustes sont insupportables, mais les dénégations injustes sont révoltantes. Je ne suis pas suspecte en cette occasion-ci, vraiment, car je ne connais aucunement le Comte de Turenne, et Mme sa femme est une espèce de folle qui m’a toujours déplu souverainement.
    (Note de l’Auteur.)
  8. Le château de Chenonceaux, possédé par Diane de Poitiers, augmenté par Catherine de Médicis et long-temps habite par la Reine Louise, veuve de Henri III, est bâti, non-seulement sur les bords du Cher, mais sur un pont qui recouvre absolument cette charmante rivière. C’est un des édifices les plus remarquables et les mieux conservés du seizième siècle. Si Mme de Créquy avait pu juger de la conscience artistique et de la sollicitude respectueuse, on pourrait dire, avec lesquelles les propriétaires actuels de Chenonceaux ont fait restaurer, décorer et font entretenir cette ancienne habitation royale, elle se serait aisément consolée de la savoir sortie des mains du domaine fiscal, qui l’aurait négligée s’il ne l’avait fait démolir. Chenonceaux, dans son état présent, est le parfait modèle du vieux château rajusté pour habitation moderne, avec tous ses meubles et ses ornemens d’intérieur exactement appropriés au style intime de l’édifice. M. et Mme de Villeneuve ont droit à la reconnaissance des archéologues et des artistes de tous les pays. L’éditeur les prie d’excuser l’auteur : c’est le tribut d’un ami des arts qui leur est inconnu.
    (Note de l’Éditeur.)
  9. Diane-Émilie de Peyrusse des Cars des Princes de Carency, Comtes des Cars et de l’Ile-Jourdain, mariée en 1769 à Jean-Julien Paris de Montmartel, Marquis de Brunoy. Il était renommé pour sa passion d’organiser des processions magnifiques et d’édifier des reposoirs incomparables. On arrivait à Brunoy de dix lieues à la ronde, afin d’y voir passer les processions dont il était l’ordonnateur pour le jour de la Fête-Dieu et pour le vœu de Louis XIII, à l’Assomption. On estimait qu’il avait dépensé de 13 à 14 millions pour les cérémonies de sa chapelle et de son église de village. Ses parens avaient fini par le faire interdire, et Monsieur, Comte de Provence, a fait l’acquisition du magnifique château de Brunoy, qui paraît être un séjour de prédilection pour lui.
    (Note de l’Auteur.)

    Louis XVIII a conféré la qualité de Duc français au Duc de Wellington, sous le titre de Duc De Brunoy. « C’est le nom d’un lieu qui s’allie dans mon souvenir avec celui de mes plus beaux jours, et voilà pourquoi je l’ai choisi pour vous, lui dit S. M. »

    (Note de l’Éditeur.)
  10. Un coup pour A, deux coups pour B, trois pour un C, et le reste ainsi jusqu’au nombre de vingt-quatre, correspondant à la dernière lettre de l’alphabet.