Michel Lévy frères (p. 27-38).


HÉROLD


Un an s’est écoulé depuis qu’une mort prématurée a enlevé aux amateurs de musique un compositeur qui faisait leurs délices, à l’Opéra-Comique un de ses plus fermes soutiens, et à la France une de ses gloires. Le 19 janvier 1833, Hérold a cessé de vivre, en nous léguant pour dernier héritage le plus heureux, sinon le meilleur de ses ouvrages, le Pré aux Clercs, que le public a été applaudir plus de cent fois, et qu’on entendra encore longtemps avec un plaisir d’autant plus vif qu’il n’est pas exempt de regret, et que le nombre des ouvrages d’Hérold restés au répertoire est plus restreint.

Nous allons essayer, dans une courte notice, de faire connaître à nos lecteurs la vie et les ouvrages de cet habile musicien, dont la perte nous fut doublement douloureuse, comme artiste et comme ami.

Hérold (Jean-Louis-Ferdinand) naquit à Paris en 1790. Son père, allemand de naissance, était un professeur de piano de quelque réputation ; il a laissé une seule œuvre de musique, gravé à Paris. Il mourut d’une maladie de poitrine, laissant une veuve dans un état de fortune médiocre, mais au moins à l’abri du besoin, et un fils en bas âge. Le jeune Hérold, l’idole de sa mère, qui jeune et jolie, refusa constamment de contracter une nouvelle union, voulant consacrer toute son existence à son fils, fut l’objet de la sollicitude de tous les amis de son père. M. Adam, qui était son parrain, reporta sur l’enfant toute l’amitié qu’il avait eue pour Hérold le père, son compatriote et son confrère ; Kreützer voulut également l’avoir pour élève, et c’est sous ces deux grands professeurs que le jeune Hérold apprit le piano et le violon. Il fit ses études chez M. Hix. Une observation assez singulière, est que de cette institution, où l’éducation n’avait certainement rien de musical, soient sortis quatre lauréats de l’Institut pour le prix de composition, Chélard, Hérold, Hip. de Font-Michel et A. Adam.

Hérold entra ensuite au Conservatoire dans la classe de M. Adam et remporta bientôt le premier prix de piano. Pour concourir il exécuta une sonate de sa composition ; c’est la seule fois que ce cas se soit présenté. Il n’avait alors guère plus de seize ans. S’il eût embrassé cette carrière, il serait devenu un pianiste des plus distingués ; il avait une facilité et une pureté d’exécution très-remarquables, et, quoiqu’il eût depuis bien longtemps renoncé à s’exercer, on rencontre dans ses ouvrages de piano des traits d’une extrême élégance, et qui décèlent combien il connaissait les ressources de cet instrument. Mais cette gloire ne lui suffisait pas, c’est à être compositeur qu’il aspirait.

Il prit des leçons de Mehul, et concourut à l’Institut. Le sujet de la scène était Mme de Lavallière, que Louis XIV veut enlever du couvent où elle s’est retirée. Les concurrents avaient trois semaines pour composer leur musique. La mère d’Hérold va pour le visiter à l’Institut, six jours après son entrée en loge ; elle le trouve jouant à la balle dans la cour ; sa tâche était terminée. Quelques instances qu’on lui fit, il ne voulut pas rester un jour de plus.

— J’ai été enfermé assez longtemps quand j’étais en pension, dit-il, à présent je veux respirer le grand air.

Il eut le premier grand prix, qu’il partagea avec M. Cazot.

Une des plus utiles prérogatives attachées au prix de Rome, était de vous arracher à cette funeste conscription qui décimait si cruellement nos familles à cette époque, que tant de gens font semblant de regretter. Hérold, âgé de moins de vingt ans, dut à ses succès d’éviter d’aller porter le mousquet sur les bords glacés de la Néva. Il partit pour Rome, où il ne séjourna que peu de temps ; il vint ensuite s’établir à Naples. M. Adam, qui à Paris avait donné des leçons aux enfants du roi de Naples, fit obtenir à Hérold la place de professeur de piano des jeunes princesses. Aidé de cette royale protection, il fit représenter à Naples un opéra intitulé la Gioventu d’Enrico V. Le succès en fut immense. Comme je ne connais pas une note de cette partition, je ne pourrais vous assurer que le succès en fut entièrement dû à la musique ; je crois bien que la préférence donnée alors à tout ce qui était français, y fut pour quelque chose.

Il était néanmoins fort honorable pour un musicien aussi jeune d’avoir un premier ouvrage joué avec succès dans la capitale d’un pays aussi musical que le royaume d’Italie. Mais ce beau titre de Français, auquel il était si redevable, faillit bientôt lui être fatal, lorsqu’eurent lieu les terribles événements qui bouleversèrent la face de l’Europe. Forcé de se cacher, de fuir, c’est à pied, et au milieu des plus grands dangers, qu’il alla se réfugier dans l’Allemagne, que nos revers, toujours croissants, le forcèrent bientôt d’abandonner.

De retour à Paris, il publia quelques morceaux de piano, empreints de ce cachet d’originalité que l’on remarque dans tous ses ouvrages. Il se fit aussi entendre plusieurs fois en public comme pianiste dans quelques concerts, entre autres à l’Odéon, où était alors le Théâtre-Italien. Il désespérait de pouvoir jamais se produire au théâtre comme compositeur, lorsqu’à l’occasion du mariage du duc de Berry, un auteur, M. Theaulon, présenta à l’Opéra-Comique un ouvrage de circonstance, intitulé Charles de France. Le soin d’en faire la musique fat confié à M. Boïeldieu, qui s’adjoignit dans cette tâche le jeune Hérold.

Quelle bonne fortune pour un jeune auteur de débuter sous les auspices d’un tel collaborateur ! La musique de cet ouvrage eut un grand succès. Tout le monde se rappelle la délicieuse romance des Chevaliers de la fidélité, qui se trouvait dans l’acte de M. Boïeldieu. La part d’Hérold fut aussi remarquée, et M. Theaulon lui donna son poëme des Rosières. On trouve dans cette partition une grande fraîcheur d’idées, quoique l’orchestration fût un peu pauvre.

Le second ouvrage d’Hérold fut la Clochette. Cette musique, composée avec une extrême précipitation, ne valait peut-être pas celle des Rosières ; cependant il y a déjà un grand progrès dans l’instrumentation. L’ouverture fut surtout remarquée, ainsi que le charmant air : Me voilà, qui est devenu populaire et un chœur de Kalenders, au troisième acte, d’une excellente facture.

Hérold donna ensuite le Premier venu, en trois actes. C’était une comédie fort gaie de M. Vial, mise en opéra. Le sujet étant trop connu, la pièce n’eut qu’un assez petit nombre de représentations. La musique méritait cependant un meilleur sort. Elle était infiniment supérieure à celle de la Clochette, quoique le sujet fût plus difficile à traiter musicalement. Les mélodies étaient beaucoup plus arrêtées et plus franches. Un trio surtout, celui des dormeurs au deuxième acte, sera toujours cité comme un excellent morceau de scène.

Puis vinrent les Troqueurs, petit acte d’une musique piquante, où l’on trouve deux ou trois airs très-spirituels, entre autres celui-ci : Rien ne me semble aussi joli qu’un mari ; et un trio en canon, dont la facture a été heureusement reproduite par l’auteur dans l’excellent trio du second acte du Pré aux Clercs.

L’Auteur mort et vivant est peut-être l’ouvrage le plus faible d’Hérold. Il n’y a rien de digne de son auteur dans cette partition, qui n’eut qu’un médiocre succès. Le Muletier, qu’Hérold donna ensuite, est, au contraire, un des meilleurs actes de musique qu’il y ait au théâtre. Tout est à citer, depuis l’ouverture, d’une instrumentation si nerveuse, où le thème du fandango est traité avec tant de talent, jusqu’au chœur final. Le morceau si original, où le battement du pouls est si habilement imité par les notes saccadées des cors, a été reproduit sur tous nos théâtres.

Le Muletier n’eut cependant qu’un succès très-contesté à son apparition ; ce n’est qu’après plus de vingt représentations que le public, qui s’était montré fort sévère pour tout ce qui touchait aux mœurs, pardonna aux gravelures de la pièce en faveur de la musique. Hérold ne put cependant parvenir à vendre sa partition ; il fut obligé de la faire graver à ses frais propres. Le Muletier compte maintenant plus de cent représentations.

L’acte de Lasthénie, joué à l’Académie royale de musique, fut beaucoup moins heureux. La révolution musicale n’avait pas encore eu lieu ; on était encore sous l’empire de l’urlo francese, et le compositeur était bien embarrassé pour faire chanter les virtuoses qu’il avait à sa disposition. Les mélodies de cet ouvrage sont généralement peu heureuses ; on y trouve cependant un joli duettino pour deux voix de femme, et un morceau en canon d’un bon effet.

Le Lapin blanc eut une chute complète à l’Opéra-Comique. Le sujet était celui de Tony, joué avec tant de succès depuis au théâtre des Variétés. L’ouverture de cet ouvrage a été employée pour Ludovic.

Hérold fit aussi, en société avec M. Auber, un opéra en deux actes, Vendôme en Espagne, représenté à l’Académie royale de musique, à l’occasion de la guerre d’Espagne ; le succès de cet ouvrage fut d’aussi courte durée que la réputation de grand capitaine du duc d’Angoulême qui l’avait inspiré ; il n’en est absolument rien resté.

Depuis longtemps Hérold n’avait donné que de petits actes au théâtre ; il devait prendre une revanche éclatante des légers échecs qu’il avait éprouvés ; il fit Marie.

Le succès ne fut pas aussi décisif qu’on pourrait le supposer en entendant cette délicieuse partition. L’Opéra-Comique était alors dirigé par un homme habile, qui comprit tout le mérite de cet ouvrage. Malgré la faiblesse des premières recettes, il fit rapidement succéder les représentations, et le public finit par venir apprécier cette musique qu’il avait d’abord presque dédaignée.

Hérold fit peu de temps après la musique d’un drame joué à l’Odéon, le Siège de Missolonghi, dont l’ouverture est restée, grâce à un délicieux motif qui est devenu populaire.

L’Illusion est un petit drame en un acte, où les événements, trop resserrés, ne laissent pas assez de développement à la musique : un finale parfaitement fait, et où il y a une charmante valse, est le morceau capital de cette partition.

Emmeline, en trois actes, n’eut point de succès ; malgré quelques jolis motifs, la musique ne plut point généralement.

Mais lorsque Hérold fit paraître Zampa, il fut aussitôt placé au rang des compositeurs. Il est peu d’ouvrages aussi estimés des connaisseurs que celui que nous citons : le finale est des plus remarquables comme musique et comme mise en scène. Zampa a eu un prodigieux succès en Allemagne, où on le regarde à juste titre comme le chef-d’œuvre de son auteur. En France, nous ne pensons pas de même, et le Pré aux Clercs obtient la préférence ; cela est tout naturel. Zampa, plus sévère, convient mieux à l’imagination un peu sombre des Allemands ; le Pré aux Clercs, où les mélodies sont plus franches, quoique peut-être moins distinguées, a plus d’attrait pour notre goût.

Je ne citerai que pour la mémoire la Médecine sans médecin, petit acte sans conséquence où la musique n’est qu’un très-mince accessoire.

Puis vint enfin le Pré aux Clercs, dont je crois pouvoir me dispenser de parler ; tout le monde le sait par cœur.

Il faut encore ajouter à la liste des ouvrages d’Hérold l’Auberge d’Auray, en société avec M. Caraffa, le finale du troisième acte de la Marquise de Brinvilliers, et la musique d’Astolphe et Joconde, de la Somnambule, de Lydie et de la Belle au Bois dormant, ballets. Dans ce genre de musique, Hérold n’avait pas de rival. Tous ceux qui feront de la musique de danse chercheront à la faire aussi bien que lui, aucun ne pourra la faire mieux. Joignez à cette nomenclature un grand nombre de pièces pour le piano, dont plusieurs ont eu un grand succès.

On a donné depuis la mort d’Hérold un opéra (Ludovic), où il avait esquissé quelques morceaux, parmi lesquels il faut citer la ronde : Je vends des scapulaires. Le reste de cette partition appartient en entier à M. Halévy, qui a fait preuve d’un grand talent dans cet ouvrage où il y a des morceaux de maître, entre autres, le quatuor du premier acte et le trio du deuxième.

Hérold était d’un caractère naturellement enjoué ; sur la fin de sa vie, il était cependant devenu un peu mélancolique : il rêvait un nouveau voyage en Italie, que la mort ne lui a pas permis d’effectuer. Quoique à l’époque où il donna ses premiers ouvrages, les partitions se vendissent fort peu, il avait vécu avec tant d’économie qu’à l’époque de son mariage, il y a huit ans environ, il était déjà possesseur d’une somme assez considérable. Ce fait est d’autant plus à remarquer que Hérold, ainsi que la plupart des compositeurs de notre époque, ne reçut jamais aucune faveur du gouvernement. Il avait été longtemps accompagnateur au théâtre italien, puis un des chefs du chant à l’Opéra. Il tenait singulièrement à cette place, et conçut un très-grand chagrin quand des mesures d’économie forcèrent l’administration à la lui retirer. Il fit les démarches les plus actives pour y rentrer, et quand il y réussit ce fut un véritable jour de fête pour lui.

Il avait l’habitude de composer en se promenant, et les Champs-Élysées lui ont souvent servi de cabinet de travail. Que de gens qui le connaissaient peu se sont formalisés de le voir passer près d’eux sans avoir l’air de les apercevoir, et continuer sa route en chantonnant ! Comme il était très-spirituel, il laissait quelquefois échapper des mots un peu piquants qui ont blessé bien des susceptibilités ; mais son caractère était excellent au fond. Il ne se livrait pas facilement ; mais quand quelqu’un était réellement son ami, il lui était entièrement dévoué. Il rendait justice à tous ses confrères, et ne connut jamais l’envie. Quoique M. Auber eût commencé beaucoup plus tard que lui et eût été beaucoup plus heureux au théâtre, il reconnaissait franchement que tous les succès de son rival étaient mérités, et qu’il y avait sans doute dans sa musique des qualités qui manquaient dans la sienne. Nous n’entreprendrons pas de faire un parallèle entre ces deux grands talents. Hérold a malheureusement terminé sa carrière, et M. Auber en parcourra encore une semée de succès. D’un seul mot on pourrait peut-être résumer la différence qui les caractérise : M. Auber a plus de franchise, Hérold avait plus d’originalité.

Hérold est mort le 19 janvier 1833, à quatre heures du matin, au même âge et de la même maladie que son père. Depuis quelque temps il se plaignait de maux de poitrine, et semblait prévoir sa fin. Il mit un zèle extraordinaire dans ses répétitions du Pré aux Clercs. Les musiciens seuls savent combien un tel métier est fatigant. Il était exténué quand vint la première représentation. Il fut redemandé à la fin de la pièce, et quand on annonça au public qu’il ne pouvait se rendre à ses désirs, étant trop malade, on prit cette nouvelle pour une excuse banale. Elle n’était, hélas ! que trop vraie.

Il rentra chez lui avec une fièvre ardente, causée sans aucun doute par l’extrême fatigue que lui avaient donnée ses répétitions, et l’émotion du plus grand, du seul très-grand succès qu’il eût obtenu depuis qu’il travaillait pour le théâtre. Le lendemain, il apprend qu’une maladie d’actrice arrête son ouvrage. Ce lui fut un coup mortel. L’Opéra offrit généreusement une de ses plus habiles cantatrices pour remplacer celle dont la maladie suspendait les représentations de la pièce. Il fallut qu’Hérold fit de nouveaux efforts pour aller montrer son rôle et faire de nouvelles répétitions. Cela l’acheva. Il se montra encore une ou deux fois au théâtre, faible et languissant, puis, aux derniers jours de décembre, il fut obligé de garder le lit qu’il ne quitta plus.

Hérold a laissé une jeune veuve et trois enfants, dont un garçon, et une malheureuse mère, dont toute l’existence avait été consacrée à ce fils auquel elle ne croyait pas devoir survivre. Vous la voyez souvent errer autour de l’Opéra-Comique, consultant les affiches, pour voir si l’on donne quelque ouvrage de son fils. Lorsqu’elle y aperçoit son nom chéri, elle se met à pleurer, et se retire douloureusement dans sa demeure solitaire pour revenir le lendemain pleurer de nouveau au même endroit. C’est là toute sa vie. Son bonheur, c’était Hérold ! sa seule consolation, c’est la gloire qu’il a laissée !