Aux champs
Alphonse Lemerre, éditeur (p. 153-157).

SOUS LA COTE

IDYLLE


Simple et rustique, elle est située, ma chaumière, comme une habitation de garde, à l’orée d’un joli bois de hêtres et devant elle s’étendent, fermant l’horizon, des champs, tout verts, coupés de haies hautes.

Octave Mirbeau (Lettres de ma chaumière.)

A Mademoiselle Bartet, de la Comédie Française.



C’est comme un nid fait dans les herbes.
Du seuil de la vieille maison,
À travers des arbres superbes,
On voit miroiter l’horizon.


Du logis, que le chaume couvre,
Sous la côte, à l’abri du vent,
Tous les matins la porte s’ouvre
En face du soleil levant.

Les premiers rayons qui paraissent
Disent bonjour à la maison,
Et, de leurs lèvres d’or, caressent
Les marguerites du gazon.

Petit herbage, étroit domaine,
Enclos béni du Dieu vivant,
La créature s’y promène
Sous la côte, à l’abri du vent.

Une source coule et murmure
Près de la haie, à fleur de sol ;
Un gros pommier, de sa ramure,
Fais à la source un parasol.

Cherchant sa pâture avant l’aube
Ht troublant le petit flot clair,
Un canard y lustre sa robe,
Le ventre à l’eau, le dos à l’air.

L’oiseau du pays perche et couve
A l’aise dans le gros pommier,
Ici l’hirondelle retrouve.
Son nid d’antan sous le larmier,

Des moucherons de toute espèce
Et des insectes familiers.
Qui dans l’air chaud et l’herbe épaisse
Viennent s’ébattre par milliers.

Dans le sein de cette chaumière
Et sous ces feuillages épais,
La Vie entre avec la Lumière,
Avec l’Ombre descend la Paix.

O destin que tout bas j’envie !
Doucement, au fond de ce nid,
Reposent, au soir de la vie,
Deux cœurs qu’un tendre amour unit.

L’homme et la femme ont le même âge,
Pas chancelants et blancs cheveux,
Mais ce serait vraiment dommage
Qu’ils ne fussent pas aussi vieux.

Ils portent le poids et le nombre
Des jours passés avec fierté :
Pas un de ces jours n’a mis d’ombre
Au ciel de leur fidélité.

Qu’ importe la date lointaine.
Les serments ne vieillissent pas.
Les vieux ont fait leur cinquantaine
Et, fidèles jusqu’au trépas,


Devant les petits de leur race,
En défiant le démenti,
Ont regardé l’autel en face
Comme gens qui n’ont point menti.

Puis, revenus dans leur demeure.
Sous la côte, à l’abri du vent,
Ils attendent la dernière heure
En face du soleil levant.

Et vers la Fortune qui passe
Ils regardent les gens courir
En sachant ce qu’il faut d’espace
Pour aimer, prier et mourir.