Solitude (Leconte de Lisle, Premières poésies)

Premières Poésies et Lettres intimes, Texte établi par Préface de B. Guinaudeau, Bibliothèque-Charpentier ; Eugène Fasquelle, éditeur (p. 137-138).



SOLITUDE


Silences de la nuit, temples de la pensée,
Immortelles clartés, lustres mystérieux,
Vous êtes beaux et doux à notre âme oppressée,
Quand ce reflet divin, le calme, prend les cieux.
Vous êtes beaux et doux, sommeil des monts sublimes,
Esprits, dont l’aile passe en nos rêves brûlants,
Aigles qui tournoyez au-dessus des abîmes
Et plongez tout à coup au sein des glaciers blancs.
Oh ! vous êtes si grands qu’à peine on peut vous croire.
Pourtant, tel est l’éclat de vos vastes splendeurs
Que l’âme, en son ivresse, unie à votre gloire,
Se surprend à rêver d’ineffables bonheurs !

Ô mon Dieu, se peut-il que l’homme vous renie !
Vous dont la main puissante a dispensé pour nous
Votre amour dans les cœurs, dans les cieux l’harmonie,
Sur la terre ces monts qui retournent à vous ?

Oh ! faites-moi mourir en cette heure si belle,
Où mon faible regard plonge en l’immensité,
Où votre œuvre terrestre et votre œuvre immortelle
Vous bénissent, Seigneur, par leur sublimité,
Oh ! faites-moi mourir ! Quelle qu’ait été ma vie,
Mon âme vous comprend, et je suis racheté !
Qu’elle monte vers vous, sans être poursuivie
De sa faiblesse ou bien de son iniquité !