Smyrne, martyr grec

SMYRNE. – « … Martyr grec. – Notre ville vient d’être le théâtre d’un événement déplorable produit par un atroce fanatisme.

» Un jeune Grec de Candie, nommé Matteo, autrefois esclave d’un boucher turc, embrassa la religion musulmane à l’âge de douze ans. Deux ans après il s’enfuit de chez son maître, se rendit à Constantinople, et de là en Russie, où il demeura plusieurs années. Dernièrement le désir de revoir sa patrie le fit revenir à Constantinople, où il s’embarqua sur un navire ionien qui faisait voile pour Smyrne, espérant trouver dans cette ville quelque occasion pour Candie. Pendant la traversée, un prêtre grec, son compagnon de voyage, l’entreprit sur le chapitre de la religion. Le malheureux jeune homme lui avoua que dans son enfance il avait abjuré la sienne, mais que depuis il était intérieurement revenu à la foi de ses pères, qu’il n’avait cessé de professer dans son cœur. Le papas, ne trouvant pas cette conversion tacite suffisante, fit au jeune homme un tableau épouvantable des peines de l’enfer, l’assura qu’il ne pourrait obtenir le pardon de Dieu qu’en faisant le sacrifice de sa vie au lieu même témoin de son apostasie ; enfin il lui causa un tel effroi, et lui exalta l’imagination au point qu’il le décida à tout faire pour mériter la palme du martyre.

» Arrivé à Smyrne, le jeune Matteo, après avoir pris plusieurs fortes doses de boissons enivrantes, alla immédiatement chez son ancien maître, et l’ayant trouvé dans sa boutique, il l’accabla d’injures et de menaces. Le Turc, croyant avoir affaire à un fou, écouta d’abord patiemment les propos les plus outrageans ; mais Matteo irrité encore davantage par ce sang-froid, se livra à de nouvelles provocations. Les voisins se réunirent alors devant la porte du boucher, la garde fut appelée et mit fin au désordre en arrêtant le perturbateur.

» Conduit d’abord devant le mollah, il continua à proférer les mêmes invectives et à outrager la religion mahométane. Le mollah le considérant comme un homme privé de son bon sens, en référa au pacha, devant lequel Matteo fut conduit. Le pacha, après avoir entendu toutes les imprécations qu’il vomissait contre lui et contre la religion du prophète, s’apercevant que son exaltation était en partie produite par l’ivresse, le fit mener en prison, et lui donna trois jours, non pas pour déclarer une seconde fois qu’il était mahométan, mais tout simplement pour réfléchir à sa position et apporter plus de modération dans ses discours. Au bout de ce terme, Matteo fut de nouveau traduit en présence du pacha, et son emportement ayant pris une nouvelle fureur qui s’exhalait en termes les plus outrageans, le pacha l’abandonna à son sort, et il fut décapité le 25.

» Le capitaine ionien qui l’avait amené avait cherché à le sauver en le faisant réclamer comme un de ses matelots ; S. Exc. Yussouf pacha accueillait avec empressement ce moyen de le délivrer ; mais les exhortations du prêtre grec avaient fait une impression trop profonde sur cette tête jeune et ignorante, et Matteo s’était refusé obstinément à tout moyen de conserver sa vie.

» Une foule immense de Grecs s’était portée sur le lieu de l’exécution, et se précipita, malgré les efforts de la garde pour la retenir, sur le cadavre de celui que le fanatisme et l’ignorance lui font considérer comme un saint martyr, pour dérober quelques gouttes de sang, ou quelques lambeaux de ses vêtemens dont le peuple grec fait des reliques.

» Smyrne, 28 mai 1830. »
C. …