Traduction par Auguste Malfroy.
Librairie Hachette et Cie (p. 340-344).


CONCLUSION


Il y avait une époque de l’année qu’on considérait, à Raveloe, comme particulièrement convenable pour un mariage. C’était lorsque les grands lilas et les grands ébéniers des jardins à l’ancienne mode, montraient leurs riches teintes d’or et de violet au-dessus des murs colorés par les lichens, et qu’il y avait des veaux encore assez jeunes pour réclamer des seaux remplis de lait odorant. Les gens n’étaient pas alors aussi occupés qu’ils devaient l’être plus tard, quand arriveraient la pleine fabrication du fromage et la fauchaison. En outre, c’était l’époque où une mariée pouvait être à son aise dans une robe légère, et paraître avec avantage.

Heureusement, le soleil dardait des rayons plus chauds que de coutume sur les touffes de lilas, le matin du mariage d’Eppie, car sa robe était très légère. Elle avait souvent pensé, bien que ce fût avec une idée de renoncement, qu’une robe de mariée, pour être parfaite, devait être en coton blanc, parsemé à de grands intervalles de fleurettes roses minuscules. Aussi, quand Mme Godfrey Cass s’offrit à lui en donner une, et la pria de la choisir, Eppie avait été préparée par une réflexion antérieure, à faire sans hésitation une réponse décisive.

Vue à quelque distance, comme elle marchait à travers le cimetière et descendait le village, Eppie semblait vêtue de blanc immaculé, et ses cheveux produisaient l’effet de cette teinte d’or qu’on voit sur un lis. L’une de ses mains s’appuyait au bras de son mari ; de l’autre, elle serrait celle de son père, Silas.

« Vous n’allez pas me donner, père ! » avait-elle dit avant le départ pour l’église ; « vous ne ferez que prendre Aaron pour fils. »

Dolly Winthrop venait après avec son mari, et c’était là tout le petit cortège nuptial.

Il y avait beaucoup d’yeux pour le regarder, et Mlle Priscilla Lammeter était bien aise qu’elle et son père se fussent trouvés arriver en voiture à la porte de la Maison Rouge, juste à temps pour voir ce joli spectacle. Ils étaient venus tenir compagnie à Nancy, ce jour-là, parce que M. Cass avait été obligé, pour des raisons particulières, de se rendre à Lytherly. Ceci semblait être bien dommage ; car, autrement, il aurait pu, comme M. Grackenthorp et M. Osgood ne manqueraient pas de le faire, aller voir le repas de noces qu’il avait commandé à l’auberge de l’Arc-en-Ciel, en raison du grand intérêt qu’il portait naturellement au tisserand, lésé par un membre de sa famille.

« J’aurais bien désiré que Nancy eût le bonheur de trouver une enfant pareille à celle-là pour l’élever, » dit Priscilla à son père, comme ils étaient assis dans le cabriolet ; « j’aurais pu songer alors à quelque chose de jeune, outre les agneaux et les veaux.

— Oui, ma chère, oui, dit M. Lammeter ; on sent cela lorsqu’on avance en âge. La vie semble sombre aux vieilles gens. Ils auraient besoin d’avoir quelques jeunes figures autour d’eux, pour être sûrs que le monde est le même qu’autrefois. »

Nancy sortit alors pour souhaiter la bienvenue à son père et à sa sœur ; mais le cortège nuptial avait déjà passé la Maison Rouge, et se dirigeait vers la partie la plus humble du village.

Dolly Winthrop fut la première à deviner que le vieux M. Macey, qu’on avait placé dans un fauteuil devant sa porte, s’attendrait lors de leur passage à quelques égards particuliers, puisqu’il était trop âgé pour assister au repas de noce.

« M. Macey espère un mot de notre part, dit Dolly ; il sera blessé si nous passons près de lui sans rien dire,… lui, si torturé par les rhumatismes. »

Ils s’approchèrent donc pour donner une poignée de main au vieillard. Il avait compté sur cette circonstance et il avait prémédité son discours :

« Eh bien, maitre Marner, dit-il, d’une voix qui tremblait beaucoup, j’ai vécu pour voir mes paroles se réaliser. C’est moi qui ai dit le premier que vous étiez inoffensif, bien que vos regards ne fussent point en votre faveur ; et c’est moi aussi qui vous ai dit le premier que vous retrouveriez votre argent ; et ce n’est que justice qu’il vous soit revenu. J’aurais volontiers répondu les Amen, au saint office du mariage ; mais il y a déjà longtemps que Tookey me remplace, j’espère que vous ne vous en trouverez pas plus mal. »

Dans la cour en plein air, devant l’auberge de l’Arc-en-ciel, le groupe des invités était déjà rassemblé, quoiqu’il y eût presque encore une heure avant le moment fixé pour le repas. Mais, de cette manière, chacun pouvait jouir de la lente arrivée de son plaisir. On avait aussi grandement le temps de parler de l’étrange histoire de Silas Marner, et d’arriver peu à peu à la juste conclusion qu’il s’était attiré une bénédiction, en se conduisant comme un père envers une enfant restée sans mère et abandonnée. Le maréchal lui-même ne repoussa point cette opinion ; au contraire, il la considéra particulièrement comme sienne, et invita toute personne courageuse parmi ceux qui étaient présents, à la combattre. Mais il ne trouva aucun contradicteur, et tous les différends de la compagnie disparurent dans l’acceptation unanime de l’avis de M. Snell, que lorsqu’un homme avait mérité sa bonne fortune, c’était le devoir de ses voisins de l’en féliciter.

Comme le cortège nuptial s’approchait, une acclamation cordiale s’éleva dans la cour de l’auberge ; et Ben Winthrop, dont les plaisanteries avaient conservé leur saveur agréable, trouva qu’il était convenable d’entrer pour recevoir des félicitations. Il ne se sentait pas le besoin des quelques moments de repos qu’on lui avait proposé de prendre aux Carrières, avant de se joindre aux invités.

Eppie avait maintenant un jardin plus grand qu’elle ne l’avait jamais espéré ; et, sous d’autres rapports, des changements avaient été opérés aux frais de M. Cass, leur propriétaire, pour répondre aux besoins de la famille de Silas, devenue plus grande. Car lui et Eppie avaient déclaré qu’ils aimaient mieux rester aux Carrières, que d’aller habiter aucune autre demeure. Le jardin avait été clos de pierres des deux côtés ; mais, sur le devant, il y avait une claire-voie à travers laquelle les fleurs brillaient d’allégresse, pour répondre au bonheur des quatre personnes unies qui s’avançaient en face d’elles.

« Mon père, dit Eppie, quelle jolie demeure nous avons ! Je ne crois pas qu’on puisse être plus heureux que nous. »


fin




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Coulommiers. — Imp. Paul BRODARD. — 41-96