Sermons sur le propre du temps

Œuvres complètes de Saint Augustin
Texte établi par Raulx, L. Guérin & Cie (p. 251-337).

– DEUXIÈME SECTION.— SERMONS SUR LE PROPRE DU TEMPS.[1] modifier

CINQUIÈME SERMON : L’ANNONCIATION. modifier

ANALYSE. —1. L’ange Gabriel salue la sainte Vierge. —2. Hésitation et réponse de Marie. —3. Marie restera vierge dans l’enfantement. —4. Assentiment de Marie. —5. Génération inénarrable du Christ. —6. Marie devenue mère de Dieu par la virginité et l’humilité. —7. Jésus-Christ prodigue ses dons à ceux qui sont humbles et doux.


1. Le Verbe éternel se faisant homme, et daignant habiter parmi les hommes, tel est le grand mystère que célèbre aujourd’hui l’Église universelle, et dont elle salue chaque année le retour par des transports de joie. Après l’avoir une première fois reçu pour sa propre rédemption, le monde fidèle en a consacré le souvenir de génération en génération, afin de perpétuer l’heureuse substitution de la vie nouvelle à la vie ancienne. Maintenant donc, lorsque le miracle depuis longtemps accompli nous est remis annuellement sous les yeux dans le texte des divines Écritures, notre dévotion s’enflamme et s’exhale en chants de triomphe et de joie. Le saint Évangile que nous lisions nous rappelait que l’archange Gabriel a été envoyé du ciel par le Seigneur pour annoncer à Marie qu’elle serait la mère du Sauveur. L’humble Vierge priait, silencieuse et cachée aux regards des mortels ; l’ange lui parla en ces termes : « Je vous salue, Marie », dit-il, « je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous[2] ». O annonciation miraculeuse ! ô salutation céleste, apportant la plénitude de la grâce et illuminant ce cœur virginal ! L’Ange était descendu porté sur ses ailes de feu et inondant de clartés divines la demeure et l’esprit de Marie. Député par le Juge suprême et chargé de préparer à son Maître une demeure digne de lui, l’ange, éblouissant d’une douce clarté, pénètre dans ce sanctuaire de la virginité, rigoureusement fermé aux regards de la terre : « Je vous salue, Marie », dit-il, « je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous » ; Celui qui vous a créée vous a prédestinée ; Celui que vous devez enfanter vous a remplie de ses dons.
2. A l’aspect de l’ange, la Vierge se trouble et se demande quelle peut être cette bénédiction. Dans son silence humble et modeste, elle se rappelle le vœu qu’elle a formé, et, jusque-là, tout à fait étrangère au langage d’un homme, elle se trouble devant un tel salut, elle est saisie de stupeur devant un tel langage, et n’ose d’abord répondre au céleste envoyé. plongée dans l’étonnement, elle se demandait à elle-même d’où pouvait lui venir une telle bénédiction. Longtemps elle roula ces pensées dans son esprit, oubliant presque la présence de l’ange que lui rappelaient à peine quelques regards fugitifs attirés par l’éclat de l’envoyé céleste. Elle hésitait donc et s’obstinait dans son silence ; mais l’ambassadeur de la sainte Trinité, le messager des secrets célestes, le glorieux archange Gabriel, la contemplant de nouveau, lui dit : « Ne craignez pas, Marie, car vous avez trouvé grâce devant Dieu ; voici que vous concevrez et enfanterez un fils, et vous le nommerez Jésus. Il sera grand et sera appelé le « Fils du Très-Haut, et le Seigneur-Dieu lui donnera le siège de David son père ; il régnera éternellement sur la maison de Jacob, a et son règne n’aura pas de fin[3] ». Alors Marie, pesant sérieusement ces paroles de l’ange et les rapprochant de son vœu de virginité perpétuelle, s’écria : « Comment ce que vous me dites pourra-t-il se réaliser, puisque je ne connais point d’homme ? » Aurai-je un fils, moi qui ne connais point d’homme ? Porterai-je un fruit, moi qui repousse l’enfantement ? Comment pourrai-je engendrer ce que je n’ai point conçu ? De mon sein aride, comment pourrai-je allaiter un fils, puisque jamais l’amour humain n’est entré dans mon cœur et n’a pu me toucher.
3. L’ange répliqua : Il n’en est point ainsi, Marie, il n’en est point ainsi ; ne craignez rien ; que l’intégrité de votre vertu ne vous cause aucune alarme ; vous resterez vierge et vous vous réjouirez d’être mère ; vous ne connaîtrez point le mariage, et un fils fera votre joie ; vous n’aurez aucun contact avec un homme mortel, et vous deviendrez l’épouse du Très-Haut, puisque vous mettrez au monde le Fils de Dieu. Joseph, cet homme chaste et juste, qui est pour vous, non point un mari mais un protecteur, ne vous portera aucune atteinte ; mais « l’Esprit-Saint surviendra en vous », et, sans qu’il s’agisse ici d’un époux et d’affections charnelles, « la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre : voilà pourquoi le Saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu ». O séjour digne de Dieu ! Avant que l’ange ne lui eût fait connaître clairement le Fils qui lui était promis au nom du ciel, Marie ne laissa échapper de ses lèvres pudiques aucune parole d’assentiment.
4. Mais dès qu’elle sut que sa virginité ne subirait aucune atteinte, dès qu’elle en reçut l’attestation solennelle, faisant de son cœur un sanctuaire digne de la Divinité, elle répondit : « Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre parole ». Comme si elle eût dit : « Mon cœur est prêt, ô Dieu, mon cœur est prêt », puisque mon sein doit rester intact. « Qu’il me soit fait selon votre parole », ô glorieux archange Gabriel ; qu’il vienne dans sa demeure, « Celui qui a placé sa tente dans le soleil[4] ». Puisque je dois demeurer vierge, « que le Soleil de justice se lève en moi[5] sous ses rayons je conserverai ma blancheur, et la fleur de mon intégrité s’épanouira dans une chasteté perpétuelle. « Que le juste sorte dans toute sa splendeur[6] », et que le Sauveur brille « comme un flambeau[7] ». Le flambeau du soleil illumine l’univers ; il pénètre ce qui semble vouloir lui faire obstacle, et il n’en jette pas moins ses flots de lumière. Qu’il apparaisse donc aux yeux des hommes « le plus beau des enfants des hommes » ; « qu’il s’avance comme un époux sort du lit nuptial[8] » ; car maintenant je suis assurée de persévérer dans mon dessein.
5. Quelle parole humaine pourrait raconter cette génération ? Quelle éloquence serait suffisante pour l’expliquer ? Les droits de la virginité et de la nature sont conservés intacts, et un fils se forme dans les entrailles d’une vierge. Lorsque les temps furent accomplis, le ciel et la terre purent contempler cet enfantement sacré auquel toute paternité humaine était restée complètement étrangère. Telle est cette ineffable union nuptiale du Verbe et de la chair, de Dieu et de l’homme. C’est ainsi qu’entre Dieu et l’homme a été formé « le Médiateur de Dieu et des hommes, l’homme Christ Jésus[9] ». Ce lit nuptial divinement choisi, c’est le sein d’une Vierge. Car le Créateur du monde venant dans le monde, sans aucune coopération du monde, et pour racheter le monde de toutes les iniquités qui le souillaient, devait sortir du sein le plus pur et entourer sa naissance d’un miracle plus grand que le miracle même de la création. Car, comme le dit lui-même le Fils de Dieu et de l’homme, le Fils de l’homme est venu « non point pour juger le monde, mais pour le sauver[10] ».
6. O vous, Mère du Saint des Saints, qui avez semé dans le sein de l’Église le parfum de la fleur maternelle et la blancheur du lis des vallées, en dehors de toutes les lois de la génération et de toute intervention purement humaine ; dites-moi, je vous prie, ô Mère unique, de quelle manière, par quel moyen la Divinité a formé dans votre sein ce Fils dont Dieu seul est le Père. Au nom de ce Dieu qui vous a faite digne de lui donner naissance à votre tour, dites-moi, qu’avez-vous fait de bien ? Quelle grande récompense avez-vous obtenue ? sur quelles puissances vous êtes-vous appuyée ? quels protecteurs sont intervenus ? à quels suffrages avez-vous eu recours ? Quel sentiment ou quelle pensée vous a mérité de parvenir à tant de grandeur ? La vertu et la sagesse du Père « qui atteint d’une extrémité à l’autre avec force et qui dispose toutes choses avec suavité[11] », le Verbe demeurant tout entier partout, et venant dans votre sein sans y subir aucun changement, a regardé votre chasteté dont il s’est fait un pavillon, dans lequel il est entré sans y porter atteinte et d’où il est sorti en y mettant le sceau de la perfection. Dites-moi donc comment vous êtes parvenue à cet heureux état ? Et Marie de répondre : Vous me demandez quel présent m’a mérité de devenir la mère de mon Créateur ? J’ai offert ma virginité, et cette offrande n’était pas de moi, mais de l’Auteur de tout bien ; « car tout don « excellent et parfait nous vient du Père des « lumières[12]) ». Toute mon ambition, c’est mon humilité ; voilà pourquoi « mon âme grandit le Seigneur, et mon esprit a tressailli en Dieu mon Sauveur[13] » ; car il a regardé, non pas ma tunique garnie de nœuds d’or, non pas ma chevelure pompeusement ornée et jetant l’éclat de l’or, non pas les pierres précieuses, les perles et les diamants suspendus à mes oreilles, non pas la beauté de mon visage trompeusement fardé ; mais « il a regardé l’humilité de sa servante ».
7. Le Verbe est venu plein de douceur à son humble servante, selon l’oracle du Prophète : « Gardez-vous de craindre, fille de Sion. Voici venir à vous votre Roi plein de douceur et de bonté, assis sur un léger nuage[14] ». Quel est ce léger nuage ? C’est la Vierge Marie dont il s’est fait une Mère sans égale. Il est donc venu plein de douceur, reposant sur l’esprit maternel, humble, « calme et craignant ses paroles[15] ». Il est venu plein de douceur, remplissant les cieux, s’abaissant parmi les humbles pour arriver aux superbes, ne quittant pas les cieux et présentant ses propres humiliations pour guérir avec une mansuétude toute divine ceux qu’oppressent les gonflements de l’orgueil. O profonde humilité ! « O grandeur infinie des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ; que les « jugements de Dieu sont incompréhensibles et ses voies impénétrables[16] ». Le pain des Anges est allaité par les mamelles d’une mère ; la source d’eau vive jaillissant jusqu’à la vie éternelle demande à boire à la Samaritaine, figure de l’Église ; il ne refuse pas de manger avec les publicains et les pécheurs, lui que les Anges au ciel servent dans la crainte et la terreur. Le Roi des rois a rendu à la santé le fils de l’officier, sans employer aucun remède et par la seule efficacité de sa parole. Il guérit le serviteur du centurion et loue la foi de ce dernier, parce qu’il a cru que le Seigneur commande à la maladie et à la mort comme lui-même commandait à ses soldats. Quelque cruelles que fussent les souffrances de la paralysie, il en trouva la guérison infaillible dans la visite miséricordieuse de Jésus-Christ. Une femme affligée depuis de longues années d’une perte de sang qui faisait de ses membres une source de corruption, s’approche avec foi du Sauveur qui sent aussitôt une vertu s’échapper de lui et opérer une guérison parfaite. Mais comment rappeler tant de prodiges ? Le temps nous manque pour énumérer tous ces miracles inspirés à notre Dieu par sa puissance infinie et sa bonté sans limite. Abaissant sa grandeur devant notre petitesse et son humilité devant notre orgueil, il est descendu plein de piété, et, nouveau venu dans le monde, il a semé dans le monde des prodiges nouveaux. C’est lui que les évangélistes nous dépeignent sous différentes figures : l’homme, le lion, le bœuf et l’aigle. Homme, il est né d’une Vierge sans le concours de l’homme ; lion, il s’est précipité courageusement sur la mort et s’est élevé sur la croix par sa propre vertu ; bœuf, il a été volontairement immolé dans sa passion pour les péchés du peuple ; et comme un aigle hardi, il a repris son corps, est sorti du tombeau, a fait de l’air le marchepied de sa gloire, « est monté au-dessus des chérubins, prenant son vol sur les ailes des vents », et maintenant il siège au ciel, et c’est à lui qu’appartient l’honneur et la gloire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

SIXIÈME SERMON. L’INCARNATION. modifier

ANALYSE. —1. Prophétie d’Isaïe. —2. Jésus-Christ de la famille de David. —3. Naissance immaculée de Jésus-Christ — 4. Jésus-Christ Fils de Dieu. —5. Réfutation des hérétiques qui nient la divinité de Jésus-Christ. —6. Même sujet.


1. Mes frères, que votre charité écoute en quels termes le prophète Isaïe a annoncé Notre-Seigneur Jésus-Christ. « Voici », dit-il, « qu’une vierge concevra dans son sein et enfantera un Fils[17] » ; « et vous l’appellerez Jésus, car il sauvera lui-même son peuple de leurs péchés[18] ».
2. « Joseph, fils de David[19] ». Vous voyez, mes frères, la race tout entière désignée dans une seule personne ; vous voyez dans un seul nom toute une généalogie. Vous voyez dans Joseph la famille de David. « Joseph, fils de David » ; Joseph était sorti de la vingt-huitième génération, et il est appelé fils de David, pour mieux nous découvrir le mystère de sa naissance, et nous prouver l’accomplissement de la promesse ; ne s’agit-il pas d’une conception surnaturelle et d’un enfantement céleste dans une chair restée parfaitement vierge ? « Joseph, fils de David » ; voici en quels termes David avait reçu la promesse de Dieu le Père : « Le Seigneur a juré la vérité à David, et il ne le trompera pas : je placerai sur mon trône le fruit de tes entrailles[20] ». David chante ainsi ce grand événement : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite[21] ». « Le fruit de vos entrailles » ; c’est bien le fruit de ses entrailles, le fruit de son sein ; car le divin Hôte, le Dieu du ciel, en venant faire séjour dans son sein, n’a pas connu les barrières du corps ; il est sorti du sein de Marie sans ouvrir la porte virginale. Et c’est ainsi que s’est accomplie cette parole du Cantique des Cantiques:« Mon Épouse, jardin fermé, source scellée[22] ».
3. « Joseph, fils de David, gardez-vous de craindre ». L’époux est prévenu de ne pas craindre au sujet de son épouse, car tout esprit vraiment pieux s’effraie d’autant plus qu’il compatit davantage. « Joseph, fils de David, gardez-vous de craindre » ; vous qui êtes assuré de votre conscience, ne succombez pas sous le poids des pensées que provoque ce mystère. « Fils de David, gardez-vous de craindre ». Ce que vous voyez est une vertu, et non pas un crime ; ce n’est point une chute humaine, mais un abaissement divin ; c’est une récompense, et non pas une culpabilité. C’est un accroissement du ciel, et non pas un détriment du corps. Ce n’est point la perte d’une personne, mais le secret du Juge. Ce n’est point le châtiment d’une faute, mais la palme de la victoire. Ce n’est point la honte de l’homme, mais le trésor de Jésus-Christ. Ce n’est point la cause de la mort, mais de la vie. Voilà pourquoi : « Gardez-vous de craindre », car celle qui porte un tel Fils ne mérite point la mort. « Joseph, fils de David, ne craignez pas de recevoir Marie pour votre épouse ». La loi divine elle-même donne à la compagne de l’homme le titre d’épouse. De même donc que Marie est devenue mère sans éprouver aucune atteinte à sa virginité, de même elle porte le nom d’épouse en conservant sa pudeur virginale.
4. « Joseph, fils de David, ne craignez pas de recevoir Marie pour votre épouse ; car l’enfant qui naîtra d’elle est le fruit du Saint-Esprit ». Qu’ils viennent et entendent, ceux qui demandent quel est cet enfant qui est né de Marie : « Ce qui est né en elle vient du Saint-Esprit ». Qu’ils viennent et entendent, ceux qui, profitant de l’obscurité du grec pour troubler la pureté latine, ont multiplié les blasphèmes dans le but de faire disparaître ces expressions : Mère de l’homme, Mère du Christ, Mère de Dieu. « Ce qui est né en elle vient du Saint-Esprit ». Et ce qui est né du Saint-Esprit est esprit, parce que « Dieu est esprit ». Pourquoi donc demander ce qui est né du Saint-Esprit ? Il est Dieu, et parce qu’il est Dieu il nous répond avec saint Jean : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ; et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire[23] ». Jean a vu sa gloire ; vous, infidèle, mesurez l’injure : « Ce qui est né en elle vient du Saint-Esprit. Et nous avons vu sa gloire ». De qui ? « De Celui qui est né du Saint-Esprit » ; du « Verbe qui s’est fait chair et qui a habité parmi nous. Ce qui est né en elle vient du Saint-Esprit ». Une Vierge a conçu, mais par l’action du Saint-Esprit ; une Vierge a enfanté, mais enfanté Celui que prophétisait Isaïe en ces termes : « Voici qu’une Vierge concevra et enfantera un fils, et il sera appelé Emmanuel, c’est-à-dire Dieu avec nous ». Il sera homme avec eux, mais : « Maudit soit l’homme qui place son espérance dans l’homme[24] ».
5. Qu’ils écoutent, ceux qui demandent quel est celui qui est né de Marie. « Elle enfantera un fils », dit l’Ange, « et ils l’appelleront Jésus ». Pourquoi Jésus ? L’Apôtre répond : « Afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur la terre et dans les enfers[25] ». Et vous, disciple trompeur, vous demandez ce qu’est Jésus ? « Que toute langue confesse que le Seigneur Jésus est dans la gloire de Dieu son Père[26] », et vous osez encore demander hautement ce qu’est Jésus !
6. Écoutez de nouveau ce qu’est Jésus « Elle enfantera un fils, et il sera appelé Jésus. Car il sauvera son peuple de leurs péchés ». Ce n’est pas le peuple d’un autre qu’il doit sauver. De quoi le sauvera-t-il ? de leurs péchés. Que Dieu seul puisse remettre les péchés ; si vous n’en croyez pas les chrétiens, croyez du moins à la parole des Juifs : « Vous n’êtes qu’un homme, et vous vous faites Dieu[27] ». « Personne ne peut remettre les péchés, si ce n’est Dieu seul[28] ». Les Juifs refusaient de croire à la divinité de Jésus, puisqu’ils ne lui croyaient pas le pouvoir de remettre les péchés ; vous, au contraire, vous croyez qu’il remet les péchés et vous hésitez à le proclamer Dieu. « Le Verbe s’est fait chair », afin que l’homme-chair pût s’élever jusqu’à la gloire de Dieu, et non pas afin que Dieu fût changé en chair, selon cette parole de l’Apôtre : « Celui qui s’unit à Dieu est un seul esprit avec lui[29] » ; de même, quand Dieu s’unit à l’homme, il est un seul Dieu. Les lois humaines établissent la prescription de trente ans pour éteindre tous les procès ; et voilà déjà près de cinq cents ans que Jésus-Christ soutient la cause de sa naissance. Son origine lui est disputée, sa nature est sans cesse remise en question. Hérétiques, cessez de juger notre Juge, et adorez dans le ciel notre. Dieu que le Mage a proclamé Dieu sur la terre. C’est à lui qu’appartiennent l’honneur et la gloire, la louange et l’empire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il

SEPTIÈME SERMON. LA NAISSANCE DE JÉSUS-CHRIST. (PREMIER SERMON.) modifier

ANALYSE. —1. Difficulté de parler sur un tel sujet. —2. Heureuse difficulté qui nous élève jusqu’à l’unité et la Trinité divine. —3. La Divinité une et trine. —4. La Trinité comparée à l’or. — 5. Un seul Dieu et non pas trois dieux. —6. Jésus-Christ, fils de Marie, pasteur et brebis. —7. La naissance de Jésus-Christ annoncée aux bergers. —8. L’incarnation appuyée sur des témoignages irrécusables. —9. Dieu a voulu naître, afin de pouvoir mourir et de nous sauver de l’enfer par sa mort. —10. Perpétuelle virginité de Marie. —11. Le sein de Marie en quelque sorte digne de Dieu. —12. Marie a conçu dans la virginité, et elle a enfanté par la vertu du Dieu tout-puissant. —13. Dieu n’a pu être souillé dans le sein de Marie. —14. Exemple d’Élie et des corbeaux. —15. Exemple tiré du soleil. —16. Pureté du sein de Marie. —17. Le lieu dans lequel Dieu apparut à Moïse a été par cela même sanctifié, combien plus le sein de Marie. —18. Le Fils de Dieu entre dans le sein de Marie comme dans une fournaise ardente. —19. Celui qui a fait germer la verge d’Aaron a pu naître d’une vierge. —20. Récit de ce fait. —21. Application à la maternité de Marie. —22. Comment l’incarnation a été immaculée. —23. Le fruit de la verge. —24. Paroles d’Isaïe : « Une Verge sortira de la souche de Jessé ». —25. Témoignages d’Ézéchiel, d’Isaïe et de David. —26. Celui qui a soustrait une côte au premier homme pour en former la première femme en dehors de toute concupiscence, a pu naître d’une vierge. —27. Les chrétiens doivent se réjouir de cette nativité miraculeuse.

1. Comment ne rougirais-je pas de parler, quand le saint dont on vient de lire le témoignage trouve plus à propos de se renfermer dans son silence ? Toutefois la honte ne saurait nous arrêter, car la foule pieuse ici réunie, les élans de sa dévotion, l’éclat que projette en ce jour la vérité et la foi, les honneurs avec lesquels vous célébrez la fête de la naissance du Seigneur, tout cela ne condamnerait-il pas une torpeur exagérée ? Notre devoir nous jette dans l’embarras ; la charité me presse de vous être agréable, la solennité me commande de porter la parole, votre sainteté provoque ma présence dans cette chaire.

2. Le devoir, ai-je dit, me jette dans l’embarras, et voyez ce que dit le Seigneur : « Si quelqu’un vous oblige à l’accompagner pendant mille pas, faites-en encore deux autres mille avec lui[30] ». J’obéis ; je ne puis résister à la parole du Seigneur, je m’incline devant ce jugement ; on me conduit à un mille, j’en offre trois. La Trinité sera l’objet de ma course. Dieu m’appelle à l’unité, je l’accompagne jusqu’à la Trinité. Une même intention dirige le maître et l’esclave, car il est nécessaire que celui qui me commande marche avec moi. « Si quelqu’un vous entraîne à mille pas, faites-en deux mille avec lui ». O bienheureuse contrainte, qui, loin de me faire injure, me conduit à la gloire ! Un et deux ; trois en un. Quatre chemins nous conduisent à la patrie, parce que les quatre Évangiles nous initient aux mystères de la Trinité. D’un nous allons à trois, et en courant les trois nous revenons à un. Mais nous ne finissons pas dans l’unité qui est trois. Dans cette voie que nous parcourons, je vois couler trois sources. À ces mots l’hérétique relève la tête ; on dirait qu’il a entendu ce qu’il désire, qu’il entende donc aussi ce qu’il ne veut pas. Je dis donc que je vois couler trois sources, mais il n’y a qu’un seul récipient qui se verse dans ses trois déversoirs, parce que la Trinité reflue dans l’unité ; voilà pourquoi, en buvant à une source, nous buvons aux trois. Toutefois que personne ne se contente d’une seule et qu’il use de toutes les trois afin qu’il aspire d’une manière plus parfaite le goût de l’unité.

3. Nous connaissons cette belle parole du Sauveur : « Allez, enseignez toutes les nations, et les baptisez au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit[31] ». Quel est donc le nom du Père ? Dieu. Quel est le nom du Fils ? Dieu. Quel est le nom du Saint-Esprit ? Dieu. Dieu un, car il n’a pas été dit aux noms, mais : « au nom », pour exclure la pluralité de nature. Un seul Dieu, Père et Fils et Saint-Esprit, selon ce témoignage de l’Apôtre : « Car le Seigneur notre Dieu est un seul Dieu. Il n’y a de médiateur qu’entre plusieurs personnes, mais Dieu est unique[32] ». Ce qui est individuel dans l’unité de nom, n’est l’objet d’aucune distinction dans l’égalité de la nature. Le Fils est engendré du Père ; le Saint-Esprit procède du Père ; le Fils et le Saint-Esprit sont dans le Père ; le Saint-Esprit et le Père sont dans le Fils ; il n’y a qu’une seule et même divinité, le Père et le Fils et le Saint-Esprit. Il n’y a aucune division dans l’unité, ni de distinction de nature dans la Trinité ; une personne n’est ni inférieure ni supérieure à l’autre ; la plénitude de la divinité dans toute sa perfection, son unité et son intégrité, appartient à chacune des trois personnes. Voilà que nous parcourons les trois mille, au-delà nous ne trouvons plus rien.

4. Toutefois, ne craignons pas de recourir à des comparaisons pour jeter plus de lumière sur notre foi, malgré la distance infinie qui sépare la créature du créateur. S’il répugnait à quelqu’un d’entendre parler de pluralité quand il s’agit de la divinité, je citerais l’or qui n’admet pas de pluralité dans le nom et qui cependant se divise en différentes espèces,

du moins quant aux objets qui en sont formés ; ainsi l’on dit : un anneau d’or, un collier d’or, un bracelet d’or, et autres choses semblables formées de la même masse d’or. Et cependant la différence des noms ne change pas la nature de l’or, quels que soient les objets qui en sont formés. Un anneau, c’est de l’or ; un collier, c’est de l’or ; un bracelet, c’est de l’or. Prenez trois morceaux d’or ; tous sont de l’or, celui-ci est de l’or, chacun est de l’or, tout est de l’or ; abstenez-vous de toute pluralité, si vous le pouvez. L’or, sous quelque nom qu’on le désigne, est toujours de l’or ; quant aux objets qu’il forme, il reçoit différentes dénominations ; mais dans son genre il est toujours le même. Dans la Trinité, de quelque personne qu’il s’agisse, elle est Dieu. Vous nommez le Père, il est Dieu ; vous nommez le Fils, il est Dieu ; vous nommez le Saint-Esprit, il est Dieu. Il n’y a qu’un seul Dieu. La Divinité n’admet donc pas de nombre, parce que la Trinité n’admet aucune distinction quant à la nature. Comme elle n’admet pas de nombre, elle ne saurait non plus admettre d’accroissement.
5. Mais, dites-vous, ne peut-on pas dire les dieux, s’il y a trois personnes dans l’unité de nature ? Gardez-vous bien de vous arrêter à de telles apparences. Dès l’origine du monde, le démon s’est trahi sur ce point ; car, en voulant tromper les hommes il a osé pluraliser les dieux en disant : « Vous serez comme des dieux », au lieu de dire : Vous serez comme Dieu. Il préparait ainsi la voie aux idoles, lui qui avait été rejeté par l’unité divine. Enfin, soit qu’il ait tenu ce langage du Père et du Fils et du Saint-Esprit, ou bien des hommes eux-mêmes, sous prétexte qu’ils deviendraient des dieux, il a menti de toute manière, il est devenu le père du mensonge. Si nous admettons des dieux, quelle différence établir entre le chrétien et le gentil, lequel croit à la pluralité des dieux, s’en forge de grands et de petits et s’éloigne ainsi, par vanité et par erreur, du Dieu unique et véritable ? Si le chrétien embrasse une telle doctrine, en quoi le païen peut-il être condamné ? Qu’il affirme, qu’il soutienne deux ou trois dieux, celui qui, méprisant l’autorité de la règle de foi, n’admet pas l’unité de nature dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et divise la Trinité essentiellement inséparable dans son unité. En séparant ainsi la Trinité, il s’efforce de tuer la vérité ; de même, en admettant de l’inégalité parmi les personnes, il introduit nécessairement la division dans la divinité elle-même ; que cette inégalité soit basée sur la durée ou sur le mérite, peu importe ; car la nature cesse d’être égale et par conséquent d’être une. Pour nous, chrétiens, comme nous l’avons dit, il n’y a qu’un seul Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. L’égalité n’admet pas de degrés, l’unité rejette la diversité, et la divinité ne dégénère ni par le nom, ni par la nature.
6. Mais en me laissant entraîner par la grandeur du sujet, voici que je touche à des hauteurs redoutables. La fête de ce jour nous ramène à d’autres idées. Passons donc sous silence ce qu’il y a de mystérieux dans les sacrements, et traitons de ce qui regarde l’incarnation elle-même. En effet, mes frères, en ce jour les anges ont tressailli, les cieux ont frémi, les éléments du monde ont rebondi, et dans les limbes les victimes de la mort ont été saisies de joie à la pensée de leur délivrance. Qu’en ce jour aussi la joie rayonne sur le front du peuple chrétien ; car vient de naître dans la chair le Sauveur du monde, et le crime du premier homme a été effacé. Le Seigneur est né dans une chair véritable, et la nature a été vaincue dans cette naissance, parce qu’une vierge a conçu et enfanté sans porter aucune atteinte à sa virginité et parce qu’elle est devenue véritablement mère, tout en restant vierge. Le Seigneur est né en ce jour, le monde a été racheté et le démon a été vaincu. Contemplez ce prodige. L’agneau vient de naître, et le loup a été mis en fuite. L’agneau vient de naître, et il a été annoncé aux bergers tout à la fois comme bon pasteur et comme agneau ; comme pasteur, pour garder et pour nourrir le troupeau ; comme agneau, pour servir de victime. Désigné comme agneau, il nous est aussi présenté comme bélier et comme brebis. Il était ce bélier retenu par les cornes dans les épines, lorsque le bienheureux Isaac se préparait à sa propre immolation. Isaac fut arraché à la mort, mais Jésus fut attaché à la croix. Isaac, chargé de liens, fut étendu sur le bois du sacrifice ; Jésus-Christ percé de clous, fut suspendu à la croix, après avoir porté une couronne d’épines, lui qui avait eu une couronne tissée de pierres précieuses, couronne d’autant plus belle qu’elle avait été formée par son Père. Un bélier porte sur son front toute sa force ; toute notre force nous vient de la croix, dont le signe a été gravé sur notre front. Ce que la Judée faisait en figure en teignant de sang la porte de ses maisons, l’Église le fait sur notre front, nous apprenant ainsi que l’agneau innocent a été immolé pour nous. Bélier par la fermeté, agneau par l’innocence. Sans doute on remarque dans ces animaux la diversité des sexes ; toutefois leur communauté d’origine établit entre eux une sorte d’égalité.
7. Un Dieu nous est né aujourd’hui dans la chair, et les anges ont annoncé : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté[33] ». Gloire est rendue à Dieu par le triomphe, et aux hommes qui depuis longtemps étaient séparés de Dieu, le sacrement de la paix a été rendu, et le démon a subi une défaite éternelle. Écoutons l’Évangile : « Il y avait aux alentours des bergers qui passaient la nuit à la garde de leurs troupeaux. Un ange du Seigneur leur apparut, une lumière divine les environna et les bergers furent saisis de beaucoup de crainte. L’ange leur dit : Ne craignez point ; car voici que je vous annonce une grande joie pour vous et pour toute la terre ; c’est qu’il vous est né aujourd’hui un Sauveur, qui est le Christ Seigneur, dans la ville de David. Et voici le signe auquel vous le reconnaîtrez : vous trouverez un enfant enveloppé de : langes et placé dans une crèche[34] ». Allez, pasteurs, allez à l’étable ; courez promptement à la crèche ; là vous trouverez l’agneau né aujourd’hui, notre joie, couvert, à cause de nos péchés, de langes très-pauvres ; il a voulu s’immoler, non point pour le salut d’un seul peuple, mais pour celui de toutes les nations. Enfant dans l’étable, il a été, jeune encore, suspendu à la croix.
8. La naissance du Sauveur, tel est, selon l’Apôtre, « le sacrement qui a été manifesté dans la chair, justifié dans le Saint-Esprit, connu par les anges, prêché aux gentils, cru dans ce monde, transformé en gloire[35] » ; les patriarches l’ont reçu, les Prophètes l’ont attesté, les auges l’ont fondé, les Apôtres l’ont confirmé, les martyrs l’ont confessé dans leurs souffrances, la vérité l’a enseigné par les faits, notre foi l’a prouvé, la vertu l’a accompli, et il est passé jusqu’à nous par la grâce du divin sacrement. Nous avons de cette foi des témoins sûrs et des docteurs éclairés, les Apôtres. La majesté divine ne pouvait se voir en elle-même, mais elle nous est apparue dans l’humilité de la chair ; et ce qui était caché aux sages dans la puissance céleste, a été révélé aux petits dans l’infirmité corporelle ; et afin que la faiblesse fût relevée, la sublimité céleste s’est humiliée. La divinité s’est humiliée de manière que sans rien perdre de sa nature, elle communiquait de sa force à la faiblesse en se mettant en contact avec elle.
9. Il a été fait comme l’Évangéliste l’a attesté : la force a brillé par la faiblesse. Dieu, en revêtant la nature humaine dans le sein d’une vierge, n’a rien voulu devoir à la chair et tout à l’action divine et à l’union du Verbe ; voulant, par un excès d’amour, réparer l’homme déchu, il a réformé l’homme dans l’homme et a pris une chair vierge dans une vierge. L’Homme-Dieu vous a aimé, et Dieu s’est fait homme pour vous. Il s’est humilié pour vous recevoir, selon cette parole de L’Apôtre : « Il s’est anéanti lui-même, prenant la forme d’esclave, se constituant dans la ressemblance de l’homme et portant tous les traits extérieurs de l’homme. Voilà pourquoi Dieu l’a exalté et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom[36] ». Il s’est anéanti, et il vous a comblé de biens ; il s’est enseveli dans la plus profonde obscurité, et il vous a inondé de gloire. Il s’est abaissé et il vous a élevé. De là ces paroles inspirées par le Saint-Esprit au roi-prophète : « Seigneur, inclinez les cieux et descendez[37] ». Il est descendu vers vous, afin de vous faire monter vers lui ; il s’est tellement abaissé que celui qui, par sa nature, ne devait pas mourir, est mort pour vous, et cela par sa libre volonté, parce que, s’il n’avait pas voulu mourir, la mort n’aurait eu sur lui aucun empire ; et de même, s’il n’avait pas voulu naître, il était infiniment au-dessus de la condition charnelle. Il a donc voulu naître, afin de vouloir mourir. S’il n’avait pas d’abord subi volontairement la chair, il n’aurait pu souffrir dans la suite, et la mort n’aurait pu l’atteindre, s’il n’avait voulu revêtir notre chair comme condition pour pouvoir mourir. Bien plus, sa chair elle-même ne pouvait mourir, si lui-même ne l’avait voulu, conformément à cette parole : « Je donne ma vie de moi-même, et personne ne me l’ôtera, car je l’abandonne librement. J’ai le pouvoir de me dépouiller de la vie, et j’ai aussi celui de la reprendre[38] ». Sa mort nous eût été inutile, si elle n’avait pas été volontaire de sa part ; car s’il n’eût voulu mourir, l’homme n’agirait pas recouvré ses droits à l’éternité bienheureuse. Il est donc mort parce qu’il l’a voulu, et par sa mort il a rendu à l’immortalité l’homme qui était mort. « Il a incliné les cieux et il est descendu ». Il a brisé la captivité des limbes, et il est monté, selon cette parole de l’Apôtre : « Il a conduit la captivité captive[39] ». L’Apôtre ne parle pas de l’auteur de la captivité, mais de la captivité elle-même, quoique, en détruisant l’empire de la captivité, il ait par cela même détruit l’auteur de cet empire. Et quelle captivité ? La mort. Il a tué la lettre, et le maître du mal a perdu son pouvoir. Il a désarmé le fort armé, il lui a arraché son glaive et l’a conduit captif de cette même captivité. C’est là ce que nous atteste l’Écriture : « La mort ira et sortira, et le démon se tint debout à ses pieds[40] ». Or, celui qui s’est tenu vaincu devant les pieds du vainqueur, quelle peut être sa contenance, si ce n’est celle d’un captif ? « Il a incliné les cieux, et il est descendu » vers le monde. Il a fait captif le démon et il est monté au ciel, afin que celui qui par nature est le Roi suprême du ciel, fût établi par son corps le roi de la terre, et par sa mort le triomphateur des enfers, selon cette parole de l’Apôtre : « Afin que tout genou fléchisse au ciel, sur la terre et dans les enfers[41] ». Et « Jésus-Christ est mort et ressuscité, afin qu’il devînt le roi des morts et des vivants[42] ».
10. Dieu est né du sein d’une vierge, d’une chaste union et du mariage le plus pur ; sans le concours de l’homme et par l’action du Verbe ; et celui qui est né de Dieu avant tous les siècles, et qui était Dieu lui-même, a pris la forme d’esclave. Afin que l’esclave devint maître, le Seigneur est devenu esclave. Tout cela s’est accompli dans le sein d’une vierge, par l’opération du Saint-Esprit. Il en est sorti un homme plein de Dieu, qui était en même temps Dieu et homme, comme le dit l’Apôtre : « L’un et l’autre ne faisaient qu’un[43] » ; il parlait de la chair et du Verbe ; natures infiniment séparées, mais réunies en une seule personne par la volonté de Dieu, de telle sorte que, après avoir été essentiellement éloignées l’une de l’autre, elles se trouvèrent indivisiblement unies. Or, c’est dans le sein de Marie que s’accomplit ce prodige : Comme elle avait conçu, elle enfanta ; son enfantement fut aussi miraculeux que la conception, la pudeur n’y reçut aucune atteinte. Elle ne dut rien à l’homme ; aussi, le fruit de ses entrailles, loin d’être un mélange quelconque de force divine et d’humaine faiblesse, est un Dieu parfait dans ses vertus et ses opérations, selon cette parole de saint Pierre : « Jésus de Nazareth, cet homme dont Dieu a fait éclater les œuvres parmi vous[44] ». Isaïe avait dit : « Voici qu’une Vierge concevra et enfantera un fils. ». C’est donc une Vierge qui a conçu, c’est une Vierge qui a enfanté. A une conception sans tache a succédé un enfantement incorruptible, comme l’effet participe naturellement à la cause. Le Fils de Dieu, sans doute, nous a été semblable dans son enfantement, mais sa conception a dû être toute différente. Nous sommes conçus dans l’iniquité, tandis que la Mère de Dieu est toujours restée vierge. Elle est devenue mère par son enfantement, et elle a conçu dans une virginité parfaite. La conception de son Fils a été exclusivement l’œuvre du Verbe, et son enfantement n’a porté aucune atteinte à sa pudeur, parce qu’elle est demeurée vierge dans sa conception et dans son enfantement. Marie a subi la loi de l’enfantement, tandis qu’elle est restée complètement étrangère à la conception ; ce qui pour elle avait été d’abord insensible, le devint dans l’enfantement ; toutefois, son intégrité et sa pureté ne reçurent aucune atteinte : Dans cette alliance céleste s’unirent la virginité et la divinité. La Vierge offrit son esprit, le Verbe lui présenta l’incorruption ; elle offrit la sainteté de son âme et de son corps, le Verbe lui présenta l’intégrité de la pudeur et la virginité perpétuelle. De là cette parole de l’ange : « Vous êtes bénie entre toutes les femmes », parce qu’elle avait été bénie entre toutes les vierges. C’est là ce qui la distingue de toutes les mères et de toutes les vierges. Parmi les mères, elle est vierge ; parmi les vierges, elle est mère ; car elle a conçu et enfanté, et dans sa conception et son enfantement elle est restée vierge. « Vous êtes bénie entre toutes les femmes » ; elle devait être élevée aux honneurs de la maternité, sans en subir les atteintes.
11. Mais, répondent les hérétiques, quelle indignité de renfermer Dieu dans le sein d’une femme, et de prétendre qu’une femme mortelle peut engendrer le Dieu immortel ? n’est-il pas insensé de soutenir que les grandes choses procèdent des petites ? Homme perfide, qui que vous soyez, voulez-vous donc que, m’appuyant sur les choses temporelles, je vous prouve qu’un être qui naît peut-être plus grand que celui qui l’engendre et peut le dépasser en valeur et en magnificence ; une telle démonstration ne pourra-t-elle enfin vous fermer la bouche et étouffer vos clameurs impudentes ? Veuillez donc me dire ce qui est le plus précieux du miel ou de l’abeille, de la mouche ou de la cire. Comparez, et vous trouverez que l’ouvrage est plus précieux que l’ouvrier, que le miel est plus précieux que la mouche, et que l’abeille, très laide en elle-même, est très-belle dans son œuvre. La reine, dit-on, n’a aucun commerce charnel, et pourtant elle produit des essaims ; son corps est des plus vils, et pourtant elle forme un miel d’une douceur extrême. Une autre comparaison : l’or naît de la terre, le ver tisse la soie, et la soie est bien plus précieuse que le ver ; le coquillage produit la perle, et la perle l’emporte de beaucoup sur le coquillage ; on teint la laine en pourpre dans le suc d’un coquillage, et pourtant la pourpre est beaucoup plus précieuse que le coquillage. Du sein des montagnes on extrait des pierres précieuses, et le prix d’une seule pierre précieuse dépasse de beaucoup la valeur même de la montagne. Dans une pierre se trouve renfermé l’éclat d’une perle, c’est là que cette perle a pris naissance ; qu’est-ce donc qu’une pierre en comparaison d’une perle ? Et pourtant celle-là engendre, et celle-ci est engendrée. C’est ainsi que de choses viles naissent des choses superbes ; les grandes naissent des petites ; les belles naissent des laides ; les plus précieuses naissent des plus communes. Pourquoi donc jugez-vous encore le sein de Marie indigne de Dieu ? Vous ne pensez pas que l’Homme Dieu ait pu naître d’une créature, quand vous venez de voir que, dans toutes les choses terrestres, ce qui engendre est souvent fort inférieur à ce qui est engendré ? Combien de fois un plébéien n’a-t-il pas donné naissance à un empereur, et un laïque à un évêque ; celui-là devenant le maître de son père, et celui-ci devenant le père spirituel de celui qui lui a donné la vie temporelle ; celui-là devenant le maître du monde, et celui-ci le père du peuple chrétien ? Mais il est quelque chose de plus extraordinaire que tout ce qui précède, quelque chose qui devrait attirer votre attention et soulever votre admiration : une vierge a conçu, une vierge a enfanté ; elle est demeurée vierge, elle n’a jamais cessé d’être vierge. Elle était vierge avant de concevoir, elle est vierge après son enfantement, elle demeure éternellement vierge.
12. La naissance du Seigneur confond l’argumentation du siècle et la sagesse de la terre. Quelle est cette argumentation ? Si Marie a enfanté, elle a connu l’homme, et le monde semble entendre cette parole sans frémir, tant est vrai ce mot de l’Apôtre : « L’homme animal ne perçoit pas ce qui est de l’Esprit de Dieu, car sa prétendue sagesse n’est que de la folie et il ne peut comprendre[45] ». Mais le Créateur de la nature a renversé cette argumentation et suspendu en cette circonstance la loi de la nature. Dans l’ordre ordinaire, c’est l’expérience qui fait loi ; mais quand il s’agit de la maternité de Marie, il n’y a d’autre règle à invoquer que la vertu et la grandeur du Tout-Puissant ; par conséquent, la loi ordinaire est ici sans valeur. Pourquoi ? Parce que, selon l’Apôtre, « Dieu appelle les choses qui ne sont pas, comme si elles étaient[46] ». Quelle est l’argumentation de Dieu ? Une vierge a enfanté, et pourtant elle est restée vierge, parce qu’une mère parfaite a engendré le Verbe fait chair. Mais, dit le monde, c’est folie de croire qu’une vierge ait pu enfanter, tout en restant vierge. Or, cette folie est pour nous la plus grande sagesse qui, dans ce mystère, nous saisit d’admiration ; voilà pourquoi je ne suis sage, aux yeux de Dieu, qu’en devenant insensé aux yeux du monde. Il est écrit : « Je confondrai les sages dans leur astuce[47] » ; et encore : « Le Seigneur connaît les pensées des sages, car elles sont vaines[48] ». L’apôtre saint Paul dit également : « Où est le sage ? où est le scribe ? où est l’investigateur de ce siècle ? Est-ce que le Seigneur n’a pas rendu folle la sagesse de ce monde ? Car le monde n’a pas connu Dieu par la sagesse. Or, il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédication[49] ». « Donc, ce qui est insensé aux yeux du monde, c’est ce qui est sage aux yeux de Dieu[50] », « afin que la sagesse du monde soit réprouvée par la sagesse de Dieu[51] ». Le propre de cette sagesse du monde, c’est de faire grand bruit de ses syllogismes plus ou moins sophistiques, et c’est ce qui l’empêche de comprendre que la volonté de Dieu n’a d’autre règle et d’autre mesure que sa toute-puissance. Dans les œuvres et les opérations de Dieu, est-ce à nous de lui tracer ses règles ? Ce qu’il crée n’existait pas, et pour le créer toute matière préexistante lui était inutile. « Il a dit, et tout a été fait ; il a commandé, et tout a été créé[52] ». Or, celui qui a le pouvoir de créer ce qui n’était pas, ne pourrait pas faire ce qu’il veut de ce qui existe déjà ? Vous invoquez ce qui se fait dans l’ordre ordinaire du mariage ; mais qu’importent ces lois primitivement établies, dès que la puissance du Créateur daigne intervenir directement ? Quand il s’agit de l’action immédiate de Dieu, toute comparaison doit disparaître ; car à quelle œuvre purement humaine peut-on comparer les œuvres divines ? Tout ce qui se fait par les hommes s’accomplit en vertu des lois générales et ne saurait avoir le caractère d’un miracle qui est un fait essentiellement singulier.
13. Vous vous imaginez donc, ô incrédule, que Dieu peut être souillé par le contact du sein maternel ? Je repousse votre sacrilège et je réponds à votre blasphème. Quand, dans le vase impur de votre cœur se formait cette pensée téméraire, vous oubliiez donc cette maxime de l’Apôtre : « Tout est pur pour ceux qui sont purs[53]) ». Si donc, même dans les choses de ce monde, tout est pur pour ceux qui sont purs, à combien plus forte raison tout n’est-il pas pur pour Dieu qui, étant la pureté même, n’a rien fait que de pur. Ne lisons-nous pas : « Dieu vit tout ce  qu’il avait fait, et tout était très-bien[54] ? » Si tout était très-bien, tout était donc pur. Les créatures ne deviennent impures ou honteuses que par le mauvais usage que nous en faisons. C’est en ce sens qu’il a été dit ailleurs, en parlant des animaux : « Ils seront impurs pour vous[55] ». Cette impureté ne tient donc pas à l’essence même des choses, ou à leur nature ; c’est quelque chose d’accidentel résultant, non pas du fait même de leur création, mais du mauvais usage que les hommes peuvent en faire. Par exemple, le vin est bon de sa nature, mais il devient mauvais pour celui qui s’enivre ; le miel est bon et doux, mais dans certaine maladie il est mauvais et funeste ; « la loi est bonne », comme le dit l’Apôtre, mais pour celui qui en fait un usage légitime ; quant à en faire un usage illégitime, ce n’est plus en user, mais en abuser. Ce n’est donc pas la nature même qui a rendu impur tout ce qui peut l’être, c’est uniquement la défense qui en interdit l’usage. Cette défense est elle-même essentiellement accidentelle et spéciale à telle chose en particulier et dans tel cas déterminé, et c’est à tort que l’on y chercherait une malédiction générale, une condamnation absolue.
Après avoir appuyé cette doctrine sur des témoignages, il nous est facile de la confirmer par des exemples et de montrer que ce qui est impur d’après la loi, est réellement pur par nature. Nous savons tous comment le prophète Élie, après avoir accompli son pèlerinage sur la terre, quitta ce monde sur un char de triomphe pour aller prendre place en paradis, où l’appelaient sa parfaite sainteté, ses grandes vertus et ses nombreuses révélations. Il fut ravi sur un char de feu, sans que les flammes, qui jaillissaient de toutes parts, lui portassent la plus légère atteinte, quoiqu’il eût conservé sa chair mortelle. Il est dit qu’il fut transporté en paradis ; or, nous savons qu’après avoir chassé le premier homme du paradis, terrestre, Dieu confia à l’ange du feu la garde de ce séjour heureux ; voilà pourquoi le char d’Élie fut un char de feu, afin que le feu livrât passage au feu. Le texte porte : « Élie, emporté dans un tourbillon, monta comme au ciel[56] ». « Comme au ciel », et non pas réellement au ciel, « car personne n’est monté au ciel que Celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme, qui est dans le ciel[57] ». Insistons sur ce témoignage dans lequel se révèle d’une manière éclatante la gloire du Sauveur. « Personne n’est monté au ciel, si ce n’est Celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est au ciel ». Le voici sur la terre, et il n’a pas quitté le ciel ; il est auprès de son Père et au ciel ; il est tout entier dans le sein de Marie, et tout entier au ciel, et tout entier en son Père. Il est dans l’intérieur du sein de Marie, il enveloppe l’univers entier, et dans son Père il est l’unique souverain de toutes choses. O grand Dieu répandu partout ! Il remplit le sein de sa mère, il enveloppe le monde, il possède le ciel.
14. Mais je reviens à mon sujet. Le Seigneur dit à Élie : « Allez vers le torrent dans le désert de Charath, qui est en face du Jourdain… Et les corbeaux lui apportaient du pain le matin, et à midi de la viande, et il buvait de l’eau du torrent[58] ». Quel doute peut encore exister sur la question qui nous occupe ? Quelle impiété n’y aurait-il pas à condamner ce saint homme parce qu’il a accepté la nourriture qui lui était présentée par ces corbeaux regardés comme des animaux immondes ? Mais je n’ai point oublié la sentence générale du Seigneur : « Tout ce qu’un impur aura touché sera rendu impur*[59] ». Voici donc un corbeau qui apporte du pain, un corbeau qui apporte de la viande, et ce qu’il a touché n’a pu être impur, et celui qui a reçu ce pain et cette viande n’a pas été rendu impur. L’Apôtre nous en donne la raison : « Tout est pur pour ceux qui sont purs » ; et cette maxime s’appliquait même à ces temps reculés où la distinction des animaux était en pleine vigueur. Je n’ai nullement l’intention de discuter sur la nature des viandes qui pouvaient être licites, mais qui devenaient impures par l’effet de leur contact avec un oiseau impur, en vertu de cette prescription légale : « Tout ce qu’un impur aura touché sera rendu impur ». Or, rien ne pourrait être impur pour cet homme devant lequel toute prescription générale cessait. C’est ce qui prouve que la défense des viandes dites impures était toute personnelle ; d’où il suit que l’impureté du corbeau n’avait aucune prise sur l’éminente sainteté d’Élie ; ce corbeau lui-même devint pur en entendant ce que ne veulent pas entendre les Juifs. En entendant, il devint pur ; en refusant d’entendre, les Juifs restent impurs ; car, dit l’Apôtre : « Tout est pur pour ceux qui sont purs ». Ce que le corbeau impur avait touché n’est donc pas devenu impur, et le sein que Jésus-Christ a touché aurait pu être impur ? Oh ! je vois partout de ces corbeaux devenus de pieux ministres de Dieu. Ils sont noirs quant à la couleur, mais blancs quant à la crainte surnaturelle qui les dirige ; ils sont impurs par leur nom, mais purs par leurs œuvres. Enfin, le corbeau a expié sa faute primitive, il est rentré dans la voie de l’obéissance ; autrefois il sortit de l’arche et refusa d’y rentrer ; plus tard il se rendit le pourvoyeur docile du serviteur de Dieu.
15. Vous regardez comme impur le sein virginal de Marie ; vous croyez qu’il était indigne de Dieu ou qu’il a pu communiquer une certaine souillure au Verbe incarné ; pour vous confondre, il me suffira d’un exemple. Le soleil jette sur le monde une clarté uniforme et qui, néanmoins, produit des effets bien différents sur chaque chose en particulier. Il fait fondre la cire, il durcit la boue, il dissout le fumier, il dessèche la fange, et, en jetant de tous côtés ses rayons, s’il dessèche certaines choses, du moins il n’est souillé par quoi que ce soit. Et le sein d’une Vierge pourrait souiller la divinité, quand ce qu’il y a de plus fétide ne saurait souiller le soleil ? Jésus-Christ serait souillé dans les entrailles de sa mère, quand le soleil n’a rien à craindre des cloaques les plus hideux ? Toutefois, lors même que ce sein de Marie aurait été souillé par son origine, du moment qu’un Dieu daigne y pénétrer, ne se trouve-t-il pas orné de la pureté la plus parfaite ? Marie avait été couverte de l’ombre du Tout-Puissant, le Verbe s’incorporait à elle d’une manière incorruptible, le Saint-Esprit avait lui-même formé ses membres, et quelque chose d’impur pourrait encore se rencontrer dans cette Vierge incomparable, malgré la présence du Verbe divin dont le regard efface soudain toutes les souillures ? Par le simple attouchement de sa robe, le Sauveur a purifié la souillure légale d’une femme affligée d’une perte de sang, et ce même Sauveur, entrant dans le sein d’une autre femme, n’aurait pu y purifier tout ce qu’il y rencontrerait de souillé ?
16. Ajoutons à cela que le sein de Marie était saint, pur, sans tache, sans souillure, directement créé par Dieu et rempli de la majesté divine. Dieu y a reconnu son œuvre dans toute son intégrité, et il a pu en sortir comme un nouvel époux sort du lit nuptial. Nouvel époux de la chair, il est sorti du tabernacle vivant dans lequel il s’était renfermé, et l’on oserait mettre des bornes à la sainteté de ce sein virginal dans lequel a trouvé bon de se renfermer le Dieu que le : monde lui-même ne saurait contenir ?
17. Le Seigneur apparut à Moïse sur la montagne d’Horeb, dans un buisson ardent qui brûlait sans se consumer ; la flamme enveloppait les épines et ne les dévorait pas. Malheur à vous, pécheurs, qui entendez ces paroles et passez sans y faire attention ! La flamme étincelait et les épines n’étaient point consumées. Les corps brûleront en enfer, et ce feu sera éternel comme le châtiment des coupables. Et une voix se fit entendre : « Moïse, Moïse, ôtez la chaussure de vos pieds, car le lieu dans lequel vous vous trouvez est une terre sainte[60] ». Si donc cette terre a été sanctifiée parce que la majesté divine y était apparue, combien plus ce sein de Marie dans lequel la divinité devait habiter n’a-t-il pas dû être sanctifié ? C’était la lumière qui entrait dans les ténèbres et faisait étinceler de son éclat la demeure tout entière. La lumière véritable, c’est-à-dire Dieu lui-même, est entré dans le sein de Marie et lui a communiqué sa sainteté. Il était donc d’une sainteté parfaite, ce sein dans lequel la sainteté même est entrée, qu’elle a sanctifié et dont elle est sortie sans subir la plus légère atteinte, selon cette parole de l’ange : « Voilà pourquoi le Saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu[61] ».
18. Affirmons-le donc sans crainte : non, il n’a pas dédaigné d’entrer dans le sein de Marie, Celui qui n’a pas dédaigné d’entrer dans la fournaise ardente, comme l’atteste Nabuchodonosor : « N’avons-nous pas envoyé trois hommes au milieu du feu ardent ? Comment donc puis-je en voir quatre se promenant en toute liberté dans les flammes, sans qu’elles leur portent aucune atteinte ; et le quatrième porte la ressemblance du Fils de Dieu[62] ? » Celui-là donc qui est entré dans la fournaise ardente, est entré dans le sein de Marie restée vierge. Quel est celui qui est entré dans la fournaise ? le Fils de Dieu. Quel est celui qui est entré dans le sein de Marie ? le Fils de Dieu. De là il chassait la flamme ; ici il chassait la nature. De même donc qu’il fut au milieu de la fournaise ardente sans brûler, de même il sortit du sein de Marie sans porter aucune atteinte à son intégrité. Il entra dans la fournaise ardente pour en tirer les trois jeunes Israélites ; et il n’aurait pas dû entrer dans le sein de Marie quand il s’agissait de racheter le monde tout entier ?
19. Mais, disent les Juifs, Marie n’a pu enfanter contre la nature. O étrange impudence, toujours frappée et ne s’avouant jamais vaincue ! Sans cesse vous êtes convaincu d’erreur et vous ne cédez pas ; combien moins la vérité doit-elle céder, elle quine tombe jamais et triomphe toujours, selon cette parole de l’Écriture : « La vérité triomphe, s’affermit, vit et règne dans les siècles[63] ». Marie, dit-on, n’a pu enfanter contre la nature. Ceux qui tiennent ce langage se sont flattés sans doute de nous avoir en quelque chose ravi la victoire. Aussi nous provoque-t-on au combat, mais je ne craindrai pas, aucune terreur n’arrivera jusqu’à moi ; car celui qui me provoque est déjà frappé à mort. Marie n’a pu enfanter contre la nature, ce n’est donc pas contre la nature que la verge d’Aaron a fleuri dans le tabernacle de l’Alliance, sans aucun secours naturel. Tout manquait à cette floraison, la semence, les racines, les sucs de la terre. La verge, par sa nature, avait possédé tout cela, mais en perdant ses racines elle avait tout perdu. Et cependant, malgré l’absence de tout principe naturel de fécondité, la verge d’Aaron fleurit, sans aucune sève, sans aucune semence, sans aucune racine.
20. Mais ce fait d’histoire paraît ignoré de quelques-uns ; je le raconterai brièvement. Coré, Dathan et Abiron, par esprit de jalousie contre Moïse et Aaron, prétendaient s’attribuer à eux-mêmes le sacerdoce et tentèrent de consommer ce sacrilège malgré les ordres formels du Seigneur ; mais la terre s’entr’ouvrit sous leurs pas, ils se virent eux-mêmes descendre dans l’abîme, et contre l’ordre ordinaire ils furent ensevelis avant leur mort. La terre engloutit ces sacrilèges et les enveloppa dans ses entrailles, non point pour les conserver, mais pour les punir. Leurs corps furent enterrés tout vivants, et tandis que l’espoir de la sépulture est d’ordinaire une consolation pourles mourants, cette même sépulture fut pour ces malheureux une aggravation de peine ; car ils furent ensevelis dans leur propre châtiment. Non-seulement ces trois auteurs de la révolte furent engloutis, mais leurs complices furent dévorés par des flammes sorties de la terre ; « la terre s’ouvrit », dit l’Écriture, « et engloutit Dathan… et le feu consuma leurs compagnons ». Alors le Seigneur ordonna à Moïse d’apporter dans le tabernacle une verge de chacune des tribus. Douze verges furent présentées, parmi lesquelles se trouvait celle de la tribu de Lévi, et appartenant au prêtre Aaron ; elles furent toutes placées dans le tabernacle de l’Alliance, et le lendemain il se trouva que la verge d’Aaron avait produit des feuilles, des fleurs et des fruits.
21. Ce fait et la perfidie qui en fut l’occasion méritent un examen sérieux, car nous y trouvons une figure sensible du mystère que nous étudions. Une verge produit ce qu’elle n’avait pas. Elle n’avait aucune racine, elle n’était même pas enfoncée dans la terre, elle n’avait aucune sève, aucune semence ne pouvait la féconder, et cependant elle porte des fleurs, des feuilles et des fruits. Elle avait entièrement perdu la fécondité qu’elle pouvait tenir de l’arbre auquel elle avait appartenu, et cependant, en témoignage du sacerdoce suprême, elle produit ce qui n’était pas en elle ni en son pouvoir ; car il était contre sa nature de verge desséchée de produire des fleurs et des fruits. Et une Vierge n’a pu engendrer, contre l’ordre de la nature, le Fils de Dieu ? Je vous dirai comment la Vierge a conçu et enfanté ; montrez-moi de votre côté comment une verge complètement desséchée a pu germer. Mais je conçois que vous ne puissiez expliquer ni la fécondité de la verge, ni l’enfantement de la Vierge. Si donc vous ne pouvez dire comment cette verge d’Aaron a produit des fruits, pourrez-vous dire comment une Vierge a conçu et enfanté la Vérité ? Ainsi donc, puisque vous ne pouvez expliquer le mystère d’une Vierge devenue féconde, acceptez les effets de l’Incarnation divine.
22. Venez à moi et je vous dirai ce que j’ai entendu intérieurement, Sur ce sujet, ce qui me trouble, ce n’est point la raison, mais la pudeur, et je veux, dans mes paroles, apporter toute la réserve possible, pourvu que la foi ne coure aucun danger. Pardonnez-moi, Seigneur Jésus, et épargnez ma bouche ; car je reconnais tout ce qu’il y a de témérité de ma part à décrire le mystère de votre incarnation ; il est vrai que vous avez tenu fermé le sein dans lequel vous avez voulu naître, mais vous nous avez permis d’ouvrir votre Évangile aux incrédules. Je dirai donc ce qui s’est passé dans le secret de la nature. Marie, comme toute autre femme, possédait ce qui est requis pour la génération. Le Verbe lui-même vint se mêler à son sang pour le solidifier, et la substance de ce sang ainsi coagulé produisit la chair. Survint alors l’action de l’Esprit-Saint qui forma cette masse jusque-là informe, en distingua les parties et en produisit l’homme dont les linéaments cachèrent réellement la divinité. Vous savez maintenant comment la Vierge a conçu. Si vous me demandez ensuite comment elle a enfanté, je vous le dirai encore. Elle a enfanté comme elle a conçu ; de même que l’enfant s’était mystérieusement formé dans son sein, il en sortit d’une manière incorruptible comme il y était entré. Ici, du reste, tout se passa selon l’ordre de la nature ; la Vierge accomplit la durée de la gestation, tandis que la verge d’Aaron ne subit point le temps de la germination. Ce ne fut qu’après neuf mois que Marie enfanta ; et après trois jours la verge avait germé, quoique par elle-même elle fût entièrement desséchée. Nous savons du premier homme qu’il n’eut ni père ni mère et qu’il fut formé du limon de la terre. Comment un corps peut-il être formé sans venir d’un autre corps ; comment la chair peut-elle exister sans venir de la chair ? Le premier homme sortit en quelque sorte du sein de la terre, comme l’enfant sort du sein de sa mère, avec cette différence qu’aucun principe générateur venant de l’homme n’y avait été déposé. Si donc, sur le sujet qui nous occupe, je crois plus facile de recourir à une comparaison, que votre conviction n’en soit nullement ébranlée. Le rayon du soleil pénètre un miroir, sans que la densité de la glace fasse obstacle à la subtilité insensible du rayon solaire, et le soleil se voit à l’intérieur comme à l’extérieur. En pénétrant dans la glace, il ne la brise pas ; en en sortant, il ne la souille point, et malgré l’entrée et la sortie du rayon solaire, le miroir reste dans sa parfaite intégrité. Le rayon du soleil ne brise pas le miroir ; et l’entrée ou la sortie de la vérité aurait pu vicier l’intégrité de Marie ?
23. Mais pourquoi insister plus longtemps ? Que le chrétien entende ce que ne veut pas entendre le juif ; ainsi racheté, le chrétien progressera dans le bien, tandis que le juif périra dans son endurcissement. La verge d’Aaron était réellement la figure de la vierge Marie, qui a conçu et enfanté le véritable prêtre dont il a été dit : « Tu es prêtre pour l’éternité[64] ». Au verset précédent il avait été dit : « Le Seigneur fera sortir de Sion, la verge de sa puissance ». En effet, le fruit produit par la verge était la ligure du corps de Jésus-Christ. Une noix dans son unité renferme trois substances distinctes : l’enveloppe, la coque et le noyau. L’enveloppe figure la chair, la coque figure les os et le noyau figure l’âme. L’enveloppe figure la chair du Sauveur, laquelle a porté les aspérités et les amertumes de la passion ; le noyau figurerait bien la douceur intérieure de la Divinité, de qui nous recevons à la fois la nourriture et la lumière ; la coque représenterait le bois longitudinal de la croix, désignant non pas ce qui est intérieur et extérieur, mais les choses terrestres et les choses célestes mises en communication les unes avec les autres par l’intermédiaire de la croix, selon cette parole de l’Apôtre : « Par le sang de sa croix il a pacifié soit les choses qui sont au ciel, soit les choses qui sont sur la terre[65] ». Voilà, ô Juif, comment votre verge figurait notre Vierge.
24. Même au seul point de vue de l’étymologie, vierge est pour ainsi dire synonyme de verge (virgo, virga). À la différence d’une lettre, ces deux mots font entendre le même son. Or, veulent-ils se convaincre que la verge désignait la Verge ? Qu’ils méditent ces paroles d’Isaïe : « Une verge sortira de la souche de Jessé[66] ». La verge est de la race de Jessé ; Jessé est le père de David ; la verge est donc de la famille de David, et cette verge, c’est Marie. Jessé, étant un homme, n’a pu produire du bois, c’est-à-dire une verge. Ce qui est sorti de Jessé, ce n’est donc pas une verge, mais la vierge Marie qui, répondant à sa race selon la chair, reproduisit le miracle de la verge d’Aaron, puisqu’elle conçut et enfanta, quoique toujours elle fût restée vierge. Il est vrai que l’on a tenté d’appliquer cette prophétie à David lui-même ; mais cette opinion se réfute d’elle-même, ne fût-ce qu’à raison du temps. En effet, David était mort lorsqu’Isaïe prophétisa, et pourtant c’est le futur qu’il emploie, à l’exclusion du passé : « Une verge sortira de la souche de Jessé ». « Sortira » et non pas, est sortie. D’ailleurs le Prophète ajoute : « Une verge sortira de la souche de Jessé, et une fleur montera de sa racine ». Cette fleur, c’est la chair du Seigneur ; car cette chair fut formée miraculeusement en dehors de tout concours de l’homme, et elle conserve toute sa beauté native. « Une fleur montera de sa racine, et l’Esprit du Seigneur se reposera sur elle ». Sur qui ? il est évident que c’est sur la fleur. « L’Esprit de sagesse et d’intelligence, l’Esprit de conseil et de force, l’Esprit de science et de piété, et l’Esprit de crainte l’a remplie. Elle ne jugera pas selon la gloire, elle n’accusera pas sur un ouï-dire, mais elle jugera par « un humble jugement et elle accusera les orgueilleux de la terre. Elle ébranlera la terre par la parole de sa bouche, et elle écrasera l’impie par l’Esprit qui siégera sur « ses lèvres ; la justice ceindra ses reins, et la vérité l’enveloppera comme d’un vêtement[67] ». Un peu plus loin nous lisons également : « En ce jour apparaîtra la souche de Jessé ; celui qui s’élèvera sera le prince des nations, et tous les peuples espéreront en son nom[68] ». O fleur roi ! ô fleur juge ! De même que cette verge n’est pas la verge, mais la Vierge, de même cette fleur n’est pas la fleur de la verge, mais la chair formée dans le sein de la Vierge. Marie a réellement produit cette fleur de sa virginité et a tiré de sa chair la chair du Messie ; mais cette génération n’a rien qui ressemble à la génération du péché ; car Jésus-Christ dans son humanité ne doit rien à l’action de l’homme, puisqu’il a été conçu du Saint-Esprit. La verge d’Aaron prophétisait ainsi la vierge Marie. Si donc cette verge a pu fleurir sans sève ni racine, une vierge en restant vierge n’aurait pu engendrer dans une parfaite incorruptibilité ? Mais, disent nos adversaires, ce n’est que par un miracle que la verge d’Aaron a pu fleurir. Eh bien ! c’est par un miracle plus grand encore que s’est opérée l’Incarnation : la verge d’Aaron n’était qu’une image et une figure ; mais ici nous trouvons la réalité dans tout son éclat et sa divinité.
25. Un autre témoignage plus grand encore et plus formel nous est fourni par Ézéchiel ; nous en avons fait la lecture hier dimanche, mais nous avons dû en remettre le commentaire et nous appliquer exclusivement à l’objet du mystère que nous avons célébré. « Je me suis tourné », dit le Prophète, « vers la porte de la voie extérieure des saints, laquelle regarde l’Orient, et elle était fermée. Et le Seigneur me dit : Cette porte sera fermée et ne s’ouvrira point, et personne n’y pénétrera, parce que le Seigneur, Dieu d’Israël, y entrera lui-même ; il en sortira et elle sera fermée[69] ». Donnez-moi donc l’explication de cette porte par laquelle le Seigneur est entré et sorti, sans que l’on pût expliquer son entrée et sa sortie. « Cette porte sera fermée et ne sera point ouverte, parce que le Seigneur, Dieu d’Israël, y entrera lui-même ; il en sortira ensuite et la porte restera fermée ». Cette porte est certainement une allégorie, sous le voile de laquelle la chasteté virginale de Marie nous est clairement désignée. Comment le prouvons-nous ? Écoutons Job : « Maudit soit le jour où je suis né, puisqu’il n’a pas fermé la porte du sein de ma mère lorsqu’elle m’a enfanté[70]» C’est dans le même sens que le Prophète se sert du mot porte pour désigner le sein de Marie, où personne que Dieu lui-même n’est entré et d’où personne que lui n’est sorti. Le Verbe y est entré pour en sortir revêtu de notre propre humanité, à l’exclusion du péché ; et soit y entrant, soit en sortant, il a laissé cette porte absolument fermée ; car c’est de lui qu’il est écrit : « Ce qu’il ouvre, personne ne le ferme, et ce qu’il ferme, personne ne l’ouvre[71] ». Levez-vous donc, Isaïe, levez-vous dans la joie, donnez la main à Ézéchiel et applaudissez dans le Saint-Esprit à la gloire de la nativité du Seigneur. Que David accoure également avec sa cithare divinement harmonieuse pour chanter la naissance du Sauveur, dont les mystères défieront à jamais toute l’harmonie de la terre. Isaïe s’écriait : « Cieux, laissez tomber votre rosée, et que les nues pleuvent le juste ; que la terre s’ouvre et fasse germer son Sauveur[72] ». Quelle est cette terre ? C’est notre chair, mais restée parfaitement pure comme elle l’était en Marie. « Que la terre germe son Sauveur » : ces paroles n’ont pas besoin de commentaire. Il ne s’agit pas ici d’une semence charnelle, mais de la rosée céleste ; non pas de la pluie naturelle, mais de l’action divine ; car ce mystère est tout entier l’œuvre de Dieu, la créature n’y est qu’un agent purement passif ; c’est ce que David exprime en ces termes : « Il est descendu comme la rosée se distillant sur la terre[73] ». Il dit également : « La terre donnera son fruit » ; et par ces paroles il désigne spécialement le sein de Marie. On peut dire de ce sein qu’il a véritablement donné « son fruit », puisque rien ne lui est venu d’ailleurs.
26. Si vous éprouvez encore quelque doute, affermissez votre foi par des exemples. Dès l’origine du monde, après la formation complète du corps d’Adam, une côte est soustraite de ce corps, et nulle part on ne trouve l’endroit d’où cette côte a pu être arrachée ; Adam perd un de ses os, et cependant il reste parfait dans son entier. Nulle part on ne remarque la cicatrice, nulle part on ne trouve de vestige de cette disparition. Une côte sort du côté, et le corps ne perd rien de sa plénitude. Ce qui sort est parfait, ce qui reste est entier. Je vais plus loin encore et j’ajoute, que sans porter atteinte à quoi que ce soit, cette côte a pour ainsi dire engendré d’elle-même un corps humain ; deux corps se sont trouvés au lieu d’un, sans que la mère ait subi aucune diminution. Ainsi donc la puissance divine a pu soustraire une côte au flanc de l’homme, sans que le corps en ressentît aucune atteinte ; et un Dieu sortant du sein d’une vierge n’aurait pu conserver son intégrité ? Pourtant aucun homme, à l’exception du juif, ne pousse la folie jusqu’à nier que ce soit le Verbe lui-même qui ait opéré ce prodige sur le corps du premier homme. Et ce qu’il a fait en formant la première femme, le Verbe n’aurait pu le faire lorsqu’il revêtait notre humanité dans le sein de Marie ? Il n’a pas permis que le corps d’Adam laissât paraître aucune trace de ce qui se passait, et il aurait permis que la virginité ou la pudeur de sa Mère subît quelque atteinte ! Mais, dites-vous, « Dieu remplit de chair le vide laissé par la disparition de la côte[74] », et ne causa aucune souffrance. De même, en sortant du sein de sa Mère, le Verbe incarné ne déchira point sa pudeur et ne laissa aucun signe de corruption là où s’était déployée toute la puissance divine.

Enfin, montrez-moi comment Dieu remplit de chair le vide laissé par la disparition de la côte, et moi je vous montrerai comment Jésus-Christ est sorti du sein de Marie sans y laisser aucune trace. Mais vous ne pourrez satisfaire à ma demande ; car où la puissance divine n’a laissé aucun vestige, vous ne sauriez en trouver ; de même vous ne pouvez découvrir aucune corruption en Marie, puisque Dieu a voulu cacher à tous les regards ce que vous cherchez.
27. Chrétiens, levez-vous donc joyeux et répandez-vous en louanges aux pieds du Seigneur. Que les accents de votre reconnaissance remplissent l’Église de Dieu, le temple de Jésus-Christ, la demeure du Saint-Esprit. Entrez dans l’étable de votre Créateur, visitez la crèche de votre Sauveur, baisez les haillons du Pasteur éternel, et prenez dans vos bras ce Dieu devenu petit enfant. Venez adresser avec moi des louanges à la Vierge sainte, à la Mère véritable restée pure dans son enfantement, et rehaussant sa beauté par l’intégrité de sa pudeur. Louez avec les cieux, louez avec les anges, louez avec toutes les vertus, louez avec tous les éléments de la nature. Ne cessez pas, ne vous lassez pas de chanter la gloire du Sauveur : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté[75] ».

HUITIÈME SERMON. LA NAISSANCE DE JÉSUS-CHRIST. (DEUXIÈME SERMON.) modifier

ANALYSE. —1. Naissance inénarrable de Jésus-Christ. —2. Réfutation de l’impiété des Juifs. —3. À la fin des temps le Fils de Dieu est venu comme législateur.


1. Frères bien-aimés, quand il s’agit de célébrer la grandeur du mystère de notre salut, le prodige de la naissance du Sauveur, l’humanité doit avouer l’impuissance de ses conceptions et de sa parole. A un tel bienfait, à cette grâce infinie, que peut répondre la faiblesse de notre dévotion ? Comment concevoir que le Fils unique, consubstantiel au Père, éternel comme le Père, redoutable au ciel, à la terre et aux enfers, ait voulu se revêtir d’un corps humain pour opérer le salut de l’homme ? Quelle langue pourra raconter ce que l’intelligence ne saurait comprendre ? Quel homme tenterait de juger ce qui n’a pour auteur et pour témoin que Dieu lui-même ? « Car personne ne connaît le Fils, si ce n’est le Père[76] ». Comment la fragilité humaine, corrompue par le péché, pourrait-elle sonder le secret de cette Nativité virginale ? Jésus-Christ naît, non point par la nécessité de vivre, mais par sa volonté de nous sauver. Il naît parmi les morts, lui qui donne la vie aux morts. Nous ne devons pas douter de l’accomplissement de cette Prophétie formulée par le plus grand des prophètes sous l’inspiration du Saint-Esprit : « Voici qu’une Vierge concevra dans son sein, et enfantera un Fils[77] ». Qu’une femme enfante, c’est l’objet de notre foi à l’incarnation ; mais que cette femme ait toujours été vierge, c’est le principe d’une gloire éternelle pour celui qu’elle nomme son Fils. Jésus-Christ naît d’une vierge, car il notait pas convenable que la vertu prît naissance dans la volupté, la chasteté dans la luxure, ou la pureté dans la corruption. Celui qui venait détruire l’ancien empire de la mort, ne pouvait naître sous les lois de cet empire, et le Seigneur de l’univers ne pouvait prendre la forme d’esclave dans laquelle il devait nous sauver, qu’en prenant un corps dans le sein d’une servante. Comment le Fils de Dieu aurait-il subi pour nous les crachats, les soufflets et la croix, s’il ne s’était pas constitué le Fils de l’homme ?
2. O malheureux Juifs qui, en recourant à la calomnie de l’adultère, éteignent pour eux-mêmes cette grande lumière sous le souffle de ténébreux soupçons, en refusant de croire qu’une Vierge ait conçu ! Ils ne voient plus qu’un crime humain dans l’acte par excellence de l’amour de Dieu pour nous ; et ce qui n’est que vertu ils l’appellent une faute, tant ils sont aveuglés par leur jalousie. Malheureux que vous êtes, croyez donc à celui qui n’a voulu naître que pour opérer votre salut. Comprenez, mes frères, l’aveuglement de ces hommes perfides qui nient obstinément que le Christ ait pu naître d’une Vierge. Dans une naissance toute céleste ils invoquent ce qui se passe parmi les hommes et veulent soumettre le Créateur aux lois établies pour les simples créatures. Que l’impiété humaine n’essaie donc pas de porter atteinte à la glorieuse Nativité de Jésus-Christ, qui n’a voulu naître que par amour pour nous. Si le Fils de l’homme et de Dieu s’est humilié dans la chair, si une Vierge a enfanté et est demeurée vierge après son enfantement, tout cela s’est fait, non point selon l’ordre d’une nature mortelle, mais par l’effet immédiat de la puissance divine.
3. Comment peut-on douter que ce soit là le secret du Tout-Puissant, quand on entend dire que le Roi des cieux est né d’une vierge, et que le Fils de la Vierge commande aux puissances du ciel ? Qui dira, mes frères, l’accroissement miraculeux des bienfaits de Dieu pour le salut des nations ? Autrefois, après le passage de la mer Rouge, voulant donner au peuple hébreu des préceptes relatifs au culte divin, le Seigneur appela Moïse au sommet du Sinaï, et confia à ce serviteur l’expression authentique de sa volonté à l’égard de cette petite nation. Mais quand les temps prédits furent arrivés, voulant prodiguer à toutes les nations les sacrements de la vie éternelle, Dieu lui-même, descendant du ciel et du sein de son Père, se renferma dans le sein d’une Vierge, et y revêtit notre humanité et se fit homme sans cesser d’être Dieu, acquérant ainsi une gloire incomparable. C’est ainsi que le Tout-Puissant est sorti du sein de Marie, a subi les infirmités de la chair sans perdre la majesté du Fils de Dieu, et, tempérant cette majesté suprême, il a réalisé ce prodige d’un Dieu fait homme s’entretenant avec les hommes, et d’un homme triomphant du démon par la puissance infinie qu’il tenait de son union hypostatique avec Dieu.

NEUVIÈME SERMON. LA NAISSANCE DE JÉSUS-CHRIST. (TROISIÈME SERMON.) modifier

ANALYSE. —1. Accord des Prophètes et des Apôtres sur la naissance de Jésus-Christ. —2. Virginité sans tache de Marie dans son enfantement.
1. Frères bien-aimés, nous avons longuement parlé de la divinité du Fils de Dieu et réfuté, selon notre pouvoir, toutes les attaques de nos adversaires. Je veux aujourd’hui vous parler de l’Incarnation, parce que ces mêmes adversaires refusent au Fils de Dieu la qualité de Fils de l’homme. « Cieux, laissez tomber votre rosée, et que les nuées pleuvent le Juste ; que la terre s’ouvre et germe le Sauveur, et que la justice s’élève en même temps ; c’est moi, le Seigneur, qui l’ai créé[78] ». Nous lisons également : « Voici qu’un petit enfant nous est né, la principauté a été déposée sur ses épaules, et il sera appelé l’Admirable, l’Ange du grand conseil, le Dieu fort, le Père du siècle futur, le prince de la paix[79] » ; et encore : « Voici qu’une Vierge concevra dans son sein, elle enfantera un Fils et il sera appelé Emmanuel[80] ». L’ordre des choses exige qu’en parlant sur l’Évangile je ne passe pas sous silence les Prophètes. Saint Paul lui-même nous en donne l’exemple dans ce début de l’Épître aux Romains : « Paul, serviteur de Jésus-Christ, appelé à l’apostolat, séparé pour prêcher l’Évangile de Dieu, Évangile qu’il avait promis auparavant par ses Prophètes dans les saintes Écritures, touchant son Fils qui est sorti de la race de David selon la chair[81] ». Saint Paul vient de vous apprendre que, avant d’être publié, l’Évangile avait dû être promis par les Prophètes. L’Apôtre vient de vous dire que le Fils de Dieu, selon la divinité, est devenu le Fils de l’homme « de la race de David, selon la chair ». Quelles contradictions peuvent donc exister entre les prophéties et l’Évangile ? Le Prophète s’écrie : « Cieux, laissez tomber votre rosée, et que les nuées pleuvent le Juste ». Que l’Ange vienne, qu’il annonce le Verbe ; que la terre s’ouvre, que Marie entende, qu’elle conçoive le Sauveur, qu’elle enfante Jésus. Le Prophète avait dit : « Voici qu’une Vierge concevra et enfantera un Fils, et il sera appelé Emmanuel ». L’Évangéliste rapporte textuellement ces paroles et ajoute : « C’est-à-dire Dieu avec nous[82] ». De son côté l’Apôtre écrit : « Touchant son Fils qui est sorti de la race de David selon la chair ». Ce que les Prophètes ont prévu et prédit, les Apôtres l’ont vu et prêché. Celui qui était a été fait ; celui quia été fait était déjà le Verbe, et il s’est fait chair ; il était le Fils de Dieu, et il s’est fait le Fils de l’homme.
2. Il était Dieu, il s’est fait homme ; il a pris notre humanité sans perdre la divinité ; il s’est fait humble, il est demeuré sublime. Il est né homme, il n’a pas cessé d’être Dieu. Il est né petit, tout en restant l’Infini sous les voiles de l’enfance. Que celui qui embrasse avec plaisir le Dieu né, se garde bien d’avoir horreur de l’enfantement de la Vierge. Dieu lui-même, le Créateur de l’homme, le Fils de l’homme, vous dit : Qu’y a-t-il pour vous étonner dans ma naissance ? La concupiscence n’a eu aucune part dans mon enfantement. Moi-même j’ai créé la mère dont je devais naître ; moi-même j’ai préparé et purifié la voie que je devais suivre en entrant dans le monde. Celle que vous méprisez, c’est ma mère, laquelle a été créée de ma propre main. Si j’ai pu me souiller en la créant, j’ai pu me souiller en prenant d’elle ma naissance. De même que sa virginité n’a reçu aucune atteinte par ma présence dans son sein, de même ma majesté n’a pu subir aucune souillure. Si les rayons du soleil savent dessécher les lieux les plus infects et rester toujours purs, combien plus la splendeur de la lumière éternelle, dans laquelle aucune tache ne saurait se produire, pourra-t-elle, sans se souiller, purifier tout ce qu’elle touchera de ses rayons ? Insensé, dans une Vierge restant toujours Vierge, puisqu’elle enfante en dehors de tout concours de l’homme, comment prétendez-vous trouver en elle des souillures ? Elle a conçu sans éprouver aucune concupiscence ; elle a enfanté sans ressentir aucune douleur où donc trouver des taches en elle ? Aucun étranger n’a eu accès dans cette demeure ; elle n’a été visitée que par son Créateur et son maître, dans le but de se couvrir d’un vêtement qu’il n’avait pas ; en la quittant, il l’a fermée sans que personne pût l’ouvrir, et vous soutenez qu’elle a été profanée ? Comme ce Fils de Marie est le seul libre entre les morts, de même la pudeur de sa mère est la seule qui ait conservé toute son intégrité. Eve, par sa désobéissance, a mérité le châtiment ; Marie, par son obéissance, a obtenu la gloire. Eve, en goûtant du fruit défendu, a été maudite ; Marie, en croyant à la parole de l’ange, a été bénie.

DIXIÈME SERMON. LA NAISSANCE DE JÉSUS-CHRIST. (QUATRIÈME SERMON.) modifier

ANALYSE. —9. Naissance du Sauveur ; virginité de Marie. —2. Annonciation de l’Ange. —3. L’étoile brillant du haut du ciel. —4. Offrandes symboliques des Mages.
1. Si nous pouvions exposer parfaitement l’événement de ce jour, nous aurions la connaissance complète des mystères de notre salut. Or, chacun de ces mystères défie, par sa profondeur, toute l’habileté du langage humain. Comment donc pourrait-on se flatter de les exposer tous à la fois sur un seul et même sujet ? Nous célébrons aujourd’hui la naissance du Sauveur ; mais ne devons-nous pas voir dans cette naissance du Christ la naissance même du monde ? C’est aujourd’hui la naissance du Sauveur, c’est-à-dire le mystère d’où le monde a reçu la vie et d’où la lumière, qui avait péri, a été rendue aux mortels. Il naît, celui que les Prophètes ont proclamé le Roi des nations. « Il naît d’une Vierge, comme le Prophète l’atteste en ces termes : Voici qu’une Vierge concevra et enfantera un fils, et ils l’appelleront Emmanuel, c’est-à-dire Dieu avec nous ». Le mode de sa naissance prouve donc qu’il est le Seigneur des vertus ; une vierge a conçu sans avoir jamais connu la concupiscence ; le Saint-Esprit a tout fait en elle ; tout a été pur, et le sein qui a conçu le Verbe, et les membres qui l’ont conservé, et les entrailles qui l’ont porté. La mère du Sauveur est elle-même le plus grand miracle ; une vierge a conçu, une vierge a enfanté ; elle était vierge avant, elle est restée vierge après l’enfantement. Virginité glorieuse et fécondité éclatante ; le Tout Puissant prend naissance, et sa mère n’exhale aucun gémissement. Elle enfante, son fils paraît à la lumière et sa virginité ne souffre aucune atteinte. Du moment que c’est un Dieu qui naît, il fallait que la chasteté de la mère reçût un nouvel éclat, et celui qui était venu pour guérir toutes les souillures ne pouvait porter atteinte à la parfaite intégrité de sa mère. L’enfant, à sa naissance, est déposé dans une crèche ; ce sont là les premières bandelettes d’un Dieu, le Roi du ciel ne dédaigne pas ces entraves, après avoir trouvé bon d’habiter dans un sein virginal. Marie, dépouillée de son précieux fardeau, se tient là debout et se reconnaît mère, avant de s’être connue épouse. Elle adore la divinité de son fils et tressaille de joie d’avoir enfanté par le Saint-Esprit ; elle ne frémit pas d’avoir enfanté en dehors du mariage, mais elle se réjouit d’avoir donné naissance à un Dieu.
2. Quand fut arrivé le moment où le Sauveur devait descendre sur la terre et régénérer le monde ; à cette époque où les prophéties planaient sur les nations attentives, le Saint-Esprit survint dans la Vierge Marie, selon cette parole de l’Ange : « Le Saint-Esprit viendra sur vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre. Voilà pourquoi le Saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils du Très-Haut[83] ». Grand est donc le mérite de notre foi, parce que grand est le prodige de cette génération, et c’est en toute justice que nous adorons la puissance divine dans la naissance de Celui que nous savons nous être venu du ciel et engendré de Dieu le Père par la vertu du Saint-Esprit, afin de proclamer plus solennellement la Trinité et de sceller la sainteté de Marie. Le Sauveur naît, et le soleil s’élance plus loin dans sa carrière. N’est-il pas nécessaire que la splendeur qui apparaît aujourd’hui avec tant d’éclat prenne de jour en jour une nouvelle extension ?
3. Mais voici un nouveau messager qui vient nous attester la naissance du Sauveur. C’est une étoile qui apparaît du ciel ; ne fallait-il pas que celui qui descendait du ciel fût également attesté par un envoyé du ciel ? La course de l’étoile annonce la naissance du Dieu fait homme ; les éléments attestent le même prodige et, mêlée aux rayons du soleil, l’étoile n’en jette que plus d’éclat.
4. Voyons donc ce que signifiaient ces présents mystérieux offerts par les Mages, malgré l’abjection de la crèche, et comprenons qu’ils proclament en Jésus-Christ l’union personnelle de la divinité et de l’humanité. Le Sauveur est vu comme homme, et il est adoré comme Dieu ; il est gisant dans ses langes et il brille parmi les étoiles. Ses langes annoncent l’enfant qui vient de naître, les étoiles proclament qu’il est le souverain Maître de toutes choses. C’est son humanité qui est enveloppée de langes, c’est sa divinité qui est adorée ; les bergers tressaillent sur la terre, les Anges sont remplis de joie dans les cieux. Mais enfin, quels sont donc ces présents que les Mages, divinement instruits, offrent à l’Enfant-Dieu ? Ils présentent de l’or et confessent ainsi que cet enfant est le souverain Maître de toutes choses. Ils présentent de l’encens, et ce sacrifice s’adresse à un Dieu. Ils présentent de la myrrhe, symbole de sa mortalité. L’or nous le montre comme Roi, l’encens nous le fait connaître comme Dieu, la myrrhe nous annonce sa sépulture. Les Prophètes annoncent un seul Dieu, et les Apôtres le prêchent ; les Mages ont cru, et à Jésus-Christ dans les langes ils ont offert de l’encens, de l’or et de la myrrhe. Pour nous, mes frères, craignons le Dieu unique, afin qu’il daigne nous accorder tous les biens par Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui est béni dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

ONZIÈME SERMON. LA NAISSANCE DE JÉSUS-CHRIST. (CINQUIÈME SERMON.) modifier

ANALYSE. —1. La naissance du Sauveur, cause de joie pour le monde. —2. Salutation de l’Ange à Marie. —3. Éloge de la bienheureuse Vierge.


1. Frères bien-aimés, la naissance de Jésus-Christ est la rédemption du pécheur. En effet, le pécheur n’aurait pu être délivré si le Sauveur n’était pas venu sous la forme d’esclave. C’est aujourd’hui la naissance du Seigneur, que les esclaves se réjouissent ; c’est la naissance du Rédempteur, que les captifs rachetés se réjouissent ; c’est la naissance du médecin, que les malades se réjouissent ; c’est la naissance de la miséricorde, que les pécheurs se réjouissent ; c’est la naissance de Jésus-Christ, que tous les chrétiens applaudissent. Dieu a voulu naître dans le temps, lui qui a fixé la mesure des temps. Écoutons l’Apôtre : « Il s’est anéanti lui-même, en prenant la forme d’esclave, il a pris la ressemblance de l’homme et il a paru comme homme[84] ». Vous entendez qu’il s’est anéanti, mais il n’a jamais perdu la nature divine et ne s’est jamais séparé d’elle. Il s’est fait homme, mais sans cesser d’être Dieu. Il a revêtu l’humanité, mais il n’a pas dépouillé la divinité. Il s’est fait homme en prenant la forme humaine, sans perdre la forme divine. Il a pris le vêtement de la chair, mais intérieurement il est toujours resté Dieu. Comme Dieu et comme Créateur, « par qui tout a été fait, et sans lequel rien n’a été fait, il s’est construit à lui-même le temple dans lequel il devait naître. Il a créé sa Mère ; or, il demeure éternellement avec son Père. Il a revêtu notre humanité, il est né d’une mère qu’il avait formée lui-même en régnant avec son Père ». Tel est le sens de ces paroles du Prophète : « Sion est ma mère, dira un homme, un homme a été fait en elle, et le Très-Haut lui-même l’a établie[85]». Que les cieux tressaillent, et que la terre se réjouisse ; que les cieux tressaillent, parce qu’ils n’ont personne pour les accuser ; que la terre se réjouisse, parce qu’elle a germé son Sauveur. Qui donc pourra trouver le secret d’un don si précieux ? L’Apôtre, parlant de ce secret, n’a pas craint de dire « qu’il était caché depuis les siècles[86] ».
2. La Mère du Sauveur, irrévocablement attachée à sa virginité, demanda à l’Ange comment elle pourrait concevoir sans porter aucune atteinte à sa pudeur : « Comment », dit-elle, « cette promesse pourra-t-elle s’accomplir, puisque je ne connais pas d’homme[87]? » Les Prophètes m’ont appris qu’une vierge devait enfanter, mais je n’ai jamais su comment ce prodige devait s’accomplir. Je vous en prie, bienheureux Gabriel, ange de Dieu, expliquez à une chaste vierge le secret d’un aussi grand mystère. Vous m’avez adressé une salutation inouïe jusque-là, ajoutez-y une consolation pour ma virginité, car je l’ai vouée à Dieu, je me suis engagée à le servir dans son temple. Dites-moi donc : « comment cela se fera, puisque je ne connais pas d’homme ». L’Ange lui répondit : Vous ne connaîtrez pas d’homme, mais vous connaîtrez le mystère : « Le Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre, voilà pourquoi le Saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu ». Marie avait dit : Expliquez-vous, ô envoyé de Dieu, car ce que vous m’annoncez est extrêmement sérieux : « Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais pas d’homme », et il en sera ainsi tant que je vivrai. Contemplez cet Ange instruit du mystère, et Marie en demandant l’explication. O Marie, écoutez « comment cela se fera » votre virginité n’aura pas à souffrir, votre pudeur ne subira aucune atteinte ; pour vous, croyez la vérité, du moment que votre virginité est sauve, soyez en toute sécurité ; parce que votre foi est parfaite, votre virginité restera intacte. Écoutez comment cela se fera : « Le Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre » ; parce que vous concevez par l’espérance en croyant, vous deviendrez mystérieusement féconde ; « voilà pourquoi le Saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu ». Et comme son arrivée en vous est insensible, sa sortie le sera également. Dieu peut-il être un fardeau ? Marie répondit : S’il en est comme vous le dites, je m’incline avec joie devant votre voix angélique. En refusant de croire, je ferais injure à Celui qui vous a envoyé, et Dieu pourrait me frapper de mutisme, comme l’a été Zacharie. L’Ange répliqua : O Vierge, ne soyez point incrédule, mais fidèle ; « le Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre » ; vous ne connaîtrez pas les ardeurs de la concupiscence, parce que tout ici défie les règles ordinaires de la mortalité et reflète les caractères de la sainteté la plus parfaite. Marie dit à son tour : Si Dieu, en me conférant la maternité, me laisse ma virginité, « voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre parole[88] ». Oh ! que Marie est heureuse d’avoir cru ; Celui que le monde ne peut contenir, elle l’a porté dans son sein, l’a conçu par la foi et l’a formé de sa chair et de son sang ; de la virginité a germé la rédemption pour ceux qui croient.
3. O bienheureuse Marie, à quel titre avez-vous donc mérité de devenir la Mère du Sauveur ? Par quel privilège Celui qui vous a créée est-il venu à vous ? D’où vous vient une si grande faveur ? Vous êtes vierge, vous êtes sainte, vous avez fait un vœu ; ce que vous avez voué, vous l’avez reçu de lui, et cependant qu’il est grand, Celui que vous avez enfanté ! Réjouissez-vous, sainte virginité, réjouissez-vous d’être ainsi protégée par le message d’un Ange. Votre pudeur vous est conservée dans toute son intégrité, et pourtant vous êtes réellement la Mère du Sauveur. Votre enfantement sera célébré par toute l’armée angélique, par toute la milice céleste. Bientôt un ange va porter la bonne nouvelle de la naissance du Sauveur aux pasteurs qui veillaient dans les champs : « Bienheureux les serviteurs que le Seigneur trouvera éveillés lorsqu’il viendra[89] ». Jésus-Christ est venu pour nourrir ceux qui ont faim, pour rendre les captifs à la liberté, pour éclairer les aveugles, pour ressusciter les morts ; des enfants de colère, qu’il fasse des vases de miséricorde, afin que tous ceux qui croient en lui aient la vie éternelle et louent avec les Anges la naissance du Sauveur.

DOUZIÈME SERMON. LA NAISSANCE DE JÉSUS-CHRIST. (SIXIÈME SERMON.) modifier

ANALYSE. —1. Joseph et Marie prennent part au recensement. —2. Naissance de Jésus-Christ.
1. Après avoir longuement étudié le mystère de l’enfantement virginal et de la naissance de Jésus-Christ, il nous est donné de suivre dans tous ses détails le récit du saint Évangile : « Voici ce qui arriva dans ces jours : « César-Auguste ordonna par un décret d’opérer le recensement de l’univers. Ce premier recensement se fit, etc. » Au moment de la naissance de Jésus-Christ, tout l’univers se fait enregistrer sur les rôles publics, parce que le tribut est dû à César, comme l’adoration est due à Dieu. La pièce de monnaie est marquée au coin de César, comme les hommes sont formés à l’image de Dieu. Le recensement du monde s’opère en ce moment, afin que l’image du roi soit empreinte sur la monnaie, et que l’image de Dieu soit réformée dans l’homme. C’est ainsi que le tribut était rendu à César et l’homme à Dieu, selon cette parole du Seigneur : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu[90] ». Alors, dit l’Évangile, s’accomplit le premier recensement ; le premier quant au mystère, et non pas quant au temps ; quant au mérite, et non pas quant à la classification ; quant à la foi, et non pas quant à l’exécution matérielle. Depuis longtemps déjà l’univers payait le tribut aux Romains, ce qui suppose le cens établi ; comment donc peut-on dire qu’il y eut, à la naissance du Sauveur, un premier recensement ? n’y a-t-il pas là un enseignement mystérieux et prophétique ? « Joseph monta donc, afin d’inscrire son nom sur les registres, avec Marie son épouse ». Cette parole. « Il monta », est parfaitement exacte, car c’est monter que de se diriger vers les choses divines. Il monta pour confesser qu’il était époux, et non mari ; qu’il était chargé de prendre soin de l’enfant, et non pas de concourir à sa formation, et que cet enfant était tout à la fois et le Fils de Dieu et le Fils de l’homme. Marie monta également, afin de confesser qu’elle était plus encore la servante que la mère de son Fils ; qu’elle avait reçu l’annonce de sa maternité, sans que sa chair en ressentît les atteintes ; qu’elle portait le don de Dieu, et non pas un fardeau humain ; car, du moment que la mère reste vierge, l’enfant qu’elle porte ne saurait être que l’œuvre de Dieu.
2. « Et pendant qu’elle était là, les jours de l’enfantement furent accomplis » ; ces jours sont plutôt des temps et des siècles que des jours proprement dits. Écoutez l’Apôtre : « Quand la plénitude des temps fut arrivée, Dieu envoya son Fils[91] » pour revêtir notre humanité. Le premier homme, accablé sous le poids du précepte, succomba. La postérité de Noé, en cherchant à s’élever dans le ciel, se sentit précipitée et confondue par la diversité des langues. Le peuple juif, impuissant à porter le fardeau de la loi, s’inclina de plus en plus vers la terre et préféra « être « comparé aux animaux sans raison[92] », quant à ses œuvres, plutôt que de devenir leur égal par l’ignorance de la loi. C’est donc par un juste dessein que l’Auteur du monde attend le temps du monde et veut donner à ce monde le moyen de s’instruire, afin de l’amener à recevoir, si tard que ce soit, son Rédempteur, lui qui avait rejeté son Créateur parce qu’il n’avait pas encore l’expérience de son malheur. « Les jours de l’enfantement furent accomplis, et elle enfanta un fils, l’enveloppa de langes et le déposa dans une crèche[93] ». Celui qui contient l’univers est renfermé dans le sein d’une femme ; l’Auteur de la nature prend lui-même naissance ; le Créateur des hommes et des temps devient le premier-né des hommes ; le Trésor du ciel est enveloppé sous la pauvreté des langes ; le Maître de la foudre fait entendre le gémissement de l’enfance ; Celui à qui toute créature est soumise est couché dans une étable. Sentez-vous, ô homme, quel est celui qui vous poursuit, afin de vous rappeler Jésus-Christ. Il entre dans le sein d’une femme, afin de vous y reformer ; il naît, afin de vous faire renaître à l’immortalité ; il devient le premier-né des hommes, afin de vous rendre participant de la nature divine. Voilà pourquoi le Christ est couché dans une crèche et devant de vils animaux, c’est afin de leur faire sentir, en quelque sorte, leur Créateur. Enfin il est placé dans une crèche, afin de réaliser cette parole dût Prophète : « Le bœuf a reconnu son possesseur, et l’âne l’étable de son maître[94] ». Le Psalmiste avait dit également : « Seigneur, vous sauverez les hommes et les animaux[95] ». Les hommes ne sont-ils pas comparés aux animaux, dans ces paroles du Sauveur : « Prenez sur vous mon joug, car il est doux, et mon fardeau, car il est léger[96] »

TREIZIÈME SERMON. LA NAISSANCE DE JÉSUS-CHRIST. (SEPTIÈME SERMON.) modifier

ANALYSE. —1. Nous devons naître avec Jésus-Christ par les bonnes œuvres. —2. Nombreuses manifestations de Jésus-Christ. —3. Naissance virginale de Jésus-Christ. —4. Humilité et gloire de Jésus-Christ naissant. —5. Conclusion.


1. Jésus-Christ naît d’une Vierge ; quel éclat ne jette pas sur le monde cette naissance du Sauveur ! En la méditant avec piété, nous mettons un terme à nos péchés, et, rejetant les habitudes criminelles de nos mauvaises actions, nous nous unissons à la vie nouvelle, nous renaissons avec Jésus-Christ naissant. De même qu’aujourd’hui, pour sauver le monde, Jésus-Christ est sorti du sein de Marie, de même le genre humain sort aujourd’hui du sein de Marie, c’est-à-dire des entrailles de l’Église, créé de nouveau par les sacrements mystiques et spirituels, et paraît à la lumière avec Jésus-Christ, et s’élance dans la voie qui mène au salut. Je vous parle ainsi, mes frères, parce que tous nous célébrons aujourd’hui en commun la naissance du Sauveur. Trop peu de chrétiens cherchent à se rendre compte du but et de l’auteur de cette naissance ; car si ce mystère était toujours présent à notre esprit, nous ne pécherions jamais ; et cependant tous disent : C’est aujourd’hui la naissance du Seigneur ; applaudissons par des bonnes œuvres, réjouissons-nous dans le Seigneur par des actions saintes, dépouillons notre malice à l’arrivée de Jésus-Christ et montrons-nous bons en toutes choses. Et pourtant, malgré ce langage, ils n’ont d’autres préoccupations que de satisfaire aux besoins de la chair et du sang, ils mêlent leur joie à des actions criminelles, tandis que leur âme, pour laquelle aucun bien n’est à négliger, reste privée de toute nourriture spirituelle, et tous leurs soins sont pour le corps, auquel ils n’osent imposer aucune privation en faveur de leur âme. Ceux qui célèbrent aussi indignement la naissance de leur Sauveur, est-il étonnant qu’ils soient comparés à des animaux sans raison, qui n’ont d’autre joie qu’à repaître leur corps ? Si donc nous sommes des fidèles et des chrétiens, rappelons-nous quel est Celui qui a daigné naître aujourd’hui, et à la vue de sa grandeur infinie, nous changerons promptement notre vie, parce que dans cette naissance nous reconnaîtrons Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est notre vie véritable et éternelle. Renonçons à nous-mêmes et commençons à vivre pour Celui qui a daigné pour nous non seulement naître, mais encore mourir. Contemplez sa grandeur, pénétrez-vous de sa mansuétude, afin que vous méritiez de concevoir son infinie majesté. Aujourd’hui paraît pour nous à la lumière le suprême arbitre de la liberté, l’auteur de toute équité, le promoteur de la justice, le destructeur de l’orgueil, le principe de l’humilité, celui qui dissipe la discorde, nous ramène la paix, triomphe de la mort et nous procure la rédemption et la vie.
2. Mais Jésus-Christ nous a manifesté sous différentes formes son apparition sur la terre. D’abord, sur la terre, les anges le montrent aux bergers ; ensuite, dans le ciel, une étoile le désigne aux Mages ; dans les eaux du Jourdain, le Saint-Esprit le fait connaître clairement ; enfin il se manifeste lui-même dans le vin de Cana. Tous ces prodiges ont pour but de prouver aux hommes que Celui qui, en se faisant homme, leur est apparu dans un tel état d’abaissement, est véritablement Dieu ; tourtes ces merveilles confondent les incrédules qui ne voulaient voir en lui qu’un homme, et confirment d’une manière éclatante la foi des fidèles. Autrefois les enfants d’Israël, sûrs d’échapper à la haine des Égyptiens par le miracle de la mer Rouge, virent marcher à leur tête la colonne de nuée qui s’obscurcissait pendant le jour pour leur servir de guide, et se transformait en une colonne de feu qui les inondait de lumière pendant la nuit. Autant cette colonne projetait de clarté pour les Juifs fidèles, autant elle projetait d’obscurité pour les Égyptiens incrédules. Figuré par cette colonne, le Sauveur s’est toujours rendu visible pour affermir la foi des croyants, et aujourd’hui, au moment même de sa naissance, il se manifeste de la manière la plus éclatante au genre humain tout entier, pour l’empêcher de périr éternellement. Il était apparu à Abel pendant ses sacrifices, à Noé dans la construction de l’arche, à Abraham, le père des croyants, à Isaac bénissant son fils, à Jacob fuyant la colère d’Esaü, à Moïse paissant les troupeaux ; c’est lui qui fit entrer Josué dans la terre promise, où devaient couler pour lui des ruisseaux de lait et de miel ; c’est lui qui affermit le trône de David, accorda la sagesse à Salomon, entoura d’honneurs le sacerdoce. Or c’est ce même Sauveur qui, aujourd’hui, a daigné prendre la forme d’esclave, afin de rendre participants de sa propre nature tous ses serviteurs dévoués, et d’en faire, par l’adoption, les enfants de son Père tout-puissant. Engendré du Père avant tous les temps, et sans le concours d’aucune mère, il. a créé le monde ; il est né dans le temps d’une mère vierge, sans le concours d’aucun homme, et a purifié le monde de toutes ses souillures. Né de la bouche du Père, il a créé tout ce qui existe ; né d’une mère vierge, il a réparé toutes les brèches faites au monde par le péché.
3. Lecteur, redoublez de vigilance et d’attention lorsque vous entendez dire que le Verbe s’est incarné dans le sein d’une vierge pour la rédemption du monde. Vous avez été formé d’une terre vierge, parce que la vie a précipité le monde dans la mort. Voilà pourquoi il a été nécessaire que le Sauveur, sorti d’un enfantement virginal, arrachât le monde à l’abîme de la mort pour le rappeler à la vie, et que Celui qui est né d’une vierge, comme homme, triomphât du prince de la mort qui avait vaincu l’homme créé d’une terre vierge. Le premier homme a été vaincu, et il a perdu la vie pour sa postérité ; l’Homme-Dieu a vaincu et il a rendu aux hommes la vie qu’ils avaient perdue. Le premier Adam est devenu le chef de tous les mourants ; le second Adam est devenu le chef de tous ceux qui passent de la mort à la vie. Marie a enfanté un Fils qui devait faire de tous les hommes des enfants de Dieu, qui devait nous soustraire à l’ignominie de la mort et obtenir la vie éternelle à ce monde condamné à mourir. Sur la terre une Vierge-Mère engendre son Fils en forme d’esclave, et dans le ciel ce même Fils est reçu comme souverain Maître par Dieu son Père. Une Mère engendre un Fils dont elle attend sa propre nourriture, et, simple créature, elle porte dans son sein Celui devant qui le ciel n’est rien. Dans cet enfantement glorieux, ses entrailles rayonnaient de gloire plutôt qu’elles ne souffraient, l’enfant divin croissait dans son sein et formait pour sa mère un fardeau céleste qu’elle portait sans en être surchargée. Son sein renfermait Celui que les cieux ne sauraient contenir, et elle enfanta Celui qui, loin de souiller sa mère, devait par sa naissance purifier le monde de toute souillure. Sainte, elle a cru ; sainte, elle a conçu ; mais elle a été rendue plus sainte encore par son enfantement. Le Verbe n’était que son Epoux, mais il devient son Fils par l’Incarnation ; il était son Créateur, et c’est d’elle qu’il reçoit la vie. La foi de Marie a été pour elle le principe de sa maternité divine ; l’Archange en a été le héraut. Elle devint mère et épouse vierge, et elle eut pour époux Jésus-Christ même qu’elle enfanta. Jésus-Christ n’est-il pas le Verbe sorti de la bouche du Père ? Reçu par la Vierge immaculée, il revêtit dans son sein l’humanité à laquelle il devait rester éternellement uni, selon cette parole du Saint-Esprit s’exprimant par la sagesse de Salomon : « La Sagesse s’est choisi une demeure[97] ». Quelle est cette Sagesse, sinon le Fils de Dieu engendré du Père avant tous les temps ? Quelle est cette demeure qu’il a choisie, si ce n’est l’homme-Christ Jésus dont il s’est revêtu, que la glorieuse Vierge a engendré, que le Saint-Esprit a formé, que l’archange Gabriel a annoncé, que le chœur des anges a célébré, que l’étoile éclatante a manifesté ? Marie n’a été rendue féconde que par Celui-là même qu’elle devait enfanter, et comme la lumière n’a aucun poids, la grossesse de Marie ne fut nullement pour elle un fardeau ; elle tressaillait, au contraire, parce qu’elle n’ignorait pas ce qu’elle portait. Marie est devenue la Mère de Celui qui n’avait pas de père selon la chair. O heureuse Vierge, qui, devenant un nouveau ciel, a mérité de porter Dieu lui-même ? Le Saint-Esprit parlait par l’ange et, en l’écoutant, Marie se sentit pénétrée de son ombre vivifiante.
4. Le Roi des rois, repoussé de partout, ne trouva d’asile que dans une grotte ; il eut pour berceau une crèche, et la plume fut pour lui remplacée par le cilice. Le ciel verse sa rosée divine, et une Vierge enfante ; les étoiles brillent dans le ciel, et les rois tremblent sur la terre. Les anges tressaillent d’allégresse, les bergers sont saisis d’étonnement, les mages consultent les habitants de Jérusalem, et les princes des Juifs sont confondus. Les Prophètes se réjouissent de trouver en Jésus-Christ l’accomplissement de toutes leurs prophéties. « Abraham a vu ce jour, et il s’en est réjoui[98] ». Car aujourd’hui dans sa race toutes les nations ont accès à l’héritage de l’éternelle promesse. Vous avez accompli, Seigneur, ce que vous avez promis dans le passé et vous avez prouvé que vous réaliserez toujours l’objet de vos serments. Car, Seigneur, vous êtes fidèle dans vos promesses, et dans la naissance de Jésus-Christ tout est arrivé comme vous l’avez promis à Abraham. De même tout ce que vous promettez maintenant à votre Église, vous l’accomplirez au second avènement du Sauveur. Celui qui nous apparaît aujourd’hui sur la terre pour sauver le monde, vous apparaîtra un jour au milieu des élus pour rendre à chacun selon ses œuvres. Aujourd’hui se manifeste le maître des archanges, la lumière des anges, l’arbitre des siècles, le libérateur de tous ceux qui cherchent en lui leur refuge, la gloire de l’intégrité, la couronne de la virginité, le secours de la chasteté, le port de la foi, l’aliment de l’innocence, le destructeur des vices, le roi des siècles, l’ami des fidèles, le rémunérateur de la vertu, l’attrait des conversions, la purification des souillures, la guérison des blessures, le guide de la vie, le secours des faibles, le modèle des saints, la voie des Prophètes, l’harmonie du Psalmiste, le charme de la pureté, l’intelligence des voyants, la force de ceux qui persévèrent, la direction du bon chemin, le repos de ceux qui sont agités, le rafraîchissement de ceux qui ont soif, le pardon des péchés, le maître des Apôtres, le précepteur du monde, le persécuteur du démon. C’est Lui qui proclame toute la sagesse des Prophètes ; c’est Lui que prêchent toutes les voix des saints ; la foule des Apôtres se prosterne à ses pieds ; les saints célèbrent ses louanges ; il est la vraie foi de ceux qui croient ; il est la solution de toutes les discussions ; il est la porte du paradis et le principe de la vie éternelle.
5. Que tout âge et toute condition prêtent l’oreille : Marie a contracté alliance dans son enfantement ; sa sainteté s’est accrue dans sa maternité ; en devenant mère, elle a doublé son intégrité, elle a couronné sa virginité. Jésus-Christ naissant a prêté secours aux veuves, il est devenu l’appui des orphelins, l’assistance des pauvres, la vue des aveugles, le bâton des boiteux et la nourriture de ceux qui ont faim. Il est enfant parmi les hommes, jeune parmi les forts, beau parmi les anges, perle céleste, héraut de la paix, olivier de l’Église, vigne des martyrs, aliment de tous les siècles. Aujourd’hui nous est manifesté dans la chair Celui qui règne avec le Père et le Saint-Esprit dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

QUATORZIÈME SERMON. LA NAISSANCE DU JÉSUS-CHRIST. (HUITIÈME SERMON.) modifier

ANALYSE. —1. L’Ange envoyé à Marie. —2. Nativité de Jésus-Christ.


1. Nous célébrons ce grand jour dans lequel le Dieu Tout-Puissant est descendu du ciel, et, par sa naissance, a brillé parmi les hommes d’une gloire toute nouvelle. Le prince des anges est descendu ; il a entendu les gémissements des malheureux, et il est venu, arracher les hommes aux ténèbres du péché. Le monde tout entier gisait la proie de l’enfer, et ses misères auraient achevé de le corrompre, si Jésus-Christ n’était promptement descendu sur la terre. La Vierge Marie nous a procuré un remède aussi grand qu’efficace, et maintenant les hommes, jusque-là courbés vers l’abîme, ont reconquis le droit de monter au ciel. Au premier jour du monde Eve avait distillé dans nos veines un venin mortel ; mais Marie, en engendrant le Christ, nous a mérité une glorieuse liberté. Quoi de plus beau que cette salutation que lui adresse l’envoyé de Dieu, l’ange Gabriel ? C’est le ciel qu’il salue sur la terre : « Je vous salue, Marie, ô pleine de grâce, le Seigneur est avec vous[99] ». Car il convient que ce soit en ces termes que je salue la Mère de mon Dieu. J’ai été choisi et envoyé vers vous, et non pas vers Abraham, Isaac, ou Jacob. Car ceux qui étaient dans les liens du mariage n’ont pu me contempler. Un ange vierge et une femme vierge, un ange et la Mère de Dieu. À ma voix, vos oreilles se sont ouvertes, afin que le Saint-Esprit daignât vous pénétrer de sa présence ; « vous êtes bénie entre toutes les femmes », car devant vous sont saisies d’admiration toutes les nations et les puissances angéliques. Quand les Gentils apprendront qu’une vierge a conçu et est restée vierge dans son enfantement, ils se convertiront à la foi, parce que le monde n’a jamais connu un tel enfantement et n’a jamais contemplé un Dieu vivant parmi les hommes. Les Juifs sécheront d’envie, mais ils ne pourront nous, ravir le Christ Notre Seigneur ; les incrédules voudront détruire notre foi, mais ils resteront frappés d’impuissance. La libéralité divine resplendira dans toute sa magnificence.
2. C’est au milieu de ces circonstances mystérieuses que le Verbe de Dieu, porté, pour ainsi dire, sur la parole de l’ange, pénétra dans le sein de Marie, mettant le sceau à son intégrité et à la virginité de son enfantement divin. Celui qui, dans l’Eden, avait employé une terre vierge pour former l’homme, créa le second Adam dans le sein d’une vierge ; et comme le premier Adam, créé âme vivante, dépouilla sa postérité des biens qui lui avaient été accordés, de même le second Adam est venu nous rendre tous ces biens dans l’Esprit vivificateur, après avoir replacé l’homme dans un état supérieur à celui dont il jouissait d’abord. Incrédule, vous doutez qu’une vierge ait pu concevoir ou enfanter. Mais ne voyez-vous pas que, parmi les abeilles, toutes les mères sont vierges ? elles conçoivent par la bouche dans le baiser des fleurs, et elles engendrent par la rosée du ciel, comme elles-mêmes ont été engendrées ; elles sortent filles vierges, et cependant, en revenant vierges, elles se connaissent vierges et mères. De même Marie ne connaît pas d’homme, et cependant elle enfante ; elle n’a reçu aucun mari de la terre, mais elle a reçu un fils du ciel. Celui qu’elle nous donne par son enfantement virginal, se révèle lui-même dans sa toute-puissance comme étant le Fils de Dieu ; comment exprimer un tel prodige ? Les cantiques des anges, l’admiration des bergers, les déclarations des Mages, l’éclat de l’étoile, la persécution d’Hérode, le ravissement de Siméon, les prédications de Jean, les cieux ouverts, la voix même de Dieu, tout cela manifeste Jésus-Christ et le proclame le Fils unique du Père. Le Saint-Esprit le manifeste à son tour en descendant sur lui en forme de colombe, et une clarté divine l’entoure d’une splendeur céleste ; c’est ainsi que les cieux nous montrent Dieu descendu parmi les hommes et annoncent au genre humain qu’il trouvera son salut dans le Fils de Dieu qui règne avec le Père et le Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

QUINZIÈME SERMON. LA NAISSANCE DE JÉSUS-CHRIST. (NEUVIÈME SERMON). modifier

ANALYSE. —1. La naissance du Sauveur annoncée par les Prophètes. —2. Actions de grâces à Jésus-Christ naissant. —3. Il vient pour exercer miséricorde. —4. Nécessité de nous attacher à lui. —5. Exhortation à une vie sainte. —6. L’univers entier doit tressaillir à la naissance du Sauveur.


1. Nous célébrons aujourd’hui, mes frères, la naissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; aujourd’hui « la vérité est sortie de la terre, et la justice nous a regardés du haut du ciel[100] » ; aujourd’hui le Sauveur a daigné naître dans la chair ; aujourd’hui, lumière du monde, il s’est élevé pour arracher le monde à sa ruine ; aujourd’hui, lumière éternelle, ou plutôt soleil de justice plus éclatant que toute lumière, il est sorti du sein virginal de Marie. C’est le jour de notre rédemption, de notre salut, « de la voie, la vérité et la vie[101] » ; c’est le jour où notre héritage, notre royaume, notre paradis, en un mot le Christ Jésus, est sorti de la terre, c’est-à-dire de la bienheureuse Marie. Aujourd’hui, en revêtant notre chair, l’invisible Divinité s’est rendue visible aux hommes ; aujourd’hui Dieu nous est apparu dans la nature de l’homme. « Nations entières, applaudissez des mains, célébrez votre Dieu dans les chants de l’exaltation[102] » ; car « un enfant nous est né, le Fils nous a été donné, il porte sa puissance sur ses épaules et il sera nommé l’Ange du grand conseil, le Dieu fort, le Prince de la paix, le Père du siècle futur[103] ». Aujourd’hui, mes frères, s’est accomplie cette prophétie d’Isaïe « Voici qu’une Vierge concevra et enfantera un Fils qui sera nommé Emmanuel, c’est-à-dire Dieu avec nous[104] ». Aujourd’hui s’est réalisé cet oracle du saint prophète Habacuc, s’écriant avant la venue de Jésus-Christ : « Seigneur, j’ai entendu votre voix, et j’ai craint ; j’ai considéré vos œuvres, et j’ai été frappé d’étonnement[105] ». Puis, comme si quelqu’un lui eût demandé quelle est cette œuvre qui le frappe d’étonnement, il répond immédiatement : « Vous serez reconnu entre deux animaux », c’est-à-dire dans l’étable, où le bœuf et l’âne mangent le foin et la paille, et où vous vous cacherez pour échapper à la fureur d’Hérode.
2. Telle est, mes frères, la joie à laquelle nous convie la solennité de ce jour ; le bonheur que nous a procuré la miséricorde de Jésus-Christ est si grand, qu’au moment même où « nous étions assis dans les ténèbres des péchés et dans l’ombre de la mort[106] », la lumière de Jésus-Christ a brillé à nos yeux, et par là nous avons mérité « le nom et la qualité d’enfants de Dieu[107] ». Nous devons ce bienfait à Celui dont il est dit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Or, « Celui par qui tout a été fait, et sans lequel rien n’a été fait[108] », s’est profondément humilié dans sa naissance, afin de nous relever de notre profonde bassesse ; il s’est manifesté sur la terre, afin de nous montrer le chemin qui conduit au ciel. Quel jour de gloire et de bonheur ! Quelle langue humaine serait capable de le célébrer dignement ! Toutefois, si elle est ineffable, la faveur que Jésus-Christ nous accorde aujourd’hui gratuitement dans sa naissance ; si cette faveur surpasse infiniment toute la reconnaissance que nous pourrions témoigner à Dieu, ne laissons pas cependant de rendre au Seigneur toutes les actions de grâces dont nous sommes capables. « Confessons ses bienfaits en sa présence, et faisons éclater notre jubilation dans de saints cantiques[109]» ; que notre cœur lui parle, que nos lèvres redisent sa gloire ; que personne ne s’abstienne de cette louange, et sachons que notre silence serait un signe d’ingratitude : nous vous rendons grâces, ô Christ, notre Sauveur, notre Rédempteur et notre appui, souverain maître et ordonnateur du monde ; vous étiez avec le Père et le Saint-Esprit ; vous régniez en souverain absolu dans le ciel, et pour nous vous avez pris la forme d’esclave.
3. C’est ce bienfait, mes frères, qu’avec la grâce de Dieu j’essaie de dérouler sous vos yeux, en vous rappelant que ces dons nous ont rendu nos droits au royaume éternel. Aspirez aux biens éternels avec une ferme confiance ; puisque Jésus-Christ vient à vous, cherchez la compagnie des anges et la société des saints. Pour nous, le Créateur des temps s’est soumis à la condition du temps ; pour nous, l’Auteur et le Créateur de toutes choses s’est soumis aux lois de la création temporelle. En naissant aujourd’hui d’une Vierge, Jésus-Christ aurait-il eu besoin de nous ? bien plutôt c’est notre profonde misère qui réclamait un tout-puissant auxiliaire. En effet, s’il ne se fût humilié pour nous, il ne nous aurait pas délivrés de notre misère. Il a vu que l’homme, « qui n’est que cendre et poussière[110]», paille et étoupe, sang et humeur, périrait dans sa misère, resterait l’esclave du démon orgueilleux, négligerait les ordres du Seigneur et serait éternellement privé du royaume des cieux. Le Verbe est descendu dans la chair et s’est fait homme, afin qu’à son exemple nous devenions des dieux. Pour sa naissance il a pris en quelque sorte modèle sur la nôtre, et il nous invite à imiter son humilité : « Venez à moi, vous tous qui êtes accablés de peines et de fardeaux », qui sentez sur vous le poids écrasant du joug dit démon, c’est-à-dire de l’orgueil, de la méchanceté, de l’iniquité et du péché. Vous souffrez de tout cela, mais « venez à moi », c’est-à-dire humiliez-vous, comme vous voyez que je m’humilie moi-même, « et je vous soulagerai[111] » ; car si vous ne commencez par vous humilier, vous ne pourrez vous élever. Rejetez loin de vous le fardeau de vos péchés, ce joug que le démon vous imposait jusqu’alors, et « prenez mon joug, car il est doux, et mon fardeau, car il est léger », afin que vous imitiez en tout mon humilité. Vous qui n’êtes qu’une simple créature et l’ouvrage de mes mains, vous auriez pu rejeter l’humilité ; voilà pourquoi je l’ai pratiquée moi-même le premier, en me revêtant de la chair, moi qui suis votre Dieu, votre créateur et qui, pour votre salut, accomplis en tout la volonté de mon Père. « Qu’il suffise au disciple de ressembler à son précepteur, et au serviteur de ressembler à son maître[112] ». Si je suis votre précepteur, où est l’honneur que vous me rendez ? Et si je suis votre maître, où est la crainte dont vous m’entourez ? Si vous aimez votre précepteur, montrez les œuvres de votre charité ; et si vous craignez votre maître, donnez des témoignages de votre crainte.« Pourquoi me dire : Seigneur, Seigneur, et ne pas faire ce que je vous commande[113] ? »
4. Réunissons-nous donc en ce jour, d’un commun accord, pour célébrer Jésus-Christ naissant de la Vierge Marie ; craignons, louons, honorons, aimons-le puisqu’il nous a aimés le premier[114]. Si son amour pour nous n’avait pas été purement gratuit, aujourd’hui il ne serait pas né de la chair, et nous ne trouverions pas dans sa naissance une cause de joie si légitime. Recevons Notre-Seigneur avec un esprit pur, une charité ferme, une foi inébranlable, une chasteté sans tache conservons-le, ne le repoussons point par nos péchés ; car il nous abandonnerait, et en se retirant il nous laisserait pauvres et orphelins ; offrons-lui une sainte hospitalité, une demeure chaste, un corps mortifié ; soyons pour lui un temple, puisque c’est de nous qu’il est écrit : « Vous êtes le temple de Dieu, et l’Esprit de Dieu habite en vous[115] ». Si l’Esprit-Saint habite en nous, nécessairement le Père y habite également, parce que le Saint-Esprit est consubstantiel au Père et au Fils ; et là où habitent le Père et le Saint-Esprit, il est nécessaire que le Fils habite également, puisque le Fils n’a jamais été sans le Père, ni le Père sans le Fils, ni le Saint-Esprit sans le Père et le Fils ; car la Trinité est absolument indivisible, et cette Trinité est un seul Dieu. Donc, que dans aucun chrétien ne se trouvent les œuvres du démon.
5. Mes frères, mes fils, nous avons changé de Père, il est juste que nous changions d’héritage. Jusque-là le démon était notre père ; que Jésus-Christ le soit maintenant ; par conséquent délivrons-nous du péché et servons Dieu. Quel charme pouvons-nous trouver encore dans les choses mortelles ? Malgré nos efforts, pouvons-nous retenir notre vie fugitive ? Une plus grande espérance vient de briller sur la terre, Jésus-Christ Notre-Seigneur a daigné naître dans la plénitude des temps afin de relever les hommes terrestres par la promesse d’une vie céleste ; livrons-nous aux flammes de cette charité divine, et, pour Jésus-Christ, « regardons comme de l’ordure[116] » tout ce que nous voyons sur la terre ; car à la fin du monde tout cela sera détruit. A notre mort, sachons-le bien, nous n’emporterons rien que nos propres œuvres ; bonnes ou mauvaises, ces actions nous suivront au jour du jugement devant le tribunal de Jésus-Christ. N’hésitons donc pas à faire des choses passagères et périssables comme une monnaie pour acquérir les biens éternels ; « avec l’argent » que nous possédons, « faisons-nous des amis qui nous reçoivent dans les tabernacles éternels[117] » ; c’est-à-dire, attachons-nous les pauvres, les indigents, les faibles, les boiteux, les aveugles, les malheureux de toute sorte, afin que, aidés par leurs prières, nous méritions d’être introduits avec eux dans le royaume de Jésus-Christ, par la médiation de Jésus-Christ lui-même, dont nous célébrons aujourd’hui la naissance et qui est né miraculeusement du sein virginal de Marie, sans porter aucune atteinte à son intégrité. Cette intégrité, cette virginité sans tache de Marie est l’œuvre de la puissance divine ; mais j’admire encore davantage cette infinie miséricorde, car que nous aurait-il servi que le Fils de l’homme pût naître ainsi, s’il ne l’avait pas voulu ? Fils unique du Père, il naît aujourd’hui Fils unique de sa mère, et il naît de celle que lui-même avait créée pour en faire sa mère. Fils éternel du Père, il sort enfant d’un jour, du sein de sa mère ; son Père ne fut jamais sans lui ; et sans lui sa mère n’eût jamais été.
6. Vierges de Jésus-Christ, tressaillez de joie ; à vos rangs appartenait la Mère de Jésus-Christ. Vous n’avez pu enfanter le Christ, mais à cause de Jésus-Christ vous avez refusé d’enfanter. Celui qui n’est pas né de vous est né pour vous. Toutefois, si vous vous souvenez de ses paroles, comme vous devez vous en souvenir, vous êtes aussi sa mère, puisque vous faites la volonté de son Père. N’a-t-il pas dit lui-même : « Quiconque fera la volonté de mon Père, celui-là est mon frère, ma sœur et ma mère[118] ». Réjouissez-vous également, veuves de Jésus-Christ, parce qu’à Celui qui a rendu la virginité féconde vous avez voué la chasteté de la continence. Que la chasteté conjugale se réjouisse également ; soyez dans l’exaltation, vous tous qui vivez dans la fidélité avec vos épouses, et conservez dans votre cœur ce que vous avez perdu dans votre corps. Si, dans le mariage, la chair ne peut conserver son intégrité, que la conscience du moins reste vierge dans le cœur. Et comme Jésus-Christ est la charité, la paix et la justice, concevez-le par la foi, enfantez-le par les œuvres, afin que votre cœur fasse dans la loi de Jésus-Christ ce que le sein de Marie a fait dans la foi du Sauveur, et qu’ainsi vous méritiez l’accomplissement des promesses de Jésus-Christ, qui vit et règne dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

SEIZIÈME SERMON. LA NAISSANCE DE JÉSUS-CHRIST. (DIXIÈME SERMON.) modifier

ANALYSE. —1. La naissance de Jésus-Christ est pour tous une cause de joie. —2. Jésus-Christ vient pour relever le genre humain.


1. Notre-Seigneur est né aujourd’hui, et toute créature est invitée à la joie par ces paroles du Prophète : « Que les cieux se réjouissent et que la terre tressaille ; que la mer s’agite et toute sa plénitude[119] ». Par les cieux, entendez les chœurs des anges qui occupent les trônes célestes et qui, apparaissant aux bergers, font entendre cet hymne de joie : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté[120] ». La terre désigne la nature humaine ; et la mer le monde tout entier et tout ce qu’il renferme ; or, c’est à tout cet univers que la naissance de Jésus-Christ a procuré une joie immense. Jésus-Christ est né d’une Vierge, afin que nous naissions du Saint-Esprit. Celui qui a été engendré du Père avant tous les siècles, est né aujourd’hui d’une mère vierge. Engendré par Marie, il est demeuré dans le Père. Celui qui est éternellement a été fait ce qu’il n’était pas en demeurant ce qu’il était. Il n’était pas homme, et il s’est fait homme, selon cette parole de l’Apôtre : « Il est né d’une vierge, il s’est soumis à la loi, afin de racheter ceux qui étaient sous la loi[121] » ; mais il est demeuré ce qu’il était, c’est-à-dire Dieu. Sa naissance selon la chair a été le principe de notre salut, mais sans le priver de quoi que ce soit ; car elle nous a procuré l’adoption des enfants de Dieu, et Jésus-Christ est resté essentiellement dans la divinité avec le Père.
2. Celui qui était la grandeur infinie s’est abaissé, afin de nous relever de notre profond abaissement. En effet, avant la venue du Sauveur, la nature humaine gisait accablée sous le poids du péché. Il est vrai que c’était par sa volonté propre que l’homme s’était courbé sous le joug, mais il ne pouvait se relever par ses propres forces. Cet esclavage sous lequel gémissait la nature humaine nous est dépeint dans ces paroles du Prophète : « Je suis devenu malheureux, je suis écrasé jusqu’à la fin, et je marchais attristé pendant tout le jour[122] ». « Pendant tout le jour », c’est-à-dire pendant les siècles qui ont précédé la venue du Sauveur ; car alors le genre humain marchait tristement courbé vers la terre, et il ne trouvait personne qui pût le relever ni l’arracher à l’abîme du péché. C’est dans ce but que Notre-Seigneur est venu, et rencontrant cette femme courbée que « Satan retenait liée depuis dix-huit ans, sans qu’elle pût se redresser[123] », il la guérit lui-même par la puissance de sa divinité. L’état physique de cette femme était l’image de l’état moral du genre humain ; comme sa guérison est l’image de la liberté que nous a rendue le Sauveur en brisant les liens sous lesquels Satan nous retenait captifs, et en nous permettant de regarder le ciel. Si donc autrefois nous marchions dans la tristesse sous le poids de toutes nos misères, aujourd’hui regardons le médecin qui vient à nous, et tressaillons de joie[124].

DIX-SEPTIÈME SERMON. LA NAISSANCE LE JÉSUS-CHRIST. (ONZIÈME SERMON.) modifier

ANALYSE. —1. Jésus-Christ est descendu du ciel pour nous sauver. —2. Marie mère et vierge. —3. La virginité de Marie prouvée contre les Manichéens.


1. La sainte et glorieuse solennité de ce jour jette partout le plus vif éclat et apporte le salut au genre humain tout entier. Le Seigneur a vu la terre couverte de péchés et plongée dans l’abîme où l’avait précipitée l’ennemi de tout bien, mais il a daigné la secourir par Jésus-Christ. Il ne s’est pas contenté de ce qu’il faisait autrefois, d’envoyer des Prophètes pour prêcher aux hommes et les détourner des pièges de l’enfer. Le Père de famille a vu qu’il était méprisé dans la personne de ses envoyés ; il s’est dit à lui-même : « Que ferai-je ? ne dois-je pas leur envoyer mon Fils unique et bien-aimé ? Peut-être ils le respecteront[125] ». En effet, tout homme, fût-il juste, porte en lui-même la trace du péché, il participe aux misères communes, et a lui-même besoin de miséricorde ; « car tous cherchent leur propre gloire et non pas celle de Jésus-Christ[126] ». Le premier des Prophètes ainsi envoyés fut Moïse, ensuite Aaron, Isaïe, Jérémie, Élie et les autres, et aucun d’entre eux n’a pu nous procurer la guérison ; car pour cela il nous fallait voir Notre-Seigneur Jésus-Christ. Le Sauveur eut pitié de nous, il descendit vers nous, n’ayant en lui-même ni ruse ni péché, ni mélange d’aucun mal ; car il est la justice, l’innocence, la sainteté même, brillant « comme l’argent purifié au creuset, purifié sept fois[127] » ; loin d’avoir en lui-même aucun péché, il est venu pour condamner celui qui « a fait le péché et qui possédait l’empire de la mort[128] ».
2. Alors fut accompli cet oracle d’Isaïe : « Voici venir le Seigneur sur une nuée légère[129] ». Quelle est cette nuée légère, sinon la Vierge Marie, qui n’a, jamais ressenti le poids d’aucun péché ? Après le ciel, elle a pu porter le Seigneur, puisqu’elle a mérité de rester vierge après l’enfantement. Le Roi des auges s’est renfermé dans sa créature, et il a apparu parmi les hommes comme une perle éclatante et précieuse. Quelle et combien grande fut la Vierge Marie, qui a pu porter le Seigneur, quand le ciel et la terre sont impuissants à le contenir ; elle a porté dans son sein le Verbe fait chair, sans en ressentir aucun poids. Pourquoi ne ressentit-elle aucun fardeau ? parce que la lumière est impondérable. Quel fardeau pouvait ressentir la sainte Vierge Marie, puisque le Seigneur s’était reposé en elle « comme la pluie descend sur la toison[130] ? » Elle mit au jour la perle précieuse, et sa virginité n’en éprouva aucune atteinte.
3. Plusieurs hérétiques, et en particulier les Manichéens, soutiennent que le Seigneur n’a pu naître d’une femme. Le Manichéen s’écrie : Je ne reçois ni Moïse ni les Prophètes. Eh quoi, Manichéen ! que faites-vous donc de l’apôtre saint Paul qui prélude ainsi dans son épître aux Romains : « Paul, serviteur de Jésus-Christ, appelé à l’apostolat, a choisi pour l’Évangile de Dieu, qu’il avait a promis auparavant par ses Prophètes dans ales saintes Écritures, touchant son Fils qui a lui a été donné de la race de David selon la chair[131] ». C’est en vain, ô Manichéen, que vous vous élevez contre le Prophète, puisque l’Apôtre vous atteste que « le Fils de Dieu a été fait de la race de David selon la chair ». Ce que les Prophètes avaient prévu et annoncé, les Apôtres l’ont vu et prêché. Qu’était-il, et qu’a-t-il été fait ? Il était le Verbe, et le Verbe s’est fait chair ; le Fils de Dieu est devenu le Fils de l’homme. Il était Dieu, et il s’est fait homme ; il a revêtu notre humanité sans perdre sa divinité ; il s’est abaissé et il est resté le Très-Haut ; il s’est fait homme sans cesser d’être Dieu. Voici ce que nous dit lui-même le Créateur des hommes, le Fils de l’homme : Qu’est-ce qui vous scandalise dans ma naissance ? La convoitise n’est entrée pour rien dans ma conception ; je suis le créateur de la mère qui m’a donné la naissance ; j’ai moi-même préparé et purifié la voie que je devais suivre dans ma course. Cette femme que vous méprisez, ô Manichéens, c’est ma mère ; c’est moi qui l’ai créée de ma propre main. Si j’ai pu me souiller en la formant, j’ai pu me souiller en sortant de son sein. De même que, dans mon passage, sa virginité n’a subi aucune atteinte ; de même ma souveraine majesté n’a reçu aucune souillure. Le rayon du soleil peut dessécher un marais de fange, sans en être aucunement souillé ; combien plus la splendeur de la lumière éternelle peut-elle purifier tout ce qu’elle touche, sans en recevoir aucune souillure. Insensés, où donc trouvez-vous des taches en Marie, puisqu’elle a conçu en dehors de toute concupiscence, et qu’elle a enfanté sans aucune douleur ? Des souillures dans une mère vierge qui n’a jamais connu d’homme ? des souillures dans une demeure dont personne ne s’est jamais approché ? Dieu seul vint à elle ; il y prit un vêtement qu’il n’avait pas ; et, la trouvant fermée, il la laissa fermée. De même qu’« il est le seul libre entre les morts[132] », de même la pudeur de la Mère dont il est né est seule restée dans toute son intégrité ; car la Vierge a enfanté un Fils vierge et est demeurée vierge ; vierge avant l’enfantement, vierge après l’enfantement. Elle conçoit, et elle est vierge ; elle engendre, et elle demeure vierge. Eve par sa désobéissance a mérité le châtiment ; Marie par son obéissance a obtenu la grâce, parce qu’elle a engendré le Sauveur de tous les croyants, Celui qui vit avec le Père et le Saint-Esprit dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

DIX-HUITIÈME SERMON. LA NAISSANCE DE JÉSUS-CHRIST. (DOUZIÈME SERMON.) modifier

ANALYSE. —1. La naissance de Jésus-Christ, cause de notre joie. —2. Jésus-Christ à la fois Dieu et homme. —3. Le Verbe en s’incarnant conserve la forme de Dieu et prend la forme d’esclave. —4. Jésus-Christ a prouvé par ses œuvres qu’il est à la fois Dieu et homme.


1. Mes frères, je rends grâces au Seigneur notre Dieu de voir qu’il n’est point nécessaire de vous apprendre quelle est la solennité de ce jour, puisque votre dévotion a prévenu notre enseignement. Sur les mystères que nous célébrons, les oracles des Prophètes et de l’Évangile se sont réunis pour nous rappeler ce que la foi nous a déjà enseigné. Puissiez-vous donc, par la grâce de Dieu, conformer toujours, comme aujourd’hui, vos œuvres avec la lecture des Écritures ! puissiez-vous réaliser dans votre conduite la sainteté que vous prescrivent les commandements divins ! Notre Sauveur nous est né aujourd’hui, tressaillons de joie ; quand la source des joies nous apparaît, pourrions-nous être dans la tristesse ? Or, la joie convient à tous, parce que c’est pour tous que Jésus-Christ est né. Que personne donc ne se croie étranger à cette allégresse. Celui qui est juste doit se réjouir, parce qu’il recevra la récompense ; le pécheur doit se réjouir aussi, parce qu’il est appelé au pardon ; le païen lui-même doit se réjouir, parce qu’il est admis au salut. Pour nous le Verbe divin a revêtu notre humanité. Par cela même que nous refusons de nous séparer de Jésus-Christ, nous sommes en Jésus-Christ. Reconnaissons donc notre rédemption, reconnaissons notre salut. C’est se séparer de Jésus-Christ que de refuser d’appartenir au corps de Jésus-Christ. Mais, mes frères, puisque les Écritures célèbrent à l’envi la naissance de Jésus-Christ, étudions cette naissance ; voyons comment est né dans la plénitude des temps Celui qui est le créateur des siècles : « Car il a dit, et tout a été fait ; il a commandé, et toutes choses ont été créées[133]».
2. Or, mes frères, nous croyons de Jésus-Christ Notre-Seigneur qu’il est en même temps Dieu et homme ; Dieu consubstantiel au Père ; homme formé par sa Mère ; Dieu par sa propre nature ; homme parce qu’il s’est fait chair ; Dieu avant tous les siècles ; homme dans le temps ; Dieu avant le commencement des choses ; homme dans le cours des choses. Celui qui, au commencement, a tout créé par sa toute-puissance, vient aujourd’hui nous sauver par sa chair. La création fut le premier miracle de sa puissance ; la rédemption fut le second prodige de son amour. Mû par son infinie bonté, Dieu a voulu que la miséricorde nous rendît ce qui nous avait été ravi par le péché. Le Verbe est donc descendu afin de nous faire monter ; il a incliné les cieux, afin d’élever la terre ; il s’est fait participant de la nature de l’homme, afin de nous rendre participants de la nature divine ; car, selon l’Apôtre, « il a été fait de la femme, il a été fait sous la loi[134] ». Toutefois, quand on nous dit qu’une femme est devenue la Mère de Dieu, que personne ne s’offense de cette proposition. Vierge, elle a conçu par l’opération du Saint-Esprit, et le nom de femme n’est dû qu’à son sexe. L’Évangéliste que nous venons d’entendre lui donne le nom de vierge, et l’Apôtre celui de femme, afin de rendre plus éclatante aux yeux de tous la toute-puissance qui a présidé à son enfantement virginal, sans changer pour Marie sa condition de femme.

3. Notre Sauveur est donc né de la chair, mais non de la corruption charnelle ; il est né homme, mais n’a pas été engendré par l’homme. Il a pris notre chair, mais de manière à sauver l’honneur de sa majesté. Ainsi donc, en sauvegardant la pureté de sa naissance contre toute intervention de la corruption humaine, il s’est parfaitement soumis aux conditions de la nature humaine, mais sans s’éloigner en quoi que ce soit de la dignité de Dieu. Il passa dans ce monde tel qu’il s’était montré à sa naissance, dont il conserva la pureté par l’innocence de sa vie. C’est de lui seul, en effet, qu’il a été écrit : « Jamais le mensonge ne se trouva sur ses lèvres[135] » ; lui qui n’avait pas connu la corruption humaine dans sa conception, pouvait-il la connaître dans le reste de sa vie ? En effet, dit l’Apôtre, « il prit la forme d’esclave alors qu’il possédait la forme de Dieu[136]  ». Mes frères, tous les hommes avaient été esclaves du péché ; voilà pourquoi c’est à dessein que l’Apôtre nous dit du Sauveur qu’il ne prit que la forme d’esclave ; il revêtit substantiellement la nature humaine, mais sans en prendre les vices ; il eut la forme d’esclave, mais il n’en eut pas la culpabilité ; il eut de l’homme toute la nature, mais il n’eut pas la conscience du pécheur ; telle est la pensée de l’Apôtre : « Lorsqu’il était Dieu, il daigna prendre la forme d’esclave et parut réellement un homme ». Il avait de l’homme l’enveloppe extérieure, mais il possédait la puissance divine ; par le dehors il paraissait un esclave, mais dans sa nature il était Dieu ; extérieurement il montrait la faiblesse qu’il tenait de sa Mère, mais intérieurement il possédait la majesté de son Père ; extérieurement il n’avait que l’humble forme corporelle, mais intérieurement il brillait de tout l’éclat de la divinité.

4. Dans sa conduite au milieu des hommes, le Sauveur prouva sa double nature ; ses souffrances prouvèrent qu’il était homme, et ses miracles prouvèrent qu’il était Dieu. Il eut faim, et il multiplia les pains pour en nourrir ceux qui avaient faim. La faim qu’il ressentit prouvait qu’il était homme ; et en nourrissant miraculeusement la foule, il prouva qu’il était Dieu. Il pleura et consola ceux qui pleuraient. Ses larmes prouvaient qu’il était homme, et les consolations qu’il donnait aux autres prouvaient qu’il était Dieu. Il priait, et il exauçait les prières qu’il formulait. En priant, il montra qu’il était homme ; et en réalisant lui-même ce qu’il demandait, il montra qu’il était Dieu. En toutes choses il prouva ainsi sa double nature ; voilà pourquoi il est le Médiateur nécessaire entre Dieu et l’homme ; car, en inclinant les cieux, il a élevé la terre et il a réuni ces deux extrêmes dans une harmonie parfaite. Dieu et l’homme se trouvent réunis dans la personne de Notre Seigneur Jésus-Christ qui, sorti aujourd’hui du sein de la Vierge Marie, vit et règne éternellement avec Dieu le Père et le Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


DIX-NEUVIÈME SERMON. modifier

SUR L’ÉPIPHANIE DE NOTRE-SEIGNEUR.

ANALYSE. —1. Jésus-Christ révélé aux Juifs et aux Gentils. —2. Biens qu’il apporte aux uns et aux autres. —3. Les Mages l’adorent ; Hérode veut le faire mourir. —4. Massacre des Innocents. —5. Conclusion.
1. Il y a peu de jours, nous avons célébré, comme il vous en souvient, la naissance de Celui qui est appelé le Jour. En ce moment nous célébrons le mystère de sa manifestation, alors qu’il s’est révélé aux Gentils avec un éclat ravissant. En ce jour, selon le texte même de l’Évangile, les Mages vinrent d’Orient, cherchant le Roi des Juifs qui venait de naître, et s’écriant : « Nous avons vu son étoile en Orient et nous sommes venus l’adorer[137] ». Pour annoncer Jésus-Christ aux bergers d’Israël, nous avons lu que des anges étaient descendus du ciel ; et pour amener les Mages des confins de l’Orient au berceau du Sauveur, une étoile parut jetant un vif éclat dans le ciel. Soit qu’il s’agisse des Juifs avertis par des anges, soit qu’il s’agisse des Gentils guidés par une étoile étincelante, il est toujours vrai de dire que « les cieux ont raconté la gloire de Dieu[138] » ; et c’est par ces prémices de la foi des peuples à la nativité du Sauveur, « que notre pierre angulaire » s’est manifestée[139]. Ils ont cru, et bientôt ils ont prêché Jésus-Christ. Avertis par la voix des anges, les bergers ont cru ; les Mages aussi ont adoré, eux qui venaient de pays si éloignés. De son côté, Jésus-Christ, qui était venu « annoncer la paix à ceux qui étaient loin et à ceux qui étaient près[140] reçut », dans la paix chacun de ces peuples ; car « il est lui-même notre paix, ayant formé des uns et des autres l’unité[141] », c’est-à-dire de tous les peuples dont il avait reçu les prémices au moment de sa naissance ; cette unité, cependant, ne commença à se réaliser qu’après le grand miracle de l’Ascension.

2. Isaïe avait entrevu cette unification des peuples par Jésus-Christ, quand il s’écriait « Le bœuf connaît son possesseur, et l’âne l’étable de son maître[142] ». Le bœuf désigne ici les Israélites courbés sous le joug de la loi ; les Gentils sont désignés par l’âne, animal immonde, parce que l’impureté de l’idolâtrie séparait ces Gentils des Israélites adorateurs du vrai Dieu ; et cependant ces Gentils, comme les Juifs, devaient venir à l’étable, et après y avoir été purifiés par la foi de Jésus-Christ, participer à la table commune du corps de Jésus-Christ. C’est ainsi que le Seigneur, s’adressant à l’Église formée des deux peuples, disait : « Venez à moi, vous tous qui souffrez et êtes chargés de quelque fardeau, et je vous soulagerai. Prenez sur vous mon joug, et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes. Car mon joug est doux et mon fardeau est léger[143] ». Comme s’il eût dit au bœuf : « Mon joug est doux », et à l’âne : « Mon fardeau est léger ». Aux Juifs courbés sous le joug écrasant de la loi, il disait : « Mon joug est doux » ; aux Gentils plongés dans les voluptés naturelles et refusant le fardeau salutaire des préceptes, il disait : Pourquoi restez-vous rebelles ; pourquoi refusez-vous d’accepter le fardeau ? « Mon fardeau est léger ».

3. Aux Mages qui, à leur arrivée, demandaient où était né le Christ, les Juifs firent connaître le lieu de sa naissance, et cependant restèrent immobiles. Dans tous les livres des Prophètes, les Juifs trouvent clairement désignés Jésus-Christ et son Église, et cependant ce n’est point par eux, mais par les Gentils, que Jésus-Christ est adoré. De son côté, l’impie Hérode, apprenant des Mages la naissance du Roi des Juifs, frémit aussitôt pour sa couronne, et se flattant, « malgré l’Ange du Grand Conseil[144] », de triompher de ses alarmes par l’habileté de ses desseins, prend deux moyens, à ses yeux infaillibles, de s’assurer la victoire : le mensonge et la cruauté. D’abord, il ment aux Mages quand il leur dit : « Allez donc, informez-vous avec soin de l’enfant, et quand vous l’aurez trouvé, empressez-vous de m’en instruire, afin que j’aille moi-même et que je l’adore[145] » ; il feint ainsi de vouloir adorer Celui qu’il désirait tuer. Déçu dans ses desseins, il ordonna d’immoler, dans toute la Judée, les enfants qui pourraient avoir le même âge que Jésus-Christ. Horrible cruauté dictée par l’ambition, et qui fit couler inutilement des flots de sang innocent !

4. Vous le voyez, mes frères, Jésus-Christ est encore porté dans les bras de sa Mère, et déjà il multiplie les prodiges. Petit enfant, il triomphe d’un roi puissant ; sans armes, il se joue de la force armée ; enveloppé de langes, il dédaigne ce prince couvert de la pourpre ; couché dans une crèche, il se joue du tribunal d’un roi ; silencieux, il a ses hérauts ; caché, il trouve des témoins. Hérode, vous usez de cruauté, et parmi les persécuteurs du Christ, vous tenez le premier rang. Mais Celui « qui a le pouvoir de donner sa vie[146] », n’a rien à craindre de votre colère. L’aiguillon de la crainte peut vous agiter, vous pouvez brûler des feux de la fureur ; mais, pour Jésus-Christ, le temps n’est point encore venu de mourir. Toutefois, s’il vous faut satisfaire votre affreuse cruauté, faites des martyrs de Jésus-Christ. Arrachez aux embrassements des nourrices ceux que vous n’arracherez pas aux embrassements des anges. Qu’ils quittent le sein maternel pour s’élever au-dessus des astres ; qu’ils échappent aux larmes de leurs mères pour se couvrir de la gloire des martyrs ; qu’ils quittent les bras de celles qui les portent, afin qu’ils parviennent à la couronne immortelle ; qu’ils soient témoins, eux qui ne peuvent encore parler ; qu’ils rendent témoignage, ceux qui n’ont pas encore l’usage de la parole, et que ceux qui, par leur âge, ne peuvent prononcer le nom de Jésus-Christ, commencent, par sa grâce, à confesser Jésus-Christ. Hérode, vous ne connaissez pas l’ordre des décrets divins, et voilà ce qui vous trouble. Jésus-Christ est venu sur la terre, non point pour s’emparer de votre trône, mais pour subir des humiliations de toute sorte ; non pas pour s’enivrer des flatteries des peuples et de leurs adulations, mais pour s’élever sur la croix que lui auront assignée les clameurs des Juifs ; non pas pour faire scintiller sur son front le diadème royal, mais pour être méprisé sous une couronne d’épines.

5. Nous, mes frères, pour qui tout a été fait, pour qui le Très-Haut s’est humilié si profondément, pour qui un Dieu s’est fait homme, pour qui notre Créateur a été créé, pour qui notre pain a daigné avoir faim, et passant tant d’autres titres, nous pour qui notre vie a goûté les horreurs de la mort, vivons de telle sorte qu’au moins en quelque manière nous nous rendions dignes d’un si grand bienfait ; marchons sur les traces mortelles de l’humilité de Jésus-Christ, afin que nous recevions de lui la récompense éternelle.


VINGTIÈME SERMON. modifier

AVANT PÂQUES, SUR LE JEÛNE, LA MISÉRICORDE ET LE BAPTÊME.

ANALYSE. —1. Le jeûne, l’aumône et le baptême plus spécialement requis aux approches de la fête de Pâques. —2. Apostrophe à ceux qui diffèrent la réception du baptême ; —3. Et à ceux qui négligent le jeûne. —4. Conclusion.

1. A l’approche de la fête de Pâques, le Seigneur exige trois choses de son peuple : le jeûne, les œuvres de miséricorde et la foi du saint baptême. Ces pratiques, sans être excessives, sont tellement agréables à Dieu qu’il les prescrit dans sa miséricorde, comme il les prescrit également dans sa colère. En effet, le Seigneur dit aux prêtres : « Sanctifiez les jeûnes, annoncez la guérison, rassemblez les vieillards et tous les habitants de la terre, dans la maison du Seigneur votre Dieu ; priez le Seigneur, et il vous exaucera[147] ». L’Évangéliste nous prouve également que Dieu commande les œuvres de miséricorde : « Donnez et il vous sera donné[148] ». Quant à la foi du baptême nous lisons : « Dans le dernier grand jour de fête, Jésus se tenait debout et criait à haute voix : Que celui qui a soif vienne à moi et qu’il boive[149] ». Ailleurs : « Celui qui aura bu de l’eau que je donne n’aura plus soif éternellement[150] ». Or, je vois que, à l’exception d’un petit nombre, personne n’a soif du baptême, quoiqu’on soit dévoré par de grandes fièvres, et par les feux les plus ardents. Ce n’est point sans raison que Dieu, dans tout le cours de l’année, exige le jeûne, l’aumône et la foi de ceux qui refusent encore de croire. Ce n’est pas sans raison qu’il confère aux malades qui en sont dignes ce baptême qu’ils ont refusé à Pâques, sous le vain prétexte qu’ils étaient joyeux, sains et vigoureux. L’Apôtre n’a-t-il pas dit : « Voici que plusieurs d’entre vous sont infirmes et malades, et plongés dans un profond sommeil. Que si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions point jugés ; mais en nous jugeant le Seigneur nous châtie pour nous épargner le malheur d’être condamnés avec ce monde ?[151] » Rien n’est plus pénible que la souffrance, rien n’est plus cruel que la maladie, rien n’est plus doux que la santé ; mais pour le salut, rien n’est plus utile que le jeûne. Toutefois la prescription en est dure ; mais ne regarde-t-on pas comme très salutaires les remèdes qu’un médecin prescrit pour détruire la maladie ? O opiniâtre mortalité ! n’est-ce pas elle cependant qui sert à prouver l’utilité du jeûne ? Accomplissez pour Dieu les jeûnes que vous imposent les évêques, si vous ne voulez pas qu’ils vous soient imposés par les médecins, selon cette parole de Salomon : « Ne vous flattez pas de sagesse à vos propres yeux, mais craignez le Seigneur, et abstenez-vous de tout ce qui est mal. Alors vous jouirez de la santé dans votre corps et de la vigueur dans vos ossements[152] ». Jeûnez pour Dieu, puisque vous avez la santé, si vous ne voulez pas jeûner sous les étreintes de la fièvre.
2. Parlons d’abord du baptême. « Jésus », dit l’Évangile, « criait à haute voix : Que celui qui a soif vienne à moi et qu’il boive ». Le Fils de Dieu nous appelle et il est méprisé, dédaigné ; il invite les peuples à la grâce, et on se joue de ses instances. Il presse chacun de nous d’implorer sa clémence. Il nous prépare une source très-pure et unit la foi du saint baptême au sacrement de sa passion. Il nous appelle tous à la foi, mais par amour pour leur propre péché des malheureux refusent la grâce qui leur est offerte. Mais vienne pour eux un commencement de correction, tin commencement de rénovation, et ils se voient contraints de vouloir ce qu’auparavant ils ont refusé. Ils réclament à grands cris ce qu’ils ont négligé de recevoir lorsque Jésus-Christ les appelait. C’est alors que les voisins ou les parents du malade accourent vers nous en disant : Serviteurs de Dieu, bâtez vos pas, venez au secours, sauvez ceux qui vont mourir. Le trouble nous saisit, nous accourons ; la crainte est encore plus vive pour nous que pour eux ; celui qui ne reçoit pas pour vivre, reçoit du moins pour ne pas mourir. Écoutons l’apôtre saint Paul : « Que font ceux qui sont baptisés pour leurs morts, si les morts ne ressuscitent pas ? Pourquoi donc sont-ils baptisés ? Pourquoi sommes-nous en danger à chaque heure, mourant chaque jour ? C’est ainsi que je jouirai de votre gloire que je possède dans le Seigneur. Si, contraint par les hommes, j’ai combattu les bêtes féroces à Ephèse, quel avantage m’en restera si les morts ne ressuscitent pas ? Mangeons et buvons, car nous mourrons demain. Ne vous laissez point séduire ; les conversations mauvaises corrompent les bonnes mœurs[153] ».
3. Isaïe, dans un langage énergique, apostrophe les hommes qui négligent le jeûne « Vous dites : mangeons et buvons, car nous « mourrons demain. Ce péché ne vous sera « pas remis jusqu’à ce que vous mouriez[154] ». Si vous désespérez de vivre, servez Dieu pendant que vous vivez ; car vous mourrez demain. Vous êtes pressé par la brièveté du temps, et plus la foi de Dieu s’impose à vous dans sa nécessité, plus, chaque jour, vous mettez votre vie en opposition avec la foi. O homme ! si vous étiez immortel, que feriez-vous donc, puisque dans le moment même que la mort vous menace vous méprisez les préceptes de Dieu ? Goûtez de toute sorte de nourritures, chargez votre corps d’aliments et dormez. Donnez libre cours à votre intempérance, insultez Dieu dans les bienfaits dont il vous comble pour vous nourrir et vous vêtir. Pendant que le peuple jeûne, vous faites des festins ; quand le peuple fera des festins, vous jeûnerez. C’est un Prophète qui a dit : « L’un a faim, et l’autre est dans l’ivresse[155] ». Il condamne les caprices de votre estomac, ses plaintes et les vices engendrés par la bonne chère ; la privation de ces excès est pour vous une souffrance ; comment donc l’Apôtre vous excuserait-il, lui qui condamne à manger des légumes celui qui n’usait de viande qu’en vue de Dieu ou pour ménager son estomac ? « Que celui qui est faible », dit-il, « mange des légumes[156] » ; et ailleurs : « Ce n’est pas la viande qui nous donne du prix devant Dieu[157] ».
4. La loi prescrit ce que le prêtre commande. Elle prescrit les jeûnes, qui sont toujours jours le meilleur remède aux maladies et à l’embarras des affaires. Celui qui ne jeûne pas en temps opportun, jeûnera dans les moments les plus défavorables. La loi de la miséricorde réclame la partie refusée aux pauvres. Elle réclame les gains impies opérés par un méchant au détriment d’un pauvre débile. Elle exige chaque jour que ceux qui doivent être baptisés rendent compte du nombre des années qu’ils ont perdues, et l’obligation qui pesait sur un jour continue à peser sur l’année tout entière. C’est donc en vain que vous essayez de vous soustraire à votre devoir par indévotion ; ce devoir reste pour vous obligatoire pendant toute l’année. La nécessité vous impose ce qu’a repoussé le dérèglement de votre volonté.



VINGT ET UNIÈME SERMON.
SUR LA FÊTE DE PÂQUES. PREMIER SERMON.

ANALYSE. — 1. La fête de Pâques nous provoque à la joie, parce que tout y est nouveau. — 2. La grâce de Jésus-Christ mourant, ressuscitant, montant au ciel. — 3. Jour de joie et de reconnaissance. — 4. Épilogue.

1. Une lumière éclatante brille pour nous aujourd’hui, parce que le bon Larron est entré dans le ciel sur les pas du Roi des rois. La foule des morts s’est levée, et la conscience des vivants a triomphé. Contemplez l’Église, voyez la multitude des élus, les légions des anges, l’armée des fidèles entourant le précieux autel du Seigneur. La foule est dans la joie, parce que le Seigneur des anges est ressuscité. Les morts sont sortis des enfers et sont redevenus vivants, les hommes sont sortis purifiés de la source d’eau vive et entièrement renouvelés ; Dieu, dans sa bonté, a pris soin de ressusciter les morts et de renouveler en nous le vieil homme, selon cette parole de l’Écriture : « L’ancien a disparu, tout est devenu nouveau[158] ». Voilà pourquoi nous nous écrions tous : « Voici le jour que le Seigneur a fait ; réjouissons-nous et tressaillons d’allégresse[159] ». Comment les morts se sont-ils réjouis en sortant de leur tombeau ? Comment ceux qui ont repris naissance ont-ils tressailli d’allégresse en sortant de la source sacrée ? Ceux-là ont chanté le cantique nouveau sur la vie nouvelle, et ceux-ci ont chanté l’Alleluia en recevant la grâce précieuse. Disons tous : C’est le jour de la lumière, le jour du pain, afin que nous ne soyons plus soumis ni à la faim ni aux ténèbres ; rassasions-nous, au contraire, du pain de la grâce, et non pas de l’obscurité des nations barbares, car aujourd’hui l’armée des Anges se réjouit avec nous. Que personne ne désire plus le pain matériel, car aujourd’hui est ressuscité « le pain vivant qui est descendu du ciel[160] ». Aujourd’hui les chaînes des enfers sont rompues, que les chaînes de tous les péchés se rompent également.

2. Que notre mère la sainte Église surabonde de joie dans la personne de tous ses enfants. Venez, Seigneur, et dites-nous « La paix soit avec vous, n’ayez aucune crainte[161] », et nous jouirons d’une grande sécurité, car en célébrant la loi nous posséderons en toutes choses la lumière éternelle et nous dirons : « Si je marche au milieu des ombres de la mort, je ne craindrai aucun mal, parce que vous êtes avec moi, Seigneur[162] ». Soyez donc avec nous, Seigneur, afin que nous n’ayons plus à craindre les ombres de la mort et que nous nous réjouissions éternellement en Notre-Seigneur Jésus-Christ souffrant, ressuscitant et montant au ciel. Par lui puissions-nous nous élever et nous convertir au Seigneur. Le Seigneur est né, et le monde a repris naissance ; il a souffert, et l’homme a été sauvé ; il est ressuscité, et l’enfer a gémi ; il est monté au ciel, et le trône paternel a tressailli de joie. Pendant que le Sauveur souffrait, les morts ressuscitaient et les vivants se réjouissaient ; lorsqu’il ressuscita, les captifs sentaient leurs chaînes disparaître, et les anges ne pouvaient contenir leur joie ; quand il monta au ciel, les esprits célestes furent enivrés de bonheur, et les Apôtres furent attristés ; « mais leur tristesse se changea en joie[163] », et dissipa les ténèbres qui les retenaient dans l’erreur. C’est ainsi que pour nous, après la nuit de labeur, rayonne la joie de la lumière à la splendeur du Dieu Sauveur, selon cette parole : « Vous avez changé ma tristesse en joie[164] ».

3. La mort de Jésus-Christ déchirait le voile du temple, brisait les cœurs les plus durs, couvrait la nature d’épaisses ténèbres et inondait nos visages de clartés spirituelles, afin « de nous faire contempler la gloire du Seigneur à visage découvert[165] ». Un voile mystique enveloppait la loi ancienne ; ce voile a été déchiré ; « la nuit a précédé, le jour s’est approché[166] ». Car voici « Le jour que le Seigneur a fait, qu’il soit pour nous un sujet de joie et d’allégresse[167] ». Tous les jours sont l’œuvre de Dieu, mais celui-ci a été marqué de son sang. Les morts ressuscités se sont réjouis, combien plus la joie de ce jour doit-elle nous faire tressaillir. Ces morts parcouraient la cité sainte ; pour nous, nous irons à la sainte Église ; ils se réunissaient au banquet des saints, pour nous, nous participerons à la table des mystères de Dieu. Que l’armée des anges s’associe à notre joie et à notre banquet, offrons nos présents, élevons nos cœurs et modulons sur nos cithares ce chant d’allégresse : « Je monterai à l’autel de Dieu, au Dieu qui réjouit ma jeunesse[168] ». Nos iniquités sont pardonnées, nos chaînes sont rompues ; car c’est Dieu lui-même qui réjouit notre âme ; disons donc de nouveau : « Voici le jour que le Seigneur a fait, réjouissons-nous et tressaillons d’allégresse ».

4. Que personne ne s’attriste s’il se sent pressé par de vives exhortations de prendre la vie plutôt que sa dignité. Quelle que soit, d’ailleurs, la simplicité de son vêtement, qu’il lui suffise de briller par les qualités de l’esprit et du cœur ; car il possédera de cette manière la plus belle gloire, celle de trouver sa joie, non pas dans un vêtement, mais dans la sainteté de ce grand jour. En effet, on ne nous dit pas : Tressaillons dans notre vêtement ; mais : « Réjouissons-nous en ce jour ». Ce jour ne connaît pas les ténèbres, parce que lui-même le premier a dissipé les ténèbres ; il ne connaît pas l’obscurité, puisqu’il a chassé toute obscurité ; il ne connaît pas la calomnie et la suggestion du mal, parce que sur la croix il a détruit nos titres au châtiment. Par son innocence le Rédempteur nous a mérité l’élection divine, le calomniateur s’est enfui, le père du mensonge a perdu sa cause. Jour d’indulgence, jour de rémission, jour de délivrance ! La joie fait tressaillir les vivants, et les morts éprouvent un soulagement ineffable. Ce jour joyeux, large, libre et éclatant, « est comme mille années en présence de Dieu[169] » ; car « c’est vraiment le jour que Dieu a fait ». Celui qui, toute sa vie, persévérera dans l’amour de Dieu, méritera de se réjouir éternellement dans ce jour, dans lequel les saints feront entendre des chants d’allégresse, seront inondés de toutes les splendeurs, partageront les joies du Sauveur et diront et répéteront en chœur : « Voici le jour que le Seigneur a fait, réjouissons-nous et tressaillons d’allégresse ».

VINGT-DEUXIÈME SERMON.
SUR LA FÊTE DE PÂQUES.
DEUXIÈME SERMON.

ANALYSE. — 1. Au moment où les disciples étaient en proie à la tristesse la plus profonde et les Juifs à une surveillance inutile, Jésus-Christ ressuscite. — 2. Il sort du tombeau scellé comme il était sorti du sein immaculé de sa mère. — 3. À la vue de l’Ange les saintes femmes et les disciples se réunissent, mais les Juifs frémissent de colère. — 4. La défaite des démons et des Juifs est pour les gentils une source abondante de lumières. — 5. Nous participons à la victoire de Jésus-Christ.

1. Frères bien-aimés, dans ce jour saint, illustre et glorieux, dans ce jour dont le Psalmiste a dit : « C’est le jour que le Seigneur a fait[170] », dans cet heureux jour la tristesse a disparu du cœur des disciples et le voile de la confusion s’est étendu sur les yeux des Juifs. En ce jour de la résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ, les disciples étaient d’abord remplis de tristesse ; chacun d’eux s’éloignait où il pouvait, et personne n’était plus là pour les rassembler depuis que s’était accomplie cette parole : « Je frapperai le pasteur, et les brebis du troupeau seront dispersées[171] ». Toutefois le tombeau était revêtu du sceau des Juifs et entouré de soldats qui en défendaient l’entrée ; mais intérieurement ce tombeau était inondé d’une lumière dont rien ne pouvait empêcher la diffusion. Nous pouvons lier ce que nous revêtons de notre sceau ; mais nous ne pouvons lier la lumière. Voilà pourquoi Jésus-Christ, lumière éternelle qui a éclairé le monde dès le commencement, Verbe coéternel au Père, lequel Verbe est et sera toujours avec le Père dans l’unité du Saint-Esprit, formant ainsi un seul Dieu dans la Trinité des personnes, et la Trinité dans l’unité ; Jésus-Christ, disons-nous, Dieu et homme tout ensemble, lumière admirable et vérité infinie, a daigné toucher nos cœurs afin d’illuminer ce qui était obscur et d’ouvrir ce qui était fermé. C’est à la parole d’un Ange qu’il s’était incarné dans le sein de Marie, c’est encore un Ange qu’il prend pour témoin de sa résurrection, comme si le sceau apposé sur le sépulcre pouvait nuire à Celui que nulle imposture ne pouvait atteindre. Des gardiens étaient consignés et ils remplissaient leur mission. Ne savaient-ils pas que Celui qu’ils gardaient avait le pouvoir de faire des miracles, de chasser les démons, de guérir les lépreux, de ressusciter les morts ? Celui qui pouvait ressusciter les autres ne pouvait-il donc pas s’arracher lui-même au tombeau ?

2. Mais dans l’aveuglement de leurs cœurs, la foule des juifs, armés de la loi qu’ils ne comprenaient pas, chantaient le psaume troisième, mais ne connaissaient pas l’unité de Dieu dans la trinité des personnes. Le psaume troisième porte. « J’ai dormi et j’ai pris mon sommeil, et je suis ressuscité parce que Dieu m’a reçu[172] ». Or, pendant que ces Juifs, attentifs aux événements, se préparaient à couvrir de confusion les disciples, ils méritèrent de se sentir eux-mêmes écrasés sous le poids de la honte. Ils dirent à Pilate : « Scellons le tombeau, parce que ce séducteur a dit qu’il ressusciterait le troisième jour. Qu’on place donc des soldats, disent-ils, dans la crainte que les disciples ne viennent et ne l’emportent[173] ». Mais si le tombeau était fermé aux disciples, pouvait-il être fermé aux saints Anges ? Ne pouvait-il sortir du tombeau scellé, Celui qui avait pu naître d’une Vierge immaculée ? Votre Vierge a été scellée, votre sépulture l’a été également. Votre Vierge a engendré en dehors de tout concours de l’homme, et le sceau apposé sur le tombeau a été parfaitement inutile. Ces gardes que vous avez postés au sépulcre ne sont plus des gardes, mais des témoins. Ils pouvaient garder, mais Dieu avait envoyé sols Ange pour ressusciter son Fils. En effet, l’Ange du Seigneur était descendu du ciel ; à cette vue les gardiens sont saisis de terreur et d’effroi ; ils n’ont pu contempler la sublimité de cet ange, parce qu’ils étaient tout remplis de la fourberie des Juifs.

3. Les saintes femmes purent contempler l’ange de la résurrection, parce qu’elles étaient venues en pleurant au tombeau, et elles purent entendre cette parole d’une joie indicible : « Je sais que vous cherchez Jésus crucifié : il n’est plus ici, il est ressuscité, comme il l’avait annoncé ; venez et voyez la place où le Seigneur avait été déposé[174] ». Quel sujet de joie non-seulement pour ces femmes, mais aussi pour tous les chrétiens et les vrais croyants ! Jésus est ressuscité, dit l’ange, et David, rempli du Saint-Esprit, avait déjà prophétisé ce grand événement dans cette courte parole : « Le Seigneur est ressuscité comme s’il n’eût été qu’endormi[175] ». Pourquoi recourir à de plus longs développements ? Que la foi suffise pour recevoir ce que le langage est impuissant à décrire. Qui peut comprendre l’œuvre salutaire accomplie dans cette nuit qui vient de s’écouler ; qui peut concevoir la splendeur de ce jour ? Ce jour a causé à tous les chrétiens une joie immense, et, grâce à Jésus-Christ, il restera pour nous le plus beau de tous les jours. « Réjouissons-nous, mes bien-aimés, et tressaillons d’allégresse ; car c’est le jour que le Seigneur a fait[176] ». Je crois, mes Frères, que c’est le seul jour qui mérite à nos yeux le nom de grand. Car ce jour brille dans les ténèbres, « et les ténèbres ne l’ont point compris[177] ». J’appelle ténèbres ces Juifs qui, en niant Jésus-Christ la vraie lumière, et en criant : « Crucifiez, crucifiez-le[178] », sont devenus en plein jour les ténèbres les plus épaisses. Parce que les Juifs ont voulu se saisir de Jésus-Christ pendant la nuit, ils ont été condamnés à rester dans les ténèbres.

4. Quant aux Gentils et aux nations étrangères, en renonçant aux ténèbres des idoles elles ont mérité de devenir le jour, selon cette parole de l’Apôtre : « Jésus-Christ nous a arrachés à la puissance des ténèbres et nous a transférés dans le royaume de sa majesté[179] ». Nous lisons également : « Nous sommes les enfants de la lumière et les enfants du jour, et non pas les enfants de la nuit ou des ténèbres ; marchons donc honnêtement à la lumière du jour[180]». « Réjouissons-nous » donc, mes frères, avec tous ces gentils ; car c’est le jour que le Seigneur a fait ». Serpent, à quoi vous a servi votre iniquité ? et quels profits avez-vous retirés de votre cruauté ? Juifs, Celui que vous avez cloué à la croix est ressuscité. Vous le croyiez mort, et il vient de se montrer plein de vie. Juif cruel, fais sceller avec soin le sépulcre ; aposte des soldats de garde pour surveiller tous les secrets de la nuit, afin de prouver la mort de Celui que tu n’as pas voulu reconnaître vivant. À Judas tu as donné une somme d’argent, afin qu’il consentît à livrer son Maître à la mort ; donne aussi de l’argent aux soldats de garde, afin qu’ils publient faussement que Jésus a été enlevé par ses disciples. Versez l’argent, Juifs endurcis, versez l’argent pour assurer la perpétration de votre crime ; pourtant, c’est en vain que vous veillez autour de notre tombeau. Jésus est déjà ressuscité, il est déjà monté au ciel, il est déjà glorifié pour nous, lui qui pour nous s’était humilié profondément. Que ferez-vous donc, vous qui, après avoir été les amis de Dieu, vous êtes faits ses ennemis acharnés ? Celui que, par jalousie, vous avez attaché à la croix, est maintenant assis dans le ciel à la droite de son Père ; c’est lui qui nous « est venu au nom du Seigneur[181] ».

5. « Le Seigneur Dieu a brillé du plus vif éclat à nos yeux[182] », il nous a inondé de sa lumière et « il vous a foulés aux pieds[183] ». Le Seigneur a fait plus en notre faveur, qu’il n’avait promis à son Fils. Car qu’a-t-il fait, et qu’a-t-il promis à son Fils ? Le Psalmiste s’écrie : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je réduise vos ennemis à servir d’escabeau à vos pieds[184] ». Voici donc que Jésus-Christ siège au ciel à la droite de son Père, et sur la terre il a soumis les Juifs à nos pieds. Pourquoi, ô Juif féroce, vous êtes-vous emparé du Sauveur pour le faire mourir ? Si vous conserviez pour vous ce que vous aviez acheté, vous ne perdriez pas ce que vous aviez. Vous avez perdu votre argent, et Celui que vous avez acheté avec cet argent vient de vous échapper.

VINGT-TROISIÈME SERMON.
SUR LA FÊTE DE PÂQUES.
(TROISIÈME SERMON.)

ANALYSE. — 1. Le corps de Jésus-Christ est dans le tombeau, et son âme est descendue dans les limbes. — 2. Résurrection de Jésus-Christ. — 3. Protestation de saint Pierre en réparation de son renoncement.

1. « Notre Dieu, roi avant tous les siècles, a opéré notre salut au milieu de la terre[185] ». En Jésus-Christ l’homme souffrait, mais la divinité agissait. L’homme a pu goûter les douleurs de la Passion ; mais quelle atteinte pouvait être portée à la puissance divine ? Dans le divin Crucifié nous trouvons la chair, le sang et l’âme qui était la vie de son corps, et comme son âme n’a pu mourir, son corps seul a été déposé dans le tombeau. De son côté, cette âme toujours unie à la Divinité prenait possession du fruit de sa victoire et tirait les élus des limbes où ils étaient renfermés. La divinité en Jésus-Christ pouvait-elle mourir quand son âme elle-même bravait les atteintes de la mort ? Aucune souillure ne l’avait infectée ; elle souffrit, il est vrai, puisqu’elle appartenait à l’humanité du Sauveur, mais en même temps elle partagea les gloires de la divinité. La mort atteignit le corps de Jésus-Christ ; mais sa divinité, triomphant du trépas, se couronna des dépouilles de la mort et les transporta glorieuses dans les cieux. À son approche les vertus célestes interpellent les princes de la mort en ces termes : « Princes, élevez vos portes, et vous, portes éternelles, élevez-vous, et le Roi de gloire entrera[186] ». Le Seigneur Jésus fait briller la lumière de la vérité aux yeux de ceux qui sont assis dans les ténèbres et à l’ombre de la mort, et leur annonce la délivrance. À la vue de leur triomphateur rayonnant de tant de gloire, les auteurs de la mort s’écrient d’une voix craintive : « Quel est ce roi de gloire ? » Et ils reçoivent cette réponse : « C’est le Seigneur fort et puissant, c’est le Seigneur puissant dans la guerre[187] ». O guerre enfin terminée ! Guerre sur la terre, guerre dans les enfers ! Par son innocence Jésus-Christ a vaincu le siècle, et par sa mort il a vaincu la mort.

2. « Voici que le lion de la tribu de Juda a vaincu[188] » ; il a délivré ceux que le démon retenait captifs et en revenant des limbes il emmenait avec lui le butin qu’il avait fait sur la mort. Tel est Celui qui « n’ayant ni forme ni beauté[189] » a montré dans sa résurrection non-seulement de la beauté, mais de la force ; il paraissait faible dans la lutte, mais il se montra fort dans le succès ; il paraissait méprisable dans son corps humilié, mais il se montra puissant dans le combat ; la mort le couvrit de honte, mais la résurrection l’inonda de splendeur ; il sortit du sein de sa Mère dans toute la blancheur de l’innocence, et sur la croix il parut tout couvert de son sang ; dans les opprobres il parut anéanti, au ciel il brille d’un éclat incomparable. Mes frères, glorifions donc le Seigneur « qui a, jusqu’à ce point, aimé le monde[190] », qu’il n’a pas craint de verser pour lui tout son sang. Il est ressuscité, chaque jour cette résurrection nous est attestée par le témoignage des évangélistes. Il est sorti glorieux du tombeau, et « voici qu’il est avec nous, tous les jours, jusqu’à la consommation des siècles[191] ».

3. L’Évangile vient de vous apprendre également que le Sauveur a confié au bienheureux Pierre la conduite de son troupeau : Pais mes brebis avec discipline. Pierre, qui avait renié trois fois par crainte est interrogé trois fois sur son amour. Pour expier sa faute, il avait déjà versé d’abondantes larmes quand le Sauveur, dans sa Passion, abaissa sur lui son regard, et « il pleura amèrement[192] ». Afin donc de se réintégrer dans sa profession de foi, il dut formuler une protestation de cet amour qu’il avait perdu par crainte. C’est ainsi, mes frères, que le bienheureux Pierre confesse ouvertement Celui qu’il avait nié par crainte devant une servante, et celui qui, en présence d’une femme, avait nié sa propre vie, accepta plus tard, pour Jésus-Christ, la mort sur la croix et mérita la palme du martyre. Qu’il reste donc en communion avec Pierre, celui qui veut avoir part à l’héritage de Jésus-Christ, de qui nous vient toute bénédiction.

VINGT-QUATRIÈME SERMON.

SUR LA FÊTE DE PÂQUES.

(QUATRIÈME SERMON.)



ANALYSE. — 1. Jésus-Christ est sorti du sein de Marie comme il pénètre au milieu des Apôtres, les portes fermées. — 2. La conduite même de ses ennemis est une excellente preuve de sa résurrection. — 3. La résurrection est également prouvée par le témoignage de l’Ange. — 4. Apparition du Sauveur à Marie-Madeleine.

1. « Le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous[193] ». « Le Verbe s’est fait chair », et comment s’est-il fait chair ? Nous l’ignorons. Dieu nous atteste cette vérité, mais elle est pour nous un mystère. Je sais que « le Verbe s’est fait chair », et j’ignore comment il s’est fait chair. Vous vous étonnez de cette ignorance ? Elle est le partage de toute créature. « Car le mystère qui a été caché dans tous les siècles a été révélé dans notre siècle[194] ». Quelqu’un me dira peut-être : Puisque ce mystère a été révélé, comment pouvez-vous dire encore que vous l’ignorez ? Dieu nous a révélé ce qui a été fait, mais le comment reste pour nous un mystère. Isaïe s’écriait : « Qui racontera sa génération[195] ? » Et cependant lui-même avait dit précédemment : « Voici qu’une vierge concevra dans son sein et enfantera[196] ». Ces dernières paroles nous attestent ce qui a été fait, tandis que les premières : « Qui racontera sa génération ? » nous prouvent que si nous savons qu’il est né, nous ne savons pas comment il est né. La sainte et bienheureuse Marie est à la fois mère et vierge, vierge avant l’enfantement, vierge après l’enfantement. Je me demande avec étonnement comment un enfant vierge a pu naître d’une vierge, et comment, après avoir enfanté, cette mère a pu rester vierge. Vous voulez savoir comment Jésus est né d’une vierge et comment, après lui avoir donné naissance, sa mère est restée vierge ? Les portes étaient fermées et Jésus est entré. Personne ne doute que les portes n’aient été fermées ; et celui qui est entré, les portes étant fermées, n’était pas un fantôme, n’était pas un esprit, c’était un corps véritable. Que dit-il, en effet ? « Regardez et voyez qu’un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai[197] ». Il avait la chair, il avait les os, et les portes étaient fermées. Comment, les portes étant fermées, de la chair et des os sont-ils entrés ? Les portes sont fermées et il entre ; nous le voyons entré, mais comment est-il entré ? Toutes les portes sont fermées, aucun lieu ne lui fournit d’entrée, on ne voit point par où il est entré, et cependant il est entré ; car le voilà dans l’intérieur de la salle, au milieu de ses disciples. Vous ne savez pas comment il est entré, et sur ce comment vous vous en remettez à la toute-puissance de Dieu. Remettez-vous-en donc à la puissance de Dieu, quand on vous dit que le Sauveur est né d’une vierge, et que sa mère est restée vierge avant et après l’enfantement. À l’occasion de la construction du temple, nous lisons dans le livre d’Ézéchiel : « Cette porte orientale, qui regarde l’Orient, sera toujours fermée, et personne n’entrera par elle[198] », à l’exception du pontife. La porte est fermée, et personne n’entre par cette porte, si ce n’est le pontife.

2. Le tombeau du Sauveur avait été creusé dans un rocher très-dur qui n’offrait aucun interstice, et il est écrit que ce sépulcre était tout neuf et n’avait pas encore servi. Rien de si facile à saisir que ce fait selon le sens littéral, et c’est tout d’abord du sens littéral que nous devons nous occuper. Or, d’après ce sens, le tombeau avait été taillé dans une pierre très-dure, et Jésus-Christ fut déposé dans un sépulcre neuf ; de plus, une grande pierre avait été placée à l’entrée du sépulcre et un poste de soldats était chargé de garder cette entrée du sépulcre, pour empêcher qu’on ne vînt enlever le corps ; or, toutes ces circonstances devaient faire mieux ressortir la puissance déployée par le Sauveur dans sa résurrection. S’il se fût agi d’un simple tombeau, ils auraient pu dire : Les disciples ont creusé la terre et emporté le corps. Si la pierre eût été petite, ils auraient pu dire : La pierre était petite et pendant que nous dormions ils l’ont enlevée. Enfin, que lisons-nous dans l’Évangile ? « Le lendemain, les Scribes, les Pharisiens et les prêtres vinrent trouver Pilate et lui dirent : Maître, ce séducteur a annoncé qu’il ressusciterait ; aussi, pour empêcher que ses disciples ne viennent, ne l’enlèvent et ne disent : Il est ressuscité, ce qui constituerait une erreur pire que la première, donnez-nous des hommes pour garder le tombeau et rendre impossible l’enlèvement du corps. Pilate leur dit : Vous avez une garde, allez et faites ce qu’il vous plaira[199] ». La sollicitude des Scribes et des ennemis du Sauveur confirme notre foi. Pharisiens, gardez, gardez ce tombeau ; Dieu ne peut être enfermé nulle part, Dieu ne peut être enchaîné dans un sépulcre ; car c’est lui qui a fait le ciel et la terre ; le ciel et la terre sont renfermés dans le creux de sa main et de trois doigts il porte le monde ; or, celui qui tient dans sa main le monde tout entier ne peut être enfermé dans un sépulcre.

3. Enfin des saintes, Marie-Madeleine, Marie, mère de Jacques et de Joseph, animées d’un pieux dessein, mais victimes d’une erreur, cherchaient le Sauveur dans le tombeau. Leur bonne volonté fut louée, mais leur erreur fut réfutée. Cet Ange qui roulait la pierre, était assis sur la pierre. Et que montrait-il ? Cette pierre sur laquelle je suis assis ne peut enchaîner mon Seigneur, puisqu’elle est foulée par son serviteur ; par conséquent, cette pierre n’a pu enchaîner Jésus. Il dit donc aux femmes qui venaient chercher le Sauveur : « Vous cherchez Jésus, il n’est plus ici[200] ». Où est-il ? Au ciel ? Il est au-delà des cieux. Sur la terre ? Il est au-delà de la terre. Il est partout où vous voudrez ; il est tout entier partout où vous êtes, partout où vous êtes et partout où vous puissiez être, vous qui le cherchez, vous êtes en celui que vous cherchez. Écoutez donc ce que dit l’ange aux saintes femmes : « Pourquoi cherchez-vous parmi les morts Celui qui est plein de vie ? Pourquoi cherchez-vous le Seigneur dans un tombeau[201] ? » Vous cherchez Jésus, vous cherchez le Seigneur, parce que si vous cherchiez seulement Jésus, vous sauriez certainement qu’il est vivant, vous l’entendriez vous dire : « Au milieu de vous il en est un que vous ne connaissez pas[202] ». « Le royaume de Dieu est au dedans de vous[203] ». L’ange dit donc aux saintes femmes : Vous cherchez Jésus dans le tombeau, croyez qu’il est ressuscité et que vous avez en vous-mêmes Celui que vous cherchez.

4. Marie-Madeleine, en apercevant le Seigneur, le prit pour le jardinier ; c’était une illusion de sa part, mais une illusion qui avait aussi sa raison d’être. Jésus n’était-il pas véritablement le jardinier de son paradis, des arbres du paradis ? « Elle pensait que c’était le jardinier[204] », et elle voulut s’attacher à ses pieds. Et que lui dit le Seigneur ? « Gardez-vous de me toucher, car je ne suis pas encore monté à mon Père[205] ».« Prenez garde de me toucher », car vous ne méritez pas de me toucher, vous qui me cherchez dans le sépulcre. « Abstenez-vous de me toucher », moi en qui vous ne voyez que l’humanité, et dont vous ne croyez pas encore la résurrection. « Abstenez-vous de me toucher » ; car « je ne suis pas encore monté à mon Père pour vous ». Lorsque pour vous je serai monté à mon Père, alors vous mériterez de me toucher.




VINGT-CINQUIÈME SERMON.

SUR LA FÊTE DE PÂQUES.

(CINQUIÈME SERMON.)



ANALYSE. — 1. La foi de Marie-Madeleine comparée à celle de saint Pierre. — 2. Marie-Madeleine comparée à l’Église. — 3. La foi de Marie-Madeleine comparée à celle des Apôtres. — 4. La foi de Marie-Madeleine récompensée par l’apparition de Jésus-Christ.

1. « Le lendemain du sabbat », dit l’évangéliste, « lorsque les ténèbres couvraient encore la terre, Marie-Madeleine vint au tombeau, s’aperçut que la pierre avait été enlevée du sépulcre et courut raconter ces événements à Simon Pierre et à l’autre disciple que Jésus aimait[206] ». Voyez, mes frères, voyez avec quelle ardeur cette femme se rend au tombeau du Sauveur. Elle ne considère ni l’heure ni le temps, mais elle veut contempler le Créateur de toutes choses. Simple femme, elle court avant les hommes et les prévient. O bienheureux Pierre, qu’est devenue la promesse que vous faisiez au Seigneur : « Dussé-je mourir avec vous, je ne vous renierai pas[207] ? » Si vous ne pouviez mourir pour le Seigneur, du moins, puisque vous aviez tant présumé de vous-même, vous deviez vous rendre au tombeau avant tout autre ; vous n’avez pu accomplir la promesse que vous aviez faite ; car il a suffi d’une servante pour vous conduire à l’apostasie, et voici que Marie-Madeleine arrive encore avant vous au tombeau. Veuillez, bienheureux Pierre, me pardonner l’amertume de mes paroles. Quand vous croyiez d’une foi complète, vous marchiez sur les eaux ; mais aussitôt que vous avez conçu du doute, vous avez senti la mer fuir sous vos pas. En ce moment, du moins, levez-vous ; car une femme vous a déjà précédé au tombeau.

2. Mes frères, en lisant attentivement les saintes Écritures, vous avez appris à connaître cette femme du nom de Marie-Madeleine. Comme quelques-uns pourraient encore être dans l’ignorance sur ce point, rappelons que Madeleine est cette femme que le Seigneur a délivrée de sept démons, et à laquelle beaucoup de péchés furent pardonnés, parce qu’elle avait beaucoup aimé. Que l’Église coure donc, qu’elle coure à la Pierre. « Or, la Pierre était le Christ[208] ». Ne craignez pas de comparer à l’Église Marie-Madeleine, qui, délivrée des esprits immondes, doit s’empresser la première d’accourir au tombeau du Seigneur.

3. « Elle s’adressa donc à Pierre et à l’autre disciple que Jésus aimait, et leur raconta les faits en ces termes : Ils ont enlevé le Seigneur du tombeau, et nous ne savons où ils l’ont placé. Les Apôtres accoururent et, étant entrés dans le tombeau, ils virent les linceuls qui y avaient été laissés ». Mais ils ne purent voir les anges, parce que les ténèbres de la crainte refoulaient encore dans ces Apôtres la lumière de la foi. Ils regardèrent et retournèrent à Jérusalem ; quant à Madeleine, elle ne retourna pas, mais elle se tenait en pleurant à l’entrée du sépulcre, et parce que Dieu ne refuse jamais rien à ceux qui le cherchent, « elle s’inclina en pleurant vers le tombeau, et elle vit deux anges vêtus de blanc et assis l’un à la tête et l’autre au pied du sépulcre dans lequel Jésus avait été déposé. Les anges lui disent : Femme, pourquoi pleurez-vous ? ou qui cherchez-vous[209] ? » Madeleine répondit : Je cherche mon Maître, mon Sauveur ; il m’a beaucoup gratifiée, car il m’a délivrée de sept esprits impurs. Malheureuse esclave, j’étais conduite où je ne voulais pas, mais à l’arrivée du Sauveur les chaînes de mes péchés furent rompues et je méritai de suivre Celui que je ne méritais pas. « Maintenant ils ont enlevé mon Seigneur, et je ne sais où ils l’ont placé ». Ô femme, les Apôtres n’ont pu voir les anges, parce qu’ils ont douté ; vous les avez vus parce que vous avez cru. Mais à votre tour vous avez commencé à douter. Et, qui donc pouvait enlever le Seigneur, s’il n’avait voulu ressusciter le troisième jour, comme il l’avait promis ?
4. « S’étant retournée, elle vit le Seigneur debout[210] ». Voilà, mes frères, ce que peuvent l’amour de Dieu et la foi ; Dieu se laisse vaincre par les larmes et par l’humilité. Si Madeleine ne s’était pas inclinée en pleurant, elle, n’aurait pas vu les anges ; si elle ne s’était pas retournée, elle n’aurait pas mérité de voir le Seigneur. « Jésus lui dit : Marie, pourquoi pleurez-vous ? qui cherchez-vous[211]? » Madeleine, ouvrant les yeux, le reconnut et s’écria : Seigneur, vous êtes mon Roi et mon Dieu. Abstenez-vous de me toucher, lui dit Jésus, car je ne suis pas encore monté à mon Père. Madeleine reprit : « Mon Seigneur et mon Dieu[212] ». Vous vous montrez à moi, que me reste-t-il à désirer ?




VINGT-SIXIÈME SERMON.

SUR LA FÊTE DE PÂQUES.

(SIXIÈME SERMON.)



ANALYSE. — 1. La foi comparée à un parfum odoriférant. — 2. Jésus-Christ est le véritable parfum reçu par l’Église. — 3. Ce parfum n’a rien qui déplaise, car c’est le parfum de la piété. — 4. C’est aussi le parfum de la charité. — 5. C’est le parfum de la vertu, de l’obéissance et de l’espérance. — 6. Le nouvel Adam a réparé le crime du premier Adam. — 7. Jésus-Christ triomphe de l’enfer. — 8. Jésus-Christ rédempteur et médecin des âmes. — 9. Puisque l’arrêt de notre condamnation est déchiré, rendons-nous les serviteurs fidèles de Jésus-Christ. — 10. Nous devons ressusciter avec Jésus-Christ.

1. Le jour de la résurrection du Seigneur, la joie des fidèles doit en quelque sorte ressusciter et se renouveler ; laissons donc notre esprit se pénétrer de l’allégresse de ce jour, afin que par une foi vive nous placions en nous le règne de Dieu auquel nous sommes appelés avec Jésus-Christ et par Jésus-Christ. Ces joies chrétiennes ne sont pas de celles qui s’usent par la jouissance ; la jouissance, au contraire, nous enflamme pour la vertu. Qu’on est heureux de se réjouir en Jésus-Christ ! Je crois donc pouvoir comparer la foi aux parfums d’agréable odeur. Tel est ce parfum dont se sentait pénétré le Prophète, quand il s’écriait : « Vous avez plongé ma tête dans l’huile[213] ». Tel est le parfum dont il est dit aux pieux fidèles : « Oignez vos têtes[214] ». Tel est le parfum que les vierges sages portent avec elles pour entretenir le feu de leurs lampes. Tel est le parfum dont il est écrit : « Le parfum qui descend de la tête sur la barbe[215] », laquelle est le signe de l’âge parfait de l’homme, comme le parfum semble indiquer que la foi est arrivée à la perfection de sa splendeur et de son épanouissement. Comparons donc la foi au parfum d’agréable odeur. Quiconque possède de ces parfums précieux les conserve avec une extrême sollicitude. Tant que ces parfums restent en repos, ils semblent annihilés et endormis. Mais s’ils doivent concourir à la joie d’une fête ou à l’embellissement d’un festin, ils recouvrent par une prudente agitation ce que le repos leur avait fait perdre, c’est-à-dire leur odeur et leur prix. Ainsi en est-il, dans chaque fidèle, du parfum de la foi : il a besoin d’être librement reçu dans des cœurs généreux ; toutefois, il semble perdre de son prix tant qu’il n’est pas agité par la discussion.

2. C’est dans ce but que nous vous adressons ce discours. Vos esprits, comme autant de vases précieux, me paraissent avoir reçu ce parfum de la foi que Dieu n’accorde qu’à ses courtisans. Je m’accuserais d’une négligence coupable, si je n’agitais pas ce parfum jusqu’à ce que sa suave odeur se soit répandue dans tout le corps de l’Église et ait dissipé les miasmes fétides que respirent parfois encore ceux qui vivent au sein de la foi. Quel est donc ce parfum ? « Jésus-Christ est mort et est ressuscité[216] » ; tel est le prix et la rédemption du monde tout entier. Goûtez maintenant, si vous le voulez, la suavité de ce parfum dont vous connaissez le prix et la dignité. C’est Dieu lui-même qui nous l’a apporté du haut du ciel. Et qui donc l’a reçu ? Voyons si ce n’est pas cette Église si bien figurée par cette femme qui versa sur la tête du Sauveur ce parfum qui, selon la parole de Jésus-Christ lui-même, annonçait sa sépulture. L’Église, mes frères, l’Église a reçu le parfum de ce sacrement ; et tout ce qu’elle reçoit de Jésus-Christ retourne à Jésus-Christ. Toutefois ce parfum n’est point attribué à tous et ne leur est point attribué dans la même mesure. En effet, l’Apôtre a dit de la croix même de Jésus-Christ : « Elle est pour les uns une odeur de vie pour la vie, et pour les autres une odeur de mort pour la mort[217] » ; en d’autres termes, « elle est un scandale pour ceux qui périssent, tandis qu’elle est la vertu de Dieu pour ceux qui opèrent leur salut.

3. Cependant cette odeur déplaît à quelques-uns ; je voudrais qu’ils disent ce qui dans la mort de Jésus-Christ ne sent pas la vie ? ce qui ne respire pas la résurrection dont Jésus-Christ nous fournit le modèle ? « Il est mort et il est ressuscité ». C’est donc là ce qui leur déplaît ?? Est-il un seul homme qui ne se sente très avide de respirer ces suaves odeurs ? S’il en est un seul, je demanderai alors à ce sophiste du siècle, à cet habile appréciateur de semblables parfums, ce qui peut lui déplaire dans la composition de ce parfum ; voyons de quels éléments il est formé. Et enfin, quel est son prix ? Nous pouvons affirmer que tant vaut la piété, tant vaut ce parfum. Nous demanderons peut-être si la piété se trouve dans la mort de Jésus-Christ, et quelle est son importance ; l’Apôtre nous répond : « Manifestement c’est un grand sacrement de piété, celui qui a été manifesté dans la chair », il parle de la chair revêtue par le Verbe Éternel ; « qui a été justifié dans l’Esprit », lorsque le péché de la chair est vaincu dans la chair ; et qui est apparu aux anges[218] », soit lorsqu’une multitude d’esprits célestes fit entendre ce chant de joie : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté[219] » ; soit encore lorsque nous-mêmes, sondant les profondeurs de ce mystère et l’annonçant au monde, nous nous trouvons associés au ministère des anges ; « il a été prêché aux Gentils », afin que dans tout l’univers le nom chrétien devînt commun à toutes les nations ; « il a été cru dans le monde, il est devenu un principe de gloire[220] ». Ce qui a été cru dans le monde, n’est-ce pas le mystère du Verbe divin revêtant un corps auquel il a conféré plus tard les gloires de la résurrection ? Connaissant donc ce prix infini de la piété, l’Apôtre en a fait l’objet spécial des instructions qu’il adresse à son disciple. Parlant à son cher fils Timothée, il lui dit : « Exercez-vous à la piété ; car la piété est utile à tout, puisqu’elle a la promesse de la vie présente et de la vie future[221] ». Pouvait-on nous faire mieux sentir le prix de ce parfum de la piété, qui n’est autre pour nous que le mystère de l’Incarnation dont la valeur est infinie ?

4. Allons plus loin, car à la piété s’ajoute la charité. Or, là croix du Sauveur n’est-elle pas la preuve évidente de l’amour infini de Dieu pour les hommes ? « C’est ainsi que Dieu a aimé le monde jusqu’à lui envoyer son Fils unique[222] » pour lui communiquer sa vie. Et pourquoi ce miracle de charité divine ? Afin de vous faire mieux sentir la grandeur de l’amour qu’il nous témoignait. Mais, enfin, quel est le prix de la charité ? « La plénitude de la loi », dit l’Apôtre, « c’est la charité[223] » ; et encore : « La fin du précepte, c’est la charité[224] ». La charité est donc le bien par excellence, puisqu’elle résume en elle tous les préceptes. Or, cette charité se trouve par excellence dans la mort et la résurrection du Seigneur.

5. C’est une longue tâche d’énumérer chacune des espèces de parfum qui nous occupe, et ce travail nous expose à de nombreuses répétitions. Contentons-nous donc de signaler les autres espèces, sans nous obliger à en faire ressortir toute l’importance. Dans cette composition se trouve d’abord la vertu à laquelle se mêle la force de la patience. Nous trouvons aussi l’obéissance, « car Jésus-Christ s’est fait obéissant à son Père jusqu’à la mort et à la mort de la croix[225] ». Une odeur suave est aussi produit par l’espérance qui étend son influence au-delà de la mort, et attend la résurrection, non seulement de l’esprit, mais aussi du corps après la résurrection de Jésus-Christ. Tous ces parfums se confondent pour moi dans celui que j’ai signalé par ces paroles : « Jésus-Christ est mort et est ressuscité ». Toutes ces espèces de parfum réunies forment une odeur de vie pour la vie ; quelle n’est pas la corruption de ceux pour qui tout cela ne produit qu’une odeur de mort pour la mort. Pour nous, nous disons : « Votre nom, Seigneur, est un parfum répandu[226] » ; et encore : « Nous courrons sur vos traces à l’odeur de vos parfums [227] » ; notre seul désir est d’être pénétrés de cette odeur que nous suivons, afin que nous produisions nous-mêmes cette odeur de piété, de charité, de patience, d’obéissance et d’espérance, que nous aspirons dans la mort de Jésus-Christ.

6. Mes frères, ayons donc sans cesse devant les yeux, si nous le pouvons, l’utilité infinie de la croix du Seigneur et les joies de la résurrection. Considérons les précieux avantages que Jésus-Christ nous a procurés par le mystère de sa mort ; n’oublions pas que si la mort régnait universellement par la licence du péché, tout est maintenant soumis à l’empire de Jésus-Christ, tout, et spécialement l’homme lui-même, enchaîné jusque-là sous la loi de la mort par la transgression de nos premiers parents : « Car la mort régnait depuis Adam jusqu’à Moïse, même sur ceux qui s’abstenaient du péché et subissaient néanmoins les suites de leur ressemblance avec Adam[228] ». Est-il donc étonnant que le désespoir ait plongé le genre humain dans des ténèbres et des erreurs où n’apparaissait aucun rayon de la foi ? Les chaînes que le premier Adam avait rivées, le second Adam devait les briser. La seconde naissance devait réparer le mal qu’avait fait la première génération, issue d’Adam coupable. L’immolation de l’agneau, célébrée sous la loi de l’ancienne pâque, n’était pas suffisante pour purifier le monde ; il fallait l’offrande de cet agneau qui effacerait le péché du monde. Les nations en étaient venues à douter si l’âme triompherait après la mort ; et voici qu’après la croix, dans la chair de Jésus-Christ, nous trouvons l’infaillible assurance que notre corps lui-même ressuscitera ; là où le péché d’Adam avait apporté la mort, il était nécessaire que l’obéissance de Jésus-Christ apportât la vie. « Comme », dit l’Apôtre, « nous mourons tous en Adam, de même nous serons tous vivifiés en Jésus-Christ[229] ». Notre Sauveur a donc accepté la mort pour lui-même, afin de nous préparer à tous la vie ; il me semble l’entendre dire aux hommes, dans son infinie miséricorde : Je ne refuse pas de partager votre mort, afin que je vous offre de partager ma résurrection. Sans doute la divinité qui est en moi ne saurait donner prise à la mort ; toutefois par ma naissance humaine, je recevrai de vous ce que je pourrai offrir en mourant pour vous. Tout ce que vous êtes, je le serai, afin de donner tout ce que je suis. En effet, par la bouche de son Prophète, nous l’entendons parler de sa mort comme d’une menace de mort pour notre propre mort. « Je serai », dit-il par le prophète Osée, « je serai votre mort, ô mort je serai ta morsure, enfer[230] ». Je subirai les droits de la mort, mais je les détruirai ; un jour j’entrerai dans ta prison, non pas pour rester enfermé, mais pour briser tes barrières. Confessons donc au Seigneur son infinie miséricorde, « parce qu’il a brisé les portes d’airain et rompu les barres de fer[231] » ; il a tellement anéanti les barrières de la mort, qu’il nous a même ouvert les portes du ciel, où fut admis, aussitôt après la croix de Jésus-Christ, le larron quittant le supplice dû à ses crimes pour aller prendre possession de ce séjour destiné aux justes, et sans avoir d’autre mérite que celui d’une courte profession de foi ; tandis qu’avant la croix de Jésus-Christ, nous voyons Abraham lui-même retenu, loin du ciel, dans une sorte de captivité qui toutefois n’avait rien de commun avec celle des impies.

7. Nous lisons : « Le Christ sortit donc pour le salut de son peuple et pour la délivrance de ses élus[232] » ; son amour devait le faire descendre jusque dans les profondeurs où le genre humain s’était précipité par sa prévarication. Tel un roi qui, après avoir détruit la forteresse d’un tyran, rétablit partout la liberté, et non content de rompre les liens de tous ceux qu’enchaînait la tyrannie, descend lui-même dans la prison où gémissent les siens, et leur apporte la liberté avec sa présence ; ce serait peu pour lui de rendre ces captifs à la lumière, s’il ne venait pas lui-même dans ce lieu de ténèbres, et si de ses propres mains il ne brisait pas les chaînes de leur captivité. Quelles actions de grâces pourront être rendues au Seigneur pour tant de bienfaits ? Quel usage pouvons-nous faire de la liberté qui nous est rendue, si ce n’est de le servir librement ? Il est écrit, « Jésus-Christ a été blessé pour nos péchés, et il s’est rendu faible pour nos iniquités ; nous avons été guéris par ses souffrances[233] ». On ne saurait avoir de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis[234]. Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis[235]. Si le grain de froment, tombant dans la terre, ne meurt pas, il demeure stérile[236]. Dans le tremblement de terre de la croix, « les pierres se fendirent et les tombeaux s’ouvrirent, et un grand nombre de corps des saints qui étaient morts ressuscitèrent, et sortant de leurs tombeaux après sa résurrection, ils vinrent dans la cité sainte et apparurent à une foule d’habitants[237] ». C’est ainsi qu’un seul grain tombant dans la terre a rendu à la vie une multitude d’autres grains.

8. Ne perdons pas de vue, mes frères, l’immense rançon de notre salut. Notre vie a été renouvelée par la mort de Jésus-Christ. Tout serviteur pour lequel son maître s’est sacrifié, n’est-il pas assez précieux ? Que personne ne tente de se soustraire à cette dette de la rédemption. Jésus-Christ nous a tous rachetés, même ceux qui, aimant leur captivité, n’ont pas voulu recouvrer cette liberté que leur offrait un généreux Médiateur. Ne parlez pas ici de telle ou telle somme d’argent. Il n’a rien extrait de sa bourse, mais il a répandu son sang. À tant d’amour quelles richesses pourraient être comparées ? Pour vous il a donné, non pas son bien, mais sa propre personne. Car ce qu’il demandait, ce ne sont pas vos richesses, mais vous-mêmes. Il a subi pour vous une mort passagère, afin de vous arracher à la mort éternelle ; il a revêtu votre vie, afin de vous communiquer la sienne. Il est entré dans les limbes, afin que vous puissiez en sortir. Il a guéri nos blessures par les siennes ; par ses plaies il a fait disparaître la plaie de notre damnation. Je le dis avec joie, mes frères, il est généreux le médecin qui soigne son malade à ses frais et dépens ; qui par pur amour, non point de l’argent, mais du salut de son malade, supporte sans dégoût l’odeur et la vue des plaies d’un malade. Mais le comble du dévouement, c’est de recevoir soi-même des blessures, afin d’en guérir les autres, de s’offrir comme remède, de se laisser déchirer volontairement afin d’extraire des blessures d’autrui le virus qui s’oppose à leur guérison. C’est là ce qu’a fait Jésus-Christ, c’est jusque-là que notre Sauveur a porté le dévouement ; médecin généreux et universel, il a versé, pour le salut de tous, non pas le sang des hommes, mais son propre sang. Notre rédemption est d’autant plus grande que nous sentions moins notre captivité ; notre guérison est d’autant plus précieuse que nous connaissions moins notre maladie.

9. Tel est le mystère de la croix du Sauveur. Dans la personne d’Adam, par la transgression du précepte, le genre humain avait signé une sorte de pacte avec la mort ; mais Jésus-Christ a effacé tous nos crimes, « déchirant le texte du décret porté contre nous. Il l’a détruit en le fixant à la croix, en dépouillant les principautés et les puissances et en triomphant dans sa propre personne[238] ». Or, par la destruction du texte de mort sur la croix, nous avons été rendus à la vie. En effet, la mort en Jésus-Christ, à quoi a-t-elle donné lieu, sinon à la résurrection ? Or, la résurrection en Jésus-Christ confirme l’homme dans la croyance à sa propre résurrection. Reste à chacun le devoir de comprendre qu’il doit, dans sa vie, mettre un terme à ses crimes, comme un terme a été imposé à la mort publique. Puisque la mort est détruite, secouons notre sommeil spirituel, afin que personne ne demeure dans ses habitudes anciennes, maintenant que « les vieilles choses sont passées et que tout a été renouvelé[239] ». Réalisons cette parole de l’Apôtre attestant que Jésus-Christ est mort, « afin que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour Celui qui, pour eux, a bien voulu mourir et ressusciter[240] ».

10. « Voici donc le jour que le Seigneur a fait[241] » ; qu’il a réparé pour la gloire de ses saints ; dans lequel Jésus-Christ ressuscitant d’entre les morts ordonne à son corps mystique qui est l’Église d’espérer que les membres participeront à la gloire de leur chef. Écoutez l’Apôtre, lequel proclame que c’est Jésus-Christ lui-même qui parle par sa bouche : « En un moment, en un clin d’œil, au son de la dernière trompette, car la trompette sonnera, les morts ressusciteront incorruptibles, et nous serons changés[242] ». Toutefois ce grand jour de la résurrection dernière reçoit toute sa magnificence du jour que nous célébrons et qui a été illustré par la résurrection de Jésus-Christ, Alors nous aurons la réalité même de notre résurrection, aujourd’hui nous en possédons le principe ; nous avons comme le germe d’où sortiront tous ces fruits. Le Prophète personnifiant Jésus-Christ chantait à l’avance la gloire de ce jour : « J’ai dormi et pris mon sommeil, et je me suis levé parce que le Seigneur m’a reçu[243] ». « J’ai dormi », dit-il, afin de prouver que sa mort était bien l’œuvre de sa volonté propre, et non pas le résultat de la coaction. Telle est la pensée clairement formulée par l’Évangile dans ces paroles mêmes du Sauveur : « J’ai le pouvoir de quitter la vie, et j’ai aussi le pouvoir de la reprendre[244] ». Cette grande joie du matin est ailleurs décrite en ces termes : « La lumière est levée pour les justes, et la joie pour ceux qui ont le cœur droit[245] ». « Justes, réjouissez-vous dans le Seigneur[246] ». Et encore : « J’exalterai le matin vos merveilles, parce que vous êtes mon soutien, ô mon Dieu[247]. « Vous nous vivifierez après deux jours, le troisième jour vous nous ressusciterez[248] ». Enfin, dans un autre passage l’écrivain sacré décrit en un seul verset la lumière du soir et la joie du matin de la résurrection : « La douleur durera jusqu’au soir et la joie jusqu’au matin[249] ». Voilà pourquoi, comme le dit l’Apôtre, « la nuit a précédé, mais le jour s’est approché. Rejetons donc les œuvres de ténèbres, et revêtons-nous des armes de la lumière[250] », afin que, à l’aide de ces armes, nous triomphions de l’adversaire de notre salut, puisque Jésus-Christ en a déjà triomphé lui-même. Si la seule espérance nous procure tant de joie, que sera-ce donc de la réalité ? Si les membres sont si heureux du bonheur de leur chef, quel ne sera pas le bonheur dont ils jouiront avec leur chef dans ce lieu de délices où celui qui aura mérité d’être compté parmi les membres de ce corps magnifique n’aura plus à craindre d’en être retranché ? Toutefois, celui qui désire ressusciter et régner avec Jésus-Christ, doit auparavant être crucifié et mourir avec lui, en mortifiant sans délai ses désirs et ses passions, par Jésus-Christ Notre-Seigneur.


VINGT-SEPTIÈME SERMON.

SUR LA FÊTE DE PÂQUES.

(SEPTIÈME SERMON.)

ANALYSE. — 1. Jésus-Christ ressuscitant est notre véritable lumière. — 2. Il est certain que, nous aussi, nous ressusciterons. — 3. Qu’est-ce qui milite contre la chair et pour la chair ? — 4. Éloge de la chair. — 5. La chair ressuscitée sera réunie à son âme.

1. Ce jour, que nous rappelle le Prophète, c’est Jésus-Christ qui est né, qui est mort, et qui après sa mort est ressuscité plein de gloire. Ce n’est point moi qui l’affirme, c’est Jésus-Christ lui-même : « Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde[251] ». Ainsi donc Jésus-Christ est ressuscité dans la chair afin de rester à nos yeux ce qu’il avait été, c’est-à-dire la lumière ; ce n’est pas un corps nouveau qu’il prend, mais son propre corps, afin de nous prouver avec plus d’évidence que c’est dans notre chair elle-même que nous ressusciterons ; autrement nous ne pourrions plus croire la résurrection.

2. Mais que faites-vous, ô homme ? Oubliant que vous êtes le roi de ce monde, que vous appartenez à la société des élus, que vous résumez toute la création, pourquoi vous condamnez-vous vous-même ? Pourquoi vous comparer aux bêtes et aux animaux victimes d’une complète destruction ? Ils périssent totalement, tandis que vous conservez votre substance spirituelle. Vous vivez dans une âme divine, et lorsque la chair se séparera de votre âme, vous serez divisé et non pas anéanti ; vous serez séparé en différentes parties, mais vous retrouverez votre intégrité. Votre corps sera dissous, mais votre âme restera vivante et attendra la résurrection de votre chair dont elle a été la compagne. L’apôtre saint Paul s’écrie : « Si les morts ne ressuscitent pas, Jésus-Christ n’est pas non plus ressuscité ; et si Jésus-Christ n’est pas ressuscité, votre foi est vaine et vous êtes encore dans vos péchés. Donc tous ceux qui se sont endormis en Jésus-Christ ont péri. Si ce n’est que dans cette vie que nous espérons en Jésus-Christ, nous sommes les plus malheureux des hommes. Mais si Jésus-Christ est ressuscité d’entre les morts, nous trouvons en lui les prémices de tous ceux qui dorment. En effet, comme la mort est venue par l’homme, c’est par l’homme aussi que nous vient la résurrection des morts. De même que tous meurent en Adam, de même tous seront vivifiés en Jésus-Christ[252] ». Doutez-vous encore que vous dussiez préférer le mérite de l’âme à la fragilité de la chair ? Je m’en rapporte à votre jugement droit et juste. Le corps aurait besoin de toute son intégrité pour rester la demeure de l’âme, et pourtant le corps se dissout afin que la destinée des morts soit différente, comme sont différents les mérites de chacun. En créant l’homme, Dieu lui inspira de son souffle une âme spirituelle, tandis que le corps fut tout entier formé du limon soluble de la terre. Si vous n’envisagez que le corps, qu’est-ce que ce corps, sinon un informe limon de la terre, coloré par la coagulation du sang ? Qu’est-ce que le corps ? La nature des vices, la matière et l’origine des morts. Et si vous cherchez le mérite du corps, qu’est-ce que le corps ? l’habitation de l’âme. Qu’est-ce que le corps ? la demeure de l’Esprit de Dieu. Qu’est-ce que le corps ? la plus belle de toutes les œuvres de la création visible, destinée à devenir l’image de la substance divine. Il est écrit : Dieu fit l’homme à son a image et à sa ressemblance[253]. Dieu fit Adam du limon de la terre et inspira sur sa face un souffle de vie. Et l’homme fut fait âme vivante[254] ». « Âme vivante », dit l’Écriture, elle vivra donc après la mort ; d’où il suit que cette âme est essentiellement différente de l’âme des animaux, laquelle doit périr avec le corps. Et comme les animaux sont de viles créatures, Dieu, au lieu de les former comme il forma le corps de l’homme, se contenta d’une parole : « Et Dieu dit : Que la terre produise des animaux, et il fut fait ainsi[255] ». Comprenez donc, ô homme, quelle est votre dignité. Le Seigneur Dieu a formé votre corps de sa propre main, il vous a animé du souffle de son Esprit, tandis que les animaux et les bêtes sont sortis en quelque sorte du souffle de la terre.

3. Essayons maintenant de comparer les mérites ou la nature de l’âme et du corps. L’âme est réputée sainte, le corps est pécheur. Il est certain que l’âme est sainte, toutefois le corps ne pèche que par le vice de l’âme. Connaissez-vous bien, ô homme, considérez-vous attentivement et vous comprendrez que le corps ne sent rien que par les sens de l’âme ; faites abstraction de l’âme, le corps est mort et incapable d’aucun mouvement. Le corps participe donc au bien comme il est l’instrument du mal ; et si le corps souille l’âme, réciproquement il est purifié par les mérites et la sainteté de l’âme. Remontant à l’origine de la responsabilité et des crimes du corps, nous disons que le corps a été condamné à la mort dans Adam, mais qu’il ressuscite en Jésus-Christ ; si la chair a été condamnée dans Eve la première femme, elle a été consacrée dans la Vierge Marie. Je le prouve par les oracles des Prophètes : « Dieu dit encore : Mon Esprit ne demeurera pas dans les hommes, parce qu’ils sont chair[256] ». Au contraire, il est dit ailleurs en faveur de la chair : « Je répandrai mon Esprit sur toute chair[257] ». Isaïe, frappant la chair, s’écrie : « Toute chair n’est qu’une herbe desséchée[258] ». Et pour relever la chair, il dit aussi : « Toute chair verra le salut de Dieu[259] ». L’apôtre saint Paul condamne la chair en ces termes : « Ne suivez pas les désirs de la chair » ; mais il la loue en ces termes : « Je porte dans ma chair les stigmates de Jésus-Christ[260] ». Notre Seigneur disait aux incrédules : « C’est l’Esprit qui vivifie la chair[261] ». Mais vous dites « La chair ne sert de rien[262] » : Puisqu’il en est ainsi, mes frères, si la chair est accablée par ses crimes, pourquoi ne va-t-elle pas plutôt se relever en s’honorant des mérites divins du Fils de Dieu revêtu de notre chair ?

4. N’aurez-vous que du mépris pour cette chair que Dieu a revêtue, qu’il a déposée, reprise et élevée dans le ciel ? N’aurez-vous que du mépris pour cette chair que la flamme a respectée dans la personne des trois enfants juifs, et devant laquelle s’est arrêtée la rage des lions dans la personne de Daniel ? N’aurez-vous que du mépris pour cette chair qui, aidant à la force des saintes âmes, a fait d’innombrables martyrs ? Vous méprisez les hommes perdus, vous méprisez les voluptueux en qui l’âme s’est laissé corrompre par les désirs de la chair et a précipité, à son tour, le corps dans la corruption des passions et des vices. Vous méprisez les anges qui, épris d’amour pour les filles des hommes, ont souillé la majesté des corps célestes par la volupté terrestre. Ainsi donc, soit que vous honoriez la chair dans les martyrs, soit que vous la condamniez dans les voluptueux, il est absolument nécessaire de faire retomber toute responsabilité sur les âmes. La chair, dans sa servitude, n’a fait que ce que l’âme a voulu. La chair ressuscitera donc, soit sainte, soit coupable, et comme l’âme, elle recevra selon les œuvres de sa vie sur la terre. Telles seraient, en matière de chasteté, une servante et sa maîtresse ; il peut se faire que la servante provoque la séduction, mais la maîtresse n’en sera pas moins coupable, pour avoir voulu ou consenti.

5. La chair ressuscitera donc, soit sainte, soit coupable ; et les malheureux pécheurs seront obligés de vivre malgré eux. O nécessité des choses ! en essayant de justifier la chair, il se trouve que nous accusons les âmes. Nous accusons les dons de Dieu, lesquels, semblables à des étincelles jaillissant de la flamme, ont mérité, non pas de vivre dans le foyer, mais de s’éteindre dans la paille ; nous accusons les choses célestes opprimées par les choses terrestres. Toutefois, nous attendons le jugement de Dieu qui seul peut apprécier les devoirs de la chair et les mérites des âmes. Il est donc vrai que l’âme ne peut être séparée de la chair ni en matière d’innocence, ni en matière de culpabilité, et réciproquement la chair ne peut être séparée de l’âme ni en matière d’innocence, ni en matière de culpabilité. Comme la vie est commune entre l’âme et la chair, leur destinée éternelle doit être la même. L’homme intérieur est rappelé à l’homme extérieur, c’est-à-dire la chair est rappelée à l’âme ; elle sera justifiée avec l’âme, ou l’âtre sera punie avec la chair.




VINGT-HUITIÈME SERMON.

SUR LA FÊTE DE PÂQUES.

(HUITIÈME SERMON.)



ANALYSE. — 1. Objection des impies contre l’immolation du Fils de Dieu. — 2. Jésus-Christ n’a pas été immolé par les chrétiens, mais adoré par eux après sa mort. — 3. La bonté de Dieu dans le mystère de l’Incarnation. — 4. Jésus-Christ, par sa résurrection, confond tous ses ennemis.

1. L’apôtre saint Paul nous dit : « Jésus-Christ, notre Pâque, a été immolé[263] ». On demande pour qui ou pourquoi il a été immolé. En effet, des blasphémateurs fanatiques ne craignent pas d’élever la voix et de réclamer en ces termes. Les sanglants mystères des chrétiens sont assurément saints, pieux et pleins de miséricorde. Pour nous, nous sommes assurément des sacrilèges en offrant aux statues des divinités, des oiseaux et des troupeaux. Mais que penser du sacrilège des chrétiens dont le sacrifice parricide consiste dans l’immolation d’un Fils à son Père ? Si je réponds que le Dieu que nous adorons est l’amour même, ils m’objectent : Pourquoi donc Dieu, qui a défendu à Abraham d’immoler son fils, a-t-il permis l’immolation de son propre Fils ? Si je réplique : Jésus-Christ est mort pour tous les peuples, ils me répondent : Il est assurément plein d’amour, votre Dieu qui s’est laissé apaiser par le sang de son Fils, plutôt que d’exiger le sang des peuples. Ils disent enfin : Votre Dieu est impie, car lui qui défend d’immoler un homme aux divinités, a voulu ou permis l’immolation de son propre Fils.

2. Oh ! à quelles extrémités notre religion se voit réduite ! Qu’il est étroit, le sentier qui nous mène au vaste plateau de la foi, quand au contraire la multitude confuse des réprouvés se joue dans les voies les plus spacieuses Que notre chemin est étroit et escarpé ! Ce n’est qu’avec des efforts inouïs que nous portons la vérité ; tant d’arguments séducteurs nous sont opposés que nous nous laisserions facilement convaincre, si nous n’avions pas à enseigner avant tout l’amour de Dieu que nous adorons. L’apôtre saint Paul nous dit donc : « Jésus-Christ notre pâque a été immolé » ; nous disons pourquoi et par qui il a été immolé, afin de justifier de toute accusation de parricide le saint et innocent mystère de notre pâque. Ce n’est pas nous, chrétiens, qui immolons Jésus-Christ, mais nous l’adorons dans sa mort. Vous nous demandez pourquoi nous adorons une victime immolée ? Parce que nous adorons le Fils de Dieu, avant même qu’il ait été immolé. Vous demandez pourquoi il a été immolé ? C’est aux Juifs sacrilègement religieux à répondre ; il leur était prescrit d’offrir à Dieu un agneau pour la pâque ; or, en immolant Jésus-Christ à la place d’un agneau, ils ont offert à Dieu son propre Fils. C’est ce crime des Juifs que l’Apôtre rappelle en ces termes : « Jésus-Christ notre pâque a été immolé », c’est-à-dire immolé par ce peuple auquel Jean-Baptiste montrait le Christ, en disant : « Voici l’Agneau de Dieu, voici Celui qui efface les péchés du monde[264] ». Vous demandez pourquoi Jésus-Christ ne s’est pas soustrait à ce crime ? Parce que son sang était dû pour le rachat du monde. Quel crime avait donc commis le monde, pour que le sang ait dû servir à sa délivrance ? Il avait encouru la malédiction de la loi, et Dieu, voulant rester fidèle à sa promesse, livra lui-même son Fils, dont le sang, quoique criminellement versé, devait être la rançon du pécheur condamné à la mort éternelle. Un tel jugement de Dieu est assurément inspiré par l’amour, et sans porter atteinte à son affection paternelle, il a fait retomber sur son Fils la condamnation qui pesait sur le genre humain, et a voulu que sa mort momentanée devînt le salut de l’univers.

3. O profond mystère d’amour ! Le monde pèche, et Jésus-Christ est immolé, de telle sorte que Dieu, la justice et l’amour infinis, maintient le décret qu’il avait porté et détruit le péché sans détruire l’innocence. Telle est la vérité que Jésus-Christ lui-même a fait entendre, avant même l’effusion de son sang pour le salut du monde : « C’est ainsi que Dieu a aimé le monde, jusqu’à livrer pour lui son Fils unique, afin que celui qui croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle[265] ». De son côté, l’apôtre saint Paul s’écrie : « Jésus-Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi, en se faisant maudit pour nous ; car il est écrit : Maudit soit quiconque est pendu au gibet[266] » ; et encore : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous[267] ? » « Si Dieu n’a pas épargné son propre Fils et s’il l’a livré pour nous tous, comment avec lui ne nous a-t-il pas tout donné[268]? » Vous demandez pourquoi Dieu n’a pas épargné son Fils ; parce que, dans la résurrection, ce Fils devait lui être rendu. En effet, une majesté éternelle ne peut ni mourir ni finir. Mais si le Fils de Dieu ne pouvait naturellement ni mourir ni finir, cependant il a voulu être crucifié, afin de se dépouiller de son corps mortel ; d’un autre côté, la barbarie des Juifs a été déjouée, car Jésus-Christ, mort, nous a été rendu par la résurrection.

4. Voyez maintenant le Fils de Dieu ressuscitant des enfers ; il porte sur son corps les cicatrices de sa passion, à l’aide desquelles il put se faire reconnaître ; car, s’il l’eût voulu, il aurait fait disparaître toutes les traces de son sacrifice ; lui qui a pu ressusciter, ne pouvait-il pas se guérir ? Il salue ses Apôtres et reçoit leur salut ; il mange avec eux, il se réjouit d’avoir accompli l’œuvre de la rédemption, pour laquelle il est descendu sur la terre. Ainsi donc, mes frères, puisque vous êtes rachetés, demandez avec nous les biens que vous désirez ; après nous avoir délivrés par son sang, que Jésus-Christ nous comble de tous les biens.




VINGT-NEUVIÈME SERMON.

SUR LA FÊTE DE PÂQUES.

(NEUVIÈME SERMON.)



ANALYSE. — 1. Le corps de Jésus-Christ est un temple. — 2. Ce temple a été rebâti par le Père comme par le Fils. — 3. Le nombre de quarante-six ans désigne les quatre parties de la terre. — 4. Ce nombre mystique se retrouve dans Adam. — 5. Il se retrouve aussi dans la naissance du second Adam. — 6. Conclusion.

1. Dans l’Évangile selon saint Jean, nous lisons que les Juifs, jaloux de toutes les merveilles opérées par le Sauveur, lui posèrent cette question : « Quel signe nous donnez-vous du pouvoir que vous avez de faire ces choses ? » Le Seigneur leur répondit : « Détruisez ce temple et je le relèverai en trois jours ». Et ils dirent : « Quarante-six ans ont été employés à la construction de ce temple, et vous le relèverez en trois jours ?[269] » Ne l’oubliez pas, mes frères, les Juifs étaient charnels, et ils jugeaient charnellement de toutes choses. Jésus parlait spirituellement ; mais comme eux vivaient charnellement, ils comprenaient charnellement. Or, qui peut comprendre de quel temple parlait le Sauveur ? Le pouvaient-ils, eux qui nourrissaient contre lui des pensées et des desseins criminels ? Mais nous n’avons pas à nous inquiéter sur ce point, car l’Évangile nous apprend de quel temple parlait le Sauveur. En effet, Jésus venait de dire : « Détruisez ce temple et je le rebâtirai en trois jours ». Les Juifs répondirent : « Quarante-six ans ont été employés à la construction de ce temple, et vous le rebâtirez en trois jours ? » L’Évangéliste continue : « Or, Jésus parlait du temple de son corps[270] ». Telle est la pensée du Sauveur dans toute sa simplicité. D’un autre côté, il est connu de tous que Jésus, après avoir été mis à mort par les Juifs, ressuscita le troisième jour. Les Juifs peuvent bien dire qu’ils n’en savent rien, parce qu’ils sont hors de l’Église ; mais à nous ce fait est parfaitement connu, parce que nous savons en qui nous croyons. En effet, par cette solennité que nous célébrons aujourd’hui chaque année nous rappelons le souvenir anniversaire de la destruction de ce même temple et de sa réédification. Toutefois on peut nous demander s’il n’y a pas quelque mystère dans ces paroles : « Quarante-six ans ont été employés à la construction de ce temple ». Il y aurait beaucoup d’observations à présenter sur cette pensée, mais nous nous contenterons de quelques remarques courtes et faciles à saisir.

2. Nous savons, mes frères, qu’Adam a été seul créé directement par Dieu ; nous savons qu’il représentait le genre humain tout entier ; qu’en transgressant le précepte divin il fut pour ainsi dire brisé ; qu’il se trouve pour ainsi dire subdivisé en chacun de nous, de manière à se retrouver tout entier dans la société et dans l’union réciproque de tous les hommes ; et enfin qu’il ne peut que gémir pour nous, puisqu’il se trouve renouvelé en nous par Jésus-Christ. Le Sauveur est sorti de la race d’Adam, mais sans avoir le péché d’Adam. Il est venu sans péché, afin d’expier dans son corps le péché d’Adam, et de ramener l’homme à son image et à sa ressemblance, tel qu’il avait été d’abord créé. La chair que Jésus-Christ reçut d’Adam, tel est donc le temple que les Juifs ont détruit, et que le Sauveur a réédifié en trois jours. En effet, Jésus-Christ en sa qualité de Dieu fort, tout-puissant et égal au Père, a ressuscité son corps. En quel sens donc l’Apôtre dit-il : « Qui l’a ressuscité d’entre les morts ?[271] » De qui parle-t-il ? Du Père. C’est ainsi qu’il a dit de Jésus-Christ : « Il s’est fait obéissant jusqu’à la mort et jusqu’à la mort de la croix ; voilà pourquoi Dieu l’a ressuscité d’entre les morts et lui a donné un nom au-dessus de tout nom[272] ». Je le ressusciterai donc ; qui donc ressuscitera ? Le Père, à qui le Christ lui-même dit dans le psaume : « Ressuscitez-moi, et je leur rendrais[273] ». C’est donc le Père qui a ressuscité Jésus-Christ, et non pas Jésus-Christ qui s’est ressuscité lui-même. Mes frères, que cette conclusion ne vous scandalise pas. Le Père, que fait-il sans son Verbe, que fait-il sans son Fils unique ? « Toutes choses ont été faites par lui, et rien n’a été fait sans lui ». Puisqu’il est Dieu lui-même, c’est donc de lui aussi qu’il a été dit : « Dieu l’a ressuscité d’entre les morts ». De là vous devez conclure qu’il s’est ressuscité lui-même. Écoutez. Que le Juif nous dise lui-même ce qu’il a entendu : « Détruisez ce temple, et je le réédifierai en trois jours[274] ». C’est le Père qui le réédifie, mais le Fils accomplit cette œuvre comme le Père, et le Père comme le Fils. Jésus-Christ nous dit dans l’Évangile : « Mon Père et moi nous ne sommes qu’un[275] » ; et ailleurs : « Tout ce que fait le Père, le Fils le fait également[276] ».

3. Que signifie ce nombre de quarante-six années dont parlent les Juifs : « Quarante-six années ont été employées à la construction de ce temple ». Je disais tout à l’heure qu’Adam se retrouve dans l’ensemble du genre humain ; je reviens sur cette pensée pour la faire mieux ressortir encore. Les quatre lettres dont nous nous servons pour écrire le mot Adam, sont précisément, dans la langue grecque, les quatre premières lettres des quatre points cardinaux qui renferment le monde tout entier : l’Orient, l’Occident, le Nord et le Midi. C’est de ces quatre points que le Seigneur a dit : « Je rassemblerai mes élus des quatre vents du ciel[277] » ; David avait dit également : « Qu’ils parlent, ceux qui ont été rachetés, qu’il a rachetés de la puissance de l’ennemi, depuis l’Orient et l’Occident, le Nord et le Midi ». Or, en grec, Orient se prononce : Anathole ; Occident, Dytis ; Nord, Arctos ; et Midi, Mesembria. En prenant la première lettre de chacun de ces quatre noms on obtient : Adam ; et comme c’est de la chair d’Adam que Jésus-Christ a reçu son propre corps, plus tard attaché à la croix, ce corps est réellement le temple dont il est dit : « Je le rebâtirai en trois jours ; et les Juifs répondirent : Quarante-six ans ont été employés à la construction de ce temple, et vous le rebâtirez en trois jours ? Or, Jésus parlait du temple de son corps ».

4. D’un autre côté, ne peut-on pas montrer que le chiffre quarante-six compose le nom d’Adam ? Or, ce nombre est pour nous très mystérieux, non-seulement parce qu’il forme le nom même d’Adam, mais encore celui de Jésus-Christ dont il indique le mode surnaturel de conception. Examinons d’abord le nom du premier homme, Adam. En grec, l’Alpha représente dans la numération la valeur de : un ; le Bêta, la valeur de deux ; le Gamma, la valeur de trois ; et le Delta, la valeur de quatre, et ainsi de suite des autres lettres de l’alphabet, qui servent à la fois à écrire et à compter. Par exemple le Mu a la valeur de quarante (tessaraconta). Or, cherchez la valeur de ces lettres et vous trouverez Adam. Nous y trouvons l’Alpha, ou : un ; le Delta, quatre ; or quatre ajoutés à un égalent cinq ; nous retrouvons de nouveau Alpha ou un qui, ajouté à cinq, égale six ; enfin le Mu qui vaut quarante, ce qui donne quarante-six, ou le nombre d’années employées à la construction du temple.

5. Et parce que Notre-Seigneur Jésus-Christ a voulu que son corps fût formé de la race d’Adam, sans toutefois recevoir la souillure du péché originel, il suit que c’est dans cette race qu’il a pris le temple de son corps, en rejetant l’iniquité originelle. Or, cette chair, qu’il tira d’Adam, fut la chair de Marie, et le corps du Seigneur fut formé du corps de Marie. Ce corps a été crucifié par les Juifs et ressuscité trois jours après par le Sauveur lui-même. C’est ainsi que ces Juifs ont détruit ce temple qui a duré quarante-six ans à construire, tandis que Jésus-Christ l’a reconstruit en trois jours. En effet, si j’en crois les médecins, le corps humain emploie quarante-six jours à se former dans le sein maternel. Pendant les sept premiers jours ce corps n’est encore qu’une espèce de lait ; pendant les neuf jours suivants il se convertit en sang ; il se solidifie pendant les douze jours qui suivent et enfin, pendant les dix-huit jours qui succèdent, tout le corps est formé par les divers linéaments des membres. A partir de ce moment jusqu’à la naissance le corps ne fait plus que grandir et s’accroître. Or, ces quarante-six jours, si vous les multipliez par six, c’est-à-dire par les six âges de l’homme, l’enfance, la puéritie, l’adolescence, la jeunesse, l’âge moyen et la vieillesse, on trouve le chiffre de deux cent soixante-seize, c’est-à-dire de neuf mois et six jours, qui se comptent depuis le huitième jour des kalendes d’avril, jour de la conception et de la mort de Jésus-Christ jusqu’au huitième jour des calendes de janvier, jour de la naissance du Sauveur… Ce n’est donc pas sans raison que quarante-six années sont assignées à la construction du temple, figure du corps de Jésus-Christ ; car autant d’années le temple a mises à se construire, autant de jours le corps de Jésus-Christ a mis à se former.

6. Telle est l’explication de ces paroles « Détruisez ce temple, et je le rétablirai en trois jours. Les Juifs répondirent : Quarante-six ans ont été employés à la construction du temple, et vous le rétablirez en trois jours ? Or, Jésus parlait du temple de son corps ». Nous bénissons le Seigneur qui daigne révéler à ses serviteurs les mystères les plus cachés. Que notre foi repose donc toujours sur l’humilité de notre cœur, afin que nous méritions de recevoir de Dieu la récompense du royaume céleste.


TRENTIÈME SERMON.

SUR LA FÊTE DE PÂQUES.

(DIXIÈME SERMON.)



ANALYSE. — 1. Signification de la Pâque. — 2. Jésus-Christ mort pour le péché, afin de satisfaire à la justice. — 3. Nous devons imiter la Pâque, c’est-à-dire le passage de Jésus-Christ au ciel ; on doit donner des fils à Celui qui nous a donné son Fils.

1. Mes frères, quelques-uns font venir le mot pâque du grec et lui donnent le sens de souffrance ; c’est une erreur. Pâque veut dire passage, car l’Écriture ne lui donne pas d’autre signification, et c’est aussi le sens que ce mot a conservé en passant dans la langue latine. Or, ce mot pâque, ou passage, rappelle que le Seigneur est passé par l’Égypte quand, dans une seule nuit, il frappa tous les premiers-nés des Égyptiens ; c’était l’accomplissement de cette parole : « Et je passerai par la terre d’Égypte, et je frapperai tout premier-né dans la terre d’Égypte[278] ». Notre pâque, ou passage à nous, nous rappelle le passage du Sauveur de la mort à la vie, et son passage des enfers au ciel par sa résurrection. Quel grand, quel admirable passage, car notre Sauveur y détruit la mort à laquelle il s’était volontairement soumis, et ce triomphe, il l’avait prédit lui-même : « J’ai le pouvoir de quitter la vie, et j’ai aussi le pouvoir de la reprendre[279] ». Adorons ce profond décret de la providence et de la miséricorde de Dieu qui, en soumettant le corps de Jésus-Christ à une mort qu’il ne méritait pas, a voulu nous soustraire à la mort, trop juste salaire de nos péchés.

2. Il arrive souvent aux infidèles de nous poser cette question : Quelle nécessité y avait-il que le Seigneur mourût pour l’homme ? Notre salut ne pouvait-il pas s’opérer sur une simple parole ou un commandement de sa part ? Cette question, mes frères, est assurément très-grave à leurs yeux ; mais, avec la grâce de Dieu, nous espérons la résoudre en peu de mots. Au commencement, l’homme avait péché en transgressant le précepte de Dieu ; après son crime, il avait été condamné à la mort en vertu de la loi du péché, et c’était justice ; car, en consentant librement à la tentation, il s’était volontairement rendu l’esclave de son ennemi. C’est ainsi que l’homme, depuis sa prévarication, était tombé sous l’empire du démon ; la nécessité de mourir suffisait à elle seule pour lui rappeler sa complète servitude. « Car, comme il est écrit, la mort régnait depuis Adam[280] ». Or, notre Dieu qui, s’il est tout-puissant, est aussi la souveraine vérité et qui, en nous arrachant par pure miséricorde à l’empire du démon, a voulu s’astreindre à toutes les exigences de la justice, notre Dieu, disons-nous, a écouté non-seulement sa toute-puissance, mais encore la vérité ; il a rejeté la violence et n’a rien voulu extorquer par la force. Il avait recouvré son empire sur l’homme, et le possédait ; mais il s’abaissa jusqu’à payer une rançon pour le captif. Quelque chose, mes frères, semblait s’opposer à ce que Dieu ravit au démon, sans compensation aucune, la victime qui s’était mise volontairement sous le joug. Dieu ne pouvait-il pas délivrer l’homme par le seul effet d’un commandement de sa part ? Une telle délivrance eût été dans les limites de sa toute-puissance, mais non pas dans celles de sa justice. Or, ce Dieu juste ne considère pas ce que lui permet sa toute-puissance, mais ce que prescrit l’équité. Il fallait arracher l’homme au joug du démon, mais en sauvant toutes les règles de la justice. Afin donc de donner toute satisfaction à la justice, Dieu a sauvé l’homme, non pas en commandant, mais en le rachetant. Par un mystère ineffable d’équité et d’amour, Notre-Seigneur se fit véritablement homme, afin que l’homme rachetât l’homme en faisant souffrir la chair pour la chair. Il vint donc dans la ressemblance de la chair de péché, afin que, en payant, par la croix, le salaire du péché, il eût le droit de détruire le péché de la chair. Sur la terre, un créancier qui réclame plus qu’il ne lui est dû, perd, par cela même, tout droit à une revendication ; car, pour me servir de ses propres expressions, il a encouru le danger de demander davantage. Ce principe peut, en quelque manière, s’appliquer au démon. L’homme lui était dû, mais il exigea un Dieu et perdit ainsi sa cause ; en demandant trop, il courut le danger de ne rien obtenir. N’était-ce donc pas justice, mes frères, que celui qui s’était précipité sur l’innocent perdît le coupable, et que celui qui avait poursuivi le juste vît s’échapper le criminel ? En désirant ce qui lui était défendu, il perdit donc ce qui lui appartenait en toute rigueur de justice ; l’iniquité retomba sur son auteur. En sévissant contre Celui qu’il ne pouvait subjuguer, il perdit ce qu’il possédait, et il ne trouva pas ce qu’il cherchait ; il avait envahi l’esclave, et il portait déjà la main sur le Seigneur ; c’est justice que, en poursuivant cette double proie, il ait éprouvé une double déception. En effet, l’esclave se trouvant racheté lui échappa, et le Seigneur, en ressuscitant, remporta le plus glorieux triomphe.

3. C’est un véritable passage que nous célébrons en ce jour, parce que Jésus-Christ met en fuite la mort et reparaît plein de vie. À notre tour, efforçons-nous de ressusciter avec lui. S’il est descendu jusqu’à nous, c’est afin que nous montions jusqu’à lui. En revêtant notre humanité, il l’a élevée jusqu’au ciel, afin que, par la foi et par l’espérance, nous quittions les œuvres terrestres pour nous élever jusqu’aux choses célestes. Le Sauveur a pénétré jusque dans les limbes, afin de nous racheter ; il est monté au ciel, afin de nous entraîner à sa suite. Il est écrit : « Le chef de l’homme, c’est Jésus-Christ[281] ». Jésus-Christ est donc notre chef ; nous sommes son corps ; ne nous éloignons pas des traces de notre Père ; puisque notre chef est au ciel, efforçons-nous de réunir le corps à la tête. Voilà pourquoi c’est une gloire pour l’homme d’offrir à Dieu des fils ou des filles, puisque Dieu a offert pour nous son Fils unique. Le père de nombreux enfants croit faire beaucoup que d’en offrir un au Seigneur, et Dieu a livré pour nous son Fils unique ; nous hésitons à consacrer à Dieu nos enfants, et pour nous Dieu n’a pas épargné son Fils unique. « Quelles dignes actions de grâces rendrons-nous à Dieu pour tous les biens dont il nous a comblés ?[282] » L’offrande même de tous nos fils serait-elle une reconnaissance suffisante ? Pour nous, Dieu a livré son Fils à la mort ; et si nous offrons nos enfants à Dieu, c’est afin qu’ils vivent. Notre Sauveur a obéi à l’ordre et à la volonté de Dieu son Père.



TRENTIÈME ET UNIÈME SERMON.

SUR LA FÊTE DE PÂQUES.

(ONZIÈME SERMON.)



ANALYSE. — 1. Raison du mot Pâque. — 2. Jésus-Christ l’agneau de Dieu immolé pour notre salut. — 3. Les membres de Jésus-Christ ne furent pas brisés ; Jésus-Christ est mort pour Adam.

1. On regarde comme un parricide le sacrifice d’un fils immolé par son père ; tel eût été le sacrifice du Sauveur si, en mourant, il n’eût pas dû ressusciter le troisième jour. Jésus-Christ meurt, mais il est immortel, et le Père n’éprouve aucune perte puisqu’il n’est pas privé de son Fils immolé. Le Sauveur a livré son corps humain, mais il est ressuscité comme Dieu. Sa mort est donc un renouvellement et non pas un châtiment, puisqu’il sort du tombeau glorieux et immortel. Nation incrédule des Juifs, prêtez l’oreille au récit de ces prodiges et sachez ce que vous avez fait ; dans la personne du Fils de Dieu, aujourd’hui plein de vie, vous avez perdu le fruit de votre déicide. Pour vous, chrétiens fidèles, il ne vous appartient pas de tout scruter, mais de craindre ; écoutez donc les enseignements que renferment le mystère et le nom de la fête de ce jour. En hébreu, Pâque veut dire passage ; en grec, il veut dire souffrance. Les Juifs n’y voient que le souvenir du passage qui permit à leurs ancêtres, sortant de l’Égypte, de traverser à pied sec la mer Rouge qui avait desséché son lit et suspendu le cours de ses flots ; nous, chrétiens, nous célébrons dans la Pâque l’anniversaire d’un passage et celui de la passion de Jésus-Christ. De même que, pour les Juifs, le passage de la mer Rouge assura leur délivrance de la captivité, de même la passion du Sauveur fut la rédemption des pécheurs. C’est donc ici, par excellence, le jour solennel que Dieu nous a fait, puisque c’est en son honneur qu’a été immolé l’Agneau innocent figuré dans les sacrifices judaïques.

2. Ô honte ! cette solennité réveille chaque année, dans le cœur des Juifs, le désir du déicide ; ils n’immolent plus en réalité le Fils de Dieu, mais au nom de la religion ils se sentent toujours disposés à commettre ce crime, et ils se félicitent de l’avoir commis. Que c’est donc avec raison que Jésus-Christ est désigné sous le nom d’agneau par les Prophètes ! En apercevant le Seigneur sur la terre, le saint Précurseur le salue en ces termes : « Voici l’Agneau de Dieu, voici Celui qui efface les péchés du monde[283] » ; c’était dire clairement : Voici le véritable agneau pascal. Longtemps avant la naissance de Jésus-Christ, Isaïe l’avait ainsi dépeint « Comme l’agneau reste silencieux sous la main de celui qui le tond, ainsi il n’ouvrira pas la bouche[284] ». Et, en effet, le Sauveur garda ce profond silence dans toute sa passion pendant que le peuple l’accablait d’injures. Le texte sacré parlait de la solennité pascale, mais il en parlait en figure ; car tout mystère, alors même qu’il est dévoilé aux yeux des peuples, conserve toujours son côté obscur. Ce texte sacré portait : « Vous aurez un agneau sans tache, mâle, et d’un an ; vous le prendrez parmi vos boucs et vos chevreaux et vous le conserverez jusqu’au quatorzième jour de ce mois, et tout le peuple de l’assemblée des enfants de Dieu l’immolera vers le soir, et ils prendront de son sang[285] ». C’est nous qui recevons ce sang de Jésus-Christ, dont ses bourreaux ont été arrosés et qui est retombé sur eux pour leur condamnation et en exécution de ce vœu déicide : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants[286] e».

3. Le Seigneur avait dit également : « Ses os ne seront pas brisés[287] ». Cette parole reçut son parfait accomplissement ; car, tandis que les voleurs, crucifiés avec Jésus-Christ, eurent les membres brisés, ceux de Jésus-Christ restèrent intacts. Ce ne fut là l’effet ni d’une erreur, ni d’un accident, ni du hasard ; celui-là pèche avec préméditation, qui observe dans son crime une certaine discipline. Disons enfin pourquoi Jésus-Christ est appelé victime. Adam, le premier homme, qui fut aussi les prémices de notre péché, avait porté jusque dans les limbes la malédiction d’un Dieu vengeur et attendait qu’il y fût racheté par le sang de Jésus-Christ, de telle sorte que la chair devait racheter la chair, la croix du calvaire devait racheter l’arbre du paradis terrestre, et le véritable Fils de la vierge Marie devait racheter le complice de la première femme. Voilà pourquoi, dans la personne du Fils de Dieu, l’innocent a été livré pour le coupable. Jésus-Christ est mort pour l’homme, et c’est lui-même qui s’est substitué volontairement, alors même qu’il aurait pu nous sauver sans mourir. Ainsi, ce qui est mort dans l’homme et en Jésus-Christ, c’est la chair pécheresse qui n’a pu recouvrer son droit à la vie que par le supplice de la chair sacrée du Sauveur. Quand donc, pour le péché de l’homme, Jésus-Christ a livré à la mort son corps destiné à la résurrection, cette mort, en réalité, n’a été qu’un véritable triomphe.

TRENTE-DEUXIÈME SERMON. modifier

SUR LA FÊTE DE PÂQUES. (DOUZIÈME SERMON.) modifier

ANALYSE. —1. Le Père et le Fils ne sont qu’un seul Dieu. —2. La foi en Jésus-Christ naissant d’une Vierge n’a rien de commun avec les absurdités païennes. —3. Pureté parfaite de la naissance de Jésus-Christ. —4. Perversité de Pilate et des Juifs. – Jésus-Christ, dans sa résurrection, vainqueur de la mort et du démon.


1. Dans cette grande solennité de Pâque, notre foi surabonde de joie ; car l’humanité dont Jésus-Christ s’est revêtu dans le sein de Marie nous apparaît toute rayonnante de gloire et de majesté. Cette foi trouve aujourd’hui le fondement le plus inébranlable dans la résurrection de Celui qui a accompli tous les mystères « comme un géant invincible s’élance pour parcourir sa carrière[288] ». Si notre intelligence humaine possède quelque connaissance sur le Père tout-puissant, « Créateur de toutes choses, Roi de tous les siècles, Dieu immortel et invisible[289] », cette connaissance ne nous vient ni des sens, ni du discours, ni des élucubrations des savants ; c’est la foi seule qui nous la donne, cette foi qui nous enseigne que le Fils engendré du Père de toute éternité a été formé par le Saint-Esprit dans le sein de la Vierge Marie et est né dans la plénitude des temps pour le salut du genre humain. Vous donc, chrétien, croyez d’abord le Père tout-puissant, éternel et infini ; croyez que dans le ciel il engendre son Fils de toute éternité, absolument semblable à lui, tout-puissant et éternel ; croyez que le Fils partage avec le Père l’empire sur toutes choses au ciel et sur la terre, puisqu’avec le Père il a créé le ciel et la terre, comme il le dit lui-même par l’organe de Salomon : « Lorsqu’il préparait le ciel, j’étais avec lui[290] » ; croyez aussi que le Père et le Fils ne sont qu’un seul Dieu, selon cette parole de l’Évangile. « Moi et mon Père, nous sommes un[291] ». Enfin, donnons à notre foi tout son développement et croyons en Jésus-Christ Notre-Seigneur qui a été conçu du Saint-Esprit et est né de la Vierge Marie.
2. Nous n’avons pas à parler de Jésus-Christ en tant que Fils de Dieu engendré du Père ; ce dont nous parlons, autant qu’il nous en fait la grâce, c’est de sa naissance temporelle de la Vierge Marie. Il est de la Vierge par l’opération du Saint-Esprit ; mais cette naissance est niée par les incrédules, par les infidèles et par les païens qui nous prennent en profond mépris, lorsqu’ils nous entendent proclamer hautement la maternité d’une Vierge. Qu’ils discutent donc la vanité des dieux qu’ils adorent, et ils cesseront de se rire de la réalité de nos mystères aussi profonds que véritables. Ils nous présentent leur Minerve sortant du cerveau de Jupiter ; et leur Vénus, ou autrement leur Aphrodite, ils la disent engendrée de l’écume de la mer. Croire qu’une jeune Vierge, sous l’action immédiate du Saint-Esprit, a conçu le Sauveur, n’est-ce pas infiniment plus facile que de croire avec ces idolâtres que Vénus a été formée de l’écume de la mer et que Minerve est sortie tout armée du cerveau de Jupiter ? O païens insensés et malheureux, si vous acceptez ces vaines assertions, comment donc pouvez-vous encore clouter de nos prédications aussi saintes que véridiques ? Vous acceptez aveuglément les plus monstrueuses absurdités sur le compte de vos dieux, pourquoi donc ne trouvez-vous pas plus facile de vous en rapporter à la toute puissance du vrai Dieu ? En vertu de cette toute-puissance, nous vous montrons qu’une Vierge a pu concevoir et engendrer. Laissezmoi seulement vous citer quelques exemples aussi clairs que connus. Les abeilles se reproduisent et cependant la diversité des sexes n’y concourt aucunement. Si donc vous croyez de l’abeille qu’elle est vierge et mère, pour quoi ne croyez-vous pas que Marie ait pu engendrer sans que sa virginité ait souffert aucune atteinte ? Non, personne ne doit douter que Jésus-Christ est né du Saint-Esprit et de la Vierge Marie ; ce mystère, annoncé par les anges, est l’objet de la foi de toute la nature humaine.
3. Convaincus sur ce point, les païens, pour cacher leur honte, ajoutent : Grâce à la toute puissance de Dieu, une Vierge a pu, sans doute, concevoir et enfanter, mais il paraît indigne de la Majesté divine d’être sortie du sein d’une femme par ces voies ignominieuses : qu’elle n’a pu suivre sans souillure, alors même que la conception aurait été toute miraculeuse et surnaturelle. Insensé, quand il s’agit de Dieu, comment osez-vous tenir un semblable langage ? C’est trop de témérité par rapport au Créateur, et pour vous réduire au silence, il me suffira de prendre un exemple parmi les créatures. Le soleil est assurément la créature de ce Sauveur dont vous parlez ; or, le soleil pénètre jusque dans les lieux les plus fangeux et les plus sales ; son rayon de lumière y brille dans tout son éclat, et cependant il n’y contracte aucune souillure. Si donc le soleil reste pur au milieu de toutes ces obscénités, comment osez-vous dire que le Sauveur n’a pu qu’être souillé en naissant d’une Vierge immaculée ? Le soleil nous fournit encore une autre comparaison. On peut couper un arbre au moment même où celui-ci est tout inondé des rayons du soleil. Pendant qu’on le coupe, le fer destiné à le frapper est lui-même inondé de la lumière du soleil avant de frapper le bois ; or, cette lumière n’est nullement coupée et ne peut recevoir aucune atteinte, quoique le bois soit soumis à l’incision et donne entrée au tranchant qui le frappe. De même Jésus-Christ a pu être lié, enchaîné, crucifié, immolé ; et pourtant la nature divine qui était en lui n’a pu être atteinte d’aucune manière.
4. Nous avons pour témoin Pilate qui, assis sur son tribunal et après avoir lavé ses mains, s’écria : « Je suis pur du sang de ce juste, c’est votre affaire[292] » ; et cependant, cédant aux clameurs des Juifs répétant sans cesse « Qu’il soit crucifié[293] », Pilate fit flageller le Sauveur et le livra pour qu’il fût crucifié. O jugement pervers ! Le coupable est assis et un Dieu se tient debout ; Pilate commande et Jésus est crucifié. O peuple juif ! ô vous qui vous dites l’héritage de Dieu ! « ô vigne du Dieu Très-Haut, qui produisez non pas des raisins, mais des ronces et des épines ! » que dis-je, vous avez reçu de Pilate le raisin lui-même, et de vos propres mains vous l’avez pressuré sur le bois de la croix. C’est là ce raisin qui, pressuré, a répandu son sang et en a arrosé le monde tout entier. Mais le sang de Jésus-Christ a été répandu pour la rémission des péchés, afin de condamner l’ignominie des Juifs. Venez donc, ô juif, venez à l’église de Jésus-Christ, lavez le sang que vous avez répandu et effacez le crime que vous avez commis. Ne craignez rien ; il est vrai que vous avez cloué à la croix votre Seigneur et votre Dieu ; mais il est venu sur la terre afin de racheter par son sang le inonde tout entier. Croyez en lui, et vous-mêmes, ô Juifs, vous pouvez obtenir le pardon de vos péchés. Par ce bois de la croix, non-seulement l’arbre de la science du bien et du mal qui a causé la mort du premier homme, mais le paradis lui-même a été renouvelé dès l’instant qu’une place y fut donnée à ce larron pénitent qui fut crucifié avec le Sauveur.
5. O mort, ô démon, que dites-vous ? Vous semblez vous réjouir de votre victoire, parce que vous voyez le Christ immortel devenu votre victime. Le Christ que vous voyez descendre en enfer, s’empresse d’y briser les chaînes des captifs et d’en faire disparaître les traces de votre domination. Ce géant invincible qui vous a vaincus dans le monde, dirige sa course rapide jusque dans les enfers, afin d’arracher de vos mains ceux que vous y reteniez captifs et de faire peser sur vous le joug d’une éternelle condamnation. Voici que le troisième jour il est ressuscité d’entre les morts, afin de confirmer la foi véritable qu’il a prêchée à ses disciples, et de conférer la gloire du royaume éternel à tous ceux qui croiront en lui.

TRENTE-TROISIÈME SERMON. modifier

SUR LA FENTE DE PÂQUES, AUX NÉOPHYTES. (TREIZIÈME SERMON.) modifier

ANALYSE. —1. Toutes les créatures, et spécialement les chrétiens, sont invités à célébrer avec joie la fête de Pâques. —2. Les néophytes sont invités d’une manière toute particulière à rendre grâces à Dieu. —3. La persévérance est un de leurs principaux devoirs. —4. Célébration pieuse et chrétienne de la fête de Pâques ; interprétation mystique. —5. Conclusion.


1. Le jour que nous attendions vient de nous apparaître dans tout son éclat : la bienheureuse solennité que nous appelions de nos vœux est enfin arrivée ; le Seigneur a comblé nos désirs en nous donnant de célébrer le saint jour de Pâques. Frères bien-aimés, tressaillons de joie dans cette grande solennité, rendons à la divine bonté de vives et sincères actions de grâces, rehaussées par la sainteté de nos mœurs et par la ferveur de notre amour. Aujourd’hui le ciel et la terre se réjouissent ; les Anges mêlent leurs cantiques à ceux des hommes, et toute créature raisonnable redit : « Alleluia », c’est-à-dire : louez le Seigneur. Chantons tous ensemble : « Le Seigneur est grand et au-dessus de toute louange[294]. Le Seigneur est vraiment grand, sa puissance est sans bornes et sa sagesse sans mesure[295] ». Qui pourrait facilement énumérer, ou dignement expliquer les mystères de ce jour ? Le démon vaincu, l’empire de la mort détruit, Jésus-Christ ressuscitant plein de gloire et d’immortalité, la consommation de notre salut, tels sont les grands faits qui marquent à tout jamais la solennité de ce jour. Se peut-il pour nous, mes frères, un plus grand sujet de joie ? un bonheur plus complet ? un mystère plus sacré ? un sacrement plus admirable ? « C’est bien le jour que le Seigneur a fait ; réjouissons-nous et tressaillons d’allégresse[296] ». C’est le jour de notre renaissance, de notre renouvellement, de notre vivification, de notre rédemption, de notre sanctification, de notre illumination. « Autrefois nous étions ténèbres, aujourd’hui nous sommes lumière dans le Seigneur[297] ». Autrefois nous étions les captifs du démon, mais aujourd’hui nous confessons et nous disons au Seigneur « que nous avons été rachetés des mains de notre ennemi et rassemblés des régions les plus lointaines[298] ».
2. Mais, ô hommes nouveaux, en qui ce langage peut-il mieux s’appliquer qu’en vous, qui, plus que tout autre, apparaissez dans cette Église avec ces vêtements dont la blancheur est le symbole de la blancheur de vos âmes. Vous êtes « néophytes », c’est-à-dire une plantation nouvelle que le Père céleste, par le don du Saint-Esprit et par la vertu de Jésus-Christ notre Sauveur, a daigné purifier, sanctifier et placer dans le jardin de la terre du salut, par l’infusion d’une vie nouvelle. Que les fidèles de Dieu et de Jésus-Christ, que les « pauvres spirituels vous voient et se réjouissent, et que les filles de Judas tressaillent d’allégresse[299] », c’est-à-dire, que leur âme se confie dans le Seigneur, parce que « le Tout-Puissant a fait en nous de grandes choses[300] ». Telles sont assurément « les grandes œuvres accomplies en nous par le Seigneur, pour la réalisation de toutes ses volontés[301] ». Pour tous ceux qui vous contemplent, vous êtes en ce moment le chef-d’œuvre de la grâce de Dieu, le miroir de la pureté sans tache. Quiconque vous considérera sérieusement, ou bien se félicitera d’avoir conservé en lui-même ce précieux dépôt, ou bien se reprochera amèrement d’avoir perdu ce gage assuré du bonheur éternel. Quant à ceux qui n’ont pas encore obtenu cet inappréciable bienfait, ils trouveront dans l’exemple que vous leur donnez un puissant motif de mériter et d’implorer la même faveur. « Que le Seigneur confirme donc ce qu’il a opéré en vous[302] » et dans tous les autres, et qu’il accorde à tous, comme il jugera nécessaire, l’abondance de sa miséricorde.
3. Pour vous, mes bien-aimés, qui êtes en ce moment l’objet de nos félicitations et de notre joie, et à qui s’adressent d’une manière toute spéciale ces belles paroles : « Voici le jour que le Seigneur a fait, car Dieu donna à la lumière le nom de jour[303] », conservez fortement ce que vous avez reçu. Les sacrements de la religion chrétienne vous ont été conférés dans toute leur plénitude. Vous voilà entrés dans la milice du Roi éternel de la terre et des cieux. Luttez courageusement contre les embûches de l’ennemi ; car, selon l’oracle infaillible, « celui-là sera couronné qui aura légitimement combattu[304] ». Nous tous, enfin, qui que nous soyons, écoutons cet avertissement de l’Apôtre : « Vous êtes tous les fils de lumière et les fils du jour, nous n’appartenons ni à la nuit ni aux ténèbres[305] ». Ainsi donc, sous le vif éclat d’une telle lumière, dans ce temps de sanctification, « ne dormons pas » du sommeil du péché, mais « veillons » pour toute bonne œuvre ; « soyons sobres » d’esprit et de corps. Marchons comme des enfants de lumière. « Le fruit de toute lumière réside dans la bonté, la justice et la vérité[306] ». Mangeons la sainte « Pâque, non pas avec l’ancien ferment de malice et d’iniquité, mais avec les azymes de la sincérité et de la vérité[307] ». L’objet pour nous de cette grande solennité spirituelle, c’est le Verbe de Dieu, notre Sauveur, dont il est dit : « Au commencement, Dieu le Verbe était dans le Père, et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous, et nous avons vu et nous croyons sa gloire[308] ». Il est le Fils unique du Père, et cependant il a daigné nous faire ses cohéritiers. O amour étonnant et ineffable ! Nous qui étions des serviteurs inutiles, nous avons mérité de devenir les frères de Jésus-Christ et ses cohéritiers.
4. Que rien de charnel, rien d’indigne ne se mêle aux élans de joie que nous inspire la grâce divine. Non-seulement il y aurait de l’indécence, mais encore un crime de trouver dans cette grande solennité l’occasion de se livrer à la sensualité dans les repas et de jeter l’âme dans une sorte de honteuse torpeur. Que nos fêtes soient donc honnêtes, agréables à Dieu, et conformes à cette parole de l’Apôtre : « Que toutes nos œuvres s’accomplissent honnêtement et selon l’ordre[309]; soit que nous mangions, soit que nous buvions, soit que nous fassions toute autre chose, agissons en tout au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ[310] », pour qui, dès le début, ou dans le cours des temps, a été institué ce grand jour, la première entre toutes les solennités et le résumé le plus sublime de tous les mystères. En effet, ce jour est le premier des sept jours de la semaine, ou le premier après la semaine, c’est-à-dire le huitième ; voilà pourquoi, sans doute, certains psaumes sont intitulés : « Pour l’Octave ». Nous trouvons ce nombre figuré par les huit personnes renfermées dans l’arche diluvienne, qui était le type de l’Église. Dans l’Évangile, le Sauveur énonce également huit béatitudes qui sont la peinture fidèle de la perfection de ceux qui, après avoir triomphé des tentations de ce siècle assez bien figurées par les flots du déluge, auront le bonheur de parvenir à la terre de l’immortalité. C’est aussi le huitième jour que l’Église prend naissance et que la Synagogue disparaît. Les Juifs croient devoir conserver l’observation du sabbat, c’est-à-dire du septième jour ; malheureux Juifs, qui ne connaissent pas le jour légitime et ne veulent pas croire que la fin de la loi c’est Jésus-Christ, qui seul a pu accomplir la loi, créer les jours et préposer à toutes les solennités ce jour que nous appelons le jour du Seigneur, parce que c’est dans ce jour que notre Seigneur et notre Sauveur, sortant du tombeau, est apparu au monde comme étant la véritable lumière. Les païens appellent ce jour le jour du soleil, sans comprendre la portée de cette parole ; nous, au contraire, nous comprenons que c’est le jour de ce soleil dont il est écrit : « Vous verrez s’élever pour vous le soleil de justice qui porte sur ses ailes notre salut[311] ». Personne n’attribue des ailes au soleil visible de la nature ; il n’en est pas de même du Soleil véritable, qui a créé celui que nous voyons ; seul il porte ces ailes de la puissance et de la protection divine dont il est dit : « Il les a reçus comme l’aigle déployant ses ailes et a protégeant son nid[312] ». Nous lisons également dans l’Évangile : « Jérusalem, Jérusalem, combien de fois j’ai voulu rassembler tes fils, comme la poule rassemble ses petits sous ses ailes[313] ». Enfin, c’est à ce soleil que le fidèle adresse cette invocation opportune et salutaire : « J’espérerai à l’ombre de vos ailes, jusqu’à ce que l’iniquité disparaisse[314] ».
5. Nous avons sous les yeux, mes frères, l’accomplissement de cette parole du psaume Hosanna[315], c’est-à-dire, Seigneur, sauvez-moi ; nous voyons ouverte devant nous la porte du salut, dont il est dit : « Voici la porte du Seigneur, c’est par elle que les justes entreront[316] » ; entrons donc par la porte de l’Église en toute sincérité et vérité, afin que cette porte de la confession et de la louange nous introduise dans le royaume des cieux, où nous jouirons du bonheur éternel. « Nous ne serons pas confondus lorsque nous parlerons dans la porte[317] », c’est-à-dire en Notre-Seigneur Jésus-Christ qui a dit de lui-même : « Je suis la porte, celui qui entrera par moi sera sauvé[318] ». C’est par Jésus-Christ que tous les saints sont entrés et entrent chaque jour près du Père de la vie éternelle, à qui, avec le Fils et le Saint-Esprit, soient honneur et gloire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

TRENTE-QUATRIÈME SERMON. modifier

SUR LA FÊTE DE PÂQUES, ADRESSÉ AUX NÉOPHYTES. (QUATORZIÈME SERMON.) modifier

ANALYSE. —1. Commencement de la discussion, déjà promise, sur les sacrements. —2. Le sacrifice de la nouvelle loi substitué aux anciennes victimes. —3. Pour parler du sacrement du corps et du sang de Jésus-Christ, nos âmes ont besoin de l’attraction divine. —4. Jésus-Christ est le pain vivant et le pain de vie. —5. Croyons à la parole de Jésus-Christ nous proposant son corps à manger et son sang à boire, afin de procurer à nos âmes la vie éternelle. —6. Solution de plusieurs questions ; afin de nous montrer l’opportunité de la matière du sacrement de l’Eucharistie, l’auteur cite en comparaison et explique la matière du baptême. —7. Le pain et le vin ont été adoptés pour ce sacrement, comme signe d’union entre les fidèles. —8. Jésus-Christ, dans ce sacrement, donne réellement son corps et son sang, mais sous les espèces du pain et du vin, afin de ne pas soulever le dégoût ou la répugnance. —9. Actions de grâces dues à Jésus-Christ pour le don de son corps ; mais nous devons y joindre la foi, car le Sauveur fait preuve de toute-puissance en changeant le vin en son sang, comme il avait déjà changé l’eau en vin.—10. Avant de s’approcher de ce sacrement le pécheur doit d’abord se réconcilier avec Dieu.


1. Les instances qui nous sont faites par nos néophytes ne nous permettent pas de différer plus longtemps l’instruction que nous avons promise sur les sacrements. L’impuissance où nous sommes de traiter dignement un aussi grand sujet nous autoriserait à décliner cette importante fonction, si nous ne sentions l’écrasante responsabilité que portera devant Dieu le prêtre qui par paresse ou négligence, aura laissé ses enfants dans l’ignorance des vérités essentielles de la religion. Aussi, selon les lumières qu’il plaira à Dieu de nous donner, nous allons entreprendre l’étude de cette admirable économie des sacrements et des sacrifices. Que ceux qui ont la foi présentent à Dieu pour moi de ferventes prières, et que ceux qui doutent témoignent d’un ardent désir de connaître la vérité.
2. L’oracle du prophète Malachie nous a fait connaître, mes frères, la réprobation lancée par Dieu contre les sacrifices de l’ancien peuple : « Ma volonté n’est plus en vous », dit le Seigneur, « et je ne recevrai plus de sacrifice de votre main[319] ». Comment donc l’homme sera-t-il consacré à Dieu, si les sacrifices disparaissent ? car dès que les sacrifices manquent, les sacrilèges abondent. Écoutez ce qu’ajoute le Prophète, toujours au nom du Seigneur : « Car depuis l’Orient jusqu’à l’Occident, mon nom sera glorifié parmi les nations, et en tous lieux une oblation pure sera sacrifiée et offerte à mon nom ». Ce ne sont donc pas tous les sacrifices qui doivent disparaître, mais seulement les sacrifices sanglants. Dieu réprouve la victime qui lui est offerte par un seul peuple, et il annonce qu’il agréera l’offrande pure qui, de l’Orient à l’Occident, lui sera faite par toutes les nations. Il serait trop long de montrer, par exemple, que l’agneau pascal, qui devait être sans tache et âgé d’un an, n’était que la figure de Jésus-Christ lui-même dont il annonçait les souffrances, la passion et la mort.
3. Passons à l’Évangile et montrons que ceux qui viennent de puiser dans le baptême par l’eau et le Saint-Esprit les principes de la vie éternelle, ne doivent pas hésiter à chercher la vie dans le corps et le sang du Sauveur. Mes frères, recueillez avidement cette doctrine et n’espérez pas que je puisse attirer quelqu’un à Jésus-Christ, si Jésus-Christ ne l’attire à son Père, ou si le Père ne l’attire au Fils, selon cette parole : « Personne ne peut venir à moi, si mon Père, qui m’a envoyé, ne l’attire[320] » ; et il s’agit ici d’attirer non par la force ou la toute-puissance, mais par l’amour, le désir et la charité. Est-ce que le plaisir n’a pas une puissance d’attraction comme la nécessité ? L’âme a sa délectation qui l’entraîne ; l’amour de Jésus-Christ a ses chaînes qui délivrent des chaînes du péché et nous conduisent au Père, par le mérite de l’innocence. Vous suivez donc celui que vous aimez, et vous êtes attiré en quelque sorte par celui que vous suivez avidement. C’est ainsi que le Père attire ses amis à Jésus-Christ, et que Jésus-Christ attire ses amis au Père. L’important, c’est que vous puissiez adresser à celui que vous aimez cette parole prophétique : « En vous suivant, je n’ai éprouvé ni peine ni fatigue[321] » ; c’est-à-dire que dans tout ce qui concerne la vie, je n’ai senti la fatigue et le besoin d’aucune investigation curieuse, mais j’ai joui d’un doux repos, tant la foi m’inspirait de sécurité !
4. Vous apprendrez alors, dans toute la joie et l’enivrement de votre âme, où est votre salut et votre vie ; vous l’apprendrez dans ces paroles mêmes du Sauveur : « Je suis le pain de vie[322] ». En effet, il est véritablement le pain de vie, mais pour ceux qui vivent de la foi, selon cet oracle : « Le juste vit de la foi[323] ». Écoutez donc et accueillez cette parole : « Je suis le pain vivant qui suis descendu du ciel[324] ». Il est le pain, et il est le pain vivant parce qu’il est descendu du ciel ; car où la mort régnait par le péché sur la terre, la vie devait vivre par le pain vivant, et vivre de la vie du ciel. Il ne me paraît pas que ce soit pousser trop loin la subtilité, que d’établir une différence entre le pain vivant et le pain de vie, de telle sorte que si le pain vivant possède la vie, le pain de vie paraisse conférer la vie à ceux qui la reçoivent. C’est la pensée qui ressort du contexte. En effet, après avoir dit : « Je suis le pain vivant descendu du ciel », le Sauveur ajoute : « Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement[325] », nous annonçant par là qu’il est venu apporter la vie éternelle, qu’il possède en lui-même, à ceux qui mangeront sa chair et boiront son sang.
5. Viennent ensuite les paroles qui furent pour les Juifs un sujet de dispute : « Le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie de ce mond[326]e ». Ces paroles sont bien propres à soulever les murmures et à secouer la torpeur de ceux qui dorment et oscillent dans la foi, c’est-à-dire de ceux qui veulent comprendre avant de croire ; c’est à ceux-là que s’adresse cet arrêt si juste de la majesté divine : « Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez point[327] ». Si donc nous voulons comprendre, avant tout nous devons croire tout ce que notre Sauveur nous a enseigné ou institué ; car celui qui croit obtient pour récompense la faveur de comprendre, tandis que l’erreur de l’ignorance est le châtiment de celui qui ne croit pas. Or, dit le Sauveur, « le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde ». Nous n’avons pas à soulever de dispute sur cette parole, comme l’ont fait les Juifs ; notre devoir, c’est de croire, puisque, en croyant, les disciples ont mérité ce pain de vie. Que personne ne dise ce que disaient ces Juifs : « Comment celui-ci peut-il nous donner sa chair à manger[328] ? » Que l’incrédule entende plutôt et entende avec terreur : « Si vous ne mangez la chair du Fils de l’Homme, et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez pas en vous la vie[329] ». Comme vous croyez ces paroles de l’Évangile : « Si quelqu’un ne renaît de l’eau et du Saint-Esprit[330] », et comme en les croyant vous avez mérité de renaître, croyez aussi à ces autres paroles du même Évangile : « Si vous ne mangez la chair du Fils de l’Homme et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez pas en vous la vie ». Peut-être, mes frères, aurions-nous été tentés de croire que ces paroles se rapportaient à la vie présente et que le corps de Jésus-Christ devait nous soustraire à l’obligation de mourir. Mais le Sauveur s’empresse de dissiper nos illusions, quand il ajoute : « Et je le ressusciterai au dernier jour[331] » ; c’était nous dire clairement que le Sacrement du corps et du sang du Seigneur n’a d’autre objet que la vie éternelle. De même donc que l’âme est la vie du corps, de même Dieu est la vie de notre âme. Jésus-Christ devient le pain de l’âme, mais de cette âme que la foi nourrit. Quoi qu’il en soit, le langage du Sauveur avait scandalisé plusieurs assistants, non seulement parmi les Juifs, mais même parmi les disciples, et l’Évangile observe que beaucoup de ces esprits faibles se retirèrent. Comme ce mouvement gagnait de proche en proche, le Sauveur se tournant vers ses Apôtres leur dit. « Est-ce que vous voulez aussi vous retirer[332] ? » Répondons avec saint Pierre : « Seigneur, à qui irions-nous ? vous avez les paroles de la vie éternelle, et nous croyons, et nous savons que vous êtes le Christ, le Fils de Dieu[333] ». Que celui donc qui reconnaît Jésus-Christ comme étant le Fils de Dieu, reçoive avec une foi entière ces paroles de la vie éternelle : « Écoutez », dit le Prophète, « écoutez, ô Israël et gardez le silence[334] ». Ailleurs : « Écoutez, prêtez l’oreille et gardez-vous de vous élever parce que le Seigneur a parlé[335] ». Ces paroles sont une défense formelle de soulever nos opinions personnelles contre des enseignements divins qui doivent être la règle de nos jugements ainsi l’a statué notre Créateur, ainsi l’a voulu notre Rédempteur. « Est-ce que la terre dit à celui qui l’a façonnée : Pourquoi m’avez-vous façonnée ainsi[336]? »
6. Laissons cependant à la sagesse humaine une certaine liberté d’investigation. En quoi donc ont pu déplaire ces mystères de Jésus-Christ qui est la sagesse éternelle ? Pour ses fidèles il est le pain de vie. Peut-on trouver étrange qu’il veuille nourrir de sa propre chair ceux qu’il a rachetés par sa propre personne ? Revenons à la naissance même des fidèles. Nous renaissons de l’eau et du Saint-Esprit. Et cette renaissance, qu’y a-t-il de plus étonnant, de plus incompréhensible, si nous sortons des données de la foi ? C’est de l’eau et de l’Esprit qu’ont dû renaître ceux qui renaissaient dans l’Esprit, de telle sorte que le Saint-Esprit devint le principe de notre procréation spirituelle. On demandera peut-être Pourquoi renaître de l’eau ? Vous auriez posé la même question, alors même que le Sauveur aurait jugé à propos de donner toute autre matière au mystère du baptême. Or, s’il est permis de discuter une institution divine, l’œuvre de notre réparation pouvait-elle adjoindre au Saint-Esprit quelque chose de plus pur et de plus simple que l’eau ? N’est-ce pas de cet élément qu’il est écrit au commencement de la Bible : « L’Esprit de Dieu était porté sur les eaux[337] ? » Il était donc naturel que l’Esprit-Saint se retrouvât porté sur ces mêmes eaux pour opérer notre salut. Mais combien de mystères nous sont révélés par cette eau de notre régénération ! D’abord, l’immersion qu’il subit apprend au néophyte qu’il doit, par mortification, être caché aux yeux du monde et se souvenir que, par le baptême, il a été enseveli pour la mort. Cette immersion faite au nom de la sainte Trinité est une véritable conception spirituelle à laquelle l’eau prête, pour ainsi dire, son sein maternel ; bientôt le néophyte reparaît à la lumière, son âme est entièrement purifiée par l’effet du sacrement et par la grâce du Saint-Esprit, la grâce faisant ici pour la purification des âmes ce que fait l’eau naturelle pour la purification des corps. Vient ensuite l’Onction, image prophétique de la grande dignité à laquelle nous sommes appelés, suave parfum consacré à Jésus-Christ et versé en abondance sur la tête des enfants innocents. Cette onction nous consacre tous à Jésus-Christ notre chef, et fait de nous des prophètes et des rois. Des rois, parce que nous devons nous commander à nous-mêmes et maîtriser nos vices ; des prophètes, parce que nous voyons par la foi tout ce qui s’est fait dans le passé, et nous attendons pour l’avenir la béatitude éternelle à laquelle nous croyons du fond de nos entrailles. Si donc la matière dont nous naissons a pu plaire à Dieu, à combien plus forte raison celle dont nous vivons. Car, pour faire le sacrement de son corps, Jésus-Christ a voulu se servir de pain, en nous promettant d’y trouver la vie. Ensuite il a voulu que tous ceux qu’il comptait parmi ses membres vécussent de la nourriture de son corps, pour empêcher ces membres de se mépriser les uns les autres, puisque celui qui refuse de manger avec les autres se trouve par cela même hors de la société des membres de Jésus-Christ. 7. Toutefois, n’oublions pas quels éléments sont destinés à être changés au corps et au sang de Jésus-Christ. C’est le pain et le vin. Considérez, mes frères, combien de grains de froment entrent dans la confection du pain et combien de grains de raisin entrent dans la confection du vin ; cette réflexion nous révélera l’accomplissement de cette parole de l’Apôtre : « Si nombreux que nous soyons, nous ne formons qu’un seul corps[338] ». Il nous faut donc, sous le pressoir et sous la meule de la discipline ecclésiastique, nous confondre dans une véritable unité, de manière que, moulés par la foi, nous ne laissions paraître entre nous aucune différence essentielle. Voyez, mes frères, si vous ne trouvez pas un véritable corps dans ce qui devient le corps de Jésus-Christ par les paroles sacramentelles ; car, dans l’admirable unité de son corps il ne veut laisser apparaître aucune différence entre le Maître et le serviteur, entre le dernier des sujets et le roi sur le trône, entre le pauvre et le riche ; dans ce corps, la ferveur de la foi exclut toute distinction de personnes et y amène promptement les plus petits grains à la grosseur des plus grands. C’est donc avec raison que le Seigneur a choisi ce genre d’oblation où pain et le vin devaient être changés en la substance adorable de son corps et de son sang ; c’est avec raison qu’il a institué ce sacrifice dans lequel se reflètent d’une manière si vive la paix et l’unité. Si l’union et la concorde apparaissent quelque part, n’est-ce point surtout dans la farine extraite des grains de froment et dans le vin extrait des grappes de raisin ? Telle est la matière dont Jésus-Christ, l’auteur de la paix, daigne se servir pour faire le sacrement de son corps. Or, il a voulu que ce sacrifice fût pour nous comme un centre d’attraction et d’unité, afin qu’en offrant ces hosties de paix nous soyons censés ne former qu’un dans les liens du culte de Jésus-Christ et dans le souvenir de notre rédemption, toutes choses qui nous empêchent de retourner à nos anciennes superstitions, puisque nous ne sommes plus que les membres d’un seul corps sous un seul chef.
8. Dans ces sacrifices aussi saints que dignes de Dieu, la pureté des hosties n’offre aucun appât ni à la sensualité ni aux instincts de la gourmandise, ni à une honteuse intempérance. Nous sommes imprégnés d’un parfum tout céleste et rassasiés d’un aliment tout spirituel. Dans la plus petite parcelle de l’hostie, les fidèles reçoivent Jésus-Christ tout entier. Il leur suffit d’aspirer quelques gouttes du sang divin pour être abreuvés de la vie éternelle. Que personne ne dise : Je vois du pain, on m’apprend que c’est le corps ; je prends le vin, on me (lit que c’est le sang. Le Seigneur nous a donné son corps et son sang sous de simples espèces ou apparences ; par ménagement pour nous il a écarté tout ce qui aurait pu nous causer du dégoût ou de l’horreur, et cependant c’est véritablement son corps qu’il nous a donné. Écoutez ce qu’il nous dit lui-même : « Sachant que ses disciples murmuraient, le Sauveur leur dit : « Est-ce que cela vous scandalise ? Si donc vous voyiez le Fils de l’homme remontant où il était auparavant[339] ? » Avant que Jésus-Christ remontât au ciel, la faiblesse humaine pouvait plus facilement se scandaliser ; mais, maintenant qu’il est remonté au ciel, comment concevoir le moindre doute sur la véracité de ses paroles, quand nous le voyons prendre en maître possession du royaume des cieux ?
9. Rendons grâces à Dieu qui nous réjouit chaque jour par l’immolation de cet Agneau qui efface le péché du monde, c’est-à-dire par l’immolation de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui a donné à ses fidèles la possession sur la terre de ce même corps qu’il a placé lui-même dans la gloire du ciel. « Maintenant donc une oblation pure est offerte en tout lieu[340] ». A l’autel on reçoit la vie si l’on croit à la vie. Celui qui a changé l’eau en vin pour le simple agrément des convives, ne peut-il pas changer en son sang le calice de vie ? Prenez donc ce qu’il vous présente et recevez constamment le corps de la paix et de la vie. Jésus-Christ, la paix et la vie, reconnaît comme sien celui en qui règne la paix.
10. Si donc quelqu’un sent que le péché forme en lui un obstacle à ce sacrement, qu’auparavant il rende la paix à son âme. Le Sauveur l’a dit : Ce sacrement est un sacrement de paix et de vie. Le péché vient seconder la mort et entraver la vie. Si donc, par suite de la faiblesse humaine, le péché vient se glisser dans notre vie, empressons-nous de le combattre en nous remettant en paix avec Dieu. Parce que nous sommes faibles, nous nous laissons aller à des défaillances ; mais que ces défaillances ne soient point mortelles, puisque nous recevons le corps de Jésus-Christ qui est la vie. Avant de monter à l’autel nous ne saurions trop méditer ces paroles que nous redisons si souvent dans l’Oraison dominicale : « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés[341] ». Votre pardon vous est accordé, montez en toute sécurité, mais voyez si vous pardonnez ; car, si vous ne pardonnez pas, voici votre sentence : « Méchant serviteur, je vous ai remis toute votre dette, parce que vous m’en avez prié ; ne deviez-vous pas, vous aussi, avoir pitié de votre compagnon[342] ? » L’Apôtre vous dit lui-même : « Celui qui mange et boit indignement, mange et boit son jugement, puisqu’il ne discerne pas le corps de Jésus-Christ[343] ». Car s’il eût discerné le corps de Jésus-Christ, jamais il n’aurait osé s’en rendre le membre indigne. Toutes les fois donc que nous nous approchons de l’autel du Seigneur, soyons en paix avec Dieu et avec nos frères, et nous serons assurés de recevoir la vie par Notre-Seigneur Jésus-Christ qui vit et règne dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

TRENTE-CINQUIÈME SERMON. modifier

SUR LA FÊTE DE PÂQUES. (QUINZIÈME SERMON.) EXPLICATION DE CES PAROLES : « COMME DES ENFANTS NOUVELLEMENT NÉS ». modifier


1. Quoique je désire que mes paroles profitent à l’Église tout entière, toutefois c’est à vous spécialement que je les adresse, ô mes bien-aimés néophytes, qu’une nouvelle et sainte naissance vient de jeter dans une vie nouvelle. Pour vous, ma sollicitude est d’autant plus grande gale la grâce vient de vous embellir d’une innocence plus parfaite. Voilà pourquoi je ne puis mieux faire que de vous adresser cet avertissement formulé par l’Apôtre : « Comme des enfants nouvellement nés, convoitez le lait de la sagesse et de la vérité, afin que par lui vous croissiez pour le salut[344] ». Comme le rappelle cette parole de l’Écriture, les enfants dans leur âge le plus tendre ne désirent que du lait. Vous aussi, mes bien-aimés, vous ne venez que de naître, il ne vous reste donc qu’à vivre du lait de l’innocence. Mais le lait dont parle l’Apôtre, « c’est le lait de la sagesse et de la vérité ». Il désigne la doctrine, la saine doctrine, inspirée par la sagesse et la raison divines, et exempte de toute fraude ou mensonge, de telle sorte que celui qui s’en nourrit est comme allaité par l’innocence et rendu raisonnable par la sagesse. Deux espèces de lait nous sont donc indiquées : le lait charnel et le lait rationnel ; le lait charnel dont se nourrissent les petits enfants, et le lait rationnel destiné aux enfants-hommes. Pour vous, mes très-chers, vous êtes à la fois des enfants et des hommes ; des enfants par votre nouvelle naissance, et des hommes par votre âge et votre raison. Persévérez dans votre enfance par la simplicité, et dans la virilité par la foi, et puisque vous vous nourrissez maintenant du don sacré de la doctrine et du lait raisonnable, puissiez-vous être toujours des enfants par l’innocence de la vie, et des hommes par la sagesse et la raison.

TRENTE-SIXIÈME SERMON. modifier

POUR LES JOURS DE L’OCTAVE DE PÂQUES PREMIER SERMON. – JONAS FIGURE DE JÉSUS-CHRIST. modifier

ANALYSE. —1. Jonas rebelle aux ordres de Dieu. —2. Il est jeté dans la mer et englouti par un poisson. —3. Il est déposé sur le rivage. —4. Jonas figure de Jésus-Christ mourant. —5. De Jésus-Christ enseveli. —6. De Jésus-Christ ressuscité.


1. Jésus-Christ notre Sauveur, pour nous prouver son amour infini, « se livra lui-même pour nous[345] et donna sa vie pour ses brebis[346] ». Toutefois, les ignominies qu’il subit de la part des Juifs avaient été prédites par les patriarches, parmi lesquels l’un surtout peut être présenté comme la vive image de la passion du Sauveur. Nous lisons que le prophète Jonas avait été envoyé par le Seigneur dans la ville de Ninive dont il devait annoncer la ruine imminente. Jonas sachant que le Seigneur est plein de miséricorde et toujours disposé à user d’indulgence, craignit que les menaces qu’il allait fulminer contre cette ville ne restassent sans effet, il résolut d’échapper à cette mission par la fuite. On croit généralement que depuis le déluge, qui renouvela la face du monde, Ninive, ainsi appelée du nom de son fondateur Ninus, fut la première capitale du premier empire. Irrité des crimes horribles dont cette ville était le théâtre, le Seigneur ordonne à Jonas d’aller lui porter les menaces d’une prompte destruction ; mais ce Prophète, pour éluder cet ordre formel, monte sur un vaisseau, se confie aux flots de la mer et croit disparaître de la face du Seigneur, en prenant la fuite vers Tharse. Étrange détermination ! Jonas change la direction de sa course, comme si le Seigneur n’eût pas été à Tharse. Dieu, à qui seul rien n’est caché, suscita une horrible tempête qui jeta le vaisseau dans le plus grand danger. Au sein de cette violente commotion de la mer, tantôt le navire semble toucher le ciel, et soudain les flots, en se retirant, le précipitent dans les profondeurs de l’abîme. Les matelots redoublent d’efforts et d’adresse ; mais c’est en vain, le gouvernail échappe à la main qui le guide, la vue du danger les glace de frayeur : nous périssons, s’écrient-ils, nous sommes engloutis. Tour à tour le vaisseau frappe le ciel et heurte les enfers ; dans ce prodige, reconnaissez, mes frères, avec quelle docilité les vagues obéissent à Dieu, voyez comme tous les éléments se concertent pour poursuivre ce Prophète fugitif.
2. Au milieu de ce tumulte, Jonas seul était insensible, car il restait plongé dans un profond sommeil ; il fallut la jalousie de ses compagnons pour l’arracher à cet incroyable repos. Quoi donc, vous dormez, lui disent-ils ! Quel homme êtes-vous donc pour rester insensible à l’affreux danger que courent des hommes ? C’est alors qu’ils consultent le sort pour connaître la cause du malheur qui les menaçait. Jonas, désigné par le sort, ordonne qu’on le précipite dans la mer, assurant que sa mort conserverait la vie à ses compagnons et procurerait la délivrance du vaisseau. Tous s’empressent d’obéir aux ordres de Jonas et trouvent dans ce crime le gage de leur propre salut. Dans un tel péril, singulier moyen de retrouver la vie ! Le souvenir des bienfaits a coutume de nous exciter à la miséricorde, et voici qu’un crime des plus cruels a délivré ses auteurs du danger de la mort. Jonas fut jeté à la mer et la tempête s’apaisa subitement. Mais, dans toutes les adversités, quelles surprises vous ménagent les événements ! Qui ne croirait Jonas englouti sous les flots ? Qui ne supposerait que son corps inanimé erre maintenant au gré des flots, sur le point d’être brisé contre les rochers et les écueils ? Jeté à la mer, il ne fut même pas en contact avec l’eau, car un monstre marin le reçut comme nourriture dans ses vastes entrailles et semblait lui réserver une mort encore plus prompte. Ce monstre saisit sa proie avec une avidité famélique, et pourtant ne toucha ni de la bouche ni des dents celui qu’il se disposait à dévorer. Jonas n’éprouva aucune blessure et glissa doucement dans les larges ouvertures que lui offrait le vaste flanc de ce monstre marin. Devant une telle proie, les entrailles du poisson frémissent, mais la chaleur naturelle est impuissante à le dissoudre et à en faire un aliment ordinaire. Jonas, au lieu d’être la nourriture de ce poisson, en fut plutôt l’hôte respecté, et pendant trois jours, il demeura sain et sauf dans son sein et mérita, par ses ardentes prières, que Dieu lui fît miséricorde.
3. Représentons-nous cet animal promenant dans les abîmes de la mer et le long du rivage, cette proie qu’il avait reçue et qu’il devait rendre. Mais, pendant que Jonas flottait ainsi sans danger au milieu des flots, tout à coup, guidé par la divine Providence, le poisson s’approche du rivage et y dépose, sans aucune blessure, le fardeau qu’il portait depuis trois jours. C’est ainsi que Jonas trouva dans son châtiment une source de bonheur qui lui permit d’aller porter à d’autres les principes du salut.
4. Telle est, mes frères, l’histoire du prophète Jonas ; essayons maintenant, avec l’aide de Dieu, de montrer de qui Jonas était alors la figure. En effet, parmi les événements écoulés de l’histoire, il en est qui doivent être étudiés non-seulement dans leur réalité, pour ainsi dire matérielle, mais encore dans le caractère figuratif qu’ils ont avec d’autres faits de la vie du Sauveur, selon cette parole de l’Apôtre : « Et toutes choses leur arrivaient en figure[347] ». Ninive, cette grande cité à laquelle Jonas allait porter des menaces de destruction, était la figure du monde Honteusement livré à l’idolâtrie et à toutes sortes de crimes ; quant à Jonas lui-même, il désignait clairement la personne même de Noire-Seigneur Jésus-Christ. Le navire sur lequel Jonas dormait pendant la tempête figurait la synagogue des Juifs. La mer, soulevée par des vents furieux, était l’image du peuple juif qui s’est livré si souvent à la révolte et à des entreprises insensées. Le monstre marin qui reçut Jonas, était la figure de l’enfer. Or, tous ces caractères figuratifs que nous trouvons dans Jonas, se sont parfaitement réalisés en Jésus-Christ. Comme Jonas dort sur le vaisseau, Jésus-Christ garde le plus profond silence au milieu de ses persécuteurs. À tous deux pouvaient donc s’adresser ces paroles : « Levez-vous, pourquoi dormez-vous, Seigneur, et ne nous repoussez pas jusqu’à la fin[348] ». Nous disons du Seigneur qu’il dort lorsqu’il semble garder le silence sur les iniquités des hommes, et attendre le repentir des coupables ; qu’il se lève, et tous ses ennemis disparaissent confondus. Le sort fut jeté pour connaître celui qui était la cause de cette tempête ; le sort tomba sur Jonas, ils le précipitèrent dans les flots, et la tempête fut apaisée ; tout cela figure Jésus-Christ dont la mort arracha le monde à toutes les tempêtes du démon ; Jésus-Christ, désigné de toute éternité par son Père pour venir accomplir la rédemption du monde, car lui seul pouvait nous racheter. Jonas, précipité dans la mer et reçu par un poisson, est la figure sensible de Jésus-Christ livré à la mort par la cruauté des princes de la synagogue et reçu par les Romains pour être crucifié, et c’est ce crucifiement qui calma la tempête soulevée par la barbarie des Juifs.
5. A l’accomplissement de tous les mystères de la passion, ajoutons la sépulture du Sauveur et cherchons-en l’explication. Le poisson qui pendant trois jours conserva Jonas vivant dans ses entrailles, est la figure de Jésus-Christ descendant vivant dans les enfers. C’est le Sauveur lui-même qui a établi ce rapprochement entre la figure et la réalité : « Comme Jonas resta trois jours et trois nuits dans le sein de la baleine, le Fils de l’homme doit rester dans le sein de la terre[349] » ; or, cet espace de temps se retrouve exactement dans la passion du Sauveur. Toutefois, beaucoup d’esprits prévenus ou peu intelligents se troublent de trouver dans la sépulture du Seigneur moins de jours qu’il n’y en a d’indiqués dans la prophétie : « Comme Jonas resta trois jours et trois nuits dans le sein de la baleine, il faut que le Fils de l’homme demeure dans le cœur de la terre ». D’abord, on peut dire que Jésus-Christ était comme immolé et enseveli dans le mur de tous ces hommes terrestres qui n’obéissaient qu’à des passions terrestres et dont la cruauté ne recula pas devant l’injustice et l’infamie de la mort de Jésus-Christ. Le jour de la trahison, le jour du crucifiement et le jour de la sépulture, ces trois jours et ces trois nuits, ne peuvent-ils pas être regardés comme l’application matérielle des trois jours et des trois nuits de l’histoire de Jonas ? Le doute n’est point possible à cet égard, puisque la parole de Jésus-Christ est formelle : « Il faut que le Fils de l’homme soit dans le cœur de la terre ». Ce cœur de la terre peut assurément recevoir l’interprétation que nous lui avons donnée précédemment.
6. Mais le poisson rejeta Jonas, et celui-ci, après trois jours de captivité, reparut de nouveau plein de vie à la lumière. De même, après l’accomplissement de ces mystères, Jésus. Christ reparut plein de gloire, ressuscitant avec de nombreux témoins qui sortirent avec lui des enfers pour proclamer son triomphe ; car, « étant entrés dans la ville, ils apparurent à un grand nombre d’habitants[350] ». Or, les sacrements divins cachés dans les mystères antiques nous paraissent admirablement révélés dans Jésus-Christ notre Sauveur, et se manifestent avec une telle évidence, qu’ils deviennent un principe de salut pour tous ceux qui ont la foi.

TRENTE-SEPTIÈME SERMON. POUR L’OCTAVE DE PÂQUES. (DEUXIÈME SERMON.) modifier

ANALYSE. —1. Les anciennes prophéties accomplies en Jésus-Christ. —2. À la mort du Sauveur le soleil s’obscurcit. —3. Jésus-Christ invoquant son Père. —4. Apostrophe aux Juifs ; bienfaits dont ils avaient été comblés. —5. Ce que le Sauveur avait fait pour eux. —6. Mort de Jésus-Christ, sa descente aux enfers et sa résurrection.


1. Les nombreux et profonds mystères que nous célébrons dans ces solennités de Pâques, ont été consignés dans les livres de la révélation et serrés dans toutes les antiques demeures et les plus anciennes archives des Juifs. Or, tout ce que les patriarches et les Prophètes avaient prédit de la passion de Jésus-Christ, devait nécessairement s’accomplir. Un seul instant, pour ainsi dire, suffit à cet accomplissement, l’instant où Jésus-Christ « s’élança comme un géant pour parcourir sa carrière[351] » ; toutefois, chaque année nous célébrons par des fêtes solennelles l’anniversaire de ces grands événements, afin d’en perpétuer le souvenir jusqu’à la consommation des siècles. Le silence ne peut donc se faire sur les crimes des Juifs, jusqu’au jour où la grande Victime viendra juger la terre, « afin qu’ils voient et connaissent Celui qu’ils ont transpercé[352] ».
2. Disons un mot de la cruauté dont les Juifs firent preuve dans la passion du Sauveur, nous parlerons ensuite de la résurrection. Le monde lui-même n’a pu considérer librement les crimes dont les Juifs se rendaient coupables à l’égard du Sauveur, et le soleil refusa sa lumière au moment où Jésus-Christ expirait sur la croix et où son âme descendait dans les enfers. Dans ce fait, aucune inconvenance, aucune incertitude ; les enfers ne peuvent voir Dieu sans la lumière, selon cette parole : « Car Dieu est la lumière, et les ténèbres ne se trouvent point en lui[353] ». Or, la lumière disparut de ce monde, selon cette autre parole : « Depuis la sixième heure jusqu’à la neuvième, les ténèbres se répandirent sur toute la terre ». O Juifs, comment osez-vous consommer votre affreux sacrilège ? Ne pensez pas, du reste, l’ensevelir dans l’ignorance et l’oubli, car la nuit elle-même apparaissant au milieu du jour, est chargée d’annoncer votre crime aux quatre coins de l’univers. Ces ombres noires sillonnent toute la terre, proclamant un horrible crime, et dans ce nouveau chaos les ténèbres publient à haute voix le plus grand de tous les forfaits. Ainsi devait être annoncée la passion du Sauveur, afin que le monde entier s’étonnât de cette miraculeuse obscurité. « Depuis la sixième heure jusqu’à la neuvième les ténèbres se répandirent sur toute la terre[354] ». Les éléments furent confondus ; une voix impérative rompit les anciens engagements. Le jour perdit ses heures, et plutôt que d’assister à la mort de son Créateur, le soleil refusa sa lumière et se couvrit d’une profonde obscurité.
3. C’est à bon droit, mes frères, que ce monde gérait et pleure, puisqu’on a renié son Dieu. Le Sauveur s’écria : « Héli, Héli, lama sabacthani, c’est-à-dire : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? » Cette plainte céleste vous condamne, malheureux Juifs, et le châtiment que vous auriez pu détourner par des supplications assidues, retombe sur vous dans toute sa réalité. Quelle n’est pas la grandeur de ce crime dont le Sauveur demande justice à Dieu son Père contre les hommes ? « Mon Dieu », dit-il, « pourquoi m’avez-vous abandonné ? » Nous ne saurions nous méprendre, ni comme hommes, ni comme chrétiens, sur le sens de ces paroles ; le Fils n’est point abandonné par le Père, et s’il s’écrie : « Mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ?[355] » C’est pour nous montrer que la Divinité n’est point accessible aux peines corporelles. Quelques-uns des assistants disaient : « Celui-ci appelle Élie[356] ». C’est là une nouvelle preuve de l’interprétation judaïque ; il leur fallait s’attaquer à Dieu, dussent-ils pour cela recourir au mensonge et à la calomnie : « Il appelle Élie ». Le Maître invoquait-il son disciple, le Seigneur suppliait-il son serviteur, Dieu lui-même implorait-il le secours de l’homme ? Non, rien de tout cela n’était possible, et par ces paroles le Fils, renié par la terre, appelait à témoin son Père dans le ciel.
4. « Alors ils prirent une éponge imbibée de vinaigre et, la plaçant à l’extrémité d’un roseau, ils en humectaient ses lèvres[357] ». Que faites-vous, ô hommes formés du limon de la terre ? Au moment de votre création, vous n’étiez entre les mains de Dieu qu’une terre molle et un corps sans solidité, et maintenant que Dieu vous a faits le chef-d’œuvre de la création, pour le récompenser de son œuvre vous l’abreuvez de vinaigre. En sortant de ses mains vous cherchiez nourriture et appui ; il vous plaça dans le paradis terrestre et vous en rendit possesseur, était-ce pour vous apprendre à en agir ainsi à l’égard de votre Créateur ? Vous-même, ô nation juive, vous avez pu traverser, en frémissant, les flots de la mer Rouge, les eaux vous ont livré un facile passage ; le lit de la mer s’est durci sous vos pas ; est-ce donc pour cela que vous commettez contre votre Dieu cet abominable forfait ? Pendant quarante ans il a guidé votre marche dans le désert, il vous a nourris miraculeusement, vous avez recueilli sans fatigue le pain tombé du ciel, vous n’avez connu les douleurs d’aucune maladie, vos pieds n’ont pas : manqué de chaussures, ni vos corps de vêtements ; le rocher frappé par la verge de Moïse a perdu son aridité et vous a fourni une eau abondante et pure ; les ondes salées de la mer ont perdu pour vous leur amertume et ont agréablement étanché votre soif ; est-ce donc dans l’abondance de ces bienfaits que vous avez appris à lever votre tête contre Dieu et à ceindre son front des épines de vos péchés, selon cette parole : « Ce peuple m’a entouré des épines de ses péchés ? »
5. Mais pourquoi remonter à des temps si reculés, puisque, vivant d’une présence corporelle au milieu de ces Juifs, le Sauveur les a rendus témoins d’innombrables prodiges ? Vous, peuple juif, vous avez présenté du fiel et du vinaigre à ce Dieu qui, aux noces de Cana, pour l’agrément de ses convives, a changé l’eau en vin. Aux aveugles il rendait la vue ; aux sourds il rendait l’ouïe ; aux muets il rendait la parole ; les lépreux, à sa voix, dépouillaient leurs ulcères et reprenaient la fraîcheur de leurs corps ; les paralytiques se sentaient raffermis sur leurs membres et retrouvaient leur ancienne vigueur ; les boiteux recouvraient leur agilité première, et souvent même une agilité qu’ils n’avaient jamais connue ; Lazare, enfin, décédé depuis quatre jours et déjà en proie à la corruption des tombeaux, revenait à la vie, à votre grand désespoir. Pour tous ces bienfaits, pour tous ces biens dont il vous avait comblés, vous avez condamné à une mort honteuse Celui qui méritait toutes vos adorations ; c’était trop de le faire mourir d’une mort simple et ordinaire, qu’était-ce de le traiter comme vous l’avez fait ?
6. Que les bourreaux du Sauveur connaissent donc la gravité du crime qu’ils ont commis et contre lequel la terre et le ciel se sont émus d’indignation. « Le voile du temple s’est rompu[358] » ; c’était là une sorte de protestation de la part du temple, car il n’y a plus de motif d’orner une demeure qui a perdu son maître. « Le voile se déchira depuis le haut jusqu’en bas », c’est-à-dire que, dans la seule personne de Jésus-Christ, vous avez rejeté tout à la fois l’homme et Dieu. Que dirai-je encore ? Le Sauveur est enseveli et son âme unie à la divinité descend dans les limbes, au milieu des captifs dont il brise les chaînes et qu’il rend à la liberté pour en faire les compagnons et les témoins de sa résurrection ; car « ils apparurent dans la ville à un grand nombre d’hommes[359] », qui devaient rendre témoignage de la résurrection du Sauveur, résurrection que nous célébrons aujourd’hui dans les élans de notre joie spirituelle, afin que nous méritions de vivre éternellement avec notre Dieu et notre Sauveur qui vit et règne dans les siècles des siècles.

TRENTE-HUITIÈME SERMON. modifier

POUR LE TEMPS PASCAL : (TROISIÈME SERMON.) modifier

ANALYSE. —1. Les mystères de la nouvelle loi annoncés dans la loi ancienne. —2. Jésus-Christ, notre lumière, viendra établir son royaume. —3. Ornements de Jésus-Christ roi. —4. Descente de Jésus-Christ aux enfers, sa victoire et sa résurrection.


1. Les nombreux et profonds mystères que nous célébrons dans ces solennités de Pâques, ont été consignés dans les livres de la révélation et serrés dans toutes les antiques demeures et les plus anciennes archives des Juifs. L’admirable économie de ces mystères, les bases qu’ils prêtaient à la vraie foi, à la religion pure et sincère ; tout cela restait comme caché sous le voile des siècles ; la sainteté qu’ils renfermaient était comme ensevelie dans l’obscurité ; et toutefois, à travers ces voiles, rayonnait toujours et malgré tout l’auguste et grande image de la vérité. Cette image, Jésus-Christ l’a peinte dans nos esprits, non point avec des couleurs diverses et terrestres, mais avec des vertus distinctes et célestes, abritées sous le bouclier de la dévotion et étincelantes de tout l’éclat de l’or. Ces vertus sont concentrées dans le temple de son corps comme dans leur source ; l’amour rayonne de son cœur dans le nôtre et devient pour nos sens le parfum qui les conserve et la règle qui les dirige. L’ange glorieux qui préside aux astres, qui gouverne le monde, qui dirige le jour, qui commande à la lumière, qui sème la fécondité, qui tempère le printemps et modère l’automne, a divisé le temps et réparti les saisons ; mais c’est Dieu qui nous commande de solenniser ce grand jour.
2. Quels biens nouveaux la passion du Sauveur nous a procurés, quels biens perdus elle nous a restitués ! aucune voix humaine ne peut le dire, aucune mémoire ne peut l’énumérer. Le Sauveur a dit dans l’Évangile : « La lampe ne se place pas sous le boisseau, mais sur le chandelier, afin qu’elle éclaire tous ceux qui sont dans la demeure[360] ». Or, la lumière a été placée sur le candélabre de la croix, à sa première apparition sur la terre et au moment de la passion ; mais, au second avènement, elle viendra dans toute sa splendeur et régnera à jamais sur le candélabre de la croix. Jésus-Christ brille aux yeux des Gentils et des Juifs, afin de former son Église de la réunion des Gentils et des Juifs. Jésus-Christ est notre lumière, et si nous attendons qu’il vienne de nouveau, toutefois nous croyons qu’il est déjà venu. Il est venu dans l’abaissement, il viendra pour régner ; il est venu dans la bonté, il viendra pour juger ; il est venu dans la souffrance, il viendra dans la domination ; il est venu pour guérir nos infirmités, il viendra pour déraciner les vices. Que personne ne croie que dans son second avènement, Jésus-Christ voudra laisser nier qu’il soit déjà venu ; il sera alors un juge redoutable pour celui qui aura refusé de le reconnaître pour son Sauveur. Nous le savons et nous le croyons, Jésus-Christ viendra pour juger tous les hommes ; mais, après être venu comme un médecin pour, sauver, il viendra pour régner en qualité de Roi des rois et de Maître suprême et éternel.
3. Son diadème, sa ceinture et ses chaussures sont rehaussés de pierres précieuses ; mais ces pierres précieuses désignent pour nous les Patriarches, les Prophètes et les Apôtres. Les Patriarches forment le diadème de son front, non pas pour l’orner, mais pour être ornés par Jésus-Christ. C’est de ces Patriarches que l’Apôtre a dit : « Ce sont leurs pères, desquels est issu Jésus-Christ, qui est le Dieu béni dans tous les siècles[361] ». Sa ceinture est formée par les Prophètes, dont les oracles constituent l’indissoluble nœud de la discipline. Ses chaussures sont représentées par les Apôtres, qui ont été envoyés aux extrémités, c’est-à-dire à la fin du siècle, et dont il est dit dans la sainte Écriture : « Qu’ils sont beaux, les pieds de ceux qui évangélisent les biens ! [362] » Dans ce royaume nous voyons briller les martyrs comme des pierres précieuses, les confesseurs comme des émeraudes, les fidèles comme des améthystes, les vierges comme des perles. Jésus-Christ, roi éternel, porte la pourpre royale et éclatante de sa passion, le sceptre de l’empire, le siège de la justice, le trône auguste de la souveraine puissance. Il a souffert pour ceux qui croient, il régnera pour ses saints, il jugera tous les rebelles. Que celui qui désire la santé ne se révolte pas contre le médecin ; la foi nous rend les amis du roi, l’incrédulité ferait de nous des coupables soumis à sa justice.
4. Celui dont l’origine est toute céleste est descendu du ciel, il est descendu jusqu’aux enfers, afin de délivrer l’homme ; et c’est ainsi qu’après s’être humilié jusqu’à la mort et la mort de la croix, Jésus-Christ ressuscité rentre en vainqueur dans les splendeurs du ciel. C’est là un mystère, mais c’est là un fait, et ce fait est cru fermement, comme il est prêché fidèlement. Dans la passion du Sauveur, le soleil refusa sa lumière, les ténèbres s’épaissirent, le jour s’enfuit, la nuit déroula son obscur et horrible rideau sur toute la face du monde ; les astres pleurèrent ce cruel parricide, la lune joignit son deuil à celui du soleil, toute la nature resta consternée de la cruauté des Juifs. Dans ce combat de Jésus-Christ contre le démon, du faible contre le fort, de l’homme désarmé contre le fort armé, dans ce duel de David contre Goliath, la victoire est restée à Jésus-Christ contre son puissant et cruel adversaire ; dépouillé de ses vêtements, le corps attaché à la croix, le Sauveur âgé seulement de trente-trois ans a triomphé du démon, non point par le glaive, mais par le rayonnement de sa croix. Il est descendu aux enfers, il a opprimé les enfers, il en a délivré ceux qu’il a voulu, et après sa résurrection il a instruit ses disciples. Lorsqu’il enseigne, il est la raison ; lorsqu’il juge, il est la loi ; lorsqu’il délivre, il est la grâce ; lorsqu’il souffre, il est l’agneau ; lorsqu’il est enseveli, il est homme ; lorsqu’il ressuscite, il est Dieu. À nous aussi il a promis la résurrection et la récompense éternelle. A des hommes terrestres il donne les choses célestes, à des hommes mortels il donne l’immortalité, à des cadavres il donne des âmes vivantes, à des hommes fragiles il donne la résurrection, il donne la vie aux morts et le salut à ceux qu’il a régénérés. Mes frères, conservons cette foi, afin que nous méritions de vivre éternellement avec notre Dieu et notre Sauveur.

TRENTE-NEUVIÈME SERMON. modifier

POUR LE SECOND DIMANCHE DE PÂQUES. modifier

ANALYSE. —1. Résumé de l’histoire de la Passion. —2. Jésus-Christ saisi par les Juifs. —3. Le Sauveur couronné d’épines et roi de dérision. —4. Jésus-Christ couvert de crachats, meurtri et crucifié. —5. Jésus-Christ aux enfers. —6. Jésus-Christ ressuscitant.


1. Dans ce jour sacré, c’est pour moi, mes frères, une bien douce jouissance de vous entretenir de la passion du Sauveur et de sa résurrection. Rappelons brièvement les faits dans l’ordre où ils se sont passés, car la vérité ne demande qu’à être exposée. Nous savons tous parfaitement que Jésus-Christ a été vendu, que les Juifs l’ont acheté à celui qui devait le leur livrer, que le prix de la trahison a été rendu aux acheteurs sacrilèges, que le corps du traître Judas resta suspendu entre le ciel et la terre, que Jésus-Christ fut traduit devant le tribunal, que la femme de Pilate, avertie en songe, certifia à son époux de l’innocence de Celui qu’il avait à juger, que Pilate se lava les mains pour protester qu’il était innocent du sang de ce buste, que Barabbas, un insigne malfaiteur, fut mis en liberté, et que Jésus, après avoir été flagellé, fut conduit au Calvaire pour y mourir. O genre humain, que faites-vous ? Et pourtant l’esprit se porte de préférence du côté où les Juifs se sont couverts d’une honteuse culpabilité.
2. Au moment où une troupe d’hommes méchants, armés de glaives et de bâtons, sortaient pendant la nuit pour aller s’emparer de Jésus, le Seigneur se présenta de lui-même à leur rencontre ; car il connaissait leurs dispositions. Selon le texte de l’Évangile de saint Jean, le Sauveur se tenait debout au milieu d’eux, et pourtant ils ne laissent pas de dire : « Nous cherchons Jésus de Nazareth ». Ils cherchaient donc la lumière dans les ténèbres de la nuit, mais les ténèbres ne voyaient pas la lumière dans les ténèbres. Du moins, mes frères, écoutons ce que la Lumière de la lumière dit aux ténèbres « marchant dans l’ombre de la mort[363] : Qui cherchez-vous ? » Les ténèbres répondent à la lumière : Jésus « de Nazareth[364] ». Le Sauveur répondit : « C’est moi que vous cherchez. En entendant ces paroles, ils tombèrent à la renverse[365] ». Ils tombèrent tous dans les ténèbres, et ils devinrent comme un monceau de ténèbres. Mais parce que la Lumière luit dans les ténèbres, elle les releva, afin de leur montrer la patience de son humilité. De nouveau Jésus leur dit : a Qui cherchez-vous ? ils répondirent : Jésus de Nazareth ; et Jésus leur dit : « Je suis celui que vous cherchez[366] ». O Juifs aveugles, vous avez entendu sa voix et vous êtes tombés ; vous vous êtes relevés et vous ne l’avez pas reconnu. Quel est donc celui que vous cherchez et en présence duquel vous tombez ? C’est ce Jésus de Nazareth que vous avez hâte de saisir pour le crucifier. D’où vient donc cet effroi qui vous a renversés ? Quelle menace de sa part a pu vous ébranler ? L’avez-vous entendu vous menacer ? Qu’avait-il donc de si terrible ? Il se contente de parler et vous tombez ; que ferez-vous donc lorsqu’il viendra vous juger dans toute sa puissance ? Où sont donc les glaives et les bâtons que vous avez apportés ? Ces glaives et ces bâtons, n’êtes-vous pas tombés avec eux, et si le Seigneur ne vous avait pas permis de voies relever, vous seriez encore la face contre terre. Or, Jésus-Christ a voulu vous montrer que tout est possible à sa puissance infinie et que c’est librement qu’il s’est livré entre vos mains.
3. O limon, ô terre, ô cendre, est-ce donc là ce que vous rendez à votre Créateur ? Pour vous avoir donné l’être, est-ce ainsi que vous lui témoignez votre reconnaissance ? O nation sacrilège, vous frappez de plus en plus le corps du Seigneur, et voles voulez qu’il soit tout meurtri avant d’arriver au Calvaire. Barbares, vous avez rassemblé tout une cohorte de bourreaux, et vous accourez ainsi au triste spectacle de la croix ; vous êtes là tous présents, afin qu’il soit mieux prouvé que tout le peuple participe à cet horrible sacrilège. Votre vœu sera exaucé, et celui qui a commis le crime en portera le châtiment. Feignant de désirer un roi, vous vous jouez de votre captif, et par dérision vous jetez sur ses épaules un lambeau de pourpre. Mais dans ce haillon de couleur rouge brille le sang de la Passion du Sauveur. Vous ceignez son front d’un diadème formé d’épines longues et acérées, afin de réaliser cette parole de l’Écriture : « J’ai attendu que ma vigne portât des raisins, et elle n’a produit que des épines[367] ». En guise de sceptre consulaire, un roseau est placé dans sa main pour insulter de nouveau à sa dignité royale. Mais il était écrit : « Il ne brisera pas le roseau rompu et il n’éteindra pas le tison enflammé », c’est-à-dire leur cruauté, « jusqu’à ce qu’il achève sa victoire, et les nations espéreront en son nom[368] ».
4. Le visage du Sauveur fut couvert de honteux soufflets, son front sacré fut souillé d’infâmes crachats, comme l’avait annoncé le Prophète : « J’ai présenté mes joues aux soufflets, et je n’ai pas détourné ma face de la honte des crachats[369] ». La croix est ensuite chargée sur ses épaules, selon cette autre parole : « Lui-même a porté nos infirmités, et il a soutenu notre faiblesse[370] ». Après toutes ces ignominies, le Sauveur est suspendu sur la croix ; ses mains et ses pieds sont percés de clous et fixés à la croix, selon cette parole du Prophète : « Percez de clous mes chans (?) par la crainte de vos justices[371] », Pour étancher sa soif on lui présente une éponge imbibée de fiel et de vinaigre, afin que cette prophétie soit accomplie : « Ils m’ont donné du fiel pour nourriture et ils m’ont abreuvé de vinaigre[372] ». Après tant d’outrages, le Sauveur lance vers Dieu ce cri solennel : «Héli, Héli, lama sabacthani, c’est-à-dire : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné[373] ? » Écoutez, princes de la superstition judaïque, et fixez sur ces paroles divines l’attention de vos cœurs impies. Depuis que vous avez chassé Dieu de l’homme, votre crime demande vengeance sur la croix, votre chair commence à reconnaître le châtiment qu’elle a mérité en consommant son divorce avec Dieu. Mais voici le moment où le Sauveur va rendre le dernier soupir ; aussitôt : « Depuis la sixième heure les ténèbres se répandirent sur toute la terre jusqu’à la neuvième heure[374] ». Tous les éléments frémissent devant le crime qui s’accomplit, l’atmosphère s’obscurcit, le soleil retire sa lumière, pour ne pas être témoin de l’attentat des Juifs. Mais, en refusant de contempler leur crime, il ne rend que plus manifeste la honte dont ils resteront couverts à tout jamais.


5. Que dirai-je encore ? Après avoir accompli son œuvre sur la terre, Jésus-Christ dirige ses pas vers l’enfer en se faisant précéder d’une lumière éclatante. Les lois ordinaires sont changées ; la terre, pendant le jour, se trouve dans les ténèbres, tandis qu’à la nuit éternelle des enfers succède une clarté toute divine ; avec le Seigneur la lumière passe de notre : monde extérieur au séjour intérieur des âmes. Pourtant nous ne pouvons en douter, Dieu n’a pas besoin de la lumière extérieure pour sonder les enfers ; car : « Dieu est lumière, et les ténèbres ne sauraient l’atteindre[375] ». Voici donc que, dans l’enfer, se fait d’une manière éclatante l’application des mérites de Jésus-Christ. Les Juifs aveugles restent plongés dans de profondes et coupables ténèbres, et les morts reçoivent en même temps l’indulgence et la lumière. Malheureux Juifs, considérez quels trop justes châtiments vous attendent. Pendant votre vie vous avez livré et trahi la lumière des vivants ; quelles ténèbres ne seront donc pas votre partage après la mort ? Quoi qu’il en soit, Jésus-Christ rejeté par les Juifs est reçu dans les enfers ; cette étrange apparition et la lumière qui l’annonce jettent dans le trouble les portiers impies qui gardent l’entrée de ce séjour. Ceux qui précédaient le Seigneur furent tout à coup saisis de terreur ; aucun d’eux ne se souvint de la fonction qu’il avait à accomplir. L’âme de Jésus-Christ était environnée d’une si vive lumière, que les gardiens ténébreux regardant du fond de leurs antres obscurs, se demandaient quel était Celui dont la présence les faisait fuir. Malgré la rapidité de leur fuite ils ne purent échapper à cette lumière redoutable qui les poursuivait ; aussi, retournant en arrière, ils se jetaient avec précipitation et en désordre dans leurs retraites es #Rem plus profondes, refoulant devant eux les âmes des malheureux captifs détenus dans ces lieux et s’en faisant un abri pour mieux dissimuler leur crainte et leur présence. Qui n’admirerait ici la puissance de Jésus-Christ qui vient enchaîner les tyrans des enfers et rendre à la lumière de sa grâce libératrice les justes qui depuis des siècles attendaient leur délivrance ? La présence de Notre-Seigneur Jésus-Christ assure l’accomplissement de leurs désirs ; toutes ces âmes justes reçoivent de lui l’indulgence et la liberté ; et même, pour donner à sa résurrection des preuves plus éclatantes, à sa voix beaucoup de ces âmes reprennent leur dépouille mortelle et apparaissent dans les rues de Jérusalem.
6. Jésus-Christ est donc ressuscité aujourd’hui avec tout l’éclat du triomphe et de la victoire ; car, après avoir vaincu sur la terre l’antique serpent, séducteur du genre humain, il venait de l’enchaîner dans les enfers et de détruire sa puissance. Aussi, dans cette grande solennité de la résurrection, devons-nous, mes frères, tressaillir d’une joie toute spirituelle, afin que nous méritions de vivre avec lui dans la vie éternelle.

QUARANTIÈME SERMON. modifier

SUR L’ASCENSION DU SAUVEUR. (PREMIER SERMON.) modifier

ANALYSE. —1. Le jour de l’Ascension comparé au jour de Noël. —2. Le mystère de l’Ascension confirme la foi. —3. Jésus-Christ montant au ciel n’abandonne pas les hommes, et mérite de nous les hommages les plus assidus.


1. Je me demande avec anxiété, mes frères, pourquoi cette grande solennité que nous célébrons n’attire pas un plus grand concours de fidèles, pourquoi ce jour de joie n’a pas le privilège de soulever des élans de joie parmi les chrétiens. Pourquoi ce jour n’est-il pas un jour de fête et de réunion comme le jour de Noël ? Noël a donné à la terre Jésus-Christ notre Sauveur ; l’Ascension le rend au ciel. À Noël le Seigneur a daigné se faire homme ; le jour de l’Ascension il a manifesté sa divinité. Noël nous prêche la grâce dont l’humilité du Sauveur est la source intarissable, l’Ascension confirme la foi dans la divinité de sa personne adorable. Noël nous le présente sortant d’un sein virginal ; l’Ascension nous le montre allant s’asseoir sur le trône même de la divinité ; le jour de Noël, il descend pour nous racheter ; le jour de l’Ascension, il monte afin d’intercéder pour nous ; le jour de Noël, il est envoyé par son Père ; le jour de l’Ascension, il est reçu par son Père ; nous savons cependant que jamais il n’a été séparé de son Père, alors même qu’il était au milieu de nous ; en visitant la terre il n’a pas quitté le ciel. Quelle grande solennité n’est donc pas pour nous, mes frères, ce jour où Jésus notre Rédempteur proclame si hautement sa divinité et ne remonte visiblement au ciel que pour mieux nous montrer qu’il est descendu sur la terre ; « personne n’est monté au ciel, que Celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme[376] », dont le Prophète avait dit longtemps auparavant : « Il est sorti du plus haut des cieux, et il retourne au plus haut des cieux[377] ». Parce qu’en descendant sur la terre il s’était caché aux yeux de tous, il veut que son Ascension n’en soit que plus manifeste ; dans son Incarnation, rien n’avait frappé les regards des hommes, mais dans son Ascension tout doit être visible et manifeste, afin d’affermir notre foi. Le Seigneur est rempli de pitié et de miséricorde quand il ne se propose que notre rédemption et notre salut ; en venant nous sauver, son humanité seule nous apparaît ; il embrasse les opprobres, les supplices, la croix, la sépulture et tous les symptômes extérieurs de l’infirmité humaine ; aussi devient-il un objet de scandale pour l’orgueilleuse incrédulité. Mais si le jour de Noël il n’a voulu pour notre salut que les abaissements et les humiliations, le jour de l’Ascension il veut faire éclater toutes les splendeurs de sa divinité, afin qu’après l’avoir cru un homme au milieu des hommes, nous le proclamions véritablement Dieu.
2. L’Écriture nous dit que notre Dieu et Sauveur « se montra vivant après sa passion, donna des preuves nombreuses de sa résurrection, et apparut pendant quarante jours à ses Apôtres, les entretenant du royaume de Dieu[378] ». Après avoir subi la croix et la mort, et avant de monter au ciel, Jésus-Christ apparut aux hommes sur la terre pendant ces quarante jours que, depuis Pâques jusqu’aujourd’hui, nous passons dans une sainte liberté, parce que c’est un temps de joie et non pas, de tristesse, selon ces paroles du Sauveur « Est-ce que les fils de l’époux peuvent jeûner, tant que l’époux est avec eux[379] ? » Lorsque ces jours se furent écoulés, alors « à la vue de tous ses disciples il s’éleva vers le ciel, une nuée le reçut et le déroba à leurs yeux[380] ». Que le Juif écoute cette parole, que le Gentil l’écoute et reste confondu. Ils ont pu le railler quand il était élevé sur la croix, qu’ils écoutent le récit de son ascension au ciel. Ils ont pu nous objecter les humiliations du Calvaire, qu’ils se rendent témoins des splendeurs de ce jour. Nous lisons ensuite : « Voici que deux hommes vêtus de blanc se tinrent debout et dirent : Hommes de la Galilée, pourquoi restez-vous ainsi regardant le ciel ? Ce Jésus qui nous a quittés pour monter au ciel, descendra de nouveau de la même manière que vous l’avez vu s’élever vers le ciel[381] ». Ainsi donc, après avoir accompli sa mission sur la terre, Jésus-Christ venait de remonter au ciel lorsque des envoyés célestes viennent confirmer aux disciples ce qu’ils ont vu et leur prouver qu’ils ne sont les jouets d’aucune illusion, afin de les rendre capables d’attester par eux-mêmes non-seulement le fait de l’ascension du Sauveur, mais encore la promesse de son retour à la fin du monde. L’Évangile renferme les mêmes enseignements que le livre des Actes : « Et après les avoir bénis, Jésus les quitta, et il s’éleva vers le ciel ; de leur côté, en adorant, ils rentrèrent à Jérusalem avec une grande joie[382] ». Parce que le Sauveur s’était humilié pour nous, pour nous aussi il déploie dans sa personne une splendeur toute divine. Notre humanité dont Jésus-Christ a daigné se revêtir fait aujourd’hui son entrée triomphante dans le ciel ; Jésus-Christ ne se contente pas d’avoir sauvé l’homme, il veut encore le glorifier. Il nous montre enfin que désormais le ciel nous est ouvert, puisque lui-même y occupe le trône qui lui appartient ; quel honneur reçoit ainsi le limon dont nous sommes formés, puisqu’il règne aujourd’hui dans le ciel ! Nous avons d’abord jeûné pendant quarante jours, mais pendant les quarante jours suivants notre corps a été dispensé de cette privation.
3. Les quarante jours de jeûne se sont terminés par la fête de Pâques ; les quarante jours depuis Pâques se ferment par la grande solennité de ce jour, dans lequel notre Sauveur nous ravit sa présence visible, mais toutefois sans cesser d’habiter avec nous. Pendant qu’il demeurait corporellement au milieu de nous, il n’était point séparé de son Père ; de même, aujourd’hui qu’il est retourné à son Père, il n’est point séparé de nous. Au lieu de nous quitter comme des étrangers, il reste et demeure avec nous ; car il a dit lui-même : « Que votre cœur ne se trouble point et ne tremble pas[383] ». Et un peu plus loin : « Je m’en vais et je viens à vous[384] ». Jésus-Christ habite donc au milieu de nous. Il console ceux qui souffrent, il soulage ceux qui sont dans la souffrance, il apporte secours à ceux qui sont en danger, il est l’appui des malheureux, il est le soutien des affligés. Redisons-le encore Jésus-Christ est avec nous ; il est présent non-seulement à nos travaux, mais encore à nos paroles et à nos pensées. Il scrute et sonde notre cœur. Il voit ce qu’enfantent nos sens, notre main, notre langue. Combien notre vie doit être réglée, pieuse et chaste, puisque nous sommes toujours sous les yeux de Dieu ! Cette doctrine, mes frères, vous est parfaitement connue. Quand des serviteurs négligents se trouvent en présence de leurs maîtres charnels, ils craignent, ils tremblent, ils frémissent ; ils ne se laissent aller à aucune faute tant qu’ils ne sont pas assurés d’échapper à la surveillance. Pour vous, chrétiens, vous ne pouvez vous soustraire aux regards du Seigneur. Quelque part que vous alliez, vous y portez votre conscience. Le serviteur dont je viens de parler, s’il était jour et nuit en présence de son maître temporel, se laisserait-il aller à la désobéissance ? Votre Dieu est toujours avec vous, puisqu’il est partout ; quelle docilité ne devraient donc pas vous inspirer la crainte et le respect de sa présence ? Dieu sera toujours là pour vous protéger dans sa miséricorde ; il sera là aussi comme témoin et vengeur de chacune de nos fautes. À ce Dieu donc aussi bon que juste et aussi terrible que miséricordieux soient honneur et gloire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

QUARANTE ET UNIÈME SERMON. modifier

SUR L’ASCENSION DU SAUVEUR. (DEUXIÈME SERMON.) modifier

ANALYSE. —1. L’Église doit se réjouir en ce jour. —2. Les quarante jours depuis la résurrection jusqu’à l’Ascension forment le pendant des quarante jours de pénitence quadragésimale. —3. Le fait de l’Ascension prouvé par le témoignage des disciples. – Les anges viennent confirmer ce même fait ; parallèle entre la Nativité et l’Ascension. —5. Jésus-Christ monte au ciel et en redescendra un jour.
1. Le récit des Actes des Apôtres suffirait seul à nous prouver l’Ascension et à nous dépeindre les détails de ce grand événement. Toutefois, mes frères, nous nous reprocherions de garder le silence ; car si l’Église a jamais le droit et le devoir de se réjouir, n’est-ce pas dans un jour où l’entrée du ciel lui est ouverte par le Sauveur ? Si donc il n’y a rien de superflu dans les saintes Écritures, essayons selon notre pouvoir d’interpréter le texte sacré.
2. Et d’abord l’Écriture nous apprend que, après sa résurrection, Jésus-Christ est resté pendant quarante jours avec ses Apôtres. Ce détail n’est point sans importance, car je trouve que ces quarante jours correspondent parfaitement aux quarante jours de la pénitence quadragésimale. Ceux donc qui ont supporté pour Dieu les privations de la sainte quarantaine, ont le droit de se réjouir de la présence du Seigneur pendant les quarante jours qui suivent la résurrection ; ceux enfin que la crainte avait humiliés, doivent se sentir relevés par les consolations que Dieu leur prodigue. Quelle joie pour ceux qui, après avoir souffert par amour pour Dieu, se sentent en possession d’une récompense ineffable qui n’est autre que Dieu lui-même ! D’après les choses présentes jugeons donc des choses futures, puisque tout ce que nous ferons pour l’honneur de Dieu nous assurera de plus en plus le bonheur de posséder Dieu.
3. La présence de ces nombreux témoins qui voient et entendent nous prouve que Jésus-Christ est réellement monté au ciel ; ce qu’ils voient, nous le croyons de la foi la plus vive. En effet, ils voient afin que nous croyions ; ils contemplent avec les yeux de leur corps, afin que nous discernions avec les yeux de notre âme. Et il ne s’agit point ici de quelques témoins rares et inconnus : ils sont nombreux et offrent toutes les garanties ; leur nombre corrobore leur témoignage, et leur sainteté en confirme la vérité. Si, dans certaines causes, on s’en rapporte à deux ou trois témoins, quelle certitude ne doit pas résulter du témoignage d’une multitude entière et d’une multitude fidèle et sainte ? N’étaient-ce pas des hommes vertueux et fidèles, ceux qui ont mérité de contempler le Seigneur montant au ciel ? Ce qu’ils ont vu, croyons que nous le voyons avec eux. Comment le peuple chrétien hésiterait-il devant le témoignage d’une multitude de saints ?
4. Ajoutons à cela l’apparition de deux anges descendus du ciel pour confirmer le miracle de l’Ascension devant ceux qui en étaient les témoins. Admirons la sagesse de l’Écriture qui nous rappelle l’apparition de ces anges, afin que nous sachions que les esprits bienheureux formaient cortège à Jésus-Christ montant au ciel. Ce détail forme à mes yeux un nouveau trait de ressemblance entre la nativité du Sauveur et son entrée triomphante dans les cieux. L’ange Gabriel est envoyé pour annoncer l’Incarnation ; et aujourd’hui les anges environnent Jésus-Christ montant au ciel. Alors une étoile fit connaître la naissance du Sauveur ; aujourd’hui une nuée le reçoit pour le porter dans les cieux. Alors les anges chantaient sur la terre ; aujourd’hui ils rendent encore témoignage dans le monde. Alors les Mages adoraient et offraient des présents ; aujourd’hui les Apôtres poursuivent de leurs regards Jésus-Christ montant au ciel. Très-nombreux furent les témoignages qui vinrent confirmer la naissance du Sauveur ; ils furent aussi nombreux à son Ascension, pour confirmer la foi du genre humain. C’est ainsi que, après avoir considéré Jésus-Christ naissant dans la chair, tous les hommes peuvent le contempler montant au ciel.
5. Jésus-Christ est donc retourné au ciel, d’où il était descendu. Il y est retourné, mais en promettant de revenir un jour sur la terre. N’avons-nous pas entendu les anges s’écrier « Hommes de Galilée, pourquoi demeurez-vous ainsi, etc. ? » Si donc, mes frères, nous croyons que Jésus-Christ reviendra, nous devons l’attendre, de peur que nous ne soyons pris au dépourvu par son retour, comme parmi nous des serviteurs en défaut se laissent surprendre par leurs maîtres irrités ; les choses présentes ne sont, en effet, que l’image des choses futures.
6. Si donc nous ne voulons pas profiter des châtiments qui pèsent sur nous actuellement, craignons pour l’avenir la sévérité des châtiments célestes. L’Apôtre nous dit : « Le Seigneur viendra comme un voleur pendant la nuit[385] ». Vous voyez, mes frères, qu’une sécurité trop grande peut être suivie de supplices inouïs. Ainsi donc tout ce que nous ne voulons pas supporter, craignons de nous voir condamnés à le souffrir. De cette manière, en craignant d’endurer le châtiment, nous nous épargnerons ce châtiment ; témoin de notre sincère conversion, notre Dieu rempli de bonté et de miséricorde nous pardonnera nos fautes présentes et nous accordera lesbiens futurs. C’est ainsi que le pardon lui-même devient, par le renouvellement de notre vie, le principe même de notre espérance des biens futurs ; en nous pardonnant nos péchés, Dieu nous permet et nous oblige d’espérer le bonheur éternel.

QUARANTE-DEUXIÈME SERMON. modifier

\S2 DIMANCHE DANS L’OCTAVE DE L’ASCENSION. LES BÉATITUDES. ANALYSE. —1. Les béatitudes apportées par Jésus-Christ sur la terre. —2. Elles sont promises à la vertu et non pas au vice. —3. persévérance finale. —4. Elle seule nous obtient la couronne.


1. Notre-Seigneur Jésus-Christ, par la vertu du Père, a « déroulé le ciel comme une tente[386] » ; il a établi la terre sur les eaux et créé l’homme de ses propres mains à son image et à sa ressemblance. Trompé par le démon, l’homme se précipita de lui-même dans la mort, et déjà depuis bien des siècles il en subissait le. joug, lorsque le Sauveur daigna venir sur la terre, afin de jeter dans l’homme terrestre le germe de l’immortalité bienheureuse. Après avoir détruit l’empire du démon et voulant nous porter à l’accomplissement fidèle des préceptes divins, Jésus-Christ fit briller à nos yeux la promesse des biens futurs et confirma les pénitents dans l’espérance des biens éternels. Il appelle bienheureux, non pas les riches, mais ceux qui volontairement se seront rendus pauvres pour obtenir le royaume des cieux. Il promet le paradis à ceux qui sont doux ; une heureuse consolation à ceux qui pleurent leurs péchés ; le rassasiement éternel à ceux qui ont faim et soif de la justice ; la miséricorde à ceux qui sont miséricordieux ; la vision béatifique à ceux qui ont le cœur pur. À ceux qui sont pacifiques non pas seulement des lèvres, mais encore du cœur, il promet qu’ils seront les heureux enfants de Dieu ; quant à ceux qui souffrent persécution pour sa gloire, il leur promet non-seulement la béatitude, mais la possession infinie du royaume des cieux.
2. De ces grandes béatitudes que le Sauveur nous promet, nous pouvons dire : « Celui qui peut les comprendre, qu’il comprenne[387] » ; et s’il n’est pas opprimé sous le joug de sa terrestre infidélité, qu’il tourne ses désirs vers le ciel. En effet, « le royaume des cieux souffre violence, et il n’y a que ceux qui se font violence qui puissent le conquérir[388] », c’est-à-dire ceux qui cherchent les biens éternels et non pas les biens temporels. Celui qui se sent porté à l’avarice sur la terre, qu’il tire le bien de son avarice et qu’il devienne avare des biens du ciel. Quelqu’un me dira peut-être : Comment puis-je porter jusque-là mes espérances, « de recevoir le centuple au ciel, puisque celui qui sème peu récoltera peu[389] ? » Que celui qui aimait la luxure, aime désormais la chasteté ; que celui qui était adonné à l’ivresse, observe les règles de la sobriété ; que celui qui s’était rendu l’esclave de l’orgueil et de la méchanceté, devienne l’enfant de l’humilité et de la piété. Telle est la pensée formulée par le Sauveur : « Le royaume de Dieu est au dedans de vous ; les ennemis de l’homme se trouvent dans sa propre maison[390] ». Comment cela ? Écoutez l’Apôtre : « Si vous vivez selon la chair, vous mourrez ; mais si par l’esprit vous mortifiez les œuvres de la chair, vous vivrez[391] » ; car « l’arbre bon porte de bons fruits, de telle sorte qu’on connaît l’arbre à son fruit[392] ». Si donc nous sommes des arbres bons, c’est-à-dire des hommes justes, pieux, fidèles et miséricordieux, faisons des fruits de justice et de sainteté ; car si nous sommes des arbres mauvais, c’est-à-dire des hommes impies, fourbes, cupides et pécheurs, nous serons coupés et arrachés, c’est-à-dire qu’au jour du jugement nous serons frappés du glaive à deux tranchants et jetés dans les flammes éternelles.
3. Là se fera la séparation du bien et du mal, selon cette parole que nous venons d’entendre : « Quiconque écoute mes paroles et les accomplit sera assimilé à l’homme sage qui a construit sa maison sur la roche ; la pluie tombera, les flots se précipiteront, les vents déchaînés souffleront avec violence contre cette maison ; mais elle ne s’écroulera pas, parce qu’elle a été fondée sur la pierre[393] ». Notre Dieu, voulant assurer notre persévérance jusqu’à la fin et nous procurer le salut, non point par l’oisiveté, mais par le travail, termine l’énumération des béatitudes et de ses innombrables préceptes par cette conclusion : « Celui qui aura persévéré jusqu’à la fin, sera sauvé[394]». Cette demeure qu’il nous présente établie sur la pierre et résistant à toutes les puissances contraires, qu’est-elle autre chose que notre foi solidement fondée en Jésus-Christ, bravant toutes les tentations du démon, combattant avec les armes spirituelles, triomphant de son ennemi et méritant la couronne éternelle ? Cette demeure figure donc tout ensemble et notre foi et la sainte Église, fondée sur le nom de Jésus-Christ, selon cette parole du Sauveur à saint Pierre : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle[395] ». Les torrents qui menacent de l’engloutir, ce sont les royaumes des Gentils qui, pour détruire l’Église, déchaînent contre elle de violentes persécutions auxquelles viennent prendre part les pluies abondantes figurant tous les peuples idolâtres, et les vents furieux, symboles des esprits infernaux. Mais rien de tout cela ne peut ébranler l’Église, parce qu’elle est fondée sur la pierre. La tempête se brise et se détruit par sa propre violence, mais la maison demeure inébranlable. Ainsi donc, mes frères, profitons du temps qui nous est donné pour bâtir, fondons notre foi en Jésus-Christ et entassons en nous les mérites des bonnes œuvres, afin que, à l’arrivée de la tempête ou de l’ennemi, la maison reste debout et brise les efforts de ses adversaires. Et maintenant l’ennemi est avec vous ; il se tient caché dans votre cœur, selon cette parole de l’Apôtre : « Le démon, votre ennemi, comme un lion rugissant, tourne autour de vous, cherchant à vous dévorer[396] ». Tantôt il nous séduit par ses caresses, afin de tromper notre foi ; tantôt il nous éprouve par des afflictions, afin d’ébranler notre courage ; tantôt il nous obsède de pensées mauvaises, afin de nous détourner du droit chemin. Voilà pourquoi, mes frères, celui d’entre nous qui, dans la prospérité a bâti sagement et solidement, se montrera, dans l’adversité, non-seulement courageux et fort, mais encore admirable et digne d’éloges ; car « après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de la vie que Dieu a promise à ceux qui l’aiment[397]». Quant à ceux qui bâtissent sur le sable, ce sont ou bien ceux dont la foi est douteuse et hésitante, ou bien les hérétiques, ou bien les faux chrétiens, ou bien ceux qui ne persévèrent pas dans le parti de la continence ou de la chasteté ; peu importe d’ailleurs que ces crimes soient connus de Dieu seul ou des hommes. Ceux qui en son là participent à la mobilité du sable ; aussi, pour peu que la tempête se lève, ils sont renversés de fond en comble ; car ils ne peuvent se tenir debout et « leur âme n’est plus qu’une grande ruine[398] ». Veillons donc, mes bien-aimés, agissons et travaillons, afin que nous triomphions de l’adversité et méritions la récompense éternelle, par Jésus-Christ qui vit et règne avec le Père, dans l’unité du Saint-Esprit, pendant les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

QUARANTE-TROISIÈME SERMON. modifier

POUR LA PENTECÔTE. (PREMIER SERMON.) modifier

ANALYSE. —1. Les joies de cette fête. —2. La grâce du Saint-Esprit produit dans les disciples une sainte ivresse. —3. Les Apôtres comparés aux trois enfants dans la fournaise.


1. Heureux jour, mes frères bien-aimés ; jour aimable et ravissant, dans lequel le Seigneur accomplit ses promesses à l’égard de ses disciples. Je vous en conjure, réunissez-vous dans une fervente prière, afin de m’obtenir la grâce de parler dignement de ces profonds mystères, et pardonnez-moi si je reste inférieur à la mission que j’entreprends.
2. La solennité de Pâques est arrivée à son terme sans rien perdre de son éclat, et nous a préparés aux splendeurs de ce jour. Pâques a été le commencement de la grâce, la Pentecôte en est le couronnement. Or, les Apôtres étaient réunis dans le cénacle, attendant la venue du Saint-Esprit, et voici que soudain il se fait un grand bruit dans le ciel, et bientôt les disciples se voient calomniés par les Juifs. En effet, comme ces disciples se répandaient en abondantes paroles, on les crut pris de vin, quoique l’heure même où ils parlaient prouvât qu’ils étaient à jeun. Du reste, ce n’est pas sans un secret dessein de la Providence que cette accusation leur fut lancée ; car Jésus-Christ s’est dit lui-même la vigne véritable « Je suis la vigne », dit-il, « et mon Père est le vigneron[399] ». O vin sobre d’ivresse et produisant l’enivrement de la foi ! O vin cueilli sur une vigne auguste et tiré d’une grappe divine ! Magnifique comparaison comme la grappe est portée par le cep, Jésus-Christ était porté par la croix. Or, les disciples étaient remplis du Saint-Esprit, car le Saint-Esprit, qui avait couvert de son ombre la Vierge Marie, sans porter atteinte à sa pureté, venait de descendre sur les Apôtres en forme de langues de feu, sans brûler leurs cheveux.
3. Le prodige que le Seigneur avait autrefois accompli en faveur des trois enfants dans la fournaise, Jésus-Christ le renouvelle en faveur de ses douze Apôtres. Ces trois enfants ont pu être jetés dans une fournaise ardente ; pour entrer dans le feu ils étaient enchaînés ; mais bientôt ils purent se promener en toute liberté dans les flammes. Ils convertirent à la foi un roi barbare ; de même le miracle accompli en faveur des Apôtres détermina trois mille personnes à embrasser la foi de Jésus-Christ. Je ne vous tairai pas, mes frères, les pensées qui assiègent mon esprit dans les joies de cette solennité. Selon la tradition que nous avons reçue de nos ancêtres, la flamme sortant de la fournaise s’élevait à quarante-neuf coudées ; or, c’est ce nombre quarante-neuf qui devait être consacré dans le mystère des sept semaines. Car sept multiplié par sept donne le chiffre de quarante-neuf. Mais où est le premier jour ? Cherchons-le, afin de compléter le nombre cinquante. Ce jour était dans la fournaise de feu avec les trois enfants ; c’est lui qui inspirait leur chant, versait sur eux une rosée rafraîchissante et ôtait aux flammes leur ardeur. A la vue de ce prodige dont ils étaient témoins, les ministres disent au roi : O roi, venez et voyez. La fournaise est tout embrasée de soufre et de bitume ; les flammes s’élancent furieuses, et les corps n’en subissent aucune atteinte ; quelque chose est donc venu s’ajouter au nombre précédent. À cette nouvelle le roi accourt plein de joie et d’allégresse, et avant qu’il arrivât à la fournaise, une grande lumière brillait dans son cœur. Il dit à ses amis : « N’avons-nous pas jeté dans la fournaise trois hommes chargés de chaînes ? Ses amis lui répondirent : « C’est bien la vérité[400] ». Et le roi, plein de foi, leur dit Mais voici que je vois ce que vous ne voyez pas. Je ne sais quelle ardeur me saisit et inonde mon âme d’une lumière intérieure. Vous pouvez être mes amis, mais vous ne pouvez entrer dans mon cœur. Oui, je vois ce que vous ne voyez pas ; je vois une chose admirable, étonnante. Cette fournaise, destinée à dévorer les hommes dans les flammes, a appris à engendrer des anges. Que votre amitié cesse, parce que la foi est devenue l’amie de mon âme. Je ne veux plus que vous soyez mes amis ; je n’ai plus confiance en vos paroles ; je vois Dieu de mes yeux ; mes yeux sont remplis d’une vision magnifique, parce que le quatrième personnage que j’aperçois est semblable au Fils de Dieu. O mes amis, vous savez comme moi que nous avons jeté trois hommes dans la fournaise ; comment donc puis-je en voir quatre se promener dans les flammes ? Quel est ce mystère ? Un feu divin est entré en moi ; je repousse votre amitié et je possède la foi. Mes frères, conservons cette foi dans nos cœurs, afin que nous y conservions le Saint-Esprit comme les Apôtres.

QUARANTE-QUATRIÈME SERMON. POUR LA PENTECÔTE. (DEUXIÈME SERMON.) modifier

ANALYSE. —1. Comparaison entre les Apôtres et les enfants dans la fournaise. —2. Le don des langues dans les Apôtres ; leur gloire. —3. Rapprochement entre le Sinaï et le Cénacle. —4. Conclusion.


1. Frères bien-aimés, il n’y a que peu de temps nous avons célébré solennellement le quarantième jour, jour de joie pour l’univers tout entier. Depuis lors les révolutions du globe nous ont donné dix jours, le mystère figuratif s’est accompli, nous nous sommes rapprochés du ciel et du Saint-Esprit, et voici que pour la sanctification de l’Orient, de l’Occident, du Nord et du Midi, le Saint-Esprit descend le cinquantième jour et fait rayonner sa sainteté sous la forme de langues de feu. Mais ce feu purifie plutôt qu’il ne brûle, et il produit encore le rafraîchissement de la sanctification, comme autrefois dans la fournaise il changea les flammes en bienfaisante rosée. Comment le feu ne deviendrait-il docile et doux sous l’action du Saint-Esprit, puisque la fournaise ardente est devenue un séjour de délices ? Aimons à contempler les lèvres des Apôtres ; aimons à entendre le cantique des enfants ; et sur les Apôtres et sur les enfants nous retrouverons les langues de feu. C’est l’Esprit-Saint qui a sanctifié vos Pères ; c’est lui qui a donné à de pauvres pêcheurs le pouvoir de nous faire entendre un langage céleste. Quel étonnement ne dut-on pas éprouver quand on entendit ces enfants dans la fournaise, s’écriant au milieu des flammes : « Vous êtes béni, Seigneur, Dieu de nos Pères[401] » Les Chaldéens furent saisis d’effroi et ne purent s’expliquer cet étrange spectacle. Comment contempler sans frémir ces enfants tout éclatants de lumière, se jouant en liberté dans cet océan de feu et célébrant le Seigneur dans leurs cantiques nouveaux ? De même, au jour de la Pentecôte, que ne durent pas éprouver les Juifs réunis de tous les pays du monde, en entendant les Apôtres leur parler à tous leur propre langue ? C’est ainsi que le Saint-Esprit réunissait dans une admirable unité toutes les nations de l’univers. Toutes les langues venaient ainsi se confondre dans le langage des Apôtres devenus miraculeusement les interprètes de tous les peuples.
2. Appelés à prêcher le royaume des cieux à toutes les nations, les Apôtres devaient consacrer dans leur : personne la langue de tous les peuples. Ils ne parlaient qu’une seule langue, et cette langue était comprise de tous, semblable à la marine qui n’était que d’une seule espèce et avait la propriété de satisfaire à tous les goûts. Ce prodige était opéré par l’Esprit-Saint qui sait se révéler dans l’unité de toutes les nations. En effet, de même que l’Esprit-Saint, Dieu unique avec le Père et le Fils, daigne multiplier ses dons sans les différencier essentiellement ; de même les Apôtres ne parlaient qu’une seule langue, et cependant tous les auditeurs de nations diverses y reconnaissaient leur, propre langage. La vue et l’ouïe y trouvaient une douce satisfaction, car devant une compréhension parfaite la discussion n’est plus possible ; aussi ces pauvres pêcheurs de Galilée ; paraissaient-ils porter sur leur front et sur leurs lèvres un diadème royal. Car il est Roi, celui qui est descendu du ciel ; voilà pourquoi il siège sur les lèvres des Apôtres comme sur son trône, après avoir établi en eux son empire et sa domination. C’est là ce qu’a su parfaitement le Saint-Esprit, qui toujours est Dieu dans les pères et dans les enfants, dans les Prophètes et dans les pécheurs ; il aime toujours à reposer sur les hauteurs.
3. Il trouva les Apôtres dans la partie supérieure du cénacle et écrivit la loi dans leur esprit, comme il l’avait gravée sur les tables, au sommet du Sinaï. C’était alors sur des tables de pierre, à cause de la dureté de cœur des Juifs ; mais aujourd’hui c’est dans l’esprit des Apôtres, parce que nous ne sommes plus sous la loi de crainte, mais sous la loi d’amour. Sur le mont Sinaï, la loi fut donnée au milieu des éclairs et du tonnerre ; dans le cénacle, si ce sont des langues de feu, c’est un feu qui rafraîchit. Au pied du Sinaï, la foule effrayée prenait la fuite pour ne pas entendre la voix terrible du Seigneur ; à Jérusalem, lés nations réunies de toutes les parties de l’univers, loin de prendre la fuite, se massent pour entendre le Saint-Esprit parlant par ses ministres.
4. Vous avez entendu nommer les Parthes, les Mèdes, les Indiens, les Perses, les Crétois, les Arabes et autres peuples désignés dans le livre des Actes des Apôtres. Le monde tout entier y était représenté ; le quarantième jour, celui de l’ascension du Seigneur, les avait rassemblés à Jérusalem ; parce que le nombre des dix préceptes renferme pour l’univers toute l’autorité des saintes Écritures. Quatre fois dix font quarante ; reste une autre dizaine qui est celle de la vie éternelle, où les pêcheurs recevront la récompense dont le gage leur a été donné par le Saint-Esprit : Toutes les promesses ont reçu leur accomplissement authentique. Le sacrement de la cinquième dizaine s’est pleinement réalisé ; la grâce des cinquante jours rayonne dans toute son expansion, la joie possède toute sa perfection.

Les fêtes de Pâques sont terminées, l’alleluia est rentré dans le silence ; mais pourtant ce n’est plus la tristesse, car nous avons reçu ce précieux gage du Saint-Esprit, et par lui nous possédons chaque jour l’heureux avantage de vivre avec Jésus-Christ et par Jésus-Christ, de nous préparer dans l’innocence à la célébration de nouvelles fêtes pascales.

  1. Luc. 1, 28
  2. Luc. 1, 28
  3. Lc. 1, 30-31
  4. Ps. 18, 6
  5. Mal. 4, 2
  6. Isa. 56, 1
  7. Sir. 48, 1
  8. Ps. 44, 3
  9. 1 Tim. 2, 5
  10. Jn. 12, 47
  11. Sag. 8, 1
  12. Jac. 1, 17
  13. Lc. 1, 47
  14. Isa. 62, 11 ; Zach. 9, 9 ; Isa. 19, 1 ; Mat. 21, 5
  15. Isa. 66, 1
  16. Rom. 11, 33
  17. Isa. 7, 14
  18. Mt. 1, 21
  19. Id. 1,20
  20. Ps. 131, 11
  21. Id. 110, 1
  22. Cant. 4, 14
  23. Jn. 1, 1,14
  24. Jer. 17, 15
  25. Phil. 2, 10
  26. Id. 2, 11
  27. Jn. 10, 33
  28. Lc. 5, 31
  29. 1 Cor. 6, 17
  30. Mat. 5, 41
  31. Mt. 18, 19
  32. Rom. 3, 30
  33. Lc. 2, 14
  34. Id. 8-12
  35. 1 Tim. 3, 16
  36. Phil. 2, 7-9
  37. Ps. 143, 15
  38. Jn. 10, 17,18
  39. Eph. 4, 8
  40. Hab. 3, 5
  41. Phil. 2, 10
  42. Rom. 4, 9
  43. Éphés. 2, 14
  44. Act. 2, 22
  45. 1 Cor. 2, 14
  46. Rom. 4, 17
  47. Job. 5, 13
  48. Ps. 93, 11
  49. 1 Cor. 1, 20,21
  50. Id. 25
  51. Id. 19
  52. Ps. 148, 5
  53. Tit.1,15
  54. Gen. 1, 31
  55. Deut. 14, 7
  56. 2 R. 2, 11
  57. Jn. 3, 13
  58. 1 R. 17, 3,6.
  59. Nb. 19, 22
  60. Ex. 3, 5
  61. Lc. 1, 35
  62. Dan. 3, 91,92
  63. 3 Esd. 4, 38
  64. Ps. 110, 4
  65. Col. 1, 20
  66. Isa. 11, 1
  67. Isa. 2, 25
  68. Id. 10
  69. Ezéch. 44, 1,2
  70. Job. 3, 3,19
  71. Apoc. 3, 17
  72. Isa 45, 8
  73. Ps. 61, 6
  74. Gen. 2, 21
  75. Lc. 2, 14
  76. Mt. 11, 27
  77. Isa. 8, 14
  78. Isa. 45, 8
  79. Id. 9, 6
  80. Id. 8, 13
  81. Rom. 1, 1
  82. Mt. 1, 23
  83. Lc. 1, 35
  84. Phil. 2, 7
  85. Ps. 86, 5
  86. Col. 1, 26
  87. Lc. 1, 34
  88. Lc. 1, 38
  89. Id. 12, 37
  90. Mt. 22, 21
  91. Gal. 4, 4
  92. Ps. 48, 13.
  93. Lc. 2, 8,7
  94. Isa. 1, 3
  95. Ps. 35, 7
  96. Mt. 11, 28,29
  97. Prov. 9, 1
  98. Jn. 8, 56
  99. Lc. 1, 28
  100. Ps. LXXXIV
  101. Jn. 14, 6
  102. Ps. 46, 2
  103. Isa. 9, 6
  104. Id. 7, 14
  105. Hab. 3, 2
  106. Isa. 9, 2
  107. Jn. 3, 1
  108. Jn. 1, 1-3
  109. Ps. 94, 2
  110. Gen. 18, 27
  111. Mt. 11, 28
  112. Mt. 10, 21,25
  113. Lc. 6, 46
  114. Jn. 4, 19
  115. 1 Cor. 3, 16
  116. Phil. 3, 8
  117. Lc. 16, 9
  118. Mt. 12, 50
  119. Ps. 97, 7
  120. Lc. 2, 14
  121. Gal. 4, 4,5
  122. Ps. 37, 7
  123. Lc. 13, 11-16
  124. La suite de ce sermon se retrouve textuellement dans le sermon CLXXXVI, tome 7, page 135, numéro 1, commençant à ces mots : Si donc le Verbe fait chair, etc.
  125. Mt. 21, 37
  126. Phil. 2, 21
  127. Ps. 11, 7
  128. Héb. 2, 14
  129. Isa. 19, 1
  130. Ps.31,6
  131. Rom. 1, 1-3
  132. Ps. 87, 6
  133. Ps. 48, 6
  134. Gal. 4, 4
  135. 1Pi. 2,22
  136. Phi. 2,16
  137. Mat. 2, 2
  138. Psa. 18, 2
  139. Eph. 2, 20
  140. Id. 2, 17
  141. Id. 14
  142. Isa. 1, 3
  143. Mat. 11, 28-30
  144. Isa. 9, 6
  145. Mat. 2, 8
  146. Jn. 10, 18
  147. Joe. 1, 14
  148. Lc. 6, 38
  149. Jn. 7, 37
  150. Id. 4, 13
  151. 1 Cor. 2, 30-32
  152. Prov. 3, 7-8
  153. 1 Cor. 15, 19,33
  154. Isa. 22, 13,14
  155. 1 Cor. 11, 21
  156. Rom. 14, 2
  157. 1 Cor. 8, 8
  158. 2Co. 5, 17
  159. Ps. 117, 24
  160. Jn. 6, 51
  161. Lc. 4, 36
  162. Ps. 22, 4
  163. Jn. 16, 20
  164. Ps. 29, 12
  165. 2 Cor. 3, 18
  166. Rom. 13, 12
  167. Ps. 117, 24
  168. Ps. 42, 4
  169. Ps. 89, 4
  170. Ps. 118, 24
  171. Mat. 26, 31
  172. Ps. 3, 6
  173. Mt. 27, 63-64
  174. Mat. 28, 56
  175. Psa. 77, 65
  176. Ps. 117, 24
  177. Jn. 1, 5
  178. Id. 19, 6
  179. Col. 1, 13
  180. 1Th. 5, 5 ; Rom. 13, 13
  181. Mt. 21, 19
  182. Ps. 117, 27
  183. Id.7
  184. Id. 111, 1
  185. Psa. 72, 12
  186. Psa. 23, 6
  187. Id. 8
  188. Apoc. 5, 5
  189. Isa. 53, 2
  190. Jn. 3, 16
  191. Mt. 28, 20
  192. Lc. 22, 62
  193. Jn. 1, 11
  194. Col. 1,19
  195. Isa. 53, 8
  196. Id. 7, 11
  197. Lc. 24, 39
  198. Eze. 44, 2-3
  199. Mat. 28, 6
  200. Mat. 28, 6
  201. Luc. 24, 5
  202. Jn. 1, 26
  203. Luc. 17, 21
  204. Jn. 20, 15
  205. Id. 17
  206. Jn. 20, 1-2
  207. Mat. 26, 3
  208. 1Co. 10, 4
  209. Jn. 20, 11,13
  210. Jn. 20, 14
  211. Id. 15
  212. Ibid
  213. Ps. 22, 5
  214. Mt. 7, 17
  215. Ps. 132, 2
  216. Rom. 14, 9
  217. 2Co. 2, 16
  218. 1Ti. 3, 16
  219. Luc. 2, 19
  220. 1Ti. 3, 16
  221. Id. 4, 7-8
  222. Jn. 3, 16
  223. Rom. 13, 10
  224. 1Ti. 1,5
  225. Phi. 2, 8
  226. Can. 1,3
  227. Id. 4
  228. Rom. 5, 14
  229. 1Co. 15, 23
  230. Os. 13, 14.
  231. Isa 45, 2
  232. Hab. 3, 13
  233. Isa. 53, 5
  234. Jn. 15, 13
  235. Id. 11, 14
  236. Id. 12, 24
  237. Mt. 27, 51-53
  238. Col. 2, 14,15
  239. 2 Cor. 5, 17
  240. Id.15
  241. Ps. 117, 24
  242. 1 Cor. 15, 52
  243. Ps. 3, 6
  244. Jn. 10, 18
  245. Ps. 96, 11
  246. Id. 31, 11
  247. Id. 58, 17
  248. Os. 6, 3
  249. Ps. 29, 6
  250. Rom. 13, 2
  251. Jn. 9, 15
  252. 1Co. 15, 13-22
  253. Gen. 1, 26-27
  254. Gen. 2, 7
  255. Id. 1, 24
  256. Id. 6, 3
  257. Id. 40, 6
  258. Isa. 44, 3
  259. Lc. 3, 6
  260. Gal. 5, 16
  261. Id. 6, 17
  262. Jn. 6, 64
  263. 1Co. 5, 7
  264. Jn. 1, 29
  265. Jn. 3,16
  266. Gal. 3, 13
  267. Rom. 8, 31
  268. Id.32
  269. Jn. 2, 18-19
  270. Ibid. 21
  271. Rom. 4, 24
  272. Phi. 2, 8-9
  273. Psa. 40, 11
  274. Jn. 1, 3
  275. Id. 10,30
  276. Id. 5,19
  277. Mat. 24, 31
  278. Exo. 12, 12
  279. Jn. 10, 18
  280. Rom. 5, 14
  281. 1 Cor. 2, 3
  282. Ps. 115, 12
  283. Jn. 1, 29
  284. Isa. 53, 7
  285. Ex. 12, 5-6
  286. Mt. 27, 25
  287. Ex. 12, 46
  288. Ps. 18, 6
  289. 1 Tim. 1, 17
  290. Prov. 8, 27
  291. 1 Jn. 10, 30
  292. Mt. 27, 24
  293. Id.23
  294. Ps. 47, 1
  295. Id. 146, 5
  296. Id. 117, 24
  297. Eph. 5, 8
  298. Ps. 106, 2
  299. Id. 47, 12
  300. Lc. 1, 40
  301. Ps. 110, 2
  302. Ps. 67, 29
  303. Gen.1,5
  304. 2 Tim. 2, 5
  305. 1 Thes. 5, 5
  306. Ibid, 9
  307. 1 Cor. 5, 8
  308. Jn. 1, 1-14
  309. 1 Cor. 14, 40
  310. Id. 10, 31
  311. Mal. 4, 2
  312. Deut. 32, 2
  313. Mt. 23, 37
  314. Ps. 16, 8
  315. Ps. 11, 2
  316. Ps. 117, 20
  317. Id. 126, 5
  318. Jn. 10, 7
  319. Mal. 1, 10,11
  320. Jn. 6, 44
  321. Is. 40, 31
  322. Jn. 6, 35
  323. Rom. 1, 17
  324. Jn. 6, 51
  325. Jn. 6, 51-58
  326. Id.51
  327. Is. 7, 9
  328. Jn. 6, 52
  329. Id.53
  330. Id. 3, 5
  331. Id. 40-51
  332. Id. 67
  333. Id.68,69
  334. Sir. 32, 9
  335. Jer. 13, 15
  336. Rom. 9, 20
  337. Gen. 1, 2
  338. Rom. 12, 6
  339. Jn. 6, 62,63
  340. Mal. 1, 11
  341. Mt. 6, 12
  342. Id. 18, 32
  343. 1 Cor. 11, 29
  344. 1 Pi. 2, 2
  345. Eph. 5, 2
  346. Jn. 10, 11
  347. 1 Cor. 10, 11
  348. Ps. 43, 23
  349. Mt. 12, 40
  350. Mt. 27, 45
  351. Ps. 18, 6
  352. Jn. 19, 37
  353. 1 Jn. 1, 5
  354. Mt. 27, 45
  355. Mt. 27, 46
  356. Id.47
  357. Id.48
  358. Mt. 27, 51
  359. Id.53
  360. Mt. 5, 15
  361. Rom. 9, 5
  362. Id. 10, 15
  363. Is. 9, 2
  364. Jn. 18, 4,5
  365. Id.5,6
  366. Id.7,8
  367. Is. 5, 4
  368. Id. 42, 3,4
  369. Id. 50, 6
  370. Id. 53, 4
  371. Ps. 118, 120
  372. Id. 68, 22
  373. Mt. 27, 46
  374. Id.45
  375. 1 Jn. 1, 5
  376. Jn. 3, 13
  377. Ps. 18, 7
  378. Act. 1, 3
  379. Mt. 9, 15
  380. Act. 1, 9
  381. Id. II
  382. Lc. 24, 5,52
  383. Jn. 14, 1
  384. Id.28
  385. 1 Thes. 5, 2
  386. Ps. 113, 2
  387. Mt. 19, 12
  388. Id. 11, 12
  389. Id. 19,29 ; 2 Cor. 9, 6
  390. Lc. 17, 21 ; Mt. 10, 36
  391. Rom. 8, 13
  392. Mt. 7, 19-20
  393. Mt. 7, 24,2
  394. Id. 10, 22
  395. Id. 16, 16
  396. 1 Pi. 5, 8
  397. Isa. 1, 12
  398. Mt. 7, 27
  399. Jn. 15, 16
  400. Dan. 3, 19
  401. Dan. 3, 26