Sermons édités par Michel Deny (Augustin)


DEUXIÈME SUPPLÉMENT modifier

PREMIÈRE SECTION. — SERMONS ÉDITÉS PAR MICHEL DENY[1] modifier

PREMIER SERMON. DU CIERGE PASCAL. modifier

ANALYSE. —1. Il attire l’attention. —2. Le cierge est l’image du Juste et du Christ. —3. L’abeille est l’emblème du Juste ; le rayon des saintes Écritures. —4. Figure du Christ dans Samson qui met en pièces un lionceau.

1. Pour glorifier le Seigneur Dieu tout-puissant, créateur des choses visibles et des choses invisibles, j’éprouve le besoin d’être soutenu par vos prières, en sorte que je devrais bien moins à mes mérites, qu’au secours miséricordieux du Seigneur même, d’exposer, comme je l’ai entrepris, la louange et la splendide bonté du Créateur. Soyez donc attentifs, mes frères bien-aimés, afin qu’après avoir secoué de vos cœurs toutes ces pensées charnelles semblables aux ténèbres de la nuit, et allumé dans le secret de vos consciences le flambeau du Christ, vous puissiez recueillir non-seulement de l’oreille, mais aussi du cœur, tout ce qu’il plaira au Seigneur de vous présenter par mon ministère.

2. Le cierge est une lumière pour la nuit, et l’homme juste une lumière pour ce monde ténébreux. « Vous êtes la lumière du monde », a dit le Seigneur à ceux que lui-même justifie. Car on voit dans le cierge trois substances la cire, la mèche, et la flamme. De même l’homme juste nous offre aussi trois substances : la chair, l’âme, la sagesse. La flamme éclaire, la mèche brûle, la cire se dissout. Les leçons de la sagesse occupent l’âme et triomphent de la résistance de la chair. La flamme brûle, la mèche se consume, la cire se répand goutte à goutte ; la sagesse enseigne, l’âme se repent, la chair verse des larmes. La flamme brûle en haut, la mèche se consume à l’intérieur, la cire coule à l’extérieur. C’est d’en haut qu’on prêche la sagesse, invisiblement que l’âme embrasse la pénitence, visiblement que la chair en accomplit les œuvres. Le jour, on vante la beauté d’un cierge ; la nuit, on en recherche la clarté. C’est ainsi qu’il est pour nous l’image de cette colonne qui marchait devant le peuple d’Israël, dans le désert, et l’empêchait de s’égarer. Une colonne de nuée leur apparaissait, en effet, pendant le jour, et une colonne de feu pendant la nuit[2]. Or, le jour est la figure de la sécurité en cette vie, comme la nuit est la figure des tribulations. Tel est le jour dont le Prophète a dit dans ses cantiques : « C’est le jour que le Seigneur a signalé sa miséricorde, et la nuit qu’il l’a chantée[3] ». Ce n’est point en venant dans cette vie charnelle que le Seigneur Jésus-Christ a manifesté sa gloire ; mais cette chair lui a servi de voile pour nous apparaître, comme au désert la colonne de nuée. Mais, quand viendra la fin des siècles, qui mettra fin à toutes nos joies visibles, alors, sans aucun voile mortel, le Seigneur lui-même nous apparaîtra dans sa gloire et dans sa splendeur, comme la colonne de feu. C’est le propre d’une colonne de feu de brûler et de briller. Brûler, c’est sa puissance ; briller, c’est sa gloire. Brûler, c’est juger ; briller, c’est éclairer. Brûler ; c’est la peine des impies ; briller, c’est le bonheur des justes.

3. Mais il nous faut entrer dans les propriétés de ce cierge, dont la signification est si glorieuse. Notre main le porte, nos yeux le voient, notre cœur le contemple, et notre bouche le célèbre. La cire est l’œuvre de l’abeille, dont l’Écriture nous parle ainsi : « Va vers la fourmi[4], ô paresseux », envois, comme elle travaille. Combien son œuvre est sainte, puisque les rois et les sujets s’emparent de ses travaux pour entretenir leur santé. Aux yeux de tous, elle a de la grâce et de la beauté, et toute faible qu’elle soit, elle ne s’élève qu’avec sagesse. Que nous apprenez-vous, ô Christ ? Que devons-nous considérer dans l’abeille ? C’est un animal petit et pourvu d’ailes, parce que c’est l’humilité qui s’élève. Elle vole au moyen de deux ailes brillantes. Or, quoi de plus éclatant que la charité ? Et la charité renferme deux préceptes, d’aimer Dieu et d’aimer le prochain, qui sont comme deux ailes pour nous élever au ciel. La douceur est l’œuvre de l’abeille, et la vérité est dans la bouche du juste ; car le Seigneur nous dit bien haut : « Je suis la voie, la vérité et la vie[5] ». Et le Prophète nous dit à son tour : « Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux[6] ». Les abeilles aiment leur reine, comme les justes aiment leur Christ. Les abeilles forment des rayons de miel, et les justes des églises. C’est sur les fleurs que celles-ci vont recueillir leur butin, de même que tous les justes s’enrichissent des beautés des saintes Écritures, qui font connaître et honorer Dieu, et sont pour eux des prairies émaillées. Les abeilles engendrent sans souillure, de même que les justes engendrent les chrétiens par la chaste prédication de l’Évangile. C’est à ses fils, en effet, que s’adressait Paul, quand il disait : « Eussiez-vous dix mille maîtres en Jésus-Christ, que vous n’avez pas néanmoins plusieurs pères ; car c’est moi qui vous ai engendrés en Jésus-Christ par l’Évangile[7] ». On distingue, dans le rayon, la cire, le miel, et le couvin. De même, dans l’Église, nous avons l’Écriture, l’intelligence et l’audition. Et comme la cire renferme le miel, ainsi l’Écriture garde l’intelligence, et de même encore que le couvin a son nid dans la cire, ainsi l’auditeur met son affection dans l’Écriture ; de même encore que les cellules de rayons contiennent déjà du couvin, sans contenir encore du miel, de même les mystères des Écritures, avant d’arriver à l’intelligence, exigent d’abord la foi des enfants. Comme la jeune abeille, après avoir pris son essor, remplit de miel ces alvéoles de cire où elle fut nourrie, ainsi les jeunes fidèles, après avoir grandi par la foi et commencé à se diriger par les ailes de là charité, rendent plus solides ces remparts des saintes Écritures, dont le respect les a sauvegardés, et qu’à leur tour ils environnent d’un respect plus saint. Qu’on presse des rayons, il en découle du miel que l’on recueille en des vases ; ainsi la passion du Seigneur a pressuré les livres de la loi et des Prophètes, et il en a découlé cette connaissance qu’ont recueillie des cœurs spirituels. De même encore, quand on a exprimé le miel, la cire, qui n’a plus de douceur, est plus apte à recevoir l’impression des signes ; de même les gouverneurs du peuple juif n’ont retenu de la loi et des Prophètes que le sabbat, la circoncision, les néoménies, les azymes, et autres cérémonies semblables, simples vestiges des figures antiques, mais sans aucune douceur de la loi, comme une cire sans miel.

4. Mais il est plus visible encore qu’un rayon, la cire, le miel et le couvin, sont la figure des Sacrements de l’Église et des bonnes œuvres qui la rendent féconde. Aussi, l’Écriture, au livre des Juges, me suggère-t-elle de vous parler de ce rayon de miel qui fut trouvé dans la gueule d’un lion mort. Quand Samson, le plus fort des hommes, allait chercher une épouse, il rencontra, sur sa route, un lion, qu’il saisit et tua, comme il eût fait d’un chevreau, et la force d’un si puissant animal s’évanouit sous sa main[8]. Il continua sa route, épousa une femme, et s’en revint. Comme il revenait, il se détourna pour voir le cadavre du lion, et trouva que des abeilles avaient bâti dans sa gueule un rayon de miel. Il y a là un grand mystère ; qu’il nous suffise, vu le temps qui nous presse, de vous exposer brièvement cette figure. Écoutez donc, mes frères, autant que vous le pourrez. Que signifient, et Samson, et le lion, et le rayon de miel ? C’est ce que je vous expliquerai autant que le Seigneur voudra m’inspirer. Notre-Seigneur Jésus-Christ, dans tout l’éclat de sa beauté, dans la grandeur de sa puissance, est venu se choisir pour épouse l’Église tirée des nations comme une fille étrangère. C’est à cette Église que l’Apôtre adressait ces paroles : « Je vous ai fiancée à cet Époux unique, à Jésus-Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge pure[9] ». Ce lionceau, c’est le monde ; tous ces hommes épris du siècle, c’est la race de Satan, c’est la foule des impies, qui, dans sa fureur, s’est portée au-devant du Seigneur, pour lui barrer le passage et empêcher le salut des fidèles par la prédication de l’Évangile. Le peuple des Gentils frémissait de rage, en effet, dans la personne de ses rois, des puissants de ce monde, et dans sa fureur qu’attisait le diable, son père, il se rua contre l’Évangile de Dieu comme un lionceau, et rugit jusqu’à ce qu’il tomba sous la main de l’homme puissant. Mais la persévérance des martyrs dans la foi, brisa cette fureur des païens et les assauts impétueux des persécuteurs. Car ce fut par ces membres, véritablement forts, que le Seigneur vainquit le monde ; et maintenant que nous voyons sa fureur orgueilleuse éteinte par toute la terre, qui ne voit avec joie le lionceau étendu par terre ?

DEUXIÈME SERMON. SUR LE SAMEDI SAINT[10]. modifier

ANALYSE. —1. Dieu a tout créé par son Fils. —2. Manifestation du Fils par l’Incarnation. —3. Mystère de la Trinité.—4. L’existence de lame humaine démontre l’existence de Dieu. —5. Véritable connaissance de Dieu, et par là espérance de notre immortalité.

1. Nous venons d’entendre bien des leçons des saintes Écritures ; mais il nous est impossible, à nous, de vous parler aussi longuement, et à vous, d’entendre, quand même nous le pourrions. Autant que Dieu nous en fera la grâce, nous voulons entretenir votre charité de ce commencement des saintes Lettres dont vous venez d’entendre la lecture : « Au commencement, Dieu fit le ciel et la terre[11] ». Écoutez, et faites-vous une idée de celui qui est l’ouvrier ; mais vous faire une idée de cet ouvrier, cela vous est impossible, je le sais. Considérez donc l’œuvre, et ensuite louez l’ouvrier. « Au commencement Dieu fit le ciel et la terre ». Voilà l’œuvre qui est devant nous, qui est sous nos yeux, et qui fait nos délices. L’œuvre se montre, l’ouvrier se cache ; ce que l’on découvre est visible, ce que l’on aime est caché. Mais voir le monde et aimer Dieu, c’est aimer ce qui est bien supérieur à ce que l’on voit. Ce sont les yeux qui voient et le cœur qui aime. Donnons donc à l’âme la préférence sur les yeux ; car celui que nous aimons, bien qu’il se dérobe, est bien supérieur à son œuvre que nous voyons à découvert. Cherchons donc, s’il vous plaît, de quelle machine Dieu se servit, quand il fit un si grand ouvrage. La machine de l’ouvrier, c’est la parole du Maître qui commande. Cela vous étonne ? L’œuvre est du Tout-Puissant. Si donc tu cherches quel est l’ouvrier, cet ouvrier c’est Dieu. Mais qu’a-t-il fait, diras-tu ? Il a fait le ciel et la terre. Cherches-tu par quel moyen il les a faits ? Il les a faits par son Verbe qu’il n’a point fait. Car ce Verbe, par qui le ciel et la terre ont été faits, n’a pas été fait lui-même. S’il eût été fait, par qui eût-il été fait ? « Tout a été fait par lui[12] ». Si donc tout ce qui a été fait l’a été par le Verbe, assurément le Verbe, par qui tout a été fait, n’a pas été fait lui-même. D’ailleurs, voici ce que dit Moïse, serviteur de Dieu, qui nous raconte ses œuvres : « Au commencement, Dieu fit le ciel et la terre ». Par quel moyen ? Par son Verbe. A-t-il fait aussi le Verbe ? Non. Mais qu’a-t-il fait ? « Au commencement était le Verbe[13] ». Déjà était le Verbe par lequel Dieu a fait, d’où il suit qu’il a fait ce qui n’était pas encore. Nous pouvons comprendre, et avec raison, que le ciel et la terre ont été faits en cet unique Verbe. Car ils ont été faits en celui-là même par qui ils ont été faits. Tel peut être, et tel on peut comprendre ce commencement dans lequel Dieu créa le ciel et la terre. Car le Verbe est aussi cette sagesse de Dieu à qui le Prophète a dit : « Vous avez tout fait dans votre sagesse[14] ». Si Dieu a tout fait dans sa sagesse, et que sans aucun doute le Fils unique de Dieu soit la sagesse de Dieu, ne doutons pas qu’il n’ait fait dans son Fils tout ce que nous voyons qu’il a fait par son Fils. Car ce même Fils est aussi le commencement ; et quand les Juifs l’interrogeaient en disant : Qui êtes-vous ? « Le commencement[15] », répondit-il. Voilà donc : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre ».

2. Quant au reste des créatures, s’agit-il de les séparer ou de les coordonner, ou même de les orner, ou même de créer ce qui n’était point encore dans le ciel et sur la terre ? Dieu parle, et voilà qu’elles sont faites : « Dieu dit : Que cela soit ; et cela est[16] ». Ainsi de toutes ses œuvres. « Il a parlé, et il a été fait ainsi ; il a commandé, et tout a été fait[17] ». Parlé en quelle langue ? Pour se faire entendre, à qui parlait-il ? N’ayons point toujours du lait pour nourriture. Élevez avec nous votre esprit jusqu’à la nourriture solide. Que nul ne se figure Dieu comme un corps, ne se le figure comme un homme, ne se le figure comme un ange, bien qu’il ait ainsi apparu à nos pères, non point dans sa substance, mais dans la créature qu’il s’assujétissait ; car autrement des yeux humains n’eussent pu voir l’invisible. Cherchons ce qu’il y a de supérieur en nous, afin d’essayer d’atteindre ce qu’il y a de supérieur à tout. Ce qu’il y a de supérieur en nous, c’est l’esprit ; ce qui est supérieur à tout, c’est Dieu. Pourquoi chercher ce qui est supérieur dans les êtres inférieurs ? Élève ce qu’il y a de meilleur en toi, afin d’atteindre, si tu le peux, Celui qui est supérieur à tous. Pour moi, en effet, quand je parle, c’est à l’esprit que je m’adresse. Il est vrai que vos visages visibles, je les vois par ce corps qui me rend visible aussi ; mais au moyen de ce qui est visible pour aloi, je m’adresse à ce que je ne voyais point. J’ai en moi une parole que mon cœur a conçue, et que je veux jeter dans les oreilles. Ce que mon cœur a conçu, je veux te le dire ; ce qui est en moi, je veux le porter en toi. Mais, dis-moi, ce qui est invisible, comment le faire parvenir à ton esprit ? Je circonviens d’abord tes oreilles, portes de ton âme en quelque sorte, et comme je ne puis te jeter la parole invisible que mon cœur a conçue, je lui donne dans le son une espèce de véhicule. La parole est imperceptible, mais le son est perceptible. Je mets l’imperceptible sur le perceptible, et j’arrive ainsi à tes oreilles ; et de la sorte, la parole part de moi, arrive à toi, sans néanmoins s’éloigner de moi. Si donc il est permis de comparer ce qui est petit à ce qui est grand, ce qui est méprisable à ce qui est majestueux, ce qui est de l’homme à ce qui est de Dieu, voilà ce que Dieu lui-même a fait. Le Verbe était invisible en son Père ; et, pour venir à nous, il a pris une chair qui lui a servi de véhicule, oui, pour s’abaisser jusqu’à nous, sans néanmoins s’éloigner de son Père ; mais avant son incarnation, avant Adam père du genre humain, avant le ciel et la terre et tout ce qu’ils renferment : « Au commencement était le Verbe, et dans ce commencement Dieu a fait le ciel et la terre ».

3. Mais Dieu avait déjà fait la terre avant de l’orner, avant d’en découvrir la beauté. « Elle était invisible, sans ordre, et les ténèbres couvraient l’abîme ». Les ténèbres couvraient ce que n’éclairait pas la lumière ; or, la lumière n’était point encore. « L’Esprit de Dieu était porté sur les eaux » ; cet ouvrier n’était point séparé du Père, et du Verbe, son Fils unique. Car, écoutons, voilà qu’on nous insinue la Trinité. Nous dire en effet : « Il fit dans le commencement », c’est nous faire comprendre l’essence du Père et du Fils, Dieu le Père, dans le Fils commencement. Reste l’Esprit-Saint pour compléter la Trinité. « L’Esprit de Dieu était porté sur les eaux, et Dieu dit ». À qui Dieu parla-t-il ? Avant toute créature, y avait-il quelqu’un pour entendre ? Oui, est-il dit. Qui donc ? Le Fils lui-même. Dieu parla donc à son Fils. En quelles paroles parla-t-il au Verbe ? Car si le Fils était, comme nul chrétien n’en doute, le Verbe était aussi. Le Fils était le Verbe, et le Père parlait au Verbe. Des paroles s’échangeaient donc entre Dieu et son Verbe ? Point du tout. Affranchissez-vous, mes frères, de tous ces obstacles d’une pensée charnelle, levez invisiblement votre intelligence jusqu’à l’invisible, que l’œil de votre esprit n’aperçoive plus aucune image corporelle. Laisse bien loin tout ce qui est visible en toi, laisse même tout ce qui n’est pas visible, car on voit ton corps, et l’on ne voit pas ton âme, qui change toutefois. Tantôt elle veut, et tantôt ne veut pas ; tantôt elle fait, et tantôt ne fait pas ; tantôt elle se souvient, et tantôt elle oublie ; aujourd’hui en avant, et demain en arrière. Tel n’est point Dieu : non, cette nature n’est point Dieu, et l’âme n’est point une portion de la substance divine. Car tout ce qui est Dieu est le bien immuable, le bien incorruptible. Quoique Dieu soit invisible, de même que l’âme est invisible ; néanmoins l’âme change, tandis que Dieu est immuable. Laisse donc bien loin tout, non-seulement tout ce qui est visible en toi, mais encore tout ce qui change en toi. Laisse-toi tout entier en t’élevant au-dessus de toi.

4. Un amant de l’invisible bonté, amant de l’invisible éternité, disait dans les soupirs et dans les gémissements de son amour : « Mes larmes sont devenues mon pain, le jour et la nuit, pendant que l’on me dit chaque jour : Où est ton Dieu[18] ». Comment ses gémissements et ses larmes ne seraient-ils pas un pain pour cet amant, et ne s’en nourrirait-il pas comme d’un aliment délicieux, versant des larmes d’amour, tant qu’il ne voit point ce qu’il aime, et qu’on lui dit chaque jour : « Où est ton Dieu ?[19] » Que je dise à quelque païen : Où est ton Dieu ? il me montre ses idoles. Que je brise l’idole, et il me montre une montagne, il montrera un arbre, il montrera une pierre méprisable du fleuve. Ce qu’il a tiré d’un millier de pierres, ce qu’il a placé dans un lieu honorable, ce qu’il a adoré en se prosternant, c’est là son dieu. Voilà, dit-il, en me montrant du doigt, voilà mon dieu. Si je ris d’une pierre que je puis enlever, que je brise, que j’envoie au loin avec mépris, il me montre du doigt le soleil, la lune, ou quelque étoile. Il appelle celle-ci Saturne, cette autre Mercure, une autre Jupiter, une autre Vénus. Je lui demande ce qu’il veut en dirigeant çà et là son doigt. Il me répond : Voilà quel est mon Dieu. Et parce que je vois le soleil sans le pouvoir briser, parce que je ne puis renverser les astres, ni bouleverser le ciel, alors comme supérieur à lui-même, en m’indiquant des choses visibles, qu’il me désigne du doigt, il se retourne vers moi pour me dire : « Où est ton Dieu ? » Mais quand j’entends : « Où est ton Dieu », je ne puis rien montrer à ses yeux, je ne trouve qu’un esprit qui obéit en aveugle. Aux yeux qu’il a pour voir, je n’ai rien que je puisse montrer ; et si j’ai quelqu’un à lui montrer, il n’a plus les yeux pour voir. Pleurons alors, et faisons-nous un pain de nos larmes. Mon Dieu est invisible, et tel qui me parle, me demande à le voir, quand il dit : « Où est ton Dieu ? » Pour moi, afin d’arriver à mon Dieu, comme l’a dit le Psalmiste : « J’ai repassé tout cela dans mon cœur, et répandu mon âme au-dessus de moi-même ». Mon Dieu n’est pas au-dessous de mon âme, il lui est bien supérieur. Comment pourrai-je atteindre à ce qui est au-dessus de mon âme, sinon en élevant mon âme au-dessus de moi-même ? Pourtant, avec la grâce de mon Dieu, je vais essayer de répondre à cet importun, qui me demande ce qui est visible, me montre ce qui est visible, et ne fait ses délices que de ce qu’il voit. Voici bien ta question : « Où est ton Dieu ? » Je te répondrai : Toi-même, où es-tu ? Telle est ma réponse, dis-je, elle n’est pas hors de propos, du moins que je sache. Tu m’as demandé où est mon Dieu ; à mon tour je demande où est mon interrogateur. Il me dira : Me voici, je suis ici ; je suis sous tes yeux, je te parle. Et moi de lui répondre : Je cherche celui qui m’interroge. Je vois sa face, il est vrai, je vois son corps, J’entends sa voix, je vois même sa langue. Mais je cherche ce qui fixe les yeux sur moi, ce qui fait mouvoir sa langue, ce qui émet la voix, ce qui interroge par désir de savoir. Tout cela, dont je parle, c’est l’âme. Je ne prolonge donc point ma discussion avec toi ; tu me dis : Montre-moi ton Dieu. Je dis à mon tour : Montre-moi ton âme. C’est t’embarrasser, te fatiguer, t’arrêter court, que te dire : Montre-moi ton âme. Je sais bien que tu ne saurais. D’où vient cette impuissance ? De ce que ton âme est invisible. Et, toutefois, elle est en toi bien supérieure à ton corps. Mais mon Dieu est bien supérieur à ton âme. Comment donc te montrerais-je mon Dieu, puisque tu ne saurais montrer ton âme, que je te montre bien inférieure à mon Dieu ? Que si tu viens à me dire : Connais mon âne à ses œuvres ; et dès lors que je fixe les yeux pour voir, que je dresse l’oreille pour entendre, que ma langue se meut pour parler, que ma voix produit un son, cela te doit faire connaître et comprendre mon âme. Tu le vois, tu ne saurais montrer ton esprit, mais tu veux que je le reconnaisse à ses œuvres. Sans poursuivre plus loin, sans renvoyer ton infidélité à ce que tu ne comprends point ; sans même te résumer ainsi les œuvres de Dieu : Il a fait les choses invisibles et les choses visibles ; c’est-à-dire le ciel et la terre ; sans chercher tant de raisons, j’en reviens à toi. Tu as la vie assurément, tu as un corps, tu as une âme ; un corps visible, une âme invisible ; un corps qui est l’habitation, un esprit qui l’habite ; un corps qui est un véhicule, l’âme qui se sert de ce véhicule ; un corps que l’on dirige comme tout véhicule, et une âme chargée en quelque sorte de diriger le corps. Voilà les sens en évidence ; ils sont dans ton corps, comme des portes au moyen desquelles on annonce quelque chose à ton esprit qui l’habite intérieurement. Voilà tes yeux, tes oreilles, ton odorat, ton goût, ton toucher, tes membres mis en ordre. Qu’est-ce donc qui, intérieurement, te fait penser, et vivifie tout cela ? Tout cela que tu admires en toi, celui qui l’a fait, c’est mon Dieu.

5. Donc, mes frères, si j’ai pénétré jusqu’à vos intelligences, jusqu’à vos esprits qui sont intérieurs, au moyen d’un langage aussi approprié que j’ai pu, si ma parole est arrivée à celle qui habite ces maisons de boue, c’est-à-dire à l’âme dont vos corps sont la demeure, gardez-vous de juger des choses divines par celles que vous connaissez. Dieu est bien supérieur à tout, au ciel et à la terre. N’allez pas vous figurer un ouvrier composant quelque grand ouvrage, le disposant, procédant par combinaisons, le tournant et le retournant, ni un empereur assis sur un trône royal, orné, resplendissant, et créant par les ordres qu’il donne. Brisez ces idoles dans vos cœurs. Écoutez ce qui fut dit à Moïse quand il cherchait Dieu : « Je suis Celui qui suis ». Cherche quelque autre chose qui soit. En comparaison de Dieu, il n’y a rien qui soit. Ce qui Est véritablement, ne change en aucune partie. Ce qui est mobile et changeant, ce qui en aucun temps ne cesse de changer, a été, et sera. On ne saurait dire de cela, qu’il Est. Mais en Dieu il n’y a pas été, non plus que, il sera. Ce qui a été n’est plus, ce qui sera n’est point encore. Et ce qui ne vient que pour passer, dès lors qu’il sera, n’est pas encore. Méditez, si vous le pouvez, cette grande parole : « Je suis Celui qui suis[20] ». Ne vous laissez point entraîner par vos caprices, ni par le flux de vos pensées terrestres ; arrêtez-vous à ce qui Est, oui, à ce qui Est. Où courez-vous ? Tenez ferme, afin que vous puissiez être vous-mêmes. Mais quand sommes-nous maîtres de notre pensée fugitive, et quand pouvons-nous la fixer sur ce qui demeure éternellement ? Dieu donc nous a pris en pitié, et celui qui Est, celui qui a dit : « Voici ce que tu diras aux enfants d’Israël : Celui qui est m’a envoyé vers vous », après nous avoir donné le nom de sa substance, nous a donné le nom de sa miséricorde. Quel est le nom de sa substance ? « Je suis Celui qui suis ». « Tu diras aux enfants d’Israël : Celui qui est m’a envoyé vers vous ». Mais Moïse était homme, il faisait partie de tout ce qui n’est pas en comparaison de Dieu. Il était sur la terre, il était dans une chair, son âme était dans cette chair, sa nature était changeante et ployait sous le fardeau de l’humaine fragilité. Car cette parole : « Je suis Celui qui suis », comment la saisissait-il ? C’est en effet par ce qui est vu des yeux, qu’il parlait à celui qu’on ne saurait voir, et Dieu, qui est caché, se servait de ce qui est visible comme d’un instrument. Car tout ce que voyait Moïse n’était pas Dieu tout entier, de même qu’en moi qui suis homme, le son qui bruit n’est pas toute ma parole. Car j’ai dans l’esprit une parole qui ne résonne point. Le son passe, la parole demeure. Donc, lorsque Dieu, qui est invisible, s’adressait à l’homme et se rendait visible par la forme qu’il daigna prendre, quand l’éternel parlait des choses du temps, l’immuable des choses fragiles ; quand il disait : « Je suis Celui qui suis », et encore : « Tu diras aux enfants d’Israël : Celui qui est m’a envoyé vers vous » ; comme si Moïse ne pouvait comprendre cette parole : « Je suis Celui qui suis » ; et : « Celui qui m’a envoyé vers vous[21] », ou bien si Moïse le comprenait, comme si nous autres, qui devions lire, nous ne comprenions pas. Au nom de sa substance, Dieu ajoute le nom de sa miséricorde. C’est comme s’il disait à Moïse : Cette parole : « Je suis Celui qui suis », tu ne la comprends point, ton cœur ne s’y arrête point, tu n’es pas immuable avec moi, ton esprit n’est point sans vicissitudes. Tu as entendu que je suis, écoute ce que tu comprendras, écoute un sujet d’espérance. Et le Seigneur, parlant encore à Moïse, lui dit : « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob ». Tu ne saurais comprendre le none de ma substance, comprends le nom de ma miséricorde : « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob[22] ». Mais ce que je suis en moi-même est éternel ; Abraham, Isaac et Jacob, sont éternels, il est vrai, ou plutôt, non pas éternels, mais ce que je suis les a faits éternels. Enfin, ce fut par là que le Seigneur confondit les calomnies des Sadducéens, qui niaient la résurrection ; il leur cita ce passage des saintes Écritures : « Lisez ce que le Seigneur, du milieu du buisson, disait à Moïse : Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob. Or, Dieu n’est point le Dieu des morts, mais des vivants[23] » ; car tous pour lui sont vivants. Aussi le Seigneur, après avoir dit : « Je suis Celui qui suis », n’ajoute pas : « C’est là mon nom pour l’éternité ». Il n’est personne, en effet, pour douter que ce qu’est le Seigneur, il l’est à cause de sols éternité. Mais quand il a dit : « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob », il ajoute : « C’est là mon nom pour l’éternité ». Comme s’il disait : À quoi bon craindre la mort dans le genre humain ? Pourquoi redouter de n’être plus, quand tu seras mort ? « C’est là mon nom pour l’éternité ». Je ne pourrais m’appeler éternellement « le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob[24] », si Abraham, Isaac et Jacob ne vivaient éternellement. Tournons-nous vers le Seigneur, etc.[25].

TROISIÈME SERMON. AUX ENFANTS, SUR LE SACREMENT DE L’AUTEL[26]. modifier

ANALYSE. —1. Éloge du sacrifice de la loi nouvelle. —2. Ce sacrifice, c’est le Christ. —3. véritablement et réellement présent dans l’Eucharistie. —4. Effets de l’Eucharistie. —5. Conditions pour communier dignement.

1. Maintenant que vous avez pris une seconde naissance dans l’eau et dans l’Esprit-Saint, et que dès lors cette nourriture et ce breuvage sur l’autel vous apparaissent sous un nouveau jour, que vous les voyez avec une piété nouvelle ; et l’instruction que nous vous devons, et la sollicitude avec laquelle nous vous avons engendrés, pour former le Christ en vous, nous font un devoir d’enseigner à vos jeunes années ce que signifie ce sacrement si grand et si divin, ce remède si noble et si célèbre, ce sacrifice à la fois si pur et si facile, qui ne fut point offert ni dans la Jérusalem de la terre, ni dans ce tabernacle fabriqué par Moïse, ni dans ce temple bâti par Salomon, qui n’étaient que les ombres de l’avenir[27], mais que l’on immole de l’aurore au couchant, selon la parole des Prophètes, et que l’on offre comme une hostie de louange au Dieu qui a fait avec nous la nouvelle alliance. Ce n’est plus dans les troupeaux d’animaux que l’on choisit une hostie sanglante, ce n’est plus un chevreau ou une brebis que l’on amène à l’autel, mais aujourd’hui on offre le corps et le sang du Prêtre lui-même. Car c’est de lui que le Psalmiste a dit si longtemps auparavant : « Tu es Prêtre pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisédech[28] ». Que Melchisédech, prêtre du Très-Haut, ait offert du pain et du vin, quand il bénit Abraham notre père, c’est ce que nous lisons dans la Genèse, et ce que nous croyons. Jésus-Christ, donc, Notre-Seigneur, qui offrit en souffrant pour nous ce qu’en naissant il avait reçu de nous, devenu souverain Prêtre pour l’éternité, établit selon le rite que vous voyez, le sacrifice de son corps et de son sang. Son corps, en effet, percé d’une lance, laissa couler l’eau et le sang dont il effaça nos péchés. En mémoire de ce bienfait, et pour opérer votre propre salut, que Dieu lui-même opère en vous, approchez avec crainte et avec tremblement, pour participer à cette victime. Reconnaissez dans le pain ce qui fut suspendu à la croix, et dans ce calice ce qui coula de son côté. Car tous les anciens sacrifices de ce peuple de Dieu, dans leur variété, figuraient pour l’avenir cet unique sacrifice. Car il y a dans le Christ, et la brebis à cause de l’innocence et de la simplicité de l’âme, et le chevreau à cause de sa chair qui ressemble à la chair du péché ; et tout ce qui était annoncé de tant de manières, et de si différentes façons dans les sacrifices de l’Ancien Testament, vient aboutir à cet unique sacrifice, révélé dans le Nouveau Testament.

3. Recevez donc et mangez le corps du Christ, vous qui en ce même corps du Christ, êtes déjà membres du Christ. Recevez et buvez le sang du Christ. Ne vous dégagez pas de vos liens, mangez ces liens mêmes. Ne vous croyez point vils, buvez votre rançon. Comme les aliments, à mesure que vous mangez et que vous buvez, se changent en vous-mêmes, de même, par une vie obéissante et pieuse, vous vous changez au corps du Christ. En effet, aux approches de sa Passion, comme il mangeait la Pâque avec ses disciples, il prit du pain, le bénit et dit : « Ceci est mon corps qui sera livré pour vous[29] ». De même, après avoir béni le calice, il le présenta en disant : « Ceci est mon sang de la nouvelle alliance, qui sera répandu pour plusieurs, en rémission de leurs péchés[30] ». Voilà ce que vous lisez dans l’Évangile, nu ce que vous entendiez, mais sans savoir que l’Eucharistie c’est le Fils de Dieu. Maintenant que vos cœurs sont purifiés, que votre conscience est sans tache, que vos corps sont lavés dans une eau pure, « approchez de Dieu, et vous serez éclairés, et vos fronts n’auront plus à rougir[31] ». Si vous recevez dignement en effet ce sacrement de la nouvelle alliance, et qui vous donne l’espérance de l’héritage éternel, si vous observez le commandement nouveau, de vous aimer les uns les autres, vous avez en vous la vie éternelle. Car vous recevez cette chair, dont celui qui est la vie a dit : « Le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde » ; et encore : « Celui qui ne mangera pas ma chair et ne boira point mon sang, n’aura pas la vie en lui[32] ».

4. Ayant donc la vie en lui, vous serez avec lui dans une même chair. Car ce Sacrement ne relève pas le corps du Christ jusqu’à nous en exclure. L’Apôtre nous rappelle, en effet, cette prédiction des saintes Écritures : « Ils seront deux dans une même chair ; c’est là », dit-il, « un grand sacrement, et moi je dis en Jésus-Christ et en l’Église[33] ». Et ailleurs, à propos de cette même Eucharistie, il dit encore : « Nous sommes tous un seul pain et un seul corps[34] ». Vous commencez donc à recevoir ce que vous commencez à être, si vous ne le recevez point indignement, de manière à manger et à boire votre jugement. Car il dit aussi : « Quiconque mangera ce pain ou boira le calice du Seigneur indignement, sera coupable du corps et du sang du Seigneur. Que l’homme donc s’éprouve lui-même, et qu’après cela il mange de ce pain et boive de cette coupe ; car celui qui mange et qui boit indignement, boit et mange son jugement[35] ».

5. Or, vous le recevez dignement, si vous évitez tout ferment d’une mauvaise doctrine, pour être « les azymes de sincérité et de vérité[36] » ; ou bien, si vous gardez ce levain de la charité, « qu’une femme cacha dans trois mesures de farine, jusqu’à ce que le tout ait fermenté[37] ». Car, cette femme c’est la sagesse de Dieu, qui a pris dans le sein d’une Vierge une chair mortelle, qui répand son Évangile dans le monde entier qu’elle repeupla après le déluge au moyen des trois fils de Noé, lesquels paraissent ici comme les trois mesures. « Jusqu’à ce que le tout ait fermenté ». Tel est ce « tout », comme l’on dirait en grec, ʽ`Ολον ; et, en conservant le lien de la paix, vous serez selon le « tout », ou Κάθολον, d’où vient le surnom de catholique.

QUATRIÈME SERMON. SUR LA PÂQUE[38]. modifier

ANALYSE. —1. Le Christ agneau et lion.

1. Selon cette vérité qu’ont fait retentir les Apôtres, a dont l’éclat s’est répandu sur toute « la terre, et les paroles jusqu’aux derniers rivages du monde[39], le Christ, notre Pâque, a été immolé[40] ». C’est de lui que le Prophète avait dit : « Il a été conduit à la mort comme une brebis, et comme l’agneau est sans voix devant celui qui le tond, ainsi il n’a point ouvert la bouche[41] ». Quel est cet homme ? Assurément celui dont il est dit ensuite : « Son jugement a été précipité au milieu de ses humiliations. Qui racontera sa génération ?[42] » C’est dans un Roi si puissant que je vois un tel exemple d’humilité. Car, celui qui n’ouvre la bouche, non plus que l’agneau devant celui qui le tond, est aussi « le lion de la tribu de Juda[43] ». Quel est cet agneau et ce lion tout ensemble ? Agneau, il a subi la mort ; lion, il l’a donnée. Quel est cet agneau et ce lion tout ensemble ? Il est doux et fort, aimable et terrible, innocent et puissant, muet quand on le juge, frémissant quand il jugera. Quel est cet agneau et ce lion tout ensemble ? Agneau dans sa passion, lion dans sa résurrection ? Ou plutôt, ne serait-il point agneau et lion dans sa passion, agneau et lion dans sa résurrection ? Voyons l’agneau dans la passion. Nous l’avons dit tout à l’heure : « Il n’a pas ouvert sa bouche, non plus que l’agneau qui est sans voix devant celui qui le tond ». Voyons le lion dans, cette même passion. Jacob a dit : « Tu t’es élancé dans ton repos, tu as dormi comme le lion[44] ». Voyons l’agneau dans la résurrection. Nous lisons dans l’Apocalypse, à propos de la gloire éternelle des vierges. « Elles suivent l’agneau partout où il va[45] ». Voyons le lion dans la résurrection. L’Apocalypse nous dit encore cette parole déjà citée plus haut : « Voici que le lion de la tribu de Juda a vaincu et peut ouvrir le livre[46] ». Comment agneau dans la passion ? Parce qu’il a reçu la mort, sans avoir d’iniquité. Comment lion dans la passion ? Parce qu’en mourant il a tué la mort. Comment agneau dans la résurrection ? Parce qu’il possède l’innocence éternelle. Comment lion dans la résurrection ? Parce qu’il a la puissance éternelle. Quel est cet agneau et ce lion tout ensemble ? Comment demander qui est-il ? Mais si je demande ce qu’il était ? « Au commencement, il était le Verbe ». Où était-il ? « Et le Verbe était en Dieu ». Quel était-il ? « Et le Verbe était Dieu ». Quelle était sa puissance ? « Tout a été fait par lui ». Et lui, qu’a-t-il été fait ? « Et le Verbe a été fait chair[47] ». Comment est-il né d’un père et non d’une mère, d’une mère et non d’un père ? « Qui racontera sa génération ? » Engendré par l’un, il est coéternel à celui qui l’engendre. Il devient chair en demeurant Verbe. Il a créé tous les temps, a été créé au temps convenable ; proie de la mort, et faisant de la mort sa proie, exposé sans beauté, aux yeux des fils des hommes, sachant supporter l’infirmité, faisant ce qui est humble, dans sa grandeur, et ce qui est grand dans son humilité ; Dieu homme, et homme Dieu ; premier-né, et Créateur des premiers-nés ; unique, et auteur de toutes choses ; né de la substance du Père, et participant à la nature des fils adoptifs, Dieu de tous et serviteur d’un grand nombre. Tel est l’agneau « qui efface les péchés du monde[48] ». Le lion qui triomphe des potentats du monde. Je demandais quel est-il ; cherchons plutôt quels sont ceux pour qui il est mort. Serait-ce pour les justes et les saints ? Ce n’est point ce que dit l’Apôtre ; mais bien : « Le Christ est mort pour les impies[49] ». Non point assurément pour qu’ils demeurent dans leur impiété, mais afin que, par la mort du juste, le pécheur fût justifié et que la cédule du péché fût effacée par l’effusion d’un sang exempt de péché.

CINQUIÈME SERMON. ENCORE SUR LA PÂQUE[50]. modifier

ANALYSE. —1. La mort du Christ est notre espérance. —2. La mort du Christ est volontaire. —3. Comment le Christ est triste dans sa mort. —4. Nécessité de l’incarnation pour notre rachat. —5. Paroles du Rédempteur aux rachetés. —6. Comment comprendre que le Christ est mort pour nous. —7. Réfutation des erreurs d’Apollinaire et d’Arius. —8. Exhortation.

1. Nous venons d’entendre lire dans l’Évangile la résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Le Christ est ressuscité, donc le Christ est mort ; car la résurrection est une preuve de la mort, tandis que la mort du Christ est la mort de nos craintes. Ne craignons plus de mourir, le Christ est mort pour nous. Mourons avec l’espérance de la vie éternelle, puisque le Christ est ressuscité pour que nous ressuscitions. Sa mort et sa résurrection sont pour nous un programme à suivre, une récompense promise. Le programme à suivre, c’est la passion ; la récompense promise, c’est la résurrection. Le programme a été rempli par les martyrs ; et nous, remplissons-le du moins, par la piété, si nous ne pouvons le faire par les souffrances. Tous ne sont point appelés à souffrir pour le Christ, à mourir pour le Christ, bien que lui-même soit mort pour nous. Bienheureux ceux qui ont fait pour le Christ ce qui était tour eux une nécessité ! Mourir est une nécessité, mais mourir pour le Christ n’est point une nécessité. La mort viendra pour tous, mais non pour tous la mort pour le Christ. Ceux qui sont morts pour Jésus-Christ ont rendu en quelque sorte ce qu’il leur avait prêté. En mourant pour eux, le Seigneur leur faisait un prêt ; ils l’ont acquitté en mourant pour lui. Mais comment le pauvre, dans la disette, aurait-il pu rendre, si le Seigneur, qui est riche, ne lui eût prêté ? Le prêt qu’avait fait le Christ aux martyrs, il le leur a donné, afin qu’ils pussent rendre au Christ. Cette parole appartient donc aux martyrs : « Si le Seigneur n’eût été en nous, ils nous eussent dévorés tout vivants[51] ». Les persécuteurs, dit le Prophète, « nous eussent dévorés tout vivants ». Qu’est-ce à dire, « vivants ? » Sachant bien que ce serait un grand mal de renier le Christ, oui, un tel crime, nous l’aurions commis, vivants ou en pleine connaissance, et ainsi les persécuteurs « nous eussent dévorés vivants et non morts. Qu’est-ce à dire, vivants ? » En pleine connaissance, et non dans l’ignorance. Et par quelle force ont-ils pu ne point faire ce qu’ils étaient forcés de faire par les bourreaux ? Qu’ils le disent eux-mêmes, interrogez-les. Ils répondent : « Si le Seigneur n’eût été en nous ». C’est donc lui qui leur a donné ce qu’ils devaient lui rendre. Grâces lui en soient rendues. Il est riche. C’est encore de lui qu’il est dit : « Il s’est fait pauvre, afin de nous enrichir[52] ». Nous sommes donc enrichis de sa pauvreté, guéris par ses blessures, élevés par son humilité, vivifiés par sa mort.

2. Le martyr s’écriait : « Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens dont il m’a comblé[53] ? » Écoutez ce qui suit. Le voilà qui a regardé, qui a cherché ce qu’il rendrait au Seigneur. Et que dit-il ? « Je prendrai le calice du salut[54] ». Voilà ce que je rendrai au Seigneur : « Le calice du salut », calice du martyre, calice de la passion, calice du Christ. Tel est le calice du salut ; car le Christ est notre salut. Je prendrai donc son calice et je le lui rendrai. C’est de ce calice que le Christ, avant sa passion, disait à son Père : « Mon Père, que ce calice s’éloigne de moi, s’il est possible[55] ». Il venait pour souffrir, il venait pour mourir, la mort était en sa puissance, et, si je ne me trompe, écoutez-le lui-même « J’ai le pouvoir de donner ma vie, et le pouvoir de la reprendre ensuite ; nul ne me l’ôte, mais je la donne moi-même, et j’ai le pouvoir de la reprendre ». Entendez-vous son pouvoir ? « Nul ne me l’ôte[56] ». En vain les Juifs se glorifient. Sa mort est pour eux un crime, et non une puissance. Le Christ est mort, parce qu’il l’a voulu. Lui-même a dit dans un psaume : « Je me suis endormi, j’ai pris mon sommeil[57] ». Ils ont crié : « Crucifiez-le, crucifiez-le[58] », l’ont saisi, l’ont suspendu à la croix. Ils se flattent d’avoir prévalu contre lui : « J’ai dormi », dit-il, et ensuite : « J’ai pris mon sommeil » ; véritable sommeil de trois jours. Et ensuite ? « Et j’ai ressuscité, parce que le Seigneur m’a soutenu ». C’est dans la forme de l’esclave qu’il dit ici : « Le Seigneur m’a soutenu[59] » ; de même qu’il dit ailleurs : « Celui qui dort ne doit-il donc pas ressusciter ?[60] » Les Juifs se glorifient comme s’ils avaient vaincu. Mais : « Celui qui dort ne doit-il donc pas ressusciter ? » Ceux-ci, pour le mettre à mort, l’ont pendu à la croix, mais : « J’ai dormi », parce que j’ai donné ma vie quand j’ai voulu, et quanti j’ai voulu encore, je suis ressuscité.

3. Donc, ce calice qu’il voulait éloigner de lui, c’était pour le boire qu’il était venu. Pourquoi donc, Seigneur, disiez-vous : « Mon Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi ? » Pourquoi dire à vos disciples, quand il vous faut souffrir et mourir : « Mon âme est triste jusqu’à la mort[61] ? » Pourquoi avec ces paroles, ces autres paroles : « J’ai le pouvoir de rendre mon âme, et le pouvoir de la reprendre ». D’où vient que j’entends : « Mon âme est triste jusqu’à la mort ? » Nul ne la ravit. D’où vient qu’elle est triste ? Vous avez le pouvoir de rendre votre âme. Pourquoi dire : « Mon Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi ? » Répondant à cette question, il te dit : O homme, cette chair que j’ai prise est la tienne ; si donc j’ai emprunté ta chair, ne puis-je aussi emprunter ta parole ? Quand je dis : « J’ai le pouvoir de rendre mon âme, et aussi le pouvoir de la reprendre », je parle en Créateur ; et quand je dis : « Mon âme est triste jusqu’à la mort », je parle en créature, comme toi. Applaudis-moi en moi-même, et reconnais-toi en moi. En disant : « J’ai le pouvoir de donner ma vie », je suis ton soutien. En disant : « Mon âme est triste jusqu’à la mort », je suis ton image.

4. N’avez-vous donc point lu qu’il est mort ? L’avons-nous jamais nié ? Nier sa mort, ce serait nier sa résurrection. Il est mort par cela même qu’il a voulu être homme. Il est ressuscité par cela même qu’il a daigné se faire homme, parce que nous autres hommes, nous devons et mourir et ressusciter. Est-ce donc le Verbe qui est mort en lui ? Pouvait-il souffrir ce qui « au commencement était le « Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ? » Que peut souffrir un tel Verbe ? Et pourtant il fallait que le Verbe mourût pour nous ; lui qui ne pouvait mourir devait mourir néanmoins. « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était Dieu, et le Verbe était en Dieu[62] » ; où est le sang ? où est la mort ? La mort est-elle dans le Verbe ? Ce Verbe a-t-il du sang ? Mais si la mort n’est pas dans le Verbe, ni le sang dans le Verbe, où sera le prix de notre rançon ? Ce prix, n’est-ce point son sang ? Comment pourrait-il donner ce prix, s’il demeurait simplement le Verbe, si le Verbe ne prenait une chair, une chair vivant dans une âme humaine, afin que si le Verbe ne peut être mis à mort, cette chair seule qui prenait la vie en son âme fût immolée ? Car l’âme, à son tour, ne pouvait être mise à mort, elle qui, s’attachant à la divinité, devient un même esprit avec Dieu, elle dont le Seigneur a daigné se revêtir, se l’unissant bien plus que nous ne lui sommes unis par la foi dont il est écrit : « Quiconque s’unit au Seigneur est un même esprit avec lui[63] ». Et en effet, quand nous étions dans l’infidélité, nous étions indignes de Dieu, étrangers pour lui ; mais la foi nous a réunis à lui. Or, cette âme a été créée digne de s’attacher à Dieu, quand, nouvelle et inculte, elle a été unie à la personne divine. Mais, en vertu de cette union, il est arrivé que la chair à laquelle cette unité de deux esprits inégaux donnait une vie toute nouvelle, et d’un genre nouveau, a dû mourir dès que cette unification de deux esprits l’a délaissée, en se séparant d’elle pour un temps très-court. Dieu, qui est un esprit, et l’esprit humain qui est son image, sont en effet immortels.

5. Voici donc le langage que nous adresse Notre-Seigneur, en même temps notre Sauveur : O hommes ! j’ai fait l’homme droit, mais lui s’est perverti. Vous vous êtes éloignés de moi pour mourir en vous-mêmes. Pour moi, je viens chercher ce qui a péri. Vous éloigner de moi, dit-il, ce serait perdre la vie ; « et la vie, c’était la lumière des hommes[64] ». Voilà ce que vous avez abandonné, quand vous avez péri en Adam. « La vie était « la lumière des hommes mi. Quelle vie ? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était Dieu, et le Verbe était en Dieu[65] ». La vie existait, tandis que vous étiez couchés dans votre mort. Verbe, je n’avais pas de quoi mourir ; homme, tu n’avais pas de quoi vivre. (Puisque Notre-Seigneur Jésus-Christ l’a bien voulu, je lui emprunte son langage ; car s’il a pris le mien, à combien plus forte raison puis-je prendre le sien !) Notre-Seigneur Jésus-Christ nous dit en effet, quoique sans parler, mais parle langage des choses mêmes Je n’avais rien par où la mort pût venir, et toi, homme, rien par où tu pusses vivre. J’ai donc pris en toi de quoi mourir pour toi ; prends en moi, à ton tour, de quoi vivre avec moi. Faisons un échange ; je te donne, donne-moi. Je reçois de toi la mort, reçois de moi la vie. Sors de ton assoupissement, vois ce que je puis donner, ce que je puis recevoir. Au sommet de la gloire dans le ciel, j’ai reçu de toi l’humilité sur la terre. Quoique ton Seigneur, j’ai reçu de toi la forme de l’esclave ; je suis ta santé, et j’ai reçu de toi des blessures ; je suis ta vie, et j’ai reçu de toi la mort. Verbe, je suis devenu chair, afin de pouvoir mourir. En mon Père, je n’ai aucune chair ; j’ai pris dans ta nature, afin de te donner. (Car la Vierge Marie était de même nature que nous, c’est en elle que le Christ a pris une chair qui est la nôtre, ou la nature humaine.) J’ai donc pris en toi une chair, afin de mourir pour toi. Reçois de moi l’esprit qui vivifie, afin de vivre avec moi. Enfin, je suis mort en ce que je tiens de toi, vis en ce que tu as de moi.

6. Donc, mes frères, quand vous entendez : Il est né du Saint-Esprit et de la vierge Marie, il a souffert, a été conspué, a reçu des soufflets ; quand on vous dit : Voilà ce qu’a souffert le Christ, gardez-vous de croire que ce « Verbe qui était en Dieu au commencement », ait pu souffrir ainsi dans sa nature et dans sa substance. Mais, pouvons-nous dire que le Verbe de Dieu, le Dieu Fils unique du Père, n’a point souffert pour nous ? Il a souffert, mais dans son âme et dans sa chair passible ; il n’a pris la forme de l’esclave, qu’afin de pouvoir souffrir en son humanité. Car il avait une âme et une chair, puisqu’il venait délivrer l’homme tout entier, non plus en perdant la vie, mais en donnant sa vie. Prenons une comparaison qui vous fera mieux comprendre mes paroles. Ainsi, par exemple, quand le martyr saint Étienne, ou Phocas[66], ou tout autre, souffrit, mourut, fut enseveli, ce fut leur chair qui mourut seule, qui fut ensevelie, tandis que, pour l’âme, il n’y eut ni mort ni sépulture ; et cependant nous disons très bien : Étienne, ou Phocas, ou tout autre, est mort pour le nom du Christ ; de même, quand le Fils unique de Dieu souffrit, mourut, fut enseveli, ce fut à sa chair seule que l’on donna la mort et la sépulture, bien que l’âme, et à plus forte raison la Divinité, n’ait pu mourir. De là vient que nous disons, en toute sûreté, que le Fils unique de Dieu, ce Dieu engendré de Dieu, est mort pour nous, et a été enseveli. De là vient que Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est l’infaillible vérité, a pu dire très-justement et sans erreur. « Ainsi Dieu a tellement aimé le monde, qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait « la vie éternelle[67] ». Et l’Apôtre a dit aussi de Dieu le Père, qu’« Il n’a point épargné son Fils unique, mais l’a livré pour nous tous[68] ». Or, voulez-vous savoir ce qu’est le Christ ? Ne voyez point seulement cette chair qui a été couchée dans le sépulcre ; ne voyez point seulement l’âme dont il a dit. « Mon âme est triste jusqu’à la mort ». Ne voyez point seulement le Verbe, ce Verbe qui est Dieu, mais considérez que le Christ tout entier est Verbe, et âme, et chair.

7. Or, n’ôtez rien à l’âme du Christ. Les hérétiques apollinaristes ont dit que cette âme n’avait point de pensée, c’est-à-dire l’intelligence, que le Verbe lui tenait lieu d’intelligence et de pensée. Ainsi l’a dit Apollinaire. Mais, selon les Ariens, il n’eut aucune âme. Pour vous, croyez fermement que le Christ tout entier, c’est le Verbe, et une âme, et un corps. Et quand vous entendez cette parole : « Mon âme est triste jusqu’à la mort », comprenez que c’est une âme humaine, et non l’âme de la bête ; car une âme sans intelligence, est l’âme de la bête, et non l’âme de l’homme. Seul donc le Christ est le Verbe, et une âme, et une chair. Quand tu frappes un homme à coups de poings, que frappes-tu en lui ? son âme ou sa chair ? Avoue que c’est la chair. Et pourtant c’est l’âme qui crie : Pourquoi me frapper, pourquoi me blesser ? Or, si tu disais à l’âme : Oh ! qui t’a frappée ? je frappe la chair, et non toi : quiconque t’entendrait parler ainsi, ne se rirait-il pas de toi, ne te prendrait-il pas pour un idiot, un insensé ? De même donc, ceux qui ont fouetté la chair du Verbe de Dieu, qui l’ont souffleté, ne sauraient dire : C’est la chair que nous avons fouettée, ou souffletée, mais non le Verbe, non l’âme du Christ. Car c’est tout le Christ qu’ils ont fouetté et souffleté, le Christ qui est Verbe, et âme, et chair. Et quoiqu’ils n’aient pu mettre à mort sur la croix, ni son âme, ni sa divinité, qui est la véritable vie, dans leurs cœurs, néanmoins, dans leur volonté perverse, ils se sont fait une joie de mettre à mort le Christ tout entier. Persécuter un homme jusqu’à le tuer, c’est vouloir son extinction, comme on veut l’extinction d’une lampe que l’on brise à terre, afin qu’elle ne gêne plus le malfaiteur qui voit un obstacle dans sa lumière. C’est ce que l’on ne saurait faire complètement dans un homme, c’est-à-dire qu’on ne saurait l’éteindre complètement, puisqu’il est formé d’une substance mortelle, à la vérité, mais aussi d’une autre qui est immortelle. Rien, en effet, n’est mortel en lui que la chair. Or, le Christ, Fils unique de Dieu, pouvait d’autant moins mourir tout entier, quand les Juifs crurent le mettre à mort, qu’il est formé de trois substances, c’est-à-dire d’une qui est éternelle et divine, et de deux autres qui sont temporelles, ou humaines, mais dont l’une seulement, ou la chair, est mortelle. Quant à l’âme, et surtout à la Divinité, il était, sans aucun doute, immortel. De là vient que lui seul, par sa mort d’un moment, a pu nous racheter de notre mort éternelle, lui qui n’avait pas seulement une chair et une âme humaine, mais qui était Dieu, et âme, et chair, seul engendré de Dieu. Celui, en effet, « qui est descendu jusque dans les lieux inférieurs de la terre, est aussi celui qui est monté par-dessus tous les cieux[69] ». Ce que ne pourrait faire quiconque ne serait qu’un homme.

8. Tressaillons donc en toute sécurité, livrons-nous à l’allégresse, mes frères bien-aimés, puisqu’il nous a rachetés, par sa mort, Celui qui, tout mort qu’il était, a triomphé de ses ennemis. C’est dans les bras de la mort qu’il a tué la mort elle-même, et nous a délivrés éternellement de sa puissance ; « puis, s’élevant au ciel, il a emmené captive la captivité elle-même », et a répandu ses dons sur les hommes, en nous envoyant l’Esprit-Saint ; c’est lui qui, du sépulcre où il était couché, a pu introduire dans le ciel le larron devenu fidèle.

SIXIÈME SERMON. ENCORE SUR LE SACREMENT DE L’AUTEL AUX ENFANTS[70]. modifier

ANALYSE. —1. Le corps du Seigneur est sur l’autel, et nous sommes ce corps. —2. L’Eucharistie est un symbole d’unité. —3. Exposé de la liturgie eucharistique.

1. Ce que vous voyez, mes bien-aimés, sur la table du Seigneur, c’est du pain, c’est du vin ; mais qu’advienne la parole, et ce pain et ce vin sont le corps et le sang du Verbe. Car, ce même Seigneur, qui était « au commencement le Verbe, et le Verbe qui était en Dieu, et le Verbe qui était Dieu[71] », est devenu, comme vous le savez, « le Verbe fait chair, habitant parmi nous », par cette grande miséricorde qui l’a porté à ne point mépriser ce qu’il a créé à son image ; car le Verbe s’est revêtu de l’homme, c’est-à-dire d’une âme et d’une chair humaine, et il est devenu homme, tout en demeurant Dieu. Aussi, par cela même qu’il a souffert pour nous[72], il a recommandé à notre adoration, dans ce sacrement, son corps et son sang, et c’est ce qu’il nous a faits nous-mêmes, par sa grâce. Car nous sommes devenus son corps, et par sa miséricorde nous sommes ce que nous recevons[73]. Souvenez-vous que cette créature fut un jour dans les champs, comment elle sortit du sein de la terre, fut nourrie par la pluie, qui en fit un épi ; comment elle fut transportée dans la grange par le travail de l’homme, puis battue, vannée, remise au grenier, retirée, moulue, pétrie, cuite, et devint enfin du pain. Souvenez-vous aussi de vous-mêmes. Un jour vous n’étiez point, et vous avez été créés, puis apportés dans la grange du maître et triturés par le travail des bœufs, c’est-à-dire des prédicateurs de l’Évangile. Quand on vous maintenait catéchumènes, on vous conservait dans le grenier. Puis, vous avez inscrit vos noms pour être broyés par les jeûnes et les exorcismes. Puis, vous êtes arrivés au baptême, on vous a pétris, ramenés à l’unité ; au feu de l’Esprit-Saint vous avez dû cuire, pour devenir ainsi le pain du Seigneur.

2. Voilà ce que vous avez reçu. Et comme vous voyez l’unité dans ce qui a été fait pour vous, soyez un aussi vous-mêmes, en vous aimant les uns les autres, en vous attachant à la même foi, à la même espérance, à la même charité. En recevant ce sacrement, les hérétiques reçoivent un témoignage contre eux-mêmes, puisqu’ils cherchent la division, tandis que ce pain nous prêche l’unité. De même le vin était répandu en plusieurs raisins, et maintenant il est un. Il est un avec ses parfums dans le calice, mais seulement après la violence du pressoir. Et vous aussi, après ces jeûnes, après ces labeurs, après vous être humiliés et brisés par la douleur, vous êtes arrivés au nom du Christ, au calice du Seigneur, et voilà que c’est vous qui êtes sur cette table, vous qui êtes aussi dans le calice. Vous êtes cela conjointement avec nous ; car c’est ensemble que nous sommes cela[74], et nous le buvons ensemble, parce que nous vivons ensemble[75]. Vous entendrez ce que vous entendiez hier, mais aujourd’hui on vous expose, et ce que vous avez entendu, et ce que vous avez répondu, et si vous avez gardé le silence quand on répondait, vous avez du moins appris aujourd’hui ce qu’il fallait répondre.

3. Après la salutation que vous connaissez, ou : « Le Seigneur soit avec vous », vous avez entendu : « En haut les cœurs ». Or, toute la vie du vrai chrétien, c’est le cœur en haut, non plus la vie de ces chrétiens de nom seulement, mais des chrétiens en réalité et en vérité : toute leur vie, c’est le cœur en haut. Qu’est-ce à dire le cœur en haut ? Espérer en Dieu et non en toi-même. Car tu es en bas, mais Dieu est en haut. Mettre en toi ton espérance, c’est avoir le cœur en bas, non plus en haut. Donc à cette parole du prêtre. « Les cœurs en haut ! » répondez : « Nous les tenons vers le Seigneur ». Travaillez à justifier cette réponse. Puisque telle est votre réponse dans l’action divine, qu’il en soit selon votre parole. Que la langue ne dise pas oui, et la conscience non ; et comme c’est un don que Dieu vous fait, d’avoir le cœur en haut, et que cela ne vient point de vos forces, de là vient qu’ensuite, quand vous avez affirmé que vos cœurs sont en haut, le prêtre continue : « Rendons grâces au Seigneur notre Dieu ». Pourquoi lui rendre grâces ? Parce que notre cœur est en haut, et qu’il serait à terre si le Seigneur ne l’eût soulevé. Viennent ensuite les effets produits par les saintes prières que vous allez entendre, quand, d’un mot, sont produits le corps et le sang du Christ. Ôtez le Verbe en effet, c’est du pain, c’est du vin ; mais avec la parole il en est tout autrement. Qu’y a-t-il alors ? Le corps du Christ, le sang du Christ. Ôtez la parole, c’est du pain, c’est du vin. Joignez-y la parole, et voilà un sacrement. À cela vous répondez : Amen ; dire amen, c’est souscrire ; car Amen signifie, en latin, cela est vrai. On dit ensuite l’oraison dominicale que vous avez déjà entendue et récitée. Mais pourquoi la réciter avant de recevoir le corps et le sang du Christ ? C’est parce que si, d’après l’humaine fragilité, il nous est venu en l’esprit une pensée honteuse, si notre langue a échappé telle parole inopportune, si notre œil s’est arrêté sur une image lubrique ; si nous avons prêté l’oreille au langage de la flatterie, ou enfin si les tentations de ce monde et l’humaine fragilité nous ont fait contracter quelques fautes semblables, tout cela est effacé par l’oraison dominicale, où nous disons : « Pardonnez-nous nos « offenses[76] », c’est afin que nous puissions approcher en toute sûreté, et que nous ne mangions pas, nous ne buvions pas, pour notre jugement, ce qui nous est présenté. On dit ensuite : « Que la paix soit avec vous ». C’est un grand symbole que le baiser de paix. Donne ce baiser en ami. Garde-toi d’être Judas. Le traître Judas baisait le Christ, de la bouche, et lui dressait des embûches dans son cœur. Mais peut-être quelqu’un a-t-il de la haine contre toi, et tu ne saurais le convaincre, et tu es forcé de le tolérer. Garde-toi de lui rendre dans ton cœur le mal pour le mal. Il te hait, aime-le, et tu le baiseras en sûreté. C’est là peu de paroles, mais de grandes paroles. Loin d’en mépriser la brièveté, sachez en apprécier la valeur. D’ailleurs, il ne fallait point trop vous charger, afin que vous puissiez retenir ce que l’on vous dit.

SEPTIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DE PÂQUES[77]. modifier

ANALYSE. —1. Qui fait la Pâque, et comment la faire. —2. Alléluia pour les riches, les pauvres, les affligés. -3. Dieu agit en Père ; le Diable en marchand.

1. Chacun sait que nous célébrons les jours de la Pâque, et qu’en ces jours nous chantons Alléluia. C’est pourquoi, mes frères, il faut apporter nos soins à bien mettre dans notre esprit ce que nous célébrons extérieurement. Nous célébrons en effet la Pâque, disons-nous ; or, Pâque est un mot hébreu, que l’on traduit en latin par transitus, passage ; en grec c’est πάσκειν, souffrir, en latin pascha, pascere, donner à manger, ainsi on dit : J’hébergerai mes amis. Or, qu’est-ce que célébrer la Pâque, sinon passer de la mort de ses propres péchés à la vie des justes ? Ainsi un Apôtre a dit : « Nous savons que nous avons passé de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères[78] ». Qu’est-ce que faire la Pâque, sinon croire en Jésus-Christ qui a souffert sur la terre, afin de régner avec lui dans les cieux ? Qu’est-ce que faire la Pâque, sinon nourrir le Christ dans les pauvres ? Car c’est lui qui a dit, à propos des pauvres : « Quiconque aura fait quelque bien au moindre des miens, l’aura fait à moi-même[79] ». Le Christ est assis dans les cieux, mais il est indigent sur la terre. Là-haut, il intercède pour nous auprès de son Père, et ici-bas il demande un morceau de pain. Donc, mes seigneurs, mes frères, si nous voulons faire saintement la Pâque, passons, souffrons, faisons l’aumône. Passons du péché à la justice, souffrons pour le Christ, faisons l’aumône au Christ dans les pauvres. Asseyons-nous à d’honnêtes festins, afin de jouir du festin céleste, dans le royaume de Dieu, avec Abraham. Chantons donc au Seigneur, Alléluia, qui signifie en latin : louange à celui qui est. Bénissons-le, et dans l’adversité, et dans la prospérité. Point d’orgueil dans la prospérité des richesses, point d’abattement sous le fléau des revers. Chantons l’Alléluia avec Job qui disait : « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté ; comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait, que le nom du Seigneur soit béni[80] ». Bénissons donc le Seigneur en tout temps ; car nous chantons un perpétuel Alléluia, quand, au bruit de notre langue, nous joignons le mouvement de nos membres pour opérer la justice, et quand le chant qui est dans notre bouche se reflète dans les œuvres de notre vie.

2. Écoutez comment il est enjoint aux pauvres et aux riches de chanter l’Alléluia. « Ordonnez », dit l’Apôtre, « aux riches de ce monde de n’être point orgueilleux, de n’espérer point dans des richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant, qui nous donne avec abondance ce qui est nécessaire à la vie, d’être riches en bonnes œuvres, de donner de bon cœur, de faire part de leurs biens, de se faire un trésor pour l’avenir, afin d’embrasser la véritable vie[81] ». Que les pauvres doivent chanter, c’est ce qu’enseigne Tobie : « Mon fils n, dit-il, « sois sans crainte au sujet de la vie pauvre que nous menons ; mais tu auras de grandes richesses si tu crains Dieu et si tu fais le bien en sa présence[82] ». Membres bien-aimés du corps de Jésus-Christ, attendons notre Chef qui doit venir du ciel, et en nous joignant à lui nous demeurerons stables, en sorte que nous régnerons avec lui dans le ciel après avoir célébré sa passion sur la terre. Supportons ses châtiments, afin de nous redresser, parce que c’est en fils que nous traite le Seigneur. « Quel enfant », dit l’Apôtre, « n’est point châtié de son père ?[83] » Vous soustraire aux châtiments du Seigneur, ce serait agir en bâtards et non en fils légitimes. Supportons donc la rigueur du père, pour ne pas encourir la sévérité du juge.

3. Dieu et le diable, c’est le père et le marchand[84]. Dieu comme père nous châtie, nous corrige, mais nous associe à lui ; le diable nous flatte, nous séduit, mais pour nous vendre. Notre père porte un fouet, le marchand porte un sac. Si tu te réfugies sous les ailes de celui qui châtie, tu échapperas aux ignominies du trafiquant. Vois lequel te mettra en repos, ou dans le royaume des cieux, ou dans le feu des enfers. Si tu aspires au royaume de Dieu, tu pourras te réjouir dans la liberté ; mais si tu veux le sac, tu sentiras les chaînes de la servitude ; on te liera les pieds et les mains, et l’on dira de toi : « Saisissez-le, et jetez-le dans les ténèbres a extérieures, c’est là qu’il y aura des pleurs a et des grincements de dents[85] ». Et l’on nous crie bien haut : « Que celui qui a des oreilles entende ce que l’Esprit dit aux églises[86] ».

HUITIÈME SERMON. POUR L’OCTAVE DE PAQUES, AUX ENFANTS[87]. modifier

ANALYSE. – Vertu et effets du baptême, espérance qu’il – renferme. —2. Le baptême ne sert de rien en dehors de l’Église. —3. Contre les schismatiques se glorifiant du baptême. —4. Exhortation aux nouveaux baptisés.

1. C’est à vous que je m’adresse, enfants nouvellement nés, notre postérité en Jésus-Christ, jeune famille de l’Église, grâce du père, fécondité de la mère, germe sacré, jeune essaim, éclat de notre honneur, fruit de nos travaux, ma joie et ma couronne, ô vous tous qui demeurez fermes dans le Seigneur, c’est à vous que j’adresse ces paroles de l’Apôtre : « La nuit s’avance et le jour s’approche. Abjurez donc les œuvres de ténèbres, et revêtez-vous des armes de la lumière. Marchez dans la décence, comme durant le jour, et non dans la débauche et dans les festins, dans les impudicités et dans les dissolutions, dans les querelles et dans les jalousies, mais revêtez-vous de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et ne cherchez point à contenter les désirs de la chair[88] » ; afin de revêtir ainsi dans la vie celui que vous avez revêtu dans le sacrement. « Vous tous, en effet, qui avez été baptisés en Jésus-Christ, vous avez revêtu le Christ. Il n’y a plus ni Juif, ni Gentil, plus a d’esclave ni d’homme libre, plus d’homme a ni de femme ; car vous n’êtes tous qu’un en Jésus-Christ[89] ». Telle est, en effet, la vertu du sacrement. C’est le sacrement de cette vie nouvelle, qui commence ici-bas par la rémission des péchés, qui sera complète à la résurrection des morts : et vous êtes ensevelis avec lui par le baptême pour la mort « du péché, afin que, comme le Christ est a ressuscité d’entre les morts, vous marchiez aussi dans une vie nouvelle[90] ». Vous marchez maintenant par la foi, tant que dans ce corps mortel vous êtes loin du Seigneur ; mais il est pour vous une voie certaine, ce Jésus-Christ vers qui vous tendez, et qui a daigné se faire homme pour vous. Car il réserve à ceux qui le craignent une douceur ineffable qu’il offrira et qu’il perfectionnera pour ceux qui espèrent en lui, quand nous aurons en réalité ce que nous n’avons maintenant qu’en espérance. « Car nous sommes les enfants de Dieu, mais ce que nous serons un jour ne paraît point encore. Nous savons que, quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est[91] ». Voilà ce que lui-même nous promet encore dans l’Évangile : « Celui qui m’aime », dit-il, « garde mes commandements, et celui qui m’aime sera aimé de mon Père, et moi je l’aimerai, et me manifesterai à lui[92] ». Assurément ceux qui s’entretenaient avec lui le voyaient, mais dans la forme de l’esclave, dans laquelle son Père est plus grand que lui, et non dans cette forme divine, dans laquelle il est égal à son Père. Il montrait celle-là à ceux qui le craignaient, réservant celle-ci à ceux qui espéraient en lui. Il apparaissait en celle-là aux pèlerins de cette vie, appelant à celle-ci ceux qui devaient habiter avec lui. Il mettait la première sous les pieds de ceux qui marchent ici-bas, promettant la seconde à ceux qui arriveront là-haut.

2. « Ayant donc ces promesses, mes bien-aimés, purifions-nous de toute souillure de la chair et de l’esprit, achevant l’œuvre de notre sanctification, dans la crainte de Dieu[93] ». « Je vous conjure donc de marcher dignement dans l’état auquel vous avez été et appelés, avec toute l’humilité de l’esprit, avec douceur, vous supportant les uns les autres, avec charité, travaillant à conserver l’unité de l’esprit dans le lien de la paix[94] ». Tel est, en effet, l’état d’où nous avons reçu un semblable gage. Mais il en est qui ont revêtu Jésus-Christ par le sacrement seulement, et qui en sont dépouillés quant à leur foi ou bien à leurs mœurs. On trouve, en effet, chez beaucoup d’hérétiques le sacrement de baptême, et non le fruit même du salut, ni le lien de la paix : « Ils ont », dit l’Apôtre, « l’apparence de la piété, mais non les effets[95] » ; ou bien marqués du signe du salut par les renégats, ou renégats eux-mêmes, et portant le signe du saint roi dans une chair abominable, ils nous disent. Si nous ne sommes pas des fidèles, pourquoi ne nous baptisez-vous point ? Mais si nous sommes des fidèles, pourquoi chercher à nous ramener ? comme s’ils n’avaient point lu que Simon le Magicien avait reçu le baptême, lui aussi, quand Pierre néanmoins lui dit : « Tu n’as point de part, ni rien à prétendre dans cette foi[96] ». D’où il est possible qu’un homme ait reçu le baptême du Christ, sans croire au Christ ou sans l’aimer, qu’il ait reçu le sacrement de la sainteté, sans avoir part à l’héritage des saints. Et, quant au signe sacramentel seulement, il ne sert de rien de recevoir le baptême du Christ, là où n’est pas l’unité du Christ. Car si un homme baptisé dans l’Église, vient à déserter l’Église, il n’aura point la sainteté de la vie, bien qu’il ait le signe sacramentel. On montre, en effet, que sa désertion ne le lui a point fait perdre, dès lors qu’on ne le lui imprime point de nouveau s’il vient à retourner. Semblable au déserteur de la milice, il n’est point dans la société légale, bien qu’il ait le signe du prince. Donner lui-même ce signe à un autre, c’est l’associer à sa peine, plutôt que l’associer à la vie. Mais que l’un retourne dans les rangs de la milice légitime, et que l’autre y vienne, le courroux du prince s’adoucit, on pardonne à l’un sa désertion, on fait bon accueil à l’autre parce qu’il arrive. En l’un et en l’autre la faute est redressée, à l’un et à l’autre on remet la peine, on donne la paix à tous deux, mais ni chez l’un ni chez l’autre on ne renouvelle point un signe déjà donné.

3. Qu’ils ne viennent donc plus nous dire Que nous donnerez-vous si déjà nous avons le baptême ? Ils savent si peu ce qu’ils disent, qu’ils ne veulent pas même lire ce que nous assure l’Écriture sainte, que dans l’Église même, c’est-à-dire dans la communion des membres du Christ, beaucoup de fidèles baptisés à Samarie n’avaient pas reçu le Saint-Esprit, mais étaient demeurés avec le baptême seulement, jusqu’à ce que les Apôtres fussent venus de Jérusalem les visiter[97] ; tandis qu’au contraire, Corneille, et ceux qui étaient avec lui, avaient mérité de recevoir le Saint-Esprit avant d’avoir reçu le sacrement de baptême [98]. Dieu nous enseignait ainsi qu’il y a une différence entre le signe du salut et le salut lui-même, entre l’apparence de la piété et la réalité de cette même piété. Que nous donnerez-vous, disent-ils, puisque nous avons déjà le baptême ? O vanité sacrilège, de prendre pour rien cette Église du Christ, qu’ils n’ont point, jusqu’à regarder comme rien d’avoir part à sa communion ! Que le prophète Amos leur dise : « Malheur à ceux qui n’estiment point Sion[99] ! » Que recevrai-je, nous dit-on, puisque j’ai déjà le baptême ? Tu recevras l’Église que tu n’as pas, tu recevras l’unité que tu n’as pas, tu recevras la paix que tu n’as point. Et si tout cela est peu à tes yeux, eh bien ! déserteur, combats contre ton empereur qui te dit : « Celui-là disperse, qui n’amasse point avec moi[100] » ; combats contre son apôtre, et même combats contre celui qui disait par sa bouche : « Vous supportant les uns les autres dans la charité, travaillez à conserver le même esprit dans le lien de la paix[101] ». Compte bien ce qu’il dit : le support mutuel, la charité, l’unité, l’esprit, la paix. Cet Esprit, qu’il énumère ici, et que tu n’as point, est celui qui fait toutes choses. Qui as-tu supporté, toi qui as déserté l’Église ? Qui as-tu aimé, toi qui t’es séparé des membres du Christ ? Quelle unité peux-tu trouver dans cette scission sacrilège ? Quelle paix dans une rupture criminelle ? Loin de nous de regarder ces biens comme rien, c’est toi qui n’es rien sans tous ces biens. En refusant de les recevoir dans l’Église, tu peux avoir le baptême, sans doute ; mais tout ce que tu as sans ces biens ne fera qu’aggraver ton supplice. Car le baptême du Christ, qui serait avec tous ces avantages un moyen de salut, ne sera, sans eux, que le témoignage de ton iniquité.

4. Pour vous, saints enfants, membres de l’Église catholique, ce n’est point un autre baptême que vous avez reçu, mais ce sont d’autres biens. Car vous l’avez reçu, non plus pour la mort, mais pour la vie ; non pour votre perte, mais pour votre salut ; non pour votre condamnation, mais pour votre honneur. Car, avec ce baptême, vous avez reçu l’unité de l’esprit dans le lien de la paix, si toutefois, comme je l’espère, comme je le désire, comme je vous engage et vous supplie de faire, vous gardez intégralement ce que vous avez reçu, et même si, par vos progrès, vous arrivez à de plus hautes faveurs. C’est aujourd’hui l’octave de votre naissance. Aujourd’hui se complète en vous le signe de la foi, qui s’imprimait, chez vos ancêtres, par la circoncision de la chair, le huitième jour après la naissance. Car elle figurait le dépouillement de ce que nous avons de mortel dans ce membre humain, source de vie pour l’homme qui doit mourir. De là vient que le Seigneur lui-même, se dépouillant par la résurrection de ce que notre chair a de mortel, a soulevé du tombeau, non pas un corps étranger, mais son corps qui ne doit plus mourir, marquant ainsi du sceau de la résurrection ce jour du Seigneur, qui est le troisième, après sa passion, le huitième dans la semaine, ou le premier après le sabbat. Donc, et vous aussi, qui avez reçu le gage de l’Esprit-Saint, non pas encore en réalité, mais par une ferme espérance, puisque vous en avez reçu le sacrement, « si vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses du ciel, où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu ; n’ayez de goût que pour les a choses d’en haut, et non pour celles d’ici-bas. Car vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ. Quand paraîtra le Christ qui est votre vie, vous paraîtrez avec lui dans la gloire[102] ».

NEUVIÈME SERMON. SUR LE PSAUME 117, v.1 : LA CONFESSION[103] : modifier

ANALYSE. —1. Que signifie confesser à Dieu. —2. Comment et pourquoi doit-on se confesser à la bonté divine. —3. Combien différent la confession faite à un homme, à un juge, et la confession faite à Dieu. —4. Exhortation à confesser nos péchés à Dieu.

1. « Confessez au Seigneur, parce qu’il est bon, parce que sa miséricorde est éternelle ». L’exhortation que nous fait par la voix du Psalmiste cet Esprit-Saint, à qui nous répondons d’une voix unanime, et dans l’unanimité du cœur : Alléluia, ce que l’on traduit en latin par Laudate Dominum : louez le Seigneur ; cette exhortation, le ; même Esprit-Saint vous la fait aussi par notre voix. « Confessez au Seigneur[104] », vous dit-il, « parce qu’il est bon, parce que sa miséricorde est dans les siècles », Soit que par vos chants vous releviez ses dons, soit que vous énumériez, en gémissant, vos péchés : « Confessez au Seigneur, parce qu’il est bon, parce que sa miséricorde est éternelle ». Car, ce n’est point seulement l’énumération, mais encore la louange de Dieu que l’on nomme confession ; car si nous faisons l’une, ce n’est point sans faire l’autre aussi. D’une part, en effet, nous accusons notre iniquité avec l’espérance de ; sa miséricorde, et, d’autre part, nous chantons sa miséricorde au souvenir de nos iniquités. Confessons donc au Seigneur, parce qu’il est bon, parce que sa miséricorde est éternelle. Il est des créatures qui paraissent mauvaises à quelques-uns, parce qu’elles offusquent les yeux de l’ignorance ; mais c’est à tort, car Dieu a fait bon tout ce qu’il a fait, « parce qu’il est bon ». Pour plusieurs encore, Dieu paraît injuste, parce que la plupart de ses fidèles passent, dans cette vie du temps, par les difficultés et les angoisses. Mais croire cela, c’est se tromper. « Car Dieu châtie[105] », non point celui qu’il rejette, « mais celui qu’il reçoit au nombre « de ses enfants, parce que sa miséricorde est pour les siècles ».

2. « Confessons donc au Seigneur, parce qu’il est bon, et que sa miséricorde est dans les siècles ». Disons au Seigneur notre Dieu : « Vos œuvres sont admirables, car vous avez fait tout avec sagesse[106]. Vos jugements sont droits[107] ; c’est à cause de l’iniquité que vous avez châtié l’homme. J’ai péché avant d’être humilié ». Parlons ainsi dans notre confession, parce que, si le supplice de notre mortalité nous cause des douleurs, Dieu fait que ce supplice soit bon, « parce qu’il est bon lui-même[108] ». Et si les douleurs et les travaux de cette vie nous redressent, et il ne sera point toujours indigné « contre nous, sa colère ne sera point éternelle, parce que sa miséricorde est dans les siècles[109] ». Qu’y a-t-il d’aussi bon que notre Dieu ? Les hommes blasphèment ; loin de s’humilier de leurs crimes, ils s’en glorifient, et « Dieu fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et répand sa rosée sur les justes et sur les injustes[110] ». Qui est miséricordieux comme notre Dieu ? Les hommes persévèrent dans leurs crimes, dans leurs injustices, et il ne cesse de les appeler à la conversion. Quelle bonté peut égaler celle de notre bien, qui nous donne de si grandes consolations dans nos douleurs ? Quelle miséricorde est aussi grande que celle de notre Dieu, dont nous changeons la sentence à venir en nous changeant nous-mêmes ? Confessons au Seigneur qu’il est bon, que sa miséricorde est éternelle. Toute louange n’est point une confession, mais la louange de Dieu Notre-Seigneur. S’il est bien vrai de dire : « Combien le Dieu d’Israël est bon à ceux qui ont le cœur droit », il paraît mauvais à l’homme au cœur pervers. Or, quel homme, s’il n’arrive de la perversité à la doctrine, de manière à louer en toute sincérité ce qu’il blâmait auparavant, à admirer ce qu’il méprisait, confessera au Seigneur que, depuis que lui-même est devenu droit, il trouve bon ce même Seigneur, qu’il estimait mauvais quand lui-même était pervers ? Et comme il était pervers par sa propre malice, et qu’il est redressé par la grâce de Dieu, il doit confesser en même temps « que sa miséricorde est dans les siècles[111] ». Nous sommes mauvais, et Dieu est bon ; c’est par lui que nous sommes bons, par nous que nous sommes mauvais. Il est bon pour nous quand nous sommes bons, et bon encore quand nous sommes mauvais. C’est nous qui sommes cruels contre nous-mêmes, lui qui est miséricordieux envers nous. Il nous appelle pour nous convertir ; il attend que nous nous convertissions ; il nous pardonne si nous nous convertissons, et nous couronne si nous ne le quittons point.

3. Confessons donc au Seigneur « qu’il est bon, que sa miséricorde est pour les siècles ». Toujours la confession des péchés a paru redoutable aux hommes, mais devant un homme qui est juge. Il n’arrive pas souvent que les fouets, la verge, les crocs et même le feu arrachent un aveu de la bouche ; et quelquefois les membres sont brisés par les tortures, le corps est disloqué avant que la douleur ait déterminé l’âme à faire l’aveu d’un crime. Le bourreau insiste alors, on multiplie tous les genres de tourments ; mais c’est en vain que l’on châtie les entrailles en les déchirant, quand la négation ferme la conscience. Pourquoi donc, au milieu de ces tortures, l’homme a-t-il craint de faire un aveu, sinon parce que l’on châtie d’ordinaire quiconque avoue sa faute ? Se confesser devant un homme, c’est encourir le châtiment. Se confesser devant Dieu, c’est obtenir sa délivrance. Et là, rien d’étonnant. L’homme force l’homme à confesser ce que lui-même ignore ; mais Dieu, qui nous invite à la confession, sait bien ce que nous refusons de confesser, et ne l’apprend point par notre aveu. À combien plus forte raison nous délivrera-t-il de la mort éternelle, après notre confession, lui qui épargnait la mort du temps à nos iniquités, qu’il connaissait avant notre aveu.

4. Mais, diras-tu peut-être, pourquoi Dieu exige-t-il de moi l’aveu de ce qu’il connaît déjà ? Car l’homme n’interroge un autre homme que pour connaître ce qu’il ne connaît pas. Quel est, crois-tu, le dessein de Dieu, sinon de te faire châtier ta faute par un aveu, afin de t’en délivrer lui-même par le pardon ? Comment vouloir, en effet, qu’il te pardonne ce que tu refuses de reconnaître ? Écoute, en effet, le psaume, et, avec un peu d’attention, reconnais ta parole où elle se trouve. « J’ai connu mon péché », dit un pénitent, « et je n’ai point cherché à cacher « mon crime. J’ai dit : Je confesserai contre « moi mes prévarications au Seigneur, et vous m’avez remis  l’impiété de mon cœur[112] ». Écoute un autre psaume : « Parce que moi-même je reconnais mon iniquité, et mon péché est toujours devant mes yeux ». Dès lors, ce pénitent pouvait, sans impudence, dire à Dieu : « Détournez votre visage de mes iniquités[113] ». Le Seigneur daigne, en effet, détourner sa face des péchés d’un homme, quand cet homme ne cherche point à détourner les yeux de ses propres fautes, de manière à dire à Dieu : « Mon péché est toujours devant ma face[114] ». Et dès lors, dire à Dieu : « Détournez votre face de mes péchés », c’est lui demander qu’il les pardonne, et non qu’il les ignore. Si donc, ô homme, tu crains d’avouer tes fautes devant un homme qui te jugera, soit parce qu’il est inique, soit parce qu’il doit agir selon la sévérité de la loi, confesse-les en toute sincérité au Seigneur, « parce qu’il est bon, parce que sa miséricorde est pour le siècle ».

DIXIÈME SERMON. SUR LE v. 1 DU PSAUME CXLIX. « CHANTEZ AU SEIGNEUR UN NOUVEAU CANTIQUE[115] ». modifier

ANALYSE. —1. Il y a deux cantiques : l’ancien et le nouveau. —2. Quelle est l’église des saints sur la terre. —3. Quelle est la vraie Sion, quelle en est la condition. —4. C’est dans le Christ que nous croyons et que nous espérons la félicité.

1. Voici les jours où l’on chante Alléluia. Apportez, mes frères, toute votre attention à recueillir ce qu’il plaira au Seigneur de me suggérer pour notre édification, et nourrir cette charité par laquelle il nous est bon de nous attacher à Dieu. Apportez votre attention, chantres pieux, enfants de la louange et de la gloire, du Dieu véritable et incorruptible ; car tel est l’Alléluia[116]. Louez Dieu, non-seulement de la voix, mais aussi de l’intelligence, et encore par les bonnes œuvres, et selon l’exhortation de notre psaume, chantons au Seigneur un cantique nouveau[117]. Car c’est ainsi qu’il commence : « Chantez au Seigneur un nouveau cantique ». Au vieil homme, le vieux cantique ; pour l’homme nouveau, un cantique nouveau. Le vieux cantique, c’est l’Ancien Testament, comme le Nouveau Testament est le nouveau cantique. À l’Ancien Testament, les promesses de la terre, au Nouveau Testament, les promesses du ciel. Aimer les choses de la terre, y trouver ses délices, c’est chanter le cantique nouveau ; mais pour chanter le cantique nouveau, il faut aimer les choses éternelles. Il n’y a que l’amour qui soit nouveau, parce qu’il ne vieillit point et qu’il renouvelle l’âme. Aussi, mes frères, vous recommandons-nous d’aimer Dieu, ou plutôt c’est lui-même qui nous le recommande. Car c’est notre avantage que nous l’aimions, et non le sien ; ne pas l’aimer est un malheur pour nous, et non pour lui. Dieu n’en sera pas moins Dieu, quand l’homme n’aurait aucun amour pour lui. De Dieu nous vient l’accroissement, lui ne nous doit pas sa grandeur ; et néanmoins il nous a aimés le premier, au point d’envoyer à la mort son Fils unique pour nous. Ainsi Celui qui nous a faits, s’est fait l’un de nous. Comment nous a-t-il faits ? « Tout a été fait par lui, et rien de ce qui est fait ne l’a été sans lui[118] ». Comment s’est-il fait l’un de nous ? « Et le Verbe s’est fait chair et a habité parmi nous[119] ».

2. Donc, mes frères, si tout d’abord nous étions lents à l’aimer, empressons-nous du moins de lui rendre son amour. Il nous a aimés dans nos souillures, puisqu’il nous a aimés dans nos péchés. « Le Christ, en effet », comme le dit l’Apôtre, « est mort pour les impies[120] ». Or, quand il a donné sa mort pour les impies, que peut-il réserver aux justes, sinon sa vie ? Voyez enfin où et par qui ce nouveau cantique est chanté au Seigneur. Quand, en effet, le Prophète nous dit : « Chantez au Seigneur un cantique nouveau », il ajoute : « Louange à lui dans l’assemblée des saints[121] ». Or, l’Église des saints peut-elle exister sur la terre ? Car le Prophète a dit que la terre est souillée de sang, qu’elle est couverte d’adultères et d’homicides[122]. Comment peut-on comprendre qu’il puisse y avoir sur la terre une assemblée des saints ? L’Apôtre nous l’enseigne quand il nous dit que nous marchons sur la terre, mais que notre conversation est dans le ciel[123]. Ainsi se fait-il que placé sur la terre, les saints forment l’Église du ciel. « Qu’Israël », dit le Prophète, « se réjouisse dans celui qui l’a fait[124] ». Qu’Israël donc, ou les justes et les saints, tressaillent dans le Seigneur, et que les coupables tressaillent dans les biens de cette vie. Le monde finissant, la joie des injustes finira aussi, et comme Dieu demeure, la joie des justes demeurera aussi. Si donc nous appartenons à Israël, si nous voulons être Israël, ne mettons point notre joie dans ce qui a été fait, mais bien dans celui qui a tout fait. Que notre Dieu soit notre espérance. Celui qui a tout fait est meilleur que tout. Qu’est-ce qu’Israël ? Celui qui voit Dieu[125]. Comment sommes-nous Israël, si nous ne le voyons pas encore ? Il y a sans doute une vision pour cette vie, et il y aura une autre vision pour l’autre vie. Ici-bas nous voyons par la foi, mais dans la vie future nous verrons en réalité. Croire, pour nous, c’est voir ; aimer, c’est voir. Que voyons-nous ? Dieu. Dieu lui-même, où est-il ? Interroge l’apôtre saint Jean. « Dieu est charité[126] », nous dit-il. Quiconque a la charité, pouvons-nous l’envoyer bien loin pour voir Dieu ? Qu’il rentre dans sa conscience, et là il trouvera Dieu. Mais si la charité n’est point en lui, Dieu n’y est pas non plus. Quiconque veut voir Dieu assis dans le ciel, doit avoir la charité, et Dieu sera en lui.

3. Mais « que les fils de Sion, à leur tour, tressaillent dans leur roi[127] ». Il est bon de connaître quels sont ces fils. Sion signifie lieu d’observation ; or, un lieu d’observation est un lieu élevé et dégagé, d’où l’on peut voir au loin ce qui arrive. Si donc, par la vertu de la foi, nous dégageons notre vie de la terre, pour l’élever bien au-dessus des vices des hommes, l’on pourra en toute vérité nous appeler Fils de Sion. Quant au roi de Sion, c’est celui-là sans doute qui s’écrie : « Pour moi, j’ai été établi par lui roi dans Sion sur sa montagne sainte[128] ». Or Sion, qui est aussi Jérusalem, c’est la véritable Sion, la véritable Jérusalem, non celle que la guerre a fait tomber, et qui est pour nous une figure, mais la Jérusalem du ciel, « cette Jérusalem qui est notre mère[129] » ; elle qui nous a engendrés, elle qui nous a nourris, elle qui est pour nous en partie étrangère en cette vie, mais qui pour la plus grande partie demeure déjà dans le ciel. Dans cette partie qui demeure dans le ciel, elle est la félicité des anges, et en cette partie, qui achève son pèlerinage en ce monde, elle est l’espoir des justes. De l’une, il est dit : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux » ; de l’autre, il est dit encore : « Et paix sur la terre aux hommes de « bonne volonté[130] ». Que ceux-là donc qui gémissent en cette vie, qui soupirent après la patrie, s’élancent, non des pieds du corps, mais des affections du cœur. Au lieu de chercher des navires, qu’ils prennent les ailes de la charité. Quelles sont ces deux ailes de la charité ? L’amour de Dieu et l’amour du prochain. Car nous sommes en exil, dit l’Apôtre « Tant que nous sommes dans ce corps, nous sommes exilés loin du Seigneur[131] ». Mais il nous est venu de la patrie des lettres qui nous annoncent notre retour. Ce sont ces lettres qu’on nous lit, quand l’on récite devant nous les saintes Écritures, Bienheureux ceux qui sont dans cette patrie ! Nul souci ne les inquiète, nul péché, soit péché propre, soit péché d’autrui, ne les afflige ; toute leur occupation est de louer Dieu. Ils ne labourent point, ils ne sèment point. Ce sont là des œuvres nécessaires, et il n’y a là-haut nulle nécessité. Ils ne volent point et ne sont point volés. Ce sont là des œuvres d’iniquité, et il n’y a là-haut nulle iniquité. Ils ne doivent ni nourrir celui qui a faim, ni vêtir, celui qui est nu, ni recevoir l’étranger, ni ensevelir les morts. Ce sont là des œuvres de miséricorde, et il n’y a là nulle misère que l’on puisse prendre en pitié.

4. O vrai bonheur ! croyons-nous que nous puissions en jouir ? Ah ! soupirons, et en soupirant, gémissons d’être ce que nous sommes et d’être où nous sommes. Où sommes-nous ? Dans un monde frivole et qui passera. Qui sommes-nous ? Des mortels, jetés à terre, dans l’abjection, et, comme l’a dit un saint : « de la terre et de la poussière[132] ». Mais il est tout-puissant, celui qui nous a promis l’immortalité, l’éternité. À nous considérer, qui sommes-nous ? Mais à considérer Dieu, c’est le Tout-Puissant. De l’homme ne pourra-t-il faire un ange, celui qui, de rien, a fait un homme ? Est-il vrai que Dieu puisse dédaigner l’homme, quand il envoie son Fils unique mourir pour lui ? Considérons les marques de son amour, de ses promesses, qui nous ont valu des arrhes si considérables. Nous avons pour nous la mort du Christ, le sang du Christ. Que l’humaine fragilité se redresse dès lors, et que, dans son désespoir, elle ne se détourne pas de Dieu. Celui qui nous a promis, c’est Dieu, et il est venu pour nous faire ces promesses. Il s’est montré aux hommes, et il est venu recevoir la mort, et nous promettre sa vie propre. Ainsi Dieu a voulu, par sa promesse, donner la sécurité à l’humaine fragilité, et non-seulement de vive voix, mais aussi par ses Écritures. Il a donné sa parole à ceux qui croyaient, une caution à ceux qui doutaient ; et voilà que tout est contenu dans la cédule sacrée des Écritures. Il est venu dans cette région de notre exil, pour y recevoir ce que l’on y trouve en abondance : les opprobres, les douleurs, les affronts, la couronne d’épines, la croix, la mort. Voilà ce qu’on trouve largement ici-bas. Il est venu faire un échange, nous apportant des biens de la région d’en haut, et endurant les maux dans cette région d’ici-bas. Et toutefois, il nous a promis que nous serons un jour à l’endroit d’où il est venu, et il a dit : « Mon Père, je veux qu’ils soient aussi où je suis moi-même[133] ». Il nous a prévenus d’un tel amour, qu’il à été avec nous, où nous sommes, et qu’à notre tour, nous serons avec lui, où il est. Gardez donc le Christ, mes frères, gardez la foi, gardez le chemin. Que ce chemin vous conduise à ce que vous ne sauriez voir maintenant. Car, dans cette tête auguste, nous a été montré ce que peuvent espérer les membres. Dans ce fondement, nous avons pu voir l’édifice qu’élève notre foi et que doit parachever notre espérance.

ONZIÈME SERMON. POUR LA NAISSANCE DE SAINT JEAN-BAPTISTE[134] modifier

ANALYSE. —1. Qui a préparé une lumière, pour qui et quelle lumière.—2. Modestie de Jean-Baptiste.—3. Dignité de Jean-Baptiste.—4. Mystère de la Trinité, co-éternité du Père et du Fils. —5. La Trinité se manifeste au baptême du Christ.—6. Quels sont les ennemis occultes du Christ.—7. Quels sont les ennemis déclarés dit Christ. —8. Récapitulation et exhortation.

1. Nous tenons à votre charité, et dans la maison de Dieu, le langage du psaume que l’on vient de chanter. Quel est celui qui dit « J’ai préparé une lampe à mon Christ ; je couvrirai ses ennemis de confusion, et sur lui éclatera la gloire de ma sainteté ?[135] » Quelle est aussi cette lampe préparée à son Christ, et quels sont les ennemis du Christ que, par cette lampe, il doit couvrir de confusion ; quelle est la sainteté de celui qui a préparé cette lampe à son Christ, laquelle doit éclater par ce même Christ ? Ce qui est manifeste, ce que l’on voit clairement, dans toutes ces paroles, c’est que le Prophète dit ici : « A mon Christ ». Or, il est impossible de n’entendre pas ici le Christ notre Seigneur et. Sauveur ; et, en sondant, avec le secours de Dieu, la profondeur de cette parole, nous la mettons dans la, bouche de Dieu le Père. Le Père donc, ou la personne de Dieu le Père, dit par la bouche du Prophète : « J’ai préparé une lampe à mon Christ ». Or, il est inutile de dire longuement à des chrétiens que le Christ de Dieu est aussi le Fils de Dieu. Après avoir découvert la personne de l’interlocuteur, voyons quelle est cette lampe que Dieu le Père a préparée à son Fils. Le Seigneur lui-même a dit de Jean-Baptiste « Celui-là était une lampe ardente et brillante, et pour un peu de temps vous avez voulu vous réjouir à sa lumière[136] ». Il appelle donc Jean-Baptiste une lampe allumée à la source de la lumière, pour rendre témoignage à la vérité. Tel était donc l’aveuglement des hommes, tel était pour eux la faiblesse de l’œil intérieur, qu’il leur fallut une lampe pour chercher le soleil de justice. Qu’un homme ait pur l’œil du cœur, il le verra intérieurement et ne cherchera point une lampe qui lui rende témoignage. Après avoir dit, en effet, de cette lampe : « Pour un peu de temps, vous avez voulu vous réjouir à sa clarté », le Sauveur ajoute : « Pour moi, j’ai un témoignage plus grand que celui de Jean[137] ». C’est donc pour les infirmes qui sont dans les ténèbres qu’on allume cette lampe, et comment l’allumer ? Le Père, en parlant de Jean, dit à son Fils : « Voilà que j’envoie devant vous mon ange, qui préparera la voie devant votre face[138] ». C’est ainsi qu’il prépare une lampe à sons Christ.

2. Comment, par cette lumière, a-t-il couvert ses ennemis de confusion ? Mais tout d’abord, voyez, comme nous l’avons dit, que cette lampe est allumée au foyer de la lumière. Saint Jean lui-même rend ce témoignage : « Pour nous, c’est de sa plénitude que nous avons reçu[139] ». Or, telle était la suréminente de Jean, qu’on ne le regardait pas seulement comme envoyé devant le Christ, mais comme le Christ lui-même. Dès lors, si la lampe eût été éteinte et enfumée par les ténèbres de l’orgueil, quand les Juifs lui envoyèrent une députation et lui demandèrent:« Qui êtes-vous[140] ? Êtes-vous le Christ ? ou Élie ? ou le Prophète ? » il eût répondu : Je le suis. Belle occasion de jactance pour lui, puisque l’erreur des hommes lui déférait les honneurs divins. Lui-même cherchait-il à persuader ce que ses interrogateurs lui demandaient les premiers ? Mais il est un humble envoyé qui va préparer la voie au Très-Haut. De là vient qu’il est l’ami de l’Époux, parce qu’il est le serviteur qui connaît son maître. Et il dit : « Je suis la voix de celui qui crie au désert : Préparez les voies au Seigneur, rendez droits ses sentiers[141] ». Je ne suis ni le Christ, ni Elie, ni le Prophète. Et eux : « Qui donc êtes-vous ? » Et que leur répondit-il ? « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : Préparez la voie du Seigneur[142] ». Déjà Isaïe avait fait cette prédiction ; et l’on voit ici de qui il veut parler. Vous avez lu, nous dit-il, ces paroles dans le prophète Isaïe, et peut-être ne saviez-vous de qui il parlait. Or, c’est de moi qu’il parlait ainsi. Combien il s’abaisse, celui qui, tout à l’heure, était élevé au point qu’on le prenait pour le Christ ! oui, voyez combien il s’abaisse ! « Pour moi », dit-il, « je vous baptise dans l’eau, mais celui qui vient après moi est plus grand que moi[143] ». Il pourrait être proclamé un peu plus grand que lui[144]. Jean le proclame absolument plus grand que lui. Mais, dites-nous, de combien est-il plus grand ? « Je ne suis pas digne de dénouer les cordons de ses souliers[145] », nous dit-il.

3. Voyez déjà, dans les plans divins, pourquoi Jean est envoyé avant le Christ. Voyez combien il est inférieur, et combien, de son aveu, le Christ est plus grand, puisqu’il se dit indigne de dénouer les cordons de ses souliers. Combien est grand celui qui se dit indigne de dénouer les cordons de ses souliers ? Quelle est sa grandeur ? Où la chercher ? Si nous le demandons à Jean, nous ne le saurons point ; il s’humilie, ne dit rien de lui-même, ni selon la vérité ; ni par jactance. Quelle est donc la grandeur de Jean qui n’est pas digne de dénouer les cordons des souliers de celui que l’on regarde comme un homme ; qui nous l’apprendra ? Interrogeons le Seigneur lui-même, et disons-lui : Seigneur, voilà que Jean vous a rendu témoignage ; et telle était sa grandeur parmi les hommes, qu’on le prenait pour le Christ et qu’on lui demandait qui il était, et il répondait qu’il n’était point le Christ, qu’un autre viendrait plus grand que lui, et tellement plus grand, qu’il n’était pas digne de lui délier les cordons de ses souliers. Il a parlé de vos clartés supérieures comme une lampe fidèle. Voilà ce que Jean a dit de vous. Voyons, quel est celui qui a ainsi parlé de vous, combien est grand celui qui s’est ainsi humilié devant vous, et qui a proclamé en vous une si grande supériorité sur lui-même. Quel est-il ? Voilà ce qu’il a dit de vous. Mais vous, parlez-nous de lui. Écoutez ce que le Seigneur nous dit à propos de Jean : « Parmi ceux qui sont nés à des femmes, nul n’est plus grand que Jean-Baptiste[146] ». Et que dit-il encore ? « Mais « celui qui est moindre, est plus grand que lui dans le royaume des cieux ». Ici, le Seigneur se désigne lui-même ; car Dieu ne se montre point quand il proclame sa grandeur. Qu’est-ce à dire : « Celui qui est moindre ?[147] » Celui qui vient après par l’âge, est le premier par la majesté. Car Notre-Seigneur Jésus-Christ est né après Jean, mais en ce qu’il s’est fait pour nous, et non en ce qu’il nous a faits. Écoute le Père proclamer que celui qui est né après Jean, « il l’a engendré[148] », non plus avant Jean, non plus avant David, non plus avant Abraham, mais, « avant l’aurore ». Si donc, par condescendance pour notre faiblesse, la lampe a précédé le plein jour, et si l’on a cru que la lampe était la lumière, combien plus devons-nous croire à la lumière qui nous dit de la lampe, que « nul d’entre les fils des femmes n’est plus grand que Jean-Baptiste? » Quand donc cet homme qui n’avait point de supérieur parmi les hommes, se reconnaît indigne de dénouer les cordons des souliers d’un autre, quel est cet autre, pour qu’il ne se croie pas digne de dénouer les cordons de ses souliers, celui-là même qui n’a point de supérieur ? Si Jean est tellement grand que nul homme n’était plus grand que lui, quiconque est plus grand que lui, n’est déjà plus un homme. Or, il est bien juste que la sainteté de Dieu s’épanouisse sur celui qui est plus qu’un homme, et qui s’est fait homme à cause des hommes.

4. C’est en effet sur lui que le Saint-Esprit est descendu en forme de colombe : la fleur de la sainteté, sous l’image de la colombe, sous une forme simple et innocente, s’est montrée pleinement à Jean, accomplissant cet oracle : « Et sur lui s’épanouit la fleur de ma sainteté. Pour moi », dit-il, « je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et se reposer, c’est celui-là qui baptise dans le Saint-Esprit. Et moi », poursuit-il, « je l’ai vu et je rends ce témoignage que c’est l’élu de Dieu[149] ». De qui rend-il ce témoignage ? De celui sur lequel il a vu fleurir la sainteté du Père. D’où a-t-il vu descendre l’Esprit-Saint ? car jamais le Saint-Esprit n’a été séparé du Fils, non plus que le Fils du Saint-Esprit, ni le Fils du Père, ou le Père du Fils, ou le Saint-Esprit du Fils ou du Père. Ni le Père n’est venu quelque temps avant le Fils, ni le Fils quelque temps après le Père ; car le temps n’est point en eux. Le Père, le Fils, le Saint-Esprit sont un même Dieu qui a créé le temps. Il n’y a donc point lieu de dire : Le Père est le premier, le Fils le second. D’où vient le Père, de là aussi vient le Fils. Mais, diras-tu, d’où vient le Père ? Te voilà par la pensée bien au-dessus de la terre, et du ciel, et des anges, des choses visibles et des choses invisibles, bien au-dessus de tout ce qui est créé, et tu demandes : Où commence le Père ? Ce langage ne convient pas à ce qui est éternel. Ne demande point l’origine, si ce n’est pour ce qui commence. Ne t’enquiers point d’où vient ce qui est le commencement de tout ce qui commence, et qui n’a son commencement en rien, puisqu’il n’a point commencé. Or, comme le Père n’a point commencé, le Fils n’a point commencé non plus, mais le Fils est la splendeur du Père. Ainsi la clarté du feu vient d’où vient aussi le feu et la splendeur du Père vient d’où vient le Père. Or, d’où vient le Père ? de l’éternité et pour l’éternité. De même la splendeur du Père vient de l’éternité pour l’éternité, et néanmoins, comme il est sa splendeur, son Fils, bien qu’il n’ait pas commencé dans le temps, il est engendré par le Père. Qui comprendra ces choses ? Purifie ton cœur, secoue la poussière, efface toute souillure. Apportons nos soins à guérir tout ce qui trouble notre œil intérieur, et alors nous apparaîtra ce que l’on nous enseigne et ce que l’on croit avant de le voir.

5. Nous croyons, néanmoins, mes frères. Que croyons-nous ? Que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne se devancent nullement parle temps. Et toutefois, quoique le Père, le Fils et l’Esprit-Saint ne se devancent par aucun temps, je ne saurais certainement nommer le Père, le Fils et l’Esprit-Saint, sans que ces noms soient dans le temps et au pouvoir du temps. Il n’y a ni priorité dans le Père ni postériorité dans le Fils, et pourtant je n’ai pu les prononcer que l’un après l’autre, en donnant son temps à chaque syllabe, et la seconde syllabe n’a pu se faire entendre que la première ne fût passée. En nommant ce qui est au-dessus du temps, chaque syllabe a demandé un temps précis. C’est donc ainsi, mes frères, que toute la Trinité s’est montrée dans le fleuve, alors que Jean baptisait Notre-Seigneur, et que cette Trinité se révélait d’une manière sensible à notre chair. Jésus, en effet, fut baptisé, il sortit de l’eau et une voix vint du ciel : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis mes complaisances[150] ». Le Fils se révéla dans l’homme, le Saint-Esprit dans la colombe, et le Père dans la voix. Une chose visible se montre visiblement, si tant est qu’on puisse appeler chose ce qui est plutôt la cause de toute chose, si tant est encore qu’elle soit cause. Que disons-nous, en effet, quand nous parlons de Dieu ? Et pourtant nous parlons de lui, et il permet notre langage, lui qui n’est pas comme nous pouvons l’imaginer. Mais, par condescendance pour les hommes, le voilà qui apparaît sous la forme de colombe, et ainsi s’accomplit cet oracle : « Sur lui s’épanouira la fleur de ma sainteté ». « Fleurira », est-il dit : apparaîtra visiblement. Rien, dans un arbre, n’est aussi visible que la fleur, rien de plus apparent. Courage maintenant, nous voici arrivé aux dernières paroles de notre psaume : « Sur lui s’épanouira la fleur de ma sainteté ». Toutefois il me souvient que j’ai omis de dire quels sont ces ennemis que la lampe a couverts de confusion.

6. « J’ai préparé une lampe à mon Christ[151] ». Quelle lampe ? Jean. C’est le Père qui parle ainsi du Fils. Interrogeons le Fils lui-même. « C’était une lampe ardente et brillante. Je revêtirai ses ennemis de confusion ». Or, quels sont les ennemis déclarés du Christ, sinon les Juifs ? Car le Christ a aussi des ennemis occultes. Tous ceux qui vivent dans l’iniquité, dans l’impiété, sont ennemis du Christ, bien qu’ils soient marqués de son nom et appelés chrétiens. C’est à eux qu’il sera dit : « Je ne vous connais point », et eux répondront : « Seigneur, n’avons-nous pas bu et mangé en votre nom, et en votre nom encore fait beaucoup de prodiges[152] ? » Qu’avons-nous mangé et bu en votre nom ? Car ils n’attachaient pas un bien grand prix à leur nourriture, et ils prétendaient, par là, appartenir au Christ. Il est un aliment que l’on boit et que l’on mange, et qui est le Christ. Or, les ennemis du Christ le mangent et le boivent. Les fidèles connaissent l’Agneau sans tache dont ils se nourrissent, et puissent-ils s’en nourrir de manière à ne mériter aucun châtiment ! Car l’Apôtre l’a dit : « Quiconque mange et boit indignement, mange et boit son propre jugement[153] ». Ils sont donc ennemis du Christ, ceux qui préfèrent la vie d’iniquité à la vie qu’ils lui doivent, et qui redoutent son avènement quand on leur dit qu’il viendra juger les vivants et les morts. S’ils le pouvaient, ils l’empêcheraient de venir ; et comme ils n’ont pu l’empêcher de venir, ils lui interdiraient le retour. Les Juifs ont déjà prétendu l’empêcher de revenir. Le Fils fut envoyé aux mauvais colons, à ces locataires perfides qui ne voulaient point payer le loyer, à ceux qui lapidaient les serviteurs qu’on leur envoyait. Alors le Père de famille, le Maître de la vigne se dit : « J’enverrai mon Fils, peut-être le respecteront-ils ?[154] » Mais eux songèrent et se dirent : « Voici l’héritier ; allons, tuons-le, afin que l’héritage soit à nous. » Impuissants à l’empêcher de venir de la part de son Père, ils voulurent lui interdire le retour à son Père. Mais à qui se prenaient-ils ? Ils voyaient un homme mortel, qu’ils méprisaient ; mais ils ne purent en lui tuer que la mort. La mort du Christ fut la mort de la mort elle-même. Pour lui, il est ressuscité et s’est élevé avec son Père, pour en revenir. Pourquoi craignez-vous ? Aimez, et vous serez en sûreté. Ne disons – nous pas dans nos prières : « Que votre règne arrive[155] ? » Nous prions donc, mes frères, et nous craignons d’être exaucés ?

7. Mais ceux-là, comme nous l’avons dit, sont des ennemis occultes. Parlons de ces ennemis déclarés qui ont eu pour lui une haine ouverte, qui ont sévi contre lui, l’ont saisi, flagellé, insulté, crucifié, mis à mort, gardé dans le sépulcre. Voyons comment cette lampe les a couverts de confusion. Quand ces mêmes ennemis virent que le Seigneur faisait des miracles, « Dis-nous », lui demandèrent-ils, « par quelle autorité tu fais ces choses[156] ». Ils le questionnaient avec une intention hostile, afin de le saisir comme blasphémateur, s’il disait que c’est par sa propre autorité. Mais il agit comme il l’avait fait à propos de la pièce de monnaie, quand ils voulaient le calomnier. Si, d’une part, il répondait : Payez le tribut à César, ce qui eût été avilir la nation juive, en la déclarant assujétie et tributaire ; que si, d’autre part, il disait : Ne payez point le tribut, ils devaient l’accuser, devant les amis et les ministres de César, comme empêchant de payer le tribut. Or, le Sauveur : « Montrez-moi », dit-il, « une pièce de monnaie ; de qui sont cette image et cette inscription ? De César », répondirent-ils. « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu[157] ». C’était dire : « Si César recherche son image sur une pièce de monnaie, Dieu ne cherche-t-il point son image dans l’homme ? De même, en cette occasion, ces calomniateurs « parlèrent en un cœur et en un cœur##Rem[158] ». Ils n’eussent parlé qu’en un seul cœur, si, dans leur langage, ils n’eussent eu un cœur double, et, comme il a été dit plus haut, un cœur combiné, mais non simple. Voyez en effet quelle différence ! Il est dit des serviteurs de Dieu que tous n’avaient qu’un même cœur : « Ils n’avaient qu’une même âme et un seul cœur[159] » en Dieu. Beaucoup d’hommes simples n’ont qu’un seul cœur ; un seul homme fourbe a deux cœurs. Donc, parce que c’était dans un cœur et dans un cœur que ces hommes faisaient à Jésus cette question : « Dis-nous par quelle autorité tu fais ces prodiges ? » Ils voulaient dire, d’une part : nous le déclarer, c’est gagner nos adorations ; nous le déclarer, c’est avoir droit à nos respects ; si tu nous le déclares, nous t’adorons ; et d’autre part, car il y avait en eux duplicité : si tu le dis, nous t’accuserons ; si tu le dis, nous aurons de quoi te saisir ; si tu le dis, nous aurons de quoi te charger. Voilà des ennemis. Mais la lampe va les confondre. Tout à l’heure vous les verrez dans la confusion, Et maintenant qu’il est temps d’allumer nos lampes, que les ennemis du Christ soient confondus par cette lampe que le Père a préparée à son Christ. « Car celui-là était une lampe ardente et brillante », nous dit le Sauveur lui-même. Que répond donc le Christ à leur question : « Dis-nous avec quelle autorité tu fais ces prodiges ? – Je vous ferai à mon tour une seule question. Dites-moi : Le baptême de Jean, d’où venait-il ? Du ciel ou des hommes ? Mais, dans leur trouble intérieur, ils se disaient : Si nous répondons : Du ciel, il nous dira : Pourquoi, ne croyez-vous pas en lui ? » C’est-à-dire : Pourquoi me demander en vertu de quelle autorité j’opère ces prodiges, quand Jean m’a rendu le témoignage que vous me demandez ? « Donc si nous répondons : Du ciel, il nous dira Pourquoi ne croyez-vous point en lui ? Si nous disons : Des hommes, nous craignons le peuple, car tous regardent Jean comme un Prophète[160] ». Partagés entre la crainte du peuple et la crainte de la vérité, envieux d’une part et craintifs d’autre part, et aveugles de part et d’autre, ils répondirent : « Nous ne savons ». La lampe s’est montrée, les ténèbres ont fui. Bien qu’ils demeurassent présents de corps, en effet, leur cœur s’était enfui, quand ils répondirent qu’ils n’en savaient rien. La crainte est la marque d’un cœur qui fuit. Ils craignaient d’être lapidés par te peuple, s’ils disaient que le baptême de. Jean venait des hommes ; ils craignaient d’être convaincus parle Christ, s’ils confessaient que le baptême de Jean était venu du ciel. Ils s’enfuirent avec honte. Le nom de Jean les remplit de crainte, et la crainte les mit en fuite. Et le Sauveur : « Je ne vous dirai pas non plus par quelle autorité j’opère ces prodiges ».

8. Jean-Baptiste est donc la lampe préparée au Christ Notre-Seigneur. Ses ennemis ; qui l’interrogeaient pour le surprendre, se retirèrent avec confusion, quand parut la lumière de cette lampe. Alors s’accomplit cette parole : « Je couvrirai ses ennemis de confusion ». Pour nous, mes frères, qui connaissons le Seigneur, et par son précurseur Jean-Baptiste, et même parle témoignage du Sauveur dont il disait : « J’ai un témoignage supérieur à Jean », devenons, par la foi au Christ, le corps de cette tête auguste, afin qu’il n’y ait qu’un seul Christ, tête et corps, et une fois que nous serons devenus « un », s’accomplira en nous cet oracle : « Sur lui s’épanouira ma sainteté ».

DOUZIÈME SERMON. POUR LA VIGILE DES APÔTRES SAINT PIERRE ET SAINT PAUL[161]. modifier

ANALYSE.—1. Pierre interroge trois fois par le Seigneur au sujet de son amour.—2. Contre ceux qui divisent le troupeau du Seigneur.—3. Contre les Donatistes qui renferment le troupeau du Seigneur dans l’Afrique.—4. Aveuglement des Donatistes, plus grand encore que celui des Juifs.—5. Éloignement du schisme.

1. Tout ce que l’on vient de vous lire du saint Évangile a été fait et dit après la résurrection du Seigneur. Nous avons dore entendu le Seigneur questionnant l’apôtre saint Pierre, et lui demandant s’il l’aimait (1). C’était ainsi le Seigneur qui s’adressait au serviteur, le Maître au disciple, le Créateur à l’homme, le Rédempteur à l’homme racheté, la force à la crainte, la science à l’ignorance, et, pour lui, se faire interrogateur, c’était se montrer enseignant. Car le Christ était loin d’ignorer rien de ce que Pierre avait dans le cœur. Il interroge une première fois. Pierre lui répond ; mais cela ne suffit point. Il fait une seconde question, qui ne diffère nullement de la première, tandis que Pierre fait aussi la même réponse. Une troisième fois revient la question, et l’amour s’affirme une troisième fois. Jésus questionnait trois fois au sujet de son amour, celui que la crainte avait fait renier trois fois. Car, à la mort du Sauveur, Pierre craignit, et la crainte en fit un renégat. Mais le Seigneur, une fois ressuscité, lui mit au cœur l’amour qui bannit la crainte. Que pourrait dès lors craindre Pierre ? Quand il renia son maître, il ne le renia. que par la crainte de mourir. Mais que peut-il craindre après la résurrection du Seigneur, en qui la mort est morte elle-même ? car celui qui l’interrogeait, qui était vivant sous ses yeux, était celui-là même qu’on avait enseveli après sa mort. Il était là, celui qu’on avait suspendu à la croix. Quand les Juifs faisaient juger le Sauveur, Pierre interrogé, lui aussi ; et ce qui est pire, interrogé par une femme, et ce qui est le comble de la honte, interrogé par une servante, Pierre fut saisi de crainte et renia son Maître. Il trembla à la question d’une [162] servante, il tint ferme à la question de son Maître. Or, comme il confessait son amour, une première, une seconde et une troisième fois, le Seigneur lui confia ses brebis : « M’aimes-tu ? » lui dit Jésus. « Seigneur, vous savez que je vous aime ». Et le Seigneur : « Pais mes agneaux[163] ». Et cela une fois, puis une seconde, puis une troisième fois, comme s’il n’y avait aucun autre moyen pour Pierre de montrer son amour pour le Christ, s’il n’était le pasteur fidèle sous le prince des pasteurs. « M’aimes-tu ? Je vous aime[164] ». Et que feras-tu pour moi, afin de lue montrer ton amour ? Chétif mortel, due peux-tu donner à ton Créateur ? Être racheté en face de ton Rédempteur, tout au plus soldat en face de ton roi, que peut me procurer ton amour ? Que feras-tu, pour moi ? Ce que j’exige uniquement de toi, c’est de « paître mes brebis[165] ».

2. Voyez cependant, mes frères, la part que des serviteurs infidèles se sont faite dans le troupeau du Seigneur, en divisant ce qu’ils n’ont pas acheté. Il s’est rencontré, en effet, des serviteurs infidèles qui ont divisé le bercail du Christ, et qui, par une sorte de larcin, se sont fait des bénéfices de son troupeau, et vous leur entendez dire : Celles-ci sont mes brebis. Que viens-tu faire parmi mes brebis ? Que je ne te trouve point dans mes brebis. Mais si, d’une part, nous disons mes brebis, et que d’autre part ils disent encore leurs brebis, le Christ a donc perdu, les siennes. Figurez-vous le prince des pasteurs, le maître ; du troupeau, qui se tient debout, pour faire le discernement et juger entre ses serviteurs. Toi, que dis-tu ? Voici mes brebis. Et toi, que dis-tu ? Encore : Voici les miennes. Mais où sont donc celles que j’ai rachetées ? Mauvais serviteurs ! Vous les appelez vos brebis, et vous revendiquez pour vous ce que j’ai racheté, vous qui périssiez si je ne vous eusse rachetés. Pour nous, à Dieu ne plaise que nous vous appelions nos brebis ! Cette expression n’est point catholique, elle n’est point vraie, elle n’est point de Pierre, puisqu’elle est contre la Pierre. Vous êtes brebis, mais de celui qui a racheté et vous et nous. Nous n’avons qu’un seul Seigneur. Il est pasteur, on ne saurait le conduire. Il fait paître ses brebis, et ce que nul ne fait à propos des brebis, il en a donné le prix et dressé le contrat. Le prix, c’est son sang ; le contrat, c’est l’Évangile dont vous venez d’entendre la lecture. Que dit-il à Pierre ? « M’aimes-tu ? Je vous aime. Pais mes brebis ». A-t-il dit les tiennes ? Voulez-vous savoir à qui il dit les tiennes ? Écoutez donc ce livre sacré que l’on nomme Cantique des Cantiques. C’est là qu’il est parlé d’amour sacré, de l’Époux, de l’Épouse, du Christ et de l’Église : et tout ce livre n’est qu’un chant nuptial, comme on dirait un Epithalame ; mais le chant d’une couche sainte, d’une couche sans tache. « C’est dans le soleil qu’il a placé son tabernacle[166] » ; c’est-à-dire au grand jour, en public, de manière à le mettre en vue et non à le dérober. « Et lui-même est comme un Époux qui, sort de son lit nuptial ». Car il a pris une épouse, la chair de l’homme, son lit nuptial était le sein d’une vierge. C’est là qu’il s’est uni à l’Église, afin d’accomplir cet oracle : « Et ils seront deux dans une seule chair[167] ».

3. Il s’établit donc un dialogue entre ces amants augustes, le Christ et l’Église. – L’Église s’écrie : « Dis-moi, ô toi qui chéris mon âme, où tu fais paître tes brebis, où tu les fais reposer à midi ». Pourquoi te demander « où tu fais paître tes brebis, où tu les fais reposer pendant midi ? C’est afin que je n’aille point tomber, comme ignorée, sur les troupeaux de tes compagnons ». Ainsi donc, je souhaite que tu m’enseignes où tu fais paître, où tu fais reposer tes brebis pendant le jour, afin de ne pas m’égarer quand j’irai vers toi, « de peur que je ne sois comme voilée sur les troupeaux de tes compagnons[168] », c’est-à-dire qu’au lieu d’aller à ton troupeau, je n’aille « comme couverte d’un voile » à ceux de tes compagnons. Qu’est-ce à dire « couverte d’un voile[169] », sinon comme cachée et ignorée ? Les Donatistes savent donner à ces paroles leur propre sens, non le sens des Écritures. Voici ce qu’ils disent en effet : L’Afrique est au midi, car le midi du monde c’est l’Afrique ; dès lors l’Église demande au Seigneur : « Où fais-tu paître ton troupeau, où le fais-tu reposer ? » Et celui-ci répond : « Au midi » ; c’est-à-dire, ne me cherchez qu’en Afrique. Lis et comprends, esprit de mensonge ; voilà maintenant le miroir sous tes yeux. C’est là que je te prends. Comprends que c’est toujours l’Épouse qui interroge. Pourquoi faire que ce soit déjà la réponse de l’Époux ? Reconnais du moins le genre féminin. « Où fais-tu paître et reposer ton troupeau à midi ? De peur que je ne sois comme voilée ». Or, voilée est du féminin, je pense, et non du masculin. Donc, ô Seigneur, que l’Afrique soit le midi : que l’on doive comprendre comme ils comprennent. L’Afrique, c’est le midi ; c’est la part faite aux Donatistes. C’est là qu’on a fait la division ; c’est là qu’à travers le troupeau du Christ s’est promenée la scie de séparation. C’est donc en quelque sorte l’Église d’au-delà des mers, où n’est point faite la division, qui s’écrie : « Indique-moi, ô toi que chérit mon âme, où tu fais paître et reposer ton troupeau dans le midi ». J’entends dire, en effet, qu’il y a un parti de Donat, que les uns sont catholiques, les autres Donatistes ; indique-moi, dès lors, où tu fais paître tes brebis, de peur que je ne me trompe en venant à toi. Je veux une indication, parce que je redoute l’incertitude. « Indique-moi où tu fais paître et reposer ton troupeau au midi ». Pourquoi demandé-je cette indication ? « C’est que je crains d’être comme voilée », car je suis comme ignorée, comme voilée au parti de Donat, c’est là qu’on me prêche et sans me voir.

4. Voici ce que disent les Écritures : « Il arrivera dans les derniers jours que la montagne du Seigneur sera en évidence, elle s’élèvera sur le sommet des montagnes, par-dessus toutes les collines, et toutes les nations y viendront en foule[170] ». On parle d’une montagne, et cette montagne est voilée pour le parti de Donat. Heurter contre une pierre est bien pardonnable. Mais heurter contre une montagne, quels yeux faut-il avoir ? O mes frères ! les Juifs sont plus dignes de pardon ; ils ont heurté contre une pierre, et les hérétiques vont heurter une montagne ! Comment les Juifs ont-ils trébuché contre la pierre ? C’est que le Christ était encore petit, à sa passion, et il est dit qu’« ils ont heurté contre la pierre d’achoppement[171] ». Or, le saint prophète Daniel eut une vision[172], et il écrivit ce qu’il avait vu, et il dit avoir vu une pierre détachée « de la montagne sans le secours d’aucune main ». C’est le Christ qui venait du peuple juif. Car ce peuple était aussi une montagne, puisqu’il formait un royaume. Pourquoi « sans le secours de la main ? » C’est-à-dire que cette pierre se détacha sans travail humain, puisque nul homme ne dut s’approcher de la Vierge, en sorte qu’il est né sans aucune œuvre de l’homme. Or, cette pierre « détachée de la montagne, et sans secours humain », brisa la statue qui figurait le royaume de la terre. Qu’est-il dit encore ? Que telle est la pierre contre laquelle ont heurté les Juifs. « Ils ont trébuché contre la pierre d’achoppement ». Quelle est cette montagne contre laquelle viennent heurter les hérétiques ? Écoute Daniel lui-même. « Et la pierre grandit et devient une grande montagne au point de remplir toute la terre[173] ». C’est avec raison que le Psalmiste a dit à Notre Seigneur sortant du tombeau : « Élevez-vous, Seigneur, par-dessus les cieux, et que « votre gloire éclate par toute la terre[174] ». Qu’est-ce à dire que votre gloire éclate par toute la terre ? Que votre Église, que votre épouse soit sur toute la terre. Et cependant elle s’écrie : « Indique-moi, ô toi que chérit mon âme ![175] » Me voilà partout, sur tous les confins de la terre, et je suis « voilée » pour les Africains. Indique-moi dès lors, de peur que je ne sois comme voilée pour les troupeaux, non plus de tes brebis, mais de tes compagnons. Car tes compagnons ont fait des schismes. Quels sont ces compagnons ? Ceux qui se sont approchés de la table du Seigneur, et dont il est dit dans un autre psaume : « Celui qui mangeait mon pain » ; dont il est dit aussi : « Qu’un ennemi m’ait outragé, je l’aurais supporté, que celui qui me hait s’élève en

paroles contre moi, je me déroberais à ses poursuites ; mais toi, un autre moi-même, toi mon chef, toi mon ami, toi le familier de mes repas, avec qui je marchais d’accord dans la maison du Seigneur[176] ! » D’accord autrefois, maintenant en désaccord, parce qu’il n’y a plus de sentiment commun. C’est au milieu de ces compagnons que l’Épouse redoutait de tomber. Je crains d’errer, dit-elle ; je crains que, « voilée » en quelque sorte, je ne vienne à tomber parmi les troupeaux de tes compagnons, et à me perdre dans mon égarement ; ce baptême que j’ai reçu, je crains de le perdre tout entier, en le renouvelant.

5. Vous avez entendu les transes de l’Épouse, écoutez la réponse de l’Époux. Aussitôt après ces paroles de l’Épouse, l’Époux reprend : « Si tu ne te reconnais point, ô la « la plus belle d’entre les femmes[177] ». O Église catholique, belle parmi les hérésies ! « Si tu ne te reconnais point », si tu n’es pas attentive à me trouver là même où tu as appris à me connaître, si tu ne préfères de beaucoup mes Écritures à toute parole des hommes, si tu ne sais pas que tu es partout, si tu ne te reconnais point dans ces paroles du Psalmiste : « Demande-moi, et je te donnerai les nations en héritage[178]. Si donc tu ne te reconnais point », que va-t-il ajouter ? « Sors ! » a Si tu ne te reconnais point, sors ! » Parole sinistre, parole déplorable : « Sors ! » Dieu la veuille éloigner de nous ! Voyez de qui il est dit : « Ils sont sortis d’entre nous, mais ils n’étaient point des nôtres[179] ». On dit : « Sors », au mauvais serviteur, parce que « le serviteur ne demeure point toujours dans la maison, tandis que le Fils y demeure toujours[180] ». Voulez-vous voir que l’on dit « sors » au mauvais serviteur ? Que dit-on au bon serviteur ? « Entre dans la joie de ton Maître[181] ». Quiconque, dès lors, entend, quiconque est membre de l’Épouse du Christ, doit redouter cette parole : « Si tu ne te reconnais pas, ô la plus belle des femmes, sors et va sur les traces des troupeaux[182] ». Qu’est-ce à dire « sur les traces des troupeaux ? » Dans les erreurs humaines, et non sur la voix du Pasteur. Nous avons les traces du Pasteur, et l’on ne s’égare point en les suivant. « Le Christ a souffert pour nous, nous laissant l’exemple, afin que nous suivions ses traces[183]. Donc, si tu ne te reconnais point, sors « et va sur les traces des troupeaux, et fais « paître tes boucs[184] ». « Des boucs, et les tiens ». Vous savez que les brebis sont à la droite, et les boucs à la gauche. « Fais donc paître tes Boucs ». Pourquoi « tes boucs ? » Parce que tu es sortie, voilà que tu fais « paître tes boucs », comme le fait Donat. Mais si tu ne sors point, tu feras paître « mes brebis[185] », comme le fait Pierre.

TREIZIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DE SAINT LAURENT, MARTYR.[186] modifier

ANALYSE.—1. Éloge de saint Laurent, et comment on doit célébrer les fêtes des martyrs.—2. L’exemple des martyrs nous excite à vivre saintement et à nous mettre en garde contre le diable.—3. Nous sommes plus que les Juifs enfants d’Abraham.—4. Contre ceux qui profanent par l’intempérance les fêtes des martyrs.—5. Les affligés doivent prendre saint Paul pour modèle. —6. Charité maternelle chez Paul ; et plus encore dans la divine sagesse.—7. La nécessité, mère des bonnes œuvres.—8. Cette vie n’est qu’un combat contre la mort. —9. Les biens de la vie éternelle sont au-dessus de nos forces.—10. Recommandation du suffrage mutuel de la prière.

1. L’ennui de l’auditeur nous ferait supprimer le discours, qu’exige néanmoins l’obéissance du martyr. Nous allons donc, avec le secours du Seigneur, le mesurer de telle sorte qu’il ne soit ni trop long, ni trop court, mais simplement suffisant. C’est aujourd’hui, à Rome, un grand jour de fête, que célèbre une grande affluence de peuple. Unissons-nous à ce peuple : absents de corps, soyons néanmoins par l’esprit avec nos frères, en un même corps, et sous un même chef. La mémoire de ses mérites ne se borne point, pour notre martyr, à la terre où est le sépulcre de son corps. Partout on lui doit un saint respect. La chair n’occupe qu’un seul endroit, mais l’âme victorieuse est avec Celui qui est partout. Or, comme on nous l’apprend, le bienheureux Laurent était un jeune homme à l’âme virile et grave, recommandable surtout par son âge plein de force, par sa couronne qui ne doit point se flétrir. C’était un diacre, par ses fonctions l’inférieur de l’évêque, par sa couronne l’égal de l’Apôtre. Or, l’Église, a établi ces anniversaires des glorieux martyrs, afin d’amener par la foi à les imiter, ceux qui ne les ont point vus souffrir, de les stimuler par ces solennités. Le cœur humain oublierait peut-être ce que ne rappellerait point une fête anniversaire. Sans doute, on ne saurait établir des solennités pour tous les martyrs, car il n’en manquerait pas pour chaque jour, puisque dans le cours de l’année on ne trouverait pas un jour où quelque martyr n’ait été couronné sur la terre. Mais que les plus belles solennités soient continuelles, et bientôt elles nous fatigueront ; tandis que des intervalles ravivent notre amour. Pour – nous, écoutons ce qui est prescrit, soyons attentifs aux promesses qui sont faites. À chaque solennité d’un martyr, préparons notre cœur à le fêter, de manière à n’être jamais sans l’imiter.

2. C’était un homme, et nous sommes des hommes. Celui qui l’a créé nous a créés aussi ; et nous sommes rachetés au même prix qu’il a été racheté. Nul homme chrétien dès lors ne saurait dire : Pourquoi moi ? Encore moins, doit-il dire : Pour moi non. Mais bien : Pourquoi pas moi ? Vous avez entendu le bienheureux Cyprien, modèle et chantre des martyrs : « Pendant la persécution », dit-il, « c’est le combat qui nous vaut la couronne ; pendant la paix, c’est la conscience[187] ». Que nul donc ne s’imagine que le temps lui manque ; ce n’est point toujours l’heure de souffrir, c’est vrai, mais c’est toujours l’heure de bénir. Et que nul ne se croie faible, quand c’est Dieu qui nous donne des forces, de peur qu’en craignant pour lui-même, il ne désespère du divin ouvrier. Aussi Dieu a-t-il voulu que tous les âges trouvassent des modèles chez les martyrs, ainsi que les deux sexes. Voilà des vieillards couronnés, des jeunes hommes couronnés, des adolescents couronnés, des enfants couronnés, des hommes couronnés, des femmes couronnées. Et parmi les femmes, tout âge est couronné ; et nulle femme n’a dit : Mon sexe me rend impuissante à vaincre le diable. Elle s’est appliquée à renverser l’ennemi qui l’avait elle-même renversée, à terrasser par la foi celui qui l’avait gagnée par la séduction. Les femmes ont-elles donc présumé de leurs forces, quand il est dit à l’homme : « Qu’as-tu que tu n’aies point reçu ?[188] » La gloire des martyrs est donc la gloire du Christ qui a précédé les martyrs, qui anime les martyrs, qui couronne les martyrs. Et toutefois, bien qu’il y ait des temps de paix et des temps de persécution, est-il un temps sans persécution cachée ? Aucun. Ce lion, appelé aussi dragon, ne rugit pas toujours, n’est pas toujours en embuscade, mais il est toujours à poursuivre. En temps de violence ouverte, il n’y a pas d’embûches ; en temps d’embûches, il n’y a point de violence ouverte, c’est-à-dire, quand il rugit comme lion, il ne se glisse point comme dragon, et quand il se glisse comme dragon, il ne rugit point comme lion ; mais comme il est toujours ou lion ou dragon, il est toujours à persécuter. Quand le rugissement s’éteint, crains les embûches ; quand les embûches sont découvertes, évite le lion qui rugit. Or, c’est éviter et le lion et le dragon que conserver toujours son cœur dans le Christ. Tout objet de nos craintes, en cette vie, passera. Mais, ni l’objet de notre amour ne passera dans l’autre vie, ni ce qu’il nous faut craindre. Tout à l’heure, le Seigneur s’adressait aux Juifs dans l’Évangile, et leur disait : « Malheur à vous, Scribes et Pharisiens, qui bâtissez des tombeaux aux Prophètes, et qui dites : Si nous avions été du temps de nos pères, nous n’aurions pas répandu avec eux le sang des Prophètes. Aussi, vous vous rendez à vous-mêmes le témoignage que vous êtes les fils de ceux qui ont tué les Prophètes, vous comblerez donc la mesure de vos Pères[189] ». Dire, en effet : « Si nous avions été du temps de nos pères, nous n’aurions pas été d’accord avec eux pour tuer les Prophètes », c’est dire qu’ils étaient leurs enfants. Pour nous, si nous marchons dans le chemin droit, nous appellerons nos pères, non point ceux qui ont tué les Prophètes, mais nos pères, ceux qui ont été tués par leurs pères. De même que l’on dégénère par les mœurs, on devient fils par les mœurs. On nous appelle en effet, mes frères, des enfants d’Abraham, et toutefois nous n’avons point vu la face d’Abraham, et nous ne descendons point de lui par la voie de la chair. Comment donc sommes-nous ses fils ? Non point par la chair, mais parla foi. « Abraham crut à Dieu, et cela lui fut imputé à justice[190] ». Si donc c’est la foi d’Abraham qui a fait sa justice, tous ceux qui, après Abraham, ont imité sa foi, sont devenus fils d’Abraham. Les Juifs, ses fils selon la chair, ont dégénéré, et nous, qui sommes nés des Gentils, nous avons acquis, en l’imitant, ce qu’ils ont perdu par leur déviation. Gardons-nous donc de croire qu’Abraham soit leur père, bien qu’ils soient descendus d’Abraham selon la chair. Leurs pères sont ces hommes dont ils avouent les crimes : « Si nous avions été du temps de nos pères », disent-ils, « nous n’aurions pas été d’accord avec eux pour tuer les Prophètes ». Comment peux-tu dire que tu n’aurais pas été d’accord avec ceux que tu appelles tes pères ? S’ils sont tes pères, tu es leur fils. Si tu es leur fils, tu aurais été d’accord avec eux ; et sans accord tu n’es plus leur fils. Si tu n’es plus leur fils, ils ne sont plus tes pères. Le Seigneur veut donc te convaincre, par là, qu’ils feront, eux aussi, ce qu’ont fait les premiers, puisqu’ils se les donnent pour pères. « Vous vous rendez donc à vous-mêmes », leur dit Jésus-« Christ, « ce témoignage que vous êtes les fils de ceux qui ont tué les Prophètes », puisque vous les appelez vos pères. Or, à votre tour, « vous comblerez la mesure de vos pères ».

4. Considérons maintenant quels sont les fils des victimes et quels sont les fils des bourreaux. Vous en voyez beaucoup accourir aux fêtes des martyrs, bénir leurs coupes aux fêtes des martyrs, revenir rassasiés des fêtes des martyrs ; et néanmoins, si vous les voyez de tout près, vous les trouvez parmi les persécuteurs des martyrs. C’est d’eux, en effet, que viennent le tumulte, les séditions, ces danses toujours lubriques, en abomination à Dieu, et maintenant qu’ils ne sauraient persécuter de leurs pierres ces saints couronnés, ils le font de leurs coupes à boire. Qui étaient-ils, et de qui étaient-ils fils, ces hommes dont on a interdit les danses, tout récemment, presque hier, à la fête et dans le sanctuaire du saint martyr Cyprien[191] ? C’est là qu’ils dansaient, là qu’ils s’ébattaient dans la joie, là que leurs vœux impatients attendaient cette solennité pour se réjouir ; c’est à cette fête qu’ils voulaient toujours venir. Parmi lesquels devons-nous les compter ? Parmi les persécuteurs des martyrs, ou parmi les fils des martyrs ? On l’a vu quand la défense les a jetés dans la sédition. Aux fils la louange, aux persécuteurs les danses. Aux fils les saintes hymnes, à ceux-là les festins. Peu importe qu’ils paraissent honorer leur mémoire. Avec leurs honneurs ils ressemblent à ceux qui disaient : « Si nous avions été dans ces temps, « nous n’aurions pas été d’accord avec nos pères pour tuer les martyrs, ou tuer les Prophètes ». Mettez votre foi d’accord avec celle des martyrs, et nous croirons que vous n’eussiez pas été d’accord avec les bourreaux des martyrs. D’où vient aux martyrs leur couronne ? C’est, j’imagine, de ce qu’ils ont marché dans la voie de Dieu, de ce qu’ils ont souffert, de ce qu’ils ont aimé leurs ennemis et prié pour eux. Telle est la couronne des martyrs, le mérite des martyrs. Aimer les martyrs, les imiter, les chanter, c’est là être fils des martyrs. Mener une vie contraire, c’est aussi choisir un côté contraire[192].

5. Dès lors, mes frères bien-aimés, puisque jamais nous ne sommes sans persécution, comme nous l’avons dit, et que le diable, ou nous tend des embûches, ou nous fait violence, nous devons être toujours prêts, ayant le cœur fixé en Dieu, et autant qu’il nous est possible, au milieu de ces embarras, de ces tribulations, de ces épreuves, demander la force au Seigneur, puisque de nous-mêmes nous sommes si faibles, nous ne pouvons rien. Que dire de nous-mêmes ? Vous venez d’entendre le texte de saint Paul : « De même que les souffrances de Jésus-Christ abondent en nous, notre consolation abonde aussi en Jésus-Christ[193] ». C’est ainsi qu’un psaume dit encore : « Dans la multitude des douleurs de mon âme, ô mon Dieu, vos consolations ont réjoui mon cœur ». De même que nous lisons dans le Psalmiste : « A mesure que de nombreuses douleurs accablaient mon âme, vos consolations réjouissaient mon cœur[194] » ; ainsi nous lisons dans l’Apôtre : « A mesure que les douleurs du Christ abondent en nous, ainsi notre consolation abonde par le Christ ». Nous succomberions bientôt sous la persécution, si la consolation nous manquait. Voyez encore qu’ils n’avaient point en eux-mêmes ni la force de souffrir, ni cette faculté de vivre quelque temps à cause du ministère qu’ils devaient exercer. « Je vous fais connaître, mes frères, l’affliction qui nous est survenue en Asie, parce qu’elle a été bien au-dessus de nos forces ». Cette affliction qui dépasse les forces humaines, dépasse-t-elle aussi les secours divins ? « Nous avons souffert », dit-il, « par-dessus tout mode, par-dessus nos forces ». Combien au-dessus des forces ? Voyez que l’Apôtre parle ici des forces de l’âme. « Au point que la vie nous était à dégoût[195] ». Quelles ne devaient pas être ces douleurs, pour inspirer le dégoût de la vie à cet Apôtre que la charité excitait à vivre ? Quelle n’était point cette charité qui le forçait à vivre, quand il dit ailleurs de cette charité : « Mais à cause de vous, il est avantageux que je vive[196] ». Ainsi donc, telle était la persécution, telle était la tribulation, que la vie lui était à dégoût. Voilà que la crainte et la terreur l’environnent, que de toutes parts il est dans les ténèbres, comme vous l’avez entendu dans le psaume que l’on vient de chanter. Ce sont en effet les paroles du corps du Christ, des membres du Christ. Veux-tu y retrouver tes paroles ? sois membre du Christ. « La crainte et la terreur », dit-il, « m’ont environné, me voilà couvert de ténèbres ; et j’ai dit : Qui me donnera des ailes comme à la colombe, et je m’envolerai, et me reposerai ?[197] » N’est-ce point là ce que semble dire l’Apôtre, dans ces paroles : « Au point que j’avais un dégoût de la vie ? » On dirait que ce dégoût lui venait de cette glu de la chair qui l’empêchait de s’envoler vers le Christ. Des tribulations sans nombre infestaient sa voie, mais sans la fermer. La vie lui était à charge, mais non cette vie éternelle dont il dit : « Vivre, pour moi, c’est le Christ, et la mort est un gain[198] ». Mais comme il était retenu ici-bas par la charité, que dit-il ensuite ? « Néanmoins, vivre plus longtemps en cette chair, c’est rendre mon travail fructueux : je ne sais que choisir ; car je suis pressé de deux côtés ; d’une part, j’ai un désir ardent d’être dégagé des liens du corps et d’être avec le Christ. Qui me donnera des ailes comme à la colombe ? Mais à cause de vous, il est nécessaire que je demeure en cette chair[199] ». Il cédait aux piaulements de ses poussins, il les couvrait de ses ailes meurtries, il les réchauffait comme il dit lui-même : « Je me suis fait petit parmi vous, comme une nourrice qui réchauffe ses enfants[200] ».

6. Et voyez, mes frères : tout à l’heure on nous lisait dans l’Évangile : « Combien de fois j’ai voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins, et tu ne l’as pas voulu[201] » Voyez la poule, voyez les autres oiseaux qui font leur nid sous nos yeux. Ils réchauffent les neufs, nourrissent les petits. Nul ne manquera de force avec ses nourrissons. Voyez ce que devient la poule, quand elle nourrit ses petits, comme sa voix est changée, comme elle devient rauque et saccadée. Ses plumes ne sont ni ramassées ni vives, mais hérissées et languissantes. À voir un autre oiseau, dont on ne connaît point le nid, on ne sait s’il a des veufs ou des petits ; mais il suffit devoir la poule, pour comprendre à sa voix et à l’aspect de son corps, qu’elle est mère, quand on ne verrait ni ses œufs ni ses poussins. Que fait donc la Sagesse, notre mère ? Elle prend la faiblesse de la chair, afin de rassembler ses poussins, de les engendrer, de les réchauffer ; mais ce qui est faible en Dieu est plus fort que tous les hommes. Elle voulait donc rassembler les fils de Jérusalem sous les faibles ailes de sa chair, ou plutôt sous l’invisible puissance de sa divinité. C’est là ce qu’elle avait enseigné à son Apôtre, parce qu’elle le faisait en lui. Voici en effet ce que dit l’Apôtre lui-même : « Voulez-vous éprouver la puissance de Jésus-Christ qui parle en moi ?[202] » Il parle encore des douleurs du Christ qui abondent en lui, non de ses douleurs, mais de celles du Christ. Car il faisait partie du corps du Christ, il était membre du Christ, et tout ce qui se faisait par l’Apôtre, pour réchauffer les poussins de l’Église, c’est la tête qui le faisait, au moyen de cet illustre membre. À la vue donc de ses faibles poussins, cet Apôtre dont l’amour, dans sa ferveur, voulait prendre l’essor comme la colombe, demeurait néanmoins, comme la poule par affection pour ses poussins. « Mais en nous-mêmes », dit-il, « nous avons reçu une réponse de mort, afin que nous ne mettions point notre confiance en nous, mais en Dieu qui ressuscite les morts, qui nous a délivrés de si grands périls et nous en tire encore, et nous délivrera comme nous l’espérons de lui[203] ». Qu’est-ce à dire qu’il nous a délivrés et nous délivrera ? Qu’il conserve pour vous ma vie terrestre. Souvent il fut délivré de la mort, cet Apôtre qu’il arrachait aux persécuteurs, de peur qu’il ne fût couronné plus tôt qu’il ne convenait aux poussins, selon ce qu’il dit ailleurs : « Mais il est nécessaire pour vous que je demeure en cette chair, et dans cette persuasion, je sais que je vivrai et que je demeurerai avec vous tous, assez longtemps pour votre avancement et pour la joie de votre foi[204] ». La ferveur l’élevait plus haut, la nécessité le retenait ici-bas. « Être dégagé et aller avec le Christ, c’est bien ce qui est le plus avantageux[205] ». Il ne dit point nécessaire, mais le plus avantageux. Le plus avantageux, on le désire, pour lui-même ; le plus nécessaire, on le subit par nécessité ; de là le nom de nécessaire.

7. C’est la nécessité qui a fait appeler ainsi ce qui est nécessaire. De là vient que maintenant la nourriture que nous prenons est nécessaire oui, cette nourriture est nécessaire pour soutenir en nous la vie du temps de même que, pour nourrir la vertu, la sagesse, l’aliment le meilleur sera ce pain vivant, toujours efficace ; et qui ne manque jamais. Celui-ci est donc le meilleur, l’autre est nécessaire. Et dès lors, quand cessera cette nécessité qui vient de la faim et du besoin de soutenir ce corps mortel, cette nourriture ne sera plus nécessaire. Que dit en effet l’Apôtre ? « Les aliments sont pour l’estomac, et l’estomac pour les aliments, et un jour Dieu détruira l’un et les autres[206] ». Quand aura lieu cette destruction ? Quand ce corps animal sera devenu spirituel par la résurrection. C’est alors qu’il n’y aura aucune indigence, et que nulle œuvre ne sera nécessaire. Toutes ces œuvres, en effet, mes frères, que l’on appelle bonnes œuvres, toutes ces œuvres que l’on nous engage à faire chaque jour, sont des œuvres de nécessité. Quelle œuvre est meilleure, est plus éclatante, est plus louable pour un chrétien, que de rompre son pain pour celui qui a faim ? que d’introduire sous son toit le pauvre sans asile ? que de revêtir l’homme que l’on voit nu ? que d’ensevelir le mort que l’on rencontre ? que de réconcilier ceux qui sont en discorde ? que de voir un infirme et de le visiter, de le soulager ? Toutes ces œuvres sont très-louables, sans aucun doute. Et cependant, considérez et voyez qu’elles viennent de la nécessité. C’est en effet parce que tu vois un pauvre que tu donnes du pain. À qui en donnerais-tu, si nul n’avait faim ? Ôte chez autrui cette nécessité de la misère, et il n’est plus besoin de ta miséricorde. Et toutefois, au moyen de ces œuvres qu’engendre la nécessité, nous parvenons à cette vie qui sera sans nécessité ; comme on arrive dans sa patrie au moyen d’un navire. Pour l’homme qui doit toujours demeurer dans sa patrie, sans voyager jamais, il n’est pas besoin de navire ; mais ce navire qui n’est plus nécessaire dans la patrie, y conduit néanmoins. Quand nous y serons parvenus, il n’y aura plus de ces œuvres, et toutefois, si nous ne les accomplissons ici-bas, nous ne saurions y arriver. Soyez donc empressés quand il s’agit de ces bonnes œuvres de nécessité, afin d’être bienheureux dans la jouissance de cette éternité, où il n’y aura point nécessité de mourir, parce que la mort, qui est la mère de toutes les nécessités, y meurt à son tour. « Il faut en effet que ce corps corruptible soit revêtu d’incorruption, que cette chair mortelle soit revêtue d’immortalité ». Et quand on dira à la mort : « O mort, où est ta victoire ? ô mort, où est ton aiguillon ?[207] » on dira aussi à la mort absorbée dans sa victoire et vaincue à son tour. « La mort sera le dernier ennemi détruite[208] ».

8. Maintenant, c’est par toutes ces œuvres de nécessité que l’on combat contre la mort. Car tout besoin conduit à la mort, tout soulagement nous rappelle de la mort, et telles sont les vicissitudes du corps, que c’est une mort qui chasse une autre mort. Quelque régime que l’on s’impose, c’est un commencement de mort, dès qu’il ne peut durer longtemps ; voyez cette vie, voyez si le régime que l’on s’impose peut durer toujours ; pour peu qu’il continue, il mène à la mort ; il est donc un commencement de mort, et pourtant, à moins de se l’imposer, on – ne chasse pas une autre mort. Ainsi, cet homme ne mange pas. S’il mange, s’il digère, il reprend des forces. Quand il ne mange point, il s’impose la diète, afin de repousser la mort qu’amèneraient ses excès, et qu’il ne saurait éloigner de lui sans se mettre à la diète et au jeûne. Mais qu’il continue ce jeûne, qu’il a dit s’imposer, pour repousser la mort qu’amenaient les excès, il devra craindre la mort par la faim. De même donc qu’il a choisi la diète contre la mort par les excès, ainsi il doit prendre de la nourriture contre la mort par la faim. L’un ou l’autre de ces régimes que tu t’imposeras, sera mortel, si tu continues. La marche te fatigue, et cette marche devenant continuelle te causera une fatigue jusqu’à la défaillance et jusqu’à la mort. Pour éviter de succomber en marchant, tu t’assieds pour te reposer. Mais demeure toujours assis, et tu en mourras. Te voilà sous le poids d’un lourd sommeil ; il te faut t’éveiller pour ne point mourir. La veille te fera mourir, si tu ne te livres au sommeil. Donne-moi un moyen par lequel tu voulais repousser un mal qui t’opprimait, et selon lequel tu puisses vivre en toute sécurité. Quel que soit ce moyen, il est lui-même à craindre. Il nous faut donc combattre avec la mort, dans tous nos changements, dans toutes nos alternatives de défaillance et de secours. Mais quand cette chair corruptible sera revêtue d’incorruption, et cette chair mortelle revêtue d’immortalité, alors on dira à la mort : « Où donc, ô mort, est ta victoire ? où donc est ton aiguillon ?[209] » Nous verrons, nous chanterons, nous serons en permanence. Il n’y aura là nul besoin, l’on ne cherchera aucun secours. Tu n’y auras nul mendiant à nourrir, nul étranger à recevoir dans ta maison. Tu n’y rencontreras nul homme ayant soif pour lui donner à boire, nul homme nu à revêtir, nul malade à visiter, nul litige à mettre en accord, nul mort à ensevelir. Tous sont rassasiés du Pain de la justice, abreuvés au calice de la sagesse ; tous revêtus de l’immortalité, tous vivent dans leur patrie éternelle. Pour eux, la santé c’est l’éternité, santé éternelle, harmonie éternelle. Nul procès, nul juge, nul arbitrage, nulle recherche de vengeance, nulle maladie, nulle mort.

9. Nous pouvons bien te dire ce qu’on ne verra point dans l’éternité. Mais qui dira ce que nous y verrons ? « Ce que l’œil n’a point vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme ». C’est donc avec raison que l’Apôtre nous dit : « Les souffrances de la vie présente n’ont aucune proportion avec la gloire qui doit éclater en nous[210] ». Quelles que soient tes souffrances, ô chrétien, sache bien qu’elles ne sont rien en comparaison de ce que tu dois recevoir. Voilà ce que la foi nous enseigne avec certitude, et ce qui ne doit point sortir de ton cœur. Tu ne saurais comprendre et voir ce que tu seras ; quel sera donc l’état que ne saurait comprendre celui qui doit en jouir ? Nous serons ce que nous serons ; mais nous ne saurions comprendre ce que nous serons. Cet état surpasse toutes nos infirmités, il surpasse toute notre pensée, il surpasse toute notre intelligence, et néanmoins nous en jouirons. « Mes bien-aimés », dit saint Jean, « nous sommes fils de Dieu » ; oui, par la foi, par l’adoption, par le gage qu’il nous en donne. Nous avons reçu l’Esprit-Saint pour gage, mes frères. Comment pourrait faillir celui qui donne un tel gage ? « Nous sommes fils de Dieu », dit l’Apôtre, « et ce que nous devons être n’apparaît point encore. Nous savons que, quand il apparaîtra, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est ». Cela n’apparaît point encore, dit-il, mais il ne dit point ce qui apparaîtra. « Ce que nous devons être n’apparaît point encore ». Pourrait-il dire : Voilà ce que nous serons ; c’est ainsi que nous serons ? Mais tout ce qu’il pourrait dire, à qui le dirait-il ? Je n’oserais dire : Qui le dira ? mais bien : À qui en parler ? Peut-être l’aurait-il pu dire, puisqu’il était ce disciple qui avait reposé sur la poitrine du Christ, et qui, à la dernière cène, avait bu cette sagesse dont il nous jetait la surabondance dans ces paroles : « Au commencement était le Verbe[211] ». Voici donc ce qu’il nous dit : « Nous savons que, quand apparaîtra ce que nous devons être, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est ». À qui semblables ? A celui-là sans doute dont nous sommes les fils. « Mes bien-aimés », dit-il, « nous sommes les fils de Dieu, et ce que nous devons être n’apparaît point encore. Mais nous savons que quand cela paraîtra, nous serons semblables à celui » dont nous sommes les enfants, « puisque nous le verrons tel qu’il est[212] ». Et maintenant, si tu veux être semblable à lui, si tu veux savoir à qui tu seras semblable, envisage Dieu, si tu le peux. Tu ne saurais encore, tu ne peux donc savoir à qui tu seras semblable, et dès lors tu ne peux savoir combien tu lui ressembleras. Ne pas savoir ce qu’il est en lui-même, c’est ne pas savoir non plus ce que tu seras toi-même.

10. C’est dans ces méditations, mes frères, qu’il nous faut attendre notre joie éternelle, qu’il nous faut demander la force dans les difficultés et les épreuves de cette vie. Ne vous imaginez point, en effet, mes bien-aimés, que nos prières vous sont nécessaires sans que nous ayons besoin des vôtres. Les prières nous sont réciproquement nécessaires, parce que des prières mutuelles, sont allumées au feu de la, charité, et c’est là, sur l’autel de la piété, un sacrifice d’agréable odeur devant Dieu. Car si les Apôtres recommandaient que l’on priât pour eux, combien plus nous devons le faire, nous qui leur sommes inférieurs, mais qui voulons suivre leurs traces, sans savoir néanmoins, sans oser dire à quel point nous y parvenons. Ces hommes illustres voulaient donc que l’on priât pour eux dans l’Église, et ils disaient : « Nous sommes votre gloire, de même que vous êtes la nôtre pour le jour de Notre-Seigneur Jésus-Christ[213] ». Ils priaient l’un pour l’autre, avant le jour de Jésus-Christ Notre-Seigneur ; gloire en ce jour, faiblesse avant ce même jour. Prions donc dans la faiblesse, afin de nous réjouir dans la gloire. Bien qu’en effet les temps soient divers, nous arriverons néanmoins tous à ce temps qui est unique. Pour sortir d’ici-bas les temps sont différents ; là-haut il n’y a qu’un seul temps pour recevoir. Nous serons rassemblés ensemble et au même instant, afin de recevoir ce quia été en divers temps l’objet de notre foi et de nos désirs. Comme ces ouvriers de la vigne, engagés tels à la première heure, tels à la troisième, tels à la sixième, tels à la neuvième, tels à la dixième[214] ; appelés à des temps différents, ils reçoivent tous au même instant leur récompense. Tournons – nous vers le Seigneur Jésus-Christ, etc.

QUATORZIÈME SERMON. POUR LA FÊTE DE SAINT CYPRIEN, MARTYR[215]. modifier

ANALYSE.—1. Saint Cyprien est louable dans le Seigneur.—2. Contre qui doit combattre un chrétien.—3. Contre les spectacles des païens.—4. Contre l’orgueil.—5. Nouvel éloge de saint Cyprien.

1. La grande solennité du bienheureux martyr qui nous rassemble ici exige que nous parlions dignement des mérites et de la gloire d’un si célèbre témoin. Une langue humaine pourrait sans doute suffire à publier ses vertus et sa gloire, s’il voulait lui-même faire son éloge. Toutefois, c’est plutôt par notre dévotion que par notre talent que nous le voulons bénir, ou plutôt bénir en lui le Seigneur ; oui, le Seigneur en lui, et lui dans le Seigneur. Or, tout à l’heure, nous avons entendu une parole du psaume qu’on nous lisait. « Tout notre « secours est dans le nom du Seigneur[216] », et cette parole, qui est le cri des martyrs, nous a dit ce qu’il y a pour eux dans le Seigneur. Or, si le nom du Seigneur est pour nous tous un secours, à combien plus forte raison l’est-il pour les martyrs ? À mesure que le combat est plus violent, le secours est plus nécessaire. Or, deux choses rendent plus étroite la voie des chrétiens : le mépris des plaisirs, et la patience dans la douleur. Tu es vainqueur, ô toi qui combats, si tu sais vaincre ce qui te plaît et ce qui t’effraie. Oui, tu es vainqueur, ô chrétien qui combats, si tu sais vaincre ce qui te plaît et ce qui t’effraie ; car, autre est ce qui plaît, et autre ce qui effraie. Mais maintenant c’est la gloire des martyrs qui est en cause. Célébrer les fêtes des martyrs est chose facile, mais le difficile est d’imiter leurs souffrances.

2. Deux choses, comme je le disais, contribuent à rendre étroite et petite la voie des chrétiens : le mépris des plaisirs, et la patience dans les souffrances. Tout homme qui combat doit donc savoir qu’il combat contre le monde entier, et que, dans sa lutte contre le monde entier, il est vainqueur du monde s’il parvient à vaincre ces deux choses. Qu’il triomphe de tout ce qui nous flatte, qu’il triomphe de tout ce qui nous menace. Car, tout plaisir est trompeur, toute souffrance n’a qu’un temps ; si donc tu veux entrer par la porte étroite, ferme les issues de la convoitise et de la crainte. Car c’est par elle que le tentateur cherche à renverser ton âme. La porte des convoitises nous tente par les promesses ; la porte de la crainte nous tente par les menaces. Il est, toutefois, quelque chose à désirer, qui te détournera de ces désirs, et quelque chose à craindre, qui te détournera de ces sortes de craintes. Change tes désirs au lieu de les expulser ; sans éteindre la crainte, donne-lui un autre objet. Que désirais-tu ? pourquoi céder au monde qui te flattait ? Que désirais-tu ? la volupté de la chair, la concupiscence des yeux, l’ambition du siècle. Je ne sais lequel de ces trois chefs est l’enfer de la chair. Mais écoute l’apôtre saint Jean, qui avait reposé sur le cœur du Seigneur et qui nous donnait, dans l’Évangile, la surabondance de ce qu’il avait puisé dans ce festin du Christ ; écoute ses paroles : « N’aimez point le monde, ni ce qui est dans le monde ; si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est point en lui ; car tout ce qui est dans le monde, est ou convoitise de la chair, ou convoitise des yeux, ou ambition du siècle ». Ce qui est donc appelé monde, c’est le ciel et la terre. Ce n’est point blâmer le monde que dire : « N’aimez point le monde ». Car blâmer le monde, ce serait blâmer le Créateur du monde. Il faut donc entendre cette unique dénomination dans deux sens bien différents. Il est dit, à propos de Notre-Seigneur Jésus – Christ : « Il était dans le monde, et le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a point connu. Le monde a été fait par lui[217]. Notre secours est dans le nom du Seigneur qui a fait le ciel et la terre[218]. Le monde a été fait par lui. J’ai levé les yeux vers les montagnes d’où me viendra le secours[219]. Mon secours viendra du Seigneur qui a fait le ciel et la terre ». Tel est le monde qui a été fait par Dieu : « Et le monde ne l’a point connu ». O toi qui aimes le monde, qui aimes l’œuvre en méprisant l’ouvrier, arrière ton amour ! Brise tes liens avec la créature, pour t’enchaîner au Créateur. Change cet amour et cette crainte. Il n’y a que l’amour bon ou mauvais pour faire les mœurs bonnes ou mauvaises. Voilà un grand homme, dira celui-ci, un homme vraiment bon, vraiment grand. Pourquoi ? je vous prie. Parce qu’il est très-savant. Je cherche ce qu’il aime et non ce qu’il fait. « Ne cherchez donc point le monde, ni ce qu’il y a dans le monde ; si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est pas en lui ; car tout ce qui est dans le monde » dans ceux qui aiment le monde assurément ; oui, « tout ce qu’il y a chez ceux qui sont épris du monde, est concupiscence de la chair, concupiscence des yeux et ambition du siècle[220] ». Or, dans la convoitise de la chair, il y a volupté ; dans la convoitise des yeux, il y a curiosité ; dans l’ambition du siècle, il y a orgueil. Triompher en ces trois points, c’est n’avoir plus rien à vaincre en convoitise. Les rameaux sont nombreux, mais il y a trois racines. Combien est mauvais et combien cause de malheurs l’amour de la volupté ! Delà viennent les adultères, les fornications ; de là toute luxure ; de là toute ivresse. Tout ce qu’il y a dans les sens de coupables attraits, et dont le charme empoisonné pénètre notre âme, soumet l’esprit à la chair, le maître à l’esclave. Et quelle action droite pourra raire un homme qui est en lui-même tortueux ?

3. Combien de maux engendre cette honteuse curiosité, cette vaine convoitise des yeux, cette avidité de spectacles futiles, cette folie des courses de chars, quand il n’y a nul prix à espérer après ces combats ! C’est afin de remporter un prix, que les cochers entrent en lice ; c’est afin de remporter nu prix, que la populace plaide pour les cochers[221]. Mais ici c’est le cocher qui plaît, le chasseur qui plaît, l’histrion qui plaît. Or, la honte saurait-elle plaire à un cœur honnête ? Change aussi ton désir des spectacles. Voilà que l’Église met sous tes yeux des spectacles plus glorieux et plus dignes de respect. Tout à l’heure, on nous lisait le martyre de saint Cyprien. Nous l’entendions de l’oreille, et notre âme le voyait ; nous regardions l’athlète combattre, nous avions des craintes pour ses dangers ; mais nous espérions dans le secours de Dieu. Veux-tu comprendre à l’instant la différence entre nos spectacles et ceux du théâtre ? Quant à nous, pour peu que nous ayons de sagesse, nous désirons imiter les martyrs que nous regardons. Honnête spectateur ! Tu es fou si tu oses imiter celui que tu vois au théâtre. Mais voilà que je regarde Cyprien, et j’aime Cyprien. Si cela t’irrite, maudis-moi, et dis-moi : Sois comme lui ! Je le regarde, j’y trouve de la joie, et autant que je le puis, je l’embrasse en esprit. Je le vois qui combat, je l’entends qui triomphe. Tâche-toi, dis-je, et dis-moi : Sois comme lui ! Vois si je ne l’embrasse point ; vois si tel n’est point mon désir ; vois si je n’aspire point à ce bonheur ; vois si je ne puis dire que j’en suis indigne, et, toutefois, je ne puis ni m’en éloigner, ni m’en détourner. Vois, à ton tour ; cherches-y ta joie, aime à ton tour. Ne t’irrite point si je te dis : Sois comme lui ! mais, pour t’épargner, je ne le dis point. Reconnais un ami, et, avec moi, change tes spectacles. Aimons ceux que nous voulons imiter, autant qu’il nous est possible ; mais honte à celui qui se donne en spectacle ; honneur au spectateur. Que l’acheteur cesse d’être cupide, et il n’y aura plus de vente honteuse. Regarder, c’est encourager la honte. Pourquoi provoquer ce que tu es forcé d’accuser ? Je m’étonnerais, si la honte de l’histrion que tu aimes ne rejaillissait pas sur toi. Mais qu’elle n’y rejaillisse point, j’y consens ; que ton honneur soit sans tache, s’il est possible, en regardant la lubricité, en achetant de honteuses jouissances. Oserai-je, alors, proscrire les spectacles ? Oui, oserais-je les proscrire ? Certainement, je l’oserai. Je puise ma confiance dans ce lieu et dans celui qui m’a constitué en ce lieu. Ce saint martyr a bien pu endurer les violences des païens, et moi je n’oserais instruire des chrétiens ? Je redouterais des murmures secrets, quand il a méprisé de manifestes fureurs ? Je parlerai donc, et si je parle à faux, que l’âme de mes auditeurs me contredise. Elle a raison ; oui, elle a mille fois raison, cette mesure antique de Rome, qui a noté d’infamie tous les histrions. On ne leur rend aucun honneur dans le sénat, pas même dans la dernière assemblée du peuple. On les éloigne de toute réunion honnête, on leur préfère l’honnête esclave. Comment donc le plaisir te mettra-t-il au théâtre en présence de ces hommes que ta dignité de décurion bannit de ta présence ? Accorde le plaisir avec la dignité. Et voilà que ces misérables se sont prêtés aux convoitises des spectateurs, convoitises malsaines. Loin de toi ces plaisirs, donne à ces hommes la liberté. C’est avoir pitié d’eux que ne point les regarder.

4. Voilà pour la concupiscence des yeux. Combien de maux dans l’amour du monde ! C’est là qu’est l’orgueil dans sa plénitude. Et quoi de pire que l’orgueil ? Écoute la parole du Seigneur : « Dieu résiste aux orgueilleux et donne sa grâce aux humbles[222] ». Donc, l’amour du monde est coupable à son tour. Mais, dira quelqu’un, les grands du monde n’en sauraient être exempts. Ils le peuvent, sans aucun doute. Un de leurs auteurs, je ne sais lequel, a dit : « Nous rejetons nos fautes sur nos affaires[223] ». Ils le peuvent sans aucun doute. L’homme a le pouvoir de se diriger. Se dresser, pour lui, c’est se diriger. Mais le cœur humain tend toujours à s’élever. Qu’on en réprime la tendance. Qu’il se reconnaisse homme, celui qui veut juger d’un autre homme. La dignité peut différer, la fragilité est la même pour tous. Se nourrir de ces saintes et pieuses pensées, c’est avoir la force et ne point chercher à s’élever. Telle est la victoire qu’a remportée Cyprien. Que n’a-t-il pas dû vaincre, lui qui a méprisé cette vie pleine de tentations ? Le juge le menace de la mort, et il confesse le Christ ; il est prêt à mourir pour le Christ. Dès que la mort sera venue, il n’y aura plus ni ambition, ni curiosité des yeux, ni convoitise des voluptés charnelles et honteuses. Le mépris seul de la vie nous fait tout surmonter.

5. Béni soit donc dans le Seigneur le bienheureux Cyprien, qui a triomphé de tous ces obstacles. Comment l’eût-il pu, sans le secours du Seigneur ? Comment vaincre, si le divin spectateur qui préparait une couronne au vainqueur n’eût aussi donné des forces à l’athlète ? Lui-même tressaille d’une sainte joie, il tressaille pour nous et non pour lui, quand on le bénit dans le Seigneur ; car il est véritablement doux, et il est écrit : « Mon âme sera bénie dans le Seigneur ; que les cœurs doux entendent et partagent ma joie[224] ». Il était doux, et il veut que son âme soit louée dans le Seigneur. Oui, que son âme soit bénie dans le Seigneur. Qu’il y ait aussi des honneurs pour son corps, car « précieuse est devant Dieu la mort de ses saints[225] ». Qu’on le chante saintement, comme il convient à des chrétiens. Car nous n’élevons pas à Cyprien des autels comme au Seigneur, mais nous faisons de Cyprien un autel au vrai Dieu[226].

QUINZIÈME SERMON. ÉGALEMENT POUR LA FÊTE DE SAINT CYPRIEN, MARTYR[227]. modifier

ANALYSE.—1. Joie que cause cette religieuse affluence de peuple et la victoire des martyrs.—2, Desseins des persécuteurs déjoués par les martyrs.—3. Triomphe de l’Église sur les persécuteurs.—4. Plusieurs bourreaux de Cyprien se convertissent comme ceux du Christ.

1. Nous avons chanté le psaume : « Béni soit le Seigneur, qui ne nous a point donnés à leurs dents comme une proie]]</ref>[228] ». C’est le chant bien légitime des dons du Seigneur. « Béni soit le Seigneur, qui ne nous a point a donnés à leurs dents comme une proie ». C’est là certainement une action de grâces et action de grâces bien digne. Et quand l’homme pourra-t-il suffisamment remercier Dieu de si grands dons ? Quand le bienheureux martyr répandait ici son sang par un pieux sacrifice, je doute que la foule de ses persécuteurs ait égalé cette foule qui le vient bénir. Oui, je le répète ; car c’est un bonheur pour moi de voir le peuple venir en foule et pieusement dans ce lieu, et de comparer les temps aux temps. C’est pour cela que je reviens à cette pensée, que je la répète et que je veux l’inculquer à vos sens avec toute la dévotion possible. Quand le saint martyr répandait ici son sang dans un pieux sacrifice, je doute que la foule de ses persécuteurs ait égalé cette foule qui le vient bénir. Mais en fût-il ainsi, que a Dieu n’en a pas moins été a béni de ne pas nous avoir abandonnés à a leurs dents comme une proie n. En lui donnant la mort, ils croyaient avoir vaincu. Ils étaient vaincus, au contraire, par ceux qui mouraient, et ils tressaillaient d’être vaincus. Sans doute ils persécutaient ; mais voilà que la foule des persécuteurs s’est dissipée et fait place à la foule qui chante ses louanges. Qu’elle chante alors, cette foule, qu’elle chante : « Béni soit le Seigneur qui ne nous a point abandonnés à leurs dents comme une proie ». Aux dents de qui ? Aux dents de nos ennemis, aux dents des impies, aux dents de ceux qui persécutent Jérusalem, aux dents de Babylone, aux dents de la cité ennemie, aux dents de cette foule en délire dans le crime, aux dents de cette foule qui persécute le Seigneur, qui abandonne le Créateur pour se tourner vers les créatures, qui adore ce qu’a fait la main des hommes, et méprise le Dieu qui nous a faits. « Béni soit le Seigneur, qui ne nous a point abandonnés à leurs dents comme une proie ».

2. Tel est le chant des martyrs, le chant de ceux qui ont mieux aimé mourir en confessant le Christ, que de vivre en apostasiant le Christ. Si donc les uns ont voulu tuer, et si les autres sont tués, si les uns sont venus à bout de leurs desseins, et si les autres sont morts, comment « bénir Dieu qui ne nous a point abandonnés à leurs dents comme une proie ? » À quoi bon cette félicitation : « Béni soit le Seigneur, qui ne nous a point abandonnés à leurs dents comme une proie ? » C’est que les persécuteurs ne se proposaient pas de tuer, mais de dévorer, c’est-à-dire d’incorporer à leur secte. Ils étaient païens, ils étaient impies, ils étaient adorateurs des démons et des idoles. Voilà ce qu’ils voulaient faire de nous, quand ils voulaient nous dévorer. Voyez ce que nous faisons de la nourriture, quand nous mangeons. Que faisons-nous, sinon changer en notre corps ? Or, les impies formaient un corps, et ils ont dévoré ceux qu’ils, ont amenés à leur secte. Ils se les sont incorporés sans aucun doute. Donc, ces martyrs qui ont tenu ferme contre les efforts tentés pour les amener à renier le Christ, à se prosterner devant les idoles, qui ont méprisé les idoles, pour confesser le nom du Christ, n’ont point consenti à être incorporés à leur secte. Qu’ils chantent, oui, qu’ils chantent, qu’ils chantent glorieusement, qu’ils chantent avec allégresse et avec vérité : « Béni soit le Seigneur, qui ne nous a point abandonnés à leurs dents, comme une proie ». Les pièges, c’est la perfidie ; les pièges, c’est l’impiété ; les pièges, c’est l’apostasie du Christ. Voilà les pièges que l’on a tendus. Tu entends quels sont les chasseurs ; et si tu veux échapper aux chasseurs, méprise leurs menaces. Tu sais ce que font les chasseurs. D’une part, ils tendent les pièges, et, d’autre part, ils effraient le gibier pour le pousser dans leurs filets. Crains-tu le danger dont tu es menacé ? Fuir est bien plus dangereux encore. Les martyrs donc, voyant l’endroit où les chasseurs avaient tendu leurs filets (car le persécuteur ne menaçait de mort que pour amener à renier le Sauveur) ont préféré souffrir, mais en souffrant ils évitaient les pièges. Quelle proie magnifique pour les filets du chasseur, quel festin pour l’impie Babylone, si l’on eût amené Cyprien à renier le Seigneur ! Quelle noble proie, quelle chasse, quels mets succulents pour les festins impies de Babylone, que Cyprien, cet évêque, ce docteur des nations, qui détourne des idoles, qui déjoue les démons, qui gagne les païens, qui soutient les chrétiens, qui enflamme les martyrs ! Qu’un tel homme, un si grand homme vienne à renier, quelle joie pour l’impie Babylone ! « Béni soit le Seigneur, qui ne nous a point abandonnés à leurs dents comme une proie ». Ils ont sévi, ils ont persécuté, ils ont mis à la torture, jeté en prison, chargé de chaînes, brûlé, exposé aux bêtes. Et le Christ n’a point eu d’apostat, et le confesseur du Christ a été couronné. Fureur perdue pour les uns, gloire du martyre pour les autres. « Qu’il soit donc béni, le Seigneur » ; que le peuple chrétien chante avec raison : « Béni soit le Seigneur, qui ne nous a point abandonnés à leurs dents comme une proie ». Qu’il le chante, aujourd’hui que ce lieu est rempli d’un peuple qui applaudit, d’un peuple qui adore un Dieu seul et véritable. Qu’il le dise : voici ce lieu ; et répandre ici le sang de notre martyr, c’était semer cette belle moisson. O terre, ne t’étonne point de ta fertilité ! tu n’as été arrosée que pour produire.

3. Donc : « Béni soit le Seigneur, qui ne nous a point donnés à leurs dents comme une proie[229] ». Quelle force, en effet, a pu nous arracher aux dents de l’impie ? Ne nous arrogeons rien, n’attribuons rien à notre puissance. « Béni soit le Seigneur, qui ne nous a point donnés à leurs dents comme une proie ». Qu’étions-nous, en effet, quand la force effrayait notre faiblesse, la grandeur notre humilité, la richesse notre indigence, l’abondance notre pauvreté ? Qu’étions-nous, si « notre secours n’eût été dans le nom du Seigneur, qui a fait le ciel et la terre ? » Tressaille donc, ô Jérusalem, tressaille, oh ! oui, sois dans la joie d’avoir échappé aux dents des chasseurs. Tressaille à ton tour. Et toi aussi, tu as des dents. « Car tes dents ressemblent à un troupeau de brebis nouvellement tondues ». Toi aussi, tu as des dents, ô sainte Jérusalem, cité de Dieu, église du Christ ; toi aussi, tu as des dents. C’est à toi qu’il est dit dans le Cantique des Cantiques : « Tes dents ressemblent à un troupeau de brebis nouvellement tondues, qui montent du lavoir ; toutes ont deux agneaux, et nulle d’entre elles n’est stérile[230] ». Honneur, honneur à toi, de n’avoir point redouté les dents de Babylone ; ces dents de Babylone étaient les puissants du siècle ; ces dents de Babylone étaient les professeurs de rites criminels. Tu n’as pas été abandonnée à ces dents. Ah ! reconnais tes dents à toi, et fais ce qu’ils ont voulu faire. Change de rôle. Toi aussi, tu as des dents. « Tes dents sont un troupeau de brebis nouvellement tondues ». Qu’est-ce à dire, nouvellement tondues ? Qui ont renoncé aux biens du siècle. Qu’est-ce à dire, nouvellement tondues ? Qui ont rejeté leur toison comme un fardeau du siècle. Tes dents étaient ces hommes dont il est écrit aux Actes des Apôtres[231], qu’ils vendaient leurs biens pour en apporter le prix aux pieds des Apôtres, afin qu’il fût distribué à chacun selon le besoin qu’il en avait s. Tu as donc reçu la toison de tes brebis nouvellement tondues ; et ce troupeau est sorti du lavoir du saint baptême. Tous ont engendré, parce que tous ont accompli les deux préceptes de la charité. Vous le savez, mes frères, il vous en souvient, vous l’avez dit tout haut en gens bien instruits, quand j’ai nommé ces deux préceptes de la charité ; sans les avoir désignés, j’ai trouvé dans vos murmures l’indice de votre cœur, vous les connaissez donc ; et néanmoins, je les désignerai pour ceux qui viennent plus rarement à l’église. Il l’a dit, le Seigneur, il l’a dit, le Maître le plus véridique, il l’a dit, le Prince des martyrs : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit ; et tu aimeras ton prochain comme toi-même. Ces deux préceptes renferment la loi et les Prophètes[232] ». C’est donc en Dieu une victoire pour tes dents d’avoir enfanté de tels jumeaux. Et dès lors c’est à cause de ces dents qu’il t’est dit, ô Église, dans la personne du bienheureux Pierre : « Lève-toi, tue et mange[233] ». « Lève-toi n. Ainsi fut-il dit à Pierre, quand une grande nappe descendit du ciel, renfermant des animaux de toute espèce, que l’on offrit à Pierre qui avait faim, c’est-à-dire à l’église alors affamée. « Lève-toi », pourquoi te laisser avoir faim ? « Lève-toi », ton repas est prêt. Tu as des dents, « tue et mange ». Tue-les dans ce qu’ils sont, pour les faire ce que tu es. Tue-les dans ce qu’ils sont, et change-les en ce que tu es. Tu as bien compris quelles sont les dents, tu as bien tué, tu as bien mangé. Ces juges que tu n’as point redoutés, tu les as attirés à toi ; ces puissances du siècle que tu n’as point redoutées, tu les as changées en toi ; ces bourreaux que tu as méprisés, tu en as fait des fidèles. Alors s’est accomplie cette promesse faite à ton Seigneur « Tous les rois de la terre l’adoreront, toutes les nations le serviront[234] ».

4. Voilà ce que ne croyaient point les persécuteurs, quand ils sévissaient contre toi. Combien de ces mêmes persécuteurs qui ont vu le bienheureux Cyprien répandre son sang, fléchir les genoux, offrir sa tête au bourreau, qui l’ont vu ici même, qui ont joui de ce spectacle, qui ont tressailli à cette vue, qui ont ici même insulté à son agonie, combien d’entre eux, je n’en doute nullement, ont embrassé la foi ! N’en doutons point, mais croyons-le sans hésitation. Les Juifs qui ont mis à mort le Christ, qui branlaient la tête en lui insultant à la croix, qui ont à son sujet chanté leur joie comme ils l’ont voulu, ont ensuite cru en ce même Seigneur qu’ils avaient crucifié. Pouvait-elle donc être sans effet, cette parole du médecin suprême suspendu à la croix, et faisant de son sang un remède pour guérir leur folie ? Non, elle ne pouvait être sans effet, elle ne pouvait être vaine, cette parole : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font[235] ». Elle ne fut donc point sans effet. Il y avait là une foule de peuple sur lequel tomba cette parole de la bouche de la Vérité. Plus tard, en effet, quand l’Esprit-Saint descendit miraculeusement du ciel, quand les Apôtres parlaient le langage de toutes les nations, saisis de frayeur à la vue d’un miracle si soudain, et, touchés subitement de componction, ils se tournèrent vers celui qu’ils avaient mis à mort et burent avec foi le sang qu’ils avaient répandu avec fureur. Or, à propos du bienheureux Cyprien, du saint martyr du Christ, nous ne saurions douter que plusieurs de ceux qui se donnèrent le spectacle impie de sa mort, crurent dans la suite en son divin Maître, et peut-être, comme lui, répandirent leur sang pour le nom du Christ. Du reste, accordons qu’il n’y a rien de certain à cet égard. Acceptons l’incertitude au sujet de ceux qui étaient ici à la mort de Cyprien, qui virent frapper ici le saint évêque ; doutons qu’ils aient embrassé la foi ; du moins tous ceux-ci ou presque tous ceux dont j’entends les jubilations, sont les fils de ceux qui l’insultaient.

SEIZIÈME SERMON.
POUR LA FÊTE DES MARTYRS SCILLITAINS.[236]

ANALYSE. —1. À l’exemple des martyrs, on ne doit renier le Christ, ni à cause des biens superflus du monde, ni à cause des biens nécessaires. —2. D’où vient et qu’est-ce que l’amour du prochain.—3. La santé et un ami, deux choses nécessaires, comment les envisager. —4. Lutte entre le martyr et le persécuteur, au sujet du superflu. —5. Lutte entre le martyr et le persécuteur, au sujet du nécessaire. —6. De quelle manière on apostasie le Christ.—7. La constance récompensée dans le ciel.

1. Craignant de mourir s’ils vivaient, les saints martyrs, les témoins de Dieu, ont préféré mourir afin de vivre, de peur que l’effroi de la mort ne leur fît renier la vie, ils ont méprisé la vie par amour de la vie. Pour leur faire apostasier le Christ, l’ennemi leur promettait la vie, mais non telle que la promettait le Christ. Leur foi donc aux promesses du Sauveur leur a fait dédaigner les menaces des persécuteurs. Mes frères, quand nous célébrons les fêtes des martyrs, puissions-nous connaître ce que nous pouvons acquérir en imitant leurs exemples. Cette foule qui se presse n’ajoute rien à leur gloire. Car leur couronne est en spectacle à la foule des Anges ; et nous, la lecture de leurs combats nous les peut faire connaître. Ce qu’ils ont acquis, « l’œil ne l’a point vu, l’oreille ne l’a point entendu[237] ». Parmi les biens de cette vie, en effet, les uns sont superflus, les autres nécessaires. Écoutez à ce sujet nos paroles, et distinguons autant que possible quels sont ici-bas les biens superflus, et quels sont lesbiens nécessaires, afin que vous compreniez qu’on ne doit apostasier le Christ ni pour les biens superflus, ni pour les biens nécessaires. Qui pourra énumérer les choses superflues de la vie ? Entreprendre de les énumérer, c’est nous retarder beaucoup. Disons donc ce qui est nécessaire ; le reste, quel qu’il soit, sera superflu. Voici les deux biens nécessaires en ce monde : la santé et un ami. Tels sont les deux biens dont nous devons faire grand cas, et que nous ne saurions mépriser. La santé et un ami sont deux biens naturels. Dieu, en faisant l’homme, voulut qu’il existât, qu’il vécût c’est la santé. Mais de peur qu’il ne demeurât seul, il lui donna l’amitié. Dès lors l’amitié commence par l’épouse et par les enfants, pour s’étendre jusqu’aux étrangers. Mais si nous considérons que nous n’avons qu’un seul père et une seule mère, quel sera pour nous l’étranger ? Tout homme a pour prochain tout autre homme. Interroge la nature. Est-ce un inconnu ? c’est un homme. Un ennemi ? c’est un homme. Un étranger ? c’est un homme. Un ami ? Qu’il demeure ami. Est-il ennemi ? Qu’il devienne ami.

2. A ces deux choses nécessaires en cette vie, la santé, et un ami, vient se joindre la Sagesse qui est étrangère. Elle ne trouve ici-bas que des insensés, qui s’égarent, qui s’éprennent du superflu, qui aiment ce qui est du temps, qui ne savent rien de l’éternité. Cette sagesse n’est point aimée des insensés. Or, comme elle n’était point aimée des insensés, elle a revêtu la forme du prochain, et s’est ainsi approchée de nous. C’est là tout le mystère du Christ. Quoi de plus éloigné que la folie et la sagesse ? Quoi de plus rapproché que l’homme et l’homme ? Oui, dis-je, quoi de plus éloigné que la folie et la sagesse ? La sagesse donc s’est revêtue de l’humanité, et s’est approchée de l’homme par ce qui en était le plus près. Et voilà, car la sagesse elle-même l’a dit à l’homme, voilà que la piété c’est la sagesse : le propre de la sagesse dans l’homme est d’adorer Dieu, puisque telle est là piété ; et dès lors deux préceptes sont donnés à l’homme : « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit ». Voici l’autre précepte : « Tu « aimeras ton prochain comme toi-même[238] ». Et celui qui entendait répliqua : « Et qui donc est mon prochain[239] ? » Il pensait que le Seigneur allait dire : C’est ton père, c’est ta mère, c’est ton épouse, ce sont tes enfants, tes frères, tes sueurs. Telle ne fut point sa réponse ; mais pour vous bien faire comprendre que tout homme est le prochain de tout autre homme, le Sauveur commença ce récit : « Un certain homme », dit-il. Qui, ce certain homme ? Enfin un homme. « Un homme donc ». Qui, cet homme ? Quelqu’un, mais un homme. « Descendait de Jérusalem à Jéricho, et tomba entre les mains des voleurs[240] ». On appelle aussi voleurs ceux qui nous persécutent. Blessé, dépouillé, demi-mort, abandonné sur le grand chemin, il fut un objet de mépris pour le prêtre et le lévite qui vinrent à passer, et remarqué du samaritain qui le rencontra. Voilà qu’on s’approche de lui, qu’on lui donne des soins, qu’on le met sur un cheval, pour le conduire à l’hôtellerie, qu’on donne l’ordre de le soigner, qu’on paie sa dépense. Or, le Sauveur demande à celui qui l’avait interrogé : Quel est le prochain de cet homme demi-mort ? Car deux hommes l’avaient dédaigné, et ces dédaigneux étaient ses proches ; ce fut l’étranger qui l’aborda. Car cet homme de Jérusalem avait pour proches les prêtres, les lévites, et les Samaritains pour étrangers. Les proches passèrent donc, et l’étranger lui devint un proche. Quel était donc le prochain pour cet homme ? Réponds, ô toi qui avais fait cette question : « Qui est mon prochain ? » Réponds à ton tour, selon la vérité. C’était l’orgueil qui questionnait, que la nature parle. Que dit-il donc ? « Je crois que c’est celui qui a usé de miséricorde envers lui ». Et le Seigneur : « Va, et fais de même à ton tour[241] ».

3. Revenons à notre sujet. Nous avons déjà trois objets : la santé, l’ami, la sagesse. Mais il n’y a de ce monde que la santé et l’ami ; la sagesse est d’ailleurs. C’est pour la santé que nous avons la nourriture et le vêtement, et en cas de maladie la médecine. À ceux qui ont la santé, l’Apôtre en santé lui-même disait : « Or, c’est, une grande richesse que la piété qui se contente du nécessaire. Nous n’avons rien apporté en ce monde, et nous n’en pouvons rien emporter. Ayant la nourriture et le vêtement, nous devons nous en contenter ». Voilà ce qui est nécessaire pour la santé. Que dira-t-il pour le superflu ? « Quant à ceux qui veulent s’enrichir (c’est bien là le superflu) ils tombent dans la tentation, dans les pièges, dans une foule de désirs insensés et nuisibles qui précipitent l’homme dans la mort et dans la perdition[242] ». Où donc est la santé ? C’est donc à la santé que revient cette parole : « Ayant la nourriture et le vêtement, nous devons nous en contenter ». Que dira-t-il pour l’ami ? Que dire de plus que ceci : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même? » Que la santé soit donc à toi, et la santé encore à ton ami. À propos du vêtement de l’ami : « Que celui qui a deux tuniques en donne une à celui qui n’en a point ». Et pour la nourriture de cet ami : « Que celui qui a de la nourriture agisse de même[243] ». Tu es rassasié, rassasie les autres ; tu es vêtu, revêts les autres. Tout cela est de ce monde : quant à ce qui vient d’en haut, ou la sagesse, tu l’apprends et tu l’enseignes.

4. Remettez maintenant devant vos yeux le combat des martyrs. L’ennemi vint et voulut faire renier le Christ. Mais voyons d’abord ses flatteries, et non ses fureurs. Il promet honneurs et richesses. Ce sont là des choses superflues. Quiconque trouverait en ces biens une tentation de renier le Christ, n’est pas encore descendu dans l’arène, ne s’est pas initié au combat, n’a point encore, par une vigoureuse résistance, provoqué l’antique ennemi. Mais il a méprisé tous les biens qu’on lui offrait, l’homme fidèle qui s’est écrié : Est-ce pour de tels biens que je renierai le Christ ? Des richesses me feront-elles renoncer aux richesses ? L’or me fera-t-il renier le vrai trésor ? N’est-ce pas en effet le Christ qui, « étant riche, s’est fait pauvre pour nous, afin de nous enrichir de sa pauvreté[244] ? » N’est-ce point de lui que l’Apôtre a dit : « En lui sont renfermés tous les trésors de la sagesse et de la science ?[245] » Tu considères ce que tu promets, parce que tu ne saurais voir ce que tu veux nous ravir. Pour moi, c’est par la foi que je vois ce que tu veux m’enlever, et toi par les yeux de la chair ce que tu veux donner. Ce que découvre l’œil du cœur est bien préférable à ce que voit l’œil de la chair ; car ce que l’on voit est temporel, ce que l’on ne voit pas est éternel. Dès lors je méprise tes dons, dit l’âme fidèle, qui sont temporels, qui sont superflus, qui sont périssables, qui sont changeants, qui sont pleins de périls, pleins de tentations. Nul ne les possède à son gré, on les perd quand on ne le voudrait point. Nous méprisons le prometteur, en voici un autre, c’est le persécuteur. On repousse la séduction, voici que vient la violence : on méprise le serpent, il se change en lion. Tu ne veux pas, dit-il, être par moi comblé de richesses ? Eh bien ! si tu ne renonces au Christ, je t’enlèverai ce que tu possèdes. Ce n’est là sévir que contre mon superflu. « Tu agis en fourbe, comme le rasoir tranchant[246] » ; tu rases les cheveux, mais sans entamer la peau. Enlève-moi tous ces biens ; oui, puisque tu as vu qu’ils me servent à faire des largesses aux pauvres, à recevoir l’étranger, à suivre l’avis de Paul : « Ordonnez aux riches de ce monde », a-t-il dit à Timothée, « ordonnez-leur de n’être point orgueilleux, de ne mettre point leur confiance dans les richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant qui nous donne avec abondance ce qui est nécessaire à la vie ; d’être bienfaisants, riches en bonnes œuvres, de donner de bon cœur, de faire part de leurs biens, de se faire un trésor et un fondement solide pour l’avenir, afin d’embrasser la véritable vie[247] ». Voilà des œuvres que je ne ferai plus, dès que tu m’enlèves mes biens. En serai-je amoindri devant Dieu, pour vouloir sans pouvoir ? Serai-je à ce point sourd à la parole des anges : « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté[248] » ? Enlève donc mon superflu. Nous n’avons rien apporté sur la terre, et nous n’en pouvons rien emporter. « Ayant de quoi nous nourrir et nous vêtir, nous devons nous en contenter[249] ».

5. Mais, dit le persécuteur, j’enlèverai la nourriture et le vêtement. Voilà le combat qui commence. L’ennemi sévit avec plus de violence. Il n’y a plus de superflu, nous voici au nécessaire. « Ne vous éloignez pas de moi, parce que la tribulation est proche[250] ». Rien n’est plus proche de notre âme que notre chair. C’est dans la chair que se font sentir et la faim, et la soif, et la chaleur. C’est là que je veux te voir, ô courageux martyr ! noble témoin de Dieu ! Vois ! me dit-il, vois ! « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? A quoi bon tes menaces, de m’enlever la nourriture et le vêtement ? Sera-ce la tribulation, l’angoisse, la faim, la nudité ?[251] » Tourne ailleurs tes menaces. Je t’enlèverai ton ami, j’égorgerai sous tes yeux ceux qui te sont les plus chers, je massacrerai ton épouse et tes enfants ! Tuer, tuer, dis-tu ? Qu’ils ne renoncent pas au Christ, et tu ne les tueras pas. Comment, tu ne saurais m’effrayer pour moi-même, et tu m’effraieras pour les miens ? Si les miens ne renoncent pas, tu ne saurais les tuer ; s’ils renoncent, tu ne tueras que des étrangers. Que le persécuteur insiste, et que dans sa fureur il s’écrie : Si tu n’as nul souci des tiens, c’est toi que je priverai de cette lumière. De cette lumière ? Mais de la lumière éternelle ? De quelle lumière pourras-tu me priver ? De celle qui m’est commune avec toi ? Elle n’est pas grande, celle dont tu jouis. Mais, pour cette lumière, je ne veux point renoncer à la lumière. Car, « il était la lumière véritable[252] ». Je sais encore à qui je dois dire : « En vous est la source de la vie, et c’est dans votre lumière que nous verrons la lumière[253] ». Ôte-moi cette vie, ôte-moi cette lumière, j’aurai une autre vie, j’aurai une autre lumière. J’aurai une vie que tu ne pourras tuer en moi, j’aurai une lumière que, non-seulement toi, mais aucune obscurité ne pourra me dérober. Le martyr a triomphé, et pourrions-nous rencontrer quelque part un plus noble combat ? Sans le menacer de la mort, le persécuteur en veut à son salut, il le laboure de ses ongles, le déchire dans les tourments, il l’expose aux flammes, à la fureur des bêtes ; et c’est lui qui est vaincu. Pourquoi est-il vaincu ? « Parce que nous pouvons tout surmonter en celui qui nous a aimés[254] ».

6. Donc, mes frères, ne renonçons au Christ ni pour notre superflu, ni pour notre nécessaire. Nul n’est plus nécessaire que lui. J’appelais nécessaires, la santé, un ami. Pour la santé, te voilà pécheur, apostat du Christ. Mais ton amour de la santé te fait manquer la véritable santé. Pour ton ami, te voilà pécheur, et pour ne point l’offenser tu renies le Christ. Hélas ! malheur à nous ! Il suffit souvent de rougir pour le renier. Il n’y a là ni violence de la persécution, ni spoliation de l’exécuteur, ni menace de bourreau ; tu crains seulement de déplaire à un ami, et tu renies ton Dieu. Je vois ce que t’a enlevé un ami ; montre-moi ce qu’il pourra te donner. Oui, que pourra-t-il te donner ? Ses amitiés qui seront une source de péché pour toi, qui t’envelopperont et feront de toi un ennemi de Dieu. Celui-là ne serait point ton ami, si tu savais l’aimer. Mais parce que tu es son ennemi, tu prends pour un ami ton propre ennemi. Comment cet homme peut-il être ton ami ? Parce que tu aimes l’iniquité. « Or, aimer l’iniquité, c’est haïr son âme[255] ». Toutefois on ne renie point le Christ, pour plaire à un ami impie et pervers, on ne le renie point toujours, mais cet impie blasphème le Christ, cet impie l’accuse, et un fidèle n’ose le défendre, il en rougit, il l’abandonne ; au lieu de le prêcher, il se tait. Le blasphème se répand, la louange se tait. Combien de crimes l’on commet, sous prétexte du nécessaire, pour la nourriture, pour le vêtement, pour la santé, pour un ami, et tout ce que l’on recherche ainsi n’en périt que plus sûrement. Mais si, au contraire, tu méprises les biens du temps, Dieu te donnera les biens éternels. Méprise la santé, et tu auras l’immortalité ; méprise la mort, et tu auras la vie ; méprise les honneurs, tu auras une couronne ; méprise l’amitié d’un homme, tu auras l’amitié de Dieu. Et là même où tu jouiras de l’amitié de Dieu, tu ne seras pas sans amitié du prochain. Tu auras pour amis ceux dont nous lisions tout à l’heure les actes et les confessions.

7. Nous venons d’entendre les actes virils des hommes, leurs vaillantes confessions. Nous venons d’entendre ces femmes, oublieuses de leur sexe, et s’attachant au Christ, non plus comme des femmes. Or, là-haut nous formerons avec ces bienheureux cette amitié pure de toute convoitise charnelle, et nous n’aurons de commun avec nos amis que les jouissances de la sagesse. Voilà ce que nous perdrons, si nous aimons les biens d’ici-bas, jusqu’à renier le Christ. C’est là que la mort du prochain n’aura rien d’effrayant pour nous. Il n’y a nul deuil à redouter, dès lorsqu’on jouit de la vie éternelle, et le nécessaire ne sera plus dans cette parole « Ayant la nourriture et le vêtement, nous devons être satisfaits ». Notre vêtement sera l’immortalité, notre nourriture la charité ; la vie sera sans fin, nous n’y ferons plus de ces œuvres que l’on appelle bonnes œuvres, et toutefois nous ne saurions y parvenir qu’en les faisant ici-bas. On ne te dira plus : « Partage ton pain avec celui qui a faim[256] », puisqu’il n’y aura nul affamé. On ne te dira point : Donne l’hospitalité, puisqu’il n’y aura point d’étranger. On ne te dira point : Délivre l’opprimé, puisqu’il n’y aura nul oppresseur. On ne te dira point : Accommode ces différends, puisqu’il y aura une paix inaltérable. Voyez, mes frères, combien on souffre ici-bas pour acquérir cette paix, que nous posséderons où nous ne pourrons plus périr. Tu veux la santé ? Méprise-la, et tu la trouveras. Tu renies le Christ parce que tu crains d’offusquer l’amitié des hommes ? Confesse le Christ, et tu auras pour amies, et la cité des anges, et la cité des patriarches, et la cité des prophètes, et la cité des apôtres, et la cité des martyrs, et la cité de tous les fidèles qui auront fait le bien. Car c’est elle que le Christ a fondée pour l’éternité[257].

DIX-SEPTIÈME SERMON.
POUR LA FÊTE DES MACHABÉES (I).[258]

ANALYSE. —1. Les paroles de l’Évangile regardent tous les âges. —2. Exposition de la parabole de la construction de la tour, et des deux rois. —3. Le jeune homme riche qui veut se joindre au Christ. —4. Après les apôtres, beaucoup de Juifs convertis, et beaucoup de chrétiens ont renoncé à leurs biens. —5. Comment nous devons faire preuve de notre foi au Christ, même dans ce qui est de chaque jour. —6. Les promesses doivent nous exciter à faire preuve de notre foi. —7. Combat des Machabées avec les spectacles profanes. —8,9. Éloignement qu’il faut avoir pour les spectacles profanes.

1. L’Évangile, la parole vive du Seigneur, qui pénètre au vif de l’âme, qui s’adresse au plus intime du cœur, s’offre à nous tous pour notre salut, et ne revient à l’homme, qu’à la condition que l’homme revienne à lui-même. Voilà que, devant nous, se pose comme un miroir dans lequel nous devons nous considérer, et si notre visage accuse à nos regards quelque tache, il nous la faut essuyer avec grand soin, de peur qu’un second retard ne nous oblige de rougir. La foule suivait le Seigneur, comme nous l’avons entendu à la lecture de l’Évangile, et il se tourne vers ceux qui le suivaient, pour leur parler. Car s’il n’eût adressé qu’aux seuls apôtres les enseignements qu’il donna, chacun de nous eût pu dire : C’est pour eux, et non pour nous qu’il a parlé. Autres, semble-t-il, sont les enseignements adressés aux pasteurs, autres ceux qui s’adressent aux troupeaux. Le Sauveur s’est adressé à ceux qui le suivaient, donc à vous tous, et à nous tous. Et parce que nous n’étions pas encore, il ne faut pas croire qu’il n’a point parlé pour nous. Nous croyons en effet en ce même Dieu qu’ils ont vu ; nous tenons, par la foi, à celui qu’ils ont considéré des yeux ; l’important n’était pas de voir le Christ des yeux de la chair ; autrement la nation juive serait arrivée la première au salut, puisqu’il est certain que les juifs l’ont vu et néanmoins l’ont méprisé, et, de plus, après l’avoir vu et méprisé, l’ont mis à mort. Mais nous, assurément, nous ne l’avons pas vu, et néanmoins nous croyons en lui, et néanmoins notre cœur fait accueil à celui que n’ont point vu nos yeux. De là cette parole adressée à l’un des siens qui était parmi les douze : « Parce a que tu as vu, tu as cru. Bienheureux ceux qui ne voient point, et qui croient[259] ». Que Jésus-Christ notre Seigneur et Sauveur soit maintenant devant nous en sa chair et garde le silence, que nous en reviendra-t-il ? Mais si sa parole a été utile, il parle maintenant, quand on nous lit l’Évangile. Toutefois, comme Dieu il nous procure de grands avantages par sa présence. Où donc n’est pas Dieu, et quand serait-il éloigné ? Toi, ne t’éloigne pas de Dieu, et Dieu sera avec toi. L’important, c’est qu’il nous a fait une promesse, et que nous tenons cette promesse écrite comme une cédule. « Voilà que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles[260] ». C’est nous qu’il avait en vue, c’est à nous qu’il promettait.

2. Revenons donc à notre sujet, écoutons ses paroles, et, comme je l’ai déjà dit, considérons-nous, afin d’essuyer avec soin tout ce que nous verrons faire tache à notre beauté, qui plaît à ses yeux. Et comme nous ne saurions suffire, implorons son secours. Qu’il nous réforme celui qui nous a formés, que le Créateur nous crée de nouveau, afin que, ayant semé en nous le froment, il récolte en nous aussi un froment parfait. Voici donc ses paroles : « Quel homme, voulant bâtir une tour, ne se rend pas compte auparavant de la dépense nécessaire, pour savoir s’il peut l’achever ? De peur que, s’il jette les fondements et ne puisse terminer, ceux qui passeront par là ne disent : Voilà un homme qui a commencé à bâtir sans pouvoir achever. Ou bien, quel est encore le roi qui, voulant combattre un autre roi, n’examine pas, auparavant, s’il peut marcher avec dix mille hommes contre celui qui en a vingt mille ? Et, s’il ne le peut, il lui envoie demander la paix quand il est encore loin ». Et voici la conclusion qu’il donne à ces deux comparaisons : « De même, tout homme qui ne renonce point à tout ce qu’il possède ne saurait être mon disciple[261] ». Or, s’il n’y a que les disciples présents pour porter ce nom, ces paroles ne s’adressent point à nous. Mais comme, selon le témoignage de l’Écriture, tous les chrétiens sont disciples du Christ : « Car vous « n’avez qu’un seul maître qui est le Christ »[262], que celui-là seul renonce à être disciple du Christ, qui ne veut point le Christ pour maître. Ce n’est point, en effet, parce que nous vous parlons d’un lieu plus élevé, que nous sommes des maîtres pour vous. Car c’est le maître de tous qui a sa chaire par-dessus tous les cieux, et vous et nous sommes condisciples ; seulement, nous sommes des moniteurs, comme les plus élevés en classe. Il y a donc une tour et des dépenses, la foi et la patience. La tour c’est la foi, les dépenses sont la patience. Quiconque ne saurait supporter les peines de cette vie, est au-dessous des dépenses. Le roi méchant qui marche avec vingt mille hommes, c’est le diable ; et celui qui marche avec dix mille, c’est le chrétien. Un contre deux ; la vérité contre le mensonge, la simplicité contre la duplicité ; sois simple de cœur ; loin de toi toute hypocrisie, qui montre une chose et en fait une autre, et tu vaincras la duplicité qui se transforme en ange de lumière. D’où viennent et où sont ces dépenses ? Où est cette simplicité parfaite, absolument stable et inébranlable dans sa persévérance ? Dans la parole qui suit et qui nous paraît dure : c’est-à-dire, comme nous l’avons avancé, que la parole, de Dieu n’est flatteuse pour personne. Celle-ci, par exemple : « Quiconque ne renonce point à tout ce qu’il possède, ne saurait être mon disciple ». Beaucoup l’ont fait et se sont anéantis avant d’être pressés par la persécution, et ont renoncé à tout ce qu’ils avaient au monde pour suivre le Christ. Ainsi en fut-il des Apôtres, qui dirent : « Voilà que nous avons tout abandonné pour vous suivre[263] ». Toutefois eux-mêmes n’ont pas abandonné de grands biens, puisqu’ils étaient pauvres ; mais, à nos yeux, vaincre toutes les convoitises, c’est abandonner de grandes richesses.

3. Enfin, les disciples tinrent ce langage au Seigneur, quand s’en alla, tout triste, le jeune homme riche qui avait recueilli de la bouche du Maître le plus véridique, le conseil de la vie éternelle qu’il avait demandé. Un jeune homme riche était venu en effet trouver le divin Maître, et lui avait dit : « Bon Maître, quel bien dois-je faire pour acquérir la vie éternelle ? » On dirait que parmi les interminables délices de ses richesses, il ressentait l’aiguillon de la mort à venir, et séchait de dépit ; car il savait qu’il n’emporterait rien avec lui de ses grands biens, et son âme dénuée de tout gémissait au milieu des richesses du temps. Environné de biens, il disait, ce semble, en lui-même : Tout cela est bien, tout cela est beau, tout cela est délicieux, tout cela est agréable ; mais quand viendra l’heure unique, l’heure dernière, il faudra tout abandonner, rien de tout cela ne s’emporte. Il ne reste que la vie et la conscience ; oui, après le corps, la vie de l’âme, et uniquement la conscience. Et si la conscience est mauvaise, ce n’est plus une vie, mais une autre mort, qu’il faut appeler, et la pire des morts. Rien en effet n’est pire que la mort, sinon cette mort qui ne meurt point. Telles étaient, au milieu de ses délices, les pensées de ce jeune homme si riche qui vient trouver le Sauveur. Il se disait donc : Si je puis avoir la vie éternelle après ces grandes richesses, quel bonheur surpassera le mien ? De là cette inquiétude qui le porte à interroger et à dire : « Bon Maître, que ferai-je pour acquérir la vie éternelle ?[264] » Et le Seigneur lui répondit tout d’abord : « Pourquoi m’appeler bon ? Il n’y a de bon que Dieu seul [265] ». Ce qui revient à dire : Nul ne peut te rendre heureux, que Dieu seul. Les biens que possèdent les riches sont des biens, à la vérité, mais qui ne rendent pas bons leurs possesseurs. Si ces biens rendaient bons, l’homme serait d’autant supérieur en bonté, qu’il l’est en richesses. Mais quand nous les voyons d’autant plus mauvais qu’ils sont plus ripes, assurément il nous faut chercher d’autres biens qui nous fassent bons. Ce sont les biens que ne peuvent avoir les méchants : la justice, la piété, la tempérance, la religion, la charité, le culte de Dieu, et Dieu enfin. Tel est le bien qu’il nous faut rechercher, et nous ne pourrons l’avoir qu’en méprisant les autres.

4. Est-ce à moi de vous ménager, quand l’Évangile n’a de ménagements ni pour vous, ni pour nous ? Je me borne à exalter votre charité, mes frères, selon cette parole de l’Apôtre : « Le temps est court. Il faut, dès lors, que ceux qui ont des femmes soient comme n’en ayant pas, et ceux qui pleurent, comme ne pleurant point, et ceux qui se réjouissent, comme ne se réjouissant pas, et ceux qui achètent comme n’achetant point, et ceux qui usent des choses de ce monde, comme n’en usant pas[266] ». Les Apôtres donc abandonnèrent tout ce qu’ils possédaient, et de là cette parole de Pierre : « Voilà que nous avons tout abandonné ». Qu’as-tu abandonné, Pierre ? Une barque, un filet ? J’ai abandonné l’univers entier, me répondrait-il, puisque je ne me suis rien réservé. La pauvreté chez tous, c’est-à-dire chez tous les pauvres, n’a que peu de biens, mais elle a de grands désirs. Et Dieu ne regarde pas ce qu’elle possède, mais ce qu’elle désire. C’est notre volonté qui est jugée, et que sonde invisiblement celui qui est invisible. Ils ont donc tout abandonné, et abandonné l’univers entier, parce qu’ils ont renoncé à toute espérance dans ce monde, et qu’ils ont suivi celui qui a créé le monde et cru en ses promesses, ainsi que beaucoup l’ont fait dans la suite. Est-il étonnant, mes frères, que des hommes l’aient fait ? Ceux-là mêmes l’ont fait, qui ont mis à mort le Sauveur. Là, dans Jérusalem, après que le Seigneur fut monté aux cieux, et eut, dix jours après, accompli sa promesse par l’envoi du Saint-Esprit, les disciples, remplis de l’Esprit-Saint, parlèrent les langues de toutes les nations[267]. Alors beaucoup de Juifs qui étaient à Jérusalem, et qui les entendaient, pleins d’admiration poux ces dons de la grâce du Sauveur, et se demandant avec stupeur d’où venait ce prodige, reçurent des Apôtres cette réponse, que celui qui opérait ces prodiges par son Esprit-Saint, était celui-là même qu’ils avaient mis à mort, et demandèrent comment ils pourraient être sauvés. Ils étaient en effet saisis de désespoir, et ne pensaient point qu’ils pussent obtenir le pardon de ce crime énorme, d’avoir mis à mort le Maître de toutes créatures. Or, les Apôtres les consolèrent, leur promirent le pardon, et cette promesse du pardon leur fit embrasser la foi, et devenus d’autant meilleurs qu’ils avaient eu plus de crainte, ils vendaient leurs biens pour en apporter le prix aux pieds des Apôtres. La crainte leur extorqua leurs délices. Voilà ce que firent ceux qui avaient mis à mort le Seigneur ; beaucoup d’autres l’ont fait depuis, et le font encore. Nous le savons, nous en avons des exemples, beaucoup nous donnent cette consolation, beaucoup cette joie, parce que la parole du Seigneur n’est point inutile pour eux, puisqu’ils l’écoutent avec foi. Mais quelques-uns qui n’agirent point ainsi, n’ont-ils pas été éprouvés par la persécution ? Oui, parce qu’ils usaient de ce monde comme n’en usant pas. Non-seulement des hommes du peuple, non-seulement des artisans, non seulement des pauvres, des indigents, des gens médiocres, mais des grands, mais des riches, mais des sénateurs, mais des femmes illustres, en face de la persécution, ont su renoncer à leurs biens, afin d’élever leur tour et de vaincre, par la simplicité du courage et de la piété, la duplicité et les artifices du diable.

5. Jésus-Christ donc, Notre-Seigneur, nous exhortant au martyre, a dit : « De même, celui qui ne renonce point à tout ce qu’il possède, ne saurait être mon disciple ». C’est donc à toi que je m’adresse, ô âme chrétienne ! Si je te répète ce qui fut dit au riche : « Va, et toi aussi vends ce que tu as, et tu posséderas un trésor dans le ciel, puis viens et suis le Christ », t’en iras-tu avec tristesse ? Car le jeune homme de l’Évangile s’en alla triste. Et pourtant, il n’y a que le chrétien pour comprendre ces paroles. Or, pendant qu’on lisait l’Évangile, as-tu bien pu boucher tes oreilles, contrairement à ton salut ? Tu as entendu ceci : « Quiconque ne renonce à tout ce qu’il possède ne saurait être mon disciple[268] ». Réfléchis donc en toi-même : Te voilà devenu fidèle, tu es baptisé, tu as embrassé la foi. Tu n’as pas abandonné tes biens, mais j’en appelle à ta foi. Comment as-tu pu croire ? Voici pour ta foi le danger. On te dit : Si tu persistes, je saisis ton bien. C’est ton âme que j’interroge ; si tu dis en ton âme : Qu’il prenne ce que je possède, mais je n’abandonne point ma foi1 tu possèdes et tu as néanmoins renoncé. Et tu possèdes sans être possédé. Ce n’est pas posséder qui est un mal, mais bien être possédé. Oui, le mal est d’être possédé. Toutefois, il n’y a point de persécution, et tu n’as aucun moyen de prouver à Dieu la fidélité à tes promesses ? Les affaires de chaque jour sont pour l’homme une épreuve. Mais qu’arrivera-t-il, si quelqu’un t’excite au faux témoignage, un homme puissant, que l’on puisse craindre ici-bas, s’il te menace, et s’il peut réellement nuire, qu’arrivera-t-il s’il te vient demander un faux témoignage ? Il ne te dit point : Renonce au Christ ; car c’est contre cela que tu étais prêt. Mais, dans sa duplicité, il s’insinue chez toi d’une manière que tu n’attendais pas et à laquelle tu n’étais point préparé. Fais-moi, dit-il, ce faux témoignage. Si tu ne le fais, je m’en vengerai de telle ou telle manière. Il menace de la proscription, de la mort. C’est là qu’il te faut éprouver, qu’il faut veiller sur toi. Feras-tu le faux témoignage ? C’est renier le Christ qui a dit : « Je suis la vérité[269] ». Tu as fait un faux témoignage, tu, as donc parlé contre la vérité, et dès lors renié le Christ. Or, que pouvait te faire cet homme en te menaçant de la proscription ? Te rendre pauvre ? Mais de quoi peux-tu manquer, si Dieu est avec toi ? Mais sa menace était plus grave. Comment plus grave ? Il menaçait de te tuer. Ta chair, est-ce ton âme ? Tu considères la menace, et non ce que tu dois faire. Cet adversaire menaçait de tuer ta chair. « Or, la bouche qui ment tue l’âme[270] », est-il dit. Vous voilà deux, ton ennemi et toi ; et toutefois, c’est un homme comme toi. Vous avez tous deux une chair corruptible, tous deux une âme immortelle, tous deux vous passerez dans le temps, et n’êtes sur la terre que des étrangers et des pèlerins. Lui te menace de la mort, ne sachant pas s’il ne mourra point avant d’avoir accompli sa menace ; et toutefois, admettons que cette menace il l’accomplisse : examinons lequel des deux, lui ou toi, est plus ennemi de toi-même. Il prend une hache pour tuer ta chair, et toi la langue du mensonge pour tuer ton âme. Quel glaive a frappé ? lequel a donné une mort plus déplorable ? lequel a pénétré plus avant ? L’un a pénétré jusqu’aux os, jusqu’aux entrailles, toi jusqu’au cœur. Or, tu n’as plus rien d’intact dès que ton cœur est perdu. « La bouche qui ment tue », est-il dit, non le corps, mais l’âme.

6. Tels sont journellement les efforts des hommes. Quand on se trouve en face de l’iniquité, sur le point, ou de commettre l’iniquité, ou d’endurer ce qu’il plaît à Dieu de nous faire endurer en cette vie, vois dès lors le double ennemi, vois les défenses de cette tour. Mais la pensée te fait défaillir ; invoque alors celui qui a donné des préceptes. Qu’il aide ses préceptes en toi, et il te rendra de lui-même ce qu’il a promis. Or, que t’a promis Dieu ? Que dirai-je, mes frères, pour stimuler nos désirs ? Que dirai-je ? Est-ce de l’or ? Est-ce de l’argent ? Des domaines, des honneurs ? Tout ce que nous connaissons sur la terre ? Tout cela est vil. Mais « l’œil n’a point vu, l’oreille n’a point entendu, le cœur de l’homme n’a jamais compris ce que Dieu a préparé à ceux qui l’aiment[271] » ; en un mot, ce ne sont plus des promesses, c’est Dieu lui-même. Il est plus grand que tout, celui qui a tout créé. Il est plus beau que tout, celui qui a donné à chaque objet sa beauté. Il est plus puissant que tout, celui qui a donné la force à tout ce qui est fort. Donc, tout ce que nous aimons sur la terre, n’est rien en comparaison de Dieu. C’est peu dire, tout ce que nous aimons n’est rien, mais nous-mêmes ne sommes rien. Celui qui aime doit se mépriser en comparaison de ce qu’il doit aimer. Telle est la charité qui nous est ordonnée : « De tout notre cœur, de toute « notre âme, de tout notre esprit ». Mais le Seigneur ajoute : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Ces deux préceptes résument toute la loi et les Prophètes[272] ». Ce qui te laisse à comprendre qu’aimer le Seigneur c’est t’aimer toi-même ; et que ne pas aimer le Seigneur, au contraire, c’est ne point t’aimer. Si donc tu aspires à t’aimer en aimant le Seigneur, élève ton prochain jusqu’à Dieu, afin de jouir du bien, et de ce grand bien qui est Dieu.

7. Tout à l’heure nous avons eu en spectacle ce grand combat des sept frères et de leur mère. Noble lutte, mes frères, si nos esprits ont su la considérer ! Comparez à ce saint combat les plaisirs voluptueux des théâtres. Là, les yeux sont souillés ; ici, les cœurs purifiés ; ici, il y a gloire pour le spectateur, s’il devient imitateur ; là, honte pour le spectateur, et infamie pour l’imitateur. Enfin j’aime les martyrs et je considère les martyrs. Quand on lit les souffrances des martyrs, je regarde. Dis-moi : Sois martyr, c’est un éloge. Pour toi, vois le mime, vois le pantomime ; et je te dirai : Sois semblable, et ne t’en fâche pas. Que si cette parole : Sois semblable, vient à t’irriter, voilà que tu es accusé non par mes paroles, mais par ta colère. Ta colère fait juger de toi-même ; car tu aimes ce que tu redouterais d’être. Le spectacle des saints Machabées, dont nous solennisons aujourd’hui la victoire, nous vient à propos afin de dire un mot à votre charité, au sujet des spectacles du théâtre. O mes frères de Bulla[273] ! dans toutes les villes qui vous environnent, la licence qui règne chez vous consterne la piété. Ne rougissez-vous point d’être les derniers à donner asile à ces vénales turpitudes ? Sur ces marchés romains, dans ces grands encans, où vous achetez le blé, le vin, l’huile, des animaux, du bétail, y a-t-il donc un charme pour vous à trafiquer de la honte, à l’acheter ou à la vendre ? Et quand les étrangers viennent dans ces contrées, pour ces échanges, si on leur disait : Que cherchez-vous ? des mimes ? des prostituées ? vous en trouverez à Bulla ; serait-ce pour vous un honneur, pensez-vous ? Pour moi, je ne vois point de plus grande infamie. Oui, mes frères, c’est la douleur qui me fait parler, mais toutes les villes qui vous environnent vous condamnent et devant les hommes et au jugement de Dieu. Quiconque veut suivre le mal prend exemple sur vous dans notre Hippone, où tout cela est fini depuis longtemps ; c’est de votre ville que l’on nous amène ces infamies. Mais, direz-vous, en cela nous ressemblons à Carthage. 2 y a sans doute à Carthage un peuple saint et religieux, mais la foule est si nombreuse dans cette grande cité, que chacun peut rejeter cela sur les autres. Ce sont des païens, ce sont des Juifs qui agissent ainsi, peut-on dire à Carthage, mais ici il n’y a que des chrétiens, et des chrétiens agissent de la sorte ! C’est avec une douleur bien vive que je vous parle ainsi. Puissiez-vous un jour, en vous corrigeant, guérir la blessure de notre cœur ! Nous le disons à votre charité : Nous connaissons au nom du Seigneur, et votre ville et les villes voisines, nous savons quelle en est la population, quel en est le peuple. Pouvez-vous n’être point connus de celui qui est constitué pour vous dispenser la parole de Dieu et les sacrements ? Qui peut se disculper de cette honte ? Voici des spectacles. Que les chrétiens s’abstiennent, et nous verrons si le vide n’est pas tel, qu’il fera rougir la turpitude elle-même. Voyons si ces personnages infâmes ne finiront point par secouer leurs chaînes pour se tourner vers Dieu, ou abandonner cette ville, s’ils veulent persévérer dans leur honteux métier. Procurez-vous cet honneur, ô chrétiens ; ne hantez plus les théâtres.

8. Mais je ne vous vois ici qu’en petit nombre. ##Rem voici que viendront les jours de la passion du Christ, que viendra Pâques, et ces lieux seront trop étroits pour votre multitude. Ils occuperont donc ces places, ces mêmes hommes qui remplissent aujourd’hui les théâtres ? Ah ! comparez les lieux, et frappez vos poitrines. Vous direz peut-être : s’abstenir, c’est bien pour vous, qui êtes clercs, qui êtes évêques ; mais nous sommes laïques. Quelle justesse voyez-vous donc dans cette excuse ? Eh ! que sommes-nous si vous venez à périr ? Autre est ce que nous sommes pour nous, et autre ce que nous sommes pour vous. C’est pour nous que nous sommes chrétiens, pour vous seulement que nous sommes clercs et évêques. Ce n’est ni aux clercs ni aux évêques, ni aux prêtres que s’adressait l’Apôtre quand il disait : « Vous êtes les membres du Christ[274] » ; c’est à la multitude, c’est aux fidèles, c’est aux chrétiens qu’il disait. « Vous êtes les membres du Christ ». Voyez de quel corps vous êtes les membres, voyez sous quelle tête vous vivez dans l’union d’un même corps. Je reprends donc les paroles de l’Apôtre : « Prendrai-je les membres du Christ, pour en faire les membres d’une prostituée ? » Et nos chrétiens non-seulement aimeront, mais encore établiront des prostituées ? Non-seulement ils aiment celles qui l’étaient, mais ils en font de celles qui ne l’étaient point, comme si ces femmes n’avaient point une âme, comme si le sang du Christ n’eût pas été répandu pour elles, comme s’il n’était pas dit : « Les prostituées et les publicains entreront avant vous dans le royaume des cieux[275] ». Et dès lors, quand il nous faut les gagner à la vie, on choisit de périr avec elles, et c’est là le fait des chrétiens ! je n’oserais dire des fidèles. Un catéchumène se méprisant lui-même, nous dira : Je ne suis qu’un catéchumène. Comment, tu es catéchumène ? Oui, catéchumène. Autre est donc ton front marqué du signe du Christ, et autre ton front pour aller au théâtre ? Tu veux y aller ? Change ton front, et va ensuite. Mais ce front que tu ne saurais changer, garde-toi de le perdre. Le nom du Seigneur est invoqué sur toi, le nom du Christ est invoqué sur toi, Dieu est invoqué sur toi, le signe de la croix du Christ a été marqué, peint sur ton front. C’est vous tous que j’exhorte, mes frères, à vous tous que je m’adresse. Vous verrez combien le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ sera bien plus glorieux pour vous.

9. Oserai-je vous dire : Imitez la ville qui vous avoisine ? Imitez la ville de Simittu[276] qui est proche ? Je n’en dis pas davantage. Ou plutôt parlons plus clairement au nom du Seigneur Jésus. Là nul n’entre au théâtre nul libertin n’est resté là. Un légat voulut y rétablir ces obscénités ; nul homme de la haute ni de la basse classe n’y mit le pied ; pas un juif n’y entra. N’y a-t-il pas là des habitants honorables ? n’y a-t-il pas là une cité ? Cette colonie n’est-elle pas d’autant plus honorable qu’il y a moins de ces obscénités ? Je ne vous tiendrais pas ce langage, si j’entendais dire de vous le même bien. Mais je crains que mon silence n’attire sur moi une semblable condamnation. Dieu donc a voulu, mes frères, que je vinsse à passer par ici. Mon frère m’a retenu[277], m’a commandé, m’a supplié, m’a forcé de vous prêcher. Que dire, sinon ce que je redoute le plus ? Que dire, sinon ce qui m’est le plus douloureux ? Ne savez-vous point que moi, que nous tous, nous rendrons compte à Dieu de vos louanges ?[278] » Croyez-vous que ces éloges soient un honneur pour nous ? C’est une charge plus qu’un honneur. Il nous sera demandé un compte sévère de ces louanges, et je crains sérieusement que le Christ ne nous dise au jour de son jugement : Mauvais serviteur, vous receviez volontiers les acclamations de mon peuple, et vous gardiez sur leur mort un coupable silence. Mais le Seigneur notre Dieu nous accordera d’entendre à l’avenir du bien de vous, et dans sa miséricorde, il nous consolera par votre conversion. Ma joie sera d’autant plus grande alors que aujourd’hui ma tristesse est plus profonde.

DIX-HUITIÈME SERMON.
POUR LA FÊTE DU MARTYR QUADRATUS[279].

ANALYSE. —1. Trois sortes d’hommes vont à Dieu. —2. L’exemple de saint Paul leur est proposé. —3. Autre est celui qui voyage parfaitement, autre celui qui arrive parfaitement, ce qu’on voit dans saint Quadratus. —4. Donner maintenant à la justice autant qu’on a donné auparavant à l’impureté. —5. Et même on doit plus donner à la justice. —6. Et cela en dehors de tout respect humain. —7. Principalement à l’égard des païens qui insultent aux Chrétiens.

1. Le Seigneur notre Dieu nous a fait cette grâce, dont nous le remercions, de vous voir et d’être vu par vous. Et si nous voir en cette chair mortelle, « a rempli de joie notre bouche, et notre langue d’allégresse[280] », que sera-ce quand nous nous retrouverons dans ces lieux où nous n’aurons plus aucune crainte ? L’Apôtre l’a dit : « Nous jouissons dans l’espérance[281] ». Notre joie ici-bas est donc dans l’espérance, et non dans la réalité. « Or, l’espérance que l’on voit n’est déjà plus l’espérance ; comment espérer ce que l’on voit ? Si donc nous espérons ce qui est invisible pour nous, nous l’attendons par la patience[282] ». Or, si des compagnons de voyage se réjouissent quand ils sont en chemin, quelle ne sera point leur joie dans la patrie ? Telle est la voie sur laquelle ont combattu les martyrs, et en combattant ils marchaient, et en marchant ils n’hésitaient point. Aimer, en effet, c’est marcher. Or, ce n’est point avec des pas, mais avec l’amour que l’on va vers Dieu. Notre voie veut donc des marcheurs[283]. Mais il y a trois sortes d’hommes que voit le Seigneur : l’homme qui s’arrête, l’homme qui rebrousse chemin, et l’homme qui s’égare. Avec le secours de Dieu, puisse notre voyage être affranchi, délivré de ces trois maux ! Et toutefois, quand nous marchons, l’un va plus lentement, l’autre plus vite ; tous deux marchent néanmoins. Il faut donc stimuler ceux qui s’arrêtent, rappeler ceux qui retournent, ramener au bon chemin ceux qui s’égarent, exhorter les retardataires, imiter ceux qui précipitent la marche. Ne faire aucun progrès, c’est s’arrêter en chemin. Abandonner une bonne résolution pour revenir à ce qu’on avait délaissé, s’appelle rebrousser chemin. Abandonner la foi, c’est errer. Occupons-nous de ceux qui ralentissent leur marche, en comparaison des plus empressés, mais qui marchent néanmoins.

2. Quel est l’homme qui ne marche point ? Celui qui s’est cru sage, qui a dit : Il me suffit d’être comme je suis ; qui n’écoute point cette parole : « J’oublie ce qui est en arrière, pour m’étendre à ce qui est devant « moi, pour atteindre ce but auquel je suis « appelé par Dieu en Jésus-Christ[284] ». L’Apôtre dit qu’il court ; il dit qu’il cherche. Il ne s’arrête point et ne regarde pas en arrière, lui qui enseignait la voie, qui la suivait, qui la montrait. Pour nous faire imiter sa vitesse, il nous dit : « Soyez mes imitateurs, comme je le suis du Christ ». Nous croyons donc, mes frères, marcher avec vous dans la voie ; si nous sommes attardés, devancez-nous. Sans aucune jalousie, nous cherchons quelqu’un à suivre. Si vous trouvez rapide notre course, courez avec nous. Il est un point que tous nous voulons atteindre, soit que nous marchions vite, soit que nous marchions lentement. L’Apôtre nous l’indique : « Il est un point », dit-il, « c’est que, oubliant ce qui est en arrière, et m’étendant à ce qui est devant moi, je me propose d’atteindre la palme à laquelle Dieu m’appelle en Jésus-Christ Notre-Seigneur ». L’ordre de ces paroles est celui-ci : « Je ne poursuis qu’un seul but », Or, pour parler ainsi, qu’avait-il dit auparavant ? « Mes frères, je ne me flatte point d’être arrivé[285] ». Voilà l’homme qui ne s’arrête pas en chemin, qui ne s’imagine pas être arrivé. Le voilà qui ne veut pas d’un long pèlerinage ; le voilà qui ne s’arrête pas en chemin et qui se réjouira dans la patrie : « Pour moi », dit-il ; qui moi ? « moi qui ai travaillé plus que les autres » ; et toutefois, dire : « J’ai travaillé plus que les autres », ce n’est point dire : « Je ne me crois pas arrivé au but ». J’aime qu’il dise : « Pour moi », quand il faut s’humilier, et non s’élever. « Pour moi », dit-il, « autant que j’en puis juger, je ne pense pas avoir atteint le but[286] ». Voilà sa parole. Et quand il dit : « J’ai travaillé plus que les autres », il ajoute : « Non pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi[287] ». Est-ce que la grâce n’a pas atteint le but ? Il a raison de dire ici : « pour moi ». Car ne pas atteindre le but, c’est l’effet de notre faiblesse, et l’atteindre c’est l’effet de la grâce divine, et non de la faiblesse humaine. Qui donc nous montrera la voie ? Qui nous instruira ? Qui pourra convenablement nous convaincre de cette vérité, qui est une vérité indubitable, qu’il n’y a en nous rien qui nous soit propre, sinon le péché ? Voilà ce que doit reconnaître la piété, ce que l’infirmité doit accuser en elle-même, ce que la charité cherche à guérir. « Non que j’aie atteint mon but, ou que je sois parfait[288] ». Et alors il ajoute : « Mes frères, je ne crois pas que j’aie moi-même atteint le but », et quand il nous exhorte à courir et à étendre notre cœur « à ce qui est en avant, nous qui sommes parfaits, a-t-il ajouté, soyons de ce sentiment[289] ». Plus haut il avait dit : « Non que j’aie atteint le but ou que je sois parfait » ; et le voilà qui ajoute : « Nous qui sommes parfaits, soyons de ce sentiment ». Et tout à l’heure, tu voyais de l’imperfection dans un si grand Apôtre, et tu vois maintenant un si grand nombre d’hommes parfaits que tu dis : « Nous qui sommes parfaits, soyons de ce sentiment ». Il y a donc perfection et perfection.

3. Il y a le parfait voyageur, qui n’est point le parfait arrivant : Le parfait voyageur s’avance bien, marche bien, suit le bon chemin ; mais il est voyageur et n’est pas encore au but. Et cela est évident, puisqu’il marche, puisqu’il est en – chemin, qu’il se dirige sur quelque point, et qu’il veut atteindre un but. L’Apôtre non plus, n’avait pas atteint le but où il s’efforçait d’arriver. Il exhorte les parfaits, afin qu’ils sachent qu’ils ne sont point complètement parfaits, qu’ils connaissent leur imperfection. La perfection, pour un voyageur, est de savoir qu’il n’est point arrivé au but qu’il poursuit. Il sait en effet et le chemin qu’il a fait, et celui qui lui reste à faire. Sachons donc bien que nous ne sommes point parfaits, quelle que soit notre perfection, afin de ne point demeurer imparfaits. Que dirons-nous, mes frères ? Le martyr Quadratus[290] n’était-il point parfait ? Quoi de plus parfait que Quadratus ou le carré ? Ses côtés sont égaux, sa forme est partout la même, et sur quelque face qu’on puisse le poser, il se tient debout et ne tombe point. O nom magnifique, qui désigne une figure et présage l’avenir. Il s’appelait déjà Quadratus avant d’être couronné. Alors n’était pas encore venue l’épreuve qui devait montrer cette quadrature, et toutefois ce nom qui lui est donné était, même avant la création du monde, le signe de sa prédestination, et pour être ainsi appelé, il devait souffrir, afin de le justifier ; et néanmoins il marchait, et néanmoins il était encore en voyage, et tant qu’il était dans ce corps mortel, il y avait à craindre, ou qu’il ne demeurât en chemin, ou qu’il ne retournât en arrière, ou qu’il ne sortît de la voie. Maintenant, voilà qu’il a couru, qu’il est au bout de sa route, que son pied est demeuré ferme, et qu’il a trouvé place dans la construction de cette arche du Seigneur, qui dut être, en figure, construite de bois carrés : Maintenant il n’a plus aucune épreuve à redouter. Il a entendu l’appel de Dieu, et Dieu a entendu sa prière, il a suivi son Sauveur, qu’il porte maintenant en lui-même[291]. Il a méprisé les séductions du monde, vaincu ses menaces, échappé à ses violences. Elle est grande, mes frères, la gloire des martyrs, c’est la première dans l’Église. Toutes les autres, quel qu’en soit l’éclat, ne viennent qu’après. Ce n’est pas en effet sans raison qu’il a été dit à quelques-uns : « Vous n’avez pas encore résisté jusqu’au sang, dans la lutte contre le péché[292] ; comment soutenir, comment supporter les violences du monde, si l’on n’en méprise pas les séductions ?

4. Le même Apôtre nous dit : « Je parle humainement, à cause de la faiblesse de votre chair. Comme vous avez fait servir vos membres à l’impureté pour l’iniquité, de même, faites-les servir maintenant à la justice pour votre sanctification[293] ». C’est là sans doute un noble but que l’on nous présente. Que chacun se mesure sur ces paroles de l’Apôtre. Que nul ne se flatte, mais que chacun se pèse et se dise la vérité. Que veut-il entendre de moi ? Qu’il se le dise lui-même. Tout mon but est de vous mettre sous les yeux un miroir où chacun se puisse considérer. Car je ne suis point ce brillant du miroir qui réfléchit à chacun l’image de sa face. Et en parlant de face, je veux dire votre face intérieure. Je puis l’aller trouver par l’oreille, mais je ne saurais la voir. C’est donc un miroir que je propose. Que chacun se considère et renonce à soi-même. Prenez pour miroir les paroles de l’Apôtre, que je viens de citer. « Je parle humainement à cause de la faiblesse de votre chair. Comme vous avez fait servir vos membres à l’immondice pour l’iniquité, ainsi, faites-les servir maintenant à la justice pour votre sanctification ». Qu’est-ce à dire « ainsi ? » Faites l’un dans la proportion que vous avez fait l’autre. Quand tu faisais de tes membres des instruments qui servaient au péché par l’impureté, y trouvais-tu des charmes ? Voilà ma question. Écoute et réponds-moi. Y trouvais-tu des charmes ? Ton silence même est une réponse pour moi. Tu ne l’aurais point fait sans ce plaisir. De même donc que tu as livré tes membres comme instruments d’impureté pour le péché, et que tu as en cela goûté un plaisir, de même qu’il y ait un plaisir pour toi dans la pratique de la justice. Je ne veux point que tu agisses par crainte, dit le Seigneur. Ce que tu faisais, en effet, le faisais-tu par crainte ? « De même », est-il dit, « de même que vous avez livré vos membres comme instruments d’impureté pour l’iniquité, de même aujourd’hui livrez vos membres comme instruments de justice pour la sanctification ». C’est la crainte qui te pousse à la justice, et c’était l’amour qui te faisait courir à l’iniquité. Quoi de plus beau que la sagesse ? je vous le demande. Elle est digne qu’on l’aime, comme l’on aimait l’impureté. Quand tu courais à l’impureté, il y avait une défense, et tu y courais néanmoins. Tu outrageais ton père, et tu y courais. Tu préférais être privé de l’héritage plutôt que de rompre avec la dépravation. Qu’en dis-tu ? La justice exige de toi tout ce que l’impureté avait chez toi. N’avez-vous pas entendu l’Évangile : « Je ne suis point venu apporter la paix, mais le glaive[294] ? » Le Seigneur dit qu’il séparera les fils de leurs parents. Vois alors cette hache à deux tranchants. Peut-être veux-tu servir Dieu, et un père t’en empêche ? Mais quand tu aimais l’impureté, tu y courais malgré ton père, Maintenant c’est la justice que tu aimes qui te l’interdit. Ici encore tu trouveras un père qui la défend. Déploie ici ta liberté, comme tu as déployé ta passion. Tu préférais être privé de l’héritage, plutôt que de rompre avec la dépravation ; préfère maintenant être sans héritage, plutôt que de rompre avec les charmes de la justice. C’est grand, mais c’est juste. Qui donc oserait nous dire : Mais l’impureté a dû être plus aimée que la justice ? La justice, toutefois, se borne pour le moment à une comparaison. Assurément, dit-elle, je ne lui ressemble pas ; il y a un espace immense entre les ténèbres de l’injustice et la lumière que je répands, entré sa dépravation et ma beauté, entre sa laideur et mon éclat. Il y a tout un monde. J’établis néanmoins une comparaison. Telle est ma volonté. Car je dois aller plus loin, oh ! bien plus loin. Plus je suis éloignée, plus je dois marcher. « Mais je parle humainement », je fais une concession à cause de ce qui est humain, pourquoi en faire en ce qui est divin ? « Je parle d’après l’humanité, à cause de l’infirmité de votre chair ». Je dis donc, « de même », par égard pour l’humanité. C’est pourquoi, « de même que vous avez mis vos « membres au service de l’impureté pour l’injustice », de même (vous devez plus faire maintenant sans aucun doute), mais marchez au moins ainsi, arrivez à ce point, pour passer outre ensuite. En attendant, « je le dis par égard pour l’humanité », mais faites l’un comme vous faisiez l’autre.

5. Quadratus fit-il donc ainsi ? Non pas ainsi, mais plus et beaucoup plus. Voyez ces impuretés, et voyez combien exigent de vous davantage, et la piété, et la charité, et la splendeur de la justice, et les douceurs de la sanctification. Voyez ce que tout cela exige en plus de vous. L’homme adonné à l’impureté ne veut point que l’on connaisse ses fautes ; il craint de s’attirer par là une condamnation, il craint la prison, il craint le juge, il craint le bourreau. Il cherche à séduire l’épouse d’un autre, il trompe le mari, il cherche les ténèbres, il redoute surtout un témoin, il craint le juge, il craint d’être connu, parce qu’il craint le châtiment qui en peut survenir. Or, ce qu’exige de plus la beauté de la justice, et que l’Apôtre met de côté, quand il nous dit : « Je parle d’après l’humanité à cause de la faiblesse de votre chair », écoutez-le dans la bouche du Seigneur : « Ce que je vous enseigne dans les ténèbres », c’est-à-dire dans le secret, « dites-le au grand jour, et ce que je vous dis à l’oreille, prêchez-le sur les toits[295] ». Or, l’adultère va-t-il prêcher son déshonneur sur les toits ? Mais pourquoi cet homme, loin de prêcher sa faute sur les toits, cherche-t-il à la cacher sous le toit ? Pourquoi cela ? Parce que si l’amour impur a pu aller jusque-là, néanmoins il craint d’être découvert, il craint le châtiment. Mais les amants de cette invisible beauté, les amants de cette gloire, où nous rencontrons « Celui qui surpasse en beauté les enfants des hommes[296] », les amants de cette beauté, disons-nous, pourquoi ne craignent-ils point de prêcher sur les toits ce qu’ils ont entendu de leurs oreilles ? Cherche ce qui fait craindre à l’un d’être connu et châtié ; cherche aussi ce qui empêche l’autre de rien redouter. Le Seigneur a daigné nous le dire ensuite. Après ces mots : « Ce que je vous enseigne dans les ténèbres, dites-le à la lumière, et ce que je vous dis, prêchez-le sur les toits ; ne craignez pas », a-t-il ajouté, « ceux qui tuent le corps ». Afin d’oser dire en plein jour ce que vous avez entendu dans les ténèbres, et de prêcher sur les toits ce qu’ont entendu vos oreilles : « Gardez-vous de craindre ceux qui tuent le corps[297] ». L’adultère peut craindre ceux qui tuent le corps, car pour lui, perdre le corps c’est perdre le siège des voluptés. Il peut craindre la perte du corps, lui qui vit par le corps ; car c’est par le corps qu’il arrive à l’objet de ses convoitises ; aussi nul plaisir ne peut lui suffire ; il brûle de désirs, jusqu’à ce qu’il arrive aux immondes voluptés du corps. Mais toi, ô homme de Dieu ! si ton cœur a des yeux pour te montrer la gloire de la charité, la gloire de la piété ; si ton cœur a des yeux, vois comment tu pourras jouir de l’objet de ton amour. Pour en jouir, tu n’as nul besoin des membres du corps. Qu’il craigne la mort ce corps qui aime les sordides voluptés, mais « paix sur la terre aux hommes de bonne volonté[298] ».

6. Combien tu es loin de cet amour, ô chrétien ! Puisses-tu en venir à ce degré humain encore, de goûter le plaisir dans le bien, comme tu le goûtais auparavant dans le mal. Si le bien a pour toi des charmes, si la foi dans le Christ a des charmes, s’il y a des charmes pour toi à goûter sa sagesse dans la mesure de tes capacités, si tu trouves des charmes à écouter ses préceptes et à les accomplir, alors il est en toi déjà, ce degré humain, à cause de ton infirmité. Déjà tu commences à goûter le don d’en haut, sans égaler encore Quadratus. Mais, je l’ai dit, une fois arrivé là, continue, tu as encore du chemin à faire ; ne t’arrête point ; tu as beaucoup à travailler encore. Bannis toute crainte, et loin de toi de cacher par crainte tes bonnes œuvres. Ceux qui te blâment, qui te haïssent, que diront-ils ? Te voilà un grand Apôtre tes pieds sont suspendus au ciel. D’où viens-tu ? Et tu n’oserais répondre : de l’église, de peur qu’on n’ajoute : Un sage comme toi ne rougit pas d’aller avec les veuves et les vieilles femmes ? La peur de la raillerie t’empêche de dire : de viens de l’église. Comment supporter la persécution quand on redoute un sarcasme ? Et pourtant nous sommes en temps de paix ; et ce sont les persécuteurs qui doivent rougir. Ils rougissent, ces hommes sans nombre qui sont arrivés, et ils ne rougissent point les quelques-uns qui sont demeurés païens. Où sont arrivés les uns ? où sont demeurés les autres ? Les uns sont arrivés à la lumière de la paix, les autres sont demeurés dans les ténèbres de la confusion. Ne rougirez-vous donc point de rougir quand il faut vous glorifier ? Ils ne rougissent point de leur honte, et vous rougissez de votre gloire ? Où est donc cette parole que vous avez entendue : « Approchez-vous de lui, et soyez éclairés, et la honte ne couvrira point votre visage ?[299] »

7. Si je vous ai tenu ce langage, mes frères, c’est que je sais bien, et j’en suis attristé, que l’on redoute les langues de ces quelques païens, qui sont loin de sévir, qui ne peuvent qu’insulter, et que c’est là ce qui retient les cœurs de ceux qui voudraient croire, et les empêcher de céder aux exhortations des chrétiens. Bornons-nous ici ; que puis-je vous dire encore ? Tu vois qu’on harcèle ce païen, pour l’empêcher d’embrasser la foi chrétienne ; et toi, chrétien, tu gardes le silence et tu prends pour beaucoup d’être épargné, c’est-à-dire de n’être pas insulté ? Quand on détourne cet autre, tu dis en ton cœur : Grâces à Dieu 50##Rem On ne m’a rien dit. Tu fuis ; non ta chair, mais ton esprit ; tu es là, et tu n’en fuis pas moins. Tu crains que cette langue ne se tourne vers toi pour te maudire, et tu ne viens pas en aide à celui que tu dois gagner au Christ. Tu ne lui viens pas en aide, tu gardes le silence ; tu fuis, ai-je dit, non ta chair, mais ton esprit, tues un mercenaire, tu fuis à la vue du loup[300]. Que dirai-je de plus ? Nous venons de l’entendre tous. Que le Seigneur nous inspire de la crainte. Qu’on le craigne, celui qu’on doit aimer. « Quiconque », dit-il, « me confessera devant les hommes ». Et voyez, quand parlait-il ainsi ? Quand ce monde, bien loin de croire, frémissait de colère. « Celui qui rougira de moi devant les hommes, je rougirai de lui devant mon Père qui est au ciel. Mais celui qui me confessera devant les hommes, je le confesserai aussi devant mon Père qui est au ciel[301] ». Veux-tu être avoué ou désavoué par le Christ ? Tes insulteurs seront-ils donc loin de toi, quand le Christ te désavouera ? Il viendra, puisqu’il l’a promis. Celui qui s’est montré si véridique, serait-il menteur pour le seul jour du jugement ? Nullement. Que les païens gardent leur infidélité, ou plutôt, qu’ils ne soient plus infidèles ; vous, soyez pour eux des modèles en confessant Jésus-Christ, et non des vaincus qui gardent le silence. S’ils voient en effet que les plus forts d’entre les chrétiens soutiennent les plus faibles dans l’affirmation de leur foi, par la sainte liberté de leur confession, par leur prudence à les instruire, par leur charité à les former, ils se tairont, croyez-le bien. Car ils n’ont plus rien à dire. Les cris ne sont rien, c’est « une cymbale retentissante[302] », qui a cessé dans leur temple et qui n’est plus que dans leur bouche.

DIX-NEUVIÈME SERMON.
SUR CES PAROLES DE L’APÔTRE : « JE VOUS ENSEIGNE UNE VOIE BEAUCOUP PLUS RELEVÉE [1 Cor. 12, 31][303] ».

ANALYSE. —1. La charité surpasse tous les autres dons que l’on pourrait avoir sans elle. —2. Prophétie sans charité en Saül et en sa garde. —3. Prophétie sans la charité en Caïphe. —4. La foi sans la charité chez les démons.—5. Exemple de la charité réciproque dans les membres du corps humain. —6. Diverses dignités dans les membres, et surtout la santé qu’il faut considérer. —7. Les Donatistes, membres malades, sont retranchés.—8. Condamnation de Crispions, et auparavant des Donatistes dans la cause de Cécilien et de Majorin.—9. Ces membres retranchés peuvent revenir à l’Église. —10. L’Église répandue dans tout l’univers est catholique, vraie. —11. Le don des langues, accordé aux premiers fidèles, signifiait que l’Église les parlerait toutes. —12. Il engage les Donatistes à opérer leur retour.

1. À ceux qui aiment la charité, il est bon de parler de cette vertu qui fait aimer comme il convient tout ce que l’on aime. C’est dans la charité, en effet, que se trouve la voie la plus relevée dont a parlé l’Apôtre. On le lisait tout à l’heure, et nous l’avons entendu. « Je vous montre », dit-il, « une voie bien plus relevée[304] ». Il énumère ensuite plusieurs dons, des plus éclatants, et qu’on ne saurait dédaigner ; et toutefois il déclare qu’ils ne servent de rien aux hommes, s’ils n’ont la charité. Parmi ces dons il fait mention de parler la langue des hommes et des anges, de posséder toute prophétie, toute science, toute foi, jusqu’à transporter les montagnes, jusqu’à distribuer tous ses biens aux pauvres, jusqu’à livrer son corps pour être brûlé[305]. Tout cela sans doute est grand, est divin ; mais à la condition d’avoir pour base la charité, de grandir sur la racine de la charité. Qu’il y ait eu beaucoup de chrétiens pour posséder beaucoup de ces dons sans avoir en môme temps la charité, c’est ce que je n’oserais dire, si l’exemple de certains hommes, non pas les premiers venus, ni pris au hasard, mais choisis dans les saintes écritures, ne nous apprenait que nul ne saurait avoir la charité, s’il n’a d’abord la foi. Mais parmi les principaux, que nous y rencontrons, c’est un grand don que la prophétie ou la foi. Que dire du reste ? S’il ne sert de rien à personne de posséder le don de prophétie, sans avoir aussi la charité ; si nul, même avec la foi, ne saurait sans la charité arriver au royaume de Dieu, que dirons-nous du reste ? Parler diverses langues, qu’est-ce que cela auprès de la prophétie et de la foi ? Qu’est-ce, auprès de la prophétie, que distribuer son bien aux pauvres et livrer son corps pour être brûlé ? Des téméraires, des hommes sans retenue, font souvent cela. Il y a donc là deux dons, et des plus grands, et il y aurait de quoi nous étonner si nous pouvions trouver un homme possédant le don de prophétie sans avoir la charité, ou bien ayant la foi sans avoir aussi la charité.

2. Pour la prophétie, nous en trouvons un exemple dans le livre des Rois [306] : Saül persécutant David qui était saint. Or, dans ces poursuites, il envoya des gardes pour le prendre et le faire mourir ; et ces gardes envoyés pour amener David au supplice, le trouvèrent parmi les Prophètes, avec qui était aussi Samuel, ce saint enfant d’Anne, autrefois stérile, qui avait demandé au Seigneur d’être mère, qui l’avait reçu du Seigneur, et l’avait consacré au Seigneur dès sa naissance. Samuel était donc là en même temps que David, Samuel, ce Prophète par excellence et qui donna à David l’onction royale. Ainsi lorsque David était poursuivi par Saül, il chercha un asile auprès de Samuel, comme ferait aujourd’hui un homme poursuivi au-dehors, et qui chercherait un refuge dans l’église. David était donc venu auprès de Samuel, et cet éminent Prophète n’était point seul, mais beaucoup d’autres Prophètes étaient auprès de lui. Ce fut donc au milieu d’eux, quand ils prophétisaient, que vinrent les envoyés de Saül pour prendre David et le mener au supplice. L’Esprit de Dieu les saisit, et voilà qu’ils commencèrent à prophétiser, eux qui venaient ravir par le glaive, et emmener du milieu des Prophètes le juste, le saint de Dieu. Les voilà tout à coup plein de l’esprit de Dieu, et devenus Prophètes. Peut-être ceux-ci étaient-ils innocents, puisqu’ils n’étaient point venus d’eux-mêmes pour prendre David, mais sur un ordre du roi. Peut-être venaient-ils, à la vérité, où était David, mais sans le dessein d’exécuter les ordres de Saül. Peut-être devaient-ils demeurer en ce lieu. Car tout cela arrive encore aujourd’hui. Le pouvoir suprême envoie un héraut enlever un homme de l’église. Cet envoyé n’ose agir contre Dieu, et pour ne pas encourir la peine du glaive, demeure dans cette église, où il a été envoyé. Quelqu’un dira dans son étonnement que ces envoyés sont tout à coup devenus Prophètes, parce qu’ils étaient innocents, et que cette innocence est prouvée par la prophétie elle-même. Ils sont venus sur l’ordre qui leur a été donné, mais ils n’eussent pas exécuté l’ordre injuste. Croyons-le de ceux-ci. D’autres sont envoyés, et voilà que l’esprit de Dieu s’en empare, et ils prophétisent à leur tour. Accordons encore à ceux-ci l’innocence comme aux premiers. D’autres sont envoyés en troisième lieu, et il en fut de même. Tous étaient innocents. Comme ils tardaient à venir, et que l’ordre de Saül ne s’accomplissait point, il vint lui-même. Était-il innocent, lui aussi ? Était-il envoyé à son tour par quelque puissance d’en haut, et n’obéissait-il point à sa coupable volonté ? Et néanmoins il fut à son tour saisi de l’esprit de Dieu et se mit à prophétiser. Voilà donc Saül qui a le don de prophétie, mais qui n’a pas la charité. Il a été un instrument qu’a touché l’Esprit-Saint, mais sans le purifier.

3. Car l’Esprit-Saint touche en effet, par le don de prophétie, certains cœurs qu’il ne purifie point. Mais les toucher sans les purifier, n’est-ce point pour l’Esprit-Saint se souiller à son tour ? Il est de la substance divine de toucher à tout sans contracter aucune souillure. Et ne soyez point étonnés que cette lumière qui nous vient du ciel touche à toutes les immondices répandues çà et là, sans en être obscurcie le moins du monde. Or, il n’en est pas seulement ainsi de la lumière qui nous vient du ciel, mais de la lumière qui vient d’une lampe : quiconque porte cette lumière, passera parfois dans un cloaque et en sera maculé ; mais la lumière de cette lampe qu’il porte passera sur toutes sortes d’objets sans contracter la moindre souillure. Or, si Dieu a pu donner un tel privilège à des corps lumineux, lui qui est la lumière véritable, éternelle, inaltérable, pourra-t-il être maculé quelque part ? ou bien la lumière de Dieu peut-elle faire défaut quelque part, quand il est dit d’elle, « qu’elle atteint d’une extrémité à l’autre avec force, et dispose toutes choses avec douceur ?[307] » Elle touche donc ce qu’elle veut, et purifie ce qu’elle veut. Sans purifier tout ce qu’elle touche, elle touche ce qu’elle a purifié. L’Esprit de Dieu n’avait donc point purifié Saül, mais l’avait touché dans le sens prophétique. Caïphe, prince des prêtres, persécutait le Christ, et néanmoins il prophétisa, quand il dit : « Il vous est bon qu’un homme meure, et non a pas que toute la nation périsse[308] ». L’Évangéliste, après nous avoir donné le mot prophétique, poursuit : « Or, il ne dit point cela de lui-même, mais étant grand prêtre de cette année, il prophétisa[309] ». Caïphe donc prophétisa, Saül prophétisa. Ils avaient la prophétie, sans avoir néanmoins la charité. Avait-il en effet la charité, ce Caïphe persécuteur du Fils de Dieu, venu parmi nous par la charité ? Avait-il la charité, ce Saül qui persécutait celui dont la vaillante main l’avait délivré de ses ennemis, lui, non-seulement jaloux, mais ingrat ? La prophétie peut donc se trouver chez un homme qui n’a pas la charité : nous en avons fait la preuve. Chez ceux-là le don de prophétie ne sert de rien, selon cette parole de l’Apôtre : « Si je n’ai point la charité, je ne suis rien[310] ». Il ne dit point : la prophétie n’est rien, ou la foi n’est rien ; mais bien : Je ne suis rien, si je n’ai la charité. Bien qu’il ait de grands dons, et quels que soient ces dons, il n’est rien. Car ces dons éminents qu’il possède, au lieu de le soutenir, servent pour son jugement. C’est un avantage de n’avoir point de grands dons, mais bien user des grands dons que l’on possède est un avantage aussi. Or, c’est n’en pas bien user, que n’avoir point la charité. Car il n’y a que la volonté vraiment bonne qui puisse faire d’une chose un bon usage ; or, il n’y a pas de volonté vraiment bonne sans charité.

4. Que dire de la foi ? Où trouver un homme qui ait la foi sans la charité ? Il en est beaucoup qui croient sans aimer. Sans compter les hommes, il y a les démons qui croient ce que nous croyons, sans aimer ce que nous aimons. Car l’apôtre saint Jacques blâmait ceux qui se persuadaient qu’il leur suffit de croire, et qui refusaient de vivre régulièrement, ce qui n’est possible que par la charité ; car une vie régulière est du domaine de la charité, et l’on ne peut avoir la charité et mal vivre, puisque bien vivre n’est autre chose que se laisser diriger par la charité. Quelques-uns donc se vantaient de croire en Dieu, et ne voulaient point mener une vie régulière et conforme à la sainteté de cette foi qu’ils avaient embrassée, et l’Apôtre les compare à des démons et s’écrie : « Tu dis qu’il n’y a qu’un Dieu unis que, c’est bien croire ; mais les démons croient aussi et tremblent[311] ». Si donc tu as la foi sans la charité, tu as cela de commun avec les démons. Pierre dit : « Vous êtes le Fils de Dieu », et il lui est répondu : « Tu es bienheureux, Simon, fils de Jean, parce que la chair et le sang ne te l’ont point révélé, mais mon Père qui est dans les cieux[312] ». Nous voyons que les démons dirent aussi : « Qu’y a-t-il de commun entre vous et nous, ô Fils de Dieu ?[313] » Les Apôtres donc le proclament Fils de Dieu, et les démons aussi le proclament Fils de Dieu. La confession est égale, mais la charité inégale. Les premiers croient et aiment, les autres croient et tremblent. L’amour attend sa récompense, la crainte son châtiment. Nous le voyons donc, il est possible d’avoir la foi sans avoir la charité. Que nul ne se vante de posséder quelque don dans l’Église, surtout s’il n’est élevé dans l’Église qu’à l’occasion de ce privilège, mais qu’il considère s’il a la charité. Le même apôtre saint Paul, qui a parlé de ces dons si divers d’en haut, qui les a énumérés parmi les membres du Christ ou dans l’Église, dit que chacun a le don qui lui est propre, et qu’il est impossible que tous aient le même don. Toutefois, nul ne demeurera sans quelque don. L’Apôtre énumère les Prophètes, les docteurs, les interprètes, le don de parler, le don de guérir les maladies, le don d’assistance, le don de gouvernement, le don de parler diverses langues. Voilà ce qu’il énumère, et nous voyons que tel a cette vertu, tel autre une autre vertu. Que nul donc ne s’afflige de n’avoir point le don qu’il trouve dans les autres. Qu’il ait la charité, et sans rien envier à celui qui possède, il aura ce que celui-ci possède. Tout ce qui est en effet chez mon frère, si je ne lui porte point envie, si j’ai la charité, tout cela est à moi ; si je ne l’ai point en moi, je l’ai en lui. Mais ce ne serait point à moi, si nous n’étions dans un même corps et sous une même tête.

5. Que ta main droite, par exemple, qui fait partie de ton corps, ait un anneau, sans que ta main gauche en ait un aussi. Est-ce que cette dernière est tout à fait sans ornement ? Vois chacune des mains, et tu verras un anneau à l’une, rien à l’autre. Vois l’enchaînement des parties du corps, parmi lesquelles ces deux mains, et vois que l’une, qui n’a pas d’anneau, en a un néanmoins dans celle qui l’a. Tes yeux voient où l’on va ; tes pieds vont où voient tes yeux, et néanmoins tes pieds ne sauraient voir, ni tes yeux marcher. Mais le pied te répond : J’ai la lumière, non pas en moi, mais dans l’œil. Car l’œil ne voit pas pour lui seul ; il voit pour moi. Les yeux disent à leur tour : Nous marchons, non par nous-mêmes, mais bien par les pieds ; car les pieds ne se portent point seuls, mais nous avec eux. Donc chacun des membres agit selon la faculté qui lui est départie, et selon que l’esprit le dirige. Toutefois ces membres constitués en un même corps et tenant à l’unité sans s’arroger pour chacun d’eux ce qu’ont les autres membres, et qu’ils n’ont point, ne se regardent point comme frustrés de ce qui est dans un même corps, et dont ils jouissent également. Enfin, mes frères, qu’un membre du corps vienne à souffrir, quel autre membre lui refusera son secours ? Dans l’homme, quoi de plus éloigné que le pied, et dans le pied quoi de plus éloigné que la plante ? Et dans cette plante, quoi de plus éloigné que la peau qui foule la terre ? Et toutefois cette extrémité de tout le corps tient si bien à l’unité, que si une épine la vient meurtrir quelque part, tous les membres viennent à son secours pour arracher, cette épine. Les jarrets se plient à l’instant, on courbe l’épine, non pas celle qui a meurtri le pied, mais celle qui soutient notre dos ; on s’assied afin d’arracher l’épine maudite. Mais s’asseoir pour en agir ainsi, c’est l’œuvre de tout le corps. Combien est rétréci l’endroit qui souffre ! C’est un endroit bien étroit que celui qu’une épine peut meurtrir, et à cette extrémité ; et néanmoins tout le corps ne dédaigne pas de soulager une souffrance dans un endroit si restreint. Les autres membres, sans souffrir en eux-mêmes, souffrent néanmoins dans cet unique endroit. De là vient que l’Apôtre a pris là un exemple de charité, en nous exhortant à nous aimer, les uns les autres, de cet amour qui est entre les membres d’un même corps. « Si quelque membre vient à souffrir », nous dit-il, « tous les autres souffrent en lui ; et si un membre reçoit de l’honneur, tous les autres se réjouissent en lui. Vous êtes le corps du Christ et ses membres[314] ». S’il y a de l’amour entre ces membres qui ont leur chef sur la terre, comment se doivent aimer des membres qui ont leur chef dans le ciel ? Assurément, ils ne s’aiment point eux-mêmes, s’ils sont abandonnés de leur chef. Mais ce chef, vraiment chef, est élevé en gloire, est placé à la droite de Dieu, dans le ciel, de manière, néanmoins, à souffrir sur la terre, non en lui-même, mais dans ses membres, au point de dire au dernier jour : « J’ai eu faim, j’ai eu soif, j’ai été étranger » ; et quand on lui demandera : « Quand est-ce que nous vous avons vu avoir faim ou soit ? » il semblera répondre : Pour moi je suis la tête et j’étais dans le ciel, mais sur la terre mes membres avaient soif ; il ajoutera enfin : « Ce que vous avez fait au moindre des miens, c’est à moi que vous l’avez fait » ; et à ceux qui ne l’auront point soulagé : « N’avoir rien fait pour le moindre des miens, c’est n’avoir rien fait pour moi ?[315] » Ce n’est donc que par la charité que l’on s’unit à un tel chef.

6. Nous voyons en effet, mes frères, que dans nos membres chacun a un office qui lui est propre : c’est à l’œil de voir, et non d’agir ; à la main, au contraire, d’agir et non de voir ; à l’oreille, d’entendre, sans voir et sans agir ; à la langue, de parler sans entendre et sans voir ; et, bien que chacun de ces membres ait son office à part, ils n’en forment pas moins un seul et même corps, ayant quelque chose de commun à tous. Les offices sont divers, la santé est la même. La charité sera donc pour les membres du Christ ce qu’est la santé aux membres du corps humain : L’œil occupe la plus haute place, l’endroit le plus éminent ; il est placé à dessein dans une citadelle, d’où il peut découvrir, voir et montrer. L’œil a l’honneur d’occuper un lieu plus élevé, d’être un sens plus vif, d’avoir une agilité, une certaine force qu’on ne retrouve point dans les autres sens. Aussi la plupart des hommes jurent-ils par leurs yeux, plutôt que par tout autre membre. Nul ne dit à un autre : Je t’aime comme mes oreilles ; quoique le sens de l’ouïe soit presque égal à celui des yeux, et tout rapproché. Que dirai-je des autres ? Chaque jour on dit : Je t’aime comme mes yeux. Et l’apôtre saint Paul témoigne que nous avons pour nos yeux plus d’amour que pour les autres membres, quand il exprime ainsi l’attachement des Églises pour lui : « Je vous rends ce témoignage que vous étiez prêts à vous arracher les yeux, s’il eût été possible, pour me les donner[316] ». Dans le corps humain donc, la place la plus élevée, la plus honorable, est pour les yeux, et dans ce même corps, rien n’est plus éloigné que le dernier doigt du pied. Et toutefois, dans un corps humain, un doigt qui est sain est plus avantageux que l’œil qui est chassieux et obscurci. Car, la santé qui est commune à tous les membres du corps, est plus précieuse néanmoins quand il s’agit de l’office de chacun. De même, tu vois dans l’Église un homme peu élevé, mais qui a reçu quelque don, et qui a la charité ; un autre homme est plus élevé dans l’Église par un don supérieur, mais il n’a pas la charité. Que l’un soit pour nous le dernier doigt, et l’autre l’œil. Celui-là est plus lié au corps, qui jouit d’une santé plus complète. Enfin ce qu’il y a de malade en un corps, est nuisible à tout autre corps, et tous les membres s’appliquent à guérir une partie malade, et souvent y parviennent. Mais si l’on ne peut la guérir, et qu’elle soit gangrenée au point de ne plus guérir, on garantit les autres membres, en retranchant cette partie de l’unité du corps.

7. Que le premier venu, que Donat, par exemple, soit comme l’œil dans le corps humain ; qu’il soit donc l’œil, car nous ne savons ce qu’il a été, mais qu’il soit l’homme doué, comme son nom l’indique ; de quoi lui a servi la supériorité de l’honneur et de la gloire ? Il n’a pu conserver la santé, parce qu’il n’avait pas la charité. Ensuite, ces membres-là sont tellement gangrenés, qu’il a fallu de toute nécessité les retrancher, et ceux qu’ils se vantent d’avoir gagnés sont des vers de pourriture. Ce sont des vers retranchés, et qui ne sauraient arriver à la santé. Car un membre peut revenir à la santé, tant qu’il fait partie du corps, sans en être retranché. Des membres sains, en effet, peut découler la santé sur un endroit blessé. Mais qu’un membre soit retranché et souffre d’une blessure, il n’y a plus pour lui ni canal, ni source, d’où la santé puisse arriver jusqu’à lui. Aussi sont-ils comparés à des sarments retranchés, dans notre Évangile, lequel est d’accord avec l’épître de l’Apôtre. Là aussi, le Seigneur ne nous a recommandé, pour demeurer en lui, rien de si efficace que la charité : « Pour moi », dit-il, « je suis la vigne, vous êtes les branches, et mon Père le vigneron. Tout sarment qui rapporte du fruit en moi, il l’émonde, afin qu’il en rapporte davantage ; mais il retranche tout ce qui ne rapporte aucun fruit en moi[317] ». Or, le fruit vient de la charité ; car le fruit ne vient que sur la racine. Et l’Apôtre a dit « Soyez enracinés et fondés sur la charité[318] ». La racine est donc là d’où sort tout fruit. Quiconque en est séparé, bien qu’il paraisse y tenir, ou bien est déjà retranché secrètement, ou bien le sera au grand jour : il ne peut donc rapporter aucun fruit. Ceux-là étaient jadis dans l’unité, on les a retranchés ; d’où retranchés ? de l’unité. Mais, c’est vous, disent-ils, qui êtes retranchés. Que faire ? Moi je vous dis : Vous êtes retranchés ; vous, de votre côté, me dites : C’est vous qui êtes retranchés. Que le Seigneur en juge. C’est donc remettre la cause, pour la porter au jugement de Dieu ? Point du tout. Bien souvent nous en agissons ainsi, quand le jugement de Dieu ne s’est point encore manifesté. Mais quand il apparaît, saisissons-le, et nulle remise. J’ouvre les Écritures, et je vois qui est retranché de l’Église. Si l’Écriture, en effet, rend témoignage au parti de Donat, à quelque Église établie sur une certaine partie de la terre, comme le parti de Donat est établi en Afrique, qu’ils disent que nous sommes retranchés, qu’ils disent que ce sont eux qui sont sur la racine. Mais si l’Écriture ne rend témoignage qu’à l’Église qui est répandue par toute la terre, à quoi bon plaider notre cause au tribunal d’un homme ? Nous avons Dieu pour juge ; et s’il ne siège pas sur un tribunal, il siège dans l’Évangile.

8. Naguère on a jugé Crispinus comme hérétique[319]. Mais qu’a-t-il dit ? Suis-je donc condamné par l’Évangile ? alléguant ainsi qu’il n’est point condamné, puisque c’est le proconsul et non le Christ qui s’est prononcé contre lui. Lui-même a importuné le proconsul, pour lui demander une sentence ; lui-même a dit : Écoutez-moi. Je ne suis point un hérétique. Tu déclines maintenant le jugement que tu as toi-même invoqué ? Pourquoi ? Parce qu’il est contre toi. Qu’il soit en ta faveur, et il serait bon ; mais dès qu’il est contre toi. il est mauvais. Avant de prononcer, il était compétent ce juge à qui tu as dit : Je ne suis point hérétique, écoutez-moi ; mais, dit-il encore, le proconsul a prononcé d’après la loi des empereurs, et non d’après les lois de l’Évangile. Soit, que le proconsul ait jugé d’après les lois des empereurs ; mais si les empereurs ont tort de te condamner, pourquoi du proconsul en appeler aux empereurs ? Les lois des empereurs étaient-elles déjà contre toi, ou non ? Si elles n’étaient pas contre toi, ce n’est point d’après ces lois qu’a prononcé le proconsul. Si elles étaient contre toi, les empereurs iront-ils, pour toi, juger contre leurs lois ? Mais je te demanderai ensuite : Quelles sont ces lois des empereurs qui sont contre toi ? Que s’est-il fait ? renseigne-moi. Il est évident, et personne ne le niera, qu’il y a contre ces gens beaucoup de lois impériales. D’où vient cela ? Comment cela s’est-il fait ? C’est nous peut-être qui sommes des persécuteurs et qui avons mal parlé de vous aux empereurs. Voilà ce qu’ils racontent à ces malheureux ignorants qu’ils parviennent à tromper. Car ils se gardent bien de dire à ces gens qu’ils veulent tromper comment s’est plaidée leur cause. Mais, en dépit de leurs efforts, voilà qu’on la déterre, qu’on la place au grand jour, qu’on la met sous les yeux mêmes de ceux qui les ferment et ne veulent pas voir. Qu’on fasse la lumière devant ceux qui ferment les yeux, qui ne veulent point voir la lumière. Qu’ils ne puissent cacher l’évidence ! Qu’ils ne se puissent détourner de ce qui est visible, ni obscurcir ce qui est clair. Je les poursuivrai avec la torche de la vérité. Vous avez sollicité le jugement de l’empereur. C’est faux, disent-ils. On en lit le monument public[320]. Les Donatistes du parti de Majorin, qui fut ordonné le premier, allèrent contre Cécilien au proconsul d’alors, Anullinus[321], et lui présentèrent des pièces d’accusation contre Cécilien, alléguant qu’elles étaient scellées dans les enveloppes, mais qu’ils avaient contre Cécilien des crimes consignés sur l’acte d’accusation, et le suppliant d’envoyer cette accusation à l’empereur, en son palais. Il existe encore, ce compte rendu du proconsul Anullinus, écrivant à l’empereur Constantin que des hommes du parti de Majorin étaient venus le trouver avec des pièces portant accusation contre Cécilien, le suppliant d’envoyer ces pièces à l’empereur, et disant qu’il a fait selon leur demande. L’empereur en écrivit à l’évêque Meltiade[322] et à Mareus, déclinant ainsi une cause ecclésiastique et la leur envoyant. Dans ces mêmes lettres l’empereur écrit qu’il envoie les pièces venues par Anullinus, et comme les lettres ne font point connaître les pièces, on le sait néanmoins par la relation d’Anullinus, consignée aujourd’hui dans les recueils publics. Ensuite Constantin écrit à Anullinus, lui enjoignant d’envoyer les parties à Rome, au jugement du souverain Pontife. Puis, Anullinus constate qu’il a envoyé les parties. C’est donc vous qui êtes allés à l’empereur, vous qui avez porté au tribunal d’un homme une cause de l’Église. L’empereur a mieux jugé que vous. Vous portiez devant lui une cause qu’il a déférée aux évêques. C’est donc d’après vos accusations, que la cause a été tout d’abord plaidée devant les évêques. La sentence a été en faveur de Cécilien. Mais eux, mécontents de cette sentence, murmurèrent et en appelèrent une seconde fois à l’empereur ; ils invoquèrent le jugement impérial après le jugement des évêques ; une seconde sentence lut rendue à Arles[323] : nouvel appel de leur part à l’empereur. Encore vaincu par leur importunité, il voulut lui-même évoquer leur cause et en connaître. Le voilà qui siège, qui instruit la cause, qui juge Cécilien tout à fait innocent, et qui renouvelle contre eux toutes les prescriptions des empereurs. Quoi d’étonnant ? Tu en appelles à un tribunal, puis tu oses bien récuser la sentence ? Pourquoi vouloir lui déférer ta cause ? Ton église était en Afrique, et non dans toute la terre ? Mais où donc allaient-ils, ceux qui déjà s’en étaient détachés ? Ils ne tenaient déjà plus à l’Église, mais il y tenait, cet empereur dont ils invoquaient le jugement. Ce fut donc par bienveillance qu’il fit juger la cause par des évêques, puis leur succéda pour juger lui-même. Delà ces lois qui sont contre vous ; voyez si vous n’êtes point contre elles. C’est vous qui avez attaqué les premiers, accusé les premiers ; appelé les derniers, et les derniers encore murmuré. Et toutefois, est-ce donc l’Évangile qui nous a condamnés, disent-ils ? Vous êtes condamnés au tribunal que vous avez choisi.

9. Mais nous ne récusons point le jugement de l’Évangile. Et quand notre adversaire ne le dirait point, nous lirions l’Évangile pour en tirer des citations, des preuves. Qu’on lise l’Évangile. Mais voyons où est l’Église, d’après Notre-Seigneur Jésus-Christ. Car assurément c’est à lui qu’il faut ouvrir et nos oreilles et nos cœurs. Écoutons-le. Qu’il nous dise où est l’Église. S’il nous dit que son Église est en Afrique, nous nous rangeons tous au parti de Donat. Mais s’il dit que l’Église est répandue dans l’univers entier, c’est aux membres retranchés à revenir à l’unité. Car ces rameaux ne sont point coupés de manière qu’une nouvelle insertion soit impossible. Nous avons l’apôtre saint Paul qui nous le dit : « Ces rameaux », diras-tu, « ont été brisés pour que je fusse inséré. Il est vrai. Mais ils ont été rompus à cause de leur incrédulité, et toi, c’est par la foi que tu es debout. Garde-toi de t’élever, mais crains. Car si Dieu n’a pas épargné les branches naturelles, il pourra bien ne te pas épargner[324] ». Ainsi donc les Juifs, qui étaient comme les branches naturelles, ont été brisés, et les gentils ont été insérés comme l’olivier sauvage sur l’olivier franc. Par ces rameaux insérés, par cet olivier sauvage ainsi enté, nous avons tous notre part à l’olivier. Mais selon cette menace que faisait l’Apôtre aux rameaux orgueilleux de l’olivier sauvage, nos adversaires sont devenus tels par leur orgueil, qu’ils ont mérité à cause de cet orgueil, d’être brisés à leur tour avec les rameaux naturels déjà retranchés. Or, que dit l’Apôtre ? « Pour eux », dit-il, « s’ils ne demeurent point dans leur incrédulité, ils seront insérés à leur tour[325] », de même que tu seras retranché, si tu ne demeures pas dans la foi. Que nul donc ne s’enorgueillisse dans la vigne, que nul ne désespère, en dehors de la vigne. En t’enorgueillissant dans la vigne, crains d’en être retranché. Que ceux qui sont en dehors de la vigne se prémunissent contre le désespoir, qu’ils osent espérer l’insertion. Cette insertion n’est pas l’œuvre de la main, puisque l’Apôtre, dit : « Dieu est assez puissant pour les enter de nouveau[326] ». Qu’ils ne disent point : Comment insérer de nouveau un rameau retranché, brisé ? Cela est impossible, sans doute, si l’on s’en tient aux forces de l’humanité ; mais non si l’on fait appel à la Majesté divine. Quoi donc ? Ce qui a été fait par le Seigneur, tout vigneron pourrait le faire ? Il prend un olivier sauvage, et il y insère l’olivier franc, et le sauvageon inséré sur l’olivier donne l’olive, et non des baies amères ? Qu’un homme le fasse aujourd’hui, qu’il ente le sauvageon sur l’olivier, et il verra qu’il n’en sortira que des baies sauvages. Dieu donc a la puissance d’enter, non l’olivier sur le sauvageon, mais bien le sauvageon sur le franc, de faire couler dans le sauvageon la succulence de l’olivier franc, de manière qu’il n’ait plus aucune amertume, mais une saveur agréable, et il ne pourrait t’insérer par l’humilité, toi qui es retranché à cause de ton orgueil ? C’est bien, dira notre homme, vous m’exhortez, mais il faut d’abord me montrer que je suis retranché, de peur que vous n’ayez à vous prêcher vous-même, afin de venir à moi, et non moi à me faire enter sur vous-même. J’ose bien dire : Écoute-moi, et néanmoins cet écoute-moi, je crains de le dire, je crains qu’il ne méprise l’homme en moi ; eh bien1 soit, qu’il méprise l’homme. Car s’il méprisait l’homme, il ne suivrait point le parti de Donat. Donat aussi était homme. Si donc nous parlons de nous-mêmes, qu’il nous méprise mais si nous parlons avec le Christ, qu’il entende celui qu’on n’entend point en vain, qu’on ne méprise point en vain. L’écouter, en effet, c’est mériter une récompense ; ne l’écouter point, c’est mériter le supplice. Écoutons-le donc, donnons la parole au Seigneur.

10. Il nous parle de l’Église en plusieurs endroits ; et pourtant j’en citerai un. Après sa résurrection, vous le savez, mes frères, il se montra à ses disciples, étala devant eux ses plaies, qu’il leur fit toucher et non-seulement voir. Eux, néanmoins, qui le voyaient, le touchaient, le reconnaissaient, hésitaient encore dans leur joie, comme nous l’apprend l’Évangile, qu’il nous faut croire, qu’il est criminel de révoquer en doute. Comme donc ils hésitaient dans leur joie, comme ils doutaient encore, le Sauveur les raffermit par les saintes Écritures, et leur dit. « Voilà ce que je vous disais quand j’étais avec vous : c’est qu’il faut que s’accomplisse tout ce qui est écrit à mon sujet dans la loi, dans les Prophètes et dans les psaumes. Il leur ouvrit alors l’intelligence, afin qu’ils entendissent les Écritures, puis il leur dit : Il fallait, selon qu’il a est écrit, que le Christ souffrît et qu’il ressuscitât le troisième jour, et qu’on prêchât a en son nom la pénitence et la rémission des a péchés à toutes les nations, en commençant a par Jérusalem[327] ». Tu n’es pas là, toi. Mais j’y suis, à quoi bon attendre qu’un homme prononce à ton sujet du haut d’un tribunal ? Écoute le Christ dans l’Évangile : « Dans toutes les nations », dit-il, « en commençant par Jérusalem ». Es-tu de cette Église ? Es-tu en communion avec toutes les nations ? En communion avec cette Église répandue parmi toutes les nations, en commençant par Jérusalem ? Si tu es en communion, tu es avec elle, dans la vigne, et non retranché. L’Église du Christ, en effet, n’est autre que cette vigne qui a pris de l’accroissement, qui a rempli toute la terre ; c’est le corps du Christ, dont la tête est au ciel. Mais si tu communiques seulement avec les Africains, et si de l’Afrique tu ne saurais envoyer qu’à la dérobée consoler quelques étrangers, ne vois-tu point que tu es seulement dans la partie, et en dehors du tout ? Qu’as-tu dit au jugement du proconsul ? Je suis catholique. Telle est en effet sa parole. On la trouve dans les Actes. Catholique, sois dans le tout. « Holon », en effet, signifie tout, et l’Église a été surnommée Catholique, parce qu’elle est partout. Est-ce bien Catamérique, son nom, et pas Catholique ? « Meros » veut dire, en effet, partie, et « Holon » le tout. Catholique vient du grec et signifie totalité. Te voilà donc en communion avec l’univers ? Non, répond-il. Donc tu es dans la partie, et dès lors comment seras-tu catholique ? Il y a bien de la différence entre le tout et la partie. D’où vient à l’Église le surnom de Catholique ? Tu as reçu ton nom du parti de Donat, elle se nomme catholique, de toutes les parties de la terre. Mais c’est nous qui nous disons dans toutes les contrées de la terre, et peut-être Dieu ne le dit-il pas ? Nous en avons appelé à l’Évangile, et cité ce passage de l’Évangile « Dans toutes les nations », dit-il, « en commençant par Jérusalem ». N’est-ce pas de là que l’Évangile est venu en Afrique ? S’il commence par Jérusalem, il est venu jusqu’à toi, en remplissant toute la terre, non en se desséchant quelque part. Qui donc viendra nous dire : On a conduit le ruisseau de manière à l’amener à moi, mais il s’est desséché en chemin et m’est arrivé. S’il s’est desséché sur la voie, par où a-t-il pu arriver à toi ? Il n’est arrivé jusqu’à toi qu’en remplissant toute la terre. Canal ingrat, pourquoi blasphémer contre la source ? Si elle ne coulait, tu ne serais pas rempli. Mais je crains pour toi le dessèchement. Car tout canal séparé de la source tarit nécessairement. Ils parlent contre l’Église avec une désolante sécheresse : ils auraient des paroles de douceur, s’ils étaient arrosés par elle. Je suis catholique, qu’est-ce qu’un catholique ? Un homme de Numidie ? Interroge au moins les Grecs ; car le mot catholique n’est point de langue punique, c’est un mot grec. Cherche un interprète. Il est bien juste que tu sois dans une erreur de langage, quand tu es en désaccord avec toutes les langues.

11. Quand l’Esprit-Saint vint du ciel, et remplit ceux qui croyaient en Jésus-Christ, ils parlèrent toutes les langues, et parler toutes les langues, c’était alors le signe que l’on avait reçu l’Esprit-Saint[328]. Mais, aujourd’hui, l’Esprit-Saint n’est-il donc plus donné ? Gardons-nous de le croire, autrement nous n’aurions plus l’espérance. Nos adversaires avouent, en effet, que l’Esprit-Saint est donné aux fidèles ; or, nous le disons aussi, nous le croyons, nous disons surtout que cela n’a lieu que dans l’Église catholique. Que nos adversaires soient catholiques, et l’Esprit-Saint est donné chez eux ; que nous soyons catholiques, et c’est chez nous qu’est donné l’Esprit-Saint. Pour le moment, ne cherchons point quelle est la différence et quels sont les catholiques ; il est évident que le Saint-Esprit est donné. Pourquoi tous ceux qui ont reçu l’Esprit-Saint ne parlent-ils point toutes les langues, si ce n’est parce que dans ce moment était figuré dans quelques-uns ce qui devait plus tard apparaître dans tous ? Que voulut prédire l’Esprit-Saint, en touchant les cœurs de ceux qu’il remplissait, et en leur apprenant toutes les langues ? A peine un homme apprend-il deux langues, ou trois, quatre tout au plus, soit par des maîtres, soit en se familiarisant avec le pays qu’il parcourt. Mais ceux qui reçurent l’Esprit-Saint les parlaient toutes, et tout à coup, sans les avoir apprises peu à peu. Que voulait donc nous enseigner l’Esprit-Saint ? Dis-moi, pourquoi ne le fait-il plus maintenant, sinon parce qu’il y avait là une figure ? Quelle était cette figure, sinon que l’Évangile serait prêché en toutes les langues ? J’ose l’affirmer. Et voilà que maintenant on le prêche en toute langue. C’est en toute langue que l’Évangile se fait entendre, et ce que je disais tout à l’heure des membres, je le dis maintenant des langues. Et de même que l’œil dit : Le pied marche pour moi ; que le pied dit à son tour L’œil voit pour moi ; de même je dis maintenant : La langue grecque est la mienne, la langue hébraïque est la mienne, la langue syriaque est la mienne. Car tous n’ont qu’une même foi, tous sont dans les liens de la même charité. Ce que le Seigneur a démontré, les Prophètes l’avaient prédit : « Leur voix a retenti dans toute la terre, et leurs paroles jusqu’aux extrémités du monde[329] ». Ainsi l’Église a grandi, au point d’être appelée catholique, de l’univers entier. Et voyez que toutes les langues ont parcouru toutes les terres. « Il n’est point d’idiome, point de langage dans lequel on n’entende cette voix[330] ».

12. Je suis donc dans cette Église, et toi tu n’y es pas. Si donc tu en es retranché, vois d’où tu es retranché ; reviens pour être inséré de nouveau, de peur que tu ne viennes à dessécher pour être jeté au feu. Ce sont les Prophètes, ce sont les Apôtres, c’est le Seigneur qui vous parle de l’Église répandue dans toute la terre. Tous portent ce jugement qui te condamne. Du proconsul, on va au tribunal de l’empereur ; mais de l’Évangile, à qui en appeler ? A Donat ? Donat jugera à l’encontre du Christ ? Que t’enseignera Donat ? J’ai mon Christ que j’ai prêché en Afrique. Que t’enseignera-t-il ? Dira-t-il : Je me suis exposé pour le Christ, et : j’ai succédé au Christ ? Tel est son unique parti : dire qu’il a osé retrancher des hommes du corps de l’Église, parce qu’il a succédé au Christ. Telle est la sentence da Christ, ainsi disent les Évangiles. « Dans toutes les nations », dit le Seigneur, « en commençant par Jérusalem ». C’est donc par Jérusalem que l’Évangile a commencé ; c’est là qu’est descendu le Saint-Esprit, là qu’étaient les Apôtres quand il est descendu sur eux, là que l’Évangile a commencé à être prêché pour passer de là en Afrique. Où donc est-il allé ensuite ? Les aurait-il abandonnés ? Il ne les a point abandonnés, s’ils ne le veulent point. Car nous aussi, nous sommes de l’Afrique. Et l’Évangile venu en Afrique est demeuré parmi les catholiques africains, comme il demeure chez toutes les nations. Parmi toutes les nations, en effet, il y a des hérétiques, les uns ici, les autres là, et ceux des autres nations ne sont point nés en Afrique. Ils ont été retranchés de la vigne, car la vigne catholique les connaît tous, tandis qu’eux-mêmes ne se connaissent point. Elle connaît les sarments, cette vigne d’où ils ont été retranchés ; elle les connaît tous, et ceux qui demeurent en elle, et ceux qui en sont retranchés, puisque l’Église catholique est répandue partout. Ces sarments sont demeurés à l’endroit même où ils ont été retranchés, ils n’ont pu se disperser çà et là dans le monde ; au lieu que cette vigne répandue partout alimente partout ses rameaux, et partout pleure ceux qui sont retranchés. Elle crie à tous de revenir, afin qu’on les insère de nouveau. Son appel n’est point toujours entendu, et toutefois les mamelles de sa charité ne se fatiguent point à épancher le lait de l’exhortation. Elle est dans l’anxiété pour ceux qui sont retranchés ; en Afrique, elle crie vers les Donatistes ; en Orient, vers les Ariens, vers les Photiniens, vers les autres, et ces autres encore. Répandue en effet partout, elle trouve partout à rappeler en elle ceux qui étaient ses branches et qui sont retranchés. Ce sont des sarments qui ont commencé par devenir stériles et qu’on a dû séparer. S’ils ne s’obstinent point dans l’infidélité, ils seront insérés de nouveau. Voilà, mes frères, ce qu’il nous faut écouter avec crainte, et sans orgueil ; avec charité, afin de prier pour eux. Adressons-nous au Seigneur, etc.

VINGTIÈME SERMON.
SUR CES PAROLES DU PSAUME 38, 1-5 « J’AI DIT : JE VEILLERAI SUR MES VOIES[331] ».

ANALYSE.—1. Du souci d’avancer chaque jour, et pour cela d’implorer le secours divin.—2. L’usage de la langue aussi nécessaire que dangereux.—3. La langue est dirigée par l’esprit.—4. La langue trompeuse des Juifs couverte de confusion.—5. Le bon usage de la langue chez une femme adultère.—6. La confession de la femme adultère est une instruction pour nous.—7. Comment agir avec celui qui nous insulte.—8. Il faut pardonner à ceux qui nous injurient et prier pour eux.—9. Quelle est la fin de l’homme.—10. La fin de l’homme c’est le Christ.—11. C’est par la foi et par les œuvres que l’on peut y atteindre.—12. Quel est le but des tentations et comment nous y comporter.—13. Récapitulation.

1. C’est un devoir pour les chrétiens, de s’avancer chaque jour vers Dieu, de concevoir une sainte joie de Dieu et de ses dons. Car le temps de notre pèlerinage est très-court, et notre patrie ne connaît point le temps. Il y a, en effet, une grande distance entre le temps et l’éternité. C’est ici que la piété s’enquiert, là qu’elle repose. De là, pour nous, comme pour de bons négociants, la nécessité de connaître le gain de chaque jour. Car notre sollicitude ne doit pas se borner à écouter, mais il faut agir aussi. Dans cette école, où Dieu seul est maître, il faut de bons disciples, non d’un moment, mais vraiment studieux. L’Apôtre dit : « Ne soyez point paresseux dans ce qui est du devoir, mais fervents en esprit, joyeux par l’espérance[332] ». Dans cette école donc, nous apprenons chaque jour. Nous nous instruisons dans les préceptes, dans les exemples, et dans les sacrements ; cartels sont les remèdes à nos blessures, les stimulants à nos études. Nous répondions tout à l’heure : « Exaucez, ô mon Dieu, mes supplications et mes prières ». Inaurire, c’est-à-dire : « Recevez mes larmes dans votre oreille[333] ». Que penses-tu que doive demander le Prophète quand il désire que Dieu lui soit propice ? Que demandera-t-il à Dieu ? Voyons, écoutons. Peut-être les richesses ou quelque jouissance de cette vie ? Qu’il nous dise ce qu’il va demander quand il fait à Dieu cette supplication. Il a vu, en effet, qu’il ne saurait avoir de lui-même, et qu’il peut avoir par Dieu. Il a entendu cette parole : « Demandez et vous recevrez[334] ». Il savait donc ce qu’il devait demander, puisqu’il suppliait Dieu. Donc « Exaucez ma prière, ô mon Dieu ». Et comme si on lui demandait : Que veux-tu, pourquoi frapper, pourquoi crier, pourquoi en appeler à Dieu ? J’écouterai. Que veux-tu ? Qu’est-ce que je veux ? répond-il. Écoutez ma résolution et perfectionnez vos œuvres. Quelle est ma résolution ? « J’ai dit : Je veillerai sur mes voies, afin que je ne pèche pas avec ma langue[335] ». Ce qu’il se propose est difficile, mais il n’hésite pas, parce que tout d’abord il invoque le Seigneur. Il connaissait cette doctrine de saint Paul : « Non pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi[336] ».

2. Donc : « J’ai dit : je veillerai sur mes Voies ». Quelles voies ? Les voies de la terre. Est-ce que nous marchons sur la terre, au moyen de la langue ? Sur la terre, où nous nous servons de nos pieds, ou des pieds des autres. Car les animaux nous transportent, ou nous allons sur nos pieds. Que signifie donc cette parole, et quelle voie cherche le Prophète ? Il ne veut point pécher, par la langue. C’est là, mes frères, un grand enseignement. De même que, dans une seule heure, nous pouvons manger et nous reposer, nous est-il aussi facile de parler et de nous taire dans l’espace d’un instant ? Comme nous avons des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, et les autres sens pour recevoir des impressions, nous avons aussi la langue pour parler. Et nous avons un grand besoin de la langue. Il nous faut écouter pour répondre, ou parler pour enseigner. Est-ce au moyen de l’œil que nous parlons, et non de la langue ? Et si c’est l’oreille qui entend, c’est la langue qui doit répondre. Que faisons-nous d’un membre si utile ? Nous prions Dieu, nous réparons nos offenses, nous chantons les louanges de Dieu, nous le célébrons d’une voix unanime, et chaque jour nous exerçons la miséricorde, en parlant aux autres, ou en donnant des conseils. Que faisons-nous maintenant ? Notre langue nous prête son ministère auprès de vous. Que faisons-nous pour ne point pécher par la langue, surtout qu’il est dit : « La mort et la vie sont au pouvoir de la langue[337] ? » et encore : « J’en ai vu beaucoup tomber par le glaive, mais en moins grand nombre que ceux qui sont tombés par la langue[338] » ; et encore : « Et la langue est un de nos membres qui infecte tout le corps[339] ». Enfin le même Seigneur nous dit aussi : « Ils ont appris à leur langue à dire le mensonge[340] ». Ils ont enseigné. C’est en effet l’habitude qui fait dire le mensonge : elle dit le mensonge en quelque sorte malgré nous. Voyez une roue, si vous lui imprimez un premier mouvement, dès que vous la poussez de la main, sa configuration, sa rondeur la fait mouvoir en quelque sorte dans son instabilité, dans son mouvement naturel ; il en est de même de notre langue : il n’est pas besoin qu’on lui apprenne à dire le mensonge : elle va spontanément à ce qui la fait mouvoir avec plus de facilité. Autre est votre pensée, et autre parfois ce qu’elle dit par habitude. Que faire alors, mes frères ? Vous le voyez, assurément, quel balancier ne faut-il pas établir dans le cœur, pour que la langue émette quelque chose au-dehors ! Car elle ne se meut point d’elle-même, c’est le cœur qui la met en mouvement.

3. Il est en effet une force qui donne l’impulsion et à elle-même et à tout ce qui dépend d’elle. Or, que celui qui dirige soit bon et, avec le secours de la grâce, il surmontera toute habitude perverse. Que le ministre soit bon, et le ministère se calme. Un soldat a bien des armes, elles ne servent de rien s’il n’en frappe. De même notre langue est parmi nos membres une arme pour l’âme. C’est d’elle qu’il est dit : « C’est un mal sans repos[341] ». Oh oui, sans repos. Qui a fait ce mal, sinon celui qui est sans repos ? Pour toi, ne sois pas sans repos, et ce mal cessera. Garde-toi de l’agiter, et rien ne s’agitera. Car ce n’est point l’esprit qui a besoin d’être mis en mouvement, mais le corps qui est inerte. Ne l’agite pas, et il est sans mouvement. Or, vois comme c’est toi qui agites cette langue. C’est d’elle que beaucoup d’hommes se servent pour la fraude, dans le culte de l’avarice, et quand il s’agit d’une affaire, ils oublient que ce membre est créé pour la louange de Dieu, et s’en servent pour blasphémer le Seigneur et dire : Par le Christ ! j’ai acheté tant, je vends tant. Quand je t’ai dit : Donne-moi ta parole, quel est ton dernier prix ? Je t’ai bien demandé ton dernier prix. Dix pièces, vingt pièces d’argent. Jures-tu par le Christ ? Jure par tes yeux, jure par tes enfants, ta conscience en est à l’instant troublée. O langue impie ! Tu méprises le Créateur, pour épargner la créature. « O mal inquiet, ô langue pleine d’un venin mortel ! C’est par elle que nous bénissons Dieu, notre Père[342] ». Notre Dieu par sa nature, notre Père par sa grâce. « Et par elle nous maudissons l’homme qui a été créé à l’image de Dieu ». Voyez, mes frères, ce que vous portez ; oui, dis-je, voilà ce que nous portons, car moi je suis homme comme vous. Mais reprenons…

4. « Écoutez ma prière, ô mon Dieu ». C’est de là que viennent ces Juifs dont il était question tout à l’heure dans l’Évangile. Leur langue les conduisit à la mort. Nous l’avons entendu tout à l’heure, en effet. Ces Juifs, dit l’Évangile, amenèrent au Seigneur une femme de mauvaise vie, et lui dirent pour le tenter : « Maître, nous avons surpris cette femme en adultère[343] ». Or, il est écrit dans la loi de Moïse que toute femme surprise en adultère doit être lapidée. « Vous donc, que dites-vous ? » Voilà ce que disait la langue, mais sans le connaître comme Créateur. Ils étaient loin, ces hommes, de prier et de dire : « Délivrez mon âme des fourberies de la langue[344] ». Car ils ne venaient que par fourberie, et n’avaient d’autre dessein. Or, le Seigneur était venu, « non pour détruire la loi, mais pour l’accomplir[345] » et pardonner les péchés. Les Juifs donc se disaient entre eux : S’il dit : Qu’elle soit lapidée ! nous lui répondrons : Où est donc le pardon des péchés ? N’est-ce point vous qui dites : « Vos péchés vous sont pardonnés[346] ? » S’il dit : Qu’on la renvoie ! nous répondrons : Comment se fait-il que vous soyez venu pour accomplir la loi, non pour la détruire ? Voyez la langue fourbe en face de Dieu. Celui qui était venu pour racheter et non pour condamner (car il était venu racheter ce qui avait péri[347]) se détourna d’eux comme pour n’y point arrêter ses regards. Cette aversion du Sauveur pour ces fourbes ne manque pas d’un certain sens, et l’on y peut découvrir quelque chose. Le Sauveur semble dire : Vous m’amenez une pécheresse, vous pécheurs ! Si vous croyez que je doive condamner les pécheurs, c’est par vous que je commence. Or lui, qui était venu pour remettre les péchés, leur dit : « Que celui d’entre vous qui se croit sans péché, lui jette la première pierre[348] ». Admirable réponse, ou plutôt admirable proposition ! S’ils commencent à lapider la pécheresse, à l’instant il leur dira : « On portera contre vous le jugement que vous aurez porté[349] ». Vous avez condamné, vous serez condamnés. Pour eux, néanmoins, bien qu’ils ne reconnussent pas en lui le Créateur, ils connaissaient leur propre conscience. Dès lors, se tournant le dos mutuellement, afin de ne pas se voir l’un l’autre à cause de leur honte, ils se retirèrent ; c’est là ce que dit l’Évangile, depuis les plus anciens jusqu’aux plus jeunes. L’Esprit-Saint avait dit : « Tous se sont égarés, tous sont devenus incapables ; il n’en est pas un qui fasse le bien, pas un seul[350] ».

5. Tous donc se retirèrent. Il ne resta que Jésus et la pécheresse, que le Créateur et la créature, que la misère et la miséricorde, que celle qui connaissait son péché et Celui qui remettait le péché. Car voilà ce que signifiait son action d’écrire sur la terre. Le Sauveur écrivait en effet sur la terre, dit l’Évangile ; or, quand l’homme pécha, il lui fut dit : Tu es terre[351]. Et quand le Seigneur accordait à la pécheresse son pardon, il le lui accordait en écrivant sur la terre. Il accordait donc le pardon, et en accordant ce pardon, levant les yeux vers la pécheresse : « Personne ne vous a-t-il condamnée, lui dit-il ? » Et cette femme ne dit point : Pourquoi me condamner ? Qu’ai-je fait, Seigneur ? Suis-je donc une coupable ? Elle ne dit point ainsi ; mais seulement : « Personne, Seigneur ! » C’est là s’accuser. Parce que les Juifs ne purent prouver, ils se retirèrent. Mais elle avoua, cette femme dont le Seigneur connaissait la faute, et cherchait la foi et l’aveu. « Personne ne vous a-t-il condamnée ? » Personne, Seigneur ! Personne est ici pour l’aveu du péché, et Seigneur, pour le pardon de ses fautes. « Personne, Seigneur » Je connais tout à la fois, et qui vous êtes, et qui je suis. Je vous le confesse ; car j’ai entendu cette parole : « Confessez au Seigneur, parce qu’il est bon[352] ». Je connais ma confession, et je connais votre miséricorde. Elle s’est dit : « Je veillerai sur mes voies, afin de ne point pécher par la langue ». Pour eux, ils ont péché en faisant la fourberie ; et, pour elle, son aveu lui a valu son pardon. « Personne ne vous a-t-il condamnée ? Personne », répondit-elle. Et Jésus écrivit une seconde fois en silence. Il écrivit deux fois. Comprenons cette figure. Il écrivit deux fois : une première fois en accordant le pardon ; et une seconde fois, en renouvelant le précepte. Voilà ce qui se renouvelle quand le pardon nous est accordé. L’empereur a souscrit. Puis vient une seconde formule, comme si l’on nous enjoignait d’autres préceptes. Ce sont les mêmes qui nous prescrivent la charité, comme nous l’avons vu dans l’Apôtre\f + \xt On avait lu l’épître de saint Jacques, 5, 9, où il appelle la charité nomon basilikon##Rem ; de là ce mot imperatam pour prescrire, et l’allusion au rescrit impérial.</ref>. Car nous avons d’abord entendu cette lecture ; puis le Seigneur nous a dit lui-même : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toutes tes forces, et tu aimeras ton prochain comme toi-même. Ces deux préceptes renferment la loi et les Prophètes[353] ».

6. Pour ne point donner à chercher, il y a là deux paroles : Dieu et le prochain ; Celui qui t’a créé, et celui qu’il t’a donné pour compagnon. Nul ne t’a dit : Aime le soleil, aime la lune, aime la terre, et tout ce qui a été fait ; mais on doit louer Dieu dans toutes ces œuvres, on doit en bénir l’auteur. « Combien vos œuvres sont admirables ![354] » disons nous. « Vous avez tout fait dans votre sagesse ». Tout cela est à vous, car tout est votre ouvrage. Grâces vous en soient rendues ! Mais vous nous avez créés au-dessus de tout cela. Grâces vous en soient rendues ! Nous sommes votre image et votre ressemblance. Grâces vous en soient rendues ! Nous avons péché, et vous nous avez recherchés. Grâces vous en soient rendues ! Nous vous avons négligés, sans être négligés de vous. Grâces vous en soient rendues ! Nous vous avons méprisé sans être méprisé de vous. De peur que l’homme n’en vînt à oublier votre divinité et à vous perdre, vous avez daigné revêtir notre humanité. Grâces vous en soient rendues ! Où n’est-il point de grâces à vous rendre ? « J’ai dit, dès lors : Je garderai mes voies, pour ne point pécher par ma langue ». Cette femme que l’on présente au Sauveur, pour cause d’adultère, reçut son pardon et fut délivrée, et des chrétiens trouveront onéreux que tous reçoivent le pardon de leurs péchés par le baptême, par la confession, par la grâce ? Qu’on ne vienne pas nous dire : Cette femme reçut son pardon, et moi je suis encore catéchumène. À moi l’adultère, puisque j’en recevrai le pardon. Faites que je sois seul comme cette femme qui avoua sa faute et fut délivrée. Notre Dieu est bon, et s’il m’arrive de tomber dans le péché, je lui confesserai ma faute et en obtiendrai le pardon. Tu fais attention à sa bonté, mais considère sa justice. De même que la bonté l’incline au pardon, la justice l’incline au châtiment. « J’ai dit : Je veillerai sur mes voies, pour ne point pécher par ma langue ». Je voudrais bien savoir s’il n’est personne pour pécher par sa langue, dans l’instant même où nous prêchons votre charité. Depuis que nous sommes ici, nul sans doute n’a dit aucun mal, mais peut-être a-t-il pensé au mal. Écoutez alors : « J’ai dit : Je garderai mes voies, afin de ne point pécher par ma langue[355] ». Dis en toute vérité : « J’ai mis un frein à ma bouche, quand le pécheur s’élevait contre moi ».

7. Écoutez : « J’ai mis un frein à ma bouche, quand le pécheur s’élevait contre moi ». Voilà qu’un méchant s’élève contre toi, t’accablant d’injures, te reprochant même ce que tu ignores. Mets alors un frein à ta bouche. « J’ai dit : Je garderai mes voies, pour ne point pécher par ma langue ». Laisse-le dire ; entends et tais-toi. De deux choses l’une, ou ce qu’il dit est vrai, ou bien cela est faux. S’il dit vrai, tu lui as donné occasion de parler, et c’est peut-être un acte de miséricorde. Comme tu ne veux pas entendre ce que tu as fait, Dieu, qui prend soin de toi, te le dit par un autre, afin que la confusion qui va te couvrir te force à recourir au remède. Garde-toi donc de lui rendre le mal pour le mal, puisque tu ne sais qui te parle ainsi par sa bouche. Si donc il te reproche ce que tu as réellement fait, reconnais que tu as obtenu miséricorde ; car ou tu avais oublié ta faute, ou tu dois penser que ces injures sont pour ta confusion. Si tu n’es point coupable, ta conscience est libre. Pourquoi t’inquiéter, pourquoi t’irriter de ce que tu n’as point fait ? Qu’a dit, en effet, ton adversaire ? Voleur ! Ivrogne ! Cherche à l’instant dans les replis de ta conscience. Examine-toi intérieurement. Sois pour toi un juge, un examinateur sévère. C’est là qu’il te faut chercher. Où penses-tu que sont placés les péchés que j’ai commis ? Si tu n’en as point, dis : Je n’en ai point. Si ta conscience répond : Je n’en ai point, dis alors : « Telle est notre gloire, le témoignage de notre conscience ». Or, ta conscience t’a dit : Tais-toi et plains celui qui t’injurie. Dis encore au Seigneur : Mon Père, pardonnez-lui, car il ne sait ce qu’il dit. Prie Dieu pour lui. « J’ai dit : Je garderai mes voies pour ne point pécher par ma langue. J’ai mis une garde à ma bouche, quand le pécheur s’élevait contre moi ». Loin de toi de croire que l’on te prendra pour un saint, parce que nul ne te met à l’épreuve ; mais tu es un saint, quand les injures ne t’émeuvent point, quand tu plains celui qui t’injurie, quand, sans t’arrêter à ce que tu souffres, tu plains celui qui te fait souffrir. Voilà toute la miséricorde. Tu plains cet homme, parce qu’il est ton frère, un de tes membres. Il s’emporte follement contre toi, c’est un homme en délire, un malade. Tu dois le plaindre, sans t’en réjouir aucunement ; n’aie d’autre joie que dans la sincérité de ta conscience, mais lui, tu dois le plaindre. Tu es homme ; vois à n’être point tenté, toi aussi. Car il est dit : « Portez mutuellement vos fardeaux,[356] et ainsi vous accomplirez la loi de Jésus-Christ[357] ». Maintenant qu’il crie, tais-toi ; plus tard, quand il s’apaisera, dis-lui : Mon frère, par ton salut, pourquoi me reprocher ce que je n’ai point fait ? Tu m’as offensé, et néanmoins je prie Dieu pour toi. Je te pardonne en invoquant pour toi mon Dieu que tu as offensé par tes injures contre moi. N’en dis point davantage, préserve-toi de l’orgueil ! Je ne dis point : Vengez-moi, mon Dieu, de celui qui m’a reproché ce que je n’ai point fait. Je ne veux point tenir ce langage. « J’ai mis une garde à ma bouche, quand le pécheur s’élevait contre moi ».

8. « Je suis demeuré sourd et humilié », dit ensuite le Prophète, « je me suis tu sur le bien[358] ». « Je suis demeuré sourd ». Je n’ai point écouté ses clameurs. Quel progrès dans cet homme qui tonnait l’erreur de son frère, mais qui, fort de la joie de sa conscience, n’entend même pas que l’on aboie contre lui ! Quelle âme ! quelle sécurité ! quelle joie ! C’est elle qui dit à Dieu : « Je marchais dans l’innocence de mon cœur, au milieu de votre maison[359] ». Les voleurs en battaient les portes, mais la maison résistait. « Je suis donc demeuré sourd et humilié », sans aucun orgueil en face de mon adversaire ; « et dans mon humilité, je me suis tu sur le bien » ; car ce n’était point le moment pour moi de parler du bien. Ton seul parti alors, c’est le silence ; et quand il sera revenu à la vérité, tu pourras parler, il te comprendra. Quelquefois, dans le délire d’une maladie, des enfants ont frappé leurs parents, et en face de cette maladie, les parents essuyaient ces injures et pleuraient. De quelle tendresse des parents n’environnent-ils point leurs enfants contre la mort, et n’appellent-ils point leur santé ! Mais, diras-tu, mon adversaire n’est point mon fils ! Il est toutefois l’œuvre de Dieu, l’image de Dieu, le fils de Dieu. Si tu le dédaignes, parce qu’il n’est point ton fils, ne dédaignes en lui ni le fils de Dieu, ni ton frère. « Donc, je suis demeuré sourd et humilié ». Je ne me suis point livré à l’orgueil, mais « je me suis tu sur le bien, et ma douleur en a été renouvelée », non à mon sujet, mais au sujet de celui qui m’a reproché ce que je n’ai point fait. J’ai souffert, mais souffert parce qu’il a parlé de la sorte. Car c’est ma sollicitude pour mon frère qui a attisé ma douleur. Telle est la voie, car c’est ainsi qu’en agit le Seigneur notre Père, qui est appelé aussi l’Époux. « Les fils de l’Époux ne jeûneront point tant que l’Époux est avec eux[360] », est-il dit. Il a donc souffert de la part de ses enfants en délire, ces frénétiques l’ont mis à mort. Il a prié pour eux. Plus tard, ils sont revenus à la vérité, l’ont reconnu, ont cru en lui, et ceux qui n’avaient pas voulu être guéris par le médecin se sont laissé guérir par le disciple du médecin ; car ce fut Pierre qui les guérit. Comme Pierre, en effet, leur reprochait leur crime, « que ferons-nous ? » dirent-ils. Et Pierre : « Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ Notre-Seigneur[361] ». Les voilà furieux, puis les voilà fidèles. Voyez ce que produit la maladie d’abord, la santé ensuite. Pendant leur maladie, Dieu les tolère ; quand ils sont guéris, ils sont rachetés. De là pour nous, mes frères, la nécessité de garder le silence, quand nous souffrons les mêmes injustices, afin de ne point nous départir de ceci : Ou il dit vrai, ou il dit faux. Quand il ne le dirait point, si je l’ai fait, qu’arrivera-t-il ? Et dès lorsqu’il se tait, et que je suis coupable, il faut désirer qu’il le publie, afin que, coupable, je sois couvert de confusion. Mais s’il publie ce que je n’ai point fait, je dois me réjouir de ma sécurité et m’affliger de la faiblesse de mon frère. « Mon cœur s’est échauffé en moi-même[362] », mon cœur a tressailli pour mon frère d’une effervescence d’amour ; mais je n’ai pu faire naître le temps de parler. De là ce mot de saint Paul : « Je n’ai pu vous parler comme à « des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels[363] ». Et néanmoins, il a parlé. Quel a été son langage ? « Mon cœur s’est échauffé en moi-même, un feu m’embrase dans ma méditation ». C’est le feu de la charité qui est en moi, et je n’ai personne à qui je puisse parler, tant ils sont faibles. Je m’humilierai donc, et un temps viendra sans doute où je pourrai parler. Toutefois, « remettez-nous nos dettes comme nous les remettons à ceux qui nous doivent[364] ». Je lui pardonnerai, parce que rien ne pèse sur ma conscience. C’est peu que rien ne pèse sur ma conscience, mais je prierai pour lui, à cause de ma conscience.

9. Le Prophète avait dit : « J’ai dit : Je garderai mes voies, afin de ne point pécher en ma langue : J’ai mis un frein à ma bouche, et je me suis humilié » ; puis : « Un feu s’est embrasé dans ma méditation ». Je ne sais maintenant ce qui tout à coup se produit de plus grand, et après tant de combats et des luttes si violentes, écoutez ce qu’il dit : « J’ai parlé dans ma langue[365] ». Or, la langue est pour l’âme le mouvement de la volonté. De même, en effet, que la langue a son mouvement dans le corps, de même la volonté est un mouvement dans l’âme. Tel est le langage primitif, c’est par là que l’on parle à Dieu. La langue du corps a son mouvement pour les hommes placés au-dehors ; mais le langage qui consiste dans le mouvement de la volonté, n’a de mouvement que pour celui qui demeure dans son temple intérieur. C’est là le véritable langage. De là vient que le Seigneur a dit de ceux qui l’adorent, « qu’ils doivent l’adorer en esprit et en vérité[366] ». Tel est donc le véritable langage. « J’ai dit dans ma langue : Seigneur, faites-moi connaître ma fin et quel est le nombre de mes jours, afin que je sache ce qui me fait défaut[367] ». Avec un peu d’attention, votre sainteté doit comprendre cette pensée, et le Seigneur, dans sa miséricorde dont nous faisons journellement l’expérience, nous donnera par nos prières de pouvoir vous l’exposer, ce qui est assez difficile. « J’ai parlé en ma langue : Seigneur, faites-moi connaître ma fin et quel est le nombre de mes jours, afin que je sache ce qui me fait défaut ». Voyez ce qu’il demande : « Seigneur, faites-moi connaître quelle est ma fin ». Notre fin, mes frères, c’est le but auquel nous tendons et où nous devons demeurer. En sortant de nos maisons, notre fin était de venir à l’église. Donc notre voyage est à sa fin. De là pour chacun une fin nouvelle, qui est de retourner à la maison. C’est là la fin, là qu’il tendait. Donc, dans le pèlerinage de cette vie, nous avons une fin vers laquelle nous tendons. Où tendons-nous dès lors ? Vers la patrie. Quelle est notre patrie ? Jérusalem, la mère de ceux qui sont pieux, la mère des vivants. C’est là que nous tendons ; telle est notre fin. Et comme nous n’en connaissions pas la voie, le maître de cette cité s’en est fait la voie. Nous ne savions où aller. Des circuits hérissés d’épines et de rochers nous faisaient une voie très-difficile. Et voilà que celui qui est le principal citoyen de la cité est descendu le premier pour chercher des habitants. Nous étions égarés, en effet ; citoyens de Jérusalem, nous étions devenus citoyens de Babylone, fils de la confusion ; car Babylone signifie confusion. Il est donc descendu, et, pour se chercher des citoyens, il s’est fait notre concitoyen. Nous ne connaissions point cette cité, nous ignorions cette province. Mais parce que nous n’allions point à cette cité par excellence, voilà qu’il est descendu vers ses concitoyens, qu’il s’est fait l’un deux, non en prenant leurs pensées, mais en prenant leur nature. Il est descendu ici-bas. Comment est-il descendu ? Sous la forme de l’esclave. Dieu-Homme, il a demeuré parmi nous. Comme homme seulement, il n’eût pu nous conduire à Dieu. Dieu seulement, il n’eût pu se lier avec les hommes. Il a donc partagé avec nous l’égalité de condition, lui qui possédait la divinité avec son Père ; il a voulu être avec nous dans le temps, celui qui possède avec son Père l’éternité. Egal à nous ici-bas, égal à son Père dans le ciel. Il descend donc pour être notre concitoyen et nous dire : Que faites-vous ? Habitants de Jérusalem, ce n’est qu’en Jérusalem que l’on porte bien haut l’image et la ressemblance de Dieu ! Ce n’est point en cette vie que s’élèvent les statues de Dieu. Travaillons à retourner. Où retourner ? Voilà que je me mets sous vos pieds, que je deviens votre voie et ainsi votre fin. Soyez mes imitateurs. « Faites-moi connaître, Seigneur quelle est ma fin ». Nous l’en croyons, celui qui est notre fin.

10. C’est Dieu le Père qui parle maintenant. Je te le dis, ô âme que j’ai créée, ô homme que j’ai créé ; je te le dis, tu avais fini. Qu’est-ce à dire, tu avais fini ? Tu avais péri. J’ai envoyé quelqu’un pour te chercher, quelqu’un pour marcher avec toi, quelqu’un pour te pardonner, ses pieds donc ont marché, ses mains ont pardonné. De là, quand il revint après sa résurrection, il montra ses mains, son côté, ses pieds ; ses mains, qui avaient accordé le pardon des péchés ; ses pieds, qui étaient venus annoncer la paix aux hommes délaissés ; son côté, d’où coula le sang de la rédemption. « Le Christ est donc la fin de la loi pour tous ceux qui croiront [368], Seigneur, faites-moi connaître ma fin ». Déjà cette fin, qui est la tienne, est connue de toi. Comment s’est-elle fait connaître à toi ? Ta fin a été pauvre, ta fin a été humble, ta fin a été souffletée, ta fin a été couverte de crachats, ta fin a été en butte au faux témoignage. « J’ai mis un frein à ma bouche, quand le pécheur s’élevait contre moi ». Lui-même encore s’est fait ta voie. « Celui qui dit qu’il demeure en Jésus-Christ, doit marcher lui-même comme Jésus-Christ a marché[369] ». Il est la voie, marchons maintenant, sans craindre de nous égarer. Ne marchons pas en dehors de la voie, car il est dit : « Ils ont placé près du chemin des pièges pour me prendre, ils ont a ouvert pour moi un précipice près du chemin[370] », Et voici la miséricorde. Afin que tu évites le piège, tu as pour voie la miséricorde. « Seigneur, faites-moi connaître ma fin ». Telle est donc votre fin, imitez le Christ votre rédempteur. « Soyez mes imitateurs, comme je le suis du Christ[371] ». Quand est-ce que Paul imita le Christ ? Écoutez ses paroles. « Dans la faim et dans la soif, dans le froid et dans la nudité[372] », et le reste, jusqu’à ces autres : « Qui donc est scandalisé sans que je brûle ?[373] » Je me suis fait tout à tous, afin de les gagner tous[374]. J’ai mis un frein à ma bouche, quand le pécheur s’élevait contre moi ». Ainsi dit saint Paul, mes frères. « Qui pourra nous séparer de l’amour du Christ ? » Écoute la fin. « Qui pourra me séparer de l’amour du Christ ? la tribulation, l’angoisse, la persécution, la nudité, le péril ? » Quel homme, plein d’amour, de ferveur, qui court, qui arrive ! Que pouvait endurer cette âme ? quelle ferveur, quel enseignement ! « Qui me séparera de l’amour du Christ ? l’angoisse », et le reste jusqu’à ces paroles : « ou le glaive ? » Voilà ce qu’il a souffert ; et de peur qu’on ne croie qu’il en tire vanité, il ajoute : « Mes frères, je ne prétends pas être arrivé[375] ».

11. Mais pourquoi maintenant : « Faites-moi connaître, Seigneur, quelle est ma fin et quel est le nombre de mes jours » : combien j’ai de jours ici-bas. De quoi te servira de connaître ces jours ? « Afin de savoir ce qui me manque ». Oui, ce qui me manque, mais pour l’éternité. Écoute aussi Paul. Après de si grands travaux qu’il énumère, « je ne me flatte point d’être arrivé ». Écoute-le nous dire : « Ce qui me manque ». Que nul ne dise : J’ai beaucoup jeûné, beaucoup travaillé, beaucoup pardonné ; j’ai accompli tous les préceptes de Dieu. Je l’ai fait hier, je l’ai fait aujourd’hui, et il y aura encore un aujourd’hui, si tu l’as fait quelquefois. Hier a toujours un aujourd’hui. Si tu arrives au lendemain, ce sera un aujourd’hui, et dans dix ans, si tu vis, ce sera aujourd’hui. Dis donc chaque jour : Qu’est-ce qui me manque aujourd’hui ? Si Paul, en effet, ce laborieux champion du ciel, si Paul, après tant de travaux, de si sublimes révélations, Paul ravi jusqu’au troisième ciel, pour entendre d’ineffables paroles, dut néanmoins ressentir l’aiguillon de la chair qui l’humiliait, de peur que ses révélations ne lui donnassent de l’orgueil, qui oserait dire : Il me suffit ? De là donc cette parole du Prophète : « Seigneur, faites-moi connaître ma fin ». Voilà que tu as devant toi le Christ qui est ta fin. Tu n’as plus rien à chercher. Croire, pour toi, c’était connaître. Cependant la foi ne suffit point seule, il faut la foi et l’œuvre. L’une et l’autre sont nécessaires. « Car les démons aussi croient et tremblent[376] », vous a dit l’Apôtre ; et la foi ne leur sert de rien. C’est peu que la foi seule, si l’on n’y joint les œuvres. « C’est la foi qui agit par la charité[377] », dit l’Apôtre. « Faites-moi connaître, Seigneur, quelle est ma fin et quel est le nombre de mes jours ». C’est ce qui ne se dit point, car si chacun de nous connaissait l’heure de sa mort, il prendrait la résolution de bien vivre en ce moment. De là cette parole du Maître qui voulait nous laisser dans l’inquiétude, et à qui l’on demandait le jour et l’heure : « Quant au jour et quant à l’heure, nul n’en sait rien[378] », dit-il. Car il ne voulait pas le leur enseigner. « Pas même le Fils », a-t-il ajouté. C’est-à-dire, il n’est pas utile pour vous de le savoir, vous en seriez négligents, et non pleins de sollicitude. Mais votre vie en sera d’autant plus pure, quand vous serez dans l’ignorance du jour ; car ce n’est pas que je l’ignore, puisque « tout ce qui est à mon Père est à moi[379]. Faites-moi connaître, ô mon Dieu, quelle est ma fin, et quel est le nombre de mes jours ». Faites-le-moi connaître, de manière à me tenir dans une inquiétude continuelle, parce que je ne sais quand viendra le voleur, faites-moi connaître « ce qui me fait défaut ».

12. Ici, mes frères, soyons sur nos gardes, afin de savoir ce qui nous fait défaut. La tentation du chrétien est l’épreuve du chrétien. Car celui qui est tenté comprend ce qui lui manque. De deux choses l’une : ou il comprend ce qu’il possède, ou il comprend ce qui lui manque. Abraham fut tenté, non pour qu’il comprît ce qui lui manquait, mais afin que nous pussions voir en lui un modèle à imiter. Il fut tenté au sujet de son fils. Quelle fut cette tentation ? Il désira un fils quand son âge avancé ne lui en laissait plus espérer. Et néanmoins, quand il entendit la promesse de Dieu, il n’hésita pas un instant ; il crut et eut un fils ; il le mérita et le reçut du Seigneur. Ce fils naquit, fut nourri, avança en âge, fut sevré, et il fut dit à Abraham : « Toutes les nations seront bénies en ta race[380] ». Abraham savait en qui de sa race ; et nous en avons le témoignage dans l’Évangile. « Abraham désira voir mon jour[381] », dit le Sauveur, « il le vit et en tressaillit de joie ». Abraham le connaissait donc. Après tout ce qu’il avait cru, il entendit cet ordre du Seigneur : Abraham, va m’offrir ton fils en sacrifice. Pourquoi cette tentation[382] ? Dieu ne connaissait-il point sa foi ? Assurément, mais c’est pour nous que Dieu daigna la mettre en évidence. C’est à nous qu’il est dit : Offre-moi ta bourse en sacrifice ; et nous hésitons. Quel est ce sacrifice ? « Faites l’aumône, et voilà que tout est pur pour vous[383] ». Et encore : « Je veux la miséricorde plutôt que le sacrifice[384] ». Donne de ta bourse, dit l’Évangile, et toi tu la resserres. Que serait-ce, si l’on te demandait ton fils ? Quand tu hésites au sujet de ta bourse, que ferais-tu au sujet de ton fils ? « Afin que je sache ce qui me fait défaut. ». Je le dirai, mais non sans en souffrir et en rougir. Bien des femmes veulent souvent se dévouer au service de Dieu, et quand elles en ont le courage, elles disent à leurs parents : Laissez-moi aller. Je veux être la vierge de Dieu, ou je veux être le serviteur de Dieu ; et ils s’entendent répondre : ni sauvée, ni sauvé. Il n’en sera point selon tes désirs. Tu feras ce que je voudrai. Que serait-ce, si l’on te disait : Donne-toi la mort ? Tu vis, la vie éternelle t’est promise, elle est devant toi, et tu refuses, tu hésites, tu entres en lutte ? Assurément, tu es chrétien ? Pourquoi, mon cher ? Parce que je suis chrétien, faut-il que je sois sans postérité ? Faut-il que tu sois sans postérité ? Tu sais alors ce qui te fait défaut. Tu as jeûné hier ? Chante ce que chantait David : « Faites-moi connaître, Seigneur, quelle est ma fin et le nombre de mes jours, afin que je sache ce qui me fait défaut ». Que Dieu, dans sa miséricorde, nous mette chaque jour dans l’agitation, dans la tentation, dans l’épreuve, dans le labeur, afin que nous avancions dans la vertu. « Car la tribulation produit la patience, la patience l’épreuve, et l’épreuve l’espérance. Or, cette espérance n’est point vaine[385] ».

13. Donc, mes frères, soyons avides chaque jour de connaître ce qui nous fait défaut, de peur que, si nous étions dans la sécurité, le grand jour ne vienne et qu’il n’y ait plus rien de ce que nous comptions avoir ; et qu’alors nous n’entendions cette parole : « Qui vous confessera dans l’enfer ?[386] » Donc, mes frères, appliquons-nous à marcher vers Dieu chaque jour, faisant bon marché de ces biens passagers que nous devons laisser ici-bas. Fixons les yeux sur la foi d’Abraham, et comme lui aussi fut notre père, imitons sa piété, imitons sa foi. Si l’épreuve nous vient à propos de nos enfants, demeurons sans crainte ; si elle vient du côté de nos biens, soyons également sans crainte ; s’il nous arrive des infirmités corporelles, plaçons notre espoir dans le Seigneur. Nous sommes chrétiens, nous sommes étrangers ici-bas. Soyons sans crainte, la patrie n’est point en cette vie. Celui qui veut se faire une patrie sur la terre, perdra cette patrie et n’arrivera point à l’autre. Comme des fils dévoués, allons à cette patrie ; afin que Dieu lui-même approuve et dirige notre course. Tournons-nous du côté du Seigneur, etc.

VINGT ET UNIÈME SERMON.
SUR CES PAROLES DU PSAUME 32, v.1 : « TRESSAILLEZ DANS LE SEIGNEUR, Ô VOUS QUI ÊTES JUSTES, ETC. »[387]

ANALYSE.—1. À qui convient-il de louer Dieu.—2. On ne doit pas juger de Dieu sur le bonheur temporel des méchants.—3. Les hommes au cœur droit louent Dieu, même dans l’adversité.—4. Dieu nous châtie en Père.—5. C’est l’usage qui rend les richesses bonnes ou mauvaises.—6. Exemple de Job proposé aux chrétiens.—7. Droiture du cœur de Job dans toutes ses épreuves.—8. On doit adorer les desseins de Dieu et non les discuter.—9. Nous devons néanmoins l’implorer dans l’adversité.

1. Le psaume que nous venons de chanter nous avertit de bénir Dieu avec joie et de conformer notre vie à la louange de Dieu. « Tressaillez dans le Seigneur, ô vous qui êtes justes ; c’est aux cœurs droits qu’il appartient de le bénir[388] ». S’il appartient aux cœurs droits, il n’appartient pas aux cœurs dépravés. Or, ces cœurs droits que le Prophète convie à bénir le Seigneur sont aussi les justes, et c’est à eux qu’appartient la louange. Quels sont les hommes dépravés, sinon les pécheurs, qui ne sauraient tressaillir dans le Seigneur ; car la louange ne leur convient pas. C’est avec raison qu’un autre psaume a dit : « Dieu a dit au pécheur : Est-ce à toi qu’il appartient de publier mes décrets, et pourquoi ta bouche annonce-t-elle mon alliance[389] ? Car c’est aux cœurs droits qu’il « appartient de me louer », et les secrets de Dieu, comme le testament de Dieu, sont bien l’objet de la louange. C’est donc à bon droit qu’il est dit ailleurs : « La louange est sans éclat dans la bouche de l’impie[390] ». Elle est en effet sans éclat où elle ne convient point, et où elle convient elle reprend cet éclat.

2. Or, en feuilletant les Écritures, nous connaissons quels sont les hommes droits, et chacun peut connaître si la louange de Dieu convient dans sa bouche. Nous lisons dans un psaume : « Combien est bon le Dieu d’Israël aux hommes qui ont le cœur droit ». Et ensuite : « Mes pieds se sont presque égarés, parce que je me suis indigné contre les méchants, en voyant la paix des pécheurs[391] ». Le Prophète nous confesse ici, non point son aversion, non plus que sa chute, mais le danger qu’il a couru. Il ne dit point qu’il est tombé, mais que ses pieds chancelaient à le faire tomber. Voici en effet ses paroles : « Combien est bon le Dieu d’Israël pour les hommes au cœur droit ». « Mes pieds ont presque chancelé ». Comme il part de son aversion pour se distinguer de ceux qui ont le cœur droit, il confesse dès lors que son cœur n’a pas toujours été droit, et dès lors ses pieds ont presque chancelé. « Le Dieu d’Israël est donc bon aux yeux des hommes au cœur droit », mais un jour je ne vis point qu’il était bon, parce que mon cœur n’était pas droit. Le Prophète n’ose point dire : Dieu ne m’a point paru bon ; et néanmoins il le dit. Quand, en effet, il s’écrie : « Combien est bon le Dieu d’Israël aux yeux des hommes au cœur droit ; quant à moi, mes pieds ont presque chancelé », il nous laisse entendre que ses pieds chancelaient précisément parce que Dieu ne lui paraissait pas bon. D’où vient alors qu’il n’a point vu la bonté de Dieu ? « Mes pieds ont presque chancelé ». « Presque », en quel sens ? Peu s’en est fallu qu’ils ne chancelassent. Pourquoi ? « C’est que j’étais indigné contre les pécheurs, en voyant la paix dont ils jouissent u. J’ai vu ; dit-il, des pécheurs qui n’adorent pas Dieu, qui blasphèment Dieu, qui lui lancent l’insulte ; je les ai vus au comble de la paix, au comble de la félicité, et il m’a paru qu’un Dieu qui donne le bonheur à ceux qui le blasphèment n’est point juste dans ses jugements. À cette vue, c’est-à-dire à la vue du bonheur des méchants, le Prophète nous dit que ses pieds ont chancelé, au point que Dieu ne lui paraissait point juste. Mais ensuite, parce qu’il a connu, selon qu’il est dit dans le psaume : « Je me suis imposé la tâche de connaître », et qu’il ajoute : « Tel est le labeur qui s’impose à moi » ; c’est-à-dire la cause du bonheur des méchants « est un labeur qui s’impose à moi ; jusqu’à ce que j’entre dans le sanctuaire de Dieu et que je comprenne quelle sera leur fin[392] » ; c’est-à-dire que si les méchants jouissent aujourd’hui d’une félicité passagère, c’est qu’une peine éternelle les attend au dernier jour. Cette connaissance, une fois acquise, a donné au Prophète un cœur droit, et dès lors il s’est mis à louer Dieu en toutes choses, et dans les perplexités de l’homme juste, et dans la félicité du méchant, parce qu’il voit qu’au dernier jour Dieu rendra à chacun ce qui sera juste, bien qu’il accorde une félicité temporelle à quelques-uns, auxquels est réservée la damnation éternelle au dernier jour ; bien qu’il mette aujourd’hui à l’épreuve du malheur ceux qu’il se réserve de combler du bonheur éternel ; car les rôles doivent changer, comme il arriva pour ce riche « qui a donnait tous les jours de magnifiques repas[393] », et pour ce pauvre couvert d’ulcères, couché à la porte du riche et désirant se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche. À la mort de l’un et de l’autre, le premier subit son châtiment dans l’enfer, et le second se reposa au sein d’Abraham. Or, comme cela paraissait insupportable au riche, et qu’il désirait que le doigt de Lazare fît tomber sur lui une goutte d’eau, lui dont Lazare enviait les miettes qui tombaient de sa table, qui envie à son tour une goutte d’eau tombant du doigt de Lazare, entendit de la bouche d’Abraham cette sentence de la justice de Dieu : « Mon fils, souvenez-vous que vous avez reçu les biens pendant la vie, et Lazare les maux ; or, maintenant le repos est pour lui, et pour vous le châtiment[394] ». C’est donc sur le dernier jour qu’il jette son regard, en entrant dans le sanctuaire de Dieu, cet homme à qui Dieu ne paraissait pas juste, parce qu’il s’irritait contre les justes, à la vue de la paix dont ils jouissent ; il reconnaît que les jugements de Dieu sont droits et justes, et ce qui existe même aujourd’hui, mais couvert d’un voile, deviendra manifeste au dernier jugement ; et alors, en face de cette règle de la justice de Dieu, qui redresse les cœurs tortueux, son cœur se redressa de sa dépravation naturelle, et il s’écria : « Combien est bon le Seigneur d’Israël, pour les hommes au cœur droit ! » Aujourd’hui que mon cœur est droit, je comprends que Dieu est bon ; auparavant, il ne me paraissait point juste, parce que mes pieds chancelaient. « Je me suis indigné contre les pécheurs, en voyant la paix dont ils jouissent ».

3. Si donc le Seigneur te parait bon, même quand il donne la félicité aux méchants, ce qui soulevait autrefois tes murmures contre lui, alors ton cœur est droit, et il te convient de le louer : « C’est aux cœurs droits qu’il appartient de le bénir ». Mais si tu es dépravé, la louange ne va point dans ta bouche. Pourquoi n’y va-t-elle point ? Cette louange que tu donnes à Dieu ne sera point persévérante. Car tu bénis Dieu seulement quand tu es heureux ; tu blasphèmes Dieu dès qu’il t’arrive un malheur. Car Dieu te plaît quand il t’envoie la félicité, il te déplaît s’il te châtie. Ton cœur n’est donc point droit, et tu ne saurais chanter cette parole d’un autre psaume : « Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sera toujours en ma bouche[395] ». Comment le bénir « toujours », si tu le bénis dans la félicité, et non dans l’adversité ? Car ce que l’on appelle adversité pour toi, est un bien, si tu comprends que c’est un père qui te redresse. C’est l’enfant insensé qui aime le maître, alors qu’il en est flatté, qui le déteste quand il en est corrigé ; mais l’enfant vraiment intelligent comprend que c’est la bonté du maître qui le porte à corriger comme à flatter. On flatte un enfant, pour qu’il ne se trouve point en défaut ; on le châtie, de peur qu’il ne se perde. Un homme donc ayant un cœur semblable, c’est-à-dire un cœur droit, de telle sorte que Dieu ne lui déplaise point, quand même il lui paraîtrait momentanément ennemi, cet homme peut louer Dieu en toute sécurité, parce qu’il le bénira « toujours » et que la louange convient dans sa bouche, et qu’il chante en toute vérité : « Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sera toujours en ma bouche. Il châtie celui qu’il reçoit parmi ses enfants[396] ». Que choisis-tu donc ? Être châtié et reçu, ou épargné mais non reçu ? Vois quel fils tu veux être. Si tu aspires à l’héritage paternel, ne refuse point le châtiment. Si tu refuses le châtiment, renonce à l’héritage. Pourquoi te redresser, sinon pour te donner son héritage ? Pour arriver à l’héritage de ton père, n’as-tu pas été par lui réprimandé, redressé, châtié, fustigé ? Dans quel but ? Afin que tu devinsses l’héritier d’une maison qui tombera un jour, d’un fond de terre qui passera, d’un or qui ne doit durer en cette vie qu’autant que toi qui le possèdes. Car, ou bien tu le perdras pendant ta vie, ou tu le laisseras à ta mort. C’est pour un héritage aussi peu durable que tu as supporté les châtiments de ton père, et tu murmures lorsque Dieu te redresse pour te donner le royaume des cieux ?

4. Si donc tu es disposé à aimer Dieu, à l’aimer quand il te corrige, car ou bien il y a en toi quelque chose que le châtiment doit redresser, ou c’est ta droiture qui est mise à l’épreuve du châtiment ; dès que tu es ainsi disposé, bénis le Seigneur ; car tu le bénis en toute sécurité. Pourquoi en sécurité ? Parce que tu le bénis convenablement et avec persévérance. Car je ne crains plus alors que tu le bénisses maintenant, pour le blasphémer tout à l’heure. Je ne crains plus que l’homme en santé bénisse Dieu, et que la langue du malade appelle, soit l’astrologue, soit le sorcier, soit l’enchanteur, soit l’alligator avec ses ligatures diaboliques. Je suis sans crainte, parce que tu as compris que Dieu est bon, même quand il châtie, et que tu sais bien que celui qui châtie un fils connaît le moment de pardonner. Il te convient donc de le bénir, parce que tu le béniras toujours et que la louange du Seigneur sera continuellement dans ta bouche. Tu reçois avec joie les caresses d’un père, reçois avec la même joie ses châtiments. Tu ne cours point après lui, quand il te flatte, pour fuir quand il te châtie. Autrement tu ressemblerais à l’enfant qui, fuyant le châtiment de son père, tomba dans les caresses du marchand d’esclaves, qu’il trouvait bon, quand son père lui paraissait méchant, qui préféra la fourberie des caresses à la vérité du châtiment, et à qui cette préférence fit échanger l’héritage paternel contre l’esclavage. Change de dessein, et fais-toi un cœur droit : Ce n’est point Dieu qui change quand il te châtie, mais c’est toi qui es changeant. Pour lui, il a un but en te changeant, c’est de te changer en mieux, pour te donner son héritage. T’abandonner, te négliger, c’est un terrible effet de sa colère, alors même qu’il te paraît bon. Que votre charité veuille bien écouter ce que dit dans un autre psaume la sainte Écriture : « Le pécheur a irrité le Seigneur », est-il dit. Comment l’a-t-il irrité ? Voyez à l’endroit où le Prophète nous parle de cette irritation du Seigneur. Mais le pécheur a excité a son comble cette colère de Dieu. « Sa colère est si grande que Dieu ne le recherchera point[397] » ; dit le Prophète.

5. Le saint homme Job, au contraire, bénis sait Dieu en tout temps, avait toujours sa louange à la bouche ; au temps de ses richesses, il bénissait Dieu par ces mêmes richesses qu’il employait à toutes ces bonnes œuvres énumérées dans son livre, à donner du pain au pauvre, à vêtir celui qui était nu, à recevoir l’étranger, et toutes ces autres œuvres qui sont le seul avantage que les riches peuvent tirer de leurs biens, le seul bénéfice qui leur en revienne. Ce n’est pas un gain, en effet, ce n’est pas prélever un bénéfice que de laisser du bien à ses enfants ; car on ne sait qui doit posséder après la mort le fruit de tant de labeur. Aussi l’Écriture a-t-elle mis cela au nombre des vanités : « Tout homme vivant sur la terre n’est que vanité », nous dit-elle. « Il amasse les trésors et ne sait qui les recueillera[398] ». Donc tout le gain que l’on peut faire au moyen des richesses, c’est le trésor du royaume des cieux. De là ce conseil que te donne le Seigneur, non de perdre ton or, mais de le changer de place. Il ne te dit point que le donner c’est le perdre ; mais, comme il ne profite point sur la terre, je te le conserverai dans le ciel. Pourquoi crains-tu de le perdre ? Tu le mets dans le ciel sous la garde du Christ. Si le lieu t’inspire de la crainte, c’est le ciel ; si c’est le gardien, c’est le Christ. Comment craindrais-tu de le perdre ? Tel est donc l’usage que Job faisait de ses biens, et dès lors ces œuvres étaient une louange à Dieu, il bénissait Dieu dans les biens qu’il en avait reçus. Car c’est à tort, mes frères, que l’on accuse les richesses. Quand vous voyez de mauvais riches, pensez-vous que, pour cela, les richesses soient mauvaises ? Ce ne sont pas les richesses, mais les riches qui sont mauvais. Quant aux richesses, elles sont un don de Dieu. Mettez-les entre les mains d’un juste, et vous verrez l’usage qu’il en fera. Le vin serait-il donc mauvais parce que tel individu s’enivre ? Donnez-le à l’homme sobre, et il y verra un présent divin. De même, donnez de l’or à l’homme avare, et, pour grossir son bien, il ne reculera devant aucun crime. Donnez de l’or à l’homme juste, au contraire, et voyez comme il fera des aumônes, comme il viendra au secours des autres, comme il soulagera autant qu’il pourra les besoins des autres. Ce ne sont donc point les richesses qui sont mauvaises, mais celui qui en use mal. Job fit de ses richesses un saint usage, ainsi qu’Abraham. Il était bien pauvre sans doute, mes frères, ce mendiant couvert d’ulcères, couché à la porte du riche, et dont les chiens léchaient les plaies. Voilà ce que nous lisons, voilà ce qui est écrit, et néanmoins où fut-il porté ? « Dans le sein d’Abraham[399] ». Compulse les Écritures, vois si cet Abraham fut pauvre sur la terre. Tu verras qu’il possédait beaucoup d’or, beaucoup d’argent, de grands troupeaux, beaucoup d’esclaves, et de grands biens. Le pauvre trouve donc le soulagement au sein du riche. Si la pauvreté lui était un mérite, Abraham ne le précéderait pas au lieu du repos, il ne le recevrait point venant après lui ; mais comme il y avait chez ce pauvre Lazare tout ce qu’on trouvait chez le riche Abraham, c’est-à-dire l’humilité, la piété, le culte de Dieu, l’observance de ses préceptes ; pour l’un, les richesses ne furent point un obstacle, ni pour l’autre la pauvreté ; la piété constitua pour l’un et pour l’autre le vrai mérite. De là vient, mes frères, que, dans ce riche de l’Évangile qui a si tristement changé les rôles, ce, ne sont point ses richesses que l’on blâme, mais son esprit. « Il était revêtu de pourpre et de fin lin, et donnait de grands festins tous les jours[400] ». Et il endurait qu’un mendiant couvert d’ulcères fût couché à sa porte ? Et, dans son orgueilleux mépris, il n’apaisait pas sa faim ? Quelles paroles de mépris contre l’indigent mettrez-vous dans la bouche de ce riche ? Que fait ce mendiant couché à ma porte ! Il était donc bien juste que sa langue souhaitât une goutte d’eau du doigt de ce pauvre qu’il avait méprisé.

6. Donc le saint homme Job, comme je l’ai dit, au milieu de ses richesses, loua Dieu et fut tenté pour être mis à l’épreuve, éprouvé pour devenir un modèle. Il était en effet inconnu aux hommes, et non-seulement aux hommes, mais au diable qui voit de plus près qu’aucun homme. On ne connaissait donc point ce qu’était Job ; mais le Seigneur le connaissait. Il permit au tentateur de l’éprouver, et il voulut cette épreuve non pour lui, mais pour nous donner un modèle à imiter. Car ce n’est point au diable que le Seigneur voulait montrer Job, mais à `nous par le moyen du diable, afin de proposer à notre imitation sa victoire sur le diable. Donc, après avoir tout perdu, non peu à peu, mais tout d’un coup, il s’écria : « Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté. Comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait, que le nom du Seigneur soit béni[401] ». « Comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait ». Ce qui plaît au cœur droit ne peut être dépravé ; ce qui plaît à celui qui est bon ne saurait être mauvais. « Le Dieu d’Israël est bon aux yeux de l’homme au cœur droit ». Job avait le cœur droit et, dès lors, il lui convenait de louer Dieu. « Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté. Comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait ». Sa confession est une louange : « Que le nom du Seigneur soit béni. Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté ». C’était alors l’abondance, maintenant c’est la pauvreté. Les biens sont changés pour moi, mais Dieu n’est point changé. Pour moi, je suis tantôt riche, et tantôt pauvre ; mais Dieu est toujours riche, toujours droit, toujours père. « Que le nom du Seigneur soit béni ! » Non pas que le nom du Seigneur ait été béni dans mes richesses, et maudit pendant ma pauvreté. Qu’à Dieu ne plaise ! Voilà ce que disait Job enrichi des biens intérieurs. Toute sa maison était en ruine, mais son cœur regorgeait. Sa maison était en ruine, son or perdu, mais son cœur était plein. Dieu lui-même lui tenait lieu de tout ce qu’il lui avait donné. « Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté ». Voyez comme il comprend cette puissance suréminente. Garde-toi, ô chrétien, d’adorer Dieu pour le royaume du ciel, et de craindre le diable pour les biens d’ici-bas. Toute puissance, et la souveraine puissance est en Dieu. Le diable a seulement eu la volonté de nuire ; mais il ne l’a pu sans la permission de Dieu. C’est donc en Dieu qu’est toute la puissance. Au reste, si le diable avait le pouvoir comme la volonté, qui donc serait encore chrétien ? Dieu aurait-il encore un adorateur sur la terre ? Ne voyez-vous point s’effondrer le temple du démon, ses idoles se briser, ses prêtres se convertir au vrai Dieu ? Croyez-vous qu’il n’y ait en cela nulle douleur pour le diable, nulle torture ? Si donc sa puissance égalait sa douleur, quelle église pourrait encore subsister ici-bas ? De là vient que, dans sa sainteté, Job dépouillé de tout par les artifices du démon, ne lui accorde néanmoins aucune puissance. Quand il bénit Dieu, il ne dit point : Le Seigneur l’a donné, le diable l’a ôté ; mais il s’écrie : « Le Seigneur l’a donné, « le Seigneur l’a ôté ». Que le diable ne s’arroge rien. C’est par Dieu que j’étais riche, et par Dieu encore que je suis pauvre. S’il lui a été permis de m’éprouver, il ne lui a pas été permis de m’ôter la vie. Or, il m’eût ôté la vie, non en me tenant à la gorge et en m’étranglant, mais en tuant mon âme. Que Job, en effet, au milieu de ses tribulations, eût échappé de sa bouche une parole de blasphème, t’eût été mourir, puisque t’eût été chasser de lui-même l’esprit de vie. Or, c’est ce qu’il ne fait ni dans sa pauvreté si subite, ni dans ses derniers malheurs.

7. C’était peu, en effet, pour le diable, de lui avoir enlevé toutes ses possessions ; il lui enleva aussi ses enfants, pour qui il possédait ses richesses, et ne lui laissa que sa femme. Il n’y eut qu’elle qu’il n’enleva point, parce qu’il avait dessein de s’en servir. Il savait que Adam avait été séduit par Eve. Il se réservait donc en elle une ressource plutôt qu’une consolation pour son mari. C’était encore peu pour lui d’avoir ôté à Job tous ses biens, ne lui laissant que sa femme qui devait lui servir pour le tenter, il demanda à lui ôter aussi la santé du corps. Il lui fut permis de l’ôter encore, afin que, dans cette nouvelle, blessure, Job louât Dieu dans la droiture de son cœur, sans varier nullement, puisque c’est à lui que convient la louange. Cette femme donc réservée pour cette fin, s’approcha de Job et lui persuada de blasphémer Dieu, lui conseilla même. « Quels malheurs sont les nôtres ! » dit-elle en effet : « Parle contre Dieu et meurs[402] ». Eve, la première, fut séduite par le diable qui semblait la convier à vivre, et trouva la mort. Le diable, en effet, lui avait dit : « Tu ne mourras point de mort[403] ». Dans la pensée qu’elle vivrait, elle trouva la mort, parce qu’elle agit contrairement au précepte du Seigneur, et qu’elle persuada à son mari d’agir contre ce précepte. Ici c’est le contraire : « Parle contre Dieu et meurs ! ». Qu’il suffise à Eve d’avoir engagé son mari à transgresser le précepte de Dieu. Celle-ci est une nouvelle Eve. Mais Job n’est plus Adam. Elle était pleine de l’esprit du diable, et lui, corrigé par l’exemple. Job sur son fumier est supérieur à Adam au paradis. Afin que vous compreniez ce que c’est qu’avoir un cœur droit, comment Job put-il vaincre le diable, dans sa pauvreté et couvert de telles plaies ? Voici, en effet, la réponse qu’il fit à sa femme « Vous avez parlé comme une femme insensée ; si nous avons reçu les biens de la main de Dieu, pourquoi n’en pas recevoir les maux ?[404] » Il bénit le Seigneur en tout temps, sa louange fut toujours en sa bouche. Car son cœur était droit, et il lui convenait de bénir Dieu. Ayez le cœur droit. Et si vous voulez avoir le cœur droit, que Dieu ne vous déplaise en rien. Ou bien, en effet, tu découvres la cause qui fait agir Dieu, et à la vue de cette cause, tu ne saurais te plaindre, ou cette cause t’échappe, et tu dois alors savoir que celui qui agit ne saurait déplaire en rien.

8. Un homme renverse sa maison, et on l’en blâme. Si l’on connaît la cause qui le fait agir, il peut arriver qu’on ne l’en blâme point. Nous voici dans une basilique fort étroite, et il plaît au Seigneur que l’on en bâtisse une autre ; alors on détruira celle-ci. Qu’un homme la voie détruire quand on y mettra les ouvriers, il dira : N’est-ce point là qu’on priait ? là qu’on invoquait le nom du Seigneur ? Que fait cet oratoire à ces hommes, pour le détruire ? On désapprouve l’ouvrage, parce qu’on en ignore le dessein. C’est donc ainsi que Dieu agit quelquefois. Ou tu connais ses motifs d’agir, et tu le bénis ; ou tu les ignores, et tu crois si tu as le cœur droit. Tel homme, en effet, a le cœur droit, qui bénit Dieu dans les causes qu’il découvre et qui n’accuse pas Dieu de son ignorance quand il ne comprend point. Il y a injustice, ô homme, qui gouvernes ta maison, il y a folie de te blâmer, quand on ignore les motifs de tes actions, quand on ignore tes desseins ! Et toi, tu oses bien t’en prendre à Celui qui gouverne le monde entier, au Créateur du ciel et de la terre, quand le vent souffle, quand la vigne meurt, quand un nuage s’élève et vomit la grêle ? Loin de toi tout blâme. Dieu sait diriger et compter toutes ses œuvres. Assurément tu n’as pu bâtir le ciel et la terre, et pourtant, peu s’en faut que tu ne dises à Dieu : Ah ! si je gouvernais, je m’y prendrais autrement. Qu’une chose te déplaise dans les œuvres de Dieu, ne voudrais-tu pas gouverner le monde ? Honte à toi. Vois à qui tu voudrais succéder. Toi, mortel, à Celui qui est immortel ; toi, homme, à Dieu ! Il est mieux à toi de lui céder, que de chercher à lui succéder. Cède à Dieu, parce qu’il est Dieu, lui qui, en agissant quelquefois contre ta volonté, n’agit cependant point contre ton bien. Combien de fois les médecins n’agissent-ils pas contre le gré des malades, sans rien faire contre leur santé ? Or, un médecin se trompe quelquefois, mais Dieu, jamais. Si donc tu te confies au médecin qui se trompe, si tu as confiance à un homme, non-seulement pour panser une plaie, ce qui est peu de chose, ou pour poser un appareil souvent douloureux ; mais pour brûler, pour trancher, pour amputer un de tes membres né avec toi ; si tu as foi en lui, tout en disant Celui-ci peut-être se trompe, et j’en serai pour un doigt de moins ; si tu lui permets d’enlever ton doigt de peur que la gangrène ne gagne tout le corps, ne permettras-tu pas à Dieu de trancher, afin de récolter en toi quelques fruits, si tu es assez sage pour pratiquer l’obéissance ?

9. Ayez donc, mes frères, le cœur droit, c’est-à-dire que Dieu ne vous déplaise en rien. Loin de moi de vous dire de ne point prier ; au contraire, priez dans l’affliction, autant que vous le pouvez. Refuse-t-il la pluie, il faut le prier ; nous la donne-t-il, bénissons-le ; mais dût-il la refuser, qu’il faut le louer et le prier. Nous ne vous prêchons pas de ne pas prier. Parfois il se laisse fléchir et accorde à ceux qui demandent, refusant tout à ceux qui ne demandent point. Dieu veut qu’on le prie, au point de ne rien accorder qu’à la prière. Mais alors l’âme la plus humble contribue à la grandeur de Dieu, s’il vient à son secours dans la tribulation, de manière à nous consoler quand nous prions dans nos épreuves. S’il est miséricordieux envers nous, c’est pour notre avantage et non pour le sien. Vois en effet combien il serait malheureux que le monde eût pour toi des douceurs et Dieu des amertumes, lui qui a fait le monde. Ne faudrait-il pas te changer, te redresser, pour avoir le cœur droit ? Que le monde alors ait pour toi des amertumes, et Dieu des douceurs. Que le Seigneur notre Dieu répande alors des amertumes sur les biens de ce monde. Oui, qu’il y répande l’amertume ? Jouir ici-bas, être dans l’abondance, regorger de délices, oublier Dieu, voilà ce qui plaît. A-t-on quelque superflu d’argent[405], on l’emploie en frivolités, on refuse d’en faire un noble usage, d’acheter le ciel à ce prix ; on s’obstine à perdre cet argent, et soi-même, et les autres compagnons de dépenses. Ne voulez-vous donc point que Dieu retranche le superflu, pour empêcher la gangrène de s’étendre partout ? Dieu sait ce qu’il doit faire. Laissons-le agir, abandonnons-nous à ses soins qui nous guériront, et ne donnons pas de conseils au médecin. Tournons-nous vers le Seigneur, etc.

VINGT-DEUXIÈME SERMON.
SUR CES PAROLES DU PSAUME 51, v.10 « J’AI ESPÉRÉ DANS LA MISÉRICORDE DE DIEU ».[406]

ANALYSE.—1. Combien doit durer notre espérance.—2. Les espérances humaines traînent en longueur, sont vaines, trompeuses.—3. Quand est-ce que notre espérance est vraie.

1. Il me faut répondre tout d’abord à mon frère, à mon collègue dans l’épiscopat. J’ai avancé, le matin, que la charité n’est pas tranquille, point paresseuse ; mais puisqu’il l’a voulu, nous obéirons et à lui, et à Dieu par lui, et à vous, demandant au Seigneur qu’il mette en vous l’obéissance. Nous venons de chanter : « J’ai espéré dans la miséricorde de Dieu[407] ». Disons un mot de notre espérance. Quand il en sera temps, nous mettrons un terme aux paroles de notre discours, mais l’espérance dont il est question doit durer toujours, et ne point finir avec notre discours lui-même. Que nous parlions et que nous cessions de parler, notre espérance crie incessamment vers le Seigneur. Toutefois l’espérance elle-même (ce que je vais dire paraîtra dur, sans doute, mais ne blessera personne, j’ai la confiance que ma parole bien expliquée sera inoffensive), cette même espérance n’aura point une éternelle durée. Quand la réalité sera venue, il n’y aura plus d’espérance. Elle porte en effet ce nom d’espérance, tant que nous ne possédons pas la réalité, selon cette parole de l’Apôtre : « L’espérance que l’on voit n’est plus une espérance. Comment espérer ce que l’on voit ? Or, si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons par la patience[408] ». Si donc l’espérance que l’on voit n’est plus une espérance, puisque nul ne saurait espérer ce qu’il voit, et qu’elle porte ce nom d’espérance parce qu’elle a pour objet ce que nous ne voyons point ; quand cet objet sera devenu visible, alors il n’y aura plus espérance, mais réalité. Ce ne sera point alors une malédiction d’être sans espérance ; tandis que maintenant, vivre sans espérance, c’est pour chacun une malédiction, un opprobre. Malheur à celui qui est sans espérance en cette vie ! Vivre en effet sans espérance est un grand malheur ici-bas, puisque nous ne tenons pas la réalité. Mais en face de la réalité, arrière toute espérance.

2. Toutefois, cette réalité que nous tiendrons alors, quelle est-elle ? Qu’est-ce qui doit succéder à l’espérance ? Nous rencontrons bien des hommes qui nourrissent beaucoup d’espérances terrestres et purement de cette vie. Pour nul homme la vie n’est sans espérance, et cette espérance ne s’éteint qu’à la mort. Pour les enfants, il y a espérance de grandir, de s’instruire, de connaître. L’adolescent a pour espérance le mariage, des enfants. Les parents ont l’espérance de nourrir leurs enfants, de les instruire, de voir grandir ceux qu’ils ont cajolés dans leur enfance. En sorte qu’on pourrait dire que c’est l’espérance qui domine dans la vie humaine, que c’est ce qu’il y a de plus naturel, de plus excusable et de plus vulgaire. Il est en effet bien des espérances vulgaires et très-répréhensibles ; mais bornons-nous à la plus honnête, à la plus naturelle. Chacun ne vient au monde que pour croître, pour s’unir par le mariage, pour avoir des enfants, les instruire, être appelé près de ses enfants. Que cherche-t-il de plus ? Là ne se borne point son espérance. Il aspire à donner des épouses à ses fils ; il l’espère encore. A-t-il atteint ce but, qu’il désire des petits-fils. Quand il en a, quand il est à sa troisième génération, le voilà vieillard, mais cédant à regret sa place à ses petits-fils. Il cherche encore ce qu’il pourrait désirer, ce qu’il pourrait espérer, et il se drape de bienveillance. Puisse, dit-il, cet enfant m’appeler grand-père ; puissé-je entendre ce mot de sa bouche et mourir ! L’enfant grandit, l’appelle grand-père ; mais celui-ci ne se regarde point encore comme aïeul. Car s’il est aïeul, s’il est vieillard, pourquoi ne point reconnaître qu’il doit s’en aller et faire place aux autres ? Mais quand il entend ce nom d’honneur dans la bouche d’un enfant, cet enfant, il veut l’instruire. Et pourquoi se refuserait-il l’espérance d’un arrière-petit-fils ? C’est ainsi qu’il meurt, tout en espérant ; qu’il espère tantôt une chose, tantôt une autre chose, quand il a obtenu ce qu’il espérait. Mais voir une espérance réalisée ne le satisfait point, il se jette dans une autre. Pourquoi cette espérance vient-elle à se réaliser ? Assurément, c’est pour mettre un terme à ton voyage ; car ce terme n’est pas reculé. Et combien sont dupes de cette espérance, espérance usée ? D’abord elle ne satisfait point, quand elle se réalise, et combien n’arrivent pas à la réalité ! Combien ont espéré le mariage, sans y arriver ? Combien l’ont espéré, avec celles qu’ils aimaient, ont réussi, pour n’aboutir qu’à des tourments ! Combien ont désiré des enfants sans pouvoir en obtenir ! Combien ont dû gémir de ceux qu’ils avaient obtenus ! Ainsi du reste. Tel désire les richesses, ne les a-t-il point, que le désir le dévore ; les a-t-il, qu’il est torturé par la crainte. Il n’est personne qui cesse d’espérer, personne qui soit rassasié. Les dupes sont en si grand nombre, et toutefois nul n’abandonne ses espérances mondaines.

3. Qu’elle se réalise un jour cette espérance qui n’est point trompeuse, mais qui rassasie, qui nous donnera ce bien qu’on ne saurait dépasser. Quel est donc cet objet de notre espérance, dont la réalisation mettra fin à toute espérance ? Quel est cet objet ? La terre ? Non. Quelque chose qui naît sur la terre, comme l’or, l’argent, un arbre, des moissons, des fleuves ? Rien de tout cela. Quelque chose qui vole dans les airs ? Mon âme l’a en horreur. Serait-ce le ciel, si beau, si étincelant de lumière ? Quoi de plus beau parmi les choses visibles, quoi de plus séduisant ? Ce n’est point cela non plus. Qu’est-ce donc ? Tout cela est beau, est délicieux, plein de charmes. Cherche celui qui a fait tout cela. C’est lui, ton espérance. Il est ici-bas ton espérance, avant d’être plus tard ton bien. L’espérance pour la foi, la réalité pour la vision. Dis-lui : « Vous êtes mon espérance ». Oui, tu as raison de dire ici-bas : « Vous êtes mon espérance ». Car tu crois, tu ne vois pas encore. Tu as la promesse, non la réalité. Tant que tu es dans ce corps, tu es éloigné de Dieu, tu es en chemin, non dans la patrie. C’est Dieu qui te dirige ; celui qui a fait la patrie s’est fait aussi la voie pour t’y conduire. Dis-lui donc maintenant : « Vous êtes mon espérance ». Que sera-t-il ensuite ? « Ma portion dans la terre des vivants[409] ». Celui-là qui est maintenant ton espérance, sera plus tard ta portion. Qu’il soit ton espérance sur la terre des mourants, et il sera ta portion sur la terre des vivants. Tournons-nous vers le Seigneur, etc.

VINGT-TROISIÈME SERMON.
SUR CES PAROLES DU PSAUME 145, v.1 : « JE BÉNIRAI LE SEIGNEUR PENDANT MA VIE ; ETC. ».[410]

ANALYSE.—1. La louange de Dieu doit se prolonger au-delà de cette vie.—2. Rien ne dure en cette vie.—3. Que le chrétien ne s’abuse point sur son bonheur passager.—4. Que la fin du riche et de Lazare soit une leçon pour nous.

1. Daigne le Seigneur m’accorder de vous dire un mot sur les paroles du psaume que nous venons de chanter. Nous avons dit en effet : « Je bénirai le Seigneur pendant ma vie, je chanterai mon Dieu tant que je vivrai[411] ». À ces paroles, nous devons un avis à votre charité : c’est de ne point comprendre, quand vous entendez dire, ou que vous dites vous-mêmes : « Je bénirai Dieu tant que je vivrai », qu’après cette vie finira aussi la louange du Seigneur. Nous le bénirons mieux, en réalité, quand nous jouirons de la vie sans fin. Si nous le bénissons, en effet, dans ce pèlerinage qui doit finir, comment le bénirons-nous dans ce palais d’où nous ne sortirons plus ? On dit, on chante, on lit dans un autre psaume : « Bienheureux ceux qui habitent votre maison ; ils vous béniront dans les siècles des siècles[412] ». Or, quand tu entends « les siècles des siècles », il n’y a aucune fin, et l’on jouit de cette vie bienheureuse, où l’on voit Dieu sans trembler, on l’aime sans l’offenser, on le bénit sans fin. Notre vie alors sera de voir Dieu, de l’aimer, de le bénir. Si donc nous bénissons Dieu quand nous ne le voyons que par la foi, comment le bénirons-nous quand nous le verrons à découvert ? Quelle sera l’allégresse de la claire-vue, si telle est la bénédiction de la foi ? L’Apôtre nous dit en effet : « Tant que nous sommes dans ce corps, nous marchons loin du Seigneur ; car nous n’allons à lui que par la foi, sans le voir à découvert[413] ». Ici-bas c’est donc la foi, là-haut ce sera la claire-vue. Maintenant nous croyons ce que nous ne voyons pas, alors nous verrons ce que nous aurons cru. Celui qui croit, le fait sans confusion, car il est vrai qu’il verra. Le Seigneur a d’abord établi en nous la foi, afin que si la foi mérite une récompense, on ne1a cherche point avant d’avoir cru.

2. Mais, dira-t-on, pourquoi le psaume dit-il : « Je chanterai mon Dieu tant que je vivrai », et non : Je chanterai mon Dieu éternellement ? Cette expression, en effet : « Tant que je vivrai », semble appeler une fin, bien qu’on ne l’entende pas ainsi. Si tu veux appliquer « tant que je vivrai n à cette vie terrestre, vois si cette vie est bien longue. Quel que soit le nombre des années, la vie est courte. Comment serait longue une vie qui ne te rassasie point ? Un enfant dit que tel homme qu’il voit vieillard a vécu longtemps ; mais que lui-même arrive à l’âge de cet homme, et il sait que ce temps est peu long. Les années s’envolent et les moments se précipitent si rapidement, que c’est avant-hier que nous étions enfants, hier adolescents, aujourd’hui vieillards. Nous sommes donc fondés à croire que ces paroles : « Aussi longtemps que je vivrai je chanterai mon Dieu », ne s’entendent pas de cette vie. Dès lors, en effet, que le Prophète a dit : « Aussi longtemps que je vivrai », on ne saurait l’entendre de cette vie où rien ne dure « longtemps ». Des sages de ce monde ont pu en faire la remarque, et des chrétiens ne le pourraient voir ? Un de ces sages, l’homme le plus éloquent a dit : « Qu’est-ce donc, en effet, que ce longtemps, puisqu’il a une fin ? » Il ne veut donc point qu’il y ait un longtemps, quand la fin peut arriver un jour. Es-tu parvenu à la dernière vieillesse ? tu as vécu un temps, et non pas un long temps. Car la vie d’un homme, surtout aujourd’hui, n’est « qu’une fumée qui apparaît un moment[414] ». Ce que je dis, l’Écriture le dit aux hommes dans leurs jubilations, alors qu’ils s’élèvent dans leur orgueil et ne savent point s’ils ne mourront pas à l’instant. Les divines Écritures leur tiennent ce langage et leur donnent cet avertissement dans leur accès d’orgueil, dans la vaine confiance que leur donne une fragilité si peu durable. « Qu’est-ce que votre vie, dit-elle ? C’est une vapeur qui parait un moment jusqu’à ce qu’elle soit dissipée[415] ». S’élever dès lors dans l’orgueil, c’est se confier dans une vapeur, s’enfler de vaine gloire, pour périr avec cette vapeur. Il faut donc réprimer notre orgueil, le fouler aux pieds autant que possible, comprendre que nous ne vivons ici-bas que pour mourir, élever nos pensées vers cette fin qui ne finira pas. Qui que tu sois, en effet, ô homme qui as vieilli, si tu en ressens de l’orgueil, si tu crois avoir vécu longtemps, toi qui dois finir un jour, sache que si Adam vivait encore, et devait mourir, non pas maintenant, mais à la fin du monde, il n’aurait pas vécu un temps bien long, puisque ce temps aurait une fin[416]. Et ceci est très-vrai, tout homme prudent le comprendra, et non-seulement c’est une vérité que l’on prêche, mais une vérité que les auditeurs comprennent.

3. Reportons notre attention au psaume que nous avons chanté, afin d’y trouver que le Prophète n’a dit : « Je chanterai le Seigneur « aussi longtemps que je vivrai », que dans le sens de cette vie qui dure toujours. S’il n’est, en effet, rien de bien long dans cette vie, parce qu’elle a une fin, ce n’est point cette vie que nous sommes appelés à désirer quand nous devenons chrétiens. Et de fait, nous ne devenons point chrétiens pour être heureux en cette vie de la terre. Car si nous avons embrassé le christianisme, pour jouir du bonheur seulement en cette vie du temps, et encore d’un bonheur si frivole, si vaporeux, nous sommes dans une profonde erreur ; vos pieds seront chancelants en voyant un homme, revêtu de dignité et dominant ceux qui l’entourent, jouir de la santé corporelle et arriver à une vieillesse qui s’éteint lentement. Voilà ce que voit le chrétien pauvre, sans honneur, soupirant chaque jour dans la peine et les gémissements, et qui dit en lui-même : Que me revient-il d’être chrétien ? En quoi suis-je plus heureux que cet autre qui ne l’est pas ? que cet autre qui ne croit pas au Christ ? que cet autre qui blasphème mon Dieu ? Voici l’avertissement du Psalmiste : « Ne mettez point votre confiance dans les princes ». Quel charme a pour toi la fleur du foin ? « Car toute chair n’est qu’un foin ». C’est ce que dit le Prophète, qui non-seulement le dit, mais le crie. Et le Seigneur lui dit : « Crie ». Et il répondit : « Que faut-il crier ? Que toute chair n’est qu’un foin, et toute beauté de la chair, la fleur du foin. Le foin est desséché, la fleur est tombée ». Tout donc a-t-il péri ? Non. « Le Verbe de Dieu demeure éternellement[417] ». Quel charme a pour toi du foin ? Voilà que ce foin périt ; veux-tu ne point périr ? Attache-toi au Verbe. Ainsi le dit aussi notre psaume. Ce chrétien dans l’indigence, dans la bassesse de sa condition, voyait dans ce païen riche et puissant la fleur du foin, et peut-être eût-il préféré être à son service plutôt qu’au service de Dieu. C’est à lui que le Psalmiste adresse ces paroles. « Ne mets point ta confiance dans les princes, ni dans les fils des hommes, en qui n’est pas le salut[418] ». Et notre interlocuteur de répondre : Veut-il parler de celui qui a le salut ? Le voilà en santé. Je le vois aujourd’hui plein de verdeur. Et moi je suis plutôt misérable et languissant. À quoi bon t’arrêter à ce qui a pour toi de l’attrait et des charmes ? Ce n’est point là le salut. « Le souffle s’en ira de lui, et il retournera dans la terre qui est son partage ». Voilà tout salut pour lui. « C’est une vapeur qui apparaît un instant. L’esprit sortira de lui, et il retournera dans la terre qui est son partage ». Laissez passer quelques années, laissez écouler l’eau du fleuve comme à l’ordinaire. Parcourez quelques tombeaux des morts, et distinguez les os du riche des os du pauvre. Quand l’esprit s’est retiré, il est retourné dans la terre qui est son partage. Le Prophète a grandement raison de ne rien dire de l’esprit de cet homme qui n’a eu pendant sa vie nulle pensée spirituelle. « Il est retourné dans la terre qui lui est propre », c’est-à-dire cette chair, ce corps qui était tout pour lui, ce corps d’orgueil, cette chair si trompeuse et dont l’apparente félicité t’aveuglait. « L’esprit sortira, et il retournera dans la terre qui est son partage ; en ce jour périront toutes leurs pensées ». Ces pensées qui étaient si terrestres ; voilà ce qu’il faut faire, ce qu’il faut achever, où il faut parvenir. Voilà ce que je veux acheter, ce que je veux acquérir, à quel honneur je prétends arriver. « En ce jour s’évanouiront toutes ses pensées[419] ». Mais comme « la vertu de Dieu demeure éternellement », en t’attachant au Verbe, pour lui demander la vie éternelle, non-seulement ta pensée ne périra point, mais c’est alors qu’elle se réalisera. Quand elle périt pour lui, elle se réalise pour toi. Cet homme n’avait que des pensées du temps et de la terre, d’ajouter un champ à un champ, d’entasser trésor sur trésor, de briller dans les honneurs, de s’enfler de sa puissance. Comme donc il avait de telles pensées, « ces pensées mourront toutes en ce jour ». Mais toi, chrétien, si tes pensées, loin de s’arrêter à la félicité de cette vie, ont pour objet le repos sans fin, lorsque ton corps retournera dans la terre, c’est alors que ton âme aura trouvé ce repos.

4. Écoute l’Évangile, vois et considère les pensées de deux hommes. « Il y avait un riche, qui était revêtu de pourpre et de fin lin, et qui donnait tous les jours de splendides festins[420] ». Tous les jours le foin, et la fleur du foin. Ne te laisse pas séduire parla félicité de cet homme qui est revêtu de pourpre et de fin lin, et qui donne de splendides festins chaque jour. C’était un orgueilleux, un impie, n’ayant que des pensées vaines et de vains désirs. Quand il mourut, ce jour-là ses pensées moururent avec lui. Or, il y avait à sa porte un pauvre nommé Lazare. L’Évangile, qui tait le nom du riche, nous dit le nom du pauvre. Dieu n’a point dit un nom qu’emporte le vent. Mais Dieu a daigné nommer celui dont on ne disait pas le nom. Ne t’en étonne pas, je t’en prie. Dieu a raconté ce qu’il a vu écrit en son livre. Or, il est dit des impies : « Qu’ils ne soient pas inscrits sur votre livre[421] ». De même, quand les Apôtres se glorifiaient de ce qu’au nom du Seigneur les démons leur étaient soumis, de peur qu’ils ne vinssent à en concevoir de l’orgueil, comme le reste des hommes, à s’en vanter, bien que ce fût une grande et glorieuse puissance, le Sauveur leur dit : « Ne vous réjouissez point de ce que les démons vous soient soumis ; mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans le ciel[422] ». Le Dieu qui habite le ciel garda le silence sur le nom du riche, qu’il ne trouva point écrit dans le ciel ; il proclama celui du pauvre, parce qu’il l’y vit écrit, ou plutôt qu’il l’y fit écrire. Mais voyez ce pauvre. À propos des pensées de ce riche impie, fastueux, vêtu de pourpre et de fin lin et donnant de splendides festins tous les jours, nous avons dit qu’elles périrent avec lui à sa mort. Or, à la porte de ce riche était un pauvre du nom de Lazare, « couvert d’ulcères, et qui désirait se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche, sans que personne les lui donnât ; tandis que les chiens venaient et léchaient ses ulcères[423] ». C’est là que je veux te voir, ô chrétien ; car c’est là que nous apprenons la fin de ces deux hommes. Dieu, dans sa puissance, peut nous donner le salut en cette vie, et nous délivrer de la pauvreté, et donner au chrétien ce qui est suffisant. Et toutefois, si cela venait à manquer, que choisirais-tu ? D’être ce pauvre ou ce riche ? Loin de toi toute illusion. Écoute la fin, et tu verras quel choix est mauvais. Assurément ce pauvre, qui était pieux, méditait, au milieu de ses malheurs temporels, sur cette vie qui doit finir un jour et sur le repos éternel qui doit nous échoir. Tous deux moururent, mais les pensées de ce pauvre ne périrent point avec lui. Car s’il mourut pauvre, il fut porté par les anges au sein d’Abraham. En ce jour toutes ses pensées se réalisèrent. Et comme Lazare signifie, en latin,Adjutus ou aidé, la parole du Psalmiste s’accomplit. « Bienheureux l’homme à qui le Dieu de Jacob vient en aide[424] ». Quand son esprit s’en alla, quand sa chair retourna dans la terre qui est son partage, ses pensées ne périrent point avec lui, « parce que son espérance était dans le Seigneur son Dieu ». Voilà ce que l’on apprend donc à l’école où enseigne le Christ, voilà ce qu’espère l’âme de son disciple fidèle, voilà la plus réelle récompense du Sauveur.

VINGT-QUATRIÈME SERMON.
SUR CES PAROLES DE L’ÉVANGILE, [LUC, 16, 19-31] : « IL Y AVAIT UN HOMME RICHE, ETC. ».[425]

ANALYSE.—1. Les Juifs ne croient pas encore aux oracles des Prophètes qui concernent le Christ et son Église.—2. L’incrédulité des Juifs est combattue par l’exemple de ce riche aux grands festins.—3. Ce riche est pour nous un exemple salutaire.—4. Suffisamment avertis de l’avenir, nous n’avons aucune excuse.—5. Ce qui est accompli, ce que Dieu nous a promis, doit confirmer notre foi.—6. Promesses que Dieu a faites dans la nation juive, au sujet d’Abraham, dont la foi est hautement proclamée.—7. Fidélité de Dieu dans l’accomplissement de ses promesses, et folie des idolâtres.—8. Dieu cherche son image dans notre âme, comme César sur sa monnaie. —9. Combien de promesses de Dieu sont accomplies déjà.—10. La foi d’Abraham est pour nous un exemple.—11. Double comparaison pour nous faire supporter l’adversité.—12. Nous devons user de la patience de Dieu et l’imiter.—13. Dans l’adversité, il faut nous confier à Dieu sans nous plaindre.—14. Exhortation à la patience.

1. Telle est la foi chrétienne, qui est pour les impies et pour les infidèles un sujet de dérision, c’est que nous croyons qu’il est une autre vie après celle-ci, qu’il y a une résurrection des morts, et, après la fin du monde, un jugement. Comme ce point de foi n’était point en vigueur parmi les hommes, et qu’il leur paraissait même inacceptable, en dépit des prédications et des affirmations des Prophètes serviteurs de Dieu et de la loi établie par le ministère de Moïse, Jésus-Christ, notre Seigneur et Sauveur, est venu en ce monde pour le persuader aux hommes. Lui qui était Fils de Dieu, né du Père d’une manière invisible et ineffable, lui, coéternel au Père et égal au Père, et Dieu unique avec le Père ; lui, Verbe du Père, par qui tout a été fait ; lui, conseil du Père, par qui tout se dirige, déposa pour un temps cette grandeur sans mesure, cette incompréhensible majesté, cette sublime puissance, en venant sur la terre se revêtir de notre chair et se montrer aux yeux des hommes. Comme donc on ne voyait pas Dieu ou la divinité dans le Christ, on méprisait sa chair que l’on voyait ; mais lui prouvait par des prodiges la divinité qui était en lui. Et comme, au simple aspect, l’œil humain pouvait le mépriser, il faisait de tels miracles, que ces œuvres montraient en lui le Fils de Dieu. Comme donc il opérait des prodiges, donnait des préceptes utiles, corrigeait les vices et les reprenait, enseignait les vertus, guérissait même les maladies du corps, afin de guérir les esprits des infidèles, le peuple où il avait pris naissance, grandi, fait ses prodiges, s’irrita contre lui et lui donna la mort. Mais lui, qui était venu pour naître parmi nous, était venu aussi pour mourir. Or, cette mort de son corps, qu’il avait voulu subir pour nous donner un exemple de résurrection, il ne voulut pas qu’elle fût infructueuse ; mais il permit – qu’elle lui fût donnée par la main des impies, de sorte que ces hommes qui ne voulaient point obéir à ses préceptes lui firent souffrir ce qu’il voulait. Ainsi fut fait. Le Christ fut mis à mort, enseveli, ressuscita, comme nous le savons, comme l’atteste l’Évangile, comme on le prêche dans l’univers entier, et les Juifs, vous le voyez, ne veulent point croire au Christ, même après qu’il est ressuscité d’entre les morts, qu’il a été glorifié aux yeux de ses disciples en montant au ciel, quand s’accomplissent dans l’univers entier les oracles des Prophètes. Car tous les Prophètes qui ont annoncé que le Christ devait naître, mourir, ressusciter, monter au ciel, ont prédit aussi que l’Église s’étendrait par toute la terre. Quant aux Juifs, s’ils n’ont point vu le Christ à sa résurrection et à son ascension au ciel ; du moins, qu’ils voient l’Église répandue sur la terre entière, et dans ce fait l’accomplissement des paroles des Prophètes.

2. Maintenant s’accomplit parmi eux ce que nous venons d’entendre dans l’Évangile. Ils n’écoutent pas le Christ après qu’il est ressuscité d’entre les morts, parce qu’ils n’ont pas écouté le Christ vivant sur la terre. C’est ce que dit Abraham à ce riche, qui était tourmenté dans l’enfer, et qui voulait que l’on envoyât en ce monde avertir ses frères de ce que l’on souffre en enfer, et, avant qu’ils ne tombassent dans ce lieu de tourments, de bien vivre, de faire pénitence de leurs péchés, afin de mériter d’aller dans le sein d’Abraham, plutôt que dans ces supplices où lui-même était tombé. Voilà ce que faisait ce riche tardivement miséricordieux, qui avait méprisé le pauvre couché devant sa porte, et sans doute en punition de son orgueil envers lui, sa langue était desséchée, et il soupirait après une goutte d’eau. Comme il n’avait point fait sur la terre ce qu’il y devait faire pour ne point arriver au lieu des tourments, il fut trop tard miséricordieux envers les autres. Mais que lui dit Abraham ? « S’ils n’écoutent point Moïse et les Prophètes, ils ne croiront pas, quand même quelqu’un des morts ressusciterait[426] ». Voilà ce qui s’est vérifié, mes frères. 'On ne saurait aujourd’hui persuader aux Juifs de croire en Celui qui est ressuscité des morts, parce qu’ils n’écoutent pas Moïse et les Prophètes. S’ils voulaient, en effet, les écouter, ils trouveraient en eux la prédiction de ce qui vient de s’accomplir et qu’ils ne veulent pas croire. Ce que nous disons des Juifs faisons-le donc pour nous, de peur qu’en regardant les autres, nous ne tombions nous-mêmes dans l’impiété. On ne lit point l’Évangile aux Juifs, mes frères bien-aimés, on leur lit Moïse et les Prophètes, qu’ils ne veulent point croire. Gardons-nous de faire, quand on nous lit l’Évangile, ce qu’ils font quand on leur lit les Prophètes. Car ce n’est point chez eux, dis-je, mais chez nous, qu’on récite l’Évangile.

3. L’Évangile, vous venez de l’entendre, nous annonce deux vies : la vie présente et la vie future. Nous avons la vie présente, nous croyons à la vie à venir. Nous sommes dans la vie présente, sans être arrivés encore à la vie future. Mais en cette vie présente, amassons-nous de quoi mériter la vie éternelle ; car nous ne sommes point morts encore. Est-ce que l’on récite l’Évangile dans les enfers ? Quand même on l’y réciterait, ce riche l’entendrait en vain, puisque sa pénitence ne saurait plus être fructueuse. C’est ici-bas qu’on le lit pour nous, et nous l’entendons ici-bas où nous pouvons nous corriger tant que dure notre vie, de peur que nous ne tombions dans ces tourments. Croyons-nous, ou ne croyons-nous pas ce qu’on nous lit ? Loin de moi d’outrager votre charité jusqu’à penser que vous ne croyez point ! Car vous êtes chrétiens, et vous ne seriez nullement chrétiens si vous ne croyiez point à l’Évangile. Il est donc évident que vous croyez à l’Évangile dès lors que vous êtes chrétiens. Nous l’avons entendu ; on vient de nous le réciter. Il y avait donc un homme riche, plein d’orgueil, se prévalant de ses richesses, qui « était vêtu de pourpre et de fin lin, et qui donnait de splendides festins tous les jours[427] ». Or, à sa porte était couché un pauvre du nom de Lazare, couvert d’ulcères que les chiens venaient lécher ; et « il désirait se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche[428] » et ne le pouvait. Voilà donc le crime du riche ; c’est qu’il désirait se rassasier de miettes, et ne pouvait le faire, celui qui devait se revêtir de la nature humaine. Et dès lors si ce riche eût pris en pitié le pauvre couché à sa porte, il serait arrivé où ce pauvre est arrivé lui-même. Ce qui a conduit en effet Lazare au lieu du repos, c’est moins la pauvreté que l’humilité ; et ce qui en a détourné le riche, ce sont moins les richesses que l’orgueil et l’infidélité. Car, vous le savez, mes frères, le langage qu’il tient dans les enfers prouve que ce riche fut infidèle sur la terre. Écoutez en effet. Il voulait que quelqu’un d’entre les morts allât annoncer à ses frères ce que l’on endure en enfer, et comme Abraham le lui refusait en disant : « Ils ont Moïse et les Prophètes, qu’ils les écoutent. Non, Abraham, mon père », répond-il, « mais si quelqu’un d’entre les morts y allait, il les persuaderait » ; nous montrant par là que lui-même, quand il était en cette vie, ne croyait ni à Moïse, ni aux Prophètes, mais désirait qu’un homme sortit d’entre les morts pour venir à lui. Examinez ceux qui pensent comme lui, et voyez, si vous avez la foi, quel avertissement nous donne l’exemple de ce riche. Combien nous disent maintenant Jouissons de la vie tant qu’elle dure ? Mangeons, buvons, plongeons-nous dans les délices ! Qu’est-ce que l’on nous annonce, qu’il y a une autre vie ? Qui en est revenu ? Qui est ressuscité ? Voilà ce qu’on nous dit, ce que disait ce riche, qui éprouve après la mort ce qu’il ne croyait point pendant sa vie. Il eût été mieux de se corriger utilement pendant la vie, que d’endurer après la mort tant de tourments inutiles !

4. Retournons maintenant ses paroles, afin de voir s’il n’y a personne parmi nous pour raisonner comme lui. Car Dieu n’a point mis sous nos yeux ici-bas ce qu’il nous a ordonné de croire ; et il nous l’a dérobé afin que notre foi fût méritoire. Quel mérite, en effet, aurais-tu de croire, si Dieu te l’avait mis sous les yeux ? Ce ne serait plus croire alors, mais voir. C’est donc pour attiser ta foi que Dieu ne t’a rien manifesté ; il t’ordonne ici-bas de croire, et se réserve de te montrer à découvert ce que tu crois. Mais si tu ne crois pas quand il t’impose la foi, il ne te réserve point de voir sa face, mais il te réserve les tourments du riche dans l’enfer. Et quand viendra Jésus-Christ notre Seigneur et Sauveur, dont on nous prêche qu’il est venu, de manière à nous faire espérer qu’il doit venir, il viendra avec des rétributions pour les fidèles et pour les infidèles ; aux fidèles il donnera des récompenses, et jettera les infidèles au feu éternel. Il annonce en effet, dans l’Évangile, comment il doit juger à la fin du monde : il mettra les uns à sa droite, les autres à sa gauche, il fera le discernement des nations, comme le berger qui sépare les brebis des boucs ; il placera les justes à sa droite, les impies à sa gauche, et dira aux justes : « Venez, les bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous est préparé dès l’origine du monde[429] » ; aux impies et aux infidèles : « Allez au feu éternel, qui a été préparé au diable et à ses anges ». Ce juge pouvait-il être plus obligeant pour toi, que de t’annoncer la sentence définitive, pour te faire éviter de l’encourir ? Mes frères, tout homme qui menace ne veut point frapper, mais s’il nous surprenait tout à coup, c’est alors qu’il nous frapperait. Quiconque dit : Garde à toi, ne veut trouver personne à frapper. C’est donc pour les hommes se préparer un châtiment, c’est pour les hommes s’amasser un trésor de douleur, que refuser de croire, quand Dieu nous dit Garde à vous. Quant à la peine de nos errements en cette vie, c’est souvent quelque affliction, quelque fléau, qui est pour nous corriger ou nous mettre à l’épreuve. Ou bien, en effet, Dieu veut corriger l’homme de ses fautes, de peur que son impénitence n’aboutisse à de grands châtiments, ou il met à l’épreuve la foi de chacun de nous, afin de voir avec quel courage, avec quelle patience nous demeurerons sous le châtiment d’un père, sans murmurer de ses paternelles corrections, nous réjouissant de ses caresses, et toutefois ne goûtant cette joie qu’en lui rendant grâces même quand il nous redresse ; « puisque Dieu châtie celui qu’il reçoit parmi ses enfants[430] ». Quelles ne furent point les douleurs des martyrs ! Quel fut leur courage ! Quelles chaînes, quelles prisons fétides, quels déchirements des chairs, quelles flammes, quelle férocité des bêtes, quels genres de mort ! Ils triomphèrent de tout. L’esprit leur montrait de quoi mépriser ce qu’ils voyaient des yeux du corps. Car il y avait en eux l’œil de la foi fixé sur l’avenir, et qui dédaignait le présent. Mais celui dont l’œil ne voit point l’avenir, craint pour le présent et, n’arrive point à cet avenir.

5. C’est donc la foi qui s’édifie en nous. Que tout homme qui refuse maintenant de croire que le Christ est né de la vierge Marie, qu’il a souffert, qu’il a été crucifié, en croie les Juifs quant à son existence et à sa mort, et en croie l’Évangile quant à sa naissance d’une Vierge et à sa résurrection. Il y a là des motifs de croire. Les Juifs nos ennemis n’oseraient dire : Le Christ n’a pas existé dans notre nation, ou bien : il n’a pas existé cet Homme qu’adorent les chrétiens. Il a existé, disent-ils, et nos pères l’ont mis à mort, et il est mort comme tout autre homme. Si nous trouvons dans les Prophètes ce qui devait suivre sa mort, que l’on devait parcourir le monde en son nom, que toutes les nations devaient l’adorer, ainsi que toutes les contrées habitées, parce que tous les rois eux-mêmes devaient accepter son joug, et si nous voyons s’accomplir après la mort du Christ ce qui était annoncé bien avant sa naissance, dans quelle erreur ne tombons-nous point si nous refusons de croire le reste des prophéties, quand nous en voyons déjà tant d’accomplies parmi nous ? Et en effet, mes frères, nous chrétiens qui sommes ici, nous ne sommes point nous seulement, nous sommes le monde entier. Il y a quelques années, nous n’étions pas, et ce qu’il y a de surprenant, c’est qu’on voie aujourd’hui s’accomplir ce qui pendant tant de siècles n’était pas. Voilà ce que nous lisons dans les Prophètes ; nous le trouvons prédit, de peur que nous n’en venions à n’y voir que l’effet du hasard. Voilà ce qui doit augmenter notre foi, l’édifier, la consolider. Nul ne dit : Cela s’est fait subitement. D’où cela vient-il ? Nous voyons, de nos jours, ce qui n’est jamais arrivé sur la terre. De fois à autre, nous trouvons dans les Écritures que Dieu est traité comme un débiteur, mais qui doit s’acquitter au temps qu’il a choisi. Comment Dieu pouvait-il devoir ? S’était-il donc vu dans la nécessité d’emprunter, lui qui donne à tous en surabondance, lui qui avait ceux mêmes qui devaient recevoir ses dons ? Car, auparavant, il n’y avait aucun homme qu’il pût combler de ses bienfaits Quelqu’un me dira-t-il : C’est à mes mérites que Dieu a bien voulu accorder tous ces dons. Mais ton existence, aux mérites de qui l’a-t-il accordée ? De qui pouvait-il se gratifier quand tu n’étais pas ? D’une existence gratuite. Car tu n’avais pu la mériter avant d’être. C’est sur sa parole qu’il te faut croire qu’il t’a fait gratuitement les autres dons. Nous sommes donc en possession de la grâce de Dieu, et Dieu était en quelque sorte le débiteur du monde entier. Ou plutôt, le monde n’avait aucun titre sur Dieu, parce qu’il ne connaissait pas la caution qu’il nous avait faite. Il s’est fait débiteur par ses promesses, et non par l’emprunt qu’il nous a fait. Car un homme peut être appelé débiteur de deux façons. Il doit rendre ce qu’il a reçu ou ce qu’il a promis. Mais comme on ne saurait employer le mot rendre, à l’occasion des promesses de Dieu, puisque Dieu, qui a tout donné à l’homme, n’en a rien reçu ; il n’y a plus pour lui qu’un moyen d’être débiteur, c’est qu’il a daigné promettre.

6. Or, cette promesse était consignée dans les Écritures, et les Écritures étaient entre les mains de la nation juive, qu’il avait choisie, afin de naître de la chair de son serviteur, de son fidèle, qui crut en lui. Et de qui est née cette nation ? D’Abraham déjà vieux, et de Sara qui était stérile ? Ce fut un miracle, que l’enfantement, que la naissance d’Isaac, souche de la nation juive[431]. Le vieillard n’osait plus rien espérer de ses membres vieillis, il n’osait rien désirer d’une épouse stérile. Or, ce qu’il n’espérait plus, Dieu le lui offrit, et il crut à Dieu qui lui offrait ce qu’il n’eût osé demander à Dieu même. Et comme, en récompense de sa foi, un fils lui était né, en qui il croyait avoir une postérité innombrable, voilà que Dieu lui demande de lui offrir ce même fils en sacrifice[432]. Or, telle était la foi d’Abraham, qu’il n’hésita point à immoler ce fils, au sujet duquel il avait reçu les promesses de Dieu. Le voyons-nous hésiter et dire à Dieu : Seigneur, un fils dans ma vieillesse était une grande faveur, le comble de mes vieux, une joie ineffable, un fils m’est né contre mon espérance ; et vous exigez que je l’immole ? Ne m’en point donner n’eût-il pas été mieux que me le redemander après me l’avoir donné ? Il ne dit rien de semblable, mais il crut utile tout ce qu’il voyait que Dieu exigeait. Telle est la foi, mes frères. Ce pauvre dont nous parlons fut porté au sein d’Abraham, et le riche précipité dans les supplices de l’enfer. Or, afin que vous sachiez que ce n’est pas dans les richesses qu’est le péché, il était riche cet Abraham au sein duquel fut porté Lazare ; Abraham était riche sur la terre, comme l’Écriture nous l’enseigne. Il avait beaucoup d’or et d’argent, de troupeaux, de serviteurs. Il était riche, mais sans orgueil ; afin de vous faire comprendre que la cause des tourments du riche de l’Évangile, c’était son orgueil, c’étaient ses vices. Eux seuls méritaient le châtiment, et non une substance de Dieu ; car une substance de Dieu est un bien, peu importe à qui il la donne. Mais quiconque en use bien s’acquiert une récompense, quiconque en use mal encourt un châtiment. Or, voyez comment Abraham possède les richesses. Les réserve-t-il à son fils ? Quel mépris n’avait-il point pour des richesses, l’homme qui, pour obéir à Dieu, lui offrit son fils même.

7. Les Juifs donc ne comprenaient point ce passage de l’Écriture, où Dieu se faisait notre débiteur par ses promesses. Or, voici venir Jésus-Christ Notre-Seigneur, né selon les Écritures, parce qu’il nous est rendu selon cette même Écriture encore. Il a souffert selon l’Écriture, parce qu’elle annonçait ce qu’il devait souffrir. Selon l’Écriture encore, il est ressuscité, parce qu’elle annonçait sa résurrection. Selon l’Écriture, il est monté aux cieux, parce qu’elle annonçait son ascension. Après cette ascension ignorée des Juifs, il envoya ses Apôtres vers les nations, afin de les réveiller en quelque sorte de leur sommeil, et de leur dire : Levez-vous, recevez ce qui vous est dû, ce que l’on vous a promis dans les temps anciens ! Qui donc va éveiller son créancier, pour lui offrir ce qu’il lui doit ? Car ce ne sont point les nations qui se sont éveillées, parce qu’elles avaient Dieu pour débiteur. Elles ont été appelées, ont commencé à examiner les Écritures et à y lire qu’elles recevaient ce qui leur avait jadis été promis. Elles ont accueilli le Christ promis et mis sous leurs yeux ; elles ont accueilli la grâce de Dieu, l’Esprit-Saint promis et manifesté ; elles ont accueilli l’Église dispersée parmi les nations, promise et manifestée. Les idoles qu’adoraient les nations, Dieu avait promis de les détruire. Voilà ce qu’on lit dans les Écritures, voilà ce qu’on y trouve[433]. Vous voyez comment Dieu accomplit de nos jours ce qu’il a promis tant de milliers d’années auparavant. Car les hommes s’étaient détournés de celui qui les avait créés, pour se tourner vers l’ouvrage de leurs mains. Or, comme l’ouvrier est toujours supérieur à son œuvre, Dieu dès lors est supérieur non-seulement à l’homme qu’il a fait, mais supérieur à tous les anges, aux vertus, aux puissances, aux trônes, aux dominations, puisqu’il les a tous créés[434] et que toute œuvre de l’homme est inférieure à l’homme lui-même. Telle était la démence des hommes, qu’ils adoraient les idoles qu’ils auraient dû condamner. Encore s’ils eussent adoré l’ouvrier qui avait fait l’idole, car l’ouvrier est supérieur à l’idole qu’il a faite. Adorer un ouvrier, t’eût été de la part des hommes une abomination, et les voilà qui adorent l’idole faite par l’ouvrier. C’eût été une abomination d’adorer l’ouvrier, mais t’eût été mieux encore que d’adorer l’idole. Or, s’il faut condamner ceux qui font mieux, quelles pleurs donner à ceux qui font pire ? Et si nous portons condamnation contre celui qui adore l’ouvrier, celui qui abandonne l’ouvrier pour passer à l’idole, qui délaisse le mieux pour passer au pire, quelle condamnation méritera-t-il ? Mais quel mieux a-t-il délaissé tout d’abord ? Dieu, par qui il a été fait. Il cherche l’image de Dieu, et il l’a en lui-même. L’ouvrier n’a pu faire l’image de Dieu, mais Dieu a pu se faire une image. Or, adorer l’image de l’homme qu’a faite l’ouvrier, c’est mutiler l’image de Dieu, gravée en toi par Dieu même. Et quand il t’appelle pour te ramener à lui, c’est pour te rendre cette image que tu as perdue, effacée, en l’usant au contact des convoitises terrestres.

8. C’est pourquoi, mes frères, Dieu nous redemande son image. C’est ce qu’il veut dire aux Juifs quand ceux-ci lui présentèrent une pièce de monnaie. D’abord ils voulaient le tenter, en disant : « Maître, est-il permis de payer le tribut à César ?[435] » afin que, s’il répondait : il est permis, ils pussent l’accuser de malédiction contre Israël, qu’il voudrait assujettir à l’impôt et rendre tributaire sous le joug d’un roi. Que si, au contraire, il répondait : Il n’est pas permis, ils pussent l’accuser de parler contre César, d’être cause qu’on refusait l’impôt que l’on devait, puisqu’on était sous le joug. Il vit leur piège, comme la vérité découvre le mensonge, et il les convainquit de mensonge par leur propre bouche. Il ne les condamna point de sa propre bouche, mais il leur fit prononcer eux-mêmes leur sentence, ainsi qu’il est écrit : « Tu seras justifié par tes paroles et condamné par tes paroles[436]. Pourquoi me tentez-vous », leur dit-il ? « Hypocrites, montrez-moi la pièce d’argent du tribut ». Et ils lui en montrèrent une. « De qui est cette image et cette inscription ? De César, répondirent-ils. Et le Sauveur : Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu[437] ». De même que César cherche son image sur une pièce de monnaie, Dieu recherche son image en ton âme. Rends à César, dit le Sauveur, ce qui appartient à César. Que réclame de toi César ? Son image. Que réclame de toi le Seigneur ? Son image. Mais l’image de César est sur une pièce de monnaie, l’image de Dieu est en toi. Si la perte d’une pièce de monnaie te fait pleurer, parce que tu as perdu l’image de César ; adorer les idoles, ne sera-ce point pour toi un sujet de larmes, puisque c’est faire injure en toi à l’image de Dieu ?

9. Examinez donc, mes frères, la promesse du Seigneur notre Dieu, et voyez, d’après le nombre de ses promesses, combien il nous a déjà donné. Le Christ n’était point né encore, mais il était promis dans les saintes Écritures ; il a tenu cette promesse. Il est né ; mais il n’avait point souffert encore, il n’était pas ressuscité ; il a également tenu cette promesse. Il a souffert, a été crucifié, est ressuscité. Sa passion est notre récompense, son sang le prix de notre rédemption. Il est monté aux cieux, comme il l’avait promis ; nouvelle promesse que Dieu a tenue. Il a envoyé l’Évangile dans toutes les nations, et c’est pour cela qu’il voulut avoir quatre Évangélistes, afin que ce nombre de quatre indiquât l’univers entier, par l’Orient et l’Occident, le Nord et le Midi. Pour cela encore qu’il voulut avoir, douze disciples, afin d’en envoyer trois dans chacune des quatre parties, parce que le monde entier est appelé en la sainte Trinité, au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Encore une promesse qu’il a tenue. Il a donc lancé l’Évangile selon cette prédiction : « Qu’ils sont beaux, les pieds de ceux qui annoncent l’Évangile de paix, qui évangélisent les vrais biens ![438] Leur voix s’est répandue par toute la terre, et leurs paroles sur les confins de la terre[439] ». 2 a donc envoyé comme il l’avait promis. C’est dans toutes les contrées que l’Évangile est écrit. L’Église aussi tout d’abord souffrit persécution : c’est une promesse acquittée par Dieu qui avait promis des martyrs. Cite-nous cette promesse : « Précieuse est devant le Seigneur la mort de ses justes[440] ». Que doit-il acquitter encore ? « Tous les rois de la terre se prosterneront en sa présence[441] ». Ils ont cru aussi, ces rois qui, tout d’abord, avaient fait des martyrs par la persécution. Nous voyons donc aussi maintenant des rois qui embrassent la foi. Dieu a donc tenu à ses promesses, au point qu’ils ordonnent maintenant de briser les idoles, ces mêmes rois qui ordonnaient de mettre à mort les chrétiens. Il a fait encore disparaître les idoles, comme il l’avait promis : « Les idoles des nations ne seront point épargnées[442] ». Après l’accomplissement de tant de promesses, pourquoi, mes frères, ne point croire en lui ? Dieu est-il donc devenu un débiteur moins solvable ? Quand même il n’aurait rien accompli encore, il n’en serait pas moins débiteur solvable, lui qui a créé le ciel et la terre. Car il ne saurait devenir pauvre au point de n’avoir pas de quoi payer, ni tromper, puisqu’il est la vérité, ou bien la puissance de Dieu peut-elle être renversée avant qu’il ait le temps de s’acquitter ?

10. Il est juste, mes frères, que l’on croie en Dieu avant qu’il acquitte quoi que ce soit ; car il ne saurait ni mentir, ni tromper aucunement. Il est Dieu. Ainsi nos pères ont cru en lui. Ainsi crut en lui Abraham. C’est ainsi que la foi est louable, qu’elle est exemplaire. Il n’avait rien reçu de Dieu encore, et il crut à sa promesse ; et nous qui avons déjà tant reçu de lui, nous ne croyons pas. Abraham pouvait-il lui dire : Je croirai en vous parce que vous avez accompli telle promesse que vous m’aviez faite ? À la première injonction, il crut sans rien avoir vu s’accomplir de semblable. « Sors de la terre, lui fut-il dit, de ta parenté, et va dans la terre que je te montrerai[443] ». Et il crut à l’instant, quoique Dieu ne lui eût point donné cette terre, mais l’eût réservée à sa postérité, et que promit-il à cette postérité ? « En ta postérité seront bénies toutes les nations[444] ». Sa postérité c’est le Christ, puisque d’Abraham naquit Isaac, d’Isaac Jacob, de Jacob les douze patriarches, des douze patriarches le peuple juif, du peuple juif la vierge Marie, et de la vierge Marie Jésus-Christ Notre-Seigneur. Ce même Jésus-Christ Notre-Seigneur est donc la postérité d’Abraham, et la promesse faite à Abraham, nous la voyons accomplie en nous. En « ta postérité, lui fut-il dit, seront bénies toutes les nations ». Voilà ce qu’il crut avant d’avoir rien vu. Il crut sans avoir vu ce qu’on lui promettait. C’est nous qui voyons la promesse qui lui fut faite. Et tout ce qui lui était promis devait s’accomplir. Qu’est-ce que Dieu n’a point accompli ? Il a prédit des peines pour cette vie, des peines pour ses saints, ses fidèles, qui en recueilleront le fruit par la patience[445]. Il les a prédites, et nous les voyons ; nous ployons sous les calamités. Quelles épreuves ne sont point annoncées encore ? Gardez-vous de croire, en effet, mes frères, que les malheurs qui nous accablent dans ces temps ne sont point consignés dans les saintes Écritures. Tout est consigné, et la patience recommandée aux chrétiens, et sur

tout les biens à venir, parce que sont venus sur nous les maux qui devaient arriver d’après les prédictions. Si les maux prédits n’étaient point arrivés, ils nous rendraient incrédules au sujet des biens ; mais les maux sont accomplis pour nous faire croire aux biens de la vie future.

11. Tel est le monde ici-bas ; c’est un pressoir qui foule. Mais si tu n’es que le marc impur, tu vas aux cloaques ; si tu es l’huile, tu es recueilli dans le vase. Il faut en effet qu’il y ait un pressoir. Voyez plutôt le pressoir et voyez l’huile. Le pressoir foule quelquefois dans le monde ; ainsi, c’est la famine, la guerre, la disette, la pauvreté, la mortalité, les pillages, l’avarice, la misère des pauvres, les calamités des villes. C’est tout cela, et nous le voyons. Tout cela est prédit, et nous le voyons s’accomplir. Or, au milieu de ces calamités, nous entendons des hommes qui murmurent et qui disent : Combien de malheurs depuis que le monde est chrétien ! Avant qu’on ne fût chrétien, quelle abondance de richesses ! Nous n’avions pas à subir tant de calamités. C’est le marc sortant du pressoir, et coulant au cloaque. Aussi sa bouche est-elle noire de ses blasphèmes ; il n’a nulle beauté, tandis que l’huile a un certain éclat. Nous rencontrons un autre homme qui sort du pressoir, de dessous cette meule qui l’a broyé. S’il est tout disloqué, n’est-ce point l’effet du pressoir ? Après avoir entendu le marc, prêtez l’oreille à l’huile. Grâces au Seigneur ! Que votre nom soit béni, ô mon Dieu ! Tous ces maux dont vous nous accablez étaient prédits. Nous voici dans la certitude que les biens viendront aussi. Quand vous nous redressez ainsi que les méchants, c’est votre volonté qui s’accomplit. Nous trouvons en vous un Père dans vos promesses, un Père encore dans vos châtiments. Redressez-nous, et rendez-nous l’héritage que vous nous avez promis pour la fin. Nous, bénissons votre saint nom, parce que le mensonge ne fut jamais en vous. Toujours vous avez dirigé les événements selon votre prédiction. C’est au milieu de ces bénédictions qui s’échappent du pressoir, que l’huile s’écoule dans les vases. Et toutefois, comme le monde entier n’est qu’un pressoir, on en tire une autre comparaison. De même que c’est dans la fournaise que l’on éprouve l’or et l’argent, de même c’est au feu de la tribulation que le juste est mis à l’épreuve ; et le creuset de l’orfèvre nous fournit cette comparaison. Dans cet étroit creuset, nous trouvons trois choses : le feu, l’or et la paille ; et voilà ce qui nous donne l’image du monde entier. Il y a dans le monde, en effet, et de la paille, et de l’or, et du feu ; de la paille qui est brûlée, du feu qui embrase, de l’or qui est éprouvé. De même, en ce bas monde, on rencontre partout des justes, des impies et la tribulation. Le monde ressemble à la fournaise de l’orfèvre, les justes à l’or, les impies à la paille, et la tribulation au feu qui embrase. Pourrait-on purifier l’or si la paille n’était brûlée ? De là vient que les impies sont réduits en cendres. Ils ne sont que cendres en effet, quand ils blasphèment, quand ils murmurent contre Dieu. Ils sont un or épuré, les justes qui supportent patiemment toutes les calamités de cette vie, qui bénissent le Seigneur au milieu de leurs tribulations, et que Dieu met dans ses trésors comme un or précieux. Car Dieu a des trésors où il met l’or épuré, de même qu’il a des égouts pour jeter les cendres de la paille. Or, il redemande pour lui tout ce qui est en ce monde. Vois ce que tu es, car il faut que le feu vienne. S’il trouve que tu sois de l’or, il épurera en toi les scories ; s’il trouve que tu sois de la paille, il te consumera et te réduira en cendres. Choisis le sort que tu veux subir ; car tu ne saurais dire : J’éviterai le feu. Te voilà dans le creuset de l’orfèvre, où le feu viendra nécessairement ; et il est plus nécessaire encore que tu y sois, puisque tu ne saurais éviter le feu.

12. Pourquoi donc, mes frères, ne pas croire que la fin du monde arrivera, ainsi que le jour du jugement, afin que chacun de nous reçoive selon ses œuvres en cette vie, bonnes ou mauvaises ? Quand nous voyons s’accomplir, se manifester, et nous arriver tant de promesses faites, pourquoi, pendant notre vie, ne point choisir le parti qui nous fera vivre toujours ? Ainsi, parce que nous avons été négligents, soyons diligents aujourd’hui. Car la négligence ne nous est jamais permise. Tu ne sais ce que demain sera pour toi. Dieu, dans sa patience, nous avertit de redresser et nous et notre vie, si elle a été mauvaise, et de faire un meilleur choix quand il en est temps. Pensez-vous que Dieu dort et ne voit point ceux qui font le mal ? En nous enseignant la patience, il nous en donne le premier l’exemple. Or, il trouve un homme qui a fait des progrès, qui ne marche plus comme il marchait, c’est-à-dire dans le mal. Mais cet homme est en butte à la méchanceté d’un ennemi, et il voudrait que Dieu le retirât de ce monde ; et il murmure contre le Seigneur, qui lui laisse ici-bas un ennemi puissant, et ne le délivre point de ses vexations. Cet homme oublie que le Seigneur l’a supporté avec patience, et que, s’il eût usé de sévérité envers lui, il ne serait plus là pour murmurer. Tu demandes à Dieu d’être sévère ? Mais tu as passé, souffre qu’un autre passe aussi. Car tu n’as pas, après ton passage, coupé le pont de la divine miséricorde. Il en est d’autres à passer. Dieu t’a fait bon, de mauvais que tu étais, il veut qu’un autre aussi, de mauvais devienne bon, comme toi-même as changé du mal au bien. Ainsi tous viennent à leur tour. Mais certains refusent de venir, d’autres viennent volontiers. C’est aux premiers que l’Apôtre a dit : « Par votre dureté, par l’impénitence de votre cœur, vous vous amassez un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation a du juste jugement de Dieu qui rendra à chacun selon ses œuvres[446] ». Et puis, si le méchant veut persévérer dans le mal, au lieu d’être un compagnon pour toi, il sera une occasion d’épreuve. Car s’il est méchant, et toi bon, ta patience à supporter le mal prouve en toi la bonté. Tu recevras donc la couronne de l’épreuve, tandis qu’il subira la peine de sa persévérance dans le mal. Quoi que fasse le Seigneur, attendons avec patience sa paternelle correction. Il est père, en effet, il est bienveillant, il est miséricordieux. Qu’il laisse nos jours s’écouler en paix, c’est alors que, pour notre malheur, il s’irrite contre nous.

13. Voyez, mes frères, jetez un coup d’œil sur ces amphithéâtres qui s’écroulent aujourd’hui. La luxure les a construits. Pensez-vous, en effet, qu’ils soient l’œuvre de la piété ? Non, ils ne sont l’œuvre que de la luxure des hommes impies. Or, ne voulez-vous point que s’écroulent un jour les édifices de la luxure et que s’élèvent les édifices de la piété ? Quand on construisait ces monuments, Dieu permit qu’un jour les hommes reconnussent les désordres qu’ils commettaient. Mais comme ils ne les voulurent point reconnaître, Notre-Seigneur Jésus-Christ est venu, a commencé à prêcher leurs désordres, à détruire ce qu’ils avaient de plus cher, et les voilà qui disent : Les temps sont mauvais depuis le christianisme. Pourquoi ? Parce que l’on détruit sous tes yeux ce qui te faisait mourir. Mais, nous disent-ils, on regorgeait de biens, quand se donnaient ces spectacles. Sans doute, et c’est de là que venaient ces grands biens. Si donc tu reconnais que Dieu t’a donné un jour cette abondance dont tu as fait mauvais usage, usage de perdition, comprends que cette abondance t’a conduit à la mollesse et à la perte de ton âme. Alors est venu le Père qui a dit avec sévérité : Voilà un enfant indiscipliné. Je lui ai confié tel ou tel bien, comment donc a-t-il perdu l’un et l’autre ? Si nous-mêmes nous ne confions aucune semence à la terre, qu’elle ne soit bien préparée, de peur que cette semence ne vienne à se perdre, comment voulez-vous que Dieu nous donne ses biens en abondance, quand nous sommes insubordonnés au point de négliger notre vie, quand cette abondance deviendrait une source d’abus, et ne voulez-vous pas que Dieu arrête les hommes sur la pente de la perdition. Mes frères, Dieu est médecin, et il sait nous enlever un membre gangrené, de peur que le mal ne gagne les autres. Il faut couper ce doigt, dit-il ; car un doigt de moins est mieux que tout le corps s’en allant en pourriture. Si le médecin, qui est un homme, en agit ainsi d’après son art, si l’art médical retranche quelque partie des membres, pour empêcher la gangrène de tout envahir, pourquoi Dieu n’amputerait-il pas chez les hommes ce qu’il connaît de gangrené, pour les faire arriver au salut ?

14. Loin de nous donc, mes frères, cet ennui pour la main sévère de Dieu, de peur qu’il ne nous laisse et que nous ne périssions éternellement ; demandons-lui plutôt qu’il tempère les châtiments, qu’il les proportionne de manière que nous ne succombions point, demandons-lui qu’il nous redresse pour notre salut, qu’il mesure l’épreuve, et nous rende ensuite ce qu’il a promis à ses saints. Voyez ce qu’a dit l’Écriture : « Le pécheur a irrité le Seigneur, et dans sa grande colère il n’en tirera point vengeance [447]. » Qu’est-ce à dire, qu’« il n’en tirera pas vengeance dans sa colère ? » C’est-à-dire que telle est sa colère, qu’il ne recherchera point ses fautes, mais qu’il le laissera périr éternellement. Si donc négliger le châtiment est l’effet d’une grande colère, nous exercer est l’effet de sa miséricorde. Or, il nous exerce, quand il nous châtie, quand il attire à lui notre cœur par l’affliction. Tenons donc à ce salut qu’il nous présente, et ne fuyons point ses châtiments. Tels sont les enseignements et les avertissements qu’il nous donne, c’est en cela même qu’il nous affermit. Lui, Fils de Dieu, qui est venu ici-bas nous consoler, quelle prospérité, dites-moi, a-t-il goûtée ici-bas ? Il est, à n’en pas douter, le Fils de Dieu, Verbe de Dieu, par qui tout a été fait. Or, quelle prospérité a-t-il goûtée en cette vie ? N’est-ce point lui qui, en chassant les démons, entendait résonner à ses oreilles cette injure : « Vous êtes possédé du démon[448] ». Oui, au Fils de Dieu qui chassait les démons, les Juifs disaient : « Vous êtes possédé du démon ». Ils valaient mieux que les Juifs, ces démons qui confessaient qu’il était le Messie [449]. Ils faisaient du moins cette confession que les Juifs ne faisaient point. Or, telle était sa patience, telle était sa grandeur, telle était sa puissance, qu’il endurait toutes ces injures. Il fut flagellé et outragé, sa face fut meurtrie de soufflets, couverte de crachats, il fut couronné d’épines, tourné en dérision, insulté, enfin suspendu à la croix, puis enseveli. Tout cela, le Fils de Dieu l’a enduré. S’il en est ainsi du Maître, à combien plus forte raison du disciple ? Ainsi de celui qui nous a créés, à combien plus forte raison de sa créature ? Lui qui nous a légué la patience afin de nous donner l’exemple. Pourquoi manquer de patience, comme si nous avions perdu notre chef qui nous a précédé au ciel ? Mais ce chef ne nous a précédé au ciel que pour nous dire en quelque sorte : C’est là, là qu’il vous faut venir par la douleur et la patience. Telle est la voie que j’ouvre devant vous. Mais où conduit cette voie par laquelle vous me voyez monter ? Au ciel. Refuser de prendre cette voie, c’est refuser d’aller au ciel. Quiconque veut venir à moi, doit y venir par le chemin que j’ai enseigné, et vous ne pouvez y : arriver que par le chemin des chagrins, des douleurs, des tribulations, des angoisses. C’est par là que tu arriveras au repos qui ne t’est point refusé. Mais si tu aspires à ce repos qui est pour un temps, si tu veux t’éloigner de la voie du Christ, considère les tourments de ce riche qui était torturé dans les enfers, et qui, en recherchant le repos d’ici-bas, trouva les peines éternelles. Mes frères bien-aimés, choisissons la vie pénible qui doit aboutir au repos sans fin. Tournons-nous du côté du Seigneur, etc.

VINGT-CINQUIÈME SERMON.
SUR CES PAROLES DE L’ÉVANGILE [MATTH. 12, 41-50] : « IL Y A ICI PLUS QUE JONAS, ETC. »[450]

ANALYSE.—1. Les Juifs pires que les Ninivites, et la reine de Saba.—2. Comment le dernier état de l’homme délivré du démon devient-il pire que le premier.—3. Le Christ enseigne aux parents à n’empêcher point les enfants en fait de bonnes œuvres.—4. Le. Christ en naissant a fait honneur aux deux sexes, de là le devoir des enfants.—5. Réfutation des Manichéens qui soutiennent que le Christ n’eut point de mère.—6. Preuve contre les Manichéens que le Christ eut une mère.—7. De là, excellence de la vierge Marie.—8. Comment le chrétien peut-il devenir mère du Christ.

1. Si nous voulions reprendre en détail, mes frères bien-aimés, tout ce qu’on vient de nous dire dans l’Évangile, c’est à peine si notre temps suffirait pour chacun des points, et dès lors il sera loin de nous suffire pour tous. Le Sauveur lui-même veut bien nous montrer que, dans le Prophète Jonas qui fut jeté dans la mer, qu’un monstre marin reçut dans ses entrailles et vomit le troisième jour, il y avait une figure du Sauveur, qui souffrit et qui ressuscita le troisième jour. Le Seigneur accusait les Juifs en les comparant aux Ninivites, car ces Ninivites auxquels Jonas fut envoyé pour les réprimander, apaisèrent la colère de Dieu par la pénitence et méritèrent qu’il les prit en pitié. « Or », dit le Sauveur, « il y a ici plus que Jonas[451] », voulant nous faire comprendre que c’est lui, le Christ et le Seigneur. Les Ninivites écoutèrent le serviteur et redressèrent leurs voies ; tandis que les Juifs entendirent le Maître, et non-seulement ils ne redressèrent point leurs voies, mais ils le mirent à mort. « La reine du Midi s’élèvera au jugement contre cette génération, pour la condamner », dit le Sauveur. « Car elle vint des confins de la terre, pour entendre la sagesse de Salomon, et il y a ici plus que Salomon[452] ». Ce n’était point s’élever pour le Christ, que se mettre au-dessus de Jonas, au-dessus de Salomon ; car il était le maître, tandis que ceux-ci n’étaient que les serviteurs. Et toutefois, quels sont ces hommes qui ont méprisé le Seigneur présent sous leurs yeux, quand des étrangers ont obéi à ses serviteurs !

2. Nous lisons ensuite : « Quand l’esprit immonde sort d’un homme, il erre dans les lieux arides, cherchant le repos, et il ne le trouve pas ; et il dit : Je reviendrai dans ma maison d’où je suis sorti ; et, revenant, il la trouve vide, nettoyée et ornée. Alors il va et prend avec lui sept autres esprits plus méchants que lui, et entrant, ils y habitent, et le dernier état de cet homme devient pire que le premier, et ainsi en sera-t-il de cette génération criminelle[453] ». Il nous faudrait un long discours pour exposer ce passage convenablement. Nous en dirons néanmoins quelques mots avec le secours de Dieu, afin de ne point vous laisser sans quelque idée de ces paroles. Quand on nous remet nos péchés par les sacrements, on nettoie la maison ; mais il est nécessaire que le Saint-Esprit la vienne habiter. Or, le Saint-Esprit n’habite que chez les humbles de cœur. Car le Seigneur a dit : « En qui repose mon Esprit ? » Et il fait cette réponse : « Sur l’homme humble, sur l’homme calme, sur l’homme qui redoute ma parole [454]». Que l’Esprit-Saint habite en nous, en effet, et alors il nous absorbe, nous redresse, nous conduit, nous arrête dans le mal, nous excite au bien, nous fait goûter les charmes de la justice à ce point que l’homme fait le bien par amour pour le bien et non par la crainte du châtiment. Or, agir ainsi par lui-même, l’homme ne le trouve point dans sa nature ; mais que le Saint-Esprit habite en lui, il l’aide à faire toutes sortes de bien. Que l’orgueilleux, au contraire, après la rémission de ses péchés, compte pour faire le bien sur l’unique impulsion de sa bonne volonté, son orgueil éloigne de lui l’Esprit-Saint, et alors il est une demeure purifiée des péchés, mais vide de tout bien. Tes péchés te sont remis, il n’y a plus aucun mal en toi, mais il n’y a que le Saint-Esprit seul qui te puisse remplir de biens ; et ton orgueil l’éloigne de toi, ta présomption le force à t’abandonner. Ta confiance en toi te livre à toi-même. Mais cette convoitise qui te rendait mauvais et que tu as expulsée de toi-même ou de ton âme, lorsque tes péchés ont été remis, erre dans les lieux arides, cherchant le repos et ne le trouvant point, cette convoitise revient à la maison, qu’elle trouve nettoyée, « elle amène avec elle sept autres esprits plus méchants qu’elle-même, et le dernier état de cet homme devient pire que le premier ». « Elle amène sept autres esprits avec elle ». Que signifient ces « sept autres ? » L’esprit immonde est-il septénaire à son tour ? Qu’est-ce que cela signifie ? Le nombre sept exprime l’universalité : il était parti entièrement, il est entièrement revenu, et plût à Dieu qu’il pût revenir seul ! Qu’est-ce à dire, qu’ « il amène avec lui sept autres esprits ? » C’est-à-dire des esprits que le méchant n’avait point dans ses désordres, et qu’il aura, quand il ne sera bon qu’en apparence. Prêtez-moi toute votre attention, dont j’ai besoin pour vous expliquer ma pensée autant que je le puis avec le secours de Dieu. Il y a sept actes du Saint-Esprit tel qu’on nous le prêche ; il est pour nous « l’Esprit de sagesse et d’intelligence, de conseil et de force, de science, de piété et de crainte de Dieu[455] ». Or, à ce nombre septénaire du bien, opposez sept actes mauvais : l’esprit de folie et d’erreur, l’esprit de témérité et de lâcheté, l’esprit d’ignorance et d’impiété, et l’esprit d’orgueil opposé à l’esprit de crainte de Dieu. Voilà les sept esprits du mal. Quels soit les sept autres pires. Nous retrouvons les sept autres pires dans l’hypocrisie. C’est un mauvais esprit que l’esprit de folie, il a son pire dans la sagesse simulée. L’esprit d’erreur est mauvais, la vérité simulée est pire. L’esprit de témérité est mauvais, le conseil simulé est pire encore ; l’esprit de paresse est un mal, le courage simulé est pire encore ; l’esprit d’ignorance est un mal, une science simulée est pire encore ; l’esprit d’impiété est un mal, la piété simulée est pire encore ; l’esprit d’orgueil est un mal, la crainte simulée est pire encore. En supporter sept était difficile ; mais quatorze, qui le pourra ? Dès lorsque la vérité simulée vient s’ajouter à la malice, il est nécessaire que le dernier état de cet homme devienne pire que le premier.

3. « Comme il parlait ainsi devant la foule (je cite l’Évangile), sa mère et ses frères étaient au-dehors, cherchant à lui parler. Quelqu’un lui dit : Voilà votre mère et vos frères qui sont dehors et qui désirent parler avec vous. Et lui : Qui est ma mère et qui sont mes frères ? Puis, étendant la main sur ses disciples, il dit : Voici ma mère et mes frères. Car, quiconque fera la volonté de mon Père qui est dans les cieux, celui-là est mou frère, est ma sœur, est ma mère[456] ». C’est à ceci que je voudrais me borner, mais pour n’avoir pas voulu laisser ce qui précède, j’y ai donné, je le sens, une assez grande part de mon temps. Ce que j’entreprends maintenant a bien des faux-fuyants, bien des difficultés, comment Notre-Seigneur Jésus-Christ a pu, dans sa piété filiale, mépriser sa mère, non telle ou telle mère, mais une mère vierge, et une mère d’autant plus vierge qu’il lui avait apporté la fécondité sans effleurer son intégrité, une mère qui concevait dans sa virginité, qui enfantait dans sa virginité, qui demeurait dans une perpétuelle virginité. Ce fut cette mère qu’il méprisa, de peur que l’affection maternelle ne lui fût un obstacle dans l’œuvre qu’il accomplissait. Quelle était cette œuvre ? Il parlait aux populations, détruisait le vieil homme, faisait naître l’homme nouveau, délivrait les âmes, déliait ceux qui étaient enchaînés, éclairait les esprits aveugles, faisait le bien, et, dans l’accomplissement du bien, apportait le feu de son action et de sa parole. Ce fut alors qu’on lui fit part d’une affection charnelle. Vous avez entendu sa réponse, à quoi bon la répéter ? Que les mères l’entendent, et que leur affection charnelle ne soit point un obstacle aux bonnes œuvres de leurs enfants. Apporter de tels obstacles, entraver des actions saintes, au point de les interrompre, c’est mériter le mépris de leurs fils. Et quand le Christ ne. prend point garde à la vierge Marie, que sera-ce d’une mère, mariée ou veuve, qui s’irrite contre son fils qui s’adonne au bien de toute son âme, et qui dès lors né prend point garde à l’arrivée de sa mère ? Mais, direz-vous Est-ce que vous comparez mon fils au Christ ? Je ne le compare point au Christ, ni vous à Marie. Le Seigneur, sans condamner l’affection maternelle, nous a donné en lui-même un grand exemple du peu d’obstacle que doit être une mère dans l’œuvre de Dieu ; sa parole était un enseignement, le peu de cas qu’il faisait un enseignement, et il a daigné faire peu attention à sa mère, afin de t’apprendre à ne pas t’arrêter à ton père et à ta mère, quand il s’agit de travailler pour Dieu.

4. Sans doute Notre-Seigneur Jésus-Christ ne pouvait devenir homme sans une mère, lui qui l’a bien pu sans un père. S’il fallait, ou plutôt parce qu’il fallait que celui qui a fait l’homme devint homme, à cause de l’homme lui-même, considérez bien attentivement comment il fit le premier homme. Le premier homme fut fait sans père et sans mère. Or, les dispositions que Dieu a pu prendre tout d’abord pour établir la race humaine, n’aurait-il pu ensuite se les appliquer à lui-même quand il s’agit de réparer cette race des hommes ? Était-ce donc une difficulté pour la sagesse de Dieu, pour le Verbe de Dieu, pour la vertu de Dieu, pour le Fils unique de Dieu, était-ce une difficulté de prendre quelque part, à son gré, cet homme qu’il devait s’adapter à lui-même ? Les anges sont devenus des hommes, pour communiquer avec les hommes. Abraham donna un festin à des anges, et les invita comme s’ils eussent été des hommes, et non-seulement il les vit, mais il les toucha, puisqu’il leur lava les pieds [457]. Or, tout ce que firent alors les anges n’était-ce donc que des jeux fantastiques ? Si donc un ange a pu, à son gré, prendre une forme humaine, et forme réelle, le Maître des anges ne pouvait-il pas prendre où il voulait cet homme qu’il devait s’unir ? Toutefois, il ne voulut point avoir un homme pour père, ni venir parmi les hommes, par le moyen de la convoitise charnelle ; mais il voulut avoir une mère, afin qu’en ne s’arrêtant point à cette mère, quand il faisait l’œuvre de Dieu, il donnât l’exemple aux hommes. Il voulut choisir pour lui le sexe de l’homme, et néanmoins honorer dans sa mère le sexe de la femme. Car au commencement ce fut la femme qui commit le péché et qui le fit commettre à l’homme[458]. Chacun des deux époux fut trompé par la ruse du diable. Que le Christ se soit fait homme, sans avoir relevé en honneur le sexe féminin, les femmes désespéreraient d’elles-mêmes, surtout que c’est par la femme que l’homme est tombé. Il a donc voulu honorer l’un et l’autre sexe, les relever, les consacrer en lui-même. Il est né d’une femme. Ne désespérez point, ô hommes, puisque le Christ a daigné se faire homme. Ne désespérez point, ô femmes, puisque le Christ a daigné prendre une femme pour mère. Que chacun des deux sexes ait sa part dans le salut du Christ. Que l’homme y vienne, que la femme y vienne aussi. Car dans la foi il n’y a ni homme ni femme[459]. Donc le Christ t’enseigne tout à la fois et à mépriser tes parents, et à aimer tes parents. C’est aimer ses parents avec le dévouement qui convient, que ne point les préférer à Dieu. « Celui qui aime son père et sa mère plus que moi, n’est pas digne de moi[460] ». Ce sont les paroles du Seigneur, et ces paroles semblent nous dissuader d’aimer, ou plutôt, si l’on y fait attention, elles nous avertissent d’aimer nos parents. Le Seigneur aurait pu dire : Celui qui aime son père ou sa mère n’est pas digne de moi. Or, il n’a point tenu ce langage, pour ne point parler contre la loi ; car c’est lui qui a donné la loi par Moïse, son serviteur, loi qui porte : « Honore ton père et ta mère[461] ». Il n’a point proclamé une loi contraire, mais il a recommandé celle-ci, en y réglant la piété filiale sans la détruire. « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi ». Qu’il les aime donc, mais non plus que moi. Dieu est Dieu, et l’homme est homme. Aime tes parents, obéis à tes parents, honore tes parents ; mais si Dieu t’appelle à de plus hauts desseins où l’amour des parents puisse être un obstacle, observe l’ordre et ne renverse pas la charité.

5. Or, dans cette doctrine si vraie de Jésus-Christ notre Seigneur et Sauveur, qui croirait que les Manichéens sont allés chercher ces assertions calomnieuses par lesquelles ils voudraient nous enseigner que Notre-Seigneur Jésus-Christ n’eut point de mère. Dans leur sagesse, ou plutôt dans leur folie, ils nous disent que le Seigneur Jésus n’eut point de mère dans la race de l’homme, et cela contrairement à l’Évangile, contre la vérité la plus éclatante. Et voyez d’où ils tirent leur argumentation. Voilà, disent-ils, que lui-même l’a enseigné. Que dit-il ? « Qui est ma mère, et qui sont mes frères ? » Le voilà qui nie, et ce qu’il nie, tu veux nous forcer à le croire. Lui-même dit : « Qui est ma mère et qui sont mes frères ? » et tu viens nous dire : Il a une mère. O insensé, ô misérable, ô détestable disputeur ! Réponds-moi : d’où sais-tu que le Seigneur a dit : « Qui est ma mère et qui sont mes frères ? » Tu prétends que le Christ n’eut point de mère, et cette prétention, tu veux l’appuyer sur cette parole : « Qui est ma mère, et qui sont mes frères ?[462] » Qu’un autre s’en vienne et te dise que le Seigneur n’a point tenu ce langage, comment pourras-tu l’en convaincre ? Réponds, si tu le peux, à celui qui viendra nier cette parole du Christ. Ton arme pour le convaincre doit te convaincre toi-même. Est-ce bien le Christ qui t’a soufflé à l’oreille qu’il a tenu ce langage ? Réponds, afin d’être convaincu par ta propre bouche. Réponds, afin de me convaincre que le Christ a tenu ce langage. Je sais ce que tu vas dire. Je prendrai son livre, j’ouvrirai l’Évangile, et je réciterai ses paroles consignées dans l’Évangile. C’est bien, très-bien ! C’est avec l’Évangile que je te tiendrai, avec l’Évangile que je vais t’enlacer, avec l’Évangile que je vais t’étouffer. Récite dans l’Évangile ce que tu crois en ta faveur. Ouvre et lis : « Qui est ma mère ? » Tu verras plus haut ce qui te fait parler de la sorte. Quelqu’un lui vint dire : « Voilà votre mère et vos frères qui se tiennent dehors[463] ». Je ne te presse pas encore, je ne te tiens pas, je ne t’étouffe pas encore, puisque tu peux dire que c’était là une assertion fausse, contraire à la vérité, mensongère, et que dès lors le Seigneur la réfuta, puisque à cette nouvelle il répondit « Qui est ma mère ? » comme s’il disait : Tu viens me dire que ma mère est dehors, et moi je te réponds : « Qui est ma mère ? » Auquel devons-nous croire ? À celui qui donne cette nouvelle, ou au Christ qui n’accepte pas ce qu’il semblait dire ? Écoute-moi bien, encore une question, seulement fixe-toi à l’Évangile, et ne jette point le livre derrière toi. Tiens l’Évangile, acceptes-en l’autorité, autrement tu ne pourras plus me prouver que le Seigneur a dit : « Qui est ma mère ? » Et quand tu auras reconnu l’autorité de l’Évangile, écoute ma question. Tout à l’heure, je te demandais d’où sais-tu que le Christ a dit : « Qui est ma mère ? » Qu’est-ce qui prouve cette question ? Quelqu’un vient dire au Christ : Votre mère est dehors. Mais avant la parole de cet homme, ou plutôt pour le faire parler ainsi, qu’est-ce qui précède ? Lis bien, je t’en prie. On dirait que tu crains de lire. « Le Seigneur répondit et dit ». Qui est-ce qui parle ici ? Je ne dis point qui est-ce qui dit : « Qui est ma mère ? » car tu me répondras : C’est le Seigneur ; mais bien qui est-ce qui dit : « Le Seigneur répondit ». Tu es forcé de répondre que c’est l’Évangéliste. Or, cet Évangéliste a-t-il dit vrai ou non ? Tu ne sauras échapper, il te faut dire qu’il a dit vrai ou faux. Cette parole de l’Évangéliste : « Le Seigneur répondit et lui dit » est-elle vraie ou non ? Si tu me dis que cette assertion de l’Évangéliste, que le Seigneur répondit, est une assertion fausse ; d’où sais-tu que le Seigneur dit : « Qui est ma mère ? » Mais si tu nous affirmes que cette parole : « Qui est ma mère » est vraiment du Sauveur, par cela seul que l’Évangéliste le lui attribue, tu ne saurais affirmer que le Seigneur a tenu ce langage sans croire à l’Évangéliste. Mais si tu crois à l’Évangéliste, et si tu ne saurais rien affirmer sans croire à l’Évangéliste, lis aussi ce que cet Évangéliste a dit plus haut.

6. Combien je dois t’impatienter ! Combien je te tiens en suspens ! C’est mon avantage pour te vaincre plus tôt. Vois, considère et lis. Tu ne voudrais pas, je crois. Donne le livre et je lirai : « Comme il parlait ainsi à la foule ». Qui tient ce langage ? L’Évangéliste, et si tu ne crois pas à l’Évangéliste, alors le Christ n’a rien dit. Si le Christ n’a rien dit, il n’a pas dit : « Qui est ma mère ? » mais s’il a dit : « Qui est ma mère ? » ce qu’a écrit l’Évangéliste est selon la vérité. Écoute ce qu’il a dit auparavant : « Comme il parlait ainsi à la foule, sa mère et ses frères se tenaient au-dehors, cherchant à lui parler ». Cet homme n’a rien annoncé encore d’où tu puisses l’accuser de mensonge. Vois ce qu’il a dit, vois ce que l’Évangéliste a écrit plus haut : « Comme le Seigneur parlait ainsi a à la foule, sa mère et ses frères se tenaient dehors ». Qui parle ainsi ? L’Évangéliste, que tu en crois quant à cette parole du Seigneur : « Qui est ma mère ? » Mais si tu ne crois pas les paroles précédentes, aussi bien que ces dernières, alors le Seigneur n’a donc point dit : « Qui est ma mère ? » Mais le Seigneur a vraiment dit : « Qui est ma mère ? » Crois donc à celui qui attribue au Seigneur cette parole : « Qui est ma mère ? » Celui qui attribue au Seigneur cette parole : « Qui est ma mère ? » a dit aussi : « Comme il parlait de la sorte, sa mère se tenait au-dehors ». Pourquoi donc a-t-il nié qu’elle fût sa mère. Loin de là ! comprends bien. Sans renier sa mère, il lui préféra l’œuvre qu’il faisait. Il ne nous reste plus qu’à chercher pourquoi le Seigneur a dit : « Qui est ma mère ? » Voyons d’abord ce qu’on lui rapportait, pour dire : « Qui est ma mère ? » On lui disait qu’elle était là dehors, et voulait lui parler. Réponds-moi, d’où sais-tu cela ? L’Évangéliste le rapporte, et si je ne l’en crois point, le Seigneur n’a rien dit. Donc il avait une mère ; mais que veut dire : « Qui est ma mère ? » Dans l’œuvre que j’accomplis, qu’est-ce que ma mère ? Qu’un homme qui a un père, soit exposé au danger, et dis-lui : Que ton père te délivre, quand surtout il sait que ce père ne pourrait délivrer son fils, ne répondra-t-il point en toute vérité et sans offenser la piété filiale : « Qu’est-ce que mon père ? » Dans l’œuvre que j’entreprends, et pour le besoin que je ressens, qu’est-ce que mon père ? Or, pour l’œuvre du Christ qui délivrait les captifs, qui rendait la lumière aux aveugles, qui édifiait l’homme intérieur, qui se construisait un temple spirituel, qu’était-ce que sa mère ? Mais si tu veux en conclure qu’il n’avait point de mère ici-bas, parce qu’il dit : Qui est ma mère ? les disciples, à leur tour, n’auront point de père en cette vie, puisque le Seigneur leur dit : « Ne dites point que vous avez un père sur la terre ». Ce sont là les paroles du Seigneur : « N’appelez personne votre père ; vous n’avez qu’un seul père qui est Dieu[464] ». Non pas qu’ils n’aient point de pères, mais quand il s’agit de la régénération, cherchons un père dans le sens de la régénération, et sans condamner celui qui nous a engendrés, préférons-lui celui qui nous a régénérés.

7. Mais considérez bien ceci, mes frères bien-aimés, considérez, je vous en supplie, ce que dit Notre-Seigneur Jésus-Christ en étendant la main sur ses disciples : « Voici ma mère, voici mes frères. Et celui qui fera la volonté de mon Père qui m’a envoyé, celui-là est mon frère, ma sœur et ma mère ». N’a-t-elle point fait la volonté du Père, cette vierge Marie qui a cru, qui a conçu par la foi, qui a été choisie, afin que d’elle le salut vînt aux hommes ; qui a été créée par le Christ avant que le Christ fût créé en elle ? Oui, Marie qui est sainte a fait la volonté du Père, et dès lors il est plus glorieux pour Marie d’avoir été disciple du Christ que mère du Christ, plus heureux pour Marie d’avoir été disciple du Christ que mère du Christ. Marie était donc bienheureuse de porter le Maître dans son cœur avant de le mettre au monde. Vois si je ne dis point la vérité. Comme le Seigneur venait à passer avec la foule qui le suivait, et faisait des œuvres divines, une femme s’écria : « Bienheureux le sein qui vous a porté ! bienheureuses les entrailles qui vous ont porté ![465] » Et le Seigneur, pour qu’on ne recherchât point la félicité dans ce qui est charnel, que répondit-il ! « Bien plus heureux ceux qui entendent la parole de Dieu et la mettent en pratique[466] ». Le bonheur de Marie vient donc de ce qu’elle a entendu et mis en pratique la parole de Dieu. Son âme a plus gardé la vérité que ses entrailles n’ont gardé la chair. Car le Christ est vérité, comme le Christ est chair. À l’âme de Marie le Christ vérité, aux entrailles de Marie le Christ fait chair. Car ce qui est dans l’âme est bien supérieur à ce que renferment les entrailles. Marie est donc sainte, Marie est bienheureuse, mais l’Église est supérieure à Marie. Pourquoi ? Parce que Marie est une portion de l’Église, un membre saint, membre excellent, membre suréminent, mais pourtant membre du corps entier. Mais si elle fait partie du corps entier, assurément ce corps entier est supérieur à un membre. C’est le Seigneur qui est la tête, et la tête et le corps forment tout le Christ. Que dirai-je ? Nous avons une tête divine, et Dieu est notre tête.

8. Donc, mes frères bien-aimés, écoutez encore. Vous êtes les membres du Christ, le corps du Christ. Considérez comment vous êtes ce qui est dit ici : « Voilà ma mère et mes frères ». Comment serez-vous la mère du Christ ? « Quiconque entend, et quiconque fait la volonté de mon Père qui est dans le ciel, celui-là est mon frère, ma sœur, ma mère[467] ». Frères, je comprends, sœurs, je comprends encore ; car il n’y a qu’un seul héritage, et dans sa miséricorde, le Christ Fils unique du Père ne voulut point être seul à partager l’héritage de son Père, il voulut nous faire ses cohéritiers. Tel est en effet l’héritage, que le grand nombre des héritiers ne saurait le diminuer. Je comprends dès lors que nous sommes les frères du Christ et que les sœurs du Christ seront les femmes saintes et fidèles ; comment pourrons-nous comprendre les mères du Christ ? Quoi donc ! Oser nous dire mères du Christ ? Eh bien ! oui, mères du Christ, j’oserai le dire. Je dirai que vous êtes ses frères, et je n’oserais dire sa mère ? Mais j’oserai bien moins encore nier ce que le Christ a dit lui-même. Voyez donc, mes bien-aimés, voyez comment l’Église est l’épouse du Christ, ce qui est évident ; de même elle est mère du Christ, ce qui nous paraît plus difficile à comprendre et n’en est pas moins vrai. La vierge Marie a été d’avance le type de l’Église. Or, je vous le demande, comment Marie est-elle mère du Christ, sinon parce qu’elle a enfanté les membres du Christ ? Maintenant, qui vous a enfantés ? J’entends le cri de votre cœur Notre mère la sainte Église. Semblable à Marie, cette mère sainte et glorieuse enfante et demeure vierge. Qu’elle enfante, je le prouve par vous-mêmes. C’est d’elle que vous êtes nés, et dès lors elle enfante le Christ, puisque vous êtes membres du Christ. J’ai prouvé qu’elle enfante, je prouverai qu’elle est vierge. Je ne suis point dépourvu de divins témoignages, ils ne me font pas défaut. Viens parler à mon peuple, 8 bienheureux Paul. Sois le garant de mon assertion. Crie bien haut, et dis ce que je veux dire : « Je vous ai fiancés à cet unique époux Jésus-Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge pure[468] ». Où est donc cette virginité ? Où redoute-t-on jusqu’à l’ombre de la corruption ? Qu’il réponde, celui qui a proféré ce nom de vierge. « Je vous ai fiancés à cet a unique époux Jésus-Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge pure. Mais je crains que, comme Eve fut séduite par les artifices du serpent, vos esprits de même ne se corrompent et ne dégénèrent de la chasteté qui est selon Jésus-Christ ». Gardez dans vos esprits la virginité d’esprit. La virginité de la foi catholique, c’est son intégrité. Où Eve se laissa séduire à la parole du serpent, l’Église catholique doit être vierge parle don du Tout-Puissant. Que les membres du Christ enfantent dès lors par l’esprit, comme les entrailles virginales de Marie enfantèrent le Christ, et vous serez par là mères du Christ. Cette œuvre n’est point trop éloignée de vous, n’est point au-dessus de vous, n’a rien d’incompatible avec vous. Vous avez été des fils, soyez aussi des mères ; fils de la mère quand vous avez été baptisés, alors vous êtes nés membres du Christ. Amenez au bain du baptême ceux que vous pourrez amener ; et de même que vous avez été des fils en naissant, vous serez des mères du Christ, en donnant naissance à d’autres.

  1. Parmi ces sermons il en est qui sont sûrement de saint Augustin ; il en est d’autres dont on peut douter s’il faut les lui attribuer.
  2. Exo. 13, 31, et Nom. 14, 14
  3. Psa. 41, 9
  4. C’est par une erreur de mémoire que l’auteur substitue l’abeille à la fourmi ; Prov. 6, 6.
  5. Jn. 14, 6
  6. Psa. 33, 9
  7. 1Co. 4, 15
  8. Jug. XIV
  9. 2Co. 11, 2
  10. Dans le manuscrit nous lisons : Sermon de saint Augustin, évêque, pour la vigile de Pâques. C’est un discours très-relevé qui nous expose la création du monde, les mystères de l’Incarnation et de la Trinité, l’existence et la nature de Dieu, ainsi que notre espérance de l’immortalité.
  11. Gen. 1, 1
  12. Jn. 1, 3
  13. Id. I
  14. Psa. 103, 24
  15. Jn. 8, 25
  16. Gen. 1, saepius
  17. Psa. 32, 9
  18. Psa. 41, 4
  19. Psa. 41, 5
  20. Exo. 3, 14
  21. Exo. 3, 14
  22. Exo. 3, 6
  23. Mat. 22, 32 ; Mrc. 12, 26-27
  24. Exo. 3, 15
  25. Qu’il nous suffise d’indiquer cette formule familière à saint Augustin, et que nous trouvons à la fin de plusieurs de ses sermons. Voir tom. 6, serm. 1.
  26. Le manuscrit fol. 4, pag. 2, porte cette inscription : « Autre sermon, pour le même jour, sur les sacrements. » Ce serait, je crois, le discours dont saint Augustin parle dans son sermon CCXXVIII. Voir tom. 7, p. 249. – C’est une magnifique préparation à la communion.
  27. Psa. 109, 4
  28. Gen. 14, 18
  29. Psa. 109, 4
  30. Mat. 26, 28
  31. Psa. 33, 6
  32. Jn. 6, 52-54
  33. Eph. 5, 32
  34. 1Co. 10, 17
  35. Id. 11, 27-29
  36. Id. 5, 8
  37. Mat. 13, 33
  38. On lit dans le manuscrit, fol. 5 : « Autre sermon de saint Augustin pour le même jour ».
  39. Psa. 18, 5
  40. Rom. 10, 18
  41. Isa. 53, 7
  42. Id. 8
  43. Gen. 49, 9
  44. Gen. 49, 9
  45. Apo. 25, 4
  46. Id. 5
  47. Jn. 10, 1,2,14
  48. Id. 1, 29
  49. Rom. 5, 6
  50. On lit au manuscrit, fol. 5, pag. 2 : « Autre sermon encore de saint Augustin pour le même jour ».
  51. Psa. 123, 1,2
  52. 2Co. 8, 9
  53. Psa. 115, 12
  54. Id. 13
  55. Mat. 26, 39
  56. Jean 10, 18
  57. Psa. 3, 6
  58. Luc. 23, 21 ; Jn. 19, 6
  59. Psa. 3, 6
  60. Id. 11, 9
  61. Mat. 26, 38
  62. Jn. 1, 1
  63. 2Co. 6, 17
  64. Jn. 1, 4
  65. Id. 1
  66. Il est difficile de préciser de quel Phocas veut parler saint Augustin, de celui d’Antioche ou des deux de Sinope. Les hagiographes belges en ont disserté, avec leur soin habituel, au14 juillet. Toutefois les monuments qu’ils ont cités n’indiquent point qu’aucun de ces trois martyrs ait été connu ou ait reçu un culte en Afrique. Néanmoins, les nautoniers d’Afrique ont pu faire connaître Phocas,o thalasotaumaturgos, qui fut un jardinier de Sinope.
  67. Jn. 3, 16
  68. Rom. 8, 32
  69. Eph. 4, 10
  70. On trouve dans fol.7, cette inscription : « Du sacrement de l’autel, Sermon de saint Augustin pour le même jour. » C’est une courte instruction, semblable au sermon 3, pour ceux qui reçoivent la première fois la sainte communion. Nous donnons tout entier le fragment tiré de Bède et de Florus, inséré par les bénédictins sous le titre de sermon CCXXIX. Voir tom. 7, p. 249-250.
  71. Jn. 1, 1
  72. C’est ici que commence le fragment dont nous venons de parler.
  73. La coupure suivante, jusqu’à ces paroles : « Souvenez-vous aussi de vous-mêmes », ne se trouve point dans le fragment édité.
  74. On dirait mieux : nous le prenons ensemble.
  75. Ici finit le fragment.
  76. Mat. 6, 12
  77. Dans le manuscrit, fol. 10, pag. 2, on lit : Sermon de saint Augustin sur la fête de Pâques. Toutefois ce discours révèle peu saint Augustin, du moins dans son entier. C’est ce que pourront constater ceux qui sont familiarisés avec le saint docteur ; car je penche plutôt à le lui refuser qu’à le lui attribuer.
  78. Jn. 3, 14
  79. Mat. 25, 40
  80. Job. 1, 21
  81. 1Ti. 6, 17,18
  82. Tob. 4, 3
  83. Héb. 12, 7
  84. On retrouve ce langage au sermon 21, n. 4.
  85. Mat. 22, 13
  86. Ap. 3, 22
  87. Au fol. 14, On lit cette inscription : « Sermon de saint Augustin, évêque ». Ce discours traite du sacrement de baptême d’une manière digne de son auteur.
  88. Rom. 13, 12-14
  89. Gal. 3, 27-28
  90. Rom. 6, 4
  91. 1Jn. 3, 2
  92. Jn. 14, 21
  93. 2Co. 7, 1
  94. Eph. 4, 1-3
  95. 2Ti. 3, 5
  96. Act. 8, 21
  97. Act. VIII
  98. Id. X
  99. Amo. 6, 1
  100. Luc. 11, 23
  101. Eph. 4, 3
  102. Col. 3, 1-4
  103. Dans le manuscrit fol. 17, pag. 2, on lit cette inscription : « Sermon de saint Augustin, évêque ». Il traite de la confession des péchés. Possidius en parle dans son Index, chap. 9.
  104. Psa. 117, 1
  105. Heb. 12, 6
  106. Psa. 103, 24
  107. Tob. 3, 2
  108. Psa. 118, 67
  109. Id. 102, 9
  110. Mat. 5, 45
  111. Psa. 62, 1
  112. Psa. 31, 5
  113. Id. 1, 5
  114. Id. II
  115. Dans le manuscrit, fol. 19, on lit cette inscription : « Sermon de saint Augustin, évêque ». Ce sermon est du temps de Pâques, et nous inspire l’amour et le désir des biens futurs.
  116. À partir de cet endroit, jusqu’aux paroles : « Parce qu’il ne vieillit point », saint Augustin semble répéter ce qu’il a dit dans le discours sur le même psaume.
  117. Psa. 149, 1
  118. Jn. 1, 3
  119. Id. 14
  120. Rom. 5, 16
  121. Psa. 149, 1
  122. Eze. 9 ; Ose. 4, 2
  123. Phi. 3, 20
  124. Psa. 149, 2
  125. Saint Jérôme, Quaest. Hebr. ad. Genes. 32, 28, nous semble dire avec plus de raison.Prince, ou celui qui prévaut, avec Dieu, ou fort contre Dieu.
  126. 1Jn. 4, 8,16
  127. Psa. 149, 2
  128. Id. 2, 6
  129. Gal. 4, 26
  130. Luc. 2, 14
  131. 2Co. 5, 6
  132. Gen. 18, 27
  133. Jn. 17, 24
  134. On lit dans le manuscrit, fol. 26 : Sermon de saint Augustin, évêque, sur la fête du bienheureux Jean-Baptiste.— C’est un traité sublime de la Trinité, remarqué par Possidius dans l’Indic. Opp. c.8, sous ce titre : Sur ce verset du psaume CXXXI : J’ai préparé une lampe à mon Christ.
  135. Psa. 131, 17-18
  136. Jn. 5, 35
  137. Id. 36
  138. Mal. 3, 1 ; Mat. 11, 10
  139. Jn. 1, 16
  140. Id. 19
  141. Mat. 3, 3
  142. Isa. 11, 3
  143. L’éditeur avoue que cette phrase est difficile à comprendre.
  144. Luc. 3, 26
  145. Id
  146. Mat. 11, 11
  147. L’éditeur trouve que la ponctuation du saint docteur est meilleure ici que dans les exemplaires grecs et latins, qui disent ici et dans saint Luc, 7, 28 : Qui autem minor est in regno cœlorum, major est illo. Quel serait ce moindre du royaume des cieux, glus grand que Jean-Baptiste ?
  148. Psa. 109, 3
  149. Jn. 1, 33,31
  150. Mat. 3, 17
  151. Psa. 131, 18
  152. 1Co. 11, 29
  153. 1Co. 11, 29
  154. Luc. 20, 13-14
  155. Mat. 6, 10
  156. Luc. 20, 2
  157. Mat. 22, 19-21
  158. Psa. 11, 3
  159. Psa. 11, 3
  160. Mat. 21, 21-27
  161. Au manuscrit, fol. 28, on lit : « Sermon de Saint Augustin, évêque, pour la vigile des Apôtres ».
  162. Jn. XXI
  163. Jn. 21, 16
  164. Id.17
  165. Id
  166. Psa. 18, 6
  167. Gen. 2, 24 ; Mat. 19, 5
  168. Can. 1, 6
  169. Il y a en grec, περιβαλλομένε, et dans la Vulgate vagans.
  170. Isa. 2, 2
  171. Dan. 9, 32.##Rem
  172. Dan. 2, 34
  173. Id. 35
  174. Psa. 107, 6
  175. Id. 40, 10
  176. Psa. 54, 13-15
  177. Can. 1, 7
  178. Psa. 2, 8
  179. 1Jn. 2, 19
  180. Jn. 8, 35
  181. Mat. 25, 21
  182. Can. 1, 7
  183. 1Pi. 2, 21
  184. Can. 1, 7
  185. Jn. 21, 17
  186. Au manuscrit, fol. 31, page 2, on lit : « Sermon de saint Augustin, évêque, pour la fête de saint Laurent ».- Le commencement semble indiquer un trouble causé par ceux qui profanaient les fêtes des martyrs par des danses déplacées. Il y revient au n° 4.
  187. C’est ainsi que le saint athlète termine son traité de l’exhortation au martyre, qu’on lisait publiquement dans les églises d’Afrique, ainsi que le prouve ce passage de saint Augustin.
  188. 1Co. 4, 7
  189. Mat. 23, 29-32
  190. Gen. 15, 6
  191. Voyez le sermon CCCXI, pour la fête de saint Cyprien, 101 dev. tom. 7, n.5, p.527,528, où le saint docteur dit que l’on a supprimé avec le secours de l’évêque, ce qu’il appelle une peste.
  192. C’est-à-dire se mettre à la gauche.
  193. 2Co. 1, 5
  194. Psa. 93, 19
  195. 1Co. 1, 8
  196. Phi. 1, 21
  197. Psa. 54, 6-7
  198. Phi. 1, 21
  199. Id. 22-24
  200. 1Th. 2, 7
  201. Mat. 23, 37
  202. 2Co. 13, 3
  203. Id. 1, 9-10
  204. Phi. 1, 24-25
  205. Id. 23
  206. 1Co. 6, 13
  207. 1Co. 15, 53-55
  208. Id. 26
  209. 1Co. 2, 8
  210. Rom. 8, 18
  211. 1Jn. 3, 2,
  212. 1Jn. 3, 2
  213. 2Co. 1, 14
  214. Mat. XX
  215. On lit dans le manuscrit fol, 36, p. 2 : « Autre sermon de saint Augustin, évêque ». – Du triple combat des chrétiens ; il s’élève avec force contre les spectacles des païens.
  216. Psa. 123, 8
  217. Jn. 1, 10
  218. Psa. 123, 8
  219. Id. 120, 1-2
  220. 1Jn. 2, 15-16
  221. On trouve plusieurs traits, au sujet de ces contentions, dans les épigrammes de Martial et dans les historiens de saint Augustin.
  222. Jac. 4, 8
  223. Serait-ce Sénèque, epist. 50 ad Lucil. : Ut intelligas tua vitia esse, quœ putas rerum ?
  224. Psa. 31, 3
  225. Id. 72, 1
  226. On peut comparer la fin du sermon CCCXIII, avec celle du sermon CCCX, n° 2.
  227. Au manuscrit on lit, fol.37, page2 : « Encore un sermon de saint Augustin, évêque, sur la victoire des martyrs et de l’Église par les martyrs ». – C’est peut-être Possidius qui, dans l’Indic. Opp, ch.8, l’a intitulé :De venatoribus Dei et sœculi. Car le verset du psaume cité ici s’entend de la dent des persécuteurs, et aussi de la dent de l’Église.
  228. Psa. 123, 6
  229. Psa. 124, 6
  230. Can. 4, 2 ; 6, 5
  231. Act. 4, 35
  232. Mat. 22, 37-10
  233. Act. 10, 13
  234. Psa. 71, 11
  235. Exo. 13, 31, et Nom. 14, 14
  236. Au catalogue, fol. 39, on lit : « Sermon de saint Augustin, évêque, pour la fête des saints martyrs de Scillite ».— Originaires d’un bourg nommé Scilla ou Scillite dans l’Afrique proconsulaire, ils furent martyrisés à Carthage au nombre de douze, comme on le croit, vers l’an 200. on trouve dans Baronius d’autres actes à l’année 202, et d’autres encore chez les Bollandistes, tom. 4, de la bibliothèque ecclésiastique de Tolède, au 17 juillet, jour où l’on en fait mémoire. Saint Augustin prêcha en leur honneur dans la basilique de Carthage le sermon CLV, de notre édition. Mais, comme Possidius mentionne deux traités dans son Indic., Opp, eb. 9 ; Ge. Cuper, Acta Sanctorum, tom. sit, pag. 206, dit, à propos de l’autre sermon, qu’il n’a point paru même dans les plus récentes éditions de saint Augustin et qu’il doit être perdu, ou dans la poussière. Mais, grâce au cardinal Garainpius, il sort de cette poussière, comme une relique admirable du génie d’Augustin.
  237. 1Co. 2, 9
  238. Luc. 10, 27
  239. Id. 29
  240. Id. 30
  241. Id. 37
  242. Tim. 6, 6-9##Rem
  243. Luc. 3, 11
  244. 2Co. 8, 9
  245. Col. 2, 3
  246. Psa. 51, 4
  247. 1Ti. 6, 17-19
  248. Luc. 2, 14
  249. 1Ti. 6, 8
  250. Psa. 21, 11-12
  251. Rom. 8, 35
  252. Jn. 1, 9
  253. Psa. 35, 10
  254. Rom. 8, 37
  255. Psa. 10, 6
  256. Psa. 47, 9
  257. Isa. 58, 7
  258. Dans le Codex, fol. 40, page 2, on lit : « Sermon de saint Augustin, évêque, pour la naissance des saints Machabées ». – Après le commentaire sur les chapitres 14, 28, de saint Luc, et 19, 16, de saint Matthieu, après avoir excité les fidèles à la persévérance, ce beau sermon contient des invectives contre les spectacles. Saint Augustin le prêcha à Balla-Regio à la prière de l’évêque. Notre ami, dit en effet Possidius, vitae cap.8, ne prêchait pas seulement dans un seul pays, mais partout, sur l’invitation qu’on lui en faisait.
  259. Jn. 20, 29
  260. Mat. 27, 20
  261. Luc. 14, 28-33
  262. Mat. 21, 10
  263. Luc. 18, 28
  264. Mat. 19, 16
  265. Id. 17
  266. 1Co. 7, 29-31
  267. Act. 2
  268. Mat. 19, 2
  269. Jn. 14, 6
  270. Sag. 1, 11
  271. 1Co.11,9
  272. Mat. 22, 39-40
  273. Bulla, ville située entre Hipponne et Carthage.
  274. 1Co. 6, 15
  275. Mat. 21, 31
  276. La ville de Simittu est à quelques milles de Bulle. On voit dans Vict. vit, parmi des noms d’évêques :Deuterius Simminensis, et Florentiu Seminensis ; l’un des deux doit appartenir à cette ville.
  277. L’évêque de Simittu
  278. Saint Augustin, à son arrivée, paraît avoir été reçu avec pompe.
  279. Au Codex, fol.51, on lit cette inscription : « Sermon de saint Augustin, évêque, sur l’amélioration de la vie, les progrès vers Dieu, avec l’éloge de saint Quadratus.— L’exorde nous montre que ce sermon ne fut point prêché à Hippone, mais dans quelque localité qui honorait saint Quadratus. Possidius en fait mention in Indicul. Opp, ch.9.
  280. Psa. 125, 2
  281. Rom. 12, 12
  282. Id. 8, 21,25
  283. On trouve la même sentence,Cod. Bibl. Palat. théol. 19, parmi les sermons inconnus ad Fratres in Bremo, sermon 19, que les bénédictins de Saint-Maur n’ont pas édités. Ce sermon-ci a donc été connu de l’imposteur qui a rassemblé tous les inconnus.
  284. Phi. 3, 13-14
  285. 2Co. 4, 6
  286. Phi. 3, 13
  287. 1Co. 15, 10
  288. Phi. 3, 12
  289. Phi. 3, 15
  290. S. Quadrati memoria, voilà ce qu’on lit dans God. Henschénius, Acta Sanctorum, tom. 6, 26 mai, pag.369, après Usuard, Adon, Notker, et les modernes. Voici ce qu’on lit au martyrologe romain :In Africa S. Quadrati martyris, in cujus solemnitate S. Augustinus sermonen habuit. Baronius ajoute : Il est fait mention de ce sermon dans l’Ind. de Possidius : et puisse-t-il être mis au jour : « Le vœu du grand historien est accompli.
  291. On connaît les surnoms dérivés du grec,\ip Theophores, Christophores.
  292. Heb. 12, 9
  293. Rom. 6, 19
  294. Mat. 10, 31
  295. Mat. 10, 27
  296. Psa. 44, 3
  297. Mat. 10, 28
  298. Luc. 2, 14
  299. Psa. 33, 6
  300. Jn. 10, 12
  301. Mat. 10, 32-33
  302. 1Co. 13, 1
  303. On lit dans le manuscrit, foi.64 : « Sermon de saint Augustin, évêque, sur la charité ».— C’est un beau traité contre les Donatistes, dont la deuxième partie est historique. Possidius, dans son Indic. Opp, c.9, fait mention de deux traités sur la charité.
  304. 1Co. 12, 31
  305. 1Co. 13, 1-3
  306. Reg. XIX##Rem
  307. Sag. 8, 1
  308. Jn. 11, 50
  309. Id. 51
  310. 1Co. 13, 2
  311. Jac. 2, 19
  312. Mat. 16, 16-17
  313. Id. 8, 29
  314. 1Co. 12, 26
  315. Mat. 25, 35-45
  316. Gal. 4, 15
  317. Jn. 15, 1-2
  318. Eph. 3, 17
  319. L’an 401, voyez l’histoire de saint Augustin et saint Augustin en plusieurs endroits.
  320. La cause avait été jugée antérieurement sous Constantin le Grand, entre Majorin et Cécilien. Voyez la lettre du clergé d’Hippone, parmi les lettres de saint Augustin, lettre 88, et le saint docteur lui-même en plusieurs endroits.
  321. Les bénédictins de Saint-Maur écrivent Anulinus, c’est mieux peut-être. Et, toutefois, on trouve, vers l’année199 de la Chron. P. Corn., Anulinus, et en l’année 216,Sext. Corn., Anullinus.
  322. C’est sans doute Melchiade ou Miltiade, souverain Pontife de Rome. Quel est ce Marc ? Est-ce le successeur de Melchiade dans le pontificat ? ou l’un des trois évêques des Gaules, qu’il s’adjoignit pour juger cette cause ?
  323. En l’an 314, l’année d’après le jugement de Rome.
  324. Rom. 11, 19-21
  325. Id. 28
  326. Ibid
  327. Luc. 24, 44-47
  328. Act. 2, 10, XIX
  329. Psa. 18, 5
  330. Id. 4
  331. On lit dans le Codex, fol. 68 : « Sermon de saint Augustin, évêque ». Il traite principalement de l’usage de la langue et de la fin de l’homme. À vrai dire, il y a quelques incohérences qui me paraissent peu dignes de saint Augustin ; les paroles du psaume y sont répétées sans opportunité, quelquefois forcées ; ce qui fait soupçonner une interpolation. Je laisse à juger à ceux qui sont plus habitués que moi à la lecture du saint docteur.
  332. Rom. 12, 11
  333. Psa. 38, 13
  334. Jn. 16, 24
  335. Psa. 38, 1
  336. 1Co. 15, 10
  337. Pro. 18, 21
  338. Sir. 28, 22
  339. Jac. 3, 6
  340. Jer. 9, 5
  341. Jac. 3, 8
  342. Id. 9
  343. Jn. 8, 4
  344. Psa. 119, 2
  345. Mat. 5, 17
  346. Id. 9, 5 ; Mrc. 2, 5-9 ; Luc. 5, 25
  347. Mat. 13, 11
  348. Jn. 8, 7
  349. Mat. 7, 2
  350. Psa. 13, 3
  351. Gen. 3, 19
  352. Psa. 105, 1
  353. Mat. 22, 37-40
  354. Psa. 103, 24
  355. Psa. 38, 2
  356. 2Co. 1,12
  357. Gal. 6, 2
  358. Psa. 38, 3
  359. Id. 100, 2
  360. Luc. 5, 34
  361. Act. 2, 38
  362. Psa. 38, 4
  363. 2Co. 3, 1
  364. Mat. 6, 12
  365. Psa. 38, 5
  366. Jn. 4, 23
  367. Psa. 38, 5,6
  368. Rom. 10, 4
  369. 1Jn. 2, 6
  370. Psa. 129, 6
  371. Phi. 3, 17
  372. 2Co. 11, 27-29
  373. 2Co. 9, 22
  374. Rom. 8, 35
  375. Phi. 3, 13
  376. Jac. 2, 19
  377. Gal. 5, 6
  378. Mrc. 13, 32
  379. Jn. 16, 15
  380. Gen. 22, 18
  381. Jn. 8, 56
  382. Gen. 22
  383. Luc. 11, 41
  384. Mat. 9, 13 ; 12, 7
  385. Rom. 5, 3
  386. Psa. 6, 6
  387. On lit dans le Codex, fol. 71, pag. 2 : « Sermon de saint Augustin à propos du riche et de Lazare ». Cette histoire, ainsi que celle de Job, fart conclure à notre saint docteur que ni la félicité des méchants, ni les malheurs, ne doivent empêcher l’homme droit de louer le Seigneur.
  388. Psa. 32, 1
  389. Id. 49, 16
  390. Sir. 15, 9
  391. Psa. 72, 1-3
  392. Psa. 72, 16-17
  393. Luc. 16, 19
  394. Luc. 16, 25
  395. Psa. 33, 2
  396. Heb. 12, 6
  397. Psa. 10, 4
  398. Psa. 38, 6-7
  399. Luc. 16, 22
  400. Luc. 16, 22
  401. Job. 1, 21
  402. Job. 2, 9
  403. Gen. 3, 4
  404. Job. 2, 10
  405. Cette phrase paraît une interpolation.
  406. Dans le Codex, fol. 74, on lit : « Sermon de saint Augustin, évêque ». Il parle avec beaucoup d’éclat de l’espérance humaine et de l’espérance divine. On croit, d’après l’exorde, qu’il le prêcha le soir. On ne sait quel fut cet évêque qui préféra la charité tranquille à la charité inquiète. Possidius, dans son Indiculus Opp, c.8, fait mention d’un sermon sur la charité inquiète, que l’on retrouverait peut-être, si les fureteurs de bibliothèques ne se contentaient point de parcourir les tables ou les titres. Possidius, au même endroit, fait mention de celui-ci.
  407. Psa. 51, 10
  408. Rom. 8, 24-25
  409. Psa. 113, 6
  410. Dans le Codex, fol.74, pag.2, on lit : « Sermon de saint Augustin, évêque », sur la brièveté de la vie et son bonheur passager, mis en lumière une seconde fois par l’exemple du riche et de Lazare.
  411. Psa. 145, 1
  412. Id. 83, 5
  413. 2Co. 5, 6-7
  414. Cicero, Orat. pro M. Marcello, n.28.
  415. . 4, 15
  416. Cette dernière phrase parait à l’éditeur une épiphonème assez inepte, qui aura passé de la marge dans le texte.
  417. Isa. 40, 6-8
  418. Psa. 145, 3
  419. Psa. 145, 4
  420. Luc. 16, 19
  421. Psa. 68, 29
  422. Luc. 10, 20
  423. Id. 16, 21
  424. Psa. 145, 5
  425. On lit dans le Codex, fol.80 : « Sermon de saint Augustin, évêque, sur le riche et Lazare ». C’est plutôt l’exposition de la vérité de la religion chrétienne prouvée par tout ce qui s’est accompli jusqu’alors, et par les promesses de Dieu qui doivent l’être ensuite, avec une exhortation à la patience. Possidius en fait mention dans son Indicul. Opp, c. S.
  426. Luc. 16, 31
  427. Luc. 16, 19
  428. Id. 21
  429. Mat. 25, 31-41
  430. Heb. 12, 6
  431. Gen. 17 et 21
  432. Id. XXI
  433. Isa. 2, 18 ; Eze. 6, 6 ; Mic. 1, 7
  434. Eph. 1, 21, et Col. 1, 16
  435. Mat. 22, 17
  436. Id. 12, 37
  437. Id. 22, 18-21
  438. Rom. 10, 15
  439. Psa. 18, 4,5
  440. Id. 115, 15
  441. Psa. 71, 11
  442. Sap. 14, 1
  443. Gen. 12, 1
  444. Id. 22, 18
  445. Luc. 8, 15
  446. Rom. 2, 5
  447. Psa. 10, 4
  448. Jn. 7, 20
  449. Luc. 4, 41
  450. On lit dans le Codex, fol. 89 : Mercredi de la première semaine de Carême, sermon de saint Augustin, évêque, contre les Manichéens. Il dispute contre eux, dans la dernière partie, avec une grande subtilité. Dans la première, sur l’aveuglement des Juifs, sur les pécheurs récidifs, sur les devoirs des parents et des enfants.
  451. Mat. 12, 41
  452. Id. 42
  453. Id. 43-45
  454. Isa. 66, 2
  455. Id. 11, 2,3
  456. Mat. 12, 46-50
  457. Gen. 18
  458. Gen. 3
  459. Gal. 3, 28
  460. Mat. 10, 37
  461. Exo. 20, 12 ; Deu. 5, 16
  462. Mat. 14, 48
  463. Id. 47
  464. Mat. 23, 9
  465. Cette citation est-elle bien de saint Augustin ?
  466. Luc. 11, 27-28
  467. Mat. 12, 49-50
  468. 2Co. 11, 2