Sermon XCII. Jésus, Seigneur et Fils de David.

Œuvres complètes de Saint Augustin (éd. Raulx, 1864)


SERMON XCII. JÉSUS, SEIGNEUR ET FILS DE DAVID[1]. modifier

ANALYSE. – Ce discours n’est autre chose que là solution du problème proposé en vain par Notre-Seigneur aux Juifs, lorsqu’il leur demanda comment le Messie pouvait être nommé le Seigneur de David, puisqu’il était le fils de ce prince. Saint Augustin montre donc avec l’Écriture, que comme Dieu, le Messie est Seigneur de David ; et qu’en tant qu’homme, il est son fils. Nous devons ainsi reconnaître en lui deux natures et une seule personne.


1. C’est aux Chrétiens à résoudre la question proposée aux Juifs. Car en la proposant aux Juifs, Jésus Notre-Seigneur ne la résolut pas ; il l’a néanmoins résolue pour nous. Je ne ferai que rappeler ses paroles à votre charité et vous reconnaîtrez que réellement il l’a résolue. Remarquez d’abord le nœud de cette question. Le Seigneur demanda aux Juifs, ce qu’ils pensaient du Christ, de qui le Christ devait être fils. C’est qu’eux aussi espèrent le Christ. Les prophètes leur en ont parlé, et après avoir attendu son avènement, ils l’ont mis à mort après son arrivée. Chose remarquable ! En lisant dans les Écritures que le Messie devait venir, ils lisaient aussi qu’eux-mêmes lui donneraient là mort : mais en espérant sa venue promise par les prophètes, ils ne voyaient pas dans ces mêmes prophètes le forfait qu’ils devaient commettre. Voilà pourquoi en les interrogeant à propos du Christ, le Sauveur ne suppose ni que le Christ leur soit inconnu, ni que jamais ils n’aient entendu son nom, ni que jamais ils n’aient espéré son avènement. De fait, ils l’espèrent encore aujourd’hui, et c’est leur erreur. Nous aussi nous comptons que le Messie viendra, mais pour juger et non pour être jugé ; et ce sont les saints prophètes qui ont prédit qu’il viendrait ainsi deux fois, une première pour être injustement condamné, et une seconde pour juger avec justice.« Quelle idée, donc, dit le Seigneur aux Juifs, avez-vous du Christ ? De qui est-il fils ? – De David », répondirent-ils ; ce qui est parfaitement conforme aux Écritures. « Comment alors, reprit Jésus, David inspiré l’appelle-t-il son Seigneur en ces termes : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je mette vos ennemis comme un escabeau sous vos pieds ? Or, si David inspiré l’appelle son Seigneur, comment est-il son fils ? »
2. Qu’on se garde bien de croire ici que Jésus prétend n’être pas le fils de David. Il ne nie pas qu’il soit le fils de David, mais il demande comment. Vous répondez, semble-t-il dire ; qu’il est fils de David ; je ne le conteste pas. Mais David même le nomme son Seigneur expliquez-moi donc comment étant sein Seigneur, il peut en même temps être son fils ; expliquez-moi cela. Ils ne l’expliquèrent pas et ils gardèrent le silence. Pour nous, expliquons ce mystère, ou plutôt reproduisons l’explication de Jésus lui-même. Mais où la trouverons-nous ? Dans son Apôtre. Et comment prouver d’abord qu’elle vient de lui ? Par le témoignage de l’Apôtre même : « Voulez-vous éprouver ; dit-il, le Christ qui parle de moi[2] ? » Oui, c’est par le ministère de cet Apôtre que le Christ a résolu notre question. Et premièrement, que dit-il par lui à Timothée ? « Souviens-toi que Jésus-Christ, de la race de David, est ressuscité d’entre les morts, selon mon Évangile[3]. » Voilà bien le Christ fils de David. Mais comment est-il aussi le Seigneur de David ? Dites-le-nous, ô Apôtre ! « Étant de la nature de Dieu, il n’a pas regardé comme une usurpation de se faire égal à Dieu. »
N’est-il pas ici le Seigneur de David ? Mais si tu reconnais en lui le Seigneur de David et le nôtre, le Seigneur du ciel et de la terre, le Seigneur même des anges et l’égal de Dieu puisqu’il est de sa nature ; comment est-il devenu fils de David ? Vois ce qui suit. L’Apôtre te l’a montré comme étant le Seigneur de David quand il t’a dit : « Étant de la nature de Dieu, il n’a point cru usurper en se faisant égal à Dieu. »
Comment donc est-il fils de David ? « Mais il s’est anéanti lui-même en prenant la nature d’esclave ; en devenant semblable aux hommes et en paraissant homme à l’extérieur ; il s’est de plus humilié en se faisant obéissant jusqu’à la mort, et jusqu’à la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté[4]. » Ainsi, issu de David et fils de David, le Christ est ressuscité parce qu’il s’était anéanti. Comment s’est-il anéanti ? En s’unissant à ce qu’il n’était pas, sans se séparer de ce qu’il était. Il s’est donc anéanti, il s’est humilié. Tout Dieu qu’il était, il s’est montré homme. Lui, le créateur du ciel, a été méprisé en voyageant sur la terre ; il a été méprisé comme un homme, comme un homme sans valeur presque aucune. Et non-seulement il a été méprisé, il a été, de plus, mis à mort. Il était comme une pierre tombée ; les Juifs s’y sont heurtés et s’y sont brisés. N’avait-il pas dit en personne ? « Celui qui se heurtera contre cette pierre sera brisé, et celui sur qui elle tombera sera broyé[5] ? » Elle a commencé par rester à terre, et ils se sont heurtés, brisés ; elle tombera ensuite du haut du ciel, et ils seront broyés.

3. Vous comprenez donc que Jésus est à la fois le fils et le Seigneur de David ; le Seigneur de David, de toute éternité ; le Fils de David, dans le temps ; comme Seigneur de David, il est né de la substance du Père, et comme fils de David, il est né de la vierge Marie, après avoir été conçu du Saint-Esprit. Tenons à cette double nature. L’une nous servira de demeure durant l’éternité ; et l’autre sera notre délivrance durant le pèlerinage. Si en effet Jésus-Christ Notre-Seigneur ne s’était fait homme, c’en était fait de l’homme. Pour ne pas laisser périr son œuvre, il est donc devenu ce qu’il avait fait. Il est en même temps vrai Dieu et vrai homme ; la divinité et l’humanité sont toute sa personne. Telle est la foi catholique. Nier la divinité, c’est être Photinien ; son humanité, c’est être Manichéen. Pour être catholique, il faut confesser que le Christ est Dieu, égal à son Père, et qu’il est en même temps homme véritable, qu’il a souffert réellement et qu’il a répandu un sang réel. Ah ! la Vérité même ne nous aurait point rachetés en donnant pour nous une fausse rançon. Il faut donc, pour être catholique, confesser ces deux natures.

Mais alors on a une patrie et on est dans la voie qui y mène. On a une patrie, car « Au commencement était le Verbe ; » on a une patrie, car « Étant de la nature de Dieu, il n’a pas cru usurper en se faisant égal à Dieu. » On est dans la voie, car « Le Verbe s’est fait chair ; » on est dans la voie, car « Il s’est anéanti lui-même en prenant une nature d’esclave. » Il est ainsi et la patrie où nous aspirons et la voie qui nous y mène. Avec lui donc allons à lui et nous ne nous égarerons pas.

  1. Mat. 22, 42-46
  2. 2Co. 13, 3
  3. 2Ti. 2, 8
  4. Phi. 2, 6-9
  5. Mat. 21, 44