Sermon CXVIII. L’éternité du Verbe.

Œuvres complètes de Saint Augustin (éd. Raulx, 1864)


SERMON CXVIII. L’ÉTERNITÉ DU VERBE[1]. modifier

ANALYSE. – Les premières paroles de l’Évangile de saint Jean prouvent l’éternité du Verbe, et si l’on se demande comment le Verbe engendré de Dieu peut être éternel comme Dieu, il suffit de se rappeler que l’éclat ; produit par la lumière, est aussi ancien que la lumière elle-même.


1. Vous tous qui aimez tant à entendre parler l’homme, entendez l’unique Parole de Dieu. « Au commencement était le Verbe. » Sans doute, au commencement Dieu a fait le ciel et la terre ; » « mais le Verbe était dès lors. Reconnaissons en lui le Créateur ; car c’est le Créateur qui a fait, et la créature est son ouvrage ; et celte créature, qui est son ouvrage n’a pas toujours existé comme a existé toujours le Verbe divin dont elle est l’œuvre. Mais où était ce Verbe dont il est dit qu’ » il était au commencement ? » Évidemment il était dans le Père ; car le Père ne l’a ni créé ni formé, mais engendré. En effet, « au commencement Dieu a fait le ciel et la terre. » Par quel moyen les a-t-il faits ? « Le Verbe était, et le Verbe » ou la Parole « était en Dieu. » Quel était ce Verbe ou cette Parole ? Une parole qui retentit et qui passe ? Une parole que l’on inédite ##Rem et qui s’en va ? Une parole que l’on se rappelle et que l’on prononce ? Nullement. Quelle était donc cette Parole ? Pourquoi m’adresser tant de questions ? « Cette Parole était Dieu. » Or en disant : « Cette Parole était Dieu », nous ne faisons pas deux Dieux, nous nommons le Fils de Dieu, puisque la Parole ou le Verbe de Dieu est son Fils. Et s’il est Fils, n’est-il pas Dieu ? Aussi bien « et le Verbe était Dieu. » Qu’est le Père ? Il est Dieu, sans aucun doute. Si le Père est Dieu, si le Fils est Dieu également, n’y a-t-il pas deux Dieux ? Non. Le Père est Dieu, le Fils est Dieu ; mais le Père et le Fils ne sont qu’un seul Dieu. Effectivement, le Fils unique de Dieu n’a pas été fait, il est né. « Au commencement Dieu fit le ciel et la terre ; » mais le Verbe alors était né de son Père. N’est-ce pas une preuve qu’il a été fait par lui ? Non. « C’est par lui que tout a été fait. » Si tout a été fait par lui, ne s’est-il pas fait aussi lui-même ? Ne confonds point avec ce qui a été fait Celui qui a fait tout. Si en effet il a été fait, il n’a pas fait tout, il a été fait comme le reste. Il a été fait, tais-tu ; mais est-ce par lui ? Eh ! qui peut donc se faire ? Et s’il a été fait, comment a-t-il fait tout ? Admettons avec toi qu’il a été fait, pour moi je ne nie pas qu’il ait été engendré ; si donc il a été fait, par quoi, par qui l’a-t-il été ? Est-ce par lui-même ? Mais pour se faire lui-même il aurait dû exister avant d’être, et comme tout a été fait par lui, il est sûr que lui-même ne l’a pas été. Ne peux-tu comprendre ? Crois et tu comprendras ; car la foi précède l’intelligence, et le prophète a dit : « Si vous ne croyez, vous ne comprendrez point [2]. » « Le Verbe » donc « était. » Ne demande pas en quel temps. « Le Verbe était. » Il fut pourtant, dis-tu, une époque où il n’était pas. C’est une assertion fausse, tu ne la lis nulle part ; tandis que je lis : « Au commencement était le Verbe. » Que cherches-tu avant le commencement ? Si tu découvrais quelque chose avant le commencement, ce quelque chose ne serait-il pas le commencement même ? N’est-ce pas avoir perdu le sens que de chercher quoique ce soit avant le commencement ? Qu’est-ce donc qui a pu exister avant le commencement ? « Au commencement était le Verbe. »
2. Mais le Père était aussi, diras-tu ; il était donc avant le Verbe ? – Que cherches-tu à savoir ? – « Au commencement était le Verbe. » Comprends ce que tu vois et ne cherche pas ce que tu ne saurais trouver. Il n’y a rien avant le commencement.« Au commencement était le Verbe. » Le Fils est la splendeur du Père, car il est dit de la Sagesse de Dieu ou de son Fils : « Elle est la splendeur de l’éternelle lumière[3]. » Tu veux le Fils sans son Père ? Montre-moi une lumière sans splendeur. S’il fut un temps où le Fils n’existait pas, le Père était donc alors une lumière ténébreuse ; et comment n’eût-il pas été une lumière ténébreuse puisqu’il était, d’après toi, une lumière sans clarté ? Ainsi donc le Père a toujours été, et le Fils toujours également ; l’un n’a pas toujours existé sans que l’autre existât toujours. Tu me demandes si le Fils est né. Je réponds que oui ; car s’il n’était né, il ne serait pas Fils, et si de toute éternité il est Fils, il est né de toute éternité. – Qui comprendra qu’il soit né de toute éternité ? – Montre-moi du feu qui soit éternel, et je te montre en même temps une éternelle lumière. Combien nous bénissons le Seigneur de nous avoir donné les saintes Écritures ! En face de la lumière, ne soyez pas aveugles. N’est-il pas vrai que la splendeur est produite par la lumière et que néanmoins elle est aussi ancienne ? Que fa lumière ait toujours existé, son éclat également aura existé toujours. La lumière engendre en quelque sorte son éclat ; mais a-t-elle été jamais sans lui ? Permettons à Dieu d’engendrer éternellement. Rappelez-vous, je vous en conjure, de qui nous parlons ; prêtez l’oreille et soyez attentifs, croyez et comprenez ; nous parlons de Dieu même. Nous confessons et nous croyons que le Fils est coéternel au Père. Mais, dit-on, quand un homme engendre un fils, le père est plus âgé et le fils l’est moins. Sans aucun doute, il est facile d’observer parmi les hommes que le père est plus âgé, que le fils l’est moins et que celui-ci a besoin d’acquérir par degrés la force de son père. – Pourquoi, sinon parce que l’un se développe et que l’autre vieillit ? Que le père ne se laisse point entraîner par le mouvement du temps, le fils en grandissant le rejoindra bientôt et sera son égal. Voici qui fera mieux saisir. Tandis que la splendeur est de même date que le feu qui la produit, on ne voit parmi les hommes que des pères plus âgés que leurs enfants, jamais ils ne sont de même âge. Considérons donc, comme je l’ai dit, que la splendeur est de même date que le feu qui la produit, ce qui est incontestable, puisque le feu qui l’engendre n’est jamais sans elle. Mais en voyant la splendeur aussi ancienne que le feu, ne permettras-tu pas à Dieu d’engendrer un Fils aussi ancien que lui ?
Vous qui comprenez, réjouissez-vous ; et vous qui ne comprenez pas, croyez, car on ne saurait prescrire contre cette parole d’un prophète « Si vous ne croyez, vous ne comprendrez pas. »

  1. Jn. 1, 1-3
  2. Isa. 7, 9. sel, LXX
  3. Sag. 7, 26