Seconds Analytiques/Livre premier

Les Seconds Analytiques (Organon IV)
Traduction par Sœur Pascale-Dominique Nau op.
Texte établi par Immanuel Bekker, Academia regia borusica, Berolini (1p. 71).

Seconds Analytiques
Livre premier

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[71a] Tout enseignement donné ou reçu par la voie du raisonnement vient d’une connaissance préexistante. Cela est manifeste, quel que soit l’enseignement considéré : les sciences mathématiques s’acquièrent de cette façon, ainsi que chacun des autres arts. Il en est encore de même pour les raisonnements dialectiques, qu’ils se fassent par syllogismes ou par induction ; les uns comme les autres, en effet, tirent leur enseignement de connaissances préexistantes : dans le premier cas, c’est en prenant les prémisses comme comprises par l’adversaire, dans le second, c’est en prouvant l’universel par le fait que le particulier est évident.

C’est encore de la même façon que les arguments rhétoriques produisent la persuasion, car ils usent soit d’exemples, ce qui est une induction, soit d’enthymèmes, ce qui n’est pas autre chose qu’un syllogisme.

La préconnaissance requise est de deux sortes. Tantôt, ce qu’on doit présupposer, c’est que la chose est ; tantôt c’est ce que signifie le terme employé qu’il faut comprendre ; tantôt enfin ce sont, ces deux choses à la fois. Ainsi, dire que pour toute chose la vérité est dans l’affirmation ou dans la négation, c’est poser que la chose est ; d’autre part, nous posons que triangle signifie telle chose ; enfin, s’il s’agit de l’âme, nous posons à la fois les deux choses, à savoir, le sens du nom et l’existence de la chose. C’est qu’en effet chacun de ces cas n’est pas d’une égale évidence pour nous.

Et il est possible qu’une connaissance résulte tant de connaissances antérieures que de connaissances acquises en même temps qu’elle, à savoir les choses singulières qui tombenl sous l’universel et dont on possède par là même la connaissance. En effet, la proposition tout triangle a ses angles égaux à deux angles droits est une connaissance préexistante, mais la proposition : « cette figure-ci, inscrite dans le demi-cercle, est un triangle » n’a été connue qu’au moment même où l’on induit (car certaines choses s’apprennent seulement de cette façon, et ce n’est pas par le moyen terme qu’on connaît le petit terme : ces choses sont toutes les choses singulières et qui ne sont pas affirmées de quelque sujet). Avant d’induire ou de tirer la conclusion du syllogisme, il faut dire sans doute que, d’une certaine façon, on la connaît déjà, et que, d’une autre façon, on ne la connaît pas. Si on ne connaissait pas, au sens absolu du terme, l’existence de ce triangle, comment pourrait-on connaître, au sens absolu, que ses angles sont égaux à deux angles droit ? En fait, il est évident que la connaissance a lieu de la façon suivante : on connaît universellement, mais au sens absolu on ne connaît pas. Faute de cette distinction, on tombera dans la difficulté soulevée par le Ménon : ou bien on n’apprendra rien, ou bien on n’apprendra que ce qu’on connaît. On ne peut pas, en effet, accepter la solution que certains proposent du sophisme suivant. Sais-tu, ou ne sais-tu pas, que toute dyade est paire ? demande-t-on. La réponse étant affirmative, on présente à l’interlocuteur une dyade déterminée qu’il ne pensait ni exister, ni par suite être paire. La solution proposée consiste à dire qu’on ne sait pas que toute dyade est paire, mais seulement que tout ce qu’on sait être [71b] une dyade est pair. Pourtant le savoir porte sur ce dont on possède la démonstration ou dont on a admis la démonstration. Or, la démonstration qu’on a admise porte, non pas sur tout triangle ou tout nombre qu’on sait être triangle ou nombre, mais, d’une manière absolue, sur tout nombre et tout triangle. En effet, on ne prend jamais de prémisse telle que le nombre que tu sais être nombre ou la figure rectiligne que tu sais être figure rectiligne, mais bien des prémisses s’appliquant au nombre ou à la figure en général. Tandis que rien, j’imagine, n’empêche que ce qu’on apprend, en un sens on le connaisse, et en un autre sens on ne le connaisse pas. L’absurdité consiste, non pas à dire qu’on connaît déjà en un certain sens ce qu’on apprend, mais à dire qu’on le connaît dans la mesure et de la façon qu’on l’apprend.

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Nous croyons posséder la science d’une chose d’une manière absolue, et non pas, à la façon des Sophistes, d’une manière purement accidentelle, quand nous estimons que nous connaissons la cause par laquelle la chose est, que nous savons que cette cause est celle de la chose, et qu’en outre il n’est pas possible que la chose soit autre qu’elle n’est. Il est évident que telle est la nature de la connaissance scientifique ; ce qui le montre, c’est l’attitude aussi bien de ceux qui ne savent pas que de ceux qui savent : les premiers croient se comporter comme nous venons de l’indiquer, et ceux qui savent se comportent aussi en réalité de cette même façon. Il en résulte que l’objet de la science au sens propre est quelque chose qui ne peut pas être autre qu’il n’est. La question de savoir s’il existe encore un autre mode de connaissance sera examinée plus tard. Mais ce que nous appelons ici savoir c’est connaître par le moyen de la démonstration. Par démonstration j’entends le syllogisme scientifique, et j’appelle « scientifique » un syllogisme dont la possession même constitue pour nous la science.

Si donc la connaissance scientifique consiste bien en ce que nous avons posé, il est nécessaire aussi que la science démonstrative parte de prémisses qui soient vraies, premières, immédiates, plus connues que la conclusion, antérieures à elle, et dont elles sont les causes. C’est à ces conditions, en effet, que les principes de ce qui est démontré seront aussi appropriés à la conclusion. Un syllogisme peut assurément exister sans ces conditions, mais il ne sera pas une démonstration, car il ne sera pas productif de science. Les prémisses doivent être vraies, car on ne peut pas connaître ce qui n’est pas, par exemple la commensurabilité de la diagonale. Elles doivent être premières et indémontrables, car autrement on ne pourrait les connaître faute d’en avoir la démonstration, puisque la science des choses qui sont démontrables, s’il ne s’agit pas d’une science accidentelle, n’est pas autre chose que d’en posséder la démonstration. Elles doivent être les causes de la conclusion, être plus connues qu’elle, et antérieures à elle : causes, puisque nous n’avons la science d’une chose qu’au moment où nous en avons connu la cause ; antérieures, puisqu’elles sont des cause ; antérieures aussi au point de vue de la connaissance, cette préconnaissance ne consistant pas seulement à comprendre de la seconde façon que nous avons indiquée, mais encore à savoir que la chose est.

Au surplus, antérieur et plus connu ont une double signification, car il n’y a pas identité entre ce qui est antérieur par nature et ce qui est antérieur pour nous, ni entre ce qui est plus connu par nature et plus connu pour nous. [72a] J’appelle antérieurs et plus connus pour nous les objets les plus rapprochés de la sensation, et antérieurs et plus connus d’une manière absolue les objets les plus éloignés des sens. Et les causes les plus universelles sont les plus éloignées des sens, tandis que les causes particulières sont les plus rapprochées, et ces notions sont ainsi opposées les unes aux autres.

Les prémisses doivent être premières, c’est-à-dire qu’elles doivent être des principes propres, car j’identifie prémisse première et principe. Un principe de démonstration est une proposition immédiate. Est immédiate une proposition à laquelle aucune autre n’est antérieure. Une proposition est l’une ou l’autre partie d’une énonciation, quand elle attribue un seul prédicat à unseu sujet : elle est dialectique, si elle prend indifféremment n’importe quelle partie ; elle est démonstrative, si elle, prend une partie déterminée parce que cette partie est vraie. Une énonciation est n’importe laquelle des parties d’une contradiction. Une contradiction est une opposition, qui n’admet par soi aucun intermédiaire. La partie d’une contradiction qui unit un prédicat à un sujet est une affirmation, et la partie qui nie un prédicat d’un sujet, une négation. J’appelle un principe immédiat du syllogisme une thèse, quand, tout en n’étant pas susceptible de démonstration, il n’est pas indispensable à qui veut apprendre quelque chose ; si, par contre, sa possession est indispensable à qui veut apprendre n’importe quoi, c’est un axiome : il existe, en effet, certaines vérités de ce genre, et c’est surtout à de telles vérités que nous donnons habituellement le nom d’axiomes. Si une thèse prend l’une quelconque des parties de renonciation, quand je dis par exemple qu’une chose est ou qu’une chose n’est pas, c’est une hypothèse ; sinon, c’est une définition. La définition est une thèse, puisque, en Arithmétique, on pose que l’unité, c’est ce qui est indivisible selon la quantité ; mais ce n’est pas une hypothèse, car définir ce qu’est l’unité et affirmer l’existence de l’unité n’est pas la même chose.

Puisque notre croyance en la chose, la connaissance que nous en avons, consiste dans la possession d’un syllogisme du genre que nous appelons démonstration, et que ce syllogisme n’est tel que par la nature des principes dont le syllogisme est constitué, il est, par suite, nécessaire, non seulement de connaître avant la conclusion les prémisses premières, soit toutes, soit du moins certaines d’entre elles, mais encore de les connaître mieux que la conclusion. Toujours, en effet, la cause, en vertu de laquelle un attribut appartient à un sujet, appartient elle-même au sujet plus que cet attribut : par exemple, ce par quoi nous aimons nous est plus cher que l’objet aimé. Par conséquent, si notre connaissance, notre croyance, provient des prémisses premières, ce sont celles-ci que nous connaissons le mieux et auxquelles nous croyons davantage, parce que c’est par elles que nous connaissons les conséquences.

Mais il n’est pas possible que notre croyance à l’égard des choses qu’on ne se trouve ni connaître, ni en état d’appréhender au moyen d’une science plus élevée que la connaissance, soit plus grande que pour les choses qu’on connaît. Or, c’est ce qui arrivera, si nul de ceux dont la croyance repose sur la démonstration, ne possède de savoir préexistant ; car il est nécessaire que la croyance soit plus ferme à, l’égard des principes, sinon de tous, du moins de quelques-uns, qu’à l’égard de la conclusion.

En outre, si on veut posséder la science qui procède par démonstration, il ne suffit pas que la connaissance des principes soit plus grande, la conviction formée à leur sujet plus ferme, que ce qui est démontré : [72b] il faut.encore que rien ne nous soit plus certain ni mieux connu que les opposés des principes d’où partira le syllogisme concluant à l’erreur contraire, car celui qui a la science au sens absolu doit être inébranlable.Critiques de certaines erreurs sur la Science et la Démonstration.



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Certains soutiennent qu’en raison de l’obligation où nous sommes de connaître les prémisses premières, il ne semble pas y avoir de connaissance scientifique. Pour d’autres, il y en a bien une, mais toutes les vérités sont susceptibles de démonstration.

Ces deux opinions ne sont ni vraies, ni cohérentes. La première, qui suppose qu’il n’y a aucune façon de connaître autrement que par démonstration, estime que c’est là une marche régressive à l’infini, attendu que nous ne pouvons pas connaître les choses postérieures par les antérieures, si ces dernières ne sont pas elles-mêmes précédées de principes premiers (en quoi ces auteurs ont raison, car il est impossible de parcourir des séries infinies) ; si, d’un autre côté disent-ils, il y a un arrêt dans la série et qu’il y ait des principes, ces principes sont inconnaissables, puisqu’ils ne sont pas susceptibles d’une démonstration, ce qui, suivant eux, est le seul procédé de connaissance scientifique. Et puisqu’on ne peut pas connaître les prémisses premières, les conclusions qui en découlent ne peuvent pas non plus faire l’objet d’une science, au sens absolu et propre ; leur connaissance se fonde seulement sur la supposition que les prémisses sont vraies.

Quant à ceux qui professent la seconde opinion, ils sont d’accord avec les précédents en ce qui regarde la science, puisqu’ils soutiennent qu’elle est seulement possible par démonstration ; mais que toute vérité soit susceptible de démonstration, c’est là une chose à laquelle ils ne voient aucun empêchement, la démonstration pouvant être circulaire et réciproque.

Notre doctrine, à nous, est que toute science n’est pas démonstrative, mais que celle des propositions immédiates est, au contraire, indépendante de la démonstration. (Que ce soit là une nécessité, c’est évident. S’il faut, en effet, connaître les prémisses antérieures d’où la démonstration est tirée, et si la régression doit s’arrêter au moment où l’on atteint les vérités immédiates, ces vérités sont nécessairement indémontrables). Telle est donc notre doctrine ; et nous disons, en outre, qu’en dehors de la connaissance scientifique, il existe encore un principe de science qui nous rend capable de connaître les définitions.

Et qu’il soit impossible que la démonstration au sens absolu soit circulaire, c’est évident, puisque la démonstration doit partir de principes antérieurs à la conclusion et plus connus qu’elle. Car il est impossible que les mêmes choses soient, par rapport aux mêmes choses, en même temps antérieures et postérieures, à moins que l’on ne prenne ces termes d’une autre façon, et que l’on ne dise que les unes sont antérieures et plus claires pour nous, et les autres antérieures et plus claires absolument, et c’est précisément de cette autre façon que l’induction engendre le savoir. Mais, dans ce cas, notre définition du savoir proprement dit ne serait pas exacte, et ce savoir serait, en réalité, de deux sortes. Ne faut-il pas penser plutôt que l’autre forme de démonstration, celle qui part de vérités plus connues pour nous, n’est pas la démonstration au sens propre ?

Les partisans de la démonstration circulaire non seulement se trouvent engagés dans la difficulté dont nous venons de parler, mais encore leur raisonnement revient à dire qu’une chose existe si elle existe, ce qui est un moyen facile de tout prouver. On peut montrer que c’est bien là ce qui arrive, en prenant trois terme ; car peu importe que le cercle soit constitué par un grand nombre ou par un petit nombre de termes, qu’il y en ait quelques-uns seulement ou même deux. Quand, en effet, l’existence de A entraîne nécessairement celle de B, et celle de B celle de C, il en résulte que l’existence de A entraînera celle de C. Si donc l’existence de A entraîne nécessairement celle de B, et l’existence de B celle de A (c’est là en quoi consiste la preuve circulaire), A peut être mis [73a] à la place de C. Donc, dire que « si B est, A doit exister » = « si B est, C doit exister », ce qui donne la conclusion « si A est, C doit exister ». Mais C est identique à A et, par conséquent, ceux qui soutiennent que la démonstration est circulaire se trouvent ne rien dire d’autre que si A est, A est, moyen facile de tout prouver. En outre, une pareille démonstration n’est même possible que dans le cas des choses qui sont mutuellement conséquences les unes des autres, comme les attributs propres.

Nous avons prouvé enfin que si on se contente de poser une seule chose, jamais une autre chose n’en découle nécessairement (par une seule chose, je veux dire qu’on pose soit un seul terme, soit une seule thèse), mais que deux thèses constituent le point de départ premier et minimum rendant possible toute conclusion, puisque c’est aussi une condition du syllogisme. Si donc A est le conséquent de B et de C, et si ces deux derniers termes sont le conséquent réciproque l’un de l’autre et aussi de A, il est possible, dans ces cas, de prouver l’une par l’autre, dans la première figure, toutes les propositions demandées, ainsi que nous l’avons prouvé dans nos traités du Syllogisme. Mais nous avons démontré aussi que, dans les autres figures, ou bien on ne peut pas obtenir de syllogisme circulaire, ou bien la conclusion du syllogisme ne se rapporte pas aux prémisses posées. Or, les propositions dont les termes ne s’affirment pas mutuellement l’un de l’autre ne peuvent jamais être l’objet d’une démonstration circulaire. De sorte que, puisque des propositions de ce genre sont en petit nombre dans les démonstrations, il est évident qu’il est vain et impossible de soutenir que la démonstration est réciproque et que, pour cette raison, tout peut-être démontré.



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Puisqu’il est impossible que soit autre qu’il n’est l’objet de la science prise au sens absolu, ce qui est connu par la science démonstrative sera nécessaire ; mais la science démonstrative est celle que nous avons par le fait même que nous sommes en possession de la démonstration : par conséquent, la démonstration est un syllogisme constitué à partir de prémisses nécessaires. Il faut, par suite, rechercher quelles sont les prémisses de la démonstration, et quelle est leur nature.

Pour commencer, définissons ce que nous voulons dire par attribué à tout le sujet, par soi et universellement.

Par affirmé de la totalité du sujet, j’entends ce qui n’est ni attribué à quelque cas de ce sujet à l’exclusion de quelque autre, ni attribué à un certain moment à l’exclusion de tel autre : par exemple, si animal est dit de tout homme, et s’il est vrai de dire que ceci est un homme, il est vrai de dire aussi que c’est un animal ; et si la première proposition est vraie maintenant, l’autre l’est aussi au même moment. Et si le point est attribué à toute ligne, il en est de même. Et la preuve de ce que nous venons de dire, c’est que les objections que nous élevons, quand nous sommes interrogés sur le point de savoir si une attribution est vraie de la totalité du sujet, portent sur ce que, dans tel cas ou à tel moment, cette attribution n’a pas lieu.

Les attributs essentiels sont (1) ceux qui appartiennent à leur sujet : par exemple, au triangle appartient la ligne, et à la ligne le point (car la « substance » du triangle et de la ligne est composée de ces éléments, lesquels entrent dans la définition exprimant l’essence de la chose) ; (2) ce sont les attributs contenus dans des sujets qui sont eux-mêmes compris dans la définition exprimant la nature de ces attribut : c’est ainsi que le rectiligne et le rond appartiennent à la ligne, le pair et l’impair, le premier et le composé, le carré [73b] et l’oblong au nombre ; et pour tous ces attributs, la définition qui exprime leur nature contient le sujet, à savoir tantôt la ligne et tantôt le nombre.

De même, pour tous les autres attributs, ceux qui appartiennent comme nous l’avons indiqué à leurs sujets respectifs, je les appelle attributs par soi ; par contre, ceux qui n’appartiennent à leur sujet d’aucune des deux façons, je les appelle accident : par exemple, musicien ou blanc pour l’animal.

En outre, est essentiel ce qui n’est pas dit d’un autre sujet: par exemple, pour le marchant, c’est quelque autre chose qui est marchant ou blanc ; la substance, au contraire, autrement dit tout ce qui signifie telle chose déterminée, n’est pas quelque chose d’autre que ce qu’elle est elle-même.

Ainsi, les attributs qui ne sont pas affirmés d’un sujet je les appelle attributs par soi, et ceux qui sont affirmés d’un sujet, accidents.

En un autre sens encore, une chose qui appartient par elle-même à une chose est dite par soi, et une chose qui n’appartient pas par elle-même à une chose, accident. Par exemple, tandis qu’on marche, il se met à faire un éclair : c’est là un accident, car ce n’est pas le fait de marcher qui a causé l’éclair, mais c’est, disons-nous, une rencontre accidentelle. Si, par contre, c’est par elle-même qu’une chose appartient à une chose, on dit que l’attribut est par soi : c’est le cas, par exemple, si un animal meurt égorgé, du fait de regorgement ; c’est parce qu’il a été égorgé qu’il est mort, et il n’y a pas seulement relation accidentelle entre regorgement et la mort.

Ainsi donc, en ce qui concerne les objets de la science prise au sens propre, les attributs qui sont dits par soi, ou bien au sens que leurs sujets sont contenus en eux, ou bien au sens qu’ils sont contenus dans leurs sujets, sont à la fois par soi et nécessairement. En effet, il ne leur est pas possible de ne pas appartenir à leurs sujets, soit au sens absolu, soit à la façon des opposés comme quand on dit qu’à la ligne doit appartenir le rectiligne ou le courbe, et au nombre l’impair ou le pair. La raison en est que le contraire est ou bien une privation, ou bien une contradiction dans le même genre : par exemple dans les nombres, le pair est le non-impair, en tant que l’un résulte nécessairement de l’autre. Par conséquent, s’il est nécessaire ou d’affirmer ou de nier un prédicat d’un sujet, les attributs par soi doivent aussi nécessairement appartenir à leurs sujets.

Telle est donc la distinction à établir entre l’attribut affirmé de tout sujet et l’attribut par soi.

J’appelle universel l’attribut qui appartient à tout sujet, par soi, et en tant que lui-même. Il en résulte clairement que tous les attributs universels appartiennent nécessairement à leurs sujets. Le par soi et le en tant que soi sont, au surplus, une seule et même chose : par exemple, c’est à la ligne par soi qu’appartiennent le point, ainsi que le rectiligne, car ils lui appartiennent en tant que ligne ; et le triangle en tant que triangle a deux angles droits, car le triangle est par soi égal à deux angles droits. L’attribut appartient universellement au sujet, quand on peut montrer qu’il appartient à un sujet quelconque et premier. Par exemple, le fait d’avoir des angles égaux à deux droits n’est pas pour la figure un attribut universel. Car, bien qu’il soit possible de prouver qu’une figure a ses angles égaux à deux droits, on ne peut cependant pas le prouver d’une figure quelconque, pas plus qu’on ne se sert de n’importe quelle figure dans la démonstration : en effet, un carré est bien une figure, et pourtant ses angles ne sont pas égaux à deux droits. D’autre part, un triangle isocèle quelconque a ses angles égaux à deux droits, mais le triangle isocèle n’est cependant pas le sujet premier : c’est le triangle qui est antérieur. Ce qui donc, pris comme sujet quelconque et premier, est démontré avoir ses angles égaux à deux droits, ou posséder n’importe quel autre attribut, c’est ce à quoi, pris comme sujet premier, l’attribut appartient universellement, et la [74a] démonstration au sens propre consiste à prouver qu’il appartient universellement à ce sujet ; par contre, prouver que cet attribut appartient à d’autres sujets, c’est là une démonstration dans un certain sens seulement et non au sens propre.

Pas davantage, l’égalité des angles à deux droits n’est un attribut universel de l’isocèle : en fait, elle s’applique à un genre plus étendu.



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Nous ne devons pas perdre de vue que souvent il nous arrive de nous tromper, et que la conclusion démontrée n’est pas en fait première et universelle, au sens où nous croyons la démontrer première et universelle. On commet cette erreur : (1) quand on ne peut appréhender aucune notion plus élevée en dehors du ou des sujets particulier ; (2) quand on en peut concevoir une, mais qu’elle n’a pas de nom, dans le cas de choses différentes par l’espèce ; (3) quand, enfin, ce qui est en réalité une partie du tout est pris, dans la démonstration, pour le tout, car alors, pour les cas particuliers compris dans cette partie il y aura démonstration, et elle s’appliquera à tous les sujets, mais cependant le sujet premier et universel ne sera pas démontré. Je dis que la démonstration est vraie du sujet premier en tant que tel, quand elle est vraie d’un sujet premier et universel. Si, par exemple, on démontrait que les droites ne se rencontrent pas parce que les angles formés par une sécante perpendiculaire sont des angles droits on pourrait supposer que c’est là le sujet propre de la démonstration, parce qu’elle vaut pour toutes les droites. Mais il n’en est pas ainsi, s’il est vrai que leur parallélisme dépend non pas de l’égalité des angles à deux droits conçue d’une certaine façon, mais de cette égalité conçue d’une façon quelconque.

Et si, d’autre part, il n’existait pas d’autre triangle que le triangle isocèle, c’est en tant qu’isocèle qu’il semblerait avoir ses angles égaux à deux droits.

Enfin, la convertibilité des proportions était démontrée séparément des nombres, des lignes, des figures et des temps, quoiqu’il fût possible de la prouver de toutes ces notions au moyen d’une démonstration unique. Mais par le fait qu’il n’y avait pas de nom unique pour désigner ce en quoi toutes ces notions, à savoir les nombres, les longueurs, les temps et les solides, sont une seule et même chose, et parce qu’elles diffèrent spécifiquement les unes des autres, cette propriété était prouvée pour chacune séparément. Mais à présent, la preuve est universelle, car ce n’est pas en tant que lignes ou que nombres que ces notions possèdent l’attribut en question, mais en tant que manifestant le caractère qu’elles sont supposées posséder universellement.

C’est pourquoi, même si on prouve de chaque espèce de triangle, soit par une démonstration unique, soit par des démonstrations différentes, que chacune a ses angles égaux à deux droits, cependant, aussi longtemps qu’on considère séparément l’équilatéral, le scalène et l’isocèle, on ne connaît pas encore que le triangle a ses angles égaux à deux droits, sinon d’une façon sophistique, ni que le triangle possède cette propriété universellement, même s’il n’existe en dehors de ces espèces aucune autre espèce de triangle. On ne sait pas, en effet, que le triangle en tant que tel a cette propriété, ni même que tout triangle la possède, à moins d’entendre par là une simple totalité numérique. Mais démontrer selon la forme n’est pas démontrer de tous les triangles, même si en fait il n’y en a aucun qui ne soit connu.

Quand donc notre connaissance n’est-elle pas universelle, et quand est-elle absolue ? Il est évident que notre connaissance est absolue dans le cas où il y a identité d’essence du triangle avec l’équilatéral, autrement dit avec chaque triangle équilatéral ou avec tous. Si, par contre, il n’y a pas identité, mais diversité d’essence, et si l’attribut appartient à l’équilatéral en tant que triangle, notre connaissance manque alors d’universalité. Mais demandera-t-on cette attribution a-t-elle lieu pour le sujet en tant que triangle ou en tant qu’isocèle ? Et quand le sujet de l’attribution est-il premier ? A quel sujet, enfin, l’attribut peut-il être démontré appartenir universellement ? C’est évidemment le premier terme auquel, par élimination, se rattache l’attribution. Par exemple, les angles d’un triangle isocèle d’airain sont égaux à deux angles droits, mais une fois l’airain et l’isocèle éliminés, l’attribut demeure.

Mais peut-on objecter, si on élimine la figure ou la limite, l’attribut s’évanouit aussi ?

Certes, mais figure et [74b] limite ne sont pas des sujets premiers. Quel est donc le sujet premier ?

Si c’est un triangle, c’est seulement en raison du triangle que l’attribut appartient aussi aux autres sujets, et le triangle est le sujet auquel l’attribut peut être démontré appartenir universellement.



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Si la science démonstrative part de principes nécessaires (puisque l’objet de la science ne peut être autre qu’il n’est) et si les attributs essentiels appartiennent nécessairement aux choses (car les uns appartiennent à l’essence de leurs sujets, et les autres contiennent leurs sujets à titre d’éléments dans leur propre nature, et, pour ces derniers attributs, l’un ou l’autre des opposés appartient nécessairement au sujet), il est clair que c’est à partir de certaines prémisses de ce genre que sera constitué le syllogisme démonstratif : en effet, tout attribut, ou bien appartient de cette façon à son sujet, ou bien est accidentel ; mais les accidents ne sont pas nécessaires.

C’est donc ainsi qu’il faut s’exprimer ; on peut, encore poser en principe que la démonstration a pour objet une conclusion nécessaire et qu’une conclusion démontrée ne peut être autre qu’elle n’est, avec cette conséquence que le syllogisme doit partir de prémisses nécessaires. En effet, bien que de prémisses vraies il soit possible de tirer une conclusion sans démontrer, pourtant si l’on part de prémisses nécessaires il n’est pas possible d’en tirer une conclusion qui ne soit pas une démonstration : c’est déjà là un caractère de la démonstration.

La preuve que la démonstration, procède de prémisses nécessaires résulte aussi du fait que les objections que nous soulevons contre ceux qui croient nous apporter une démonstration, consistent à contester la nécessité de l’une des prémisses, soit que nous pensions que réellement elle peut être autre qu’elle n’est, soit qu’on le dise seulement pour les besoins de la discussion. Cela montre bien à quel point sont naïfs (1) ceux qui s’imaginent qu’il suffit de prendre pour principes des propositions simplement probables et même vraie : tel est le cas (2) de la proposition sophistique suivant laquelle savoir c’est avoir la science. En effet, le probable ou le improbable n’est pas principe : peut seulement l’être ce qui est premier dans le genre que la démonstration a pour objet ; de plus, une proposition vraie n’est pas toujours appropriée.

Qu’on doive partir de prémisses nécessaires pour constituer le syllogisme, en voici encore une preuve. Si, là où il y a démonstration possible, on ne possède pas la raison pourquoi la chose est, on n’a pas la connaissance scientifique. Admettons donc que A appartient nécessairement à C, mais que B, le moyen terme par lequel la démonstration a lieu, ne soit pas nécessaire : dans ces conditions, on ne connaît pas le pourquoi. La conclusion, en effet, ne doit pas sa nécessité au moyen terme, puisque le moyen terme peut ne pas être, alors que la conclusion est nécessaire.

De plus, si on ne connaît pas présentement une chose, tout en retenant la marche de l’argument, en continuant soi-même d’exister ainsi que la chose, et en n’ayant rien oublié, c’est qu’on ne connaissait pas non plus la chose auparavant. Or, le moyen terme peut avoir péri dans l’intervalle, puisqu’il n’est pas nécessaire. Il en résulte que, tout en retenant l’argument et en continuant soi-même d’exister en même temps que la chose, on ne la connaît pas, et par suite on ne la connaissait pas non plus auparavant. Et même si le moyen n’a pas péri, mais est seulement susceptible de périr, cette conséquence sera possible et pourra se produire. Mais il est impossible que, dans une situation de ce genre, on possède le savoir.

[75a] Quand donc la conclusion est nécessaire, rien n’empêche que le moyen, raison de la démonstration, ne soit pas nécessaire, car il est possible de conclure le nécessaire, même du non-nécessaire, comme le vrai peut découler du non-vrai. D’autre part, quand le moyen est nécessaire, la conclusion aussi est nécessaire, de la même façon que des prémisses vraies donnent toujours une conclusion vraie. Ainsi, si A est dit nécessairement de B, et B de C, il est alors nécessaire que A appartienne à C. Mais quand la conclusion n’est pas nécessaire, il n’est pas possible non plus que le moyen soit nécessaire. Admettons, en effet, que A n’appartient pas nécessairement à C, alors que A appartient nécessairement à B, et B nécessairement à C : par suite, A appartiendra nécessairement à C, ce qui, par hypothèse, n’est pas.

Puis donc que la science démonstrative doit aboutir à une conclusion nécessaire, il faut évidemment aussi que la démonstration se fasse par un moyen terme nécessaire. Autrement, on ne connaîtra ni pourquoi la conclusion est nécessaire, ni même qu’elle l’est. Mais ou bien on croira seulement avoir la connaissance de la nécessité de la conclusion, tout en ne la connaissant pas, quand on supposera comme nécessaire le non-nécessaire, ou bien on ne croira même pas avoir cette connaissance, soit, indifféremment, qu’on sache simplement que la chose est vraie, par des propositions médiates, ou même qu’on sache le pourquoi, par des propositions immédiates.

Pour ceux des accidents qui ne sont pas par soi, au sens où nous avons défini les attributs par soi, il n’y a pas de science démonstrative. On ne peut pas, en effet, démontrer la nécessité de la conclusion, puisque l’accident, au sens où je parle ici de l’accident, peut ne pas appartenir au sujet.

Pourtant on pourrait peut-être soulever la question de savoir pourquoi il faut demander à l’adversaire d’accorder, dans la discussion dialectique, des propositions non-nécessaires, si la conclusion qui en découle n’est pas nécessaire ? Le résultat ne serait pas différent, en effet, si, demandant à l’adversaire d’accorder des propositions prises au hasard, on en tirait ensuite la conclusion. En réalité, il faut demander à l’adversaire de concéder des propositions, non pas parce que la conclusion est nécessaire en vertu des propositions demandées, mais parce qu’il est nécessaire, que, concédant ces propositions, on admette aussi la conclusion et qu’on conclue la vérité si elles sont elles-mêmes vraies.

Mais puisque sont nécessaires, dans chaque genre, les attributs qui appartiennent essentiellement à leurs sujets respectifs en tant que tels, il est clair que les démonstrations scientifiques ont pour objet des conclusions essentielles et se font à partir de prémisses elles-mêmes essentielles. Les accidents, en effet, ne sont pas nécessaires, de sorte qu’on ne connaît pas nécessairement une.conclusion par sa cause, même avec des propositions toujours vraies, si elles ne sont pas par soi : c’est ce qui se passe dans les syllogismes par signes. En effet, dans ce cas, ce qui est en réalité par soi on ne le connaîtra pas comme étant par soi, et on ne connaîtra pas non plus le pourquoi ; or connaître le pourquoi, c’est connaître par la cause. Il faut donc que, par soi, le moyen terme appartienne au troisième, et le premier au moyen.



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On ne peut donc pas, dans la démonstration, passer d’un genre à un autre : on ne peut pas, par exemple, prouver une proposition géométrique par l’Arithmétique. Il y a, en effet, trois éléments dans la démonstration : (1) ce que l’on prouve, à savoir la conclusion, c’est-à-dire un attribut appartenant par soi à un certain genre ; (2) les axiomes, et les axiomes d’après lesquels s’enchaîne la démonstration ; (3) le genre, le sujet dont la [75b] démonstration fait apparaître les propriétés et les attributs essentiels. Les axiomes, à l’aide desquels a lieu la démonstration, peuvent être les mêmes. Mais dans le cas de genres différents, comme pour l’Arithmétique et la Géométrie, on ne peut pas appliquer la démonstration arithmétique aux propriétés des grandeurs, à moins de supposer que les grandeurs ne soient des nombres. Quant à savoir comment le passage est possible dans certains cas, nous le dirons ultérieurement.

La démonstration arithmétique a toujours le genre du sujet duquel a lieu la démonstration ; et, pour les autres sciences, il en est de même. Il en résulte que le genre doit nécessairement être le même, soit d’une façon absolue, soit tout au moins d’une certaine façon, si la démonstration doit se transporter d’une science à une autre. Qu’autrement le passage soit impossible, c’est là une chose évidente, puisque c’est du même genre que doivent nécessairement provenir les extrêmes et les moyens terme : car s’ils ne sont pas par soi, ce seront des accidents. C’est pourquoi on ne peut pas prouver par la Géométrie que la science des contraires est une, ni même que deux cubes font un cube. On ne peut pas non plus démontrer un théorème d’une science quelconque par le moyen d’une autre science, à moins que ces théorèmes ne soient l’un par rapport à l’autre comme l’inférieur au supérieur, par exemple les théorèmes de l’Optique par rapport à la Géométrie, et ceux de l’Harmonique par rapport à l’Arithmétique. La Géométrie ne peut pas non plus prouver des lignes quelque propriété qui ne leur appartienne pas en tant que lignes, c’est-à-dire en vertu des principes qui leur sont propre : elle ne peut pas montrer, par exemple, que la ligne droite est la plus belle des lignes ou qu’elle est la contraire du cercle, car ces qualités n’appartiennent pas aux lignes en vertu de leur genre propre, mais en tant qu’elles constituent une propriété commune avec d’autres genres.

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Il est clair aussi que si les prémisses dont procède le syllogisme sont universelles, la conclusion d’une telle démonstration, c’est-à-dire de la démonstration prise au sens absolu, est nécessairement aussi éternelle. Il n’y a donc pour les choses périssables, ni de démonstration, ni de science au sens absolu, mais seulement par accident, parce que la liaison de l’attribut avec son sujet n’a pas lieu universellement, mais temporairement et d’une certaine façon. Quand une telle démonstration a lieu, il est nécessaire qu’une des prémisses soit non-universelle et périssable (périssable, parce que c’est seulement si elle est périssable que la conclusion le sera ; non-universelle, parce que le prédicat sera attribué à certains cas compris dans le sujet à l’exclusion d’autres), de sorte qu’on ne pourra pas obtenir une conclusion universelle, mais seulement une conclusion exprimant une vérité momentanée.

II en est de même encore des définitions, puisque la définition est, ou principe de démonstration, ou une démonstration différant par la position de ses termes, ou la conclusion d’une démonstration.

Mais les démonstrations et la science des événements qui se répètent, comme par exemple une éclipse de Lune, sont évidemment, en tant que telles, éternelles, mais, en tant qu’elles ne sont pas éternelles, elles sont ainsi particulières. Ce que nous disons de l’éclipse s’applique également aux autres cas.



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II est clair qu’une chose ne peut être démontrée qu’à partir de ses principes propres, si ce qui est prouvé appartient en tant que tel au sujet ; par suite, il n’est pas possible de le connaître, même en faisant découler la démonstration de prémisses vraies, indémontrables et immédiates. C’est là, en effet, une démonstration semblable à celle dont bryson s’est servi pour la quadrature du cercle : les raisonnements de ce genre prouvent d’après un caractère commun, qui pourra appartenir aussi à un autre sujet, et par suite ces raisonnements s’appliquent également à [76a] d’autres sujets qui n’appartiennent pas au même genre. Aussi connaît-on la chose non en tant que telle, mais par accident, sinon la démonstration ne s’appliquerait pas aussi bien à un autre genre.

Notre connaissance d’une attribution quelconque est accidentelle, à moins de connaître au moyen de ce par quoi l’attribution a lieu \ d’après les principes propres du sujet en tant que tel : c’est le cas, si nous connaissons, par exemple, la propriété de posséder des angles égaux à deux droits comme appartenant au.sujet auquel la dite propriété est attribuée par soi, et comme découlant des principes propres de ce sujet. Il eu résulte que si cette propriété appartient aussi par soi a ce à quoi elle appartient, nécessairement le moyen rentre dans le même genre que les extrêmes. Il n’en peut être autrement que dans des cas tels que les théorèmes de l’Harmonique, qui sont démontrables pur l’Arithmétique. De tels théorèmes sont prouvés de la même façon, mais avec une différence : le fait dépend d’une science distincte (car le genre qui leur sert de sujet est distinct), tandis que le pourquoi dépend de la science plus élevée à laquelle les attributs appartiennent essentiellement. Ainsi, même ces exceptions montrent bien qu’il n’y a démonstration, au sens propre, d’un attribut, qu’à partir de ses principes approprié ; seulement, les principes de ces sciences subordonnées possèdent le caractère commun exigé.

Si cela est clair, il est clair aussi que les principes propres de chaque chose ne sont pas susceptibles de démonstration, car les principes dont ils seraient déduits seraient les principes de toutes choses, et la science de laquelle ils relèveraient, la science de toutes choses par excellence. C’est qu’en effet, on connaît mieux quand on connaît à partir de causes plus élevée ; car on connaît à partir de prémisses premières, quand on connaît à partir de causes qui ne sont pas elles-mêmes causées. Par suite, si on connaît mieux ou même parfaitement, une pareille connaissance sera aussi science à un degré plus élevé, ou même au plus haut degré. Mais, quoiqu’il en soit, la démonstration ne s’applique pas à un autre genre, sinon, ainsi que nous l’avons indiqué, dans l’application des démonstrations géométriques aux théorèmes de la Mécanique ou de l’Optique, ou des démonstrations arithmétiques aux théorèmes de l’Harmonique.

II est difficile de reconnaître si on saii ou si on ne sait pas c’est qu’il est difficile de savoir si nous connaissons ou non à partir des principes de chaque chose, ce qui est précisément connaître. Nous croyons que posséder un syllogisme constitué de certaines prémises vraies et premières, c’est là avoir la science. Or, il n’en est rien : ce qu’il faut, c’est que la conclusion soit du même genre que les prémisses.



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J’entends par principes dans chaque genre, ces vérités dont l’existence est impossible à démontrer. La signification du nom est simplement posée, aussi bien pour les vérités premières que pour les attributs qui en dérivent. Quant à l’existence, s’il s’agit de principes, il faut nécessairement la poser ; mais s’il s’agit du reste, il faut la démontrer. Par exemple, nous posons indifféremment la signification de l’unité, du droit et du triangle ; mais, alors qu’on pose aussi l’existence de l’unité et de la grandeur, pour le reste, on doit la démontrer.

Parmi les principes dont on se sert dans les sciences démonstratives, les uns sont propres à chaque science, et les autres commun : mais c’est une communauté d’analogie, étant donné que leur usage est limité au genre tombant sous la science en question.

Sont des principes propres, par exemple les définitions de la ligne et du droit ; les principes communs sont des propositions telles que : si, de choses égales, on oie des choses égales, les restes sont égaux. Mais l’application de chacun de ces principes communs est limitée au genre dont il s’agit, car il aura la même valeur, même s’il n’est pas employé dans sa généralité, [76b] mais appli que, en Géométrie par exemple, aux grandeurs seulement, ou, en Arithmétique, aux nombres seulement.

Sont propres encore à une science, les sujets dont elle pose aussi l’existence et dont elle, considère les attributs essentiel : tels sont les unités en Arithmétique, et, en Géométrie, les points et les lignes. En effet, ces sujets sont posés à la fois dans leur existence et dans leur signification, tandis que pour leurs attributs essentiels, c’est seulement la signification de chacun d’eux qui se trouve posée. l’:ir exemple, l’Arithmétique pose la signification de pair et d’impair, de carré et de cube, et la Géométrie celle d’irrationnel, ou de ligne brisée ou oblique ; par contre, l’existence de ces notions est démontrée, tant à l’aide des axiomes communs qu’à partir des conclusions antérieurement démontrées.

L’Astronomie procède aussi de la même façon. C’est qu’en effet, toute science démonstrative tourne autour de trois élément : (1) ce dont elle pose l’existence (c’est-à-dire le genre dont elle considère les propriétés essentielles) ; (2) les principes communs, appelés axiomes, vérités premières d’après lesquelles s’enchaîne la démonstration ; et (3) les propriétés, dont la science pose, pour chacune, la signification. Cependant, quelques sciences peuvent, sans inconvénient, négliger certains de ces élément : par exemple, telle science peut se dispenser de poser l’existence du genre, si cette existence est manifeste (c’est ainsi que l’existence du nombre n’est pas aussi évidente que celle du froid et du chaud) ; on peut encore ne pas poser la signification des propriétés quand elles sont claires. De même, pas n’est besoin de poser la signification d’axiomes communs tels que : si de choses égales on soustrait des choses égales, les restes sont égaux, attendu que c’est là un principe bien connu. Mais il n’est pas moins vrai que, par nature, les éléments de la démonstration sont bien au nombre de trois : le sujet de la démonstration, les propriétés qu’on démontre, et les principes dont on part.

N’est ni une hypothèse, ni un postulat, ce qui est nécessairement par soi et qu’on doit nécessairement croire. Je dis qu’on doit nécessairement croire, parce que la démonstration, pas plus que le syllogisme, ne s’adresse au discours extérieur, mais au discours intérieur de l’âme. On peut, en effet, toujours trouver des objections au discours extérieur, tandis qu’au discours intérieur on ne le peut pas toujours.

Ce qui, tout en étant démontrable, est posé par le maître sans démonstration, c’est là, si on l’admet avec l’assentiment de l’élève, une hypothèse, bien que ce ne soit pas une hypothèse au sens absolu, mais une hypothèse relative seulement à l’élève. Si l’élève n’a aucune opinion, ou s’il a une opinion contraire, cette même supposition est alors un postulat. Et de là vient la différence entre l’hypothèse et le postulat : le postulat est ce qui est contraire à l’opinion de l’élève, démontrable, mais posé et utilisé sans démonstration.

Les définitions ne sont pas des hypothèses (car elles ne prononcent rien sur l’existence ou la non-existence) ; mais c’est dans les prémisses que rentrent les hypothèses. Les définitions requièrent seulement d’être comprises, et cela n’est certes pas le fait de l’hypothèse, à moins de prétendre que tout ce qu’on entend ne soit aussi une hypothèse. Il y a hypothèse, au contraire, quand certaines choses étant posées, du seul fait que ces choses sont posées la conclusion suit. Pas davantage il ne faut admettre que le géomètre pose des hypothèses fausses, ainsi que l’ont soutenu certains, qui prétendent que, bien qu’on ne doive pas employer le faux, le géomètre s’en sert cependant quand il affirme que la ligne tracée est d’un pied de long, ou est droite, alors qu’elle n’est ni d’un pied de long, ni droite. En réalité, le géomètre ne tire aucune conclusion du fait de la ligne particulière [77a] dont il parle, mais seulement des notions que ses figures expriment.

En outre, toute hypothèse, comme tout postulat, est ou universelle ou particulière, tandis que les définitions ne sont ni l’une ni l’autre.



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Ainsi il n’est pas nécessaire d’admettre l’existence des Idées, ou d’une Unité séparée de la Multiplicité, pour rendre possible la démonstration. Ce qui est cependant nécessaire, c’est qu’un même attribut puisse être affirmé de plusieurs sujet : sans cela, il n’y aurait pas, en effet, d’universel. Or, s’il n’y a pas d’universel, il n’y aura pas de moyen, ni, par suite, de démonstration. Il faut donc qu’il y ait quelque chose d’un et d’identique qui soit affirmé de la multiplicité des individus, d’une manière non-équivoque.

Le principe, suivant lequel il est impossible d’affirmer et de nier en même temps un prédicat d’un sujet, n’est posé par aucune démonstration, à moins |u’il ne faille démontrer aussi la conclusion sous cette même forme. Dans ce cas, la démonstration prend comme prémisse qu’il est vrai d’affirmer le majeur du moyen, et non vrai de le nier. Mais il est sans intérêt de poser à la fois, pour le moyen, l’affirmation et la négation ; et il en est de même encore pour le troisième terme. En effet, si on a admis un terme dont il est vrai d’affirmer homme, même s’il est vrai aussi d’en affirmer non-homme, pourvu seulement qu’on accorde que l’homme est animal et non non-animal il sera toujours vrai de dire que Callias, même s’il est vrai de le dire de Non-Callias, n’en est pas moins animal et non non-animal. La raison en est que le majeur est affirmé, non seulement du moyen, mais encore d’une autre chose, par le fait qu’il s’applique à un plus grand nombre d’individus : il en résulte que, même si le moyen est à la fois lui-même il ce qui n’est pas lui-même, cela n’importe en rien pour la conclusion.

Le principe suivant lequel, pour tout prédicat, c’est l’affirmation ou la négation qui est vraie, est posé par la démonstration qui procède par réduction à l’absurde, et encore n’est-il pas toujours employé universellement, mais seulement en tant que de besoin, c’est-à-dire dans la limite du genre en question. Par genre en question, j’entends le genre auquel s’applique la démonstration, ainsi que je l’ai indiqué plus haut.

Toutes les sciences communiquent entre elles par les principes communs. Or, j’appelle « principes communs » ceux qui jouent le rôle de base dans la démonstration, et non pas les sujets sur lesquels porte la démonstration, ni les attributs démontrés. Et, de son côté, la Dialectique communique avec toutes les sciences, ainsi que fera toute science qui tenterait de démontrer d’une façon générale des principes tels que : pour toute chose, l’affirmation ou la négation est vraie, ou : si des choses égales sont ôtées de choses égales…, et autres axiomes de ce genre. Mais la Dialectique n’a pas pour objet des choses déterminées de cette façon, attendu qu’elle n’est pas bornée à un seul genre. Autrement, elle ne procéderait pas par interrogations. En effet, dans la démonstration, il n’est pas possible d’interroger, du fait qu’on ne peut pas prouver une même conclusion par le moyen de données opposées. Je l’ai démontré dans mon traité du Syllogisme.



12 modifier

Si une interrogation syllogistique est la même chose qu’une prémisse partant sur l’un des membres il’une contradiction, et si, dans chaque science, il y a des prémisses à partir desquelles le syllogisme qui lui est propre est constitué, il y aura assurément une sorte d’interrogation scientifique, et c’est celle des prémisses qui seront le point de départ du syllogisme « approprié » qu’on obtient dans chaque science. II est, par suite, évident que toute interrogation ne sera pas géométrique ni médicale, et qu’il en sera de même dans les autres sciences seront seulement géométriques les interrogations à partir desquelles on [77b] démontre soit l’un des problèmes qui relèvent de la Géométrie, soit les problèmes qui sont démontrés par les mêmes principes que ceux de la Géométrie, ceux de l’Optique par exemple. Il en est encore ainsi pour les autres sciences. De ces problèmes le géomètre est fondé à rendre raison, en prenant pour bases les principes géométriques et ses propres condusions ; par contre, en ce qui concerne les principes eux-mêmes, le géomètre, en tant que géomètre, ne doit pas en rendre raison. Et cela est vrai aussi pour les autres sciences. On ne doit donc pas poser à tout savant n’importe quelle interrogation, ni le savant répondre à toute interrogation, sur un sujet quelconque : il faut que les interrogations rentrent dans les limites de la science dont on s’occupe. Si donc, dans ces limites, on argumente avec un géomètre en tant que géomètre, il est clair que la discussion se fait correctement lorsqu’on part des prémises géométriques pour démontrer quelque problème ; dans le cas contraire, la discussion ne se fait pas correctement, et on ne peut pas évidemment non plus réfuter le géomètre, si ce n’est par accident. Il en résulte qu’avec des gens qui ne sont pas géomètres on ne peut pas discuter géométrie, car un mauvais argument passerait inaperçu. Même remarque pour les autres sciences.

Puisqu’il y a des interrogations géométriques, s’ensuit-il qu’il y aura aussi des interrogations non-géométriques ?

En outre, dans chaque science, d’après quelle sorte d’ignorance les interrogations doivent-elles être posées, tout en demeurant propres à la Géométrie par exemple ?

De plus, le syllogisme fondé sur l’ignorance est-il un syllogisme constitué à partir de prémisses opposées au vrai, ou bien est-ce un paralogisme, mais tiré de prémisses géométriques ?

Ou plutôt, la fausseté de la conclusion ne provient-elle pas de ce qu’elle est tirée des prémisses d’une autre discipline ? Par exemple, l’interrogation musicale est non-géométrique en géométrie, tandis que la conception suivant laquelle les parallèles se rencontrent est géométrique en un sens, et non-géométrique d’une autre façon. C’est que le terme non-géométrique se prend en un double sens, comme d’ailleurs le terme non-rythmique : dans un cas, il signifie ce qui est non-géométrique du fait qu’il n’a rien de géométrique, dans l’autre, ce qui est une simple erreur géométrique. Et c’est cette dernière ignorance, c’est-à-dire celle qui dépend de principes de cette sorte, qui est contraire à la science.

Dans les Mathématiques, le paralogisme n’est pas aussi commun, parce que c’est toujours dans le moyen terme que réside l’ambiguïté : le majeur, en effet, est affirmé de la totalité du moyen, et ce dernier, à son tour, de la totalité du mineur (le prédicat n’étant lui-même jamais affecté de la note tout) ; et dans les Mathématiques, on peut en quelque sorte voir ces moyens termes par l’esprit, tandis que, dans la Dialectique, l’ambiguïté nous échappe. Par exemple : tout cercle est-il une figure. En le traçant, on le voit clairement. Mais si on ajoute : les vers épiques sont-ils des cercles ? il est manifeste qu’il n’en est rien.

On ne doit pas faire porter une objection contre un raisonnement dont la prémisse est inductive. Puisque, en effet, il n’y a aucune prémisse qui ne s’applique à une pluralité de cas (autrement elle ne sera pas vraie de tous les cas, alors que le syllogisme procède de prémisses universelles), il est évident qu’il en est de même pour l’objection : c’est qu’en effet, les prémisses et les objections sont à ce point les mêmes que l’objection soulevée pourrait devenir une prémisse soit démonstrative, soit dialectique.

D’autre part, des arguments illogiques dans la forme peuvent quelquefois se produire, du fait qu’on prend comme moyens les conséquents des deux termes extrêmes. C’est, par exemple, la preuve de Caæneus que [78a] le feu croît selon une proportion géométrique. Le feu, en effet, augmente rapidement, dit-il, et c’est là ce que fait la proportion géométrique. Une loi raisonnement n’est pas un syllogisme ; il n’y a syllogisme que si la proportion qui croît le plus rapidement a pour conséquent la proportion géométrique, et si la proportion qui s’accroît le plus rapidement est attribuable au feu dans son mouvement. Parfois donc il n’est pas possible de constituer un syllogisme à partir de prémisses de cette nature, mais parfois c’est possible, bien que cette possibilité ne se voie pas.

S’il était impossible de démontrer le vrai en partant du faux, la résolution serait facile, car il y aurait nécessairement réciprocation. Admettons, en effet, que A soit, et que l’existence de A entraîne telles choses que je sais exister, par exemple B : en partant de ces dernières choses, je puis montrer que la première existe. Cette réciprocation a lieu surtout dans les Mathématiques, parce que les Mathématiques ne prennent comme prémisses rien d’accidentel (et c’est là encore une différence des Mathématiques avec les discussions dialectiques), mais bien des définitions.

Les démonstrations ne progressent pas par l’interposition de nouveaux moyens termes, mais bien par l’adjonction de nouveaux extrêmes. Par exemple, A est affirmé de B, B de C, C à son tour de D, et ainsi de suite indéfiniment. Mais le progrès se ‘fait aussi latéralement : par exemple, A peut être prouvé de C et de E. Ainsi, admettons qu’un nombre, aussi bien fini qu’infini, soit désigné par A ; le nombre impair fini, par B, et quelque nombre impair particulier, par C : A est alors affirmé de C. Ensuite, admettons qu’un nombre pair fini soit désigné par D, et un nombre pair particulier, par E : A est alors affirmé de E.


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La connaissance du fait diffère de la connaissance du pourquoi.

D’abord, cette différence peut avoir lieu dans une même science, et cela de deux façons : (1) quand le syllogisme procède par des prémisses non immédiates (car alors la cause prochaine ne s’y trouve pas assumée, alors que la connaissance du pourquoi est celle de la cause prochaine) ; (2) quand le syllogisme procède bien par des prémisses immédiates, mais au lieu que ce soit par la cause, c’est par celui des deux termes réciproques qui est le plus connu : rien n’empêche, en effet, que des deux prédicats réciprocables le mieux connu ne soit parfois celui qui n’est pas cause, de telle sorte que c’est par son intermédiaire qu’aura lieu la démonstration. C’est le cas, par exemple, quand on démontre la proximité des Planètes par le fait qu’elles ne scintillent pas. Admettons que C soit Planètes, B le fait de ne pas scintiller, et A le fait d’être proche. B est affirme avec vérité de C, puisque les Planètes ne scintillent pas. Mais A est aussi affirmé de B, puisque ce qui ne scintille pas est proche : proposition qu’il faut prendre comme obtenue par induction, autrement dit, par la sensation. Par suite, A appartient nécessairement à C ; ainsi se trouve démontré que les Planètes sont proches. Ce syllogisme, en tout cas, ne porte pas sur le pourquoi, mais sur le simple fait. En effet, les Planètes ne sont pas proches parce qu’elles ne scintillent pas, mais, au contraire, elles ne scintillent pas parce qu’elles sont proches. Mais il peut se faire aussi que l’effet soit démontré par la cause, et on aura alors la démonstration du pourquoi. Soit, par exemple, C signifiant Planètes, B le fait d’être proche, et [78b] A le fait de ne pas scintiller. B appartient alors à C, et A, le fait de ne pas scintiller, à B. Par suite, A appartient aussi à C, et le syllogisme porte sur le pourquoi, puisqu’on a pris pour moyen la cause prochaine. Autre exemple : c’est quand on démontre la sphéricité de la Lune par les accroissements de sa lumière. Si, en effet, ce qui augmente ainsi est sphérique, et si la Lune augmente, il est clair qu’elle est sphérique. Enoncé de cette façon, on obtient un syllogisme portant sur le fait, mais si la position du moyen est renversée, on aura un syllogisme du pourquoi : car ce n’est pas en raison de ses accroissements que la Lune est sphérique, mais c’est parce qu’elle est sphérique qu’elle prend de tels accroissements (la Lune peut être figurée par C, sphérique par B, et accroissement par A).

De plus, dans les cas où les moyens termes ne sont pas réciproques et où le terme plus connu est celui qui n’est pas cause, c’est le fait qui est, démontré, et non le pourquoi.

C’est encore ce qui se passe dans les cas où le moyen est posé en ilc.hors des extrêmes, car, ici encore, c’est sur le fait et, non sur le pourquoi que porte la démonstration, parce que la cause prochaine n’est pas indiquée.

Par exemple : « Pourquoi le mur ne respire-t-il pas ? » On répond : « Parce que ce n’est pas un animal. Si c’était là réellement la cause de l’sbsence de respiration, être un animal devrait être la cause de la respiration, suivant la règle que si la négation est cause de la non-attribution, l’affirmation est cause de l’attribution : par exemple, si le déséquilibre du chaud et du froid est cause de la mauvaise santé, leur équilibre est cause de la bonne santé. Et de même, inversement, si l’affirmation est cause de l’attribution, la négation est cause de la non-attribution. Mais dans l’exemple que nous avons donné, cette conséquence ne se produit pas, car tout animal ne respire pas. Le syllogisme qui utilise ce genre de cause se forme dans la seconde figure. Admettons, par exemple, que A signifie animal, B le fait de respirer, et C mur. A appartient alors à tout B (car tout ce qui respire est animal), mais n’appartient à nul C, de sorte que B n’appartient non plus à nul C : ainsi le mur ne respire pas. Des causes de cette nature ressemblent aux propos hyperboliques ; autrement dit on prend le moyen beaucoup trop loin : c’est, par exemple, le mot d’« anacharsis » que, chez les Scythes, il n’y a pas de joueurs de flûte parce qu’il n’y a pas de vignes.

Telles sont donc, dans une même science et suivant la position des moyens termes, les différences entre le syllogisme du fait et le syllogisme du pourquoi. Mais il y a encore une autre façon dont le fait et le pourquoi diffèrent, et c’est quand chacun d’eux est considéré par une science différente. Tels sont les problèmes qui sont entre eux dans un rapport tel que l’un est subordonné à l’autre : c’est le cas, par exemple, dos problèmes d’Optique relativement à la Géométrie, de Mécanique pour la Stéréométrie, d’Harmonique pour l’Arithmétique, et des données de l’observation pour l’Astronomie (certaines de ces sciences sont presque synonymes : par exemple, l’Astronomie mathématique et l’Astronomie nautique, l’Harmonique [79a] mathématique et l’Harmonique acoustique). Ici, en effet, la connaissance du fait relève des observateurs empiriques, et celle du pourquoi, des mathématiciens. Car ces derniers sont en possession des démonstrations par les causes, et souvent ne connaissent pas le simple fait, de même qu’en s’attachant à la considération de l’universel on ignore souvent certains de ses cas particuliers, par défaut d’observation. Telles sont toutes les sciences qui, étant quelque chose de différent par l’essence, ne s’occupent que des formes. En effet, les Mathématiques s’occupent seulement des formes : elles ne portent pas sur un substrat puisque, même si les propriétés géométriques sont celles d’un certain substrat, ce n’est pas du moins en tant qu’appartenant au substrat |ii’elles les démontrent. Ce que l’Optique est à la Géométrie, ainsi une autre science l’est à l’Optique, savoir la théorie de l’Arc-en-ciel : la connaissance du l’ait relève ici du physicien, et celle du pourquoi de l’opticien pris en tant que tel d’une façon absolue, mi en tant qu’il est mathématicien.

Enfin, beaucoup de sciences qui ne sont pas subordonnées entre elles se comportent de la même façon. C’est le cas de la Médecine par rapport à la Géométrie, car savoir que les blessures circulaires guérissent plus lentement que les autres relève du médecin, et savoir pourquoi, du géomètre.



14 modifier

De toutes les figures, la plus scientifique est la première. En effet, elle sert de véhicule aux démonstrations des sciences mathématiques, telles que l’Arithmétique, la Géométrie et l’Optique, et, on peut presque dire, de toutes les sciences qui se livrent à la recherche du pourquoi : car, sinon d’une façon absolue, du moins la plupart du temps et dans la majorité des cas, c’est par cette figure que procède le syllogisme du pourquoi. Il en résulte que, pour ce motif encore, la première figure est la plus scientifique, puisque le caractère le plus propre de la science c’est de considérer le pourquoi. Autre preuve : la connaissance de l’essence ne peut être poursuivie que par cette seule figure. Dans la seconde figure, en effet, on n’obtient pas de syllogisme affirmatif, alors que la connaissance de l’essence relève de l’affirmation ; dans la troisième, il y a bien syllogisme affirmatif, mais non universel, alors que l’essence est au nombre des universels, car ce n’est pas en un certain sens seulement que l’homme est animal bipède. Dernière raison : la première figure n’a en rien besoin des autres, tandis que c’est par elle que les autres figures ont leurs intervalles remplis et se développent jusqu’à ce qu’on soit parvenu aux prémisses immédiates. Il est donc clair que la figure la plus propre à la science est la première figure.



15 modifier

De même que A peut, avons-nous dit, être affirme immédiatement de B, de même il peut aussi, de cette façon, en être nié. Je dis que l’attribution ou la non-attribution se fait immédiatement, quand il n’y a entre les termes aucun moyen, car, dans ce cas, ce n’est plus suivant quelque chose d’autre que fera l’attribution ou la non-attribution. Par suite, si ou A ou B, ou même A et B pris ensemble, sont contenus dans un tout, il n’est pas possible que la non-attribution de A à B soit immédiate. Admettons, en effet, que A soit contenu dans un tout, C. Alors si B n’est pas dans le tout, dans C (car il peut se faire que A soit dans un tout qui ne contienne pas lui-même B), il y aura un syllogisme concluant que A n’appartient pas à B : si, en effet,

C appartient [79b] à tout A,

et n’appartient à nul B,

A n’appartient à nul B.

De même encore, si B est contenu dans un tout, qu’on peut appeler D.

Si, en effet, D appartient à tout B,

et si D n’appartient à nul A,

il en résulte par syllogisme que A n’appartiendra à nul B. La démonstration se fera encore de la même façon si les deux termes sont contenus aussi bien l’un que l’autre dans un tout.

Que, du reste, B puisse ne pas être contenu dans le tout qui contient A, et qu’inversement A puisse ne pas être contenu dans le tout qui contient B, cela résulte clairement des séries d’attributions qui ne se confondent pas entre elles. En effet, si aucun des termes de la série ACD n’est attribué à aucun des termes de la série BEF, et si A est contenu dans le tout G, terme de la même série que lui, il est clair que B ne sera pas dans A, sinon les séries se confondraient. De même encore si B est contenu dans un tout. Par contre, si aucun des deux termes n’est dans un tout et que A n’appartienne pas à B, cette non-attribution sera nécessairement immédiate. S’il y a entre eux un moyen terme, l’un ou l’autre sera nécessairement contenu dans un tout, car le syllogisme, se formera soit dans la première, soit dans la seconde figure. Si c’est dans la première figure, B sera dans un tout (car la prémisse qui se rapporte à B doit être affirmative) ; si c’est dans la seconde, ce nora indifféremment n’importe lequel des termes qui sera dans un tout, puisqu’on obtient un syllogisme, que la prémisse négative se rapporte à l’un ou à l’autre ; mais si les deux prémisses sont toutes deux négatives, il n’y aura pas de syllogisme.

On voit ainsi qu’il est possible qu’un terme puisse être nié immédiatement d’un autre, et nous venons d’indiquer quand et comment cela était possible.


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L’ignorance, entendue non pas comme une négation du savoir mais comme une disposition de l’esprit, est une erreur produite par un syllogisme.

Elle a lieu d’abord dans les attributions ou les non-attributions immédiates, et elle se présente alors sous un double aspect : elle surgit, en effet, ou bien quand on croit directement à une attribution ou à une non-attribution, ou bien quand c’est par un syllogisme qu’on acquiert cette croyance. Mais l’erreur née d’une croyance directe est simple, tandis que celle acquise par syllogisme revêt des formes multiples.

Ainsi, admettons que A n’appartienne à nul B immédiatement ; si alors on conclut que A appartient à B en prenant pour moyen C, ce sera une erreur produite par syllogisme. Or, il peut se faire d’une part que les deux prémisses soient fausses, cl il peut se faire d’autre part que l’une d’elles seulement le soit. Si, en fait, ni A n’est attribué à nul B ni C à nul B, alors que le contraire était assumé dans chacune des propositions, les deux prémisses seront l’une et l’autre fausses (il peut se faire que le rapport de C à A et à B soit tel que C ne soit ni subordonné à A, ni attribué universellement à B. Car, d’une part, B ne peut pas être dans un tout, puisque A était dit ne pas appartenir à B immédiatement, et, d’autre part, A n’est pas nécessairement un attribut universel de toutes choses. Il en résulte que les deux prémisses peuvent être fausses l’une et l’autre). Mais il peut se faire encore que l’une des prémisses soit vraie, bien que ce ne soit pas indifféremment, n’importe laquelle mais seulement la prémisse AC ; en effet, la prémisse CB sera toujours fausse, [80a] du fait que B n’est contenu dans aucun genre, tandis que la prémisse AC peut être vraie : comme si, par exemple, A appartient immédiatement à Cet à B ; quand, en effet, le même terme est attribué immédiatement à plusieurs, aucun de ces termes n’appartiendra à l’autre. Peu importe, au surplus, que l’attribution ne soit même pas immédiate.

L’erreur d’attribution se produit donc par ces raisons et de cette façon seulement (car nous avons dit que dans aucune autre figure que la première il n’y avait de syllogisme d’attribution universelle). Quant à l’erreur de non-attribution, elle a lieu à la fois dans la première et dans la seconde figure. Disons d’abord combien de formes elle revêt dans la première figure, et de quelles façons les prémisses se comportent dans chaque cas.

L’erreur peut se produire avec deux prémisses toutes les deux fausses : c’est le cas, par exemple, si on suppose que A appartient immédiatement et à C et à B ; si, en effet, on prend A comme n’appartenant à nul C, et C comme appartenant à tout B, les deux prémisses seront fausses.

L’erreur est encore possible quand l’une des prémisses est fausse, et cette prémisse est indifféremment n’importe laquelle. En effet, il se peut que la prémisse AC soit vraie, et la prémisse CB fausse, la prémisse AC étant vraie parce que A n’appartient pas à toutes choses, et la prémisse CB étant fausse parce qu’il y a impossibilité pour C, auquel jamais n’appartient A, d’appartenir à B : car si la prémisse CB était vraie, la prémisse AC ne serait plus vraie, et, en même temps, si les prémisses étaient toutes les deux vraies, la conclusion aussi serait vraie. Ou encore, la prémisse CB peut être vraie, l’autre prémisse étant fausse : par exemple, si B est contenu à la fois dans C et dans A, il est nécessaire que l’un de ces deux derniers termes soit subordonné à l’autre, de sorte que si on prend A comme n’appartenant à nul C, une telle prémisse sera fausse. On le voit donc : que ce soit l’une des prémisses qui est fausse, ou toutes les deux, le syllogisme sera faux.

Dans la seconde figure, les deux prémisses ne peuvent pas être l’une et l’autre totalement fausses. Quand, en effet, A appartient à tout B, on ne pourra prendre aucun moyen terme qui soit affirmé universellement d’un extrême et nié universellement de l’autre : or il faut prendre les prémisses de telle façon que le moyen soit affirmé d’un extrême et nié de l’autre, si l’on veut qu’il y ait syllogisme. Si donc, prises ainsi, les prémisses sont totalement fausses, il est évident qu’inversement leurs contraires seront totalement vraies. Mais c’est là une impossibilité.

Par contre, rien n’empêche que chacune des prémisses soit partiellement fausse. Soit C appartenant réellement à quelque A et à quelque B : si on prend A comme appartenant à tout A et comme n’appartenant à nul B, les deux prémisses seront fausses, non pourtant en totalité, mais en partie seulement. Et si on renverse la position de la négative, il en sera de même.

Il peut encore se faire que l’une des prémisses soit totalement fausse, n’importe laquelle. Ainsi, admettons que, en fait, ce qui appartient à tout A appartiendra aussi à tout B : alors, si on prend C comme appartenant à la totalité de A et comme n’appartenant à aucun B, la prémisse CA [80b] sera vraie, mais la prémisse CB fausse. De plus, ce qui, en fait, n’appartient à nul B n’appartiendra pas non plus à tout A, car s’il appartenait à tout A, il appartiendrait aussi à tout B ; or nous avons supposé qu’il ne lui appartient pas. Si donc, on prend néanmoins C comme appartenant à la totalité de A, et comme n’appartenant à nul B, la prémisse CB est vraie, mais l’autre est fausse. De même encore, si l ;i négative est transposée. Car ce qui en fait n’appartient à aucun A n’appartiendra non plus à nul B. Si donc on prend C comme n’appartenant pas à la totalité de A, mais comme appartenant à la totalité de B, la prémisse AC sera vraie et l’autre fausse.

Inversement, il est faux d’assumer que ce qui appartient à tout B n’appartient à aucun A, car nécessairement ce qui appartient à tout B appartient aussi à quelque A ; si donc on prend néanmoins F comme appartenant à tout B et comme n’appartenant à nul A, la prémisse CB sera vraie, et la prémisse CA fausse.

On voit donc que, aussi bien quand les deux prémisses sont fausses que quand une seule l’est, il y aura syllogisme erroné dans le cas de propositions immédiates.



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Dans les attributions ou les non-attributions non immédiates, quand c’est par un moyen propre que le syllogisme conclut le faux, il n’est pas possible que les deux prémisses soient fausses l’une et l’autre ; peut seulement l’être celle.qui se rapporte au grand extrême (par moyen propre, j’entends le moyen terme par lequel on obtient le syllogisme vrai contradictoire à celui de l’erreur). Admettons, en effet, que A soit à B par le moyen C. Puis donc qu’il est nécessaire de prendre la prémisse CB affirmativement pour obtenir un syllogisme, il est évident que cette prémisse doit toujours être vraie, car elle n’est pas convertie. Mais la prémisse AC est fausse, car c’est par sa conversion que le syllogisme devient contraire.

II en est encore de même si le moyen est emprunté à une autre classe d’attributions. Supposons, par exemple, que D soit non seulement contenu en A comme en son tout, mais qu’il soit encore affirmé de tout B. Alors il est nécessaire d’une part de conserver la prémisse DB, et d’autre part de convertir l’autre : de telle sorte que la première est toujours vraie, et la seconde toujours fausse. Une erreur de ce genre est à peu près la même que celle qui résulte du moyen propre.

Supposons maintenant que le syllogisme ne soit pas obtenu par le moyen propre : quand le moyen est subordonné à A mais n’appartient à nul B, il faut nécessairement que les deux prémisses soient fausses. En effet les prémisses doivent être prises d’une manière contraire à ce qui a lieu en réalité, si l’on veut qu’il y ait syllogisme ; or, si on les prend de cette façon, toutes les deux deviennent fausses. Si, par exemple, en fait, A appartient à la totalité de D, et si D n’appartient à nul B, par conversion de ces prémisses on obtiendra un syllogisme dont les prémisses seront l’une et C autre fausses. Par contre, quand le moyen, D par exemple, n’est pas subordonné à A, [81a] la prémisse AD sera vraie, et la prémisse AB fausse : la prémisse AD est vraie, parce que D n’était pas contenu dans A, et la prémisse AB est fausse, parce que, si elle était vraie, la conclusion aussi serait vraie ; or, par hypothèse, elle est fausse.

Quand l’erreur vient par la seconde figure, il n’est pas possible que les deux prémisses soient l’une et l’autre totalement fausses (puisque, quand B est subordonné à A, aucun terme ne peut être affirmé de la totalité d’un extrême et nié de la totalité de l’autre, ainsi que nous l’avons établi plus haut), mais l’une des prémisses peut être fausse, et ce peut être indifféremment n’importe laquelle. Si, en effet, alors que C appartient à la fois à A et à B, on prend C comme appartenant à A mais comme n’appartenant pas à B, la prémisse AC sera vraie, et l’autre fausse. Si, inversement, on prend C comme appartenant à B mais comme n’appartenant à nul A, la prémisse CB sera vraie, et l’autre fausse.

Quand le syllogisme de l’erreur est négatif, nous venons ainsi d’établir quand et à l’aide de quelles sortes de prémisses il y aura erreur. Mais quand le syllogisme est affirmatif, si la conclusion est obtenue par le moyen propre, il est impossible que les deux prémisses soient fausses, car il faut nécessairement conserver la prémisse CB, si l’on veut qu’il y ait syllogisme, comme nous l’avons dit plus haut ; par suite, la prémisse CA sera toujours fausse, car c’est elle qui est convertie. Même solution encore, si on empruntait le moyen à une autre série, ainsi que nous J’avons établi pour le cas d’erreur négative : en effet, il faut nécessairement conserver la prémisse AB et convertir la prémisse AD, et l’erreur est alors la même que ci-dessus.

Quand le syllogisme affirmatif ne procède pas par un moyen propre, alors, si D est subordonné à A, cette prémisse-ci sera vraie, et l’autre fausse, car A peut être l’attribut de plusieurs termes qui ne sont pas subordonnés l’un à l’autre. Mais si A n’est pas subordonné à A, cette prémisse-ci sera évidemment toujours fausse (puisqu’elle est prise affirmativement), tandis que la prémisse DB peut être ou vraie ou fausse. Rien n’empêche, en effet, que A n’appartienne à nul D, et que D appartienne à tout B : par exemple animal n’appartient à aucune science, alors que science appartient à toute musique. Rien n’empêche non plus que A n’appartienne à nul D, et D à nul B. Il est donc clair que, dans le cas où le moyen terme n’est pas subordonné à A, non seulement les deux prémisses peuvent être fausses, mais encore ce peut être l’une d’entre elles seulement, quelle qu’elle soit.

On voit ainsi de quelles façons et par quelles sortes de prémisses peuvent se produire les erreurs découlant du syllogisme, aussi bien dans le cas des propositions immédiates que dans le cas des propositions démontrables.



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Il est clair aussi que si un sens vient à faire défaut, nécessairement une science disparaît, qu’il est impossible d’acquérir. Nous n’apprenons, en effet, que par induction ou par démonstration. Or, la démonstration [81b] se fait à partir de principes universels, et l’induction, de cas particuliers. Mais il est impossible d’acquérir la connaissance des universels autrement que par induction, puisque même ce qu’on appelle les résultats de l’abstraction ne peuvent être rendus accessibles que par l’induction, en ce que, à chaque genre, appartiennent, en vertu de la nature propre de chacun, certaines propriétés qui peuvent être traitées comme séparées, même si en fait elles ne le sont pas. Mais induire est impossible pour qui n’a pas la sensation : car c’est aux cas particuliers que s’applique la sensation ; et pour eux, il ne peut pas y avoir de science, puisqu’on ne peut la tirer d’universels sans induction, ni l’obtenir par induction sans la sensation.



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Tout syllogisme se fait par trois termes. Une espèce de syllogisme est apte à démontrer que A appartient à C, parce que A appartient à B, et B à C ; l’autre espèce est le syllogisme négatif, dont l’une des prémisses exprime qu’un terme appartient à un autre, et la. seconde, au contraire, qu’un terme n’appartient pas à un autre. Il est par suite manifeste que ce sont là les principes et ce qu’on nomme les hypothèses du syllogisme. Car, en les prenant de cçtte façon, on arrive nécessairement à démontrer, par exemple, que A Appartient à C par B, et encore que A appartient à B par un autre moyen terme, et pareillement que B est à C. Pour qui se contente de raisonner selon l’opinion et d’une manière dialectique, il est évident que le seul point à considérer, c’est de savoir si le syllogisme procède à partir des prémisses les plus probables possible ; il en résulte que si un moyen terme entre A et B n’existe pas véritablement, mais paraît seulement exister, en s’appuyant sur lui pour raisonner on raisonne dialectiquement. Par contre, pour atteindre la vérité, ce sont les attributions réelles qui doivent nous servir de guides. Les choses se passent de la façon suivante : puisqu’il y a des attributs qui sont affirmés d’un sujet autrement que par accident (j’appelle « attribution par accident », quand par exemple il nous arrive de dire cette chose blanche est un homme, ce qui n’a pas le même sens que de dire l’homme est blanc : ce n’est pas en étant quelque chose d’autre que homme que l’homme est blanc, tandis que pour le blanc, c’est parce qu’il arrive à l’homme d’être blanc), c’est donc qu’il y a certains termes d’une nature telle qu’ils sont attribués essentiellement à d’autres.

Admettons donc que C soit un terme tel qu’il n’appartienne lui-même à aucun autre terme, mais qu’il soit le sujet prochain de B, sans autre intermédiaire entre les deux ; supposons qu’à son tour, E appartienne à F de la même façon, et F à B : est-ce que cette série doit nécessairement s’arrêter, ou bien peut-elle aller à l’infini ? Supposons de même que rien n’est affirmé de A par soi, mais que A appartient immédiatement à H sans appartenir à aucun intermédiaire plus prochain. H à G, et G à B : est-ce que cette série, elle aussi, doit nécessairement s’arrêter, ou peut-elle aller à l’infini ?

Cette seconde question diffère de la première dans la mesure suivante : la première consiste à se demander s’il est possible, en partant de ce qui n’appartient soi-même à aucune autre chose mais à qui une autre chose appartient, d’aller en remontant à l’infini ; l’autre, à examiner si, en commençant [82a] par ce qui est attribué à un autre mais à qui aucun autre n’est attribué, on peut en descendant aller à l’infini.

II faut demander enfin si on peut insérer un nombre infini de moyens entre des extrêmes déterminés. Voici ce que je veux dire. Supposons que A appartienne à C, et que B soit moyen entre eux, mais qu’entre B et A il y ait d’autres moyens, et entre ceux-ci d’autres encore : sera-t-il possible aussi que cette série de moyens soit infinie, ou bien sera-ce impossible ? Cela revient à se demander si les démonstrations vont à l’infini, autrement dit s’il y a démonstration de tout, ou si les extrêmes se. limitent l’un l’autre.

J’ajoute que les mêmes questions se posent aussi pour les syllogismes négatifs et les prémisses négatives. Par exemple, si A n’appartient à nul B, ou bien ce sera immédiatement, ou bien il y aura un intermédiaire antérieur à B, auquel A n’appartient pas (appelons-le G, lequel appartient à tout B), et il peut y avoir encore un autre terme antérieur à G, par exemple H qui appartient à tout G. C’est qu’en effet, dans ces cas également, ou bien la série des termes antérieurs auxquels A n’appartient pas est infinie, ou bien elle s’arrête. Par contre, pour les termes réciprocables, ces mêmes questions ne peuvent pas se poser, puisque, quand le sujet et le prédicat sont convertibles, il n’y a ni premier ni dernier sujet : tous les termes réciproques sont les uns envers les autres, à cet égard, dans le même rapport, soit que nous disions infinis les attributs du sujet, ou que tant les sujets que les attributs en question soient infinis. Il n’en est autrement que si les termes peuvent se réciproquer de façons différentes, l’attribution se faisant pour l’un par accident, et, pour l’autre, au sens propre.



20 modifier

Il est évident qu’il est impossible qu’il y ait entre deux termes un nombre infini de moyens, si la série ascendante et la série descendante des attributions sont limitées (j’entends par « série ascendante » celle qui se dirige vers la plus grande généralité, et par série descendante celle qui se dirige vers le particulier). Si, en effet, A étant attribué à F, les intermédiaires représentés par B B’ B’’ … sont infinis, il est évident qu’il sera possible en partant de A, d’ajouter indéfiniment des attributs les uns aux autres suivant la série descendante (puisque, avant d’arriver à F, on aura un nombre infini d’intermédiaires) ; de même, à partir de F en suivant la série ascendante, on aura à parcourir un nombre infini d’intermédiaires avant d’arriver à A. De sorte que, si c’est impossible, il sera impossible aussi qu’entre A et F il y ait un nombre infini de moyens. Il ne sert non plus de rien de prétendre que certains termes de la série AB....F sont contigus entre eux de façon à exclure un intermédiaire, tandis que les autres sont impossibles à saisir. En effet, quel que soit le terme que je prenne parmi les B, le nombre des intermédiaires dans la direction de A ou de F doit être infini ou fini. Le point de. départ des séries infinies, qu’on le prenne immédiatement ou non immédiatement, n’a aucune importance, car les termes qui viennent après ce point sont de toute façon infinis en nombre.



21 modifier

Il est clair aussi que, dans la démonstration négative, la série des termes sera limitée, si, dans la démonstration affirmative, elle est limitée dans les deux sens. Admettons, en effet, qu’il ne soit possible d’aller à l’infini, ni en remontant à partir du dernier terme (et j’appelle « dernier terme », celui qui lui-même n’appartient à aucun autre terme, mais à qui un autre [82b] terme appartient), ni à partir du premier terme vers le dernier (et j’appelle « premier terme » celui qui est dit d’un autre, mais duquel aucun autre n’est dit) : ‘s’il en est ainsi, il y aura aussi limitation dans le cas de la négation.

On démontre, en effet, une conclusion négative de trois façons. On peut dire d’abord : B appartient à tout ce à quoi C appartient, et A n’appartient à rien de ce à quoi B appartient. Pour la proposition BC, et c’est toujours le cas pour l’un des deux intervalles, il faut nécessairement arriver à des propositions immédiates, puisque cet intervalle est affirmatif. Quant à l’autre prémisse, il est évident que si le majeur est nié d’un autre terme, par exemple D, antérieur à B, D devra appartenir à tout B ; et si le majeur est nié encore d’un autre terme antérieur à D, ce terme devra appartenir à tout D. Il en résulte que, puisque la marche vers la série ascendante est limitée, la série descendante sera limitée aussi, et il y aura un sujet premier dont A est nié.

On peut encore raisonner ainsi : si B appartient à tout A et n’appartient à nul C, A n’appartient à nul C. S’il faut encore démontrer cette proposition, il est évident qu’on la démontrera soit par la première figure, comme ci-dessus, soit par la figure que nous voyons en ce moment, soit par la troisième. Nous venons de parler de la première, nous allons expliquer la seconde. La preuve se ferait en posant, par exemple, que D appartient à tout B et n’appartient à nul C, puisqu’il est nécessaire qu’un prédicat appartienne à B. Ensuite, puisque l’on veut prouver que D n’appartient pas à C, un autre terme, qui lui-même est nié de F, appartient à D. Puis donc que l’attribution affirmative à un terme plus élevé est toujours limitée, l’attribution négative le sera aussi.

La troisième figure procède, avons-nous dit, comme suit : si A appartient à tout B, et si C n’appartient pas à quelque B, C n’appartient pas à tout ce à quoi est A. Là encore, cette prémisse sera démontrée soit par les figures indiquées plus haut, soit par cette même figure. Dans les deux premières figures, la série est limitée ; dans la dernière, ou posera à nouveau que B appartient à E, terme duquel, pris particulièrement, C est nié ; et cette proposition-ci sera, à son tour, prouvée de la même façon. Mais puisqu’on suppose que la série descendante est, elle aussi, limitée, il est clair qu’il y aura également une limite pour l’attribution négative de C.

On voit aussi que, même si la preuve s’effectue, non pas par un seul procédé, mais par tous, en empruntant tantôt la première figure, tantôt la seconde ou la troisième, même ainsi la série sera limitée ; car les procédés sont finis en nombre, et des choses finies multipliées par un nombre fini donnent nécessairement un produit fini.

Ainsi, il est clair qu’il y a une limite pour la négation s’il y en a une pour l’affirmation. Qu’il en soit ainsi dans ce dernier cas, on peut le montrer par les considérations dialectiques qui suivent.


22 modifier

Dans le cas des prédicats essentiels, il est évident que ces prédicats sont limités en nombre. Si, en effet, la définition est possible, autrement dit si l’essence est connaissable, et si, d’autre part, une série infinie ne peut être parcourue, il faut nécessairement que les prédicats essentiels soient finis.

Mais, en ce [83a] qui concerne les prédicats en général, voici ce que nous avons à dire. Il est possible d’énoncer avec vérite le blanc marche et cette grande chose est du bois, ou encore le bois est grand et l’homme marche. Mais il y a une différence entre le premier énoncé et le second. Quand je dis le blanc est du bois, j’entends alors qu’il arrive accidentellement à ce qui est blanc d’être du bois, mais non pas que le blanc est le substrat du bois : car ce n’est pas en étant l’essence du blanc ou d’une espèce de blanc que la chose est devenue du bois, de sorte que le blanc n’est bois que par accident. Au contraire, quand je dis le bois est blanc, ce n’est pas que quelque chose d’autre, à quoi il arrive accidentellement d’être du bois, soit blanc (comme lorsque je dis le musicien est blanc : je veux dire alors que l’homme, auquel il arrive accidentellement d’être musicien, est blanc), mais bien que le bois est le substrat qui, dans son essence, est devenu blanc, n’étant pas autre chose que l’essence même du bois ou d’une sorte de bois.

Si donc nous devons établir une règle, appelons le dernier énoncé prédication ; quant au premier, ou bien disons que ce n’est aucunement une prédication, ou, tout au moins que ce n’est pas une prédication au sens propre, mais seulement une prédication par accident. Admettons donc que l’attribut soit comme le blanc, et le sujet comme le bois.

Posons alors que le prédicat est attribué au sujet toujours au sens propre, et non par accident, car c’est par une attribution de ce genre que les démonstrations démontrent. Il s’ensuit que la prédication porte soit sur l’essence, soit sur la qualité, la quantité, la relation, l’action, la passion, le lieu ou le temps, lorsque un seul prédicat est attribué à un seul sujet.

En outre, les prédicats qui signifient la substance signifient que le sujet auquel ils sont attribués n’est rien d’autre que le prédicat même ou l’une de ses espèces. Ceux, au contraire, qui ne signifient pas la substance, mais qui sont affirmés d’un sujet différent d’eux-mêmes, lequel n’est ni cet attribut lui-même, ni une espèce même de cet attribut, sont des accidents : par exemple, le blanc est un accident de l’homme, car l’homme n’est ni l’essence du blanc, ni l’essence de quelque blanc, tandis qu’on peut dire qu’il est animal, puisque l’homme est essentiellement une espèce d’animal. Ces prédicats qui ne signifient pas la substance doivent être attribués à quelque sujet, et il n’y a aucun blanc qui soit blanc sans être aussi autre chose que blanc. Aussi convient-il de rejeter les Idées : ce ne sont que de vains fredons, et en supposant qu’elles existent réellement, elles n’ont rien à voir avec la présente discussion, puisque les démonstrations portent sur les prédicats tels que nous les avons définis.

De plus, une chose ne peut pas être une qualité d’une autre, et celle-ci une qualité de la première ; en d’autres termes, une chose ne peut être une qualité de sa qualité, étant impossible qu’elles soient affirmées réciproquement l’une de l’autre de la façon que nous avons indiquée. Elles peuvent bien être affirmées sans fausseté l’une de l’autre, mais ne peuvent être affirmées au sens véritable l’une de l’autre. Ou bien, en effet, il s’agira d’une attribution [83b] réciproque essentielle, le genre ou la différence, par exemple, étant affirmé du prédicat. Or, il a été démontré que ces attributions ne sont infinies ni dans la série descendante, ni dans la série ascendante : ni, par exemple, la série l’homme est bipède, le bipède animal, l’animal autre chose..., ni la série attribuant animal à homme, homme à Callias, Callias à un autre sujet comme un élément de son essence. C’est qu’en effet toute substance de cette nature est définissable et qu’une série infinie ne peut-être parcourue par la pensée. Il en résulte que ni la série ascendante, ni la série descendante ne sont infinies, puisqu’on ne peut définir une substance dont les prédicats seraient en nombre infini. Par suite, ils ne seront pas affirmés réciproquement comme genres l’un de l’autre, car ce serait identifier le genre avec l’une de ses propres espèces.

La qualité ne peut pas non plus être affirmée réciproquement d’une qualité (et il en est de même pour les autres catégories) autrement que par accident, car tous ces prédicats ne sont que des accidents et sont attribués à des substances.

D’un autre côté, il n’y aura pas non plus de série ascendante infinie, car ce qui est affirmé de chaque chose exprime que le sujet est de telle qualité, ou de telle quantité, ou tombe sous l’une des catégories de ce genre, ou alors il exprime les éléments de la substance : or ces derniers attributs sont limités en nombre, et les genres des catégories sont aussi en nombre limité puisqu’ils sont ou qualité, ou quantité, ou relation, ou agent, ou patient, ou lieu, ou temps.

Posons d’abord qu’un seul prédicat est affirmé d’un seul sujet, et, en outre, que les prédicats qui n’expriment pas la substance ne peuvent être attribués les uns aux autres. Ce sont, en effet, tous des accidents, et bien que certains soient des prédicats par soi et d’autres d’un type différent, nous disons cependant que tous ces prédicats sont également affirmés de quelque substrat, et qu’un accident n’est jamais un substrat : en effet, nous ne posons nullement parmi les déterminations de ce genre une chose qui, n’étant pas une autre chose qu’elle-même, est dite ce qu’elle est dite ; mais nous disons qu’elle est affirmée d’un sujet autre qu’elle-même, et que ces attributs peuvent être différents avec les différents sujets. Par conséquent, ni la série ascendante, ni la série descendante des attributions, quand un seul prédicat est affirmé d’un seul sujet, ne pourra être dite infinie. En effet, les sujets dont les accidents sont affirmés sont aussi nombreux que les éléments constitutifs de chaque substance individuelle, et ceux-ci ne sont pas en nombre infini. Quant à la série ascendante, elle comprend tant ces éléments constitutifs que les accidents, qui, ni les uns ni les autres, ne sont infinis. Nous concluons qu’il est nécessaire qu’il y ait quelque sujet dont quelque attribut premier soit affirmé, qu’il y en ait un autre affirmé du premier, et que la série s’arrête à un attribut qui ne soit plus affirmé d’un autre terme antérieur, et dont aucun autre terme antérieur ne soit affirmé.

Voilà donc une première façon de démontrer ce que nous avons dit. Il y en a encore une autre, puisque la démonstration porte sur des choses auxquelles des prédicats antérieurs sont attribués, et puisque, à l’égard des propositions dont il y a démonstration, il ne peut pas y avoir de meilleure situation que celle de les savoir ; qu’en outre, il est impossible de les savoir sans démonstration ; puisque, d’autre part, la conclusion est seulement connue par les prémisses, si nous ne savons pas celles-ci ou si nous ne sommes pas, vis-à-vis d’elles, dans une meilleure situation que si nous les savions par démonstration, nous ne connaîtrons pas davantage les conclusions qui en découlent. Si donc nous admettons qu’il est possible, par la démonstration, de connaître quelque chose d’une façon absolue, et non pas en s’appuyant sur des postulats ou des hypothèses, il est nécessaire que les attributions intermédiaires soient limitées. [84a] Car si elles ne sont pas limitées, mais s’il y a toujours au contraire un terme supérieur au dernier terme considéré, toute proposition sera démontrable. Il en résulte que, puisqu’on ne peut pas parcourir l’infini, nous ne saurons pas par démonstration les choses dont il y a démonstration. Si donc nous ne sommes pas, à leur égard, dans une meilleure situation que si nous les connaissions, on ne pourra avoir aucune science par démonstration d’une manière absolue mais seulement par hypothèse.

Au point de vue dialectique, les preuves que nous venons d’apporter suffisent à entraîner la conviction au sujet de ce que nous avons dit. Mais une preuve analytique montrera plus brièvement encore que ni la série ascendante ni la série descendante des prédicats ne saurait être infinie en nombre, dans les sciences démonstratives qui sont l’objet de notre enquête. En effet, la démonstration porte sur ce qui appartient par soi aux choses. Or, les attributs sont par soi de deux façons : soit parce qu’ils sont contenus dans l’essence de leurs sujets, soit encore parce que leurs sujets sont contenus dans leur propre essence. Tel est, par exemple, dans ce dernier cas, l’impair, attribut du nombre : bien qu’il appartienne au nombre, cependant le nombre lui-même est contenu dans la définition de l’impair. Comme exemple du premier cas, nous avons la pluralité ou l’indivisible, qui est contenu dans la définition du nombre. Or, il est impossible que l’une ou l’autre de ces séries d’attributions par soi soit infinie. Ce n’est pas possible, d’abord lans le cas où l’impair s’affirme du nombre : car alors il y aura dans l’impair quelque autre attribut qui en fera partie, et auquel l’impair appartiendra. Mais s’il en est ainsi, le nombre sera le sujet premier de ces attributs, à chacun desquels il appartiendra. Puis donc qu’il n’est pas possible qu’une infinité d’attributs de ce genre soit contenue dans une chose une, la série ascendante ne sera pas non plus infinie. Mais il est nécessaire de toute façon que tous ces attributs appartiennent au sujet premier (par exemple, au nombre, et le nombre à eux), de telle sorte qu’il y ait convertibilité et non pas extension plus grande. Pas davantage ne sont infinis en nombre les attributs qui sont contenus dans l’essence de leurs sujets, sinon la définition serait impossible. Par conséquent, si tous les prédicats affirmés sont par soi, et si ces prédicats ne sont pas infinis, la série ascendante sera limitée, et, par suite, la série descendante aussi.

S’il en est ainsi, il s’ensuit que les intermédiaires entre deux termes sont aussi toujours limités en nombre. Dans ce cas, il est dès lors évident que pour les démonstrations il doit y avoir nécessairement des principes, et aussi que toutes les vérités ne sont pas susceptibles de démonstration, comme le croient certains dont nous avons parlé au début. Car s’il y a des principes, d’une part toutes les vérités ne sont pas démontrables, et, d’autre part, on ne peut pas marcher à l’infini. Admettre, en effet, l’un ou l’autre, reviendrait à soutenir qu’aucun intervalle n’est immédiat et indivisible, mais que tous sont divisibles, attendu que c’est par l’interposition et non par l’apposition d’un nouveau terme qu’on démontre la conclusion, par conséquent, si une telle interposition pouvait se poursuivre à l’infini, il pourrait y avoir entre deux termes un nombre infini de moyens. Mais c’est là une impossibilité, s’il y a une limite pour la série des attributions tant ascendante que descendante. Or, qu’il y ait une limite, nous [84b] l’avons démontré, dialectiquement d’abord, et analytiquement à l’instant même.



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Ceci démontré, il est clair que si le même prédicat, A, appartient à deux termes, C et D, qui ne sont eux-mêmes attribués l’un à l’autre d’aucune façon, ou qui ne le sont pas universellement, ce prédicat ne leur appartiendra pas toujours selon un moyen terme commun. Par exemple, l’isocèle et le scalène possèdent la propriété d’avoir leurs angles égaux à deux droits selon un moyen terme commun : c’est en tant qu’ils sont l’un et l’autre une certaine figure que cet attribut leur appartient, et non pas en tant qu’ils diffèrent l’un de l’autre. Mais il n’en est pas toujours ainsi. Admettons, en effet, que B soit le terme selon lequel A appartient à C et à D : il est évident que B appartiendra à C et à D selon un autre terme commun, ce dernier selon un autre terme encore, de sorte qu’entre deux termes viendra s’intercaler une infinité d’intermédiaires. Or, c’est là une chose impossible. Ainsi il n’est pas toujours nécessaire que l’attribution d’un même prédicat à plusieurs sujets se fasse selon un terme commun, puisqu’il doit y avoir des intervalles immédiats. Mais il est nécessaire que les moyens termes rentrent dans le même genre et soient tirés des mêmes prémisses indivisibles, si l’attribut commun fait partie des attributs esentiels, car nous avons dit qu’il n’était pas possible de passer d’un genre à un autre dans les démonstrations.

Il est clair encore que, A étant à B, s’il y a un moyen terme on pourra démontrer que A appartient à B. En outre, les éléments de cette conclusion sont Ic.s prémisses contenant le moyen en question, et sont aussi nombreux que les moyens termes : c’est que 1rs propositions immédiates sont toutes des éléments, ou du moins celles qui sont universelles. Par foutre, s’il n’y a pas de moyen terme il n’y a plus de démonstration, mais on est là sur la voie des principes.

De même encore quand A n’appartient pas à B : s’il y a un moyen terme ou un terme antérieur à B, auquel A n’appartient pas, la démonstration est possible ; sinon, elle n’est pas possible, et on se trouve en présence d’un principe. Il y a, en outre, autant d’éléments que de moyens termes, puisque ce sont les prémisses qui contiennent ces termes qui sont les principes de la démonstration. Et de même qu’il y a certains indémontrables affirmant que ceci est cela, ou que ceci appartient à cela, ainsi il y en a d’autres qui nient que ceci soit cela, ou que ceci appartienne à cela : de sorte que, parmi les principes, les uns affirment que telle chose est telle chose, et les autres qu’elle n’est pas telle chose.

Quand nous avons à prouver une conclusion, il faut prendre un prédicat premier de B, C par exemple, et auquel A soit semblablement attribué. En continuant toujours de cette façon, la proposition ni l’attribut ne sont jamais pris en dehors de A dans la preuve, mais continuellement le moyen se resserre jusqu’à ce que les propositions soient devenues indivisibles et se réduisent à l’unité. Et il y a unité quand la prémisse devient immédiate, puisque la prémisse immédiate seule est une prémisse une, au sens absolu du mot. Et, de même que, dans les autres domaines, le principe est une chose simple, mais non pas le même dans tous les cas (pour le poids, c’est la mine, pour l’accord musical le demi-ton, et ainsi de suite), ainsi, dans le syllogisme, l’unité est une prémisse immédiate, et, dans la démonstration et la [85a] science, l’intellect.

Ainsi donc, dans les syllogismes qui démontrent l’inhérence d’un attribut, le moyen terme ne tombe jamais en dehors du majeur. Dans les syllogismes négatifs de la première figure, le moyen ne tombe jamais en dehors du majeur dont l’attribution est en question : quand on prouve, par exemple, que A n’est pas à B, par C ; car si C appartient à tout B, A n’appartient à nul C. Si on doit prouver qu’à son tour A. n’appartient à aucun C, il faut prendre un moyen entre A et C ; et on continuera toujours de cette façon.

Mais si nous devons prouver que D n’appartient pas à E, du fait que C appartient à tout D mais n’appartient à nul E ou n’appartient pas à quelque E, le moyen ne tombera jamais en dehors de E, et E est le sujet duquel il faut nier l’attribution de D.

Dans la troisième figure, le moyen ne s’avancera jamais en dehors du terme dont un autre doit être nié, ni en dehors du terme qui doit être nié.



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La démonstration étant, d’une part, soit universelle soit particulière, et, d’autre part, soit affirmative soit négative, la question se.pose de savoir quelle est la meilleure. La même question se présente au sujet de ce qu’on appelle la démonstration directe, et de la réduction à l’impossible. Pour commencer, examinons la démonstration universelle et la démonstration particulière. Ce point une fois éclairci, nous parlerons de la démonstration dite directe et de celle qui conduit à l’impossible.

On pourrait peut-être croire que la démonstration particulière est la meilleure, en raison des considérations suivantes :

La meilleure démonstration est celle qui nous fait plus connaître (ce qui est la vertu propre de la démonstration), et nous connaissons plus une chose quand nous la savons par elle-même que quand nous la savons par autre chose : par exemple, nous connaissons mieux le musicien Coriscus, quand nous savons que Coriscus est musicien que quand nous savons que l’homme est musicien. Il en est de même dans les autres cas. Or, la démonstration universelle prouve seulement qu’une chose autre que le sujet, et non pas le sujet lui-même, a tel attribut : par exemple, pour l’isocèle, elle prouve seulement que c’est le triangle, et non pas l’isocèle, qui possède telle propriété. La démonstration particulière, au contraire, prouve que le sujet lui-même a tel attribut. Si donc est meilleure la démonstration qu’un sujet, par soi, possède un attribut, et si telle est la nature de la démonstration particulière plutôt que celle de la démonstration universelle, il s’ensuivrait que la démonstration particulière est meilleure.

De plus, si l’universel n’est pas une chose qui existe en dehors des cas particuliers, et si néanmoins la démonstration conduit à l’opinion qu’il existe quelque chose qui fonde la démonstration et qu’une certaine entité existe dans la réalité : celle, par exemple, du triangle en dehors des triangles particuliers, de la figure en dehors des figures particulières, et du nombre en dehors des nombres particuliers ; si, d’autre part, la démonstration de ce qui est est meilleure que celle de ce qui n’est pas, et celle qui ne nous trompe pas que celle qui nous trompe, et si la démonstration universelle est bien de cette dernière espèce (on procède, en effet, dans cette démonstration comme dans l’argument que la proportion est définie ce qui n’est ni ligne, ni nombre, ni solide, ni surface, mais une chose à part de tout cela) ; si [85b] donc cette démonstration est plus universelle, et si elle s’applique moins à ce qui est que la démonstration particulière, et produit une opinion fausse, il s’ensuivra que la démonstration universelle est inférieure à celle qui est particulière.

Mais d’abord, est-ce que le premier argument ne convient pas moins bien à la démonstration universelle qu’à la démonstration particulière ? En effet, si l’égalité à deux angles droits est une propriété du sujet, non pas en tant qu’isocèle mais en tant que triangle, celui qui sait que l’isocèle possède cet attribut connaît moins le sujet par lui-même que celui qui sait que le triangle possède le dit attribut. En somme, si, le sujet ne possédant pas en fait un attribut en tant que triangle, on prouve qu’il le possède en tant que triangle, ce ne sera pas une démonstration ; si, au contraire, le sujet possède l’attribut en tant que triangle, c’est celui qui connaît un sujet d’attribution en tant qu’il est ce qu’il est, qui connaît le plus. Si donc le triangle est le terme le plus étendu, s’il y a du triangle une seule et même notion, autrement dit si le triangle n’est pas dit seulement par homonymie, et si l’égalité à deux droits appartient à tout triangle, ce n’est pas le triangle en tant qu’isocèle, mais bien l’isocèle en tant que triangle dont les angles sont ainsi. Il en résulte que celui qui connaît une attribution universelle la connaît davantage par soi que celui qui connaît une attribution particulière. La démonstration universelle est donc meilleure que la démonstration particulière.

De plus, s’il y a une seule et même notion, et non pas seulement une notion homonyme, de l’universel, l’universel existera, non pas moins que certaines choses particulières, mais bien davantage, en tant que les choses incorruptibles font partie des universaux et que les choses particulières sont plus corruptibles.

D’ailleurs, il n’y a aucune nécessité de supposer que l’universel est une réalité séparée des choses particulières parce qu’il signifie une chose une, pas plus qu’il n’est besoin de le supposer pour les autres choses qui ne signifient pas une substance, mais seulement une qualité, une relation ou une action. Si donc l’on fait une telle supposition, ce n’est pas la démonstration qui en est cause, mais bien l’auditeur.

Autre argument. Si la démonstration est le syllogisme qui prouve la cause et le pourquoi, c’est l’universel qui est plus cause (ce à quoi, en effet, appartient par soi un attribut est soi-même la cause de cette attribution ; or l’universel est sujet premier ; la cause, c’est donc l’universel). Par conséquent, la démonstration universelle est supérieure, puisqu’elle prouve mieux la cause et le pourquoi.

De plus, notre recherche du pourquoi s’arrête, et nous pensons alors connaître, quand le devenir ou l’existence d’une chose n’est pas dû au devenir ou à l’existence de quelque autre chose : la dernière étape d’une recherche ainsi conduite est dès lors la fin et la limite du problème. Par exemple : En vue de quoi un tel est-il venu ? Pour recevoir l’argent ; et cela, afin de rendre ce qu’il devait ; et cette dernière chose, afin de ne pas commettre d’injustice. Quand, en progressant ainsi, nous sommes parvenus à une chose qui n’est plus ni par une autre chose, ni pour une autre chose, nous disons que c’est pour cette raison, prise comme fin, qu’un tel est venu, ou que la chose est ou devient, et c’est alors seulement que nous disons avoir la connaissance la plus grande de la raison pour laquelle il est venu.

Si donc toutes les causes et tous les pourquoi sont semblables à cet égard, et si, dans le cas des causes finales telles que nous les avons exposées c’est bien de cette façon que nous connaissons le mieux, il s’ensuit que, dans le cas des autres causes aussi, nous atteignons à la connaissance la plus grande quand un attribut n’appartient plus à son sujet en vertu de quelque autre chose. Ainsi, quand nous connaissons que les angles externes sont égaux à quatre droits parce que le triangle auquel ils appartiennent est isocèle, il reste encore à savoir pourquoi l’isocèle possède cette propriété : c’est parce que c’est un triangle, et un triangle la [86a] possède parce qu’il est une figure rectiligne. Et si la figure rectiligne ne la possède plus pour aucune autre raison que sa propre nature, c’est à ce moment-là que nous avons la connaissance la plus grande. Mais notre connaissance est devenue universelle à ce même moment. La démonstration universelle est donc meilleure.

En outre, plus la démonstration devient particulière, plus elle tombe dans l’infini, tandis que la démonstration universelle tend vers le simple et la limite. Or, en tant qu’infinies, les choses particulières ne sont pas connaissables : c’est seulement en tant que finies qu’elles le sont. C’est donc plutôt en tant qu’universelles qu’en tant que particulières que nous les connaissons. Les universaux sont, par suite, plus démontrables ; et plus les choses sont démontrables, plus la démonstration s’y applique, puisque les relatifs croissent simultanément. Il en résulte que la démonstration universelle, étant plus une démonstration, est meilleure.

De plus, on doit préférer la démonstration qui nous fait connaître la chose et une autre chose encore, à celle qui nous fait connaître la chose seulement. Or, celui qui possède l’universel connaît aussi le particulier, tandis que celui qui connaît le particulier ne connaît pas l’universel. Il en résulte que, pour cette raison encore, la démonstration universelle est préférable.

Voici enfin un dernier argument. On peut mieux démontrer l’universel parce qu’on le démontre par un moyen terme qui est plus rapproché du principe ; et ce qu’il y a de plus rapproché, c’est la prémisse immédiate, qui se confond avec le principe lui-même. Si donc la démonstration qui part du principe est plus rigoureuse que celle qui n’en part pas, la démonstration qui se rattache plus étroitement au principe est aussi plus rigoureuse que celle qui s’y rattache moins étroitement. Or, la démonstration universelle étant précisément caractérisée par une plus étroite dépendance à son principe, la démonstration universelle sera la meilleure. Par exemple, s’il fallait démontrer A de D, avec B et C comme moyens termes : B étant le terme supérieur, la démonstration qui s’effectue par lui sera plus universelle.

Quelques-uns de ces arguments, cependant, ne sont que dialectiques. La preuve la plus claire de la supériorité de la démonstration universelle, c’est que, si, de deux propositions, nous possédons celle qui est antérieure, nous connaissons aussi, d’une certaine façon, celle qui est postérieure : nous la connaissons en puissance. Si on sait, par exemple, que tout triangle a ses angles égaux à deux droits, on sait d’une certaine façon, à savoir en puissance, que l’isocèle a aussi ses angles égaux à deux droits, même si on ne sait pas que l’isocèle est un triangle. Par contre, quand on possède la proposition postérieure, on ne connaît nullement l’universelle, ni en puissance ni en acte.

Disons enfin que la démonstration universelle est entièrement intelligible, tandis que la démonstration particulière se termine dans la sensation.



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Tels sont donc les arguments qui nous font préférer la démonstration universelle à la démonstration particulière.

Que maintenant la démonstration affirmative soit supérieure à la démonstration négative, voici comment on peut le faire voir.

Admettons que, toutes choses égales d’ailleurs, la démonstration la meilleure soit celle qui dérive d’un plus petit nombre de postulats ou d’hypothèses, autrement dit de prémisses. En effet, les propositions étant également connues, c’est par les moins nombreuses qu’on acquerra plus rapidement la connaissance, et c’est cela qui est préférable. L’argument impliqué dans notre assertion sur la supériorité dé la démonstration qui dérive d’un plus petit nombre de propositions, peut être envisagé d’une façon générale comme suit. Si dans un cas comme dans l’autre, les moyens sont connus, et si pourtant ceux qui sont antérieurs sont plus connus, nous pouvons supposer une démonstration, par les moyens BCD, que A appartient à E, et une autre, par FG, [86b] que A appartient à E. Alors l’attribution de A à D est connue au même degré que celle de A à E. Mais l’attribution de A à D est antérieure à celle de A à E, et plus connue qu’elle, puisque la dernière est prouvée par la précédente, et que ce par quoi on démontre est plus certain que ce qui est démontré.

Donc la démonstration qui s’effectue par un plus petit nombre de prémisses est la meilleure, toutes choses égales d’ailleurs. Maintenant, la démonstration affirmative et la démonstration négative se font l’une et l’autre par trois termes et par deux prémisses, mais tandis que la première assume seulement que quelque chose est, la seconde assume à la fois que quelque chose est et que quelque chose n’est pas ; elle opère donc par un plus grand nombre de prémisses ; par conséquent, elle est inférieure.

De plus, il a été démontré que deux prémisses toutes deux négatives ne peuvent produire aucun syllogisme, mais qu’il faut que l’une soit négative et l’autre affirmative. Nous sommes ainsi amenés à ajouter la règle suivante : à mesure que la démonstration s’étend, les propositions affirmatives deviennent nécessairement plus nombreuses, tandis qu’il est impossible qu’il y ait plus d’une proposition négative dans chaque raisonnement. Admettons, en effet, que A n’appartienne à aucune des choses auxquelles est B, et que B appartienne à tout C. S’il faut qu’à leur tour les deux prémisses soient développées, on doit intercaler un moyen : soit D, moyen de AB, et E, moyen de BC. Il est clair que E est posé affirmativement par rapport à B et à F, et D affirmativement par rapport à B, mais négativement par rapport à A : car D appartient à tout B, tandis que A ne doit appartenir à aucun D. On obtient ainsi une seule prémisse négative, savoir AD.

Même façon de procéder encore pour les autres syllogismes, parce que toujours, dans les termes d’un syllogisme affirmatif, le moyen est affirmatif par rapport aux deux extrêmes, tandis que, dans un syllogisme négatif, il faut nécessairement que le moyen soit négatif seulement par rapport à l’un d’eux, de sorte qu’il n’y a que cette seule prémisse qui soit négative, et que les autres sont affirmatives.

Si donc ce par quoi on démontre est plus connu et plus certain que ce qui est démontré, et si la proposition négative est prouvée par l’affirmative, et non l’affirmative par la négative, la démonstration affirmative, étant antérieure, mieux connue et plus certaine, sera la meilleure.

En outre, si le principe du syllogisme est la prémisse universelle immédiate, et si la prémisse universelle est affirmative dans la démonstration affirmative, et négative dans la démonstration négative ; si, en outre, l’affirmative est antérieure à la négative et plus connue qu’elle (puisque la négation est connue par l’affirmation, et que l’affirmation est antérieure, exactement comme l’être l’est au non-être), il en résulte que le principe de la démonstration affirmative est supérieur à celui de la démonstration négative: or la démonstration qui emploie des principes supérieurs est elle-même supérieure. Enfin, la nature de la démonstration affirmative se rapproche davantage de celle du principe, car sans démonstration affirmative il n’y a pas de démonstration négative.



26 modifier

La démonstration affirmative étant supérieure à [87a] la démonstration négative.est évidemment, par là même, supérieure aussi à la réduction à l’impossible !

Mais il faut d’abord bien connaître quelle est la différence entre la démonstration négative et la réduction à l’impossible. Supposons que A n’appartienne à nul B, et que B appartienne à tout C : il suit nécessairement que A n’appartient à nul C. Avec des prémisses de cette nature, la démonstration négative que A n’appartient pas à C sera directe.

Quant à la réduction à l’impossible, voici comment elle procède. Admettons que nous ayons à prouver que A n’appartient pas à B. Nous devons poser qu’il lui appartient, et en outre que B est à C, de sorte que le résultat est que A appartient à C. Mais admettons comme connu et accordé que c’est là une impossibilité. Nous en déduisons alors que A ne peut appartenir à B. Si donc on accorde que B appartient à C, il est impossible que A appartienne à B.

L’ordre des termes est le même dans les deux preuves. Elles diffèrent dans leur application, suivant que c’est l’une ou l’autre proposition négative qui est la plus connue, celle qui nie l’attribution de A à B, ou celle qui nie l’attribution de A à C. Quand c’est la conclusion que A n’est pas à C qui est la plus connue, c’est la démonstration par l’impossible qui joue ; quand, au contraire, c’est la prémisse du syllogisme, on a affaire à la démonstration directe. Mais, dans l’ordre naturel, la proposition que A n’appartient pas à B est antérieure à celle que A n’appartient pas à C, parce que les prémisses d’où est tirée la conclusion sont antérieures à la conclusion même, et que A n’appartient pas à C est la conclusion, et A n’appartient pas à B une des prémisses d’où se tire la conclusion. Car le résultat négatif auquel aboutit la réduction à l’impossible n’est pas une conclusion à proprement parler, ni ses antécédents, des prémisses. Bien au contraire : les éléments constitutifs du syllogisme sont des prémisses qui sont entre elles comme le tout à la partie, ou la partie au tout, tandis que les prémisses AC et AB ne sont pas dans un rapport de ce genre l’une à l’égard de l’autre.

Si donc la démonstration qui procède de prémisses mieux connues et antérieures est supérieure, et, bien que les deux démonstrations engendrent l’une et l’autre la conviction en partant de ce que quelque chose n’est pas, si cependant le point de départ de l’une est antérieur à celui de l’autre, il en résulte que la démonstration négative aura une supériorité absolue sui la réduction à l’impossible, et la démonstration affirmative étant elle-même supérieure à la démonstration négative, sera par suite évidemment supérieure aussi à la réduction à l’impossible.



27 modifier

Une science est plus exacte et antérieure, quand elle connaît à la fois le fait et le pourquoi, et non le fait lui-même séparé du pourquoi.

De plus, la science qui ne s’occupe pas du substrat est plus exacte que celle qui s’occupe du substrat : par exemple, l’Arithmétique est plus exacte que l’Harmonique. De même, une science qui est constituée à partir de principes moins nombreux est plus exacte que celle qui repose sur des principes résultant de l’addition : c’est le cas de l’Arithmétique, qui est plus exacte que la Géométrie. Par résultat de l’addition, je veux dire que, par exemple, l’unité est une substance sans position, tandis que le point est une substance ayant position : cette dernière, je l’appelle un résultat de l’addition.



28 modifier

Une science une est celle qui embrasse un seul genre, c’est-à-dire tous les sujets constitués à partir dos premiers principes du genre (autrement dit, les parties de ce sujet total), et leurs propriétés essentielles.

Une science diffère d’une autre quand leurs principes, ou bien n’ont pas une origine commune, ou bien ne dérivent pas les uns des autres. La preuve [87b] en est, c’est que, quand on arrive aux prémisses indémontrables d’une science, elles doivent être contenues dans le même genre que les conclusions qui en sont démontrées ; et la preuve de ceci, à son tour, c’est que les conclusions démontrées par ces prémisses rentrent dans le même genre, autrement dit sont homogènes.

29 modifier

Il peut y avoir plusieurs démonstrations d’une même conclusion, non seulement en empruntant à la même série un moyen non-continu, par exemple C, D ou G, séparément, moyens de A et B, mais encore en l’empruntant à une autre série. Admettons, par exemple, que A signifie changer, à subir une altération, B avoir du plaisir, et F se reposer. On peut avec vérité attribuer D à B, et A à D, car celui qui a du plaisir subit une altération, et ce qui subit une altération change. A son tour, A peut être attribué avec vérité à F, et F à B, car tout homme qui a du plaisir se repose, et celui qui se repose change. Par conséquent, le syllogisme peut avoir lieu par des moyens termes qui soient différents, autrement dit qui n’appartiennent pas à la même série ; mais non pas cependant au point qu’aucun de ces moyens ne soit prédicable de l’autre, car il faut nécessairement que tous deux appartiennent à un seul et même sujet.

Un autre point mériterait aussi d’être examiné : c’est, dans les autres figures, de combien de façons ou peut obtenir une même conclusion par syllogisme.



30 modifier

De ce qui relève du hasard il n’y a pas de science par démonstration. En effet, ce qui dépend du hasard n’arrive ni par nécessité, ni le plus souvent, mais se produit en dehors de ces deux ordres de faits. Or, la démonstration s’applique seulement à l’un ou à l’autre d’entre eux, car tout syllogisme procède par des prémisses nécessaires ou simplement constantes, la conclusion étant nécessaire si les prémisses sont nécessaires, et seulement constante si les prémisses sont constantes. Par conséquent, puisque le fait de hasard n’est ni constant ni nécessaire, la démonstration, ne s’y appliquera pas.



31 modifier

Il n’est pas possible non plus d’acquérir.par la sensation une connaissance scientifique. En effet, même si la sensation a pour objet une chose de telle qualité, et non seulement une chose individuelle, on doit du moins nécessairement percevoir telle chose déterminée dans un lieu et à un moment déterminés. Mais l’universel, ce qui s’applique à tous les cas, est impossible à percevoir, car ce n’est ni une chose déterminée, ni un moment déterminé, sinon ce ne serait pas un universel, puisque nous appelons universel ce qui est toujours et partout. Puis donc que les démonstrations sont universelles, et que les notions universelles ne peuvent être perçues, il est clair qu’il n’y a pas de science par la sensation. Mais il est évident encore que, même s’il était possible de percevoir que le triangle a ses angles égaux à deux droits, nous en chercherions encore une démonstration, et que nous n’en aurions pas (comme certains le prétendent) une connaissance scientifique : car la sensation porte nécessairement sur l’individuel, tandis que la science consiste dans la connaissance universelle. Aussi, si nous étions sur la Lune, et que nous voyions la Terre s’interposer sur le trajet de la lumière solaire, nous ne saurions pas la cause de l’éclipse : nous percevrions qu’en ce moment il y a éclipse, [88a] mais nullement le pourquoi, puisque la sensation, avons-nous dit, ne porte pas sur l’universel. Ce qui ne veut pas dire que par l’observation répétée de cet événement, nous ne puissions, en poursuivant l’universel, arriver à une démonstration, car c’est d’une pluralité de cas particuliers que se dégage l’universel.

Mais le grand mérite de l’universel, c’est qu’il fait connaître la cause ; de sorte que, pour ces faits qui ont une cause autre qu’eux-mêmes, la connaissance universelle est fort au-dessus des sensations et de l’intuition (en ce qui concerne les principes premiers, la raison est toute différente). Il en résulte clairement qu’il est impossible d’acquérir par la sensation la science de ce qui est démontrable, à moins d’appeler perception le fait d’avoir la science par démonstration.

Pourtant certains problèmes ne peuvent se ramener pour leur explication, qu’à une imperfection de la sensation. Il y a, en effet, des cas où un acte de vision mettrait fin à toute recherche ultérieure, non pas que nous connaîtrions par le seul fait de voir, mais parce que nous aurions, de l’acte de la vision, dégagé l’universel. Si, par exemple, nous voyions les pores du verre et la lumière passer au travers, il est évident que nous aurions la raison de la transparence, parce que, voyant ce phénomène se répéter séparément pour chaque verre, nous comprendrions en même temps que dans tous les cas il en est ainsi.



32 modifier

Les principes ne peuvent pas être les mêmes pour tous les syllogismes.

On peut le montrer d’abord par des considérations purement dialectiques.

Certains syllogismes sont vrais, et d’autres faux. En effet, bien qu’on puisse conclure le vrai de prémisses fausses, pourtant cela n’arrive qu’une fois. Je veux dire que si A, par exemple, est vrai de C, et si le moyen B est faux (l’attribution de A à B, et celle de B à C étant fausses l’une et l’autre), pourtant si des moyens sont pris pour prouver ces prémisses, elles seront fausses, parce que toute conclusion fausse a des prémisses fausses, tandis que des conclusions vraies ont des prémisses vraies et que le faux et le vrai diffèrent en réalité.

En outre, les conclusions fausses ne dérivent même pas toujours de principes identiques entre eux, puisque sont fausses et les choses qui sont contraires les unes aux autres et celles qui ne peuvent pas coexister : par exemple, la justice est injustice et la justice est lâcheté ; l’homme est cheval et l’homme est bœuf ; l’égal est plus grand et l’égal est plus petit.

Mais en partant des principes que nous avons établis, on peut tirer la preuve suivante. Les conclusions vraies ne reposent même pas toutes sur les mêmes principes ; pour beaucoup d’entre elles, les principes diffèrent génériquement et ne sont pas interchangeables entre eux : par exemple, les unités ne peuvent pas prendre la place des points, car les premières n’ont pas de position, et les derniers en ont une. Il faudrait au moins que les termes s’adaptassent soit comme moyens, soit vers le haut, soit vers le bas, ou bien les uns à l’intérieur et les autres à l’extérieur des extrêmes.

Mais certains des principes communs ne sont pas susceptibles non plus de servir comme prémisses pour démontrer toutes conclusions (j’appelle « principes communs », par exemple le principe suivant lequel il faut, en toute chose, affirmer ou nier) : [88b] c’est que les genres des êtres sont différents, et certains attributs appartiennent aux quantités, tandis que d’autres appartiennent aux qualités seulement, déterminations par lesquelles s’accomplit la démonstration avec l’aide des principes communs. En outre, les principes rie sont pas beaucoup moins nombreux que les conclusions, car les principes ce sont les prémisses, et les prémisses sont formées soit par l’apposition, soit par l’interposition d’un terme. De plus, les conclusions sont en nombre infini, bien que les termes soient en nombre fini. Enfin, certains principes sont nécessaires, et d’autres contingents.

En considérant donc les choses de cette façon, il apparaîtra qu’il est impossible que les principes soient identiques ou limités en nombre, puisque le nombre des conclusions est infini. Si, d’autre part, employant en quelque sorte l’identité en un autre sens, on dit, par exemple, que ces principes-ci sont ceux de la Géométrie, tels autres du Calcul, tels autres encore de la Médecine, cela veut-il dire autre chose que le fait qu’il y a des principes divers pour les diverses sciences ? Les appeler identiques parce qu’ils sont identiques à eux-mêmes serait ridicule, car toute chose peut-être identifiée avec toute chose de cette façon-là. Pas davantage, soutenir que n’importe quelle conclusion se démontre à partir de tous les principes possibles, n’est rechercher si les principes sont les mêmes pour toutes choses : ce serait par trop simpliste, car cela n’arrive pas dans les sciences de l’évidence, et n’est pas non plus possible dans l’analyse syllogistique, puisque ce sont les prémisses immédiates qui sont les principes, et qu’une conclusion différente s’obtient seulement en ajoutant une nouvelle prémisse immédiate. Et si on dit que ce sont ces premières prémisses immédiates qui sont principes, c’est qu’il y en a une dans chaque genre.

Si cependant on ne prétend pas que de toutes les prémisses possibles n’importe quelle conclusion puisse être prouvée, et qu’on n’admette pourtant pas que les principes sont différents au point d’être différents pour chaque science, il reste alors à examiner si, tandis que les principes de toutes les conclusions sont dans un même genre, telles conclusions spéciales ne seraient pas prouvées par telles prémisses spéciales, et telles autres par telles autres. Mais il est clair que, là encore, Cela n’est pas possible, puisqu’il a été démontré que les principes des choses génériquement différentes sont eux-mêmes génériquement différents. Les principes sont, en effet, de deux sortes : ceux à l’aide desquels se fait la démonstration, et le genre qui est son sujet. Et bien que les principes à l’aide desquels on démontre soient communs, les autres, les genres-sujets, sont propres, tels, par exemple, le nombre et la grandeur.



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La science et son objet diffèrent de l’opinion et de son objet, en ce que la science est universelle et procède par des propositions nécessaires, et que le nécessaire ne peut pas être autrement qu’il n’est. Ainsi, quoiqu’il y ait des choses qui soient vraies et qui existent réellement, mais qui peuvent être autrement, il est clair que la science ne s’occupe pas d’elles : sinon, les choses qui peuvent être autrement ne pourraient pas être autrement. Ces choses-là ne sont pas non plus objet d’intuition (j’entends par « intuition » un principe de science), ni de science non-démonstrative, qui consiste dans l’appréhension de la prémisse immédiate. Puis donc que la raison, la science et l’opinion, et ce qu’elles expriment, peuvent être [89a] vraies, il reste, par conséquent, que l’opinion s’applique à ce qui, étant vrai ou faux, peut être autrement qu’il n’est : en fait, l’opinion est l’appréhension d’une prémisse immédiate et non-nécessaire. Cette manière de voir est d’ailleurs en accord avec les faits observés, car l’opinion est chose instable, et telle est la nature que nous avons reconnue à son objet. En outre, jamais on ne pense avoir une simple opinion quand on pense que la chose ne peut être autrement : tout au contraire, on pense alors qu’on a la science. Mais c’est quand on pense que la chose est seulement ainsi mais que rien n’empêche qu’elle ne puisse être autrement, qu’alors on pense avoir une simple opinion, car on croit que tel est l’objet propre de l’opinion, tandis que le nécessaire est l’objet de la science.

En quel sens alors la même chose peut-elle être objet à la fois d’opinion et de science ? Et pourquoi l’opinion n’est-elle pas science, si on pose que tout ce qu’on sait peut aussi être objet d’opinion ? En effet, celui qui sait et celui qui a l’opinion poursuivent le même chemin par les mêmes moyens termes jusqu’à ce qu’ils parviennent aux prémisses immédiates, de sorte que s’il est vrai que le premier possède la science, le second, tout en n’ayant qu’une opinion, possède aussi la science ; il est possible, en effet, d’avoir une opinion non seulement sur le fait, mais encore sur le pourquoi : or le pourquoi, c’est le moyen. Ne serait-ce pas que si on appréhende les vérités qui ne peuvent pas être autrement, de la façon dont on saisit les définitions par lesquelles ont lieu les démonstrations, on n’aura pas une opinion mais une science ; mais que, si tout en les appréhendant comme vraies ce ne soit pas cependant comme liées substantiellement et essentiellement au sujet, on possédera une opinion et non pas une science véritable, cette opinion, au surplus, portant et sur le fait et sur le pourquoi, quand elle est obtenue par des prémisses immédiates, tandis que si elle n’est pas obtenue par des prémisses immédiates elle ne portera que sur le fait ?

Mais l’objet de l’opinion et de la science n’est pas absolument identique : de même que l’objet de l’opinion fausse et celui de l’opinion vraie peuvent être le même en un certain sens, c’est de cette même façon que l’objet de la science et celui de l’opinion peuvent aussi être le même. Prétendre, en effet, que l’opinion vraie et l’opinion fausse ont le même objet au sens où certains l’entendent, cela conduit entre autres absurdités à admettre que n’a pas d’opinion celui qui a une opinion fausse. En réalité, le terme identique a plusieurs sens : en un sens, l’objet de l’opinion vraie et de l’opinion fausse peut être le même, mais en un autre sens il ne peut l’être. Ainsi, avoir l’opinion vraie que la diagonale est commensurable est absurde ; mais, étant donné que la diagonale à laquelle les deux opinions s’appliquent est la même, les deux opinions ont, en ce sens, un seul et même objet : seulement, l’essence exprimée dans la définition n’est pas la même dans chaque cas. Il en est de même pour l’identité de l’objet de la science et de l’opinion. La science appréhende l’attribut anima/, par exemple, de telle sorte qu’il ne peut pas ne pas être animal ; pour l’opinion, au contraire, l’attribut aurait pu être autre qu’il n’est. C’est, par exemple, dans le premier cas, l’appréhension d’animal comme un élément essentiel de l’homme ; dans le second, l’appréhension d’animal comme un attribut de l’homme, mais non comme un élément essentiel de l’homme. De part et d’autre le sujet est le même, puisque c’est l’homme, mais le mode de connaissance n’est pas le même.

Il résulte manifestement de ceci que la même chose ne peut pas simultanément être objet d’opinion et objet de science : car alors, on saisirait la même chose à la fois comme pouvant et ne pouvant pas être autrement qu’elle n’est, ce qui n’est pas possible. La science [89b] et l’opinion d’une même chose peuvent bien coexister dans des esprits différents au sens que nous avons indiqué, mais non simultanément dans la même personne : en effet, on appréhenderait simultanément, par exemple, d’une part que l’homme est essentiellement animal (c’était là ce qu’on entendait en disant qu’il ne peut être autre qu’animal), et d’autre part que l’homme n’est pas essentiellement animal, car c’est là ce que signifierait pouvoir être autre qu’animal.

Pour le reste, à savoir les distinctions qu’il convient d’établir dans la pensée discursive, l’intuition, la science, l’art, la prudence, la sagesse, ce sont là des questions qui relèvent de préférence, les unes de lu Physique, les autres de l’Éthique.



34 modifier

La vivacité d’esprit est la faculté de découvrir instantanément le moyen terme. C’est le cas, par exemple, si en voyant que la Lune a son côté brillant toujours tourné vers le Soleil, on comprend aussitôt la cause de ce phénomène, savoir qu’elle reçoit sa lumière du Soleil ; ou si, en observant quelqu’un en train de parler avec un homme riche, on devine qu’il lui emprunte de l’argent ; c’est encore le fait de deviner que ce qui rend deux personnes amies c’est qu’elles ont un ennemi commun. Dans tous ces exemples, il a suffi de voir les extrêmes pour connaître aussi les moyens termes, qui sont les causes.

On peut désigner par A le côté brillant est tourné vers le Soleil, par B tirer sa lumière du Soleil, et par C la Lune. Alors B, tirer sa lumière du Soleil, appartient à C, la Lune, et A avoir son côté brillant tourné vers la source de sa lumière, à B. Ainsi A est attribué à C par B.