Santez Trifina/Préface

Traduction par Taldir Élément soumis aux droits d’auteur..
(p. 6-19).
DISCOURS


prononcé par


Gaston PARIS


Membre de l’Académie Française, le 14 Août 1898


aux Fêtes de Ploujean[1]


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Mesdames, Messieurs,

Mon premier mot doit être un mot de remerciement pour les organisateurs de cette belle fête, qui m’ont fait le grand honneur de m’inviter à la présider. Cet honneur, je ne l’ai reçu sans un certain étonnement. Rien ne me désignait, semblait-il, pour en être l’objet. Champenois de naissance, Parisien de vie, et depuis quelques années Normand d’adoption, quels titres avais-je à présider cette réunion essentiellement bretonne ?… J’en avais cependant, et mes amis Le Braz et Le Goffic, en me faisant appeler au milieu de vous, savaient bien qu’ils touchaient une des fibres intimes de mon coeur. Depuis plus de trente ans, j’ai été préoccupé par ce qu’on appelait un moyen âge la « matière de Bretagne » ; j’ai cherché curieusement, à l’aide des vieux textes ou des traditions vivantes, cette source mystérieuse, jaillie du vieux sol celtique, qui, épandue tout à coup à partir du onzième siècle, a fécondé toutes les littératures modernes et verse encore dans notre poésie, sans que celle-ci le plus souvent s’en doute, sa fraîcheur inépuisable et sa saveur enivrante et fine. J’ai passé bien des années de ma vie, comme mon compatriote Chrétien de Troyes, à rêver le rêve breton en compagnie d’Arthur, de Guenièvre, de Merlin et de Tristan. J’ai, comme le Normand Wace, visité la forêt de Brocéliande, pour y vénérer les chênes prophétiques et les fontaines enchantées. J’ai essayé de retrouver les notes oubliées de la harpe, de la rote de vos vieux chanteurs, et de les rendre familières, comme jadis, à l’oreille des Français, qu’elles ont tant ravie…

La Bretagne était pour moi une terre de féérie : vous en avez fait une terre vivante et aimée. Je vous dis ma profonde reconnaissance pour m’y avoir attiré. Je rougissais de n’avoir pas, au cours d’une vie déjà longue, vu ce pays qu’on n’oublie pas dès qu’on l’a regardé, qui nous remplit l’âme de sa poésie mélancolique, et qu’il faut connaître de près, ainsi que ses habitants, pour comprendre ce qu’il a produit. Si, d’une part, il a bien réalisé, par ses aspects et par ses monuments, l’idée que je m’en faisais de loin, il me réservait, d’autre part, dans la fête d’aujourd’hui, une de ces surprises dont il est coutumier.

La Bretagne est, en effet, le pays des surprises. Elle est taciturne, et ne livre pas facilement ses secrets. Elle ressemble à. une grande nappe d’eau tranquille fi. la surface, mais da.ns les profondeurs de laquelle des sources frémissantes s’échappent sous terre et vont au loin féconder les plaines et produire de majestueux cours d’eau. Depuis l’arrivée dans la péninsule armoricaine des immigrants venus de la grande ile celtique jusqu’au seixieme siècle, la Bretagne semble tout a fait muette : pas un poème, pas un écrit en langue bretonne ne s’oll’i-e ai. nous pendant mille ans, et cependant, c’est l’époque ou l’action de l’esprit breton sur le monde a été la plus merveilleuse. On dispute aujourd’hui avec passion en

France, en Angleterre, en Allemagne, pour savoir si la poésie arthurienne, — qui, sous tant de rapports, est la mère de la poésie moderne, — est d’origine continentale ou insulaire xcela n’est, au point de vue ou nous nous plaçonsaujourd’hui, que de peu d’importanec ; qu’ils fussent nés dans votre province on dans les régions restées celtiques de l’Angleterre, les conteurs et les chanteurs bretons qui promenèrent dans le monde féodal le charme aussi nouveau qu’en chanteur de leur poésie et de leur musique étaient des Bretons : recueillis par les Français ou par les Anglo-Normands, les (ais Zwetoics ont tous-le même caractère, la même profondeur de sentiment, les mêmes données merveilleuses, la même inspiration à la fois tendre et idéale, la même nostalgie d’un bonheur surhumain, la même exaltation d’amour, la même union intime avec la nature.

La Bretagne armoricaine a certainement eu sa grande part dans cette éblouissante révélation d’une poésie nouvelle, et cependant, je le répète, nous ne le savons que parle témoignage des peuples à qui elle l’a communiquée. Direetenient, nous n’avons d’elle, pendant tout le moyenage, aucune manifestation de cette poésie qu’elle apprenait aux autres, et il a fallu attendre des siècles pour que toutes les merveilles de l’imagination et de la sensibilité bretonnes vinssent trouver dans un Chateaubriand ou dans un Renan des interprètes qui les tissent resplendir de tout leur éclat et, encore ne fut-ee pas dans la vieille langue des aïeux, qui n’avait pas su se maintenir en dehors du peuple.

Dans ce peuple même, une autre surprise nous attendait. La poésie des gwerziou et des soniou, si admirablement expliquée à nos contemporains par un

de ceux qui m’écoutent, par celui qui l’a le mieux sentie et reproduite, a été pour nous une nouvelle révélation de l’:’une bretonne, et cette révélation nous apparaît plus pure e-t plus belle depuis qu’on l’a débarrassée de tout ce qui en avait tardé la sincérité. Ces chansons populaires du pays breton, dont on ne soupçonnait pas l’existence il v a un siècle, ont pris place côté de celles de l’Écosse, des pays scandinaves, de l’Allemagne et de la France comme une des manifestations vraiment originales de cette faculté poétique qui distingue. les peuples noblement doués et dont la variété spontanée marque si profondément la physionomie de chacun d’eux.

La Bretagne ancienne, la Bretagne d’aujourd’hui réservait bien d’autres surprises à ceux qui les abordent. Je viens d’en avoir une aujourd’hui. Le spectacle que vous nous avez donné m’a singulièrement frappé. Ce n’est pas évidemment l’œuvre que nous avons vu représenter qui en elle-même peut revendiquer une signification très haute : c’est l’œuvre bien humble, bien truste, bien gauche de quelque pauvre maître d’école du dix-huitième siècle, qui s’est borné si mettre en dialogue le récit d’un hagiographe1e.un peu plus ancien. Du theme si poétique de la ville d’]s engloutie pour ses crimes, il n’a rien su tirer qui réponde le moins du monde à ce qu’on pourrait attendre. Le seul intérêt de sa pièce est dans l’attrait qu’elle a eue, qu’elle garde encore pour ses compatriotes, et cet attrait s’explique tout entier par la toi dont ils sonfianimés, comme elle en est remplie. On trouve toujours en Bretagne des hommes qui s’enthousiasment pour les vieilles expressions de la piété nationale et qui sont heureux de les incarner. C’est la tintérêt puissant da la représentation d’aujourd’hui et des représentations analogues Nous n’avons pas ail’uire ici a quelque chose de factice. Ces acteurs populaires, vous n’ètes pas allés les former, vous les avez découverts dans le peuple, et vous n’avez fait que leur demander de nous admettre a l’un de leurs familiers exercices. C’est là, Messieurs, un fait des plus remarquables et qui, »- sauf peut—ètre VI

à Oberammergau et dans de tout autres conditions, - n’a pas, sije ne me trompe, son analogue dans Vlilurope moderne. Des paysans, des artisans, jouant pour leur plaisir et leur eilitictition, sans. se soucier ni de liuere ni de succès, des œuvres ou se sati’st’a.it et sex ulto leur foi naïve, c’est un plienoinene qu’on ellereliei·.iit, on vain ailleurs qu’en Bretagne, (716Ãt une de ces surprises, auxquelles avec vous il tout toujours s’attendri, mais qui ne laissent pas d’émerveiller ceux qui elles se menitestent soudainement. Celle-oi peut être si, ngiilii’ »·· rement teconde. De bien des côtés aujouril’l’iui on initolame un art populaire, un nrt qui ne soit pas un.n-titice, comme l’est tïitelement devenuicelui de notre elite intellectuelle et sooiale. Dans un livre qui est Si, la. t’ois génial et enfantin, le comte Léon Tolstoï vient de poser, ee grand probleme, et. après avoir jeté le plus violent, anatbeme à l’art moderne tel qu’on le eoinprenil, :1 trace le tableau de ne que sera l’art de l’avenir. Les acteurs de Ploujesin seraient certainement pour lui iles collaborateurs bienvenus. Mais il leur demanderait, ai. eux et à leurs pareils, de ne pas se borner 51. représenter les produotionsd’une époque déjà bien loin de nous. D’après sa profonde définition, l’art est le moyen qu’ont les hommes de imsmeii, ieet des sentiments, et le seul bon art, le seul grand art est celui qui exprime la roli » gion d’une société, en prenant le mot dans son sens le plus large, les rapports des hommes avec l’intini et entre eux. La trag-ei, !ie de Sami-Gzoe“noZe’et les ieuvres analogues expriment la religion d’un autre age. l\^|, ii-i puisque la oapacite de sentir et de rendre la t’oi-ine dramatique des idées religieuses est dons lltine itu peuple breton, pourquoi ne s’emploierait-elle pas ai interpréter des œuvres inspirées par ce qui, d’api·.’es Tolstoï, est la religion de notre temps, t’union des hommes avec Dieu et en ltieu ? Il me semble qu’il y a, là, pour les poëtes bretons, une incitation zi proiliiiro des œuvres qui pourront renouveler non seulement. le théâtre breton, mais le théâtre en général, des n-iivi-es religieuses au sens que je viens d’indiquer, et qui, comme les vieux Mystères, seraient jouées pir dos aoteurs populaires et éeoutées par le peuple breton. nous venons d’en être témoins, — avec un sentiment vraiment religieux. S’il en devait être ainsi, le M aout 1898 marquerait une date mémorable dans l’liist, oii-o ilo la rénovation poétique, et on viendrait, un jour, en pèlerinage à Ploujean pour y saluer le modeste berceau de ce grand théâtre populaire que les sieoles prochains verront peut-être se constituer.

Cüest toujours, en effet, en se rattaebant aux tre, diVII

tions, eux survivances dupnssé que l’uvenir peut se fonder et se développer..

M. Il’heodore llotrel, qui nous il full hier et aujourd’hui bien du plziisier zivee ses ehnnsons, u trouvé, dans la Ciïoe//e MIS, un symbole des plus heureux et des plus signifieuiils. Oui, nz. cloehe engloutie, mais qui vibre encore, il lnut uller lu, chereher duns les profondeurs du passe où elle est enlouie, il lkiut lzi rapporter un jour, toute siunatiliee pur les beneilnttions des vieux’rites, toute prete uux iusliiutions nouvelles. Il faut qu’elle sonne ces notes eluircs et profoniles dans le ourillon des temps qui se lèvent, cles temps dont, miiigre de sourds nuages à Yliorizon, nous croyons voir poindre l’uurore. Je dis ri Set [mie >>. ii2il’ce (jill’lll©ll seru < ’©l11p©sÉ¢ des sons de bien ilesirloizlies d’urgent, d’or, de bronze et de i’er, eluieune ilislinete, foules unies ; et <:’est de ces hairinoniques infiniment ; vuriees que se feru le timbre grandiose et piiisseiiit.

’l’l’êlVillll4’[. Messieurs, vous qui uvezsous 1 ::, muin les dons in=’·puisu, bles et toujours renouvelés de Voire terre et ile votre mee, lr ;, nvuillex ix. les ineltre en valeur. lziissex pis se perure de bonnes pvolonles comme celles que nous venons ele voir 2’1 l’oeuvre. Faites que lu fête i.l’uujoiu-il’luii soit le point de ilepurt rl’un ll’l©ll\’(3l’ll4"lli qui peut être. romine il y zi huit siècles, l’e«<ond bien un (lelu ile lu liretzigne. fin remercient et en lelieilunt bien vivement veux qui ont en l’i«lee de cette fête, et si qui elle doit (sl’2t\’O11e si bien réussi, en expriment une «lerniiÈ·re lois :’¤, veux qui ont pris purt zi lu représen-Lzalion liri lenneloule ln, szalislnetioii q ne nous onteuusee leur rilll(îiÃl’ill’l et leur inLelli ; ;1en<we. je lorine ici le voeu que <:<·li.e journée perle en elle les prémices d’une renouvelle. ou non seulement on joueru les vieilles prorlui, —r lions ur.: illiil, ll]lll’S bretonnes. maiis ou on en représentera ele nouvelles, huiles pour le peuple duns un esprit vraiment religieux.

Je leve inon verre il lhivenir (lu tliezilre breton. V

llil

i, î’ @3* VIII

Mon cher Cloaree,

’ Les grandes solennités dramatiques qui se sont déroulées, dans l’été de 1898, à Ploujean d’abord, puis a Tréguier, ont définitivement consacré la renaissance du théâtre populaire breton. Il est à présumer que le mouvement dont elles ont été le point de départ ne s’arrêtera plus. La troupe qui a porté le poids et il qui revient l’honneur de ces imposantes manifestations initiales ne semble nullement disposée à laisser s’endormir son zèle. La pi-e¤iiei-e campagne était a peine terminée, qu’elle se préoccupait d’en préparer une seconde. Encouragée, soutenue, guidée par M., Cdoarec dont on ne louera jamais assez le dévouement, aussi actif que désintéressé, à la cause des lettres brel, ouues, elle a mis ai l’étude un nouveau spectacle qui ne peut manquer de trouver ai la scène un accueil encore plus flatteur, si possible, que celui fait iiagtieie au ll] !/N/(È/’C de Saint Grcéwole’.

Ce spectacle sera en partie composé de la pièce que nous présentons aujourd’hui au public. Le sujet en est emprunté a1’aama-ai>ie légende de Sainte’l’repli i i ie, si riche de matière celtique, et qui est en même temps d’un pathétique si lZll’§ ’(o’, si humain. On sait qu’elle a inspiré jadis un de nos Mysteres les plus justement réputés, lequel, recueilli et publie par le vénéré M. Luzel, n’a cessé de jouir dans nos campagnes d’une popularité presque sans égale. Mais l’on sait aussi que ce Mystere, après avoir joué avec succès au Congres de Saint-Brieuc, en 1857, sije ne me trempe, subit Morlaix, en 1888, l’échec le plus piteux. tie lut un vrai désastre, et qui faillit compromettre En tout jamais non seulement le prestige de la pièce €ll©—lll<ë, lllt), mais les destinées du théâtre breton tout entier. Le soufflet fut tel, en ell’et, que notre muse tragique en resta pour morte. Elle n’était heureusement qu’élourdie, comme l’a prouvé l’éclatante revanche de l.’lou, le2m. Le procès de Sainte Treîp/une toutefois demei.u-erait a réviser. lt va l’être, espérons le grâce au merveilleux entrain de la troupe de Park, grâce aussi peut-être aux changements qui ont été pratiqués, aux coupures qui ont été introduites dans le Mystere primitif. Les œuvres de nos vieux bardes ne brillent, il laut bien le dire, ni par l’entente dramatique, ni par l’expression. Elles sont pleines de longueurs ; sans cesse elles s’al’l’ublent gauchement des oripeaux eutantins d’une rhétorique barbare ; et surtout, si de place en place éclatent de vraies beautés, la langue le plus souvent est terne, plate, dil’l*use, embroussaillée de mots trancais qui lui donnent l’aspect d’une espèce IX

de patois informe. Ces défauts n’avaient que trop choqué dans Saint Gwwmote’. On a voulu qu’il en subsistât le moins possible dans Sainte ïweëylzme. M. Cloaree Ht appel aux lumières de Charles Guennou. Il ne pouvait s’adresser mieux. Parmi nos poëtes de langue bretonne, il en est peu qui possèdent avec une plus entière maitrise toutes les ressourees de leur instrument. Quoique éloigne de sa province, Guennou est reste en communication constante avec le génie natal. Son âme ne s’est jamais depaysee. Toutes les voix de la terre arnuorieaine ont eompe enchante son exil. Et il y a conserve une ptaae d’inspii-at-ion vrai-, s ment singulière. Son vers est large, sonore, tout bruissant, dirait-on, des harmonies de la mer tregorreise, et l’on y respire au passage les plus penetran— ’ tes odeurs de nos greves et de nos landiers. Joignez que la verve enthousiaste. la longue debridée de nos antiques ehanteurs populaires revit en ce contemporain. Un mois lui a sufii pour récrire d’un bout l’aut.re, disons mieux, pour refondre complètement ee drame auquel il ne s’agissait, dans le principe, que d’apporter quelques retouolies. Il a respecte la marche de l’action, sans doute, mais en Yallegeant ; et, s’il s’est contente d’aeeuser les traits des protagonistes. en revanche, il ne s’est pas fait faute de modifier prot’ondement les personnages secondaires on même d’en introduire de nouveaux. C’est donc une oeuvre toute dit fer ente qu’il nous donne iai et, a proprement parler, originale. Par la recoit un eomineneemeïzt de satistactioii le vœu que M. Gaston Paris exprimait naguère, aux têtes de Pâouiean, lorsqu’il souhaitait ° de voir sncceder aux pièces quelque peu surannées de notre ancien répertoire une il oraison dramatique nouvelle. imprègnee du même partum de terroir et nourrie des même seves, mais animee, vivitiee par un esprit plus moderne.

Si je suis bien informé, au Mystère que M. Guennou s’est employé à rajeunir de la sorte doit faire suite, dans le spectacle futur, une comédie paysanne de M. Jaffrennou. Cette autre innovation ne sera, certes, ni la moins heureuse, ni la moins favorablement accueillie. L’avenir de notre theâtre populaire se présente désormais sous les meilleurs auspices. Grâces en soit rendues à tous ceux qui, de près ou de loin, y ont aidé. Ce n'est encore, si l’on veut, qu’une oeuvre de régénération littéraire, mais qui peut, qui doit devenir une œuvre de salut social.

A. LE BRAZ.

Stang-ar-C'hoat, 15 juin 1899. X

Mon cher Cloaree, .

Vous voulez qu’après notre éminent maître, M. Gaston Paris, qui préside l’an passe ces belles fêtes de Ploujiean ou le théâtre breton, nouveau l, azare, secona la poussière du tombeau et reparut triornplialeinenl, au grand jour de la place publique, Le Braz et moi, qui fûmes vos collaborateurs immédiats dans cette oeuvre de pieuse exaltation, nous inscrivions nos £«.·.~tzmonm respectifs en tête de la Vie de Sainte’1’rzip/mt«·, seconde en date des pièces du répertoire pioaicatiitiit. Une autre pièce, le Botwgeoix Vrm2’tctt : » ;·, accompagnera A sur l’ai’tiche la Vie de Semic-T »7ep/time. Mais ce n’rsl, qu’un lever de rideau. Jene la connais point ; je sans seulement qu’elle est de Fraingois Jatirennou, le plus jeune et le mieux donc peut-être de nos 1 »ai-ues1eti.i-ti« et dont les Hivwwmtlozt, publies cette année même, ont ete salues d’un applaudissement universel. Qlafïi-enn< »ii est l’espoir de la gene-ration qui se leve : j’ai toute confiance dans le succès de son Bozw-g00js Vnm’/mm. La Vie de Smnte Tre]1/ame est de Charles Guennou. Si je ne me trompe, le comité avait demande d’al »or«l ài M. Guennou ele ravauder un ancien mystère du même nom olont la langue laissait tort a olesirer. M. Guennou se mit au travail ; mais la besogne s’acc©n’nnodait mal avec ses gouts. C”est un esprit fort vit et tout priinei sautier. On lui avait donne un mois pour son ravaudage 2 on le vit paraitre au bout du mois avec une ’ œuvre de 7,000 vers, tout entière de sa facon et ou il n’y avait plus rien de l’ancien mystère. Cela témoigne de quelques ressources d’invenIion. l’ai tenu à voir l’auteur de cette belle prouesse poetrque. Il habite dans la banlieue de Paris, à Vitry-sur-Seine. Une campagne rase, plantee de tessons de boutei lles, mene, sous un soleil de plomb, Èl l’antique église abbatiale, pi, -es de laquelle s’abrite le petit toit de M. Guennou. Un jardinetprécéde la maison, et, tout il coup, l’oeil s’aceroclie une deini-douzaine de e< »urennes mortuaires en perles et til de i’er olëposées sur la facade et qui, mélées· de singulière facon aux pousses de vigne vierge et de lierre, prétent un aspect de mausolée ai Vbabitalion du poëte. irin, teneui· est plus déconcertant encore : dans l7lJlltlCllLlll’l]T)l"(3, dans l’escalier, dans la salle zi. manger, ce ne sont partout que couronnes mortuaires pendues au mur. lüt j’ai une petite gene, je l’avoue, quand je mïisseois ai la tableliospitalière du poëte, de sentir autour de moi toute cette décoration funèbre et de ne pouvoir lever les yeux sans lire dans Yentrelaeement des Hours artificielles : « A ma comme — A mon enfamt —s A mon A Xi r

père — A mètre lrmte — A ma belle mère. » Quelle catastrophe inou’ie a pu frapper ainsi cette faniille et la priver l.n-us que ment de la totalite de ses membres ? Nétaient la gaiete de mes hôtes et le vin qui rit dans les cristaux, je me croirais dans un de ces imm/lellotl, dans un de ces reliquaires de la campagne bretonne, dont les murs sont tapisses comme ici de couronnes A mortuaires.

Le poëte, qui voit mon étonnernent, me donne tout de suite la cletdu mystère. Simple rédacteur la Compagnie « i·<.>i-iel ; ais, il n’a aucune fortune et la charmante jeune femme qu’il ai épouseesubvient de son mieux aux besoins du menage en tressant d’une main expérte ces couronnes de deuil que, faute d’un magasin ou les pouvoir exposer. elle suspend un peu partout aux murs de sa maison. I/explication ine rassure et je ne tarde pas a me laisser a’ag-iiei· par la gaiele de mes hôtes. Car cest une chose incontestable que, par ce clair dimanche d’ete, il est gai comme un merle, comme un merle blanc, ce bon G uennou liant de trois pouces, qui danse et sautille et ne tient pas en place plus d’une seconde. l, ’ag-e a neige precoeement sur ses cheveux. Mais il y à une jeunesse éternelle dans ses yepx nostalgiques et doux, ses yeux céruléens de Celte en’ant’...

tiuennou esten effet un pur Celte. Il est né à Lezars drieux le M mai 1851. Sa more était une paysanne de Pleubian ; son père un modeste prepose des douanes qui savait tout juste écrire son nom. et signer au rapport. i

s Et je me rappelais, en Veceutani me narrer sa jeunesse, les’debats diuu autre Breton qui naquit vers la ineinezâpoque, sur une greve voisine et qui était, lui /,2’üSv§ i, fils d’un simple douanier. C’est du peintre de la renaissance neo-gzrecque, de Jean-Louis Hamon que je veux parler. Un remarque encore à Saint-Loup, pres de l’l·.>uha, le petit chaume penchant ou Hamon vint au monde, son toit de glui nioussu, son pignon quadrille ai la chaux, sa porte basse et son unique fenêtre. Une plaque de marbre noir, enqcastree dans la facade, le signale aux passants. Et que liainon soit ne la, c’est ce qui cause un premier étonnement. Mais la surprise grandit a mesure qu’on avance dans l’infimite du paysage. Une nature apre et sans sourires, d’immenses graves, toutes couvertes de ce sable blanc ’et tenu qui ressemble à une poussière d’ossements, des dunes mornes, ifeutrees d’un gazon couleur de rouille, voila le Saint-Loup suburbain. Plouha même est un bourg assez triste. Une population étrange XII

1’habite : ces marins, ces pêcheurs, ces journaliers de la terre portent presque tous la particule ; ce sont les descendants d’anciens nobles jacobines, dépouilles de leurs biens, proscrits avec les Stuarts et qui vinrent se terrer la peu après. Il leur fallut, pour vivre, adopter les façons des simples paysans. Nobmns Piou/art, nobmns netrrc, « noblesse de Plouha, noblesse de rien », dit encore un proverbe breton.

Ciest un des traits pourtant de cette race fruste et primitive que son extraordinaire finesse, son aptitude au reve et à la méditation. Ainsi, dans le granit celtique, s’ouvrent brusquement de merveilleuses fontaines d’une incomparable limpidité, d’un orient aussi pur que celui des pierres précieuses.

Hamon, comme Renan et Brizeux, témoigne de ces - ressources cachees de la race, de cette tendresse frémissante sous une couche de superficielle sauvagerie. A cette ame de reve, les durs labeurs de la mer et des champs ne convenaient point. Une vocation precoce l’inclinait vers l’étude. Or son père, denue de tout, ne pouvait lui donner qu’une modeste instruction primaire. Elle ne suffisait point à Jean-Louis Hamon. Heureusement le recteur de la paroisse, ayant remarque son intelligence, lui fit obtenir une bourse au petit séminaire de Treguier.

Ce fut exactement l’histoire de Guennou. Recueilli par charite, comme Hamon, Quellien et tant d’autres, dans le vieux collège épiscopal, que hante implacablement le grand souvenir de Renan, il s’initia aux lettres antiques et tacha d’en exprimer le miel dans les poésies bretonnes qu’il cominençaita composer déjà. Un de ses parents l’avait mis en relations avec un instituteur de Pontrieux, ce Le Jean, poëte breton aussi, et qui avait pris pour nom hardique Eostz’c-Coatmwzoz, le Rossignol du bois de la nuit. Le Jean guida les premiers pas de l’entant et lui donna quelques notions de prosodie. Elles lui profitèrent assez pour qu’en 1863, quand Guennou n’avait encore que douze ans, Le Jean ne craîgnit pas d’envoyer a mon père, éditeur à Lannion, une poésie de son jeune éleve qu’il jugeait digne de l’impression.

Je l’ai la, dans ma collection de gwem/ou et de semou sur feuilles volantes, cette petite pièce intitulée Ar gotmm/z gzcemz, la « Colombe blanche ». Elle est d’une délicieuse fraîcheur d’inspiration. D’autres pièces prirent leur volee à sa suite. Je ne crois pas que Guennoules ait recueillies : il se destinait a la pretrise ; il entra même au grand séminaire. Mais il en sortit presque aussitôt. Peut-être lui arriva-t-il XIH

comme au clerc de la chanson et qu’une lettre de sesperee de sa « douce » le rappela brusquement dans le siècle :

Pa om/1, 6 stwlîcm, er ger zz Landreger ont d2’ga.vscL cfm User de cela ! tZ’m· ger, Dd 1220’i«, tnZ’ar ger buhem, ma È(tï’7’Z’€7 ?, gwcletcïiocts Mm clous, ma c’/icwcmtez, Genève/’ce Kerlocts (1) Ses attaches cléricales étaient rompues. Guennou partit chercher fortune à Paris., ll· n’y trouva, je pense, comme la plupart de ses malheureux compatriotes, qu’un servage deguise. Mais il y a dans cette race bretonne une telle puissance de redressement et, pour dire le mot, un idéalisme si incurable, qu’aux pires moments de sa vie le poëte ne cessa de s’enchanter de beaux rythmes etdelumineuses évocations. Vous rappellerais-je cette Mort du roiMm-wm, qui est un des plus magnifiques episodes de notre littérature nationale Une traduction du Pater de Coppee, une adaptation en langage de Treguier des Georgiques vanne taises de l’abbé Guillaume étendirent la réputation de Guennou dans le petit cercle des Celtisants. Iferudit, cependant, ne chomait point. Il appelait de tous ses vceux la réforme si désirable de l’orthographe bretonne. Il travaillait lui-même à cette réforme et l’on n’a point oublie ses longues discussions avec M. Ernault et M. le chanoine de la Villerabel.

Je ne veux vous parler ici que de l’écrivain, négligeant de parti-pris Vhomine d’œuvres, le fondateur de cette société des Cinq Ifermmees qui, mieux comprise, eut pu devenir ai à Paris, pour les cent mille Bretons exiles dans la grande ville, ronges de misere et d’anemie, un admirable bureau d’assistance et de mutualité.

Ma lettre est déjà longue, mon cher Cloarec, et j’ai peur qu’elle n’excede.les dimensions permises. Mais j’ai cru que ces renseignements sur l’auteur de la Vic de sainte Trép/une seraient de nature ai intéresser quelques-uns des lecteurs de la pièce. Il ne m’appartient pas de juger cette pièce. C’est affaire au public. Et je ne veux pas davantage me prononcer entre Vancien mystère publie par Luzel et l’oeuvre originale de Guennou. Les deux pièces ont leurs beautés propre s. Mais peut-être, tant qu’a laisser à Guennou le soin d’écrire une œuvre originale, eut-il mieux valu —.(l l (lt’. LuzelBep1"eâ b1”oiZéL(I-Ull0’lCîLl’(à IUP tilt envoyée ])olll’ 1\’l,2l])[)t¢lCi’ Èt lit maison, —· 1)OLll’ !11’2l|>])(êlG1’ ]\l’0 !H])U ?·îïïlinitslîtyylhètîâûll, Sîjc voulais Vüît encerc — ma douce, men itmeul’, GiCll€ViL*VC ne pas lui imposer de sujet. Rappelez-vous les fortes paroles de M. Gaston Paris au banquet de Ploujean :

« La tragédie de Saint-Gwénolé et les œuvres analogues expriment, disait-il, la religion d’un autre age. Mais, puisque la capacité de sentir et de rendre les formes dramatiques des idées religieuses est dans l’âme du peuple breton, pourquoi ne l’emploirait-elle pas à interpréter des œuvres inspirées par ce qui, d’après Tolstoï, est la religion de notre temps, l’union des hommes avec Dieu et en Dieu ? Il me semble qu’il y a là, pour les poëtes bretons, une inclination a produire des œuvres qui pourront renouveler, non seulement le théâtre breton, mais le théâtre en général, des œuvres religieuses au sens que je viens d’indiquer et qui, comme les vieux mystères, seraient jouées par des acteurs populaires et écoutées par le peuple breton avec un sentiment vraiment religieux. »

Le cycle dramatique que M. Gaston Paris son liait ait de voir s’ouvrir, ce n’est pas, j’en ai peur, lt pièce de Guennou qui l’inaugurera. Elle reste à mi-côte du passe et du présent ; elle n’est ni franchement antique ni franchement moderne. La faute en est aux circonstances, non au poëte. D’admirables scènes, de grandes beautés de détail, une logique de construction et une pureté de langue qui n’étaient point dans la vieille tragédie populaire, c’est ce qu’on trouvera du moins dans la Tréphine de Guennou. J’y vois, pour mon compte, une excellente pièce de transition.


Charles Le GOFFIC.
Paris, le 12 juin 1899.



Cardiff (Pays de Galles) 19 Mai 1899.


Cher Monsieur,

J’ai lu le drame Buez Santez Triphina hag ar Roue Arzur avec beaucoup de plaisir.

Je le trouve plein de patriotisme, de religion, de poésie élevée, et écrit en un breton simple et pur. Il est, a mon avis, supérieur au mystère de Saint-Gwénolé ; la fin surtout est d’un beau pathétique. Je crois qu’il fera du bien, non seulement aux Bretons, mais Gallois et aux Irlandais qui le liront. M. Gwennou a accompli parfaitement sa tâche, et il mérite la reconnaissance de tout Celte patriote.

John HAYDE



  1. M. Gaston Paris qui avait fait l’honneur aux organisateurs de la reconstitution du théâtre breton de vouloir bien présider la fête, autorise aujourd’hui comme préface de la Vie de Sainte-Tréphine la publication de son magnifique discours qui est le plus bel éloge qu’on puisse faire de l’œuvre bretonne actuellement poursuivie.