Marmorat (p. 564-570).

XV

Fleuve de sang.



Nous franchirons d’un seul bond un espace de plusieurs semaines. Paris a poursuivi sa lutte fratricide : la Commune est à l’agonie, des otages sont fusillés, l’incendie va couronner la période maudite !

Informé de l’exécution de Pierre, le lendemain même du jour où elle avait eu lieu, le docteur Harris avait appris en même temps quels papiers compromettants son émissaire portait sur lui au lieu des lettres de Mme de Rennepont ; il avait aussitôt compris que Marie Dutan était l’auteur de cette machination si habile et si courageusement poussée jusqu’au but.

Il avait suffi du dévouement d’une femme pour mettre à néant la combinaison infernale conçue par l’espion allemand.

Peut-être avait-il compté à tort sur l’abandon de son poste par le général de Rennepont, qui, fidèle à son devoir, aurait sans doute attendu pour venger son honneur ; mais il était maintenant certain que le vaillant officier restait à la tête de ses troupes et que le dénouement fatal approchait.

Il le sentait même si bien qu’il ne s’égarait plus dans les quartiers où la résistance devait se poursuivre et qu’il ne quittait pas, pour ainsi dire, son ambulance, espérant ainsi masquer, par ses soins aux blessés, le rôle odieux qu’il jouait à Paris, au profit de nos ennemis, depuis la déclaration de guerre.

Mlle Dutan n’avait pas non plus abandonné l’hôtel Bibesco. Sans se soucier du docteur, qui s’était bien gardé de lui faire mauvais visage dans la crainte de se compromettre encore davantage, elle continuait à soigner et à consoler les malades avec le brave Philidor, qu’elle avait fait admettre comme auxiliaire par le capitaine Raab, le représentant du prince Georges.

Il ne manquait à ce rendez-vous de charité que la générale de Rennepont, mais elle avait pu se réfugier à Versailles, peu de jours après la mort de Méral.

Quant à Louis, incorporé de force dans l’un des bataillons des fédérés, il n’avait plus reparu depuis plusieurs semaines.

Les choses en étaient là, lorsque le 23 mai, en arrivant à neuf heures du matin à l’avenue de La Tour-Maubourg, Marie trouva l’ambulance dans une situation toute nouvelle. L’armée de Versailles étant entrée dans Paris, l’hôtel Bibesco donnait asile en même temps aux blessés de l’insurrection et à ceux des troupes régulières.

Le capitaine Raab avait voulu qu’il en fût ainsi, certain qu’il était d’être approuvé par le prince dans cette œuvre de véritable philanthropie.

L’énergique officier avait tout pris sur lui, et le service était organisé militairement, de façon à éviter un conflit que le contact des insurgés et des soldats de l’ordre eût rendu imminent et terrible, vu l’état effrayant d’exaltation qui existait des deux côtés.

À chacune des extrémités de la galerie vitrée qui réunit les deux ailes de l’hôtel, le capitaine avait placé un factionnaire, l’un fédéré, l’autre de l’armée régulière, et ces hommes avaient ordre de ne laisser passer qui que ce fût, sauf les prêtres, les médecins et les gens de service de l’ambulance.

Il n’y avait, dans l’hôtel, ni révoltés ni combattants, mais seulement des blessés auxquels les mêmes soins étaient dus.

De plus, comme le capitaine Raab ne voulait pas que le séjour, même momentané, dans l’hôtel, devînt un danger, il avait signifié que nul n’en pourrait sortir en uniforme, ni en armes, et il avait installé un magasin d’habillement, afin que ceux des fédérés qui étaient guéris pussent s’en aller sans courir le risque d’être fusillés.

À ceux, au contraire, qui, forcés par leur état de demeurer à l’ambulance, craignaient d’être trahis et livrés, il avait engagé sa parole de soldat. De plus, tous les soirs, il leur donnait comme otages sa femme et sa fille.

Était-il possible de mieux comprendre et de mieux remplir, en ces heures d’affolement et de représailles, les devoirs les plus sacrés de l’humanité ?

Ce fait était ignoré ; nous nous applaudissons de pouvoir le livrer à la publicité.

Reprenons maintenant notre récit, en pénétrant dans l’hôtel Bibesco en même temps que Marie, le matin de cette terrible journée du 23 mai.

Au moment où la jeune femme y entrait, l’ambulance était pleine ; les blessés des deux partis y affluaient incessamment, et il se passait, dans l’une des pièces réservées aux soldats de Versailles, une scène navrante. On venait d’y coucher, sur un matelas étendu à terre, un général qui avait l’épaule gauche fracassée par un éclat d’obus.

Un des médecins lui faisait un premier pansement, mais ce n’était pas le docteur Harris.

— Monsieur de Rennepont ! s’écria la comédienne, en reconnaissant le mari de Fernande et en se précipitant vers lui.

Le général, dont les souffrances étaient atroces, ouvrit les yeux et répondit d’une voix éteinte :

— Oui, c’est moi, ma chère enfant. Dieu vous envoie ! Je suis perdu, je le sens, et je voudrais embrasser ma femme une dernière fois. Elle est à Versailles. Qu’on aille la chercher, je vous en conjure !

Au regard que lui jeta le chirurgien qui soignait le blessé, l’ambulancière comprit que le vieux soldat ne disait que trop vrai. Elle s’élança dehors pour satisfaire à son désir.

Quelques minutes après, un aide de camp de M. de Rennepont partait bride abattue.

La jeune femme allait rentrer dans l’hôtel, lorsqu’elle s’entendit appeler.

— Vous ! dit-elle, en reconnaissant Louis dans l’individu qui lui parlait. Prenez garde, malheureux !

C’était, en effet, le neveu de la Fismoise, non plus gouailleur et cynique comme nous l’avons vu si souvent, mais pâle et tremblant. Il s’était débarrassé de son képi et avait passé par-dessus sa tunique une longue blouse blanche, en s’échappant des rangs de son bataillon qui, de l’École Militaire, se repliait vers le centre de Paris.

— Hélas ! oui, mademoiselle, répondit-il d’une voix dolente, on m’a enrégimenté malgré moi, et comme je ne tiens pas à me battre contre les Versaillais, je me suis enfui. Sauvez-moi ! Je ne veux pas aller du côté de l’Hôtel de Ville, et si je suis reconnu dans ce quartier, je suis perdu !

La vérité, c’est que le jeune misérable avait quitté son bataillon avec l’intention de se réfugier chez sa tante, et que, seule, la difficulté de traverser Paris l’avait conduit devant l’hôtel Bibesco.

Marie cherchait le moyen d’arracher le malheureux au danger qui le menaçait, et, se souvenant du service qu’il lui avait rendu, un peu contraint, il est vrai, dans l’affaire des lettres, elle allait se décider à lui donner asile dans l’hôtel, lorsque le fils de la Louve, comme s’il lui venait tout à coup une inspiration subite, salua brusquement du geste l’ambulancière et s’élança en courant du côté des Champs-Élysées.

Cinq minutes, après, il était au rond-point.

Là, il se jeta dans la rue Montaigne, prit la rue de Ponthieu qu’il remonta dans toute sa longueur et gagna le faubourg Saint-Honoré, qu’il traversa sous la grêle de mitraille que les canons de Montmartre envoyaient dans ce quartier.

Parvenu au coin de la rue de Monceau, il se crut sauvé et il respira un instant, mais aussitôt il reprit sa course folle.

Une compagnie de soldats de Versailles descendait le faubourg. On l’avait aperçu et quelques hommes s’étaient mis à sa poursuite.

En un seul bond, pour ainsi dire, et malgré les balles qu’il entendait siffler à ses oreilles, il atteignit une porte cochère, celle de l’hôtel de la comtesse Iwacheff, à laquelle il sonna d’une façon convulsive.

On lui ouvrit, il entra et ferma brusquement la porte derrière lui ; puis, échappant au concierge, qui voulait l’arrêter au passage, il s’élança sur le perron et, de là, au premier étage de la maison, en murmurant :

— Je lui dirai que je suis son fils, elle saura bien me cacher !

Il n’y avait pas une seconde à perdre ; il entendait les soldats qui arrivaient au pas de course.

Au moment où il pénétrait dans cette même pièce, où, quelques semaines auparavant, il avait remis à la comtesse les lettres de Mme de Rennepont, la porte de l’hôtel résonnait déjà sous les coups de crosse des fusils.

— Ma mère ! s’écria le malheureux en se précipitant vers la sœur de la Fismoise qu’il avait immédiatement reconnue, bien qu’elle fût étrangement changée et couchée sur une chaise longue à peu près dans l’ombre ; ma mère, sauvez-moi !

— Au secours ! gémit Jeanne Reboul, brusquement tirée de son demi-sommeil ; à l’assassin, au voleur !

Elle avait saisi le cordon d’une sonnette et s’y tenait cramponnée.

À son appel, sa femme de chambre et un de ses domestiques étaient accourus.

— Vous vous trompez, vous vous trompez ! répétait Louis avec épouvante ; c’est la tante Fismoise qui m’envoie ; je suis l’enfant que vous lui avez confié tout petit. Je suis votre fils ; grâce ! ne me perdez pas !

Mais, affolée, l’ex-madame de Ferney ne comprenait pas.

Réfugiée entre ses deux serviteurs, elle ne cessait de crier d’une voix aiguë :

— Au secours ! Il veut m’assassiner ! Je n’ai plus rien ! Pierre m’a tout pris ! Au voleur ! C’est lui qui a les lettres !

Au même instant, dix hommes apparurent sur le seuil du boudoir où se passait cette horrible scène, et la Louve les accueillit par un éclat de joie sinistre, en répétant :

— Arrêtez l’assassin ! arrêtez-le ! Il a tué Sarah !

Louis comprit qu’il n’avait plus rien à espérer. Deux des soldats s’étaient élancés sur lui, avaient ouvert sa blouse et découvert son uniforme.

Le sous-officier qui les commandait leur avait aussitôt donné un ordre, et le jeune misérable, aveuglé par l’épouvante, s’était senti entraîné jusqu’au rez-de-chaussée et, de là, dans la cour, où on l’avait jeté contre le mur de la remise.

Il n’avait pas même essayé de résister, lorsqu’en levant les yeux, comme pour demander au ciel aide et protection, il aperçut la maîtresse de la maison, qui, de la fenêtre de sa chambre où elle s’était traînée échevelée, hurlait à tue-tête :

— Pas de pitié, c’est un voleur ! tuez-le ! tuez-le donc, l’assassin !

— Ma mère, ma mère ! bégaya-t-il en tendant les bras vers celle qui demandait sa mort.

Mais comme si les soldats n’avaient attendu que cet ordre, dix fusils s’abaissèrent, dix coups de feu retentirent, et Louis tomba la face contre terre, baigné dans son sang.

La Louve répondit d’abord à ces détonations par un cri de joie sauvage ; mais, tout à coup, son visage prit une inexprimable expression d’horreur, et, s’échappant des mains de sa femme de chambre, elle franchit l’escalier, traversa la cour et vint tomber à genoux auprès du cadavre dont elle attira sur son sein la tête mutilée.

Elle le regarda quelques secondes en s’efforçant d’en étancher le sang avec son peignoir de dentelles, puis, soudain, un torrent de larmes jaillit de ses yeux hagards, ses lèvres se collèrent sur le front du mort et elle roula avec lui sur le sable, en jetant un cri rauque et en le pressant contre son cœur.

Dieu n’avait pas voulu que Jeanne Reboul fût inconsciente de son crime ; il lui avait donné un éclair de mémoire et de raison pour qu’elle comprît bien que c’était elle-même, la marâtre, qui, après avoir abandonné son enfant, l’avait fait fusiller sous ses yeux.

Les soldats qui avaient procédé à cette exécution sommaire s’étaient retirés, effrayés de l’œuvre qu’ils avaient accomplie.

Quelques heures plus tard, l’hôtel de l’avenue de La Tour-Maubourg était le théâtre d’une scène d’une tout autre nature, mais non moins dramatique.

L’aide de camp auquel s’était adressée Mlle Dutan avait ramené de Versailles Mme de Rennepont, et bien qu’on ne lui eut pas caché la gravité de la blessure reçue par son mari, elle était épouvantée de la rapidité avec laquelle le mal avait marché.

Le général s’affaiblissait visiblement ; ses instants étaient comptés.

Il avait cependant reconnu sa femme, qui s’était agenouillée près de lui, et il s’efforçait de lui donner du courage.

Marie se tenait debout au chevet du mourant.

Soudain, le visage de M. de Rennepont s’illumina d’une joie ineffable, ses yeux se fixèrent avec douceur vers la porte ouverte de la pièce où il se trouvait, et il fit un mouvement pour tendre la main.

La comédienne et Fernande, qui s’étaient retournées, étouffèrent un cri de surprise en apercevant M. de Serville.

Après s’être enfui de la prison de la Santé avec les autres détenus, malgré Justin Delon qui avait été tué dans cette lutte suprême, il avait couru chez Mme de Rennepont, d’où, ne l’ayant pas trouvée, il avait gagné rapidement l’avenue de La Tour-Maubourg.

En reconnaissant le général pâle et mourant, il avait eu un moment d’hésitation, car bien qu’il eût été rassuré par un mot de Marie sur le sort des lettres qui lui avaient été volées, le peintre ne se sentait pas moins coupable envers son vieil ami, mais il ne put résister à l’appel muet de M. de Rennepont, et il se précipita vers la main déjà glacée qu’il lui tendait.

— C’est à Dieu que je dois votre arrivée, mon cher Armand, murmura le général avec fermeté, malgré sa faiblesse ; maintenant, je puis mourir ; je sais que Fernande ne sera pas seule. C’est la plus sainte et la plus pure des femmes : je vous la confie. Qu’elle reste votre sœur, si vous ne pouvez l’aimer. Mais vous l’aimerez un jour, parce qu’elle est digne d’un galant homme tel que vous !

Et attirant jusqu’à ses lèvres le front de sa femme, M. de Rennepont ajouta d’une voix éteinte :

— Vous avez été pour moi une douce et honnête compagne ; merci ! Si Dieu veut entendre la dernière prière d’un soldat qui meurt pour son pays, qu’il fasse de vous une épouse heureuse !

En disant ces mots, il prit la main d’Armand, la plaça dans celle de Fernande que l’émotion brisait et, fermant les yeux, il se renversa en arrière en poussant un soupir.

La jeune femme se pencha sur lui. Il était mort.

Marie, qui avait assisté à cette scène sans prononcer un seul mot, s’agenouilla auprès de la veuve, fit une courte prière et, se relevant ensuite, se dirigea vers la porte du salon.

— Vous ne restez pas avec nous, lui dit M. de Serville, en l’arrêtant au passage, vous, notre ange sauveur ?

— Mon rôle est terminé, répondit-elle d’une voix étranglée. Grâce à moi, vous pourrez être heureux sans remords : M. de Rennepont a tout ignoré. Adieu ! Mais avant de m’éloigner, laissez-moi vous recommander celui qui m’a aidé à réussir, celui sans lequel j’aurais succombé avant l’accomplissement de ma tâche.

Elle désignait au peintre le brave Philidor qui, d’une pâleur livide, ne la quittait pas du regard.

— Oh ! votre ami peut compter sur nous, répondit chaleureusement Armand ; mais vous, Marie, est-ce que nous ne vous reverrons plus ?

— Jamais ! jamais ! répéta la malheureuse en étouffant un sanglot, car vous ne pourriez plus faire de moi qu’un portrait en sœur de charité. Adieu ! Pour toujours, adieu !

Et s’arrachant à l’affectueuse étreinte de M. de Serville qui lui avait saisi la main, elle se sauva sans même qu’il eût pu tenter un dernier effort pour la retenir.

Il courut à une fenêtre pour la suivre au moins du regard, car elle avait fermé brusquement, derrière elle, la porte par laquelle elle s’était enfuie. Il l’aperçut sous les arbres de l’avenue.

Elle s’était arrêtée au passage d’une civière qui apportait à l’ambulance une jeune et belle cantinière fédérée, les deux jambes fracassées par un obus.

L’énergique fille ne poussait pas une plainte ; sa bouche était crispée dans une malédiction ; ses yeux avaient des regards farouches.

Soudain Mlle Dutan se rejeta en arrière.

Elle venait de voir Harris qui, tout effaré, se dirigeait vers l’hôtel.

Il devait être poursuivi, car ses vêtements étaient en désordre et sa physionomie bouleversée.

Cependant, à la vue de la cantinière blessée, il fit un effort visible pour paraître calme et, se penchant sur la civière, il examina en praticien celle qui y était étendue et dont les yeux s’étaient fixés sur lui d’une façon sauvage.

— Vous souffrez beaucoup ? lui demanda-t-il, en ordonnant aux porteurs de s’arrêter un instant.

— Non, répondit-elle avec un sourire étrange ; non, je ne souffre pas ; mais je vous reconnais, docteur ! Vous êtes l’homme des clubs, un de ceux qui nous ont poussés à la résistance, au meurtre et au pillage ! Vous êtes un de ceux qu’on n’atteindra pas.

— Cette pauvre fille est folle, fit le pseudo-Américain effrayé de cette accusation devant tout le monde ; la douleur lui fait perdre la raison ! Qu’on la monte dans le quartier des femmes.

— Non, non, je ne suis pas folle, reprit la cantinière en saisissant le bras d’Harris de sa main nerveuse. Je suis Clara la Rouge ! Vous savez bien, la maîtresse de Charles, Charles, le neveu de l’abbé Colomb, que j’ai souffleté, la maîtresse de Charles qui est mort, de Charles que je veux venger ! Tiens, sois maudit, comme tous ceux qui font battre des frères contre des frères !

Et tirant vivement de dessous sa tunique un revolver qu’elle y tenait caché, Clara fit feu à bout portant sur le docteur, dont la cervelle rejaillit jusqu’à Marie qui, devinant le projet de la jeune femme, s’était élancée pour détourner son bras.

— Dieu seul maintenant peut lui pardonner ! murmura-t-elle, en s’éloignant remplie d’horreur.

Le lendemain, de nouveaux otages succombaient à la Roquette ainsi que rue Haxo, et Paris brûlait malgré les héroïques efforts de nos soldats.

Il était cinq heures du soir, les flammes s’élevaient au-dessus de la grande ville ; des fous et des monstres en faisaient un amas de ruines et de cendres. Les fracas de l’artillerie se mêlaient aux cris des mourants et aux crépitements de l’incendie ; le ciel était couleur de sang et nos ennemis se réjouissaient à Berlin !

De la terrasse de la maison du docteur Blanche à Passy, une jeune femme suivait de ses yeux humides cet horrible spectacle, en pressant contre son cœur une pauvre folle, douce et calme, qui lui obéissait comme un enfant.

C’étaient Marie Dutan et sa mère, la veuve de ce malheureux Jérôme, assassiné à Nogent par Justin Delon.

Soudain la jeune fille se retourna.

Deux gardiens passaient auprès d’elle, en entraînant vers le pavillon réservé une femme d’une quarantaine d’années, belle encore, qu’on venait de confier aux soins de l’éminent aliéniste.

À la vue de cette nouvelle compagne, la physionomie de la mère de Marie s’éclaira d’une étrange curiosité, et, s’en approchant, elle lui dit d’une voix mystérieuse, en mettant son doigt contre ses lèvres :

— Chut ! pas de bruit ; elle est là, la petite fille, dans son coffret d’ébène. Chut ! elle sommeille, le trésor de l’hôtel de Rifay ; ne la réveillez pas !

À ces mots, Jeanne Reboul, car c’était elle que la Fismoise avait amenée au docteur Blanche ; à ces mots, comme si par une volonté divine, elle eût tout à coup recouvré la mémoire du passé, l’ex-madame de Ferney jeta un cri rauque, inhumain, étendit les bras comme pour repousser des fantômes et tomba sur le sol en proie à un épouvantable accès de folie furieuse.

— Cette femme est perdue, dit le docteur, qui était accouru ; qu’on l’emporte et qu’on lui mette la camisole de force !

En effet, moins de huit jours plus tard, Rose Méral, celle qui avait été marâtre, femme adultère et maîtresse infidèle succombait dans une dernière crise.

Il ne restait plus de la famille Méral que la Fismoise, mais vieille déjà et sans enfant. C’en était bien fini avec cette race de sang maudit.

On remarqua beaucoup, à la première exposition après la guerre, une admirable toile signée Petrus, qui représentait la mort du général de Rennepont, à l’ambulance de l’avenue de La Tour-Maubourg.

Une adorable sœur de charité priait, agenouillée au chevet du soldat.

C’était la pauvre Marie Dutan, l’ex-comédienne, sous le costume du seul rôle qu’elle dût jouer désormais !

FIN.