Éditions Édouard Garand (13p. 42-43).

CHAPITRE III

L’ENTÊTEMENT D’YSEULT


Le lendemain matin, quand Roxane vint prendre les ordres de Mme Champvert, celle-ci, contre son habitude, était couchée. Elle était très pâle et ses yeux étaient cernés de bistre, de plus, les broderies et dentelles de sa robe de nuit ne cachaient qu’imparfaitement les marques bleues qu’avaient laissées, autour de ses poignets et de son cou, les doigts de Champvert. Pauvre Yseult ! Elle était coupable, sans doute, d’avoir comploté avec le notaire pour voler le dernier testament de M. de Vilnoble ; mais Roxane ne put faire autrement que de la plaindre, à cause du sinistre voyou qu’elle avait pour mari.

Quand arriva l’heure du déjeuner, Yseult ne parut pas dans la salle à manger, ce qui ne plut guère à Champvert.

— Où est Yseult ? demanda-t-il à Mme Dussol.

— Yseult est malade, répondit, d’une voix triste Mme Dussol.

Champvert posa le doigt sur un timbre, qui se trouvait à sa portée, et Roxane entra dans la salle à manger.

— Allez dire à Mme Champvert que nous l’attendons pour le déjeuner, lui dit le notaire.

— Yseult est malade, répéta Mme Dussol.

Champvert frappa le plancher du pied.

— Faites ce que je vous ai dit de faire ! tonna-t-il, en s’adressant à Roxane. Entendez-vous !

Roxane entra dans la chambre à coucher d’Yseult, après avoir frappé à la porte.

Mme Champvert, dit-elle, M. Champvert m’envoie vous dire qu’il vous attend pour le déjeuner.

— Je suis malade, répondit Yseult.

— J’ai préparé un plateau pour vous, dit Roxane ; je vais vous l’apporter.

Entrant ensuite dans la salle à manger, elle dit au notaire :

Mme Champvert est malade. Puis elle sortit et alla chercher le plateau qu’elle porta à Yseult. Mais à peine la jeune femme avait-elle bu une gorgée de café que Champvert entra dans la chambre, à son tour. Il entra en coup de vent, suivi de Mme Dussol.

— Tu es malade, paraît-il ? fit-il, durement. Arrange-toi pour être guérie à temps afin de pouvoir dîner avec nous, hein, Yseult ?

Yseult ne proféra pas un mot.

— As-tu entendu, Yseult ? cria-t-il. Tu dîneras avec nous ; est-ce compris ?

— Je dînerai avec vous… si je le puis. Si je ne me sens pas disposée à me rendre à la salle à manger, Mme Louvier m’apportera mon plateau ici et je dînerai dans ma chambre.

— Nous verrons bien ! s’écria Champvert.

— Oui, nous verrons bien ! répéta Yseult, d’un ton tellement moqueur que Roxane craignit qu’il y eût une autre scène.

Pourtant, le notaire, sans répondre, quitta la chambre de sa femme, fermant la porte avec une telle force que les fenêtres, et même les meubles en furent secoués.

À l’heure du dîner, Yseult refusa de se rendre à sa salle à manger ; elle garda le lit, se disant trop malade pour se lever. Mme Dussol, prévoyant une autre scène, vint demander en grâce à sa fille de faire un effort pour plaire à son mari.

— Jette un kimono par-dessus ta robe de nuit, Yseult, implora-t-elle, et descends dans la salle à manger, faire acte de présence, au moins !

Mais Yseult, avec son entêtement ordinaire, refusa de suivre les conseils de sa mère.

Roxane, ainsi qu’elle l’avait fait pour le repas précédent, entra dans la chambre de la jeune femme, avec un plateau, sur lequel était le dîner d’Yseult, et, presque sur ses talons, arriva Champvert.

— Que signifie ? s’écria-t-il. Est-ce que tu ne descends pas dîner, Yseult ? demanda-t-il.

— Non, répondit Yseult.

— Tu dis non, mais moi, je dis oui ! cria-t-il. Lève-toi à l’instant !

— Je suis malade, dit Mme Champvert.

— Ce n’est pas vrai ! vociféra son mari, lève-toi, entends-tu, Yseult ! Ne m’oblige pas de te lever de force.

Yseult garda le silence. Sans doute, ce silence irrita davantage l’irascible Champvert, car il se mit à injurier sa femme. Les injures les plus viles pleuvaient littéralement sur l’impassible Yseult.

Mme  Dussol, à genoux près du lit de sa fille, sanglotait. Oh ! combien Roxane eut voulu pouvoir se dépouiller de son déguisement, pour quelques instants, afin d’essayer de consoler cette pauvre mère désolée !

Soudain, le notaire aperçut la jeune fille.

— Que faites-vous ici, vous ? demanda-t-il.

— Je suis venue apporter à Mme Champvert son dîner, répondit Roxane.

— Sortez d’ici ! hurla Champvert. Si Mme Champvert est trop malade pour prendre sa place à table, elle est trop malade pour manger.

— Bien, Monsieur ! répondit Roxane, qui prit le plateau et se dirigea vers la porte.

— Allez ! dit le notaire. Et dites à Angélique…

— Pardon, Monsieur, interrompit Roxane ; mon service se termine à sept heures précises et je n’ai d’ordre à recevoir de qui que ce soit, après cette heure.

Fuyant devant le courroux de Champvert, elle se dirigea hâtivement vers sa chambre à coucher. Un quart d’heure plus tard, elle prenait, encore une fois, la direction de la chambre d’Yseult, munie du plateau. À l’une des extrémités du corridor principal, elle rencontra Mme Dussol. Pauvre femme ! Ses yeux rougis attestaient qu’elle avait beaucoup pleuré.

Mme  Louvier ! s’écria-t-elle, en apercevant la jeune fille. Où allez-vous donc ?

— Je vais apporter le dîner à Mme Champvert, répondit Roxane.

Mme  Dussol sourit tristement et elle murmura :

— Merci, Mme  Louvier !

Si Mme  Dussol avait pleuré, il était de toute évidence que sa fille n’avait pas versé une larme. Quand Roxane arriva dans la chambre de Mme Champvert, celle-ci était encore couchée ; très pâle, immobile, on l’eut prise pour une statue de marbre, n’eussent été ses yeux, dans lesquels brillaient la folie d’une résolution désespérée…

— Je suis venue vous apporter votre dîner, Mme Champvert, dit Roxane.

Ainsi que l’avait fait Mme Dussol, Yseult sourit, puis murmura : « merci ».

Roxane ayant déposé le plateau sur le guéridon, se dirigea vers la porte de la chambre, qu’elle ferma à clef.

Si la jeune femme ne mangea pas beaucoup, elle sembla aimer ce que Roxane lui avait préparé ; elle but aussi un verre de vin, ce qui ramena un peu de rouge sur ses lèvres !

Au moment où Roxane se disposait à retourner dans sa chambre, elle entendit, dans le corridor, le pas de Champvert, et aussitôt, celui-ci frappa à la porte.

— Yseult ! appela-t-il.

Yseult ne répondit pas.

— Yseult ! appela-t-il de nouveau.

Même mutisme de la part de la jeune femme.

— Répondez, je vous prie ! implora Roxane. Mais, l’entêtée Yseult demeura muette.

— Yseult ! cria, pour la troisième fois le notaire.

Ne recevant pas de réponse, il donna un coup de pied dans la porte de chambre de sa femme, après quoi, il entra dans son étude, en fermant la porte avec une telle force que toute la maison en fut ébranlée.

Roxane regarda Yseult ; le visage de celle-ci était tout à fait impassible. Dans ses yeux seulement, régnait toujours comme une résolution désespérée.