Éditions Édouard Garand (13p. 28-29).

CHAPITRE XVI

APRÈS LA JOIE LA PEINE


C’est le Docteur Philibert qui raconta à Hugues les évènements qui se passaient aux Peupliers, depuis la mort de M. de Vilnoble.

C’était le lendemain du pique-nique sur la rivière des Cris. Aux Barrières-de-Péage, on sortait de table, après le repas du midi, quand le timbre résonna dans la salle d’entrée.

— Ne vous dérangez pas, Mlle Roxane, dit Belzimir ; je vais aller faire la collecte.

Le domestique sortit, et au bout de quelques instants, on entendit des pas dans la salle, puis le Docteur Philibert parut, dans l’encadrement de la porte, entre la salle et la cuisine. Quelle joie pour tous de revoir le bon médecin ! Tous, même Hugues, accoururent au-devant de lui.

— Cher cher Docteur Philibert ! s’écria Roxane, en donnant au médecin un baiser affectueux.

— Oh ! C’est le bon Docteur ! s’exclama Rita, en se suspendant au cou du médecin.

— Ça va mieux, tout à fait bien même, Docteur ? demanda Hugues, en tendant la main au vieil ami de son père.

Jusqu’à Belzimir, qui avait le visage souriant.

Le Docteur Philibert fut très-ému de la réception qui lui était faite ; sur sa figure joviale se lisait un grand attendrissement.

— Merci, mes enfants ! dit-il. Puis se tournant vers Hugues, il ajouta : J’étais venu te faire une visite professionnelle, Hugues ; mais je vois que tu n’en as pas besoin.

Tout en parlant, Roxane, Hugues et le médecin pénétrèrent dans la salle. Rita s’était excusée, disant qu’elle allait à l’étable soigner Zit.

— Je suis tout à fait guéri, ou presque, Docteur, répondit Hugues. Bientôt, je pourrai me tenir en selle et je compte me rendre aux Peupliers, dans le courant de la semaine prochaine.

— Aux Peupliers ! s’écria le Docteur Philibert, dont le visage s’attrista soudain.

— Mais oui, aux Peupliers ! Et, Docteur, si Mlle Roxane me le permet, j’aurais une grande nouvelle à vous apprendre… Le permettez-vous, Roxane ? demanda Hugues, en se tournant vers la jeune fille.

Elle fit un signe affirmatif et Hugues reprit, s’adressant au médecin :

— Docteur Philibert, voici ma fiancée !

— Ah ! dit le médecin. Je vous félicite, mes enfants ! Vous êtes dignes l’un de l’autre !

— Merci, Docteur ! dit Hugues. Je considère que je suis l’homme le plus heureux du monde… Comme je vous le disais tout à l’heure, j’irai aux Peupliers aussitôt que je le pourrai, pour voir ce qui s’y passe. Nous nous marierons à l’automne, ma Roxane chérie et moi, et il y a des réparations que je ferai faire aux Peupliers, immédiatement… D’ailleurs, on me dit que ma cousine Yseult fait des siennes, depuis le décès de mon père, et qu’elle mène tout… et tous d’une main de maître, dans la maison qui m’appartient, de par le testament de mon père. Or, je trouve que ma cousine prend trop de libertés et je vais…

Une expression douloureuse se peignit sur les traits du médecin, et ce fut d’une voix tremblante qu’il dit :

— Hugues, mon pauvre Hugues, si Yseult Dussol prend tant de libertés, comme tu le dis, aux Peupliers, c’est que, hélas, elle en a… le droit.

— Le droit ! s’écrièrent, en même temps, Roxane et Hugues.

— Le droit, Docteur Philibert ! dit, de nouveau Roxane. Mais… vous savez bien que, d’après le dernier testament de M. de Vilnoble…

Le Docteur Philibert leva la main, en signe de dénégation.

— Testament qu’on n’a pu trouver, et dont la mystérieuse disparition a causé la mort du fidèle Adrien.

— Mais, dit Roxane, ce testament, je l’ai signé moi-même, comme témoin je le jure, et Adrien…

— Ah ! je le sais bien… Je sais tout… Mais on a prétendu que M. de Vilnoble aurait changé d’idée, et que, après le départ d’Adrien (lorsque celui-ci était allé enlever la selle à Jupiter) M. de Vilnoble se serait levé et qu’il aurait brûlé son testament fait en faveur de son fils… testament dont on a retrouvé les cendres dans le foyer.

— C’est impossible ! Impossible ! cria Roxane. M. de Vilnoble… mais, il se mourait ; il n’aurait pu se lever !… Hugues ! Hugues ! Il y a du mystère dans ceci ! Votre père se lever pour détruire son testament ! Lui ! Un moribond.

— M. de Vilnoble, quand on l’a trouvé, mort, avait la moitié du corps sorti de son lit ; on a donc cru…

C’est impossible ! Impossible, vous dis-je ! Quand j’ai quitté la chambre de M. de Vilnoble, avec Adrien, votre père, Hugues, était à l’agonie.

— Hélas, Mlle Monthy, dit le médecin, le fait est là : le dernier testament de mon vieil ami n’a pu être retrouvé. Un document légal avait été brûlé dans le foyer de sa chambre et…

— Alors, ma cousine Yseult… commença Hugues.

Mlle Yseult Dussol, à cause de la disparition du dernier testament de ton père, Hugues, est l’héritière de celui-ci. Mme Dussol ne fait que pleurer et protester contre l’injustice de M. Vilnoble à ton égard.

— Docteur, dit Roxane, je donnerais deux ans de ma vie pour pouvoir sonder le mystère qui enveloppe la disparition du dernier testament de M. de Vilnoble, fait en faveur de son fils ! Je me souviens si bien des dernières paroles qu’il prononça : « Ce testament est le seul valable, le seul… Souvenez-vous en tous » !

— Quand s’est-on aperçu de la disparition du dernier testament de mon père, Docteur ? demanda Hugues.

— Le lundi seulement, après les funérailles. Adrien, sûr de trouver le testament là où il l’avait placé, c’est-à-dire entre les oreillers du lit de ton père, pénétra dans la chambre à coucher, accompagné du notaire Champvert, de Mme Dussol et d’Yseult. Personne n’aurait pu franchir le seuil de cette chambre, tu sais, à cause des scellés qui y avaient été apposés, aussitôt après la mort de M. de Vilnoble.

— Pourtant, malgré les scellés, quelqu’un a pénétré dans cette chambre ! s’écria Roxane. Je jure, moi, que M. de Vilnoble n’aurait jamais eu la force de quitter son lit… Mais, je vous dis qu’il était à l’agonie, quand nous l’avons laissé, Adrien et moi !

— Pauvre Mlle Monthy ! dit le médecin. Votre bonté, votre dévouement et… les dangers épouvantables que vous avez courus (car, je sais par quel sentier vous avez cheminé en allant et en revenant des Peupliers) méritaient un meilleur dénouement. Hugues, ajouta-t-il, ta fiancée t’a-t-elle dit qu’elle avait franchi la Forêt des Abîmes, sur le Sentier de la Mort ?

— Grand Dieu ! s’exclama Hugues. Ce n’est pas possible ! Roxane ! Roxane ! Vous ne me dites pas que vous avez couru de tels dangers !

— C’est vrai, Hugues ; mais je ne comprends pas comment il se fait que le Docteur Philibert sache cela… Je n’aime pas à me rappeler ces choses cependant ; c’était si terrible, si terrible ! Plus tard, je vous raconterai tout.

— Mes pauvres enfants, dit le Docteur Philibert, en se levant pour partir, je suis vraiment désolé d’être le porteur de si mauvaises nouvelles. Que voulez-vous cependant ! Il fallait bien que tu saches à quoi t’en tenir, Hugues et c’est moi qui me suis chargé de te dire tout. Après la joie, la peine ; c’est toujours ainsi en ce bas monde. Il y a un instant, vous étiez, tous deux, tout à la joie de vos fiançailles, maintenant…

— Je vous remercie, Docteur, de la peine que vous vous êtes donnée de venir ici, tout m’apprendre ; c’est l’acte d’un bon ami, et jamais je ne l’oublierai, dit Hugues. Et maintenant, puisque je suis un pauvre déshérité, je désire que vous soyez témoin d’une chose, Docteur… Roxane, reprit-il, en étreignant la jeune fille sur son cœur, quoique j’en aie le cœur brisé, je vous rends votre parole. Ma présente position ne me permet pas d’aspirer à votre main et ce serait faire acte de la plus grande indélicatesse que de…

— Je refuse de reprendre la parole donnée, Hugues, répondit Roxane, en souriant. Au lieu de nous marier à l’automne, comme nous l’avions résolu, nous nous marierons… plus tard, quand la chose sera possible : d’ici là, je suis et serai votre fiancée.

— Mon ange ! Ma bien-aimée ! murmura Hugues.

— Bravo, Mlle Monthy ! s’écria le médecin. Vous êtes deux nobles cœurs, mes enfants ! Ayez confiance en l’avenir… J’ai dit, tout à l’heure : « après la joie, la peine » ; mais on dit aussi : « Après la pluie, le beau temps ». Maintenant, Hugues, n’iras-tu pas voir ta tante Dussol ?

— J’aimerais à la voir, répondit le jeune homme. Peut-être…

— Il y a place dans ma voiture, si tu désires m’accompagner. Moi, je m’arrêterai chez moi, et Célestin ira te mener aux Peupliers, puis il te ramènera au Valgai ; cela te va-t-il ? En faisant ma tournée, demain ou après-demain je te ramènerai ici. Qu’en dis-tu ?

— C’est bien aimable à vous de me faire cette offre, Docteur, et je l’accepte de grand cœur. Qu’en pensez-vous, Roxane ?

— Vous faites bien d’aller voir votre tante, Hugues, répondit la jeune fille.

À ce moment, Rita entra dans la salle.

— Petite Rita, dit Hugues, je pars, avec le Docteur Philibert.

— Oh ! Non ! Non ! dit l’enfant, qui se mit à pleurer.

— Jusqu’à demain ou après-demain seulement.

— N’aimerais-tu pas à venir passer une journée ou deux au Valgai, petite Rita ? demanda le médecin.

— Si Roxane voulait me le permettre, j’aimerais cela beaucoup, beaucoup ! répondit l’enfant.

— Laissez-la donc nous accompagner, Mlle Monthy ! dit le Docteur Philibert. Ça lui fera une jolie promenade, ça sera pour elle en même temps une agréable distraction. Vous n’aurez pas à vous inquiéter de votre petite sœur, car ma vieille ménagère Euphémie prendra bien soin d’elle.

— Ah ! Que j’aimerais cela aller me promener chez le bon Docteur ! s’écria Rita.

Et Roxane, ayant donné son consentement, le Docteur Philibert quitta les Barrières-de-Péage, emmenant avec lui Rita et Hugues.