Rouen Bizarre/Les métiers bizarres/Les racolleurs

LES RACOLEURS

À notre époque commerciale où tous les moyens de réclame sont bons, le racoleur peut être fier de son métier. Il est, en effet, la réclame vivante et d’autant meilleure qu’elle se cache sous des apparences absolument trompeuses.

Vous êtes assis en tramway à côté d’un monsieur bien mis et dont les façons paraissent des plus correctes. Tout à coup, un voyageur dont le visage est pâle et les traits défaits, se met à tousser à plusieurs reprises. Vous le regardez avec tristesse en songeant à la phtisie, quand votre voisin entame à voix basse la conversation.

— « Le malheureux garçon, a-t-il une mauvaise mine ? — C’était ce que je pensais. — Et dire qu’il existe contre cette maladie un remède souverain. — Vraiment ? — Oui, monsieur, moi aussi je ne voulais pas le croire, mais depuis que ma femme a été sauvée, j’ai bien dû me rendre à l’évidence. »

Et alors il vous donne des détails navrans : une maladie terrible, tous les médecins désespérés ; chaque remède très-coûteux essayé vainement. Ah ! si l’on s’en rapportait à la réclame des médicamens infaillibles !

— Voyez-vous, monsieur, toutes ces spécialités médicales sont faites pour tromper le public. Ma femme a été sauvée par quelque chose que bien peu de gens connaissent. »

Naturellement, vous vous enquérez du remède. Votre voisin a l’air de chercher dans sa mémoire et finit par vous indiquer sa panacée.

Vous descendez de tramway sans plus songer à la conversation que vous venez d’avoir, mais, à votre premier rhume, à celui d’un parent, d’un ami, d’un indifférent même, vous vous souvenez du remède, et l’inventeur en profite pendant que le racoleur et son compère, l’homme à la toux, se promènent ailleurs en voiture publique ou en chemin de fer, l’un toussant et l’autre le plaignant sans cesse.

Voilà un des types de racoleur ; il y en a des quantités, variant à l’infini.

Les uns sont chargés d’allécher les acheteurs pour la vente d’un immeuble, d’un café, d’un restaurant ; les autres opèrent sur une échelle moins vaste encore. Le métier s’étend du racoleur qui, embrigadé dans la claque, fait son possible pour attirer à l’acteur des applaudissemens, jusqu’à celui qui se charge de fournir dans certains cas une famille aux gens qui n’en ont pas ; du racoleur s’occupant de causer un rassemblement devant une vente publique jusqu’à celui qui, en période électorale, fait plus de bruit à lui seul qu’une réunion anarchiste ; de l’homme qui opère en cravate blanche jusqu’à l’homme qui porte la blouse.

Inutile de dire que les bénéfices sont toujours en raison directe des services rendus.