Éditions Prima (Collection gauloise ; no 95p. 40-42).

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Bien qu’étant sorti les poches vides, Casimir rentra avec une cuite superbe. Et, pourtant, il devait posséder encore des sous, comme Sophie le constata par un stratagème qui ne ratait jamais. Il lui suffisait de dire à l’ivrogne : « Ôte tes godasses, que je les cire ». Car elle savait depuis longtemps, cela va de soi, que Casimir cachait le reste de son argent dans ses souliers, quand il lui avait été impossible de tout boire en une seule séance. S’il consentait à ôter ses godasses, c’est qu’il était fauché. S’il refusait avec une énergie farouche et des prétextes idiots, Sophie, bien entendu, ne caressait point, pour cela, l’absurde espoir de palper jamais la moindre part du contenu des bottines. Elle savait, du moins, qu’il était juste et équitable de ne pas trop rogner sur sa nourriture et sur celle de Zouzoune, pour jeter quelques ingrédients solides dans le petit lac de spiritueux que formait l’estomac de Casimir.

Or, bien qu’ayant, de toute évidence, longuement pataugé dans une boue épaisse, et même dans autre chose encore, le pochard, ce soir-là, s’obstina à déclarer que ses pompes étaient magnifiques, luisantes de propreté, prêtes à le conduire, s’il le fallait, dans les salons les plus huppés du plus grand monde, nom d’une cuite ! D’où Sophie conclut que pour pouvoir encore, avec un Pompon aussi soigné, céler quelque galette dans son coffre-fort en box-calf, Casimir avait dû connaître la joie exquise d’une rentrée importante.

Sans daigner s’expliquer sur ce point, l’ivrogne déclara, avec sa grandiloquence coutumière :

— Si Zouzoune chiale encore, elle est dans son tort illégal et arbitraire, vu que grâce à mon courage abnégatif et triomphateur, elle va vivre bientôt dans les avantages confortables de la prospérité eldoradique… Fallait un homme comme moi, tout de même, pour dépister la trouvaille d’une situation aussi capiteuse que ça : demoiselle de compagnie chez une

Zouzoune pleura (page 40).

dame de la plus haute aristocratie nobiliaire, nom d’une cuite !

— M’en fous ! répondit Zouzoune, pleurant plus fort que jamais.

— La gosse, bafouilla Casimir, faudra tâcher moyen de plus éjaculer des propositions aussi mal embouchées, quand tu seras, grâce à Bibi, demoiselle de compagnie dans la haute noblesse du grand monde… Pour s’exprimer avec une élégance fashionnable, dans les salons dorés de l’aristocratie, on ne dit pas : « M’en fous ! » qu’est du style négligé, abstractif et populatoire… On doit dire la phrase bien complète, avec tous ses agréments et qualificatifs divers : « Je m’en fous ! » ce qu’est le genre distingué et copurchic des dames bien élevées. Tâche de te souvenir mémorativement de ça, quand tu te gobergeras dans un luxe scintillant et fabulatoire, chez Mme la comtesse d’Accouplévoux.

— Une comtesse ! brâma Sophie émerveillée. Ma Zouzoune va tenir compagnie à une comtesse !

— Parfaitement, ma vieille !… Pour dire toute la vérité intrinsèque et mathématique, y’aura là quèques autres dames ou demoiselles compagnatives au même degré…

Ouvrant des yeux comme des trous d’obus, Sophie admirait ces mœurs aristocratiques avec une confiance d’autant plus grande qu’elle n’avait rien compris du tout.

Zouzoune la mit au fait, brutalement :

— C’est une maison de passe, quoi ! Je m’en fous, somme toute !… Être là ou ailleurs, qu’est-ce que ça peut bien me fiche ?… J’irai, chez ta comtesse. J’irai, quand ça ne serait que pour voir si on y réussira ce que personne n’a pu réussir jusqu’à présent. Ce coup-ci, ce sera vraiment la guigne des guignes, si on ne parvient pas à me la faire sauter, ma vertu !