Éditions Prima (Collection gauloise ; no 95p. 36-40).

ix


Vous pensez bien que Zouzoune, si lourde de sa vertu trop longuement gardée, se trouvait le lendemain, dès six heures du soir, à la station de métro Opéra. Et vous êtes bien certain que Gaston l’y attendait.

En quoi vous vous trompez, lecteur, car l’amoureux ne parut pas.

Et le sournois n’avait même pas donné son adresse à Zouzoune. Comment le retrouver, comment lui faire savoir qu’elle l’aimait toujours, et entendait bien ne dédier sa vertu à nul autre que lui ?

Sa vertu ! On la lui avait rivée avec des crampons de fer, décidément, elle ne parviendrait jamais à s’en débarrasser !

La voyant rentrer toute pâle, toute bouleversée, Sophie comprit aussitôt que la pauvre enfant n’avait pas encore fait connaissance, bien sûr, avec le petit objet qui tenait une si grande place dans les préoccupations maternelles. Et comme il ne pouvait, selon son âme toute simple, advenir à nulle femme un plus grand malheur que d’être privée de cela, la bonne mère demanda, sincèrement apitoyée :

— Encore Jeanne d’Arc, ma chouchoute ?… C’est donc un fainéant et un propre-à-rien, le gigolo à qui qu’ t’avais donné ta confiance ?

En pleurant, Zouzoune, conta son histoire, Sitôt qu’elle eut fini, une voix brumeuse s’éleva de l’alcôve, où Casimir soignait encore le magnifique mal aux cheveux qu’il avait pu, enfin, s’administrer la nuit précédente. Cette voix disait, auguste et paternelle :

— T’en fais pas, la gosse !… Malgré qu’ ça soye qu’un petit employé sans le sou, ton Clarinet, Casimir est toujours imputresciblement debout, pour te le récupérer, avec son courage indéfectif… Je fais le jurement assermenté de me mettre à la recherche de ce Clarinet, pour vous réintégrer de ses nouvelles toutes fraîches. Mais le souci de la véridicité m’oblige à amplifier dans ce sens, que je ne pourrai vous percuter le moindre racontar, si je ne suis pas possessif d’un capital initiateur de cinq ou six francs, lequel n’engendrera qu’une plus grande plénitude de vérité, s’il se trouve par hasard supérieur à lui-même… Chiale pas, la gosse, que je te dis !… Bien que ça soye qu’un petit employé sans le sou, je te le récupérerai, ton Clarinet !

Malgré ce magnifique discours, Zouzoune continuait à pleurer, inconsolable. Mais Sophie murmurait, les mains jointes devant l’alcôve, comme devant la statue d’un saint, vénérable et héroïque martyr de sa foi :

— Quel brave homme, mon Casimir !… Y’ a pas plus brave homme que lui dans tout Ménilmontant !

Aussi put-elle, le lendemain, procurer à ce si brave homme un petit pécule de sept francs cinquante, laborieusement arrachés, comme avance d’honoraires, à l’avarice d’une cliente.

Ainsi lesté, Casimir alla tomber, bien entendu, à l’heure de l’apéritif, dans le petit bar où devait inévitablement se trouver, à cette heure sacrée entre toutes, l’homme de peine de la bijouterie Clarinet.

Après un quart d’heure de conversation agréable et suggestive, puisque consacrée, avec preuves à l’appui, aux valeurs comparées de diverses boissons alcooliques, Casimir insinuait adroitement :

— Et ton singe, vieux frère, y va toujours d’une façon avantageuse et boulottante ?

— J’en sais rien de rien, répondit l’autre, vu que le singe, depuis hier matin, est en voyage à l’étranger, hors Paris. Il était pas mauvais, ce picon-citron, mais, si je m’aurais consulté plus attentivement, je crois que j’aurais préféré un anis à la gentiane.

— Patron, deux anis à la gentiane !… Alors, si ton singe est migrativement défectif, je m’accrédite que c’est son fils Gaston, ce beau grand jeune homme, qui le relaie dans le commerce comme coadjuteur de rechange ?

— Tu fais-t-erreur, ma vieille, vu que M. Gaston il est aussi dans les pays lointains, où que le singe l’a emmené de force.

— De force, nom d’une cuite !… C’est-y que le jeune homme aurait barbotivement usurpé quelques brillants et autres camées paternels, peut-être bien ?

— T’es pas, que j’ te dis !… C’est toute une histoire, ma vieille. Avant-hier au soir, M. Gaston a rentré qu’il était comme un âne en peigne, ainsi qu’on dit… Sa maman elle lui a tiré les vers du nez, vu qu’y a pas plus chien que cette vieille poule-là pour moucharder tout le monde en général, et l’homme de peine en particulier… Le jeune homme a fini par avouer qu’il avait du chagrin rapport à ses amours, étant donné que c’est encore trop innocent pour comprendre que toutes les poules du monde, ça vaut pas un apéro bien tassé… « J’aime une petite couturière de rien du tout, qu’il a dit… Je voulais en faire ma maîtresse, mais son père s’y refuse et s’y oppose, parce qu’il n’est pas consentant, rapport à la chose de l’honneur familial. Alors, je vous demande la permission de l’épouser en mariage légitime… » Sur quoi le singe, qu’est malin comme un vrai, y a répondu tout tranquillement : « Je veux bien que tu épouses une petite couturière… J’y mets qu’une seule et unique condition : c’est qu’elle aura un million de dot… » Et comme M. Gaston a bien dû avouer qu’elle avait pas un pelot, tu penses bien, le singe y a collé ça sus l’citron : « Demain, je m’embarque justement pour Londres. Je t’emmène avec moi, et t’y resteras chez ton oncle Gérard, le marchand de perles, jusqu’à ce que t’aies oublié ton béguin. »… Et il a fait comment qu’il avait dit, à preuve que c’est Bibi qu’a trimballé leurs valises à la gare Saint-Lazare… Ma vieille, c’est pas mauvais, l’anis à la gentiane, mais si c’était à refaire, je crois que je m’aurais entêté sur le picon-citron, qui me paraît plus réconfortant et plus j’te gratte là où qu’je passe.

— Non, vieux frère, vu qu’y me reste à peine pour la moitié médiane d’un seul. Et puis, je me demande pourquoi que je reste là à te passer des schampooings à l’alcool sur les amygdales, pour auditionner tes bobards consécutifs à ton singe et à sa progéniture dynastique… Qué qu’tu veux qu’ça m’foute, à moi, des histoires de gens qui se transmigrent par delà les mers où que je pourrai jamais me déporter ?… T’as pas à craindre que les cognes te confisquent ce soir pour ivresse publique, vieux frère, si tu comptes que sur moi pour élaborer la prédisposition de la chose.

Rentré chez lui, Casimir annonça brutalement :

— Gaston Clarinet est une personnalité interlope, infamante et dévergondée, que Zouzoune ne doit plus y songer pour la perpétration d’un avenir judicieux… Tout au reste, il s’a embarqué hier matin pour l’Australie, sans esprit de retour rétrograde, avec une négresse qu’il a tortueusement détournée de ses devoirs dans le claque où elle était encore engagée pour trois mois, et qui l’emmène pour se fixer indissolublement avec lui dans son pays natal et autochtone. C’est donc une affaire conclusionnée par extinction terminale… Zouzoune n’a plus à compter que sur le courage de son père occasionnel, pour l’engendrement de son avenir complémentaire.

— Y’ a-t-y des hommes qui sont canailles, tout de même ! s’exclama la bonne Sophie.

Et toute la nuit, dans sa soupente, Zouzoune pleura sur l’infamie de ces monstres d’hommes, qui partent ainsi pour l’Australie avec des négresses, sans même daigner vous rendre le léger service, qu’on leur demandait bien poliment, de faire sauter enfin votre vertu.