Ronsard - Œuvres, Buon, 1587/L’hynne qu’après tes. Victoire de François de Bourbon.

LA VICTOIRE DE FRAN-
çois de Bourbon, Comte d’An-
guien, à Cerizoles.


ode vi. Stro. i.


L’Hynne qu’apres tes combas
Marot fiſt de ta victoire,
Prince heureus, n’egala pas
Les merites de ta gloire :
Ie confeſſe bien qu’à l’heure
Sa plume eſtoit la meilleure
Pour esbaucher ſimplement
Les premiers traits ſeulement.

Mais moy nay d’vn meilleur âge,
Aux lettres induſtrieux,
Ie veux parfaire l’ouurage
D’vn art plus laborieux.

Antiſtro.

Tenant icy l’arc au poing
Des neuf Muſes bien peignées,
Ie ru’ray l’honneur plus loing
De tes victoires gaignées,
Et iuſqu’aux eſtranges riues
I’enuoiray tes vertus viues,
Tes coups de maſſe & l’horreur
De ta vaillante fureur
Qui tonnoit en ton ieune âge,
Moiſſonnant les ennemis
Que le Martial orage
Deuant ta foudre auoit mis.

Epode.

Voy voler mon dard eſtrange
Par la Muſe emmiellé,
Qui vient frapper ta louange,
De tes victoires ailé.
Ores il ne faut pas dire
Vn bas ton deſſus ma Lyre,
Ny vn chant qui ne peut plaire
Qu’aux oreilles du vulgaire :
Mais des vers graues & bons
Haut-celebrant par ceſte Ode
Dite à la Thebaine mode
François l’honneur des Bourbons.

Stro. 2.

Qui dés la ieune ſaiſon

Quand la iouuence dorée
Friſe la creſpe toiſon
Sur la iouë colorée,
Par la poincte de ſa lance
Reſeuilla l'honneur de France,
Lors que mattant la vertu
Du vieil Marquis combatu,
Trancha les peuples d'Eſpagne
L'vn deſur l'autre ruez,
Pauant toute la campagne
D'hommes naurez & tuez.

Antiſtro.

Comme vn affamé lion
Qui de ſang la gorge a cuite,
Tout ſeul donte vn million
De cerfs legers à la fuite:
Ores rouant ſa grande maſſe,
Et ores ſa coutelace,
Conquiſt ſeul pour ſon butin
L'Allemant fier & mutin,
Et maiſtre de la victoire
Luy graua deſſus le dos
En lettres rouge la gloire
De la France & de ſon loz.

Epode.

» Iamais la Muſe ne ſoufre
» Qu'vn ſilence ſommeillant
» En ſes tenebres engoufre
» Les faits d'vn homme vaillant.
La France ne voit encore
De nul Prince, qu'elle honore,
La gloire ſi bien empreinte,

Comme i’ay la tienne peinte,
Pouſſant le nom par mes vers
De toy Prince, qui eſt dine
D’eſtre Seigneur de mon Hynne,
Voire de tout l’vniuers.

Stro. 3.

Muſes, ne vaut-il pas mieux
Que le ſon de ma Lyre aille
Aux vieux Bourbons ſes ayeux
Annoncer ceſte bataille ?
Seule douce recompenſe
Des coups & de la deſpenſe.
La poudre des vieux tombeaux
N’engarde que les faits beaux
Des fils ornez de merueilles
N’aillent là bas reſiouyr
De leurs peres les oreilles
Eſgayez de les ouyr.

Antiſtro.

Fille du neueu d’Atlas,
Poſte du Monde où nous ſommes,
Qui n’euz oncques le bec las
D’eſuenter les faits des hommes,
Va-t’en là bas ſous la terre
Et à Charles, & à Pierre :
Dy que François leur neueu
Auiourd’huy veinqueur s’eſt veu
De l’Imperiale audace :
Et dy que ſa ieune main
N’a point deſmenty ſa face
Par vn faict couard & vain.

Epode.

» Autour de la vie humaine
» Maint orage va volant,
» Qui ores le bien ameine,
» Ores le mal violant.
» La rouë de la Fortune
» Ne ſe monſtre aux Rois toute vne,
» Et iamais nul ne ſe treuue
» Qui iuſqu'à la fin eſpreuue
» L'entiere felicité.
» Les hommes iournaliers meurent,
» Les Dieux ſeulement demeurent
» Francs de toute aduerſité.