ACTE CINQUIÈME


HUITIÈME TABLEAU


À l’hôtel de Sallendrera. — Un pavillon donnant sur les jardins.


Scène PREMIÈRE

LE DUC, WILLIAM, ARMAND, CARMEN.
WILLIAM, terminant un récit.

Vous savez maintenant, monsieur le duc, pourquoi, dans votre salon hier, je vous disais : « Ajournez… ajournez ce mariage… » Ce n’était que lorsque ces preuves auraient été remises entre mes mains, que je pouvais parler et agir… Il vous est complètement démontré que Joseph Fippart était un imposteur… et que M. Armand est bien le véritable comte de Chamery…

CARMEN.

Mon cœur ne m’avait donc pas trompée !…

ARMAND.

Chère Carmen, ce nom, ce titre ne me sont précieux que parce qu’ils me rapprochent de vous…

LE DUC.

Il ne peut me rester aucun doute ; mais comment nous sera-t-il possible de jamais nous acquitter envers vous, monsieur ?…

WILLIAM.

Monsieur le duc, mon frère, le major Gordon, en repartant pour les Indes, m’avait confié la mission que j’ai eu le bonheur d’accomplir… Joseph Fippart, dénoncé par vous, pourra, je l’espère, être arrêté dans sa fuite et restituera la fortune dont il s’est emparé… Ma tâche est terminée et je pars…

ARMAND.

Vous nous quittez déjà ?…

WILLIAM.

J’ai hâte d’aller retrouver mon frère ; demain, je veux être à Londres. (S’approchant du duc.) Adieu, monsieur le duel… (À Carmen.) Mademoiselle de Sallendrera veut-elle me permettre de prendre congé d’elle ? (Pendant qu’il salue Carmen, celle-ci lui tend sa main, qu’il porte à ses lèvres.)

UN VALET entre et remet une carte au duc.

Pour M. le duc…

LE DUC, après avoir lu la carte.

Cet homme chez moi… (Au valet.) Faites entrer…


Scène II

Les Mêmes, un Inconnu.
L’INCONNU.

Monsieur, les devoirs qui me sont imposés justifient ma présence dans votre hôtel… Une déclaration vient de nous être faite… Vous avez été trompé par un indigne faussaire.

LE DUC.

Je le sais, monsieur, grâce au docteur Gordon, qui nous a tout appris.

L’INCONNU, regardant William.

Le docteur Gordon ?

WILLIAM, à part.

Un magistrat ! diable ! (Au duc.) Mes moments sont comptés… permettez-moi, monsieur, de me retirer…

L’INCONNU.

Vous ne pouvez pas sortir, monsieur…

WILLIAM.

Hein ?…

L’INCONNU.

J’ai besoin de renseignemens importants que vous seul pouvez fournir.

WILLIAM.

Moi ?…

L’INCONNU.

Il résulte de l’enquête que j’ai dû ouvrir à la suite de la déclaration qui m’a été faite…

WILLIAM.

Par madame Fippart, sans doute ? (Au duc.) La mère du misérable qui vous a trompé… une pauvre honnête femme qui n’a pas voulu, en se taisant, être la complice de son fils.

L’INCONNU.

Il résulte, dis-je, de cette déclaration nue Joseph Fippart a été vu entrant dans vôtre hôtel… Qu’y venait-il faire ?… pouvez-vous nous le dire ?…

WILLIAM.

Parfaitement, monsieur ; si j’avais caché cette visite, c’est qu’il ne me convenait pas de faire parade de beaux sentiments. Fippart me savait possesseur de pièces qui pouvaient le perdre et voulait me les racheter au prix d’une fortune ; M. le duc et Armand savent si j’ai repoussé ses offres.

L’INCONNU.

Pouvez-vous encore expliquer, monsieur, comment Joseph, entré dans votre hôtel n’en est pas sorti ?…

WILLIAM.

Joseph a pris la fuite, monsieur, emportant sans doute la fortune qu’il avait volée ; il est sorti de chez moi, je l’affirme ; s’il avait été en mon pouvoir de le retenir, je l’eusse livre à la justice… Vous n’avez plus rien à me demander, je suppose.

L’INCONNU.

J’ai à vous dire qu’on vous accuse d’avoir tué Joseph Fippart. (Mouvement général.)

TOUS.

Lui ?

WILLIAM.

Moi ?… Comment ! parce que ce grand coupable à disparu, parce que, trompant votre surveillance, il a quitté mon hôtel sans être vu… on le croit mort… et on m’accuse de l’avoir tué, moi ?… Et qui donc m’accuse, monsieur ? La mère, n’est-ce pas, qui, dans la fièvre du désespoir, jette au hasard un nom ?… Oui, c’est cette pauvre mère que la douleur achève de rendre folle, c’est elle qui m’accuse ?…


Scène III

Les Mêmes, BACCARAT.
BACCARAT, paraissant.

Non, misérable !… C’est moi !…

WILLIAM, reculant.

Baccarat ! Baccarat vivante !

BACCARAT.

Moi que vous aviez condamnée à une mort horrible ! moi qui ai été sauvée par le dévouement d’une sainte femme qui, sachant le piège qui m’était tendu, a pris ma place dans le souterrain où Rocambole m’attendait pour me tuer… Rocambole, votre complice, que vous vouliez faire disparaître à tout prix avec moi.. Ah ! je vous connais à présent, sir William !

ARMAND.

William !

BACCARAT.

Oui, monsieur le comte, William qui s’était servi de moi pour vous attirer dans l’île de Croissy… qui m’avait lui-même dicté la lettre qui vous y avait appelé… (À William.) Si tu n’as plus le même visage, tu as toujours la même âme, assassin, assassin !…

WILLIAM.

Mensonge !…

L’INCONNU.

L’eau, en pénétrant dans le souterrain dont parle madame en a révélé l’existence ; quand on a pu y descendre, on y a trouvé deux victimes.

BACCARAT.

Deux cadavres !


Scène IV

Les Mêmes, JEAN.
JEAN, s’avançant, à Baccarat.

Faites excuse : la chère madame Fippart respirait encore, le médecin a promis de la sauver… Quant à Joseph… oh ! pour celui-là, c’était bien fini.

WILLIAM, à part.

Ah ! Rocambole seul pouvait me perdre, et Rocambole est mort !… (Haut.) En vérité, cette accusation est trop insensée… Quel intérêt avais-je à tuer cet homme ?…

JEAN.

Je demande à répondre.

L’INCONNU.

Parlez.

JEAN.

Il avait l’intérêt de garder le capital… Cinq millions qu’on a trouvés chez lui…

WILLIAM.

Je nie, entendez-vous bien !… je nie et ce vol et ce meurtre. Rocambole a seul le secret de tout ceci… Inquiet et n’osant rentrer chez lui, il aura déposé, à mon insu, ce portefeuille chez moi… Plus tard, se croyant dénoncé, poursuivi… il aura voulu se cacher lui-même dans les souterrains de mon hôtel… pour fuir avec sa mère cette nuit. C’est là que l’inondation l’aura surpris… Oui, voilà ce qui doit être la vérité, voilà ce que vous dirait cet homme, s’il pouvait parler… Mais les morts ne parlent pas…

BACCARAT.

Le mort a parlé… Sur le cadavre, on a trouvé une preuve fournie par la victime elle-même… tracée avec son sang… « Le docteur Gordon, sir William, César Andréa, chef des valets de cœur, ne sont qu’un même homme. Andréa était mon complice, et il m’a tué. Joseph Fippart »… (L’inconnu, après avoir lu la carte, met la main sur l’épaule de William.)

L’INCONNU.

César Andréa, je vous arrête !…

JEAN.

Quelle chance que Joseph ait fait son testament… (À William) en votre faveur !


FIN