Rivalité de Charles-Quint et de François Ier/2/01

RIVALITÉ
DE CHARLES-QUINT
ET
DE FRANÇOIS Ier

LE CONNÉTABLE DE BOURBON.[1]
SA CONJURATION AVEC CHARLES-QUINT ET HENRI VIII CONTRE FRANÇOIS Ier, — INVASION DE LA FRANCE EN 1523.

I.

Le connétable de Bourbon était en France le dernier grand souverain féodal. Il y possédait, à titre de fief ou d’apanage, des provinces entières. Le duché de Bourbonnais, le duché et le dauphiné d’Auvergne, le comté de Montpensier, le comté de Forez, le comté de La Marche, auxquels se rattachaient vers le sud les vicomtes de Cariât et de Murat, les seigneuries de Combrailles, de La Roche-en-Regniers et d’Annonay, le rendaient maître d’un territoire aussi compact qu’étendu dans le centre même du royaume. Ce vaste territoire se prolongeait du côté de l’est jusqu’à la Bresse par l’importante seigneurie du Beaujolais, qui longeait la rive droite de la Saône, et par la principauté de Dombes, assise sur la rive gauche. Outre la domination qu’il exerçait ainsi de Bellac à Trévoux, de Moulins à Annonay, le connétable de Bourbon avait en Poitou le duché de Châtellerault, en Picardie le comté de Clermont, dotation primitive du sixième fils de saint Louis, dont il tirait son origine. Possesseur de tant de pays, il devait être un sujet suspect pour François Ier, même en restant dans l’obéissance, et pouvait lui devenir un ennemi redoutable, s’il en sortait.

Des dynasties provinciales issues de la dynastie centrale des Capétiens, celle des Bourbons demeurait la seule. Les maisons apanagées de Bourgogne et de Bretagne, qui avaient suscité tant de guerres intestines, appuyé tant d’invasions étrangères, avaient pris fin récemment. Avec Charles le Téméraire s’était éteinte la postérité masculine de ces ducs de Bourgogne, qui, détachés les derniers de la tige royale, avaient fondé la plus formidable puissance au nord de la France, possédé presque tous les pays depuis les cimes du Jura jusqu’aux bords du Zuyderzée, disposé longtemps de Paris, soulevé plusieurs fois le royaume, fait asseoir sur le trône aux fleurs de lis le roi d’Angleterre, et tenu en échec Louis XI lui-même. Ce monarque heureux et habile, profitant d’un concours de circonstances qu’il ne dépendait pas de lui de faire naître, mais qu’il avait eu l’adresse de ne pas laisser échapper, avait su rattacher à la couronne les états de plusieurs grandes maisons apanagées. En peu d’années, il avait recouvré le duché d’Anjou par la mort du roi René, en qui finissait la descendance masculine directe de la seconde maison d’Anjou, et, en même temps qu’il était rentré dans le comté du Maine, il avait acquis le comté de Provence par le magnifique legs qu’il avait obtenu de Charles III expirant. Il avait repris la riche province de Bourgogne en vertu du droit de réversibilité à la couronne qu’il avait fait valoir les armes à la main avec non moins d’efficacité que d’à-propos, lorsqu’avait succombé devant Nancy son quatrième duc, ne laissant qu’une fille pour lui succéder. Enfin, immédiatement après lui, la vaste et indépendante Bretagne avait été incorporée au royaume par le mariage de son fils Charles VIII avec la duchesse Anne, unie ensuite à Louis XII, et dont la fille et l’héritière Claude avait épousé François Ier.

Ces incorporations de provinces avaient accru la force de la monarchie en même temps qu’elles avaient augmenté l’étendue de la France ; elles semblaient avoir également affermi la paix intérieure dans le royaume. Avec les ducs de Bourgogne et de Bretagne avaient disparu les périls des troubles féodaux, et, en ne rencontrant plus l’assistance de vassaux aussi puissans, les invasions étrangères devenaient moins faciles et moins fréquentes. La maison féminine de Bourgogne, qui conservait la Franche-Comté sur le flanc oriental de la France, était au fond séparée du royaume. Unie d’abord à la maison d’Autriche, puis aux maisons de Castille et d’Aragon, toutes représentées alors par Charles-Quint, qui en était le commun héritier, elle avait cessé d’être dangereuse au dedans, bien que du dehors elle restât toujours menaçante. Le souverain des Pays-Bas ne pouvait plus troubler la France par des soulèvemens, il ne pouvait l’attaquer que par la guerre. Si les rois d’Angleterre, dans leurs descentes sur le continent, devaient rencontrer encore l’appui de ses armées, ils n’avaient plus à compter sur les forces de provinces dissidentes comme la Bourgogne ou la Bretagne, sur les mouvemens d’une capitale insurgée comme Paris, sur les prises d’armes d’un parti féodal comme la faction bourguignonne.

Mais ce danger pouvait renaître par la révolte et à l’instigation du chef de la grande maison qui se maintenait encore au centre du royaume. Le duc de Bourbon vivait en vrai souverain dans ses immenses domaines. Il tenait à Moulins une cour brillante. Il y était entouré de la noblesse de ses duchés et de ses comtés, qui lui conservait le dévouement féodal. Il avait une nombreuse garde ; il levait des impôts, il assemblait les états du pays, il nommait ses tribunaux de justice et sa cour des comptes ; il pouvait mettre une armée sur pied, il entretenait sur plusieurs points de son territoire des forteresses en bon état, et lorsqu’il cessait de vivre, ses restes étaient portés avec une pompe toute royale dans les caveaux de l’abbaye de Souvigny, qui était pour les ducs de Bourbon ce que l’abbaye de Saint-Denis était pour les rois de France. A la mort du duc Pierre en 1503, on avait vu près de dix-sept cents officiers de sa maison[2] l’accompagner jusqu’à la célèbre nécropole bénédictine qui s’élevait à deux lieues des tours de Bourbon-l’Archambault, et qui ne devait pas recevoir les dépouilles exilées du connétable, son successeur et son gendre.

Celui-ci, monté au trône ducal sous le nom de Charles III, y était arrivé et comme représentant mâle de la deuxième ligne de la maison de Bourbon et comme mari de l’héritière directe de la première ligne restée sans descendance masculine. Il appartenait à la branche cadette des Bourbon-Montpensier, et il avait épousé Suzanne de Bourbon, fille unique du duc Pierre et d’Anne de France, en qui prenait fin la branche aînée, jusque-Là régnante. Il avait obtenu toutes les possessions de la maison de Bourbon en réunissant les droits des deux branches. A l’office de grand-chambrier de France, héréditaire dans la maison de Bourbon, il avait joint l’office de connétable, dont l’épée, mise aux mains de plusieurs des ducs ses prédécesseurs, avait été confiée aux siennes par François Ier l’année même de son avènement à la couronne.

Le connétable de Bourbon était aussi dangereux qu’il était puissant[3]. Il avait de fortes qualités. D’un esprit ferme, d’une âme ardente, d’un caractère résolu, il pouvait ou bien servir ou beaucoup nuire. Très actif, fort appliqué, non moins audacieux que persévérant, il était capable de concourir avec habileté aux plus patriotiques desseins et de s’engager par orgueil dans les plus détestables rébellions. C’était un vaillant capitaine et un politique hasardeux. Il avait une douceur froide à travers laquelle perçait une intraitable fierté, et sous les apparences les plus tranquilles il cachait la plus ambitieuse agitation. Il est tout entier dans ce portrait saisissant qu’a tracé de lui la main de Titien, lorsque, dépouillé de ses états, réduit à combattre son roi et prêt à envahir son pays, le connétable fugitif avait changé la vieille et prophétique devise de sa maison, l’espérance, qu’un Bourbon devait réaliser, avant la fin du siècle, dans ce qu’elle avait de plus haut, en cette devise terrible et extrême : omnis spes in ferro est, toute mon espérance est dans le fer. Sur ce front hautain, dans ce regard pénétrant et sombre, aux mouvemens décidés de cette bouche ferme, sous les traits hardis de ce visage passionné, on reconnaît l’humeur altière, on aperçoit les profondeurs dangereuses, on surprend les déterminations violentes du personnage désespéré qui aurait pu être un grand prince, et qui fut réduit à devenir un grand aventurier. C’est bien là le vassal orgueilleux et vindicatif auquel on avait entendu dire que sa fidélité résisterait à l’offre d’un royaume, mais ne résisterait pas à un affront[4]. C’est bien là le serviteur d’abord glorieux de son pays qu’une offense et une injustice en rendirent l’ennemi funeste, qui répondit à l’injure par la trahison, à la spoliation par la guerre. C’est bien là le célèbre révolté et le fougueux capitaine qui vainquit François Ier à Pavie, assiégea Clément VII dans Rome, et finit sa tragique destinée les armes à la main, en montant à l’assaut de la ville éternelle.

Charles de Bourbon avait été élevé à la cour de sa tante Anne de France, qui, sous le nom de dame de Beaujeu, avait gouverné si virilement le royaume pendant la minorité de son frère Charles VIII, et avait continué, sans cruauté, la politique habile de son père Louis XI. Cette femme prévoyante avait pourvu avec un soin vigilant à la forte éducation du jeune prince[5], qu’elle savait être l’héritier naturel des Bourbons et dont elle devait plus tard faire son gendre. De bonne heure, Charles de Bourbon était devenu un chevalier accompli et s’était montré homme de guerre aussi distingué que vaillant. A peine âgé de dix-neuf ans, il avait commandé, en 1508, à la bataille d’Aygnadel, les deux cents pensionnaires du roi qui, avec les hommes de leur suite, formaient une troupe de quinze cents à deux mille combattans. A leur tête, il avait exécuté, avec autant de vigueur que d’à-propos, une charge décisive, et il avait contribué au gain de cette célèbre journée, où avait été renversée en quelques heures la puissance que les Vénitiens avaient si lentement acquise dans la Lombardie orientale[6]. Lorsque la défaite de Novare, la perte de l’Italie, l’invasion de la Bourgogne par les Suisses eurent attristé de revers nombreux le règne de l’excellent et inhabile Louis XII, le duc Charles de Bourbon avait été chargé, en 1514, de couvrir la frontière menacée de l’est et de repousser les périls auxquels était exposé le territoire même de la France. Il l’avait fait vite et bien. Il avait mis en état de défense des provinces ouvertes qu’il délivra des soldats débandés, et il avait introduit une rigoureuse discipline parmi des troupes qui, à cette époque, n’en supportaient pas[7].

Investi peu de temps après de l’office de connétable par François Ier, il prit part à la campagne d’Italie qui suivit l’avènement de ce monarque au trône, et pendant les deux jours que dura la rude bataille de Marignan, il commanda en capitaine et combattit en homme d’armes. Reconnu pour l’un des principaux auteurs de cette importante victoire, il fut laissé par François Ier comme son lieutenant-général au-delà des monts. Il avait contribué à conquérir le Milanais sur le duc Sforza, que soutenaient les Suisses, restés jusqu’alors invincibles ; il sut le conserver contre les agressions de l’empereur Maximilien, qui était descendu en Italie à la tête d’une armée formidable. Ces grands services qu’il avait rendus à la couronne furent presque aussitôt suivis de sa disgrâce. Huit mois après la victoire de Marignan, deux mois après l’évacuation de la Lombardie par l’empereur Maximilien, François Ier rappela le connétable de Bourbon, qui avait sauvé le duché de Milan, et il mit à sa place le maréchal de Lautrec, qui devait le perdre. Dès ce moment, soit par une ingrate légèreté de François Ier, soit par une défiance prématurée de sa part, le connétable, tombé dans la défaveur, avait été dépouillé de toute autorité, n’avait point été remboursé de ce qu’il avait dépensé pour l’utilité du roi en Italie, ni payé de ses pensions comme grand-chambrier de France, comme gouverneur de Languedoc et comme connétable.

Relégué dans ses états, il avait paru de temps en temps à la cour, en grand-officier négligé, en serviteur encore soumis, en prince du sang maltraité ; mais il y avait paru avec splendeur et avec fierté. La suite de ses gentilshommes et son éclat fastueux, en laissant trop voir sa puissance, avaient ajouté à sa défaveur. Il avait déployé une magnificence remarquée et montré beaucoup de hauteur à la célèbre entrevue du camp du Drap-d’Or, où le roi d’Angleterre et le roi de France s’étaient promis une amitié « inaltérable » qui n’avait pas duré plus d’une année. Lorsque François Ier avait parcouru le Poitou et la Guienne, le connétable était allé le recevoir dans son duché de Châtellerault, où il lui avait offert, avec la plus dispendieuse hospitalité, les plaisirs recherchés des plus belles chasses. C’est là que le roi, visitant le magnifique château qu’avait fait élever dans le voisinage son favori Bonnivet, demanda au connétable, comme en le narguant, ce qu’il en pensait. « Je pense, répondit-il avec son esprit altier et acéré, que la cage est trop grande et trop belle pour l’oiseau. — Ce que vous en dites, ajouta le roi, c’est par envie. — Comment votre majesté peut-elle croire, repartit le connétable, que je porte envie à un gentilhomme dont les ancêtres ont été heureux d’être les écuyers des miens[8] ? »

À l’époque de la rupture de François Ier et de Charles-Quint, le connétable ne fut point compris dans la distribution des quatre grands commandemens militaires de la Picardie, de la Champagne, de la Guienne, de la Lombardie, qu’avait formés François Ier pour faire face à l’ennemi sur ses diverses frontières. Ces grands commandemens avaient été donnés au timide duc d’Alençon, au médiocre duc de Vendôme, à l’arrogant Bonnivet, à l’inconsidéré Lautrec[9]. L’affront d’une aussi opiniâtre défaveur fut vivement ressenti par le connétable de Bourbon, qui reçut bientôt une injure plus directe et moins supportable. Mandé à l’armée de Picardie lors de la première campagne, il y était venu avec six mille hommes de pied et trois cents hommes d’armes levés dans ses états. En cette rencontre, où les forces qu’il amenait devaient être d’un si grand service et méritaient un si haut prix, il subit une impardonnable humiliation. L’office de connétable donnait droit au commandement de l’avant-garde. Ce commandement, dont il s’était acquitté avec tant de gloire en 1515, et qu’il aurait rempli avec non moins de succès en 1521, lui fut alors ôté. François Ier en chargea le duc d’Alençon, qui le servit mollement vers Valenciennes, et qui plus tard l’abandonna lâchement sur le champ de bataille de Pavie, Placé sous les yeux et comme sous la surveillance du roi, le connétable fut profondément blessé de cette offense, dont il ne se plaignit point, mais qu’il n’oublia jamais.

Il semble que François Ier, en butte à tant d’ennemis extérieurs, n’aurait pas dû leur donner un redoutable auxiliaire dans son propre royaume. Ayant contre lui l’empereur, le roi d’Angleterre, le pape, la plupart des états d’Italie, étant expulsé de cette péninsule et voulant y rentrer, disposé à continuer la guerre et préparant tout pour recouvrer Milan, la politique comme l’intérêt lui conseillaient de ménager le connétable de Bourbon et de se servir de lui. Il fit tout le contraire. A la continuité de la disgrâce s’ajouta alors pour le connétable la menace de la spoliation, et après l’avoir si fortement offensé, François Ier le désespéra. De concert avec Louise de Savoie, sa mère, il revendiqua les biens de la maison de Bourbon.

Le connétable avait perdu sa femme au printemps de 1521. Le fils qu’elle avait mis au monde en 1517, et dont le roi avait été le parrain, était mort. Depuis, elle en avait eu deux à la fois, qui, nés avant terme, n’avaient pas vécu. Le connétable était sans enfans : la fille unique et l’héritière directe du duc Pierre et d’Anne de France avait confirmé, en 1519, par son testament la donation qu’elle lui avait faite de ses biens et de ses droits en 1505; les nombreuses possessions de la maison de Bourbon lui revenaient donc, ou de son chef, ou du chef de sa femme. Ce qui pouvait être considéré comme transmissible aux femmes lui était dévolu par la donation et le testament de la duchesse Suzanne, et il tenait, du droit féodal et de la constitution monarchique des apanages, ce qui était réservé aux mâles. Louise de Savoie réclama néanmoins les possessions féminines, et François Ier voulut faire retourner à la couronne les possessions masculines comprises dans cet immense héritage, ouvert, selon eux, par la mort de Suzanne de Bourbon.

Cette revendication, si peu opportune politiquement, était-elle au moins fondée en justice ? Le droit d’après lequel se transmettaient les diverses provinces appartenant à la maison de Bourbon avait varié. Le comté de Clermont en Beauvoisis, donné en apanage à Robert, le sixième fils de saint Louis et le fondateur de cette grande maison, était d’abord seul soumis à la loi salique de la masculinité et devait revenir à la couronne, si les héritiers mâles manquaient. Le duché de Bourbonnais, les comtés de Forez et de la Marche, la principauté de Dombes, les seigneuries de Beaujolais et de Combrailles, acquis par mariage ou par succession, ne reconnaissaient dans leur transmission que la règle féodale ordinaire. Les mâles y avaient la préférence sur les femmes[10], mais à défaut de mâles les femmes en héritaient. Après 1400, la constitution qui régissait la plupart de ces biens changea sous le duc Jean Ier, fils de Louis II. Ce prince épousa Marie de Berri, fille unique du duc de Berri, frère du roi Charles V et oncle du roi Charles VI. Le duc de Berri ne tenait pas seulement en apanage la province dont il portait le nom, il possédait encore, et au même titre, le duché d’Auvergne et le comté de Montpensier. En unissant sa fille Marie à Jean Ier, il obtint du roi Charles VI que le duché d’Auvergne et le comté de Montpensier lui seraient accordés en contrat de mariage et seraient portés par elle dans la maison de Bourbon, à la condition toutefois que les provinces possédées par la maison de Bourbon passeraient de la loi féminine de succession sous la loi masculine des apanages. La dévolution à la couronne du duché d’Auvergne et du comté de Montpensier était retardée ; mais pour prix de ce retard la réversibilité du duché de Bourbonnais, du comté du Forez[11], etc., lui était plus sûrement et plus promptement acquise, puisque désormais les mâles seuls pouvaient les recevoir en héritage. Cet arrangement, autorisé par Charles VI, confirmé par Charles VII, était avantageux à la royauté, dont il ajournait, mais dont il étendait les droits[12]. Les biens de la maison de Bourbon étaient transformés en apanage par le nouveau contrat, qui en changeait la nature et en limitait la transmission.

Cette maison se divisa alors en deux lignes sous Charles et Louis, fils de Jean Ier. Charles eut comme aîné la part la plus considérable de l’héritage : il fut duc de Bourbonnais et d’Auvergne, comte de Clermont et de Forez, seigneur de Beaujolais et prince de Bombes. Louis, le cadet, reçut en apanage le comté de Montpensier, la seigneurie de Combrailles ; il eut le tiers et il acquit ensuite la presque totalité du dauphiné d’Auvergne. Le droit éventuel à l’héritage des Bourbons que la convention de 1400 assurait aux mâles de la deuxième ligne en cas de défaillance des mâles de la première fut exposé à plusieurs atteintes dans le cours du XVe siècle. Les ducs de Bourbon essayèrent de rendre cet héritage féminin en faveur des filles qui naîtraient d’eux[13] et au détriment des comtes de Montpensier, leurs collatéraux ; mais les comtes de Montpensier, par des protestations[14] opportunes et par des actes conservatoires, pourvurent avec continuité au maintien de leur droit. La dernière et la plus dangereuse des tentatives faites pour les en dépouiller eut lieu sous le duc Pierre II, qui les avait reconnus comme ses héritiers légaux en 1488[15], et qui en 1498 obtint du trop facile Louis XII des lettres patentes autorisant sa fille Suzanne de Bourbon et les descendans de sa fille à lui succéder. Les comtes Louis et Charles de Montpensier attaquèrent, l’un après l’autre, les dispositions irrégulières de ces lettres patentes surprises à la condescendance de Louis XII. Ce prince, qui n’avait été injuste que par bonté, répara lui-même avec sagesse le tort qu’il avait fait avec ignorance. Après la mort du duc Pierre, il maria le comte Charles, représentant les Montpensier, et la duchesse Suzanne, héritière des Bourbons, en 1505, afin de confondre, par leur union, les droits que l’un tenait de sa naissance et l’autre de sa concession[16]. Anne de France, mère de Suzanne et tante de Charles, provoqua elle-même cette union, qui assurait par mariage, à sa fille ce qui lui aurait été contesté par succession, et qui mettait un terme aux désaccords des deux lignes de la maison de Bourbon. Le comte de Montpensier, devenu duc de Bourbonnais et d’Auvergne, demeura possesseur sans trouble de tous les biens des deux lignes tant que dura son mariage ; mais, lorsque Suzanne mourut en 1521, ne laissant point d’héritier qui perpétuât la race et qui reçût les domaines des Bourbons de la branche aînée, la contestation commença, bien que Suzanne eût pris tous les moyens de la prévenir et de l’éviter. Ce qui pouvait lui revenir, elle l’avait cédé à son mari par une donation fortifiée d’un testament.

Y avait-il quelque incertitude sur la transmission de la totalité ou d’une partie de l’héritage? Si l’on considérait le caractère exclusivement masculin qu’avaient pris depuis 1400 les duchés de Bourbonnais et d’Auvergne, le comté de Forez etc., et qu’avait consacré l’adhésion expresse ou tacite de tant de rois, le connétable, comme dernier représentant mâle de cette branche des Bourbons, en était le possesseur substitué. Si l’on considérait la nature particulière de certains biens restés transmissibles aux femmes, tels que la seigneurie de Beaujolais et la principauté de Bombes, le connétable, comme donataire d’abord et légataire ensuite de Suzanne, en était le légitime héritier. Ainsi le voulait à cette époque la règle des héritages, et ce n’était pas à un autre titre que Louis XI avait acquis le comté de Provence, dont le testament de Charles III avait disposé en sa faveur, et qui sans cela serait revenu au duc René II de Lorraine, parent le plus rapproché de Charles III. Le double droit du connétable ne paraissait donc pas douteux : il lui était assuré par la loi monarchique des apanages en ce qui concernait les grands fiefs de sa maison restés ou devenus masculins, par la loi romaine et par l’usage en ce qui concernait les possessions dont les femmes pouvaient être les héritières ou les donatrices.

Cependant la mère du roi lui contesta les uns, et le roi lui-même revendiqua les autres. La duchesse d’Angoulême descendait par les femmes de la maison de Bourbon. Nièce du duc Pierre et cousine-germaine de la duchesse Suzanne, elle était d’un degré plus rapprochée de l’héritage que le connétable de Bourbon. S’autorisant de cette proximité plus grande, elle réclama comme étant ouverte la succession de la duchesse Suzanne. Elle invoqua la coutume ancienne, mais depuis 1400 annulée, qui rendait transmissible aux femmes le Bourbonnais et ses dépendances, et elle s’appuya également sur la concession récente, mais irrégulière, que Louis XII avait faite en 1498 à la fille du duc Pierre. Louise de Savoie y fut poussée par une avidité funeste et une prétention inconsidérée qu’encouragèrent les pernicieux conseils du chancelier Du Prat. Celui-ci mit la tortueuse habileté de l’homme de loi au service de la cupidité passionnée de la régente. Louise de Savoie voulait-elle épouser le connétable ou le dépouiller ? Les contemporains les mieux instruits ont cru qu’elle espérait l’amener à une transaction matrimoniale semblable à celle qui avait terminé en 1505 le différend entre les deux lignes par le mariage de Charles et de Suzanne[17]. Si elle ne parvenait pas à y décider le connétable, plus jeune qu’elle, et qui ressentait à son égard un dégoût mêlé d’animosité, elle comptait sur ses titres spécieux comme plus proche parente, sur son autorité comme mère du roi, sur la faiblesse du parlement, soumis à l’influence du chancelier, pour l’en punir en le dépossédant.

Elle intenta donc un procès au connétable. Dans quel moment le fit-elle ? Lorsque François Ier, en butte à une coalition extérieure formidable, avait besoin de tenir unies toutes les forces de son royaume, et d’en disposer contre les ennemis qui projetaient de lui enlever ses conquêtes en Italie et d’envahir même les frontières de France. Non-seulement il laissa sa mère poursuivre le connétable, mais il se joignit à elle. Il réclama les possessions apanagères comme échues au domaine royal. Le connétable était ainsi menacé de perdre tout ce qui, dans l’héritage des Bourbons, étant féminin, serait dévolu à la duchesse d’Angoulême, et étant masculin serait annexé à la couronne. La mauvaise volonté et la puissance de ses deux adversaires lui firent craindre une spoliation complète. La ruine allait s’ajouter à la disgrâce, et cette imminente iniquité mit le comble à toutes les anciennes offenses. Près de tomber de la plus haute position dans l’abaissement le plus insupportable à son orgueil, d’une opulence presque royale dans une détresse humiliante, il n’y tint point. Son cœur altier se révolta à cette pensée, et tout en soutenant ses droits il prépara ses vengeances.


II.

Il traita secrètement avec Charles-Quint. Des relations s’étaient déjà établies entre eux avant la rupture de l’empereur et de François Ier Le connétable, au su du roi et avec son agrément, avait envoyé l’un de ses affidés, Philibert de Saint-Romain, seigneur de Lurcy, auprès de Charles-Quint, pour négocier un arrangement relatif au duché de Sessa, dans le royaume de Naples, sur lequel il conservait des prétentions. Il avait offert des chevaux, des haquenées, des lévriers, des arbalètes et des épieux de chasse en présent à l’empereur, qui, de son côté, avait dépêché le seigneur de Longueval et un gentilhomme nommé Trollière vers le connétable pour le remercier et l’honorer[18]. Charles-Quint mettait autant de soin à acquérir de nouveaux amis que François Iermontrait de négligence à conserver ses anciens serviteurs. Aussi devait-il s’attacher tous ceux que son imprudent rival éloignait de lui. Il n’oublia rien, quelques mois après la mort de Suzanne de Bourbon, pour gagner le connétable, qu’il savait être disgracié sans qu’il fût encore prêt à devenir rebelle. Il n’était pas lui-même en guerre avec François Ier Il avait fait dire au connétable par le prévôt d’Utrecht, Philibert Naturelli, son ambassadeur à la cour de France : « Monsieur, vous êtes maintenant à marier ; l’empereur mon maître, qui vous aime, a une sœur dont j’ai charge de vous parler, si vous y voulez entendre[19]. » Le connétable fit remercier l’empereur de cette proposition, qui ne fut dans ce moment ni rejetée ni admise.

Un peu plus tard, après que la guerre eut été déclarée, et lorsque la duchesse d’Angoulême et François Iereurent réclamé les biens de la maison de Bourbon, le connétable, non moins certain de sa ruine que persuadé de son droit, chercha dans ce mariage un moyen de se soutenir ou de se venger. La duchesse Anne elle-même fut de cet avis. La fille de Louis XI, qui avait gouverné le royaume de France avec tant de fermeté et de bonheur pendant la jeunesse de son frère Charles VIII, en maintenant à l’autorité sa force et au territoire ses agrandissemens, avait changé de maximes en changeant de position. La duchesse de Bourbonnais ne pensait plus comme avait agi la régente de France. Elle chercha des appuis à la grandeur de la maison dans laquelle elle était entrée, et dont l’édifice était près de crouler par la mort de sa fille Suzanne. Ce qu’avaient fait tous les grands feudataires du royaume, ce qu’avaient fait tous les princes du sang royal, lorsqu’ils étaient en opposition d’intérêt avec la couronne, ce qu’avaient fait récemment encore les ducs de Bourgogne, les ducs de Bretagne et Louis XI, n’étant que dauphin, et ce qui devait se faire pendant tout le cours du XVIe et jusqu’au milieu du XVIIe siècle par les rois de Navarre, les ducs d’Orléans et les princes de Condé, elle le conseilla au connétable son gendre avant de mourir. «Mon fils, lui avait-elle dit, considérez que la maison de Bourbon a été alliée de la maison de Bourgogne, et que durant cette alliance elle a toujours fleuri et été en prospérité. Vous voyez à cette heure ici les affaires que nous avons, et le procès que on vous met sus ne procède que à faute d’alliance. Je vous prie et commande que vous preniez l’alliance de l’empereur. Promettez-moi d’y faire toutes les diligences que vous pourrez, et j’en mourrai plus contente[20]. » Le connétable n’eut pas de peine à suivre un conseil qu’Anne de France croyait conforme à son intérêt, et que lui suggérait sa propre passion.

Dès l’été de 1522, dans la seconde campagne sur la frontière de France et des Pays-Bas, il ouvrit à ce sujet une négociation secrète par l’entremise du sénéchal de Bourbonnais, d’Escars, seigneur de La Vauguyon, La Coussière, La-Tour-de-Bar, etc., et capitaine de cinquante hommes d’armes. Enfermé dans Thérouanne, qu’assiégeaient les impériaux, d’Escars demanda à Chabot de Brion, l’un des favoris de François Ier, et qui commandait la place attaquée, la permission d’aller conférer avec Adrien de Croy, seigneur de Beaurain, second chambellan de Charles-Quint, pour l’échange d’une terre qu’il possédait en Flandre[21]. Sous prétexte de cet échange, il instruisit alors Beaurain des sujets de mécontentement qu’avait le connétable, et de l’intention où il était d’accepter les anciennes offres de l’empereur. Le connétable ne désirait pas seulement de s’allier à Charles-Quint, il proposait de se révolter contre François Ier. Victime de l’injustice royale, il se présentait comme le futur libérateur du pays. Il s’élevait contre le gouvernement désordonné, arbitraire, onéreux, d’un prince plongé dans les plaisirs, livré aux emportemens de ses passions, et il se disait résolu à réformer l’état et à redresser l’insolente conduite du roi, qui accablait le royaume, l’appauvrissait et le mettait sur le penchant de sa ruine. Si l’empereur lui donnait l’une de ses sœurs en mariage, il était disposé à se soulever dans l’intérieur de la France et à joindre ses forces aux forces espagnoles et anglaises[22]. Il y mettrait en mouvement cinq cents hommes d’armes et huit ou dix mille hommes de pied, au moment où les troupes de Charles-Quint et d’Henri VIII paraîtraient sur les frontières du royaume. Il faisait demander que l’empereur et le roi d’Angleterre, dont il ne craignait pas de flatter les plus ambitieuses convoitises et de ranimer les prétentions à la couronne[23] de France, envoyassent des personnages de confiance et d’autorité dans le voisinage de sa principauté de Dombes, à Bourg en Bresse, où il dépêcherait lui-même son chancelier, pour se mettre d’accord sur les points importans et dresser un traité en règle.

Beaurain communiqua au comte de Surrey, amiral d’Angleterre, qui commandait sur le continent les troupes d’Henri VIII, les propositions du connétable, afin qu’il en instruisît le roi son maître, et il les porta lui-même, vers la fin de l’automne, en Espagne, où l’empereur s’était rendu depuis quelques mois. Dès ce moment, des rapports suivis et secrets s’établirent entre le connétable, l’empereur et le roi d’Angleterre, pour concerter la révolte au dedans et l’invasion du dehors. Henri VIII se montra tout d’abord très favorable aux projets de Bourbon et prêt à conclure une alliance avec lui, il fit même presser Charles-Quint par ses deux ambassadeurs, Richard Sampson et Thomas Boleyn, d’envoyer au plus tôt Beaurain muni des instructions et des pouvoirs nécessaires pour traiter[24]. Beaurain arriva en Angleterre au commencement de février 1523[25]. Il trouva Henri VIII, naguère si zélé, singulièrement refroidi. Ce prince parut même mécontent de sa rupture avec François Ier qui l’exposait à de grands périls, l’obligeait à des armemens ruineux, et l’avait réduit à des sacrifices jusque-là sans compensation. Henri se plaignait de n’avoir pas été remboursé encore par l’empereur des 150,000 écus d’or qu’il lui avait prêtés, de n’avoir rien reçu de l’indemnité de 100,000 écus d’or que Charles-Quint s’était engagé à lui payer en dédommagement de la pension annuelle que lui donnait le roi de France, et à laquelle il avait renoncé pour embrasser une alliance dont il ne sentait que les charges, et qui ne lui apportait que des dangers. Il dit qu’il avait à repousser sur la frontière d’Ecosse l’agression du duc d’Albany, qu’il avait à préserver l’Angleterre de l’invasion dont la menaçait Richard de La Poole, dernier représentant du parti dynastique de la rose blanche ; qu’il devait envoyer contre l’Ecosse une armée de trente mille hommes sous son lieutenant-général le grand-trésorier, pourvoir à la subsistance de cette armée au moyen d’une flotte chargée de vivres, et qui, montée par quatre mille bons soldats, attaquerait Edimbourg du côté de la mer ; qu’il équipait une autre flotte pour garder le canal de la Manche et assurer les communications entre les Pays-Bas et l’Espagne ; qu’il tiendrait de plus vingt-cinq mille hommes de Douvres à Falmouth, sous le commandement de son beau-frère le duc de Suffolk, pour défendre la côte d’Angleterre ; qu’enfin il se proposait de lever une grande armée de réserve à la tête de laquelle il se placerait lui-même. Il annonçait que jusqu’à ce qu’il eût affermi la sûreté intérieure de son royaume par la soumission des Écossais et la défaite de la rose blanche, et qu’il eût amassé dans ses coffres assez d’argent pour suffire à la solde de ses troupes pendant une année, il ne s’engagerait dans rien de sérieux sur le continent[26]. Il semblait suspecter, sinon les intentions, du moins la puissance de l’empereur, qu’il savait mal obéi en Espagne, et qui, dénué d’argent, était à ses yeux hors d’état de faire face aux engagemens qu’il avait contractés et d’entretenir les armées qu’il avait promis de mettre sur pied. Il reprochait à son inexact confédéré de n’avoir rempli aucune de ses obligations, tandis que lui avait été fidèle à toutes les siennes, et il voulait renvoyer la grande entreprise projetée contre la France à l’année 1525.

C’est dans ces dispositions qu’il reçut et qu’il fit partir Beaurain ; mais bientôt, avec la mobilité soudaine qu’il portait dans ses desseins comme dans ses alliances, il revint à d’autres sentimens. Il autorisa ses ambassadeurs auprès de Charles-Quint à tout concerter pour le soulèvement du duc de Bourbon[27] et pour l’invasion de la France. Il leur permit d’offrir la moitié de l’argent qu’exigerait la levée des gens de cheval et des hommes de pied que le connétable mettrait en campagne, et de déterminer avec quelles forces et dans quel moment on attaquerait François Ier dans son royaume. La double négociation du traité avec le duc de Bourbon et de l’expédition en France, après s’être poursuivie quelque temps à Valladolid, fut continuée à Londres, où les plénipotentiaires de Charles-Quint et d’Henri VIII convinrent, en mai 1523[28], des moyens et de l’époque de la grande agression, et où Beaurain arriva de nouveau le 19 juin pour régler tout ce qui pouvait faciliter la rébellion[29] et la prise d’armes du duc de Bourbon.

Conformément à ses instructions[30], Beaurain devait avant tout proposer au roi d’Angleterre et obtenir de lui qu’il contribuât à la solde des cinq cents hommes d’armes et des dix mille hommes de pied à la tête desquels se placerait le connétable révolté[31]. Après s’être assuré du concours d’Henri VIII, il avait à se rendre à Bourg en Bresse, où le connétable avait promis de se trouver, et là traiter de son mariage soit avec Éléonore, veuve du roi de Portugal, soit avec Catherine, la plus jeune des sœurs de Charles-Quint ; convenir que, dans les dix jours qui suivraient l’entrée des deux princes alliés sur le territoire de la France, il se déclarerait et joindrait ses troupes à l’armée d’invasion ; lui garantir, aussitôt qu’il serait déclaré, le paiement successif de 200,000 couronnes pour l’entretien de ses hommes de guerre ; lui demander d’ouvrir ses villes aux confédérés, qui recevraient des vivres dans ses états ; enfin lui promettre, en concluant une ligue offensive et défensive, qu’il serait soutenu envers et contre tous, et que l’empereur et le roi d’Angleterre ne feraient ni paix ni trêve sans l’y comprendre. Beaurain avait charge de s’enquérir de lui sur quels points de la France il convenait le mieux de diriger l’invasion, quels étaient les personnages qui tenaient son parti, si le duc de Lorraine, son beau-frère, le duc de Vendôme et le comte de Saint-Paul, ses cousins, Jean d’Albret, roi de Navarre, partageaient ses mécontentemens et adhéraient à ses desseins[32].

Le cardinal Wolsey remit des articles conçus dans ce sens à Beaurain au moment de son départ[33]. En même temps, le docteur Knight, ambassadeur de Henri VIII auprès de Marguerite d’Autriche, tante de Charles-Quint et gouvernante des Pays-Bas, dut suivre Beaurain, chargé d’une mission semblable à la sienne. «Le duc de Bourbon, disait Henri VIII dans ses instructions, qui est un homme d’un noble et vertueux courage, voyant combien, par le désordre, le mauvais gouvernement et l’extravagante conduite du roi François, le royaume de France est tombé dans un misérable état, surchargé qu’il est de tailles, d’exactions et d’autres impositions indues, outre les autres grandes et journalières indignités et iniquités dont l’accable le roi des Français, et sentant que le commun peuple ne peut pas les supporter plus longtemps, il a appliqué son esprit et mis ses soins à lui donner assistance et à opérer le redressement de ces énormités[34]. » Il ajoutait que, fort aimé et fort estimé dans le royaume de France, dont il voulait la réforme, le duc de Bourbon s’était adressé à l’empereur et à lui, roi d’Angleterre, et qu’il serait sans aucun doute suivi de beaucoup de nobles hommes et du peuple réduit en servitude et désireux d’en sortir. Il prescrivait au docteur Knight de se rendre en poste à Bâle, comme pour aller en Suisse, et de se transporter de là, sous un déguisement, jusqu’à Bourg en Bresse, où il trouverait Beaurain et le connétable. Henri VIII, qui prétendait être l’héritier légitime de la couronne de France, exigeait que le duc de Bourbon lui prêtât serment[35], après quoi il autorisait à conclure tous les arrangemens proposés. Le docteur Knight partit de Bruxelles à la dérobée, et s’achemina, en suivant le tortueux itinéraire qui lui était tracé, vers la ville de Bourg en Bresse, où Beaurain, arrivé au commencement de juillet, s’était enfermé dans l’abbaye de Brou[36]. Le connétable n’avait point paru. Reculait-il devant les criminels engagemens qui allaient faire de lui un traître envers la couronne et un ennemi de sa patrie, le rendre coupable d’une dangereuse révolte et complice d’une odieuse invasion ? ou bien avait-il craint de donner l’éveil sur ses projets et de les compromettre par un voyage qu’il ne pourrait pas cacher et qui exciterait la défiance de François Ier, déjà instruit en partie de ses relations ? Il était loin de se repentir, et son animosité croissante le portait aux résolutions extrêmes. Le procès qui devait le dépouiller de ses biens suivait son cours. Depuis plus d’un an, on le plaidait devant le parlement de Paris, qui avait plus le désir que la force d’être juste. Deux célèbres avocats, Bouchard et Montholon, avaient défendu les droits de sa belle-mère, Anne de France, et les siens, contre les prétentions de la duchesse d’Angoulême et les réclamations de François Ier, dont l’astucieux avocat Poyet et l’avocat-général Lizet s’étaient faits les soutiens hardis et infatigables[37]. Le roi s’était approprié déjà le comté de La Marche, le comté de Gien, la vicomte de Murat, et toutes les possessions données par Louis XI et Charles VIII à Anne de France, transmises par Anne de France à Suzanne et léguées au connétable[38]. Il avait ainsi déclaré revenus à la couronne les domaines qui en avaient été le plus récemment détachés, et il avait annulé de lui-même la donation que le connétable en avait reçue de sa femme et de sa belle-mère. Pour mieux montrer son dessein, au lieu de les incorporer au domaine royal, François Ier les avait accordés à la duchesse d’Angoulême. Le connétable avait mis opposition à cette saisie prématurée et à ce don contestable.

La cause entière était pendante devant le parlement, où le duc, menacé d’une dépossession prochaine, avait perdu, depuis le mois de décembre 1522, sa puissante auxiliaire Anne de France, qui, renouvelant ses anciennes dispositions avant de mourir, l’avait laissé son légataire universel. Bien qu’il se regardât comme héritier substitué de la partie masculine de cette succession et comme héritier doublement désigné de la partie féminine, il sentait que l’autorité de ses adversaires l’emporterait sur son droit. Le parlement traînait l’affaire en longueur ; c’était toute la justice que le connétable pouvait attendre de lui : il n’avait à espérer que dans le désistement improbable du roi et de la régente. Si le roi et la récente avaient renoncé à le dépouiller, il aurait cessé de s’entendre avec leurs ennemis. Il fit auprès d’eux une tentative au printemps de 1523. Au moment où sa cause se plaidait devant la justice, entre les deux voyages de Beaurain en Angleterre pour y négocier sa défection, le connétable se rendit à la cour. Il y parut à l’heure où le roi François Ier et la reine Claude étaient à table dans des salles séparées. Il se présenta d’abord devant la reine, qui l’invita à s’asseoir près d’elle. Informé de son arrivée, François Ier acheva rapidement de dîner et vint dans la chambre de la reine. Le duc, en voyant le roi, se leva pour lui rendre ses devoirs[39]. « Il paraît, lui dit brusquement le roi, que vous êtes marié ou sur le point de l’être. Est-il vrai ? » — Le duc répondit que non ; le roi répliqua que si, et qu’il le savait ; il ajouta qu’il connaissait ses pratiques avec l’empereur et répéta plusieurs fois qu’il s’en souviendrait. « Alors, sire, repartit le duc, c’est une menace ; je n’ai pas mérité un semblable traitement. » — Après le diner, il se rendit à son hôtel, situé près du Louvre, où beaucoup de gentilshommes l’accompagnèrent en lui faisant cortège.

Il partit ensuite pour aller attaquer une bande de soldats aventuriers qui ravageaient, sans rencontrer d’obstacle, les bords de la Champagne et de la Bourgogne du côté de Paris[40]. Ce fut la dernière fois qu’il exerça ses fonctions de connétable. Après les avoir dispersés, il retourna dans le Bourbonnais en disant tout haut qu’il renverrait à François Ier son collier de l’ordre de Saint-Michel et son épée de connétable, parce qu’il aimait mieux aller vivre pauvre hors de France que d’être si peu estimé dans le royaume. Deux seigneurs de la cour passant par le Bourbonnais le visitèrent au château de Moulins. Le connétable demanda à Saint-André, l’un d’eux, ce que le roi voulait faire de lui et ce qu’ils en avaient entendu. Saint-André lui répondit que le roi n’aspirait point à ses héritages et qu’il serait plus disposé à les lui donner qu’à les lui prendre. Le connétable leur proposa de porter à François Ier une lettre pour le remercier des bonnes paroles qu’il avait reçues d’eux ; mais ils s’excusèrent l’un et l’autre de s’en charger. Le connétable vit dans ce refus le signe des véritables dispositions du roi. Il appela ces deux seigneurs des affectez[41], parce qu’ils n’auraient pas dû décliner son message à François Ier, si François Ier eût réellement manifesté les intentions qu’ils lui avaient attribuées. Il apprit au contraire que le chancelier Du Prat conseillait de le réduire à la condition d’un gentilhomme de quatre mille livres de rente[42]. Outré au dernier point, n’espérant rien du roi, comptant peu sur le parlement, il dit avec une amertume altière « qu’il attendait des nouvelles de son procès pour savoir s’il serait duc ou Charles[43]. » L’issue n’en était pas éloignée et ne pouvait guère être douteuse. Sous la pression irrésistible de l’autorité royale, le parlement allait prononcer le séquestre des biens contestés[44], comme prélude de la dépossession du connétable, auquel il les retirerait pour les adjuger plus tard à la duchesse d’Angoulême et à François Ier.

Ce fut pendant qu’il était agité de ces craintes et en proie à ces ressentimens que le duc de Bourbon apprit l’arrivée de Beaurain à Bourg en Bresse. Il fallait se décider à traiter ou à rompre avec Charles-Quint, rester soumis à François Ier malgré de profonds mécontentemens, ou se révolter contre lui au mépris des plus saintes obligations. Le duc de Bourbon se décida pour la rébellion et la vengeance ; il fut prêt à conclure le pacte funeste qui, avec la puissance du roi, menaçait l’intégrité du royaume. Il n’alla cependant point à Bourg, de peur de se trahir. Sous le, prétexte d’un pèlerinage à Notre-Dame du Puy, il se rendit dans la partie la plus montagneuse de ses états, et il s’établit à Montbrison, capitale du Haut-Forez, avec toute sa maison[45]. C’est là qu’il fit venir l’ambassadeur de Charles-Quint, que n’avait pu joindre à Bourg l’envoyé de Henri VIII, master Knight, arrêté en route par divers incidens. Le connétable dépêcha vers Beaurain deux de ses gentilshommes, qui le conduisirent, à travers la principauté de Dombes, le Beaujolais, le Forez, jusqu’à Montbrison, où il entra le soir du 17 juillet, suivi de Loquingham, capitaine au service de l’empereur, et de Château, son secrétaire. Il fut enfermé pendant deux jours dans une pièce voisine de la chambre du connétable, et n’en sortait que la nuit pour traiter mystérieusement avec lui[46].

Le connétable avait réuni à Montbrison un grand nombre de ceux sur lesquels il pouvait compter. Avant d’y arriver, il avait eu à Varennes un long entretien avec Aymard de Prie, seigneur de Montpoupon, de La Mothe, de Lézillé, etc., et capitaine de cinquante hommes d’armes des ordonnances du roi, par l’aide duquel il croyait pouvoir se rendre maître de Dijon. Il était accompagné de deux hommes d’église, ses confidens et ses conseillers, Antoine de Chabannes-, évêque du Puy, frère du maréchal de La Palisse, et Jacques Hurault, évêque d’Autun. Tansanne, seigneur de Chezelles, Philippe des Escures, seigneur de Quinsay-le-Chastel, ses chambellans; Jean de Bavant, Anne du Peloux, Jacques de Beaumont, seigneur de Saligny, ses maîtres d’hôtel; le lieutenant de sa compagnie d’hommes d’armes, Antoine d’Espinat, et d’Espinat le jeune, seigneur de Coulombiers; Robert de Grossone, seigneur de Montcoubelin, Hector d’Angeray, seigneur de Bruzon, Hugues Nagu, seigneur de Varennes; les seigneurs de La Souche, de Pompérant, de Lallière, de Lurcy, de Charency, et une foule de jeunes gentilshommes du Bourbonnais, de l’Auvergne, du Forez, du Beaujolais[47], attachés à sa personne, dévoués à ses projets, lui formaient une cour, et ils étaient prêts à prendre les armes pour lui.

Il avait fait venir des bords du Rhône à Montbrison le personnage qui, avec René de Bretagne, comte de Penthièvre, vicomte de Bridier et seigneur de Boussac, était le plus considérable de ses partisans : Jean de Poitiers, seigneur de Saint-Vallier et comte de Valentinois[48]. Saint-Vallier descendait d’une des plus anciennes familles de France ; il avait occupé de grands emplois et rendu à la couronne d’éclatans services. Gouverneur du Dauphiné sous Louis XII, il avait levé et conduit à ses frais en Italie, sous François Ier, sept ou huit mille hommes de pied, s’était vaillamment comporté à la prise de Milan et à la bataille de la Biccoca, avait dépensé plus de 100,000 écus dont il n’avait pas été remboursé[49], se plaignait d’être négligé par le roi, bien qu’il fût chevalier de son ordre et capitaine des cent gentilshommes de sa maison, et d’avoir été trompé par la duchesse d’Angoulême, qui, malgré sa promesse, ne lui restituait pas le comté de Valentinois. Il avait pour gendre Louis de Brézé, comte de Maulevrier, grand-sénéchal de Normandie, auquel il avait marié sa fille, la célèbre Diane de Poitiers, alors dans tout l’éclat de la jeunesse et de la beauté. Puissant par sa position et par sa parenté, Saint-Vallier était redoutable par son caractère, aussi hardi que véhément. Le connétable n’avait pas eu de peine à le faire entrer dans ses desseins. Après s’être déchaîné contre François Ier qui attentait à ses droits, et surtout contre la duchesse d’Angoulême, qui voulait dépouiller la maison de Bourbon, où elle avait été nourrie, le connétable avait dit à Saint-Vallier : « Cousin, tu es aussi maltraité que moi; veux-tu jurer de ne rien dire de ce que je vais te confier[50]? » Saint-Vallier, l’ayant juré sur un reliquaire qui contenait du bois de la vraie croix, et que le connétable portait toujours à son cou, reçut confidence de la conjuration, à laquelle il participa.

Ce fut en sa présence que le connétable traita avec Beaurain dans la nuit du samedi 18 juillet 1523[51]. Amené auprès de lui vers onze heures du soir, l’ambassadeur de Charles-Quint remit au duc de Bourbon les lettres de créance de son maître. «Mon cousin, lui écrivait l’empereur, je vous envoie le sieur de Beaurain, mon second chambellan. Je vous prie le croire comme moi-même, et, ce faisant, vous me trouverez toujours vostre bon cousin et amy. » Beaurain communiqua ensuite au connétable les instructions qu’il avait reçues de l’empereur, les articles qu’il était chargé de proposer à son acceptation de la part de Charles-Quint comme de la part de Henri VIII, et, de concert avec lui, il dressa un traité de mariage et de confédémtion. Il fut stipulé que le duc de Bourbon épouserait très prochainement ou la reine de Portugal ou l’infante Catherine avec une dot de 200,000 écus, et qu’il s’unirait à l’empereur envers et contre tous, sans excepter personne. Dans la ligue offensive et défensive qu’il conclut avec Charles-Quint, il s’engagea à attaquer François Ier, mais il ne consentit point encore à reconnaître Henri VIII comme roi de France. Offrant d’être l’allié du roi d’Angleterre sans promettre de devenir son sujet, il s’en remit sur ce point à ce que déciderait l’empereur. La ligue devait être suivie d’une invasion par le dehors et d’un soulèvement à l’intérieur. Il fut convenu que l’empereur pénétrerait en France par le quartier de Narbonne avec dix-huit mille Espagnols, dix mille lansquenets allemands, deux mille hommes d’armes, quatre mille hommes de cavalerie légère; que le roi d’Angleterre descendrait en même temps sur les côtes occidentales du royaume avec quinze mille Anglais et cinq cents chevaux, auxquels se joindraient trois mille hommes de pied et trois mille hommes d’armes levés dans les Pays-Bas; que cette invasion simultanée s’exécuterait aussitôt que le roi François Ier aurait quitté Lyon, où il devait se rendre vers le milieu d’août, pour passer en Italie et y commander son armée; que, dix jours après l’agression de l’empereur et du roi d’Angleterre, le duc de Bourbon se déclarerait et se mettrait aux champs avec les troupes qu’il tiendrait prêtes et dix mille lansquenets qu’on enrôlerait pour lui en Allemagne, qui descendraient en Franche-Comté, d’où il les dirigerait sur le point le plus favorable, et qui seraient payés au moyen de 200,000 écus fournis au connétable par Charles-Quint et par Henri VIII, l’archiduc Ferdinand, délégué de son frère en Allemagne et représentant de son autorité impériale, était compris dans ce traité, où il fut formellement établi qu’on ne ferait aucun accord avec l’ennemi commun, sans y comprendre le duc de Bourbon[52].

La nécessité du secret et l’évidence du péril n’avaient pas permis d’appeler des gens de robe longue et de donner à un pareil traité des formes solennelles[53]. Il fut rédigé sous des formes simples par Château, secrétaire de Beaurain, et transcrit à deux exemplaires, dont l’un devait être porté à Charles-Quint et l’autre rester entre les mains de Bourbon. Le connétable et Beaurain le revêtirent de leurs seings privés et en jurèrent sur les Évangiles la fidèle observation, le connétable en son nom, Beaurain au nom de l’empereur[54]. Lorsque tout eut été conclu, le connétable fit entrer vers minuit Saint-Bonnet, seigneur de Bruzon, qu’il se proposait de dépêcher en Espagne. Après avoir pris son serment, il lui dit : « Je vous veux envoyer devers l’empereur, auquel vous direz que je me recommande très humblement à sa bonne grâce, que je le prie de me donner sa sœur en mariage, et que, en me faisant cet honneur, il me trouvera son serviteur, son bon frère et ami[55]. » Saint-Bonnet ayant accepté cette mission, le connétable lui remit une lettre de créance et dit à l’envoyé de l’empereur, d’après les conseils duquel Saint-Bonnet eut ordre de se conduire entièrement : « Monsieur de Beaurain, voici le gentilhomme qui ira avec vous. »

Dans la nuit même, une ou deux heures avant le jour, ils partirent pour Gênes, où ils devaient s’embarquer. Ils traversèrent les montagnes du Forez accompagnés de Lallière et François du Peloux, dont le premier les quitta dans la principauté de Dombes et le second retourna vers le connétable, après les avoir conduits jusqu’en Bresse. Arrivés là, Beaurain écrivit en chiffres plusieurs dépêches qu’il adressa, avec une copie du traité, à l’archiduc Ferdinand par le capitaine Loquingham, à Henri VIII par le secrétaire Château. Il invita le frère de l’empereur à faire lever immédiatement les dix mille lansquenets à la tête desquels devait se mettre le duc d( ; Bourbon au moment de sa révolte, et il proposa au roi d’Angleterre de ratifier ce traité en ce qui le concernait, ou d’en conclure promptement un semblable. Il se rendit ensuite le plus vite qu’il put à Gênes pour gagner de là l’Espagne, y rendre compte à l’empereur de ce qu’il avait conclu en son nom, et hâter les préparatifs de l’invasion convenue.

Le lendemain de cet engagement du connétable de France avec le plus redoutable ennemi de son pays, Saint-Vallier, épouvanté, s’il faut l’en croire, de l’énormité d’un pareil attentat et de ses funestes suites, chercha à en détourner Bourbon par les plus vraies comme par les plus pathétiques raisons. « Monsieur, lui dit-il, avec cette alliance que l’on vous présente, vous devez être cause que l’empereur et le roi d’Angleterre, les Allemands, Espagnols et Anglais entreront en France. Pensez au gros mal qui s’en suivra, tant en effusion de sang humain que destructions de villes, bonnes maisons, églises, forcements de femmes et autres calamités qui viennent de la guerre, et considérez que vous estes sorti de la maison de France et l’un des principaux princes qui soient aujourd’huy dans le royaulme et tant aymé et estimé de tout le monde que chascun se réjouist de vous veoir. Et si vous venez à estre occasion de la ruyne de ce royaulme, vous serez la plus maudite personne qui jamais fust, et les malédictions qu’on vous donnera dureront raille ans après vostre mort. Songez aussi à la grande trahison que vous faites ; après que le roy sera party pour l’Italie et vous aura laissé en France se fiant de vous, vous irez luy donner à des et le destruire ainsi que son royaulme. Je vous prie pour l’amour de Dieu de considérer tout cela, et si vous n’avez égard au roy, à madame sa mère, lesquels vous dites vous tenir tort, au moins ayez égard à la reine et à messieurs ses enfans. Ne veuillez causer la perdition de ce royaulme, dont les ennemis, après que vous les aurez introduits, vous chasseront vous-même[56]. »

Le connétable, ému au dire de Saint-Vallier, répondit : « Cousin, que veux-tu que je fasse ? Le roi et madame me veulent détruire. Déjà ils ont pris une partie de ce que j’ai. — Monsieur, répliqua Saint-Vallier, laissez, je vous prie, toutes ces meschantes entreprises ; recommandez-vous à Dieu et parlez franchement au roy. » — Le connétable sembla disposé à abandonner ses pernicieux desseins ; mais s’il fut ébranlé un moment, il se remit bientôt. Les animosités passionnées et les intérêts menacés qui les lui avaient fait concevoir les lui firent reprendre ou poursuivre. Il donna l’ordre de fortifier et de munir de canons, de poudre et de vivres ses deux principales places, Chantelle et Cariât[57]. Il se livra à des préparatifs mystérieux dans ses états. Il avait mandé auprès de lui le capitaine La Clayette, qui commandait sa compagnie d’hommes d’armes, et le capitaine Saint-Saphorin, qui avait servi sous ses ordres en Italie et devait lever quatre mille fantassins dans le pays de Vaud et le Faucigny[58]. Il fit partir pour la Savoie Antoine de Chabannes, évêque du Puy, chargé de demander au duc son parent de se déclarer en sa faveur[59]. Une troupe de mille hommes de pied devait être introduite dans Dijon par Aymard de Prie, qui y tenait garnison avec ses gens d’armes[60]. Le connétable, le jour où il se déclarerait, comptait entraîner dans sa révolte deux mille gentilshommes dont il assurait avoir la parole[61]. Il écrivit à deux jeunes seigneurs normands qui avaient servi sous ses ordres et qu’il avait comblés de ses générosités et de ses bonnes grâces, à Jacques de Matignon et à Jacques d’Argouges, de se rendre à Vendôme, où Lurcy, son agent infatigable, leur ferait une communication de sa part[62]. Il espérait les gagner aisément à son entreprise et faciliter, avec leur aide, la descente de l’armée anglaise en Normandie et l’occupation de cette province par Henri VIII. Le corps malade et l’âme agitée, il partit ensuite de Montbrison en litière[63], et il retourna lentement à Moulins attendre que tous ces ressorts jouassent à la fois, après que François Ier aurait passé les Alpes et serait allé reconquérir le duché de Milan, en laissant son royaume exposé à l’invasion et prêt à la révolte.

III.

François Ier avait achevé les grands et coûteux préparatifs de l’expédition qu’il devait cette fois conduire lui-même. Il avait tiré de l’argent de partout, fait des emprunts à l’Hôtel-de-Ville de Paris, aliéné les biens de la couronne, pris l’or et l’argent qu’il avait trouvés dans les églises, mis sur le peuple de plus pesantes charges, mécontenté les gens de justice et de finance en multipliant les créations d’offices qui grossissaient leurs rangs d’acheteurs ignorans ou avides dont l’adjonction diminuait leur importance ou leurs profits. Il avait concentré vers l’est la partie la plus considérable de ses troupes, sous les ordres de l’amiral Bonnivet, qui l’avait précédé à Lyon et qui le devança en Italie. Il avait envoyé Lautrec en Gascogne et Lescun en Languedoc pour y défendre ces deux frontières contre les Espagnols, si les Espagnols y descendaient par la Navarre ou le Roussillon. Il opposait des forces assez médiocres à l’empereur du côté des Pyrénées, mais il comptait détourner Henri VIII d’une agression en Picardie ou en Normandie par des attaques qui le retiendraient dans son royaume. Il le menaçait d’une tentative de révolution dynastique par l’envoi de Richard de La Poole, dernier représentant de la maison d’York, et il expédiait sur une flotte, avec des soldats et de l’argent, le duc d’Albany, qui, débarqué à Edimbourg, devait, à la tête d’une armée écossaise, marcher contre la frontière septentrionale de l’Angleterre.

Avant son départ, François Ier suivi de la reine Claude, sa femme, de la duchesse d’Angoulême, sa mère, et de toute sa noblesse, alla à Saint-Denis invoquer pour ses armes l’appui du patron de la France[64]. Il se prosterna pieusement devant la châsse du saint exposée sur l’autel de la vieille basilique, comme aux jours des grands dangers et des solennités patriotiques. Le lendemain, revenu à Paris, il se rendit processionnellement du palais des Tournelles à la Sainte-Chapelle, pour y faire ses dévotions et visiter les reliques qu’y avait apportées d’Orient le plus religieux et le plus vénéré de ses prédécesseurs. Il n’avait pas quitté Paris sans paraître à l’Hôtel-de-Ville, prendre congé du prévôt des marchands et des échevins, les remercier de l’aide qu’il avait obtenue d’eux pour ses guerres, leur recommander les intérêts du royaume et l’obéissance envers sa mère, qu’il laissait régente. Il partit ensuite pour se rendre à Lyon, en séjournant à Fontainebleau, et fut accompagné jusqu’à Gien par la reine Claude et la duchesse d’Angoulême, qui s’embarquèrent sur la Loire et descendirent vers Blois.

Il connaissait vaguement les pratiques du connétable avec les ennemis du royaume. Avant qu’il quittât Paris, on lui avait conseillé de ne pas le laisser en France lorsqu’il en sortirait[65]. Il avait vu à Gien d’Escars, l’un des serviteurs alarmés et des complices attiédis du connétable, et il lui avait dit : « Si j’étois aussi soupçonneux que le feu roi Louis XI, j’aurois grande occasion d’entrer en défiance du seigneur connétable, car on m’a rapporté qu’il est curieux d’avoir des nouvelles d’Angleterre, d’Allemagne, d’Espagne, de quoi il pourroit bien se passer[66]. » Il en savait plus qu’il n’en disait. Il croyait que le connétable, dont il avait appris les menées en Savoie, n’était pas sans engagement avec l’étranger, et il prétendit que l’Anglais Jernigam était venu prendre son serment en Bourbonnais. Il ajouta qu’il se proposait lui-même de le voir en y passant, et, après une franche explication, de s’en faire suivre au-delà des Alpes. Sans trahir le connétable, d’Escars intimidé approuva beaucoup le projet qu’avait le roi de ne pas le laisser en France ; mais sur la route même du Bourbonnais, François Ier reçut de bien autres informations.

Matignon et d’Argouges, les deux gentilshommes normands vers lesquels le connétable avait dépêché Lurcy, s’étaient trouvés dans les premiers jours d’août à Vendôme, où Lurcy leur avait donné rendez-vous. Chacun d’eux y était venu suivi de cinq ou six chevaux, croyant que le connétable était de l’expédition d’Italie et voulait les mener avec lui. Au lieu de leur adresser cette invitation, comme ils s’y attendaient, Lurcy les conduisit dans une chambre isolée de l’hôtellerie des Trois-Rois, où ils étaient descendus, et là, après leur avoir fait jurer de ne rien révéler de ce qu’il allait leur dire, il leur parla du mariage convenu du connétable avec la sœur de l’empereur, du voyage de Beaurain, qui était venu conclure ce mariage à Montbrison, des dix mille lansquenets qui devaient entrer par la Bresse dans le royaume, lorsque le roi aurait passé les monts, de l’armée espagnole qui pénétrerait en Languedoc par Perpignan, de l’armée anglaise qui était attendue sur les côtes de France, de la troupe qu’Aymard de Prie introduirait dans Dijon, des bandes de soldats que commanderaient Lallière, Peloux, Godinières. Puis, supposant que Matignon et d’Argouges n’hésiteraient pas à embrasser le parti du connétable, il leur proposa de faciliter l’accès et l’occupation de la Normandie à l’amiral d’Angleterre[67]. Il ajouta qu’ils régiraient cette province lorsque le connétable, à la tête de ses troupes et de celles de l’empereur, aurait pris Lyon et marcherait au centre du royaume, dont il se ferait d’abord gouverneur, ensuite roi. Dans ses confidences, non moins outrées que criminelles, Lurcy alla jusqu’à dire qu’il avait été question d’arrêter François Ier quand il traverserait le Bourbonnais, de lui mettre, ainsi qu’il s’exprimait, un chaperon en gorge et de l’enfermer à Chantelle. Il se vantait même d’avoir opiné pour qu’on le tuât, ce à quoi le connétable n’avait pas voulu consentir. Une machination aussi odieuse révolta les deux gentilshommes normands et les remplit d’effroi. Ils s’en étonnèrent de la part du connétable. D’Argouges refusa sur-le-champ d’y entrer, et répondit qu’il ne serait jamais traître au roi et à son pays. Matignon demanda une nuit pour réfléchir à une proposition de telle conséquence, et déclara le lendemain qu’il aimerait mieux être mort que de l’accepter. Non-seulement ils désapprouvèrent l’un et l’autre la conjuration, mais ils la dénoncèrent. Ils dirent en confession à l’évêque de Lisieux tout ce qu’ils avaient appris de la bouche de Lurcy, et l’évêque de Lisieux se hâta d’en instruire le grand-sénéchal de Normandie[68]. Celui-ci ne perdit pas un moment pour en informer le roi. Il fit partir deux courriers avec une lettre écrite en duplicata[69], et dans laquelle il prévenait François Ier de l’invasion qu’avaient préparée ses ennemis, et que devait seconder un des plus gros personnages de son royaume et de son sang. Il lui indiqua et les dangers que courait son état, et ceux dont était menacée sa personne. « Sire, lui écrivait-il, il est besoin aussi de vous garder, car il a esté parole de vous essayer à prendre entre cy et Lyon, et de vous mener en une place forte qui est dedans le pays du Bour- bonnais ou à l’entrée de l’Auvergne. »

François Ier reçut la lettre du grand-sénéchal de Normandie à Saint-Pierre-le-Moustier, le 15 août, avant-veille du jour où il devait entrer dans Moulins. Sans être troublé d’un péril dont la révélation lui arrivait si à propos, il s’entoura de précautions et se rendit le plus fort pendant son passage dans le Bourbonnais. Le connétable n’était pas venu à sa rencontre et lui avait envoyé Robert de Grossone avec des lettres pour s’excuser de ne l’avoir pas pu, retenu qu’il était dans sa chambre par une maladie qui l’empêchait d’en sortir[70]. François Ier envoya l’ordre au bâtard de Savoie, grand-maître de France, qui avait déjà dépassé Moulins, d’y revenir avec ses lansquenets. Ayant fait battre les champs par une grosse troupe que commandait le duc de Longueville, il s’avança, au milieu de ses gardes, vers la capitale des états du connétable. En y arrivant, il se logea au château, dont il prit les clés, s’y garda avec une vigilance défiante et fit surveiller la ville par le guet, qui fut relevé trois fois dans la nuit.

Le connétable était malade, et il affectait de l’être encore plus qu’il ne l’était. François Ier eut avec lui un entretien dans lequel il ne lui cacha point ce qu’il avait appris de ses criminelles relations avec les ennemis de l’état et les siens. Sans les nier, le connétable les atténua. Il prétendit que l’empereur l’avait fait rechercher en lui envoyant un de ses serviteurs, mais il assura qu’il avait rejeté ses offres. Il désavoua donc son mariage avec la sœur de Charles-Quint et son alliance avec les ennemis du royaume. François Ier, sans peut-être ajouter une foi entière à son désaveu, s’en contenta. On lui conseillait de le faire arrêter comme un conspirateur et comme un traître; il ne le voulut point, soit qu’il craignît l’effet que produirait l’emprisonnement du second prince du sang, soit qu’il ne crût pas pouvoir établir suffisamment sa trahison, soit plutôt qu’il espérât le ramener en lui témoignant de la confiance et en le traitant avec cordialité. Préférant l’indulgence à la rigueur, il affecta une générosité habile, quoiqu’un peu tardive. Il promit au connétable la restitution de ses biens, si le parlement lui était défavorable dans son arrêt, et lui offrit, en l’emmenant de l’autre côté des Alpes, de partager avec lui le commandement de l’armée, dont chacun d’eux conduirait une moitié[71]. Il croyait apaiser par là cette âme farouche, guérir ce cœur ulcéré, gagner cet esprit superbe. Il se flattait surtout de rompre ses desseins, quels qu’ils fussent, et de prévenir tout danger de sa part en rendant par sa présence en Italie sa défection impossible en France. C’est ainsi qu’il partit de Moulins, après s’être assuré que le connétable, qui se montra soumis et reconnaissant[72], le suivrait bientôt à Lyon. Il fit cependant demeurer auprès de lui La Roche-Beaucourt, qui ne devait pas le quitter avant qu’il fût prêt à se mettre en route, et ce qui prouvait que François Ier avait moins de confiance qu’il n’en montrait, c’est qu’il laissa derrière lui le bâtard de Savoie et ses lansquenets comme pour couvrir sa marche.

Le connétable de Bourbon avait promis d’accompagner le roi en Italie et de le joindre à Lyon sans avoir l’intention de tenir sa promesse. Il se sentait trop engagé avec l’empereur pour rompre avec lui. Beaurain avait porté en Espagne le traité signé de sa main, et Saint-Bonnet, qui devait accompagner Beaurain, étant revenu de Gênes sans avoir rempli sa mission, le connétable avait fait partir deux des siens pour se rendre, l’un par la voie de Bayonne, l’autre par la voie de Perpignan, auprès de Charles-Quint, avec des lettres dans lesquelles il confirmait ses engagemens[73]. Il se croyait, d’ailleurs trop compromis dans l’esprit du roi pour espérer rentrer sincèrement en grâce, et il ne comptait pas sur l’exécution de promesses qu’il croyait arrachées par la nécessité et variables comme elle. Il s’obstina dans son entreprise, et afin de pouvoir l’accomplir, il évita de se rendre auprès de François Ier tout en se montrant disposé à le suivre, dans l’espérance que François Ier se déciderait à passer les Alpes sans qu’il l’eût rejoint. Il différa ainsi près de deux semaines son départ pour Lyon, où le roi persévéra prudemment à l’attendre.

Ce prince, lassé et inquiet de si longs retards, fit partir en poste un gentilhomme de sa chambre, Perot de Warthy, pour presser la venue du connétable. Warthy le trouva étendu sur son lit et s’acquitta de sa commission en lui renouvelant de la part du roi toutes les assurances que le roi lui avait données récemment à Moulins[74]. Le connétable chargea Warthy de remercier François Ier et de lui dire qu’il se sentait un peu mieux, qu’il s’était promené quelques instans sur sa mule dans la matinée, qu’il irait le lendemain au parc de Moulins pour s’accoutumer à l’air et au mouvement, qu’il délogerait dans trois jours au plus tard, et servirait le roi partout où il voudrait le mettre. Comme François Ier exprimait l’ardent désir de se trouver en Lombardie, où pour cent mille écus, faisait-il dire au connétable, il voudrait être déjà[75], le connétable lui donna par Warthy le conseil indirect de s’y transporter au plus vite, en soutenant que sur toutes choses il avait besoin de diligence[76].

Malgré cette insinuation et sa propre envie, le roi ne bougea pas de Lyon. N’y voyant pas arriver le connétable, il dépêcha de nouveau vers lui Perot de Warthy le mardi 1er septembre. Cette fois Warthy rencontra le connétable en route. Il le trouva à Saint-Gerand-de-Vaux, à une lieue de Varennes. Il avait l’ordre de ne plus le quitter, de le prévenir que le roi n’attendait que lui pour passer en Italie, et d’ajouter qu’il laisserait aux environs de Lyon une troupe de quatre ou cinq mille hommes à cause du grand nombre de lansquenets qui s’amassaient du côté de la Bourgogne. C’étaient les lansquenets qui, levés en Allemagne et placés sous le commandement des comtes Guillaume et Félix de Furstenberg, devaient joindre le duc de Bourbon après que le roi François Ier aurait franchi les Alpes. Le connétable voyageait en litière et fort lentement. Il arriva à La Palisse le jeudi matin 3 septembre. Il annonça à Warthy qu’il irait le lendemain à Lallière, de là à Changy, puis à Roanne, et qu’il se rendrait à Lyon en faisant trois lieues chaque jour; mais dans la nuit du jeudi au vendredi, le mal du connétable s’étant aggravé, comme les médecins le dirent à Warthy, le connétable ne sortit pas de La Palisse. Ce fut bien pis le lendemain. Pendant toute la nuit, les gens du connétable avaient été sur pied, allant, venant, parlant à haute voix, demandant et apportant des remèdes, et le matin Warthy fut prévenu par les médecins que le connétable, beaucoup plus souffrant et en proie à la fièvre, ne pouvait pas se mettre en route sans un véritable danger. Le connétable le lui confirma bientôt lui-même. L’ayant fait appeler auprès de son lit : — « Je me sens, lui dit-il, la personne la plus malheureuse du monde de ne pas pouvoir servir le roi. Si je passais outre, les médecins qui sont là ne répondraient pas de ma vie, et je suis encore plus mal que ne le croient les médecins. Je ne serai jamais plus en état de faire service au roi. Je retourne vers mon air natal, et si je retrouve un jour de santé, j’irai vers le roi[77]. » Il se tourna ensuite comme accablé et se tut.

Warthy lui exprima sa surprise et le mécontentement qu’éprouverait le roi à cette nouvelle. «Il en sera, dit-il, terriblement marri. » Ayant appris que le connétable devait ce jour-là coucher à Gayete et faire quatre lieues en retournant sur ses pas, tandis qu’il prétendait ne pas pouvoir en faire trois en s’avançant du côté 4e Lyon, il n’eut plus aucun doute sur la perfidie de ses intentions. Il courut en informer le roi, auprès duquel il se rendit à franc étrier, et arriva le soir même vers minuit.

François Ier fut encore moins disposé à sortir du royaume sur la foi de la maladie feinte du connétable et de son impuissance affectée qu’il ne l’avait été sur la promesse de sa prompte arrivée. Dans la nuit même, il fit arrêter Saint-Vallier, qui était à sa cour comme capitaine des cent gentilshommes de sa maison, Aymard de Prie, qui commandait une de ses compagnies d’ordonnance, Antoine de Chabannes, évêque du Puy, qui était revenu de Savoie sans avoir réussi auprès du duc, et quelques autres personnages qui étaient de la conjuration. Le 6 septembre au matin, il dépêcha une troisième fois Warthy vers le connétable, avec charge de lui dire combien il trouvait étrange qu’il eût assez de force pour retourner à Moulins, tandis qu’il en manquait pour se rendre à Lyon, que jusqu’alors il n’avait pas voulu croire aux projets qu’on lui attribuait, et dont maintenant il commençait à ne plus douter en voyant qu’il faisait tant de difficulté de venir le joindre, qu’il ne lui avait déclaré à Moulins que la moitié de ce qu’il savait parce qu’il ne supposait pas le reste vrai, car sans cela il l’aurait fait arrêter, comme il en avait le moyen. Il l’engageait à songer à son honneur et à son bien, et le pressait de se justifier. Il ajoutait que, s’il y parvenait, personne en son royaume n’en serait plus aise que lui, et s’il restait quelque chose à sa charge, il userait plus en son endroit de miséricorde que de justice[78]. Il fit marcher en même temps vers le Bourbonnais son oncle le bâtard de Savoie, grand-maître de France, et le maréchal de La Palisse, Jacques de Chabannes, à la tête de quelques mille hommes de pied et de quatre ou cinq cents chevaux pour s’emparer du connétable, s’il n’obéissait point.

Bien que ses desseins fussent découverts, Bourbon n’y avait pas renoncé. Il avait ordonné des levées dans ses états. Il avait convoqué la noblesse à Riom pour l’arrière-ban. Le 31 août, jour même où il s’était mis en route en feignant d’aller à Lyon, il avait envoyé l’un de ses serviteurs, l’archer Baudemanche, au capitaine Saint-Saphorin, qui avait servi dix ans dans sa compagnie, afin de savoir si les quatre mille hommes qu’il devait lever pour lui dans le pays de Vaud et dans le Faucigny étaient prêts à se mettre aux champs[79]. Pendant la nuit du 6 septembre, lorsqu’il revenait sur ses pas, il avait reçu secrètement à Gayete sir John Russell, parti d’Angleterre avec le secrétaire Château et le capitaine Loquingham et muni des pouvoirs de Henri VIII[80]. Lallière était allé le chercher à Bourg en Bresse[81] et l’avait conduit, non sans risque, au centre de la France, où le connétable avait traité avec lui, après l’arrestation de ses complices à Lyon, et lorsque les troupes du bâtard de Savoie et du maréchal de La Palisse s’avançaient pour le prendre. Dans cette nuit du 6 au 7 septembre, une ligue offensive et défensive, semblable à celle qui avait été conclue à Montbrison entre Charles-Quint et le duc de Bourbon, fut conclue à Gayete entre le duc de Bourbon et Henri VIII. Il fut convenu que le roi d’Angleterre ferait descendre son armée en Picardie, comme l’empereur conduirait la sienne en Languedoc, qu’il fournirait les cent mille écus destinés au paiement partiel des lansquenets du connétable, qui de son côté aiderait le roi d’Angleterre et l’empereur dans leur invasion de la France et attaquerait François Ier, avec lequel il ne s’accorderait pas plus sans eux qu’eux ne feraient la paix sans lui. Bourbon ne consentit point encore à reconnaître les droits d’Henri VIII an royaume de France et à lui prêter serment comme à son souverain. Ces divers points furent remis à la décision de l’empereur[82].

Après la conclusion du traité, sir John Russell repartit pour l’Angleterre afin d’en presser l’exécution, Château alla dans les Pays-Bas inviter le comte de Buren à joindre les troupes flamandes à l’armée anglaise descendue sur les côtés de la Picardie, et Loquingham se rendit auprès des lansquenets pour les conduire au connétable à travers le Beaujolais et le Forez[83]. Le connétable avait déjà dépêché Lurcy vers l’archiduc Ferdinand, qui occupait le Wurtemberg, pris sur le duc Ulrich, ancien allié de François Ier pour lui faire recommander de venir à son secours, s’il le savait en nécessité[84]. Il annonça en même temps qu’il courait s’enfermer dans une de ses plus fortes places, où il pourrait se défendre plusieurs mois[85] et d’où, assisté par ses confédérés du dehors et ses amis du dedans, il tiendrait tout ce qu’il avait promis.

Averti en effet de l’approche du bâtard de Savoie et du maréchal de La Palisse, il se mit de grand matin en marche pour Chantelle, qu’il croyait et qu’autour de lui on regardait comme aussi difficile à prendre que le château de Milan. C’est là qu’il comptait attendre l’entrée des lansquenets par le Beaujolais, l’attaque des Anglais et des Flamands en Picardie, la venue des Espagnols en Languedoc et leur mouvement combiné vers le centre de la France. Sorti de Gayete dans sa litière, il demanda un cheval pour aller plus vite, passa l’Allier au bac de Varennes, fit six lieues d’une seule traite et ne s’arrêta que lorsqu’il fut entré dans Chantelle, où il arriva à une heure après midi[86]. Le danger avait dissipé son mal ou le lui avait fait surmonter.

Warthy, qui le suivait de près, ne tarda pas à le joindre. Après avoir attendu quelque temps hors de la place, il y fut introduit par l’ordre du connétable, qu’il trouva assis sur son lit, vêtu, comme un malade, d’une robe contre-pointée, et la tête enveloppée d’une coiffe de taffetas piqué[87]. « Monsieur de Warthy, lui dit le connétable en le voyant, vous me chaussez les éperons de bien près. — Monseigneur, lui répondit Warthy, vous les avez meilleurs que je ne croyais. — Pensez-vous que je n’ai pas agi sagement, si, n’ayant qu’un doigt de vie, je l’ai mis en avant pour éviter la fureur du roi? — Comment! monseigneur, répliqua Warthy, le roi n’a jamais été furieux envers aucun homme, et encore moins le serait-il en votre endroit. — Non, non, continua le connétable, je sais bien que M. Le grand-maître et M. Le maréchal de Chabannes sont partis de Lyon avec les deux cents gentilshommes, les archers de la garde et quatre ou cinq mille lansquenets pour me prendre ; c’est ce qui m’a fait venir en cette maison en attendant que le roi me veuille ouïr[88]. » Il s’éleva alors contre ceux qui, disait-il, l’avaient menteusement accusé, désigna Popillon, son chancelier, d’Escars, son chambellan, et les deux gentilshommes normands Matignon et d’Argouges. Il tint ensuite conseil avec les siens, hors de la présence de Warthy, pour savoir s’il s’enfermerait dans Chantelle et s’y défendrait. La place ayant été trouvée moins forte qu’on ne l’avait cru d’abord, quoiqu’il y eût quinze ou seize pièces d’artillerie, il ne fut pas jugé prudent d’y rester. Dans la crainte que les. troupes qui s’avançaient ne la cernassent le lendemain et ne l’empêchassent d’en sortir, il résolut de se réfugier vers une place d’un plus difficile accès, dans les montagnes du centre. Afin de donner le change sur ses intentions, il fit venir Warthy, lui remit une lettre pour le roi et le chargea de deux autres lettres pour le grand-maître et le maréchal de Chabannes. Il demandait à ceux-ci d’arrêter leurs lansquenets et leurs hommes d’armes jusqu’au lendemain deux heures après midi, promettant de ne pas bouger de Chantelle et offrant de s’aboucher avec eux pour se justifier. Il ajouta devant Warthy que, s’il sortait de Chantelle, ce ne serait que pour se rendre à quelques lieues de là et qu’il ne s’éloignerait point. — « Et où iriez-vous, monseigneur? lui dit Warthy, croyant qu’il lui serait impossible de fuir; si vous vouliez sortir du royaume, vous ne le sauriez, le roi y a pourvu partout. — Non, non, repartit le connétable, je ne veux point sortir, car j’ai des amis et des serviteurs[89]. »

Warthy prit congé de lui et partit accompagné de l’évêque d’Autun, qui portait à François Ier une sorte d’ultimatum ainsi conçu : « Pourvu qu’il plaise au roy luy rendre ses biens, monseigneur de Bourbon promet de bien le servir et de bon cœur, en tous endroits et toutes les fois qu’il lui conviendra. En témoing de ce, il a signé les présentes et prie le roy qu’il luy plaise pardonner à ceux auxquels il veut mal pour cette affaire. Charles[90]. » Le connétable ne comptait aucunement sur cette négociation, et en se séparant de l’évêque d’Autun, il lui dit : » Adieu, mon évêque, je m’en vais gagner Cariât, et de Cariât je me déroberai avec cinq ou six chevaux pour m’acheminer en Espagne. » l’évêque, arrivé dans le camp royal, soutint que le roi devait rendre ses terres au connétable, s’il ne voulait pas faire éclater en France la plus grande guerre qu’on y eût jamais vue. Le surlendemain, le bâtard de Savoie le retint prisonnier. Selon le désir exprimé par le connétable, le maréchal de Chabannes n’en avait pas moins arrêté ses troupes et chargé le baron de Curton d’aller lui dire que l’armée ne dépasserait point La Palisse, et convenir du lieu où ils pourraient conférer ensemble; mais Curton, en entrant dans Chantelle, n’y trouva plus le connétable.

Le mardi 8 septembre, vers une heure du matin, le connétable, monté sur sa mule et suivi de tous les siens, avait pris le chemin des montagnes[91]. Il emportait de vingt-cinq à trente mille écus d’or cousus dans douze ou quinze casaques, dont chacune était confiée à an homme de sa suite[92]. Il s’arrêta un moment pour entendre la messe à Montaigut en Combrailles, après avoir fait sept lieues de pays. S’étant ensuite remis en route, il passa par le château de Lafayette, où il prit son vin, et dont le seigneur eut un long entretien avec lui et l’accompagna pendant quelque temps. Il parcourut, non sans effort, dix-huit lieues dans cette première journée, et, abattu par le mal, il se fit déposer deux fois sous des arbres, presque évanoui[93]. Il alla coucher au château d’Herment, où l’avaient précédé deux de ses fourriers, qui avaient averti le châtelain Henri Arnauld et les consuls de la ville de préparer les logis pour le connétable et cent vingt chevaux de sa suite[94]. Arrivé à la nuit tombante et fort las, il se jeta sur un lit, demanda au châtelain Henri Arnauld la distance qui séparait Herment de Carlat, écrivit une lettre à la noblesse d’Auvergne réunie à Riom pour l’arrière-ban, et se retira après avoir soupe. Les gentilshommes qui lui avaient fait cortège, et qui étaient présens le soir à son repas, se trouvèrent à cheval, le lendemain, à deux heures après minuit, devant le château. Ils croyaient, comme on l’avait dit la veille, aller à Carlat[95]. Ce ne fut pas sans surprise et sans mécontentement qu’ils apprirent la fuite du connétable. Un de ses valets de chambre, nommé Bartholmé. leur annonça qu’il était parti en petite compagnie. François du Peloux, qui était sans doute dans sa confidence, et qui le rejoignit bientôt avec quelques autres, s’écria alors : Sauve qui peut. « Il eût mieux valu, dit Robert de Grossone, se faire tuer avec ses gentilshommes que s’exposer à être pris comme un valet. Je pense m’être acquitté de la nourriture que j’ai reçue chez lui. Vous m’êtes témoins que je ne l’ai pas laissé, c’est lui qui me laisse[96]. » La troupe se dispersa. Peloux, Lallière, Tansannes, Saint-Bonnet, Desguières, Brion, etc., se sauvèrent de château en château, emportant avec eux quelques-unes des casaques doublées d’écus d’or, et se dirigèrent vers la Franche-Comté[97].

Le connétable n’avait pas encore quitté le château d’Herment. Il s’était enfermé dans sa chambre avec ceux qui devaient être les compagnons peu nombreux de sa fuite[98]. A l’aube du jour, il se mit en route, précédé du châtelain Henri Arnauld, qui dut lui servir de guide. Il avait laissé la robe de velours qu’il portait à son arrivée, et s’était vêtu d’une robe courte de laine noire appartenant à l’un de ses gens. Deux gentilshommes de ses plus affidés, Pomperant et Godinières, le suivaient seuls avec son médecin, Jean de L’Hospital, et deux de ses valets de chambre, ayant chacun un aubergeon rempli d’or, et mettant tour à tour sur la croupe de leur cheval une petite malle qui pesait beaucoup pour son volume, et dans laquelle étaient probablement les pierreries et les joyaux du connétable. Le châtelain d’Herment avait reçu défense de le désigner, même involontairement, par ses respects, et, pour qu’on ne le cherchât point sous le déguisement qu’il avait pris, le connétable ne se distinguait d’aucun des siens. Ils mangeaient tous à la même table, et quittaient chaque matin, avant le jour, le gîte où ils s’étaient arrêtés la veille[99].

Dans la première journée, les fugitifs arrivèrent à Condat. Henri Arnauld ne connaissait plus la route. Le connétable prit alors pour guide un cordonnier du pays qui le mena jusqu’à Farrières; mais là ni le châtelain ni le cordonnier « ne savaient plus chemin ni voie. » Cependant le connétable les garda encore l’un et l’autre pour panser les chevaux, et peut-être aussi afin qu’ils ne missent personne sur ses traces, s’il les laissait partir. Il avait traversé ce jour-là les montagnes du Cantal, et, se dirigeant tant bien que mal vers l’est, il alla coucher à Ruynes, au-dessous de Saint-Flour. A deux lieues de cette ville, il rencontra sur la route même une compagnie de sept ou huit cents hommes de pied du pays de Gascogne, qui de Lyon se dirigeaient du côté de Bayonne, sans doute afin de s’y joindre à Lautrec et de l’aider à repousser l’invasion prévue de Charles-Quint. Le connétable les vit passer sans se cacher d’eux et sans en être reconnu. De Ruynes, il fut conduit le lendemain au château de La Garde par Pomperant, qui en était seigneur. Il demeura quatre jours pleins dans ce château, où il garda son déguisement et s’assit pendant les repas au-dessous de Pomperant, qui tenait le haut bout de la table. Après avoir attendu là, du vendredi 11 au mardi matin 15 septembre, des nouvelles qu’il avait envoyé prendre par Bartholmé, et qui vraisemblablement ne le satisfirent pas, il congédia ses guides et se remit en route.

Où alla-t-il? Tout ce qu’il avait préparé, sans assez de promptitude et de précision, avait échoué. Ses menées avaient été découvertes, ses ruses déconcertées, ses mouvemens intérieurs rendus impossibles. François Ier, avec une défiance opiniâtre et une résolution habile, l’avait attendu à Lyon et fait poursuivre en Bourbonnais. La place de Chantelle n’avait pas été trouvée suffisamment forte pour y rester et pour s’y défendre jusqu’à la venue des lansquenets[100]. Il n’était pas probable que Carlat offrît un asile plus sûr, et le connétable ne songeait pas à s’y renfermer après avoir licencié les braves et nombreux gentilshommes dévoués à sa fortune. Ce qu’il y avait de mieux pour lui était d’aller joindre en Franche-Comté les lansquenets qu’il ne pouvait plus attendre au cœur du royaume; mais les chemins étaient gardés de ce côté par les troupes de François Ier qui avait fait publier sa trahison à son de trompe et promis dix mille écus d’or à qui le prendrait ou le livrerait[101]. C’est peut-être ce qui le décida à se diriger vers l’Espagne, après avoir paru dans Cariât sans s’y arrêter[102]. Du 15 septembre au 3 octobre[103], on ne sait pendant trois semaines ce qu’il fit et ce qu’il devint. Il est à croire seulement qu’il gagna, à travers les régions montagneuses du centre, la frontière orientale du Languedoc, qui était à Saulces, au-dessus de Narbonne[104], pour se réunir à l’empereur, dont les troupes auraient dû se trouver alors en Roussillon. La frontière cependant était gardée par le maréchal de Foix, et l’armée de Charles-Quint n’avait point paru. Le connétable rebroussa chemin, remonta vers Lyon, passa le Rhône à deux reprises, non sans difficulté et surtout sans péril, en allant du Vivarais dans le Viennois et le Dauphiné, et du Dauphiné dans la Franche-Comté. Après de dangereuses rencontres[105], ayant plusieurs fois traversé ou côtoyé des bandes de soldats qui se rendaient au camp de Lyon ou s’acheminaient vers l’Italie, après avoir failli tomber entre les mains de ceux qui le cherchaient, il arriva à Saint-Claude et s’y trouva enfin en sûreté. Le cardinal de Labaume, évêque souverain de Genève et zélé partisan de l’empereur, lui donna une forte escorte de cavalerie, et bientôt il fut joint par Lurcy, Lallière, Du Peloux, Espinat, Montbardon Tansaunes, Le Peschin, et la plupart de ceux qui l’avaient quitté à Herment. Il fit son entrée dans Besançon le 9 octobre, et après un mois perdu depuis son départ de Chantelle il comptait se mettre à la tête des dix mille lansquenets que les comtes Guillaume et Félix de Furstenberg avaient levés pour lui, et des quatre mille Vaudois qu’il avait demandés au capitaine Saint-Saphorin.

François Ier, auquel avait échappé Bourbon et qui avait ordonné la saisie de ses états, fit plusieurs tentatives encore pour enlever aux ennemis du royaume ce dangereux auxiliaire. C’était avec peine qu’il se trouvait détourné de son expédition d’Italie, et il restait plein d’inquiétudes sur la fidélité intérieure de la France. Il offrit au redoutable fugitif la restitution immédiate de ses biens, le remboursement sur le trésor royal de ce qui lui était dû, le rétablissement de ses pensions et l’assurance qu’elles seraient payées avec exactitude. Bourbon refusa tout. « Il est trop tard, » répondit-il. L’envoyé de François Ier lui demanda alors de rendre l’épée de connétable et le collier de l’ordre de Saint-Michel. « Vous direz au roi, repartit Bourbon, qu’il m’a ôté l’épée de connétable le jour où il m’ôta le commandement de l’avant-garde pour le donner à M. d’Alençon. Quant au collier de son ordre, vous le trouverez à Chantelle sous le chevet de mon lit[106]. » François Ier eut recours aussi, pour ramener Bourbon, à la duchesse de Lorraine, sa sœur, qui ne réussit pas mieux. Après l’avoir fait sonder, elle écrivit à François Ier ’que le duc son frère « était délibéré de suivre son entreprise, et qu’il se proposait de tirer vers la Flandre, par la Lorraine, avec dix-huit cents chevaux et dix mille hommes de pied, et de se joindre au roi d’Angleterre[107]. »

Selon le plan convenu, les troupes de la coalition devaient attaquer la France sur plusieurs points. Prospero Colonna, qui commandait en Italie l’armée impériale, avait reçu de Charles-Quint l’ordre de pénétrer en Provence, lorsqu’il aurait repoussé l’armée française, conduite dans la Lombardie par l’amiral Bonnivet[108]. Sur la frontière du nord-ouest, l’invasion avait déjà commencé de la part des Anglais et des Flamands. Henri VIII n’avait pas attendu l’issue de la négociation dont il avait chargé sir John Russell auprès du duc de Bourbon pour entrer en campagne. Il avait embarqué, sous les ordres de son beau-frère le duc de Suffolk, quinze mille hommes de pied et environ mille chevaux. Cette armée, fort résolue et bien payée, avait pris terre à Calais avant la fin d’août[109]. Dès les premiers jours de septembre, le comte de Buren s’était réuni à elle avec trois mille hommes de cavalerie des Pays-Bas, trois ou quatre mille lansquenets et deux mille deux cents chariots pour transporter les munitions et les bagages des troupes combinées[110]. Dans le même temps que les Anglo-Flamands marchaient en Picardie, les dix mille Allemands levés par les comtes de Furstenberg avaient paru vers la Bresse, prêts à pénétrer en France par la frontière de l’est. Au sud, les Espagnols, renforcés par les lansquenets que Charles-Quint avait fait venir de Zélande, traversaient les Pyrénées dans l’intention de se porter sur Bayonne et sur un autre point important de la Guienne, dont l’empereur croyait se rendre maître facilement à l’aide des intelligences qu’il s’y était ménagées[111].

François Ier semblait pris au dépourvu. Il avait envoyé la plus grande partie de ses forces en Italie et en Écosse pour s’emparer du Milanais et inquiéter par une diversion le roi d’Angleterre. Tandis qu’au dehors il prenait ainsi l’offensive, il avait négligé la défense de ses propres états. Hormis quelques places de la frontière, telles que Boulogne, Thérouanne, Doulens, etc., qui étaient bien fortifiées, les villes de l’intérieur n’avaient ni remparts pour les protéger, ni garnisons pour les défendre. Si les ennemis marchaient droit sur Paris, comme ils en avaient le projet, il était à craindre qu’aucun obstacle ne les empêchât d’y entrer. Le vaillant et expérimenté seigneur de La Trémouille, que François Ier avait chargé de secourir la Picardie, dès qu’il avait appris la descente des Anglais dans cette province, n’y avait trouvé que fort peu de monde à leur opposer[112]. Avec les faibles troupes dont il disposait, La Trémouille avait cherché, par d’habiles et rapides manœuvres, à arrêter ou à troubler la marche des Anglo-Flamands. Ceux-ci avaient paru devant Doulens, qu’ils avaient sommé de se rendre; mais cette ville, assez forte pour exiger un siège régulier, leur ayant résisté, ils avaient passé outre après être restés quelques jours sous ses murailles. Ils s’étaient avancés vers Bray-sur-Somme, qu’ils avaient pris et brûlé, afin de donner l’épouvante aux autres villes et de les déterminer à ouvrir leurs portes dans la crainte d’essuyer un sort semblable. Franchissant la rivière, dont les troupes françaises leur disputèrent vainement le passage, ils se portèrent, après les avoir culbutées, devant Roye et devant Montdidier, qui n’hésitèrent pas à les recevoir. De cette ville, où ils crurent que les lansquenets du duc de Bourbon pourraient les joindre pour marcher en force sur Paris, leurs coureurs se montrèrent jusqu’à Compiègne, Clermont-en-Beauvoisis et Senlis[113]. Ces villes, effrayées, firent demander du secours à Paris, en annonçant que, hors d’état de se défendre, elles se rendraient à l’ennemi dès qu’il arriverait sous leurs murailles. Paris n’était pas dans un effroi moins grand. Le prévôt des marchands et les échevins dépêchèrent en poste un messager à Lyon, pour avertir le roi du danger où était la capitale du royaume. Les quarteniers et les dizainiers allèrent de maison en maison afin d’enrôler les habitans qui devaient prendre les armes et garder la ville. On s’attendait chaque jour à voir déboucher les Anglais et les Flamands dans la plaine de Saint-Denis, et, pour mieux entendre tous les bruits qui avertiraient de leur approche, il fut interdit de sonner les cloches à la solennité de la Toussaint[114].

Le 1er novembre, le duc de Vendôme arriva dans Paris, où Chabot de Brion était entré la veille. François Ier les y avait envoyés l’un et l’autre de Lyon, celui-ci afin de raffermir les habitans et de faire prendre sur-le-champ les mesures nécessaires à la sûreté de la ville, celui-là pour en être le gouverneur à la place de son frère, le comte de Saint-Paul, qui était à l’armée d’Italie. Brion, le jour même de son arrivée, se présenta au parlement, qu’il convoqua extraordinairement de la part du roi[115]. Il y exposa avec une patriotique véhémence tout ce qu’avait de criminel et de dangereux la trahison du connétable, devenu l’ennemi du royaume comme du roi, puisqu’il menaçait l’intégrité de l’un ainsi que la couronne de l’autre. Il prétendit même que l’empereur, le roi d’Angleterre et le duc de Bourbon avaient projeté de partager le royaume quand le roi aurait passé les monts, que le duc de Bourbon devait faire couronner le roi d’Angleterre dans Paris, qui serait compris au lot de ce prince avec l’Ile-de-France, la Picardie, la Normandie et la Guienne, qu’à l’empereur demeureraient la Bourgogne, la Champagne, le Lyonnais, le Dauphiné, le Languedoc et la Provence, que le duc de Bourbon aurait le Poitou, l’Anjou, le Maine, la Touraine, le Berri, l’Auvergne, réunis à ses pays patrimoniaux, avec 150,000 écus d’or que lui paieraient l’empereur et le roi d’Angleterre, qui le reconnaîtraient et le laisseraient régent en France. Après avoir affirmé, au nom du roi, les particularités supposées de ce dépècement du royaume, afin de rendre plus odieux le grand traître et les ennemis invétérés auxquels en était attribué le dessein, Chabot de Brion annonça que le roi s’occupait à délivrer ses frontières envahies. Il fit connaître les mesures militaires qu’il avait prises, et il insista principalement sur l’importance qu’il attachait à la possession de Paris : « Le seigneur roi, dit-il, plutôt que de perdre Paris, aimeroit mieux se perdre lui-même. Il est délibéré de vivre et de mourir avec ceux de la ville de Paris, et s’apprête à les défendre. S’il en étoit empêché et n’y pouvoit venir en personne, il y enverroit femme, enfans, mère et tout ce qu’il a, car il est assuré que quand il auroit perdu le reste du royaume et qu’il auroit la ville de Paris, il recouvreroit aisément ce qu’il auroit perdu. » Il ajouta que le roi, resté encore à Lyon pour repousser les périls qui de divers côtés fondaient sur le royaume, consultait sa cour de parlement, et lui demandait de pourvoir à la conservation de son état. Les présidens et les conseillers du parlement répondirent qu’ils étaient prêts à faire pour le roi ce que leurs prédécesseurs avaient fait en pareil cas pour les rois précédens, que ceux de la compagnie et ceux de la ville de Paris le serviraient et lui obéiraient, qu’il leur déplaisait que messire Charles de Bourbon eût été si mal conseillé de prendre autre parti que celui du roi, et que c’étaient là des matières de grosse importance auxquelles la cour ne saurait pourvoir. Ils ajoutèrent qu’ils accompliraient les volontés du roi comme de vrais et loyaux sujets y étaient tenus.

Le surlendemain, le duc de Vendôme, le seigneur de Brion et les principaux membres du parlement se rendirent à l’Hôtel-de-Ville, où les attendaient le prévôt des marchands et les échevins. Là Vendôme fit des communications semblables à celles qu’avait faites Brion. L’assemblée décida de pourvoir tout de suite à la défense de Paris. Elle prescrivit d’y creuser des tranchées et d’y élever des remparts du côté de la Picardie. Une taille de seize mille livres fut imposée aux habitans pour solder deux mille hommes de pied. On leva les francs archers de la prévôté et de la vicomte de Paris qui n’avaient pas été convoqués depuis bien longtemps. Le prévôt des marchands et les échevins ordonnèrent de tendre les chaînes de fer aux lieux accoutumés, et l’on se mit à l’œuvre pour remparer les faubourgs de Saint-Honoré et de Saint-Denis et les enceindre de grands fossés[116].


IV.

François Ierétait à Lyon plein d’alarmes. Il y était resté avec une partie des troupes qui devaient descendre en Italie. L’attaque combinée des ennemis qui envahissaient la France par plusieurs côtés, l’évasion heureuse du connétable qui s’entourait d’hommes d’armes et levait des gens de pied en Franche-Comté dans l’intention de les joindre aux lansquenets et de marcher ensuite vers Paris de concert avec les Anglais et les Flamands, le décidèrent aux efforts les plus grands, quoique les moins prompts, afin de préserver son royaume. Pendant que Chabot de Brion et le duc de Vendôme se rendaient dans la capitale menacée, il avait donné l’ordre au grand-sénéchal de Brezé de lever six mille hommes de pied, de réunir tous les gentilshommes de Normandie et de les conduire sur ce point avec les cent lances de la compagnie de Lude. Il avait prescrit de mener en Picardie les quatre cents hommes d’armes qui étaient en Bretagne et de transporter d’Orléans à Paris vingt-cinq grosses pièces d’artillerie sur roues. Il avait en même temps chargé le comte de Guise et le comte d’Orval, ses lieutenans en Bourgogne et en Champagne, de veiller à la défense de leur province, d’y entraver la marche des lansquenets avec les troupes qu’ils avaient sous la main, qu’il renforça des compagnies d’hommes d’armes des ducs d’Alençon et de Vendôme. Ils devaient retirer les vivres du plat pays, rompre les fers des moulins, abattre les fours, empêcher ainsi les Allemands de subsister sur leur route et les assaillir, quand ils pourraient le faire avec assez de monde et de succès. « En toutes choses, écrivait François Ier, sera si bien pourvu de tous costez que j’espère, moyennant l’aide de Dieu, les contraindre à se retirer à leur grosse honte, perte et dommage[117]

Il n’était pas non plus sans crainte sur l’état intérieur du royaume. Il croyait la conjuration plus étendue et plus redoutable qu’elle ne l’était réellement. Bien qu’il en eût saisi les principaux complices ou qu’il les eût forcés à se dérober aux poursuites en sortant de France, comme l’avait fait le comte de Penthièvre, il craignait que Bourbon n’eût beaucoup d’adhérens secrets prêts à se soulever en sa faveur. Il avait fait transporter au château de Loches Saint-Vallier, Aymard de Prie, les évêques d’Autun et du Puy, le chancelier du Bourbonnais Popillon, seigneur de Parey, et sur ses ordres la Trémouille y avait envoyé d’Escars, qui servait en Picardie et dont il avait appris ou soupçonné la complicité. Il avait désigné pour les entendre et les juger le premier président du parlement de Paris de Selve, le président des enquêtes de Loynes, le maître des requêtes Salât et le conseiller Papillon. Ces commissaires procédaient avec une régularité que François Ier trouva intempestive et montraient des ménagemens qui le surprirent. Il les pressa de pénétrer jusqu’au fond de la conjuration dont l’entière connaissance importait à la tranquillité royale et intéressait la sécurité publique. « Messire Charles de Bourbon, leur écrivit-il, est avec un gros nombre d’Allemands entré en armes dans la Bourgogne; les rois d’Espagne et d’Angleterre sont aussi en armes contre nous et nostre royaulme à grosse puissance, sur le fondement de cette conjuration prétendant y avoir des intelligences qui se déclareront quand ils seront dans le pays. Il est donc besoin que vacquiez à cette affaire avec la plus grande diligence et que tiriez la vérité de ceux que vous avez entre les mains, par torture ou autrement, toutes choses cessantes. L’affaire en soi est privilégiée, et il n’est requis d’y garder les solemnitez que l’on fait en aultres cas. La vérité sceue à heure et à temps, on pourra obvier à plus gros inconvénient, ce qui seroit impossible après que les fauteurs de la conjuration se seroient déclarés en portant faveur, aide et secours à nos ennemis. Nous vous prions de rechef de bien peser cela et de nous oster de la peine où nous sommes[118]. »

Peu satisfait des lenteurs des commissaires et des aveux insuffisans qu’ils avaient obtenus des prisonniers, courroucé des dispositions à l’indulgence qu’ils laissaient apercevoir, il leur adressa dix jours après une lettre plus vive, en leur reprochant de ne lui avoir rien appris qu’il ne sût déjà, et de ne pas répondre à sa confiance par leur dévouement. «La conspiration, déloyauté, parjurement et trahison de Charles de Bourbon, leur dit-il, est plus que notoire, puisqu’il est en armes contre nous et nostre royaulme avec nos ennemis; mais ce qui est nécessaire à sçavoir et où gist le fondement de l’affaire pour la conservation de nous, de nos sujets, estat et royaulme, est d’entendre quels sont ceux qui tiennent la main à la dite conspiration, car il n’est pas vraisemblable que Charles de Bourbon eût entrepris une telle folie, s’il n’eût trouvé gens sur lesquels il comptât pour en conduire l’exécution... Afin que nous sachions à qui nous devons nous fier et de qui nous devons nous défier, il est besoin de connoître ceux qui tiennent le parti du dit Bourbon... Advisez de mettre prompte fin en cette affaire, qui est de l’importance et conséquence que chacun connoît. Il ne faut y procéder froidement, mais virilement et vertueusement, et n’épargner ceux qui ont été si méchans, déloyaux, parjures et traîtres que de savoir, sans la révéler, la menée qui se faisoit, et que nos ennemis exécutent pour ruiner entièrement nous, nos enfans, sujets et royaume[119]. » Il se refusait à renvoyer la connaissance et la décision du procès au parlement, comme le lui insinuaient les commissaires, dont il accusait la faiblesse et gourmandait la timidité. « Nous vous avons choisis, leur disait-il, pour votre savoir, votre prudhommie et la singulière foi qu’avons en vous. Montrez que vous êtes tels que jusques ici nous vous avons estimés, et ne nous donnez pas à connoître que par pusillanimité vous voulez vous décharger de cette affaire. Il faut découvrir, et par torture, si besoin est, quels sont les conjurateurs et conspirateurs, afin que nous y pourvoyions à temps et ne soyions pas surpris. Saint-Vallier et d’Escars savent tout... Nos ennemis sont de tous costés en nostre royaulme, et Bourbon fait gros amas de gens du costé de cette ville. Vous voyez l’imminent péril qui est à nos portes. Parquoy pourvoyez-y en sorte que mal, dont Dieu nous veuille garder, ne nous advienne. »

Heureusement le péril se dissipa plus vite qu’il ne devait l’espérer, et moins par la prévoyance de ses mesures que par les hésitations, le défaut de concert et l’impuissance de ses ennemis. L’armée anglo-flamande n’avait pas continué sa marche sur Paris. Elle avait voulu auparavant opérer sa jonction avec les lansquenets du duc de Bourbon, au-devant desquels elle était allée vers les confins de la Picardie et de la Champagne. Ceux-ci, après avoir attendu quelque temps le connétable, que sa fuite au sud de la France avait empêché de se mettre à leur tête, s’étaient dirigés du côté de l’ouest pour se réunir à l’armée anglo-flamande[120]. Conduits par les comtes Guillaume et Félix de Furstenberg, ils avaient assiégé et pris la place de Coiffy à six lieues de Langres. Passant ensuite la Meuse au-dessus de Neufchâteau, ils avaient tourné vers la partie occidentale de la Champagne, et s’étaient emparés du château de Monteclaire, près de la Marne, entre Chaumont et Joinville[121] ; mais là ils rencontrèrent des obstacles qu’ils ne purent pas surmonter. Le comte de Guise, avec sa compagnie d’hommes d’armes et les compagnies de vendôme et d’Alençon, que François Ier avait envoyées en Bourgogne, s’était joint au comte d’Orval à Chaumont. Il côtoya les lansquenets, qui manquaient de chevaux, et les empêcha de fourrager. Il les harcela à tel point qu’il les réduisit à mourir de faim ou à battre en retraite. Les lansquenets se décidèrent à prendre ce dernier parti. Sans attendre que le connétable, qui levait un peu tard de la cavalerie en Franche-Comté, vînt les renforcer et les secourir. Ils retournèrent sur leurs pas. Ils repassèrent la Meuse à Neufchâteau, et entrèrent en Lorraine après avoir perdu beaucoup de monde au passage de la rivière, où le comte de Guise les devança, les surprit et les culbuta.

Privée de ce renfort, l’armée anglo-flamande n’osa pas s’avancer davantage. Bien que Henri VIII eût préparé l’envoi de six mille hommes de plus sur le continent, la guerre, que les confédérés étaient convenus de ne pas même suspendre pendant l’hiver[122], devint impossible à continuer de leur part. La gouvernante des Pays-Bas, Marguerite d’Autriche, déclara que toutes ses ressources étaient épuisées, qu’elle n’avait plus d’argent, qu’elle ne pouvait pas solder plus longtemps les troupes flamandes commandées par le comte de Buren. Si les Anglais voulaient conserver ce corps auxiliaire, elle offrait de le leur laisser, pourvu qu’ils le payassent[123]. Ce n’était pas l’intention de Henri VIII, dont les dépenses avaient été très considérables sans être bien fructueuses. Il avait eu à entretenir plusieurs armées, et celle qui avait envahi la France, et celle qui, après avoir défendu les frontières de l’Angleterre contre les attaques du duc d’Albany, avait pénétré en Écosse, qu’elle avait ravagée, et celle qui gardait le canal de la Manche. Il se plaignit vivement du départ trop prompt des lansquenets, qui s’étaient éloignés sans avoir rien fait; des lenteurs du duc de Bourbon, qui n’avait su ni soulever ses états, ni rejoindre à temps la troupe levée pour lui; de l’abandon où la gouvernante des Pays-Bas laissait les Anglais en Picardie, s’il ne prenait pas à sa solde le corps auxiliaire qui devait être défrayé par l’empereur ; de la discontinuation d’une guerre qu’on s’était engagé à poursuivre durant l’hiver. Il trouva que c’était le charger de tout le fardeau de l’entreprise, dont les avantages étaient certains pour l’empereur et fort éventuels pour lui. Il refusa de garder à ce prix les troupes flamandes, qui faute de paiement se replièrent sur Valenciennes. L’armée anglaise à son tour fut obligée de repasser la Somme. N’ayant plus de cavalerie, réduite chaque jour en, nombre par le mauvais temps et les maladies, elle abandonna Montdidier, Roye, Bray, qu’elle pilla, et le duc de Suffolk la reconduisit à Calais, où elle rentra vers la fin de novembre[124].

Les plans des confédérés, qui n’avaient réussi ni au centre du royaume par un soulèvement, ni au nord par une invasion, n’eurent pas une meilleure issue au midi, par l’irruption qu’y fit Charles-Quint. Avec vingt-cinq mille fantassins, trois mille hommes d’armes et trois mille chevau-légers, l’empereur devait franchir les Pyrénées en même temps que l’armée de Henri VIII passerait La Manche; mais il avait annoncé plus qu’il ne pouvait accomplir. Outre une certaine lenteur naturelle, qui du caractère s’étendait à la conduite, et qui, dans ce qu’il faisait, le mettait constamment en retard sur ce qu’il voulait, il était retenu par la pénurie de ses moyens. Ses forces se trouvaient toujours disproportionnées à ses desseins. Moins actif qu’opiniâtre, il était aussi plus entreprenant que puissant. L’argent lui manquait sans cesse. Afin de payer l’armée qui défendait l’Italie, de fournir à la solde des lansquenets de Bourbon, d’entretenir le corps auxiliaire des Pays-Bas, de former et de mettre en mouvement les troupes destinées à envahir le sud de la France, il lui en fallait beaucoup plus qu’il n’en avait. Il avait demandé aux cortès des subsides qui lui étaient accordés avec parcimonie et par annuités[125]. Il avait taxé les ordres de chevalerie, imposé le clergé, levé la cruzada, pris même l’argent venu des Indes, et dont la plus grande partie appartenait à ses sujets[126]. Néanmoins les sommes qu’il avait retirées ou qu’il s’appropriait ainsi étaient insuffisantes pour ses besoins.

Charles-Quint avait eu de plus à lutter contre la mauvaise volonté de ses peuples. Les grands de Castille, qui avaient naguère soumis les comuneros, conservaient le vieil esprit de l’indépendance espagnole et ne se montraient pas disposés à seconder ses projets extérieurs ; ils lui avaient amené beaucoup moins de troupes qu’il n’en avait attendu, et ces troupes n’étaient ni bien zélées, ni même assez obéissantes[127]. Il leur avait fait passer les Pyrénées en septembre, non du côté de Perpignan comme on en était d’abord convenu, mais du côté de Bayonne, où il s’était ménagé des intelligences. Son armée, qui comptait presque autant d’Allemands que d’Espagnols, se porta sur cette ville, qu’elle espérait surprendre et enlever ; mais Lautrec, que François Ier avait chargé de la garde de cette frontière, se montra plus prévoyant et plus résolu qu’il ne l’avait été en Italie : il se jeta dans Bayonne et s’y défendit vaillamment. Durant plusieurs jours, il n’en quitta point les murailles et fit face au danger avec une infatigable vigilance et une intrépidité désespérée[128]. Il parvint ainsi à repousser les attaques de l’armée ennemie, que devaient seconder, du côté de la mer, les efforts d’une flotte dont les vents empêchèrent l’approche. Plus heureux en Guienne qu’en Lombardie, Lautrec couvrit le sud-ouest de la France, que les Espagnols évacuèrent après leur infructueuse tentative sur Bayonne.

Charles-Quint ne vit pas, sans quelque trouble et sans un peu de confusion, les résultats humilians de projets si vastes et en peu de temps rendus si vains. La France, qui, à l’automne de 1523, devait être soulevée au centre et envahie par les extrémités, était partout paisible et sur tous les points délivrée avant la fin de l’année. Le grand rebelle sur lequel il avait compté pour susciter des embarras intérieurs à son rival François Ier était fugitif et impuissant. Quittant la Franche-Comté, comme il avait quitté le royaume, Bourbon s’acheminait assez tristement vers Gènes et allait demander en Espagne la sœur de Charles-Quint, condition de son inefficace alliance et prix convenu de son inutile révolte. Les lansquenets avaient regagné l’Allemagne à moitié débandés; les Flamands étaient rentrés en pillant dans les Pays-Bas ; les Anglais mécontens avaient été rappelés dans leur île par Henri VIII, plein de regret et d’aigreur; les Espagnols, réduits en nombre, avaient repassé les Pyrénées, après avoir paru un instant sur le territoire français sans y prendre une seule ville et sans y avancer d’un pas. Charles-Quint fut réduit à se justifier, auprès des ambassadeurs de son allié Henri VIII, de la faiblesse de ses efforts, et à leur expliquer l’inexécution involontaire d’une partie de ses engagemens. Il fallut convenir qu’il avait moins pu qu’il n’avait promis, et faire le pénible aveu des obstacles directs ou des résistances détournées qui, dans son royaume de Castille, s’opposaient à ses desseins ou arrêtaient ses volontés. Il se plaignit d’avoir été trompé par certains personnages dont il ne manquerait pas de se souvenir pour les châtier, lorsqu’il y verrait de l’opportunité[129]. Il ne commandait pas encore en maître à ceux qui l’avaient rendu victorieux à Villalar. Cependant il ne se découragea point. De Pampelune, où il s’était établi et où il avait transporté toute son artillerie, il faisait lever en Aragon des troupes qu’il croyait devoir être plus dociles, et il se préparait à entreprendre une campagne d’hiver. Il envoyait en même temps Beaurain à la rencontre du duc de Bourbon[130], pour le charger d’être son lieutenant-général en Italie et d’y représenter sa personne. La campagne n’était point terminée dans cette péninsule : l’armée française et l’armée impériale y étaient encore en présence et combattaient, la première pour reprendre, la seconde pour conserver le duché de Milan.


MIGNET.

  1. Voyez, sur cette lutte et quelques incidens antérieurs, la Revue du 15 janvier 1854, du 15 mars et du 1er avril 1858.
  2. Histoire de la Maison de Bourbon, par Désormeaux; in-4o, Paris, Imprimerie royale, 1776; t. II, p. 367.
  3. En 1516, le provéditeur vénitien de Brescia, Andréa Trevisani, ambassadeur à Milan, disait de lui au conseil des pregadi : « Questo ducha di Borbon… a anni 29. Prosperoso traze uno palo di ferro niolto gajardamente, terne Dio, è devoto, human e liberalissimo ; ha de intrada scudi 120 milia, e per il stado di la madre (Anne de France), scudi 20 milia ; poi ha per l’officio di gran contestabile in Franza scudi 2,000 al mese, et ha grande autorità, e come li disse Mons’ di Longavilla, governator di Pavia, pol disponer di la mita del exercito del re ancora chel re non volesse a qual impresa li par. » Mss. Sumario di la Relazione di ser Andrea Trivixam… fatta in pregadi à di novembrio 1516, dans Sanuto.
  4. « Borbonius… in ore habebat Aquitani ejus scitum responsum qui rogatus a Carolo septimo, quo tandem præmio impelli posset, ut fidem sibi tot magnis rebus perspectam falleret : « Non tuo, inquit, here, regno, non orbis imperio adduci possim, contumelia tamen et stomachosa injuria possim. » Ferronius, De Rebus Gestis Gallorum, etc., in-fol. Basileæ, lib. VI, f. 136.
  5. « Bien faisoit-elle nourrir et entretenir le dit comte Charles, lui faisant aprandre le latin à certaines heures du jour, et quelquefois à courir la lance, piquer les chevaux, tirer de l’arc où il étoit enclin ; autres fois aller à la chasse ou à la volerie, et aussi an tous autres déduits et passe-tans où l’on a accoutumé d’induire les grans seigneurs, et à tout le dit comte Charles s’adonnoit très bien, et luy seoit bien de faire tout ce où il se vouloit amployer, et comme à jeune seigneur de bonne nature et de bonne inclination.» Histoire de Bourbon écrite par son secrétaire Marillac, publiée dans Desseins de Professions nobles et publiques, par Antoine de Laval; in-4o, Paris 1613, p. 237 r°.
  6. Histoire de Bourbon, par Marillac, p. 248 V° et 240.
  7. Marillac, p. 257 V° et 258.
  8. Mss. Béthune, vol. 8492, f. 2 V°, Brantôme, Vies des grande Capitaines, t, II, p. 158.
  9. Histoire de Bourbon, suite de Marillac, par le sieur de Laval, p. 279 V°, Mémoires de Du Bellay, collection Petitot, t. XVII, p. 303-304.
  10. Histoire de Bourbon, par Marillac, p. 231 ro.
  11. Marillac, p. 231 V°. — Étienne Pasquier, Recherches de la France, liv. VI, c. x, f. 556-557. — Voir aussi Histoire généalogique de la maison de France, par Scevole et Louis de Sainte-Marthe, t. II, p. 38, 39.
  12. « Le roy Charles septième, par lètres expresses et patantes, narration faite de la dite donation du duché d’Auvergne, et qu’elle étoit au profit et avantage du roy et du royaume, veu le retour du duché de Bourbonnois à la couronne en défaut de mâles, loua, ratifia et aprouva la dite donation, et furent les dites lètres leuës, publiées et anregistrées au parlement et en la chambre des comptes. » Plaidoyer de Montholon pour le connétable de Bourbon du 12 février 1522, à la suite de l’Histoire de Bourbon, p. 284 ro.
  13. Les ducs Jean II et Pierre II.
  14. Le comte Gilbert de Montpensier protesta contre la tentative du duc Jean II et les comtes Louis et Charles de Montpensier contre celle du duc Pierre II. — Voyez dans l’Histoire de Bourbon, par Marillac, p. 231 V°, p. 234 r° et p. 238.
  15. Histoire de Bourbon, etc., par Marillac, p. 230 V°, 232 r° 233 V° 234 r°. — Etienne Pasquier, Recherches de la France, ibid., p. 557, 558.
  16. Voyez Marillac, qui prit part à ces transactions, p. 239, 240, 241, 242 r° et V°, et Etienne Pasquier, f. 558, 559.
  17. Henri VIII disait à l’ambassadeur de Charles-Quint : « Il n’y a eu malcontentement entre le roi François et le dict de Bourbon sinon a cause qu’il n’a volu espouser madame la régente, qui l’ayme fort. » (Dépêche de Louis de Praet à l’empereur du 8 mai 1523, Archives impériales et royales de Vienne.) — L’historien contemporain Belcarius dit : « Carolo Borbonio… infensa erat Ludovica Sabaudiana Francisci mater ; quibus de causis non satis proditur : alii quod fœmina jam natu grandior Borbonii tertium duntaxat, aut quartum, et tricesimum annum agentis matrimonium ambiret, a quo eundem abhorrere, resciisset. » Belcarius, Cotnmentarii Rernm gallicarum, lib, vu, f. 528. — Antoine de Laval, capitaine du château de Moulins et continuateur de Marillac, dit expressément : « Il fait (le connétable) des réponces rudes à ceux qui luy parloient de faire une seconde transaction semblable à celle qu’il fit avec feue madame Suzanne. On dit encore parmi nous les mots dont il usoit, qui sont un peu trop crus et piquans pour être redits. » — Desseins de Professions nobles, etc., f. 282 v°.
  18. Dépositions du chancelier de Bourbonnais Popillon, f. 243 r°, de Saint-Bonnet, f. 49 V°, de l’élu Petit-Dé, f. 76 r°, dans le vol. 484 de la collection Dupuy, qui contient toutes les pièces du procès criminel du connétable de Bourbon aux mss. de la Bibliothèque impériale.
  19. Interrogatoire de l’évêque d’Autun. Mss. Dupuy, no 484, f. 230 r° et V°.
  20. Déposition de l’évêque d’Autun, f. 230.
  21. Déposition de Perot de Wartliy du 17 septembre. — Ibid., f. 37 V et 38 r°. « This overture was now of late renowed, under colour of a subtile and craftie practise, by a capitain being now in Tirwen (Tbérouanne) named Mr de Cares (d’Escars), etc. » Instructions données par Henri VIII à Th. Boleyn et à Richard Sampson, envoyés auprès de l’empereur en octobre 1522. — State Papers, t. VI, part, v, p. 104, London, in-4o, 1849.
  22. « The duke of Burbon not being contented with the inordinate and sensuall governaunce that is used by the French king, is much inclincd and in maner determined to refourme and redresse the insolent demeanures of the said king. » Henri VIII ajoute que le duc de Bourbon y a été induit par plusieurs importans conseillers aussi bien que « by loss of such landes, dominions and seniories as he possessed outwardly, as also the impoverisching and in maner destruccion of his reame;… mynding therefore not oonely to have aliaunce with the emperour by mariage of oon of his susters, but also, in the same may be assuredly promised to take effecte, to joyne with the king and the empereur with his strenght and power at such tyme as they shall make actuall ware in Fraunce. » — State Papers, p. 103, 104.
  23. « The said duke… considering also that the king had title to the crowne of Fraunce, was contented it shuld be notified unto the kinges Highnes. » Ibid., p. 104.
  24. « For whiche purpose the kinges grace thiketh right expedient that the empereur shuld send thider Mons’ de Beuren, with auctoritie power and instructions sufïicient, like as the kinges Highnes shall auctorise summe convenable personne semblably to doo for his parte, etc. » Ibid., p. 104-105.
  25. Dépêches manuscrites de l’évêque de Badajoz et de Louis de Praet, ambassadeurs de Charles-Quint en Angleterre, du 5 et du 13 février 1523. — Archives impériales et royales de Vienne.
  26. Dépêche, du 20 janvier, de l’évêque de Badajoz et de Louis de Praet à Charles-Quint. Archives impériales et royales de Vienne. — Wolsey le dit en grande partie dans sa dépêche de janvier 1523 à Th. Boleyn et à Rich. Sampson.— State Papers, t. VI, p. 113 à 120.
  27. Henri VIII dit à Louis de Praet : « Touchant l’affaire de Bourbon, puisque l’empereur l’a tant à cœur, j’envoyrai par delà mon povoir à mes ambassadeurs avec instructions telles dont l’empereur aura cause d’estre content pour besongner conjoyntement sur le dict affaire. » Dépêche manuscrite de Louis de Praet à Charles-Quint du 8 mai 1523. — Archives impériales et royales de Vienne.
  28. Dépêches manuscrites du 1er juin de Louis de Praet à l’empereur, et de Louis de Praet et de Jehan de Marnix au même.
  29. M Sire, en suyvant la charge qu’il a pieu à vostre majesté bailler à moy Beaurain, j’ay fait telle diligence que suis arrivé en cette ville de Londres hier XIX de ce mois. « Dépêche d’Adrien de Croy et de Louis de Praet à l’empereur, du 21 juin.
  30. Ces instructions, données le 28 mai à Valladolid, sont imprimées dans le tome VI des State Papers, p. 151, note 2, et p. 152.
  31. Dépêches de Beaurain et de Louis de Praet du 21 juin, Archives impériales et royales de Vienne.
  32. Instructions de l’empereur à Beaurain, du 28 mai 1523, publiées dans le sixième volume des State Papers, p. 151, note 2.
  33. Ces articles, intitulés Memoriale eorumque Dominus de Beaureyn tractabit cum illustrissimo duce Burbonio pro communi beneficio utriusque majestatis, sont imprimés dans le sixième volume des State Papers, p. 153 et 154.
  34. «Instructions given by the kinges highnes to bis trusty clerc and counsaillour master William Knyght. » State Papers, t. VI, p. 131.
  35. Le duc de Bourbon devait le reconnaître pour his suppreme and soverayn lord makyng othe and fidelitie as to the rightful inheritour of the said crowne of Fraunce. » State Papers, p. 137.
  36. Dépêche de L. de Praet à Charles V du 9 août 1523. — Arch. imp. et roy. de Vienne.
  37. Suite de l’Histoire de Bourbon, par Marillac, f. 282 v° à 293, contenant les extraits des plaidoyers. — Journal d’un Bourgeois de Paris, publié par la Société de l’Histoire de France. Paris, chez J. Renouard, 1854, p. 150 à 152.
  38. Par donation du G septembre 1522. — Voyez cette donation aux Archives impériales, — Voyez aussi Journal d’un Bourgeois de Paris, p. 151.
  39. Cette scène fut racontée par l’empereur au docteur Sampson, qui l’écrivit à Wolsey dans sa dépêche du 23 mars. — Musée britannique Vespasien, c. II, f. 117, original.
  40. Interrogatoire d’Escars. — Mss. 484, f. 251.
  41. Déposition d’Antoine de Chabannes, évêque du Puy. — Mss. 484, f. 183 r° et v°.
  42. Interrogatoire de l’évêque d’Autun du 26 octobre. — Mss. Dupuy, n" 484, f. 221 v°.
  43. Interrogatoire de Saint-Bonnet du 24 septembre. — Mss. Dupuy, f. 43 r°.
  44. Suite de l’Histoire de Bourbon, p. 293 v°.
  45. Dans sa dépêche du 9 août, L. de Praet, après avoir appris de Château, qui était envoyé à Londres par Beaurain, tout ce qui s’était passé à Montbrison, l’écrivait à l’empereur en lui envoyant copie du traité conclu avec le duc de Bourbon : « Le dit Grasien revint accompagné de deux gentilshommes qui menèrent le dit Beaurain et sa compagnie jusques en une villette nommée Montbrison. Le d. Bourbon vint parler au d. Beaurain de nuit, etc. » — Arch. imp. et roy. de Vienne.
  46. Déposition de Saint-Bonnet. — Mss. N° 484, f. 43 r° et v°. — Déposition d’Anne du Peloux, f. 71 v°.
  47. Mss. Dupuy, n° 484 passim.
  48. Marquis de Cotron, vicomte d’Estoille, baron de Clerieu, de Serignan, de Chalançon et de Florac, seigneur de Privas, de Corbempré, etc.— Histoire généalogique des Comtes de Valentinois et de Diois, seigneurs de Saint-Vallier, etc., de la maison de Poitiers, par André Du Chesne. Paris, in-4o, 1638, p. 105.
  49. Interrogatoire de Saint-Vallier du 12 octobre 1523. — Mss. Dupuy, n" 484, f. 172 r° et 173 v°.
  50. Interrogatoire et aveux du 23 octobre 1523. — Ibid., f. 207.
  51. Déposition de Saint-Bonnet du 24 septembre. — Ibid., f. 43 v°.
  52. La copie de ces articles, dont Saint-Vallier rapporte assez fidèlement les stipulations, fut portée en Angleterre par le secrétaire Château et envoyée par Louis de Praet à Charles-Quint dans sa dépêche du 9 août. — Arch. imp. et roy. de Vienne. — J’en donne ici l’extrait.
  53. « Item, que pour le dangier de déceler cette affaire et aussi pour la haste qu’il requiert, n’avoit este possible que aucunes gens de longue robe eussent esté presens à conclure lad. lighe afin de la mectre en forme de lettres patentes selon la coutume. » — Dépêche du 9 août.
  54. « Et jura le dict Bourbon pour sa part, et le dict de Beaurain de la vostre sur les saincts Évangilles, l’effect et articles qui s’en suivent, lesquelx furent mis en escrit en deux billets de la main du d. de Beaurain, et signés des seings manuels des deux sieurs, dont l’ung demeure auprès du d. de Bourbon et l’autre empourta le d. de Beaurain pour le montrer à votre majesté. » — Dépêche du 9 août.
  55. Déposition de Saint-Bonnet du 24 septembre. — Mss. 484, f. 43 v°.
  56. Interrogatoire de Saint-Vallier du 23 octobre, — Mss. Dupuy, n" 484, f. 214 r° et v°.
  57. « Le dict seigneur a retiré dedans deux fortes places force vivres et artillerye, c’est assavoir dedans Chantelle et dedans Carlat et en chacune d’icelles a mis cinquante ou soixante hommes. » Lettre du capitaine de La Clayette à la duchesse d’Angoulême. Mss. Dupuy, f. 114 r°.
  58. « Le capitaine Saint-Saphorin fut à Montbrison cet esté passé cependant que le connestable y estoit, alors que la monstre fut faicte de la compagnie du dict connestable. » — Déposition de Baudemanche du 28 novembre. — Ibid., f. 254 r°. — Le connétable envoya l’archer Baudemanche le 31 août auprès de Saint-Saphorin et lui dit : « Allez-vous-en devers luy et sachez si les quatre mille hommes sont prêts et en quelle sorte ils veulent être payés, combien d’argent il lui fauldra. » — Déposition de Baudemanche du 23 septembre. — Ibid., f. 38 v°.
  59. Interrogatoire de l’évêque du Puy du 6 et 7 septembre. — Ibid., f. 11 r°; du 21 octobre, f. 185 r°.
  60. « Messire Aymar de Prye devoit mestre mil hommes de pied dedans Dijon, et en mestre dehors Beaumont son lieutenant, pour après mestre la dite ville es mains du connestable. » — Déposition de d’Argouges, d’après Lurcy. — Ibid., f. 6.
  61. Dépositions de l’évêque du Puy, f. 183 r° et 189 r°, n" 484.
  62. Dépositions de d’Argouges et de Matignon. — Ibid., f. 5 v° et 7 r°.
  63. Déposition de l’évêque d’Autun. — Ibid., f. 22 r°.
  64. Le 23 juillet 1523. — Journal d’un Bourgeois de Paris sous François Ier, p. 139.
  65. Interrogatoire de Popillon, du 7 octobre. — Mss. no 484, f. 166 v°.
  66. Interrogatoire du 7 octobre. — Ibid., f. 166 v°.
  67. Dépositions de d’Argouges et de Matignon. — Ibid., f. 5 v°, 6 et 7.
  68. Lettre missive du grand-sénéchal de Normandie de Breszé au roy, écrite d’Harfleur le 10 août. — Mss., f. 108.
  69. « Je vous fais courre deux courriers, de peur qu’il n’en tombe un malade, qui ne savent rien de ce que je vous escrips. » — Ibid., f. 109.
  70. Déposition de Robert de Grossone. — Ibid., f. 79 v°.
  71. Ce qu’il lui fit répéter par Perot de Wartliy. — Déposition de Perot de Warthy du 15 septembre. — Mss., f. 28 v°.
  72. Interrogatoire de Popillon. — Ibid., f. 167 v°.
  73. Déposition de Saint-Bonnet du 25 septembre. — Ibid., f. 51 v°.
  74. Déposition de Warthy. — Ibid., f. 28 v°.
  75. Il chargeait Robert de Grossone de lui annoncer « que les affaires de Milan se portoient très bien, et qu’il eust voulu avoir donné cent mille écus pour qu’il eust esté où estoit monseigneur l’admiral. » Déposition de Robert de Grossome. — Ibid., f. 80 r°.
  76. Déposition de Warthy. — Ibid., f. 29 v°.
  77. Déposition de Warthy, Ibid., f. 31 et 32.
  78. Déposition de Warthy, ibid.
  79. Déposition de Baudemanche du 23 septembre. — Ibid., f. 38 v°.
  80. Instructions et pouvoirs de sir John Russell. Mss. Brit. Vespas., c. II, 66, et State Papers, t. VI, p. 163 à 160.
  81. Lettre de Château à de Praet. Ibid., Vespas., c. II,, 165.
  82. Les articles du traité en français tirés des Miscell. Letters Hen. VIII, troisième série, vol. VIII, n° 20, et sur lesquels Henri VIII a écrit de sa propre main : Tharlides passyd w’ the duke off Burbon, sont publiés p. 174 et 175 du sixième volume des State Papers.
  83. Lettres de Loquingham et de Château à Beaurain, du 9 septembre, dans les Mss. Dupuy, vol. 484, f. 133.
  84. Déposition de l’évêque d’Autun. — Ibid., f. 20.
  85. « Le dict seigneur de Bourbon nous a dict que de celuy pas s’en alloit retirer en une sienne maison forte, laquelle il avoit faict fournir de vivres, artillerye et autres choses nécessaires suffisamment pour se garder deux ou trois mois. » Lettre de Château et de Loquingham à Beaurain, du 9 septembre. — Ibid., f. 134.
  86. Dépositions de Saint-Bonnet, ibid., f. 48; — de l’évêque d’Autun, f. 87 v°; — de Desguières, f. 58 r°; — de Warthy, f. 33 v°.
  87. Déposition de Warthy. — Mss. Dupuy, f. 33 v°.
  88. Déposition de Warthy. — Ibid., f. 33 v° et 34 r°.
  89. Déposition de Perot de Warthy. — Ibid., 484, f. 35 v°.
  90. Lettres et instructions données à l’évêque d’Autun, envoyé vers le roi par le connétable. — Mss., f. 25 et 26.
  91. Déposition de Saint-Bonnet. — Ibid., f. 48 r°.
  92. Ibid., f. 50, et dépositions de Symone Bryon, f. 56 r% et de Desguières, f. 58 v°.
  93. « Le connétable se trouva fort las, tellement que par deux fois il descendit soubs quelques arbres fort esvanoy et portant très mauvais visage embéguiné d’un couvre-chef. » — Déposition de Desguières, f. 58.
  94. Déposition de Henri Arnauld, châtelain d’Herment. — Ibid., f. 93 v°.
  95. Mss., f. 03, et déposition de Saint-Bonnet, f. 48 v°.
  96. Déposition de Robert de Grossone, ibid., f.
  97. Déposition de Desguières, f. 59.
  98. Déposition du châtelain d’Herment, f. 94 r°.
  99. Tous ces détails et la désignation de tous les lieux par où passa le connétable dans sa fuite sont contraires au récit de Du Bellay, qui a servi de fondement à l’histoire : ils sont tirés de la déposition d’Henri Arnauld, qui accompagna le connétable du château d’Herment au château de Pomperant, non loin de Saint-Flour. — Ibid., fol. 92 à 98.
  100. Déposition de Warthy, d’après l’évêque d’Autun. — Mss. 484, f. 36 r°.
  101. « Voulons estre publié à son de trompe que s’il y en a aucun qui nous livre et mette entre les mains la personne du dit connestable, que nous luy donnerons la somme de dix mille escus d’or soleil, et luy ferons d’autres biens et honneurs tant qu’il en sera mémoire perpétuelle du service qu’il aura faict à la couronne et chose publique de France. » Proclamation de François Ier, de Lyon, septembre. — Mss. Clairambault, Mélanges, vol. XXXVI, f. 8777.
  102. Déposition du châtelain d’Herment. — Ibid., f. 97 v°.
  103. « Et m’advertissoit ma ditte dame (Marguerite d’Autriche, gouvernante des Pays-Bas) de l’arrivée du sr de Bourbon à Besançon environ le 3e du mois passé. » Lettre de Louis de Praet à Charles V, du 7 novembre 1523. Archives impériales et royales de Vienne.
  104. Louis de Praet ayant interrogé un gentilhomme de Savoie que le duc de Bourbon avait envoyé à Londres pour y réclamer l’exécution du traité, sur ce qu’il était devenu après avoir quitté ses états, ce gentilhomme lui répondit : « Qu’il avoit entendu que le dit sieur avoit esté jusques aux marches et frontières de Saulce, à intention de se tirer devers vostre majesté; mais voyant qu’il ne povoit passer sans grand péril et dangier de sa personne, s’estoit mis au retour, et passant à trois ou quatre lieues près de Lyon, où estoit lors le roy François, arriva à Saint-Claude en vostre comté de Bourgoingne, auquel lieu l’évesque de Genève l’assista de gens et de montures, et l’accompagna jusques au dit Besançon. » — Dépêche de Louis de Praet à l’empereur du 9 novembre. Ibid.
  105. D’après le récit de Du Bellay; — tome XVI de la collection Petitot, p. 415 à 418.
  106. Mss. de la Bibliothèque impériale. — Clairambault, Mélanges, vol. 36, f. 8771. — Du Bellay, collection Petitot, t. XVII, p. 418. — Brantôme, Vies des grands Capitaines, Bourbon, t. Ier, p. 182.
  107. Lettre de Renée de Bourbon à François Ier du 14 octobre 1523. — Mss. Dupuy, V. 484, f. 102.
  108. Lettre de Charles V au duc de Sessa, du 13 juillet, dans la Correspondance de Charles-Quint avec Adrien VI et le duc de Sessa, publiée par M. Gachard. — In-8°, Bruxelles, 1859, p. 193.
  109. History of the Reign of Henry VIII, etc., by Sharon Turner, third edit. 1828, t. Ier, p. 112, etc. — Turner raconte toute cette guerre en France et en Écosse en se servant des papiers d’état et des documens authentiques.
  110. Advertissement du Gueldrois venant d’Angleterre sur l’état de l’armée anglaise, de Calais, etc. — Très curieux et très exact. — Mss. 484, f. 105 à 108.
  111. Lettre de Charles-Quint au duc de Sessa du 4 oct. Correspondance, etc., p. 198. — Du Bellay, t. XVII, p. 425-.
  112. « Le pays estoit merveilleusement mal porvou;... il n’y avoit gens de pied ni gendarmerie. » Lettre de d’Escars, écrite le 11 septembre de Montreuil au chancelier du Bourbonnais Popillon. — Mss., vol. 484, f. 110. — Du Bellay, t. XVII, p. 434.
  113. Lettre de François Ier à l’amiral Bonnivet et au maréchal de Montmorency, du 22 octobre, dans les Mss. Baluze, v., f. 200. — Journal d’un Bourgeois de Paris, p. 170 à 174.
  114. Journal d’un Bourgeois de Paris, p. 174 à 178.
  115. Relation de cette séance dans les Mss. Clairambault. Mélanges, vol. 36, f. 8729.
  116. Journal d’un Bourgeois de Paris, p. 178 à 180.
  117. Lettre de François, du 27 octobre, à l’amiral Bonnivet et au maréchal de Montmorency. Mss. Baluze, n°, f. 180. — Journal d’un Bourgeois de Paris, p. 180, 181. — On Bellay, t. XVII, p. 421, 422.
  118. Lettre de François Ier, écrite de Lyon le 20 octobre, dans le Mss. 484, f. 129.
  119. Lettre de François Ier, écrite le 1er novembre, aux commissaires délégués pour instruire le procès. — Ibid., f. 129 v° à 131 v°.
  120. Dépêche de L. de Praet du 10 octobre. — Arch. imp. et roy. de Vienne.
  121. Mémoires de Du Bellay, t. XVII, p. 431, 432.
  122. Dépêche de L, de Praet à l’empereur du 9 novembre (Archives imp. et roy. de Vienne). — Lettre de Wolsey à Sampson et à Jernigam, ambassadeurs d’Henri VIII auprès de Charles V, du 8 novembre (State Papers, vol. VI, p. 185 à 187).
  123. Ibid. Dépêches da 19 novembre et du 9 décembre.
  124. Dépêches des 9 et 19 novembre et du 9 décembre. Ibid. — Lettre de Wolsey à Sampson et à Jernigam du 4 décembre. State Papers, t. VI, p. 201 à 206.
  125. Les cortès de Castille, réunies à Palencia en juillet 1623, « le servieron con quatro ciento mil ducados pagados en tres anos. » Sandoval, Historia de Carlos-Quinto, lib. XI, § XV.
  126. Dépêche de Sampson, etc., à Henri VIII, du 12 novembre, à Pampelune. State Papers, t. VI, p. 193.
  127. Charles-Quint en fit lui-même l’aveu aux ambassadeurs d’Angleterre. Dépêche de Sampson et Jernigam à Henri VIII, du 12, à Pampelune. State Papers, t. VI, p. 192. — Charles-Quint le dit aussi au duc de Sessa dans sa lettre du 2 octobre. Correspondance, etc., p. 198.
  128. Mémoires de Du Bellay, t. XVII, p. 424, 425.
  129. Dépêche du 12 novembre, écrite par Sampson et Jernigam à Henri VIII. — State Papers, t. VI, p. 192.
  130. Dépêche du 18 décembre, écrite de Pampelune par Sampson et Jernigam à Wolsey. State Papers, t. VI, p. 215.