Revue musicale - 14 février 1888

Revue musicale - 14 février 1888
Revue des Deux Mondes3e période, tome 85 (p. 929-936).
REVUE MUSICALE

Théâtre de l’Opéra : la Dame de Monsoreau, opéra en 5 actes et 7 tableaux, paroles de A. Dumas et A. Maquet, musique de M. G. Salvayre.


De certaines œuvres il est difficile de savoir ce qu’on pense. De certaines autres il est cruel d’avoir à le dire. Dans la série des opéras représentés depuis quelques années à l’Académie de musique, la Dame de Monsoreau vient de prendre la place de Marino Faliero parmi les portraits des doges de Venise : une place noire, voilée de crêpe. Autant, plus même qu’un article de critique, il faudrait faire ici un article de condoléances. Et nous le ferions de tout cœur si les musiciens ne s’offensaient également des condoléances et des critiques, s’ils prenaient leurs échecs comme des malheurs ordinaires, dont sans honte ni rancune on se laisse plaindre et consoler. Hélas ! après avoir élaboré une œuvre en quelques années, ou l’avoir dépêchée en quelques mois (peu importe), c’est une grande douleur de voir repousser cette œuvre qu’on aime, de ne trouver d’écho nulle part aux voix qu’on a cru entendre chanter en soi-même. Ah ! que nous étions plus à l’aise il y a quinze jours, ici : nous n’avions guère à parler que des morts. Mais les vivans ne souffrent pas sans colère qu’on parle d’eux autrement qu’ils ne pensent. Ils nous pardonnent encore moins nos critiques que nous ne leur pardonnons leurs œuvres. Qui dira la grandeur de l’art et la petitesse des artistes, « les petits hommes et leurs petites idées? « les amitiés mortes et les haines nées de jugemens seulement sincères? Et, non moins que les artistes, les critiques s’offensent d’être critiqués. Les uns se croient des dieux, et les autres, des prêtres. « La vanité est si ancrée dans le cœur de l’homme !.. Et ceux qui écrivent contre veulent avoir la gloire d’avoir bien écrit; et moi qui écris ceci ai peut-être cette envie; et peut-être que ceux qui le liront... » C’est Pascal qui parle ainsi.

Il y a déjà plus de dix ans qu’au théâtre lyrique de M. Vizentini, M. Salvayre fit naître des espérances trop tôt évanouies. Le Bravo promettait beaucoup et tenait déjà quelque chose. Il y avait là quelque réalité, quelque beauté présente et pas seulement annoncée : de la facilité, trop peut-être ; de la chaleur, de la lumière et un très juste instinct du théâtre. M. Salvayre alors avait du talent. Nous ne l’avons pas rêvé. Nous n’avons pas rêvé notre émotion, ni la faveur publique allant d’elle-même à cette œuvre charmante, que faisaient plus charmante encore deux artistes éminens : la pauvre Heilbronn et Bouhy. Mais depuis!.. Depuis, sans parler de Richard III, que la Russie a seule entendu, M. Salvayre a écrit le Fandango, un ballet assez anodin, et Egmont, qui a fait douter du musicien plus que le Bravo n’avait fait croire en lui. Egmont, écrit pour l’Opéra, n’y fut pas joué, et sa chute ailleurs a prouvé que dans le différend élevé à ce sujet entre M. Salvayre et les directeurs de l’Opéra, le bon goût était du côté de ces messieurs. Mais, pour donner une compensation à M. Salvayre, on lui demanda un ouvrage plus important que l’ouvrage refusé. Il y avait déjà une certaine contradiction entre cette confiance et cette crainte; il y avait au moins de l’imprudence à rendre d’une main pour prendre de l’autre. L’événement l’a bien fait voir.

M. Salvayre n’a décidément pas de chance avec ses librettistes. On l’avait déjà compromis avec un Egmont dénaturé, presque parodié ; voici qu’on lui a gâté la Dame de Monsoreau. Et qui cela? Maquet lui-même, le collaborateur de Dumas dans le célèbre drame. Le compositeur se déclarait, dit-on, ravi de sa pièce. Il faut qu’il ne soit ni très difficile ni très au courant peut-être des ressources et des lois de son art. Des drames pareils ne sont pas faits pour la musique, et la musique n’est pas faite pour eux. Qu’on ne nous oppose pas ici le succès récent de Patrie. Patrie, bien que drame historique, est de plus un drame moral. Il met aux prises de bien autres passions que la Dame de Monsoreau ; il entre bien plus avant dans les âmes. Dans Patrie, il y a autre chose que du mouvement et des faits : le dévoûment au pays, l’héroïsme l’amour, la trahison, autant de thèmes que la musique peut traiter, autant de ressorts qu’elle peut faire jouer. Dans la Dame de Monsoreau, rien de pareil : des événemens qui se précipitent, une action incessante, voire plusieurs actions : d’abord la lutte entre le roi Henry III et son frère, tout un fond de politique, de menées, de complots, la ligue; puis le drame privé mêlé au drame public, les amours de Bussy, de Diane et de Monsoreau. Tout cela haché menu, par tableaux, et mené grand train, sans une halte, sans un repos, sans que la musique ait le temps d’approfondir un sentiment, de tracer un caractère. Elle s’essouffle à courir après un drame qui n’a pas besoin d’elle, et dont les incidens s’accommoderaient d’un trémolo ou de quelques mesures d’Artus.

Si au moins Maquet avait respecté le drame primitif, qui était à moitié le sien ! Il était charmant, ce drame, chevaleresque et spirituel, plein de beaux coups d’épée et de belles paroles d’amour. Et quelle couleur historique ! Je ne dis pas que Dumas soit Mommsen ou Bossuet, ni que ses pièces et ses romans soient faits au même point de vue que le Discours sur l’histoire universelle. Mais Dumas avait un grand principe : divertir les gens. Le système a du bon, et ne l’applique pas qui veut.

Dans l’opéra, plus de Chicot. Voilà l’erreur capitale, l’irrémédiable faute. Le malin, l’héroïque, le sympathique Chicot était l’âme, non pas damnée, mais bienfaisante, de la Dame de Monsoreau. Il menait toute la pièce, nouait et dénouait toutes les situations. Ce bouffon d’esprit et de cœur tenait un instant entre ses mains la fortune de la France. Il tutoyait le roi; il veillait sur lui et pour lui. il le sauvait, il sauvait Diane, il sauvait Bussy, il sauvait tout le monde, et se faisait tuer bravement et gaîment à la fin. Supprimer Chicot, c’est supprimer non-seulement la principale figure du drame, mais la plus originale, la plus neuve, la seule qui prêtât à la musique. Plus de Chicot, partant plus de gaîté, plus d’entrain; plus rien que la carcasse d’un mélodrame lugubre, rendu, par de maladroites coupures, inintelligible à qui n’a pas le souvenir de la pièce primitive. Ces coupures, dit-on, sont nécessaires; sans elles, le drame, devenu opéra, eût duré sept ou huit heures. Raison de plus, alors, pour ne pas faire un opéra de ce drame.

Rappelons-en seulement la donnée et la suite, qui l’autre soir a paru un peu décousue. — Premier tableau : Diane de Méridor est enlevée par ordre du duc d’Anjou, et conduite au château de Baugé. Le comte de Monsoreau, qui l’aime, et qu’elle hait parce qu’il a tué sa biche familière, arrive à temps pour sauver la jeune fille. L’écharpe de Diane, jetée dans l’eau des fossés, fera croire à un suicide. — Second tableau : Bussy d’Amboise, l’ami du duc d’Anjou, mais surtout l’ami, presque le fils adoptif du vieux baron de Méridor, vient dénoncer au roi l’enlèvement de Diane. Le roi reconduit; les mignons le provoquent, et le soir même, en sortant du Louvre (troisième tableau), ils l’attaquent et le blessent. Bussy, chancelant, s’appuie contre une porte qui cède, et qu’il ferme au visage des assaillans. Cette porte est naturellement celle de la maison où Monsoreau a caché Diane, qui reçoit dans ses bras Bussy sans connaissance. — Quatrième tableau : Mariage forcé de Diane avec Monsoreau, qui lui montre dans cet hymen le seul moyen pour elle d’échapper au duc d’Anjou. Désespoir de Bussy, qui voit s’accomplir la cérémonie, et résistance de Diane aux empressemens de son époux. — Cinquième tableau : Bussy demande au duc d’Anjou, son maître, de faire casser le mariage de sa bien-aimée. Le duc n’ose y consentir, de peur que Monsoreau ne trahisse le secret d’un complot dont le duc est le chef. — Sixième tableau: Ballets et processions. — Septième tableau : Monsoreau a été arrêté comme conspirateur; mais il s’échappe, il surprend Bussy chez sa femme et le fait assassiner. Avant de mourir sous les yeux de Diane, Bussy n’a que le temps de poignarder le traître.

On n’a pas goûté, — Et c’est justice, — ce pauvre extrait de drame, sans unité, sans suite et sans couleur. Des invraisemblances qui passent à l’Ambigu dans le feu de l’action, dans la rapidité du dialogue, s’accusent trop quand la musique laisse le temps de les remarquer. Comment admettre, par exemple, que Diane se décide au mariage, et au mariage immédiat avec Monsoreau, sur la seule affirmation que le duc d’Anjou monte l’escalier, qu’il va paraître? Une attente de quelques minutes, un regard attentif par la fenêtre ou à la porte l’aurait détrompée. Autre chose : comment Bussy, qui par le du vieux Méridor comme de son second père, n’a-t-il jamais vu Diane, la fille du baron? Si, des invraisemblances nous passons aux obscurités, quel est ce complot que neuf heures sonnant rappellent à Monsoreau, et dont personne n’a jamais ouï parler? Constamment l’auditoire s’est égaré dans ce livret mal coupé et mal expliqué. Quelquefois il s’en est égayé. Certain chassé-croisé de Bussy, de Diane, de Monsoreau et de la suivante Gertrude dans deux chambres qui communiquent, a paru de l’Hennequin poussé au noir. Quant à la poésie, en voici un échantillon :


Mon cœur, depuis le jour où j’ai vu cette femme,
Est noir comme un palais dévasté par la flamme,
Où le vent vient gémir, où vont hurler les loups.


On a ri quelquefois ; mais au fond il n’y avait pas de quoi rire. Triste a été cette chute. La partition de la Dame de Monsoreau ressemble à un désert sans oasis. Quatre heures durant, on attend l’inspiration, l’idée, et rien ne vient. Jamais nous n’avons entendu aussi longtemps de la musique sans plaisir, sans un instant d’émotion ou d’intérêt. Rien où l’on puisse se prendre, rien qui plaise de prime abord; rien non plus qui étonne, qui déconcerte au besoin, mais laisse au moins l’ombre d’un doute, le désir d’une seconde épreuve et l’espoir d’une découverte. Si encore on se trouvait en présence d’une tendance quelconque, d’un système, fût-il dangereux ou discutable! Mais on ne peut discuter une œuvre qui s’impose par sa médiocrité, l’Opéra, depuis quelques années, ne nous avait pas servi pareille redevance. Où est la forte structure de Patrie, la grâce du Cid? Où sont les mâles beautés d’Henri VIII, et surtout la noblesse et la poésie de Sigurd? Dans chacun de ces ouvrages, il y avait énormément de talent et même un peu de génie. Mais voici la première fois qu’un musicien, capable d’écrire matériellement un grand opéra, ne rencontre pas, en quatre heures de musique, au moins un quart d’heure d’inspiration.

Que pourrait-on louer? l’ensemble? Il ne se tient pas. Les caractères musicaux ? Ils ne sont pas dessinés. Aucune figure ne se détache. Bussy, Monsoreau, Diane, sont trois voix différentes, mais non trois personnages. Quant aux rôles accessoires, ils encombrent la scène au lieu de l’animer. De couleur locale ou historique, pas un soupçon. Cette musique est une musique quelconque, qui siérait à la cour de Louis-Philippe autant qu’à celle de Henri III. Pas même une silhouette d’architecture, pas une tourelle à l’horizon. Ah ! la petite procession et le couvre-feu des Huguenots; le passage sur la Seine du cadavre de Comminges ! l’entrée de Raoul chez Nevers, ou celle de Mergy chez la reine Margot ! Mais aussi pourquoi tenter d’aussi périlleuses aventures, provoquer des comparaisons fatales? Meyerbeer, et, dans de moindres proportions, Hérold, ont seuls rendu en musique l’esprit de la renaissance et l’aspect du vieux Paris. Seuls ils ont fait de la musique historique ; ils ont été artistes à la façon de Michelet. M. Salvayre n’a pas le secret de ces récitatifs caractéristiques qui font des Huguenots ou du Pré aux clercs jusque dans le détail des œuvres exactes, et pour ainsi dire ressemblantes. Pas un acte, pas même un entr’acte de la Dame de Monsoreau n’est un tableau. La chanson de Bussy : Un beau chercheur de noise n’est pas une chanson de raffiné; la rapsodie soldatesque (sic) ne nous transporte point dans le quartier des Tournelles ; il y a disparate entre la musique et le décor. De même au premier acte. Diane, prisonnière dans le château de Baugé, cherche à se reconnaître; elle ouvre la croisée et voit un étang endormi sous un rayon de lune. Il y a là un effet descriptif qu’un Irait de violon, une avviolinata pouvait rendre ; mais l’avviolinata trouvée par le compositeur n’est pas celle qu’il fallait. Ainsi, le caractère et la couleur manquent à cette musique, et lui manquent partout. Le sentiment dramatique ne lui manque pas moins. Pas une fois elle n’ajoute aux situations; souvent même elle les contredit.

Essayons toutefois une rapide revue de cette partition à peu près vide. Que trouve-t-on au second tableau, les Noces de Saint-Luc ? Une scène de provocation, un double quatuor vocal dialogué avec un peu d’animation. A l’acte du Louvre, chez le duc d’Anjou, trois mesures charmantes, annonçant l’entrée de Diane. Oui, trois mesures, sans exagérer, comme le beau vers de la tragédie. Au dernier acte, le duo de Bussy et de Diane renferme une ou deux ébauches de mélodie, quelques accens d’amour. Mais il vient trop tard, et l’on est si las ! De fait ici, la critique n’est pas moins embarrassée que l’éloge: elle ne sait que choisir. Pourtant certains défauts ressortent avec évidence: l’absence presque absolue d’idées, et alors, pour noter les paroles, une gêne continuelle qui amène l’impropriété de l’expression musicale, le désaccord entre la parole et la note. Si par hasard le musicien trouve une idée, elle est de pauvre qualité; il s’en aperçoit, et à la banalité s’ajoutent aussitôt l’effort et la gaucherie. Prenons, par exemple, l’air ou plutôt la phrase d’entrée de Bussy : Ce vieillard si redouté naguère. Sans rien d’original, elle commence et se suit pendant quelques lignes. Mais elle se délaie bientôt et se perd dans une reprise des dernières paroles : Non, je ne connais pas cette fille si tendre, sorte d’appendice inutile et maladroit. La rêverie de Diane au début du troisième tableau : Avant de m’enfermer dans ma triste demeure, est un exemple encore plus frappant de défauts généralement incompatibles et pourtant réunis ici : la platitude et la recherche. Cet air est plein de détails insignifians, de modulations inhabiles, d’arpèges vulgaires en style de carillon; et à la fin encore une petite queue mélodique comme partout. Bien faible aussi, malgré beaucoup de tapage, le combat de Bussy contre les mignons; manqué, l’ensemble des femmes à la fenêtre et des jeunes gens qui ferraillent. Il y a quelque mélancolie dans le lamento de Diane : Depuis bientôt une semaine, que peut-il être devenu? mais dans la première phrase seulement. Toute la fin de ce quatrième tableau ne vaut rien. Quelle misère, la lettre lue par Diane avec accompagnement de cor anglais, et terminée par la signature, chantée d’une voix dolente : Baron de Méridor ! La musique n’aurait pas dû souligner cette puérilité littéraire. On pense tout de suite, et pour la regretter, à la lettre de la Vie parisienne, signée : baron de Frascata. Et la romance de Bussy: O cher souvenir qui partout m’assiège! Là encore abondent les modulations banales, et les phrases qui tournent court, et les terminaisons vulgaires, et les mesures embarrassées dont on croit ne pas pouvoir sortir, et les singularités d’accompagnement, comme les notes pincées de harpes sur une phrase, que voici textuellement : Blanche vision, de sentir au réveil ce rayon de soleil!

C’est au tableau suivant que se trouvent les trois charmantes mesures dont nous parlions. Elles n’aboutissent qu’à un finale sans intérêt. Mais auparavant se succèdent deux airs, l’un de Bussy, l’autre de Monsoreau. Dans l’air de Bussy, encore les défauts habituels. Après quelques bonnes mesures, la mélodie s’étrangle. Puis arrive la sentimentalité, la prétention, et une de ces conclusions gauches, toujours prématurées ou tardives, qui détruisent l’équilibre, la pondération de la phrase. Après les mots : Ouvre tes ailes, un trou dans la mélodie et une cadence vulgaire. Quant à l’air de Monsoreau, lamentable complainte, on dirait un air d’aveugle.

Ce n’est point la peine de poursuivre ; il y aurait trop peu d’épaves à recueillir. Si au moins, de cette œuvre sans dessous, sans fond, les dehors étaient séduisans et la forme attrayante ; si l’on pouvait, faute d’art véritable, se laisser prendre à de charmans artifices, au prestige des procédés, aux illusions du métier. Mais non ; il n’y a guère plus de talent ici que de génie. L’orchestre, ce roi des opéras modernes, est loin de régner dans celui-ci. Toujours terne, en dedans, sans relief et sans couleur, l’instrumentation semble par momens irrationnelle et laissée au hasard. J’ai noté au passage des intentions inexplicables, des contre-sens d’orchestre : une lugubre ritournelle de clarinette basse avant une fade romance de Bussy, un solo de flûte au milieu des violences d’un duo entre Diane et Monsoreau. Partout les instrumens sont employés sans discernement, les timbres groupés sans goût. Les harpes notamment partent à tort et à travers, comme des folles. Que peuvent-elles bien avoir à faire avec de semblables paroles : Ce vieillard si redouté naguère ? Enfin le ballet, qui parfois sauve, au moins le premier soir, les plus médiocres partitions, a consommé la perte de celle-ci. Tout lui manque : le fond et la forme. Un aveugle n’aurait jamais le courage de l’entendre.

Hélas ! voilà de dures paroles, et qui coûtent à prononcer, surtout à écrire. Est-ce à dire que M. Salvayre n’a plus le moindre talent, qu’il doit renoncer à son art ? En aucune façon. Outre que pour composer un opéra, fût-il détestable, il faut déjà du talent, en art aucune chute n’est mortelle, surtout à l’âge de M. Salvayre. Il y avait jadis quelque chose là ; ce quelque chose peut revenir. L’auteur d’Egmont et de la Dame de Monsoreau reste l’auteur du Bravo. Qu’il garde ce titre, réel, bien que déjà lointain, à l’estime des musiciens et, malgré tout, à leur confiance.

Tout le monde a vaillamment combattu ce combat perdu d’avance. Douze gardes républicains ont même combattu à cheval, à la fin d’un cortège dont les splendeurs, équestres ou autres, n’avaient pas encore été égalées à l’Opéra. La mise en scène est splendide, et la direction a fait les choses avec luxe et avec goût. Si M. Salvayre ne sait pas grouper les sons, M. Bianchini, le dessinateur des costumes, sait merveilleusement grouper les couleurs ; il a été le sauveur du ballet. Quant aux interprètes musicaux, ils ont accompli leur tâche avec autant de succès que de talent et de vaillance. Mme Bosman a toujours beaucoup de grâce; trop peu de force malheureusement pour tenir le premier rang. Qu’elle se console au second, où elle est toujours parfaite. Et puis, mieux vaut être la seconde dans n’importe quel chef-d’œuvre que la première dans la Dame de Monsoreau. M. Jean de Reszké est le premier partout. Il se tire d’un rôle ingrat, mal écrit, à force de talent et d’intelligence. A force de voix aussi, car sa voix sort accrue et embellie de chaque nouvelle épreuve. Celle-ci est terrible! M. Delmas est en très bon chemin. Il tient largement des promesses encore toutes récentes. Belle voix, beau style, excellente tenue en scène, de la simplicité, de l’aisance et, quand il le faut, de la grandeur, en voilà assez pour répondre de son avenir. Et l’éloge ne gâtera pas l’artiste, parce qu’il est modeste et laborieux.

Y a-t-il, au point de vue de l’Opéra, une moralité à tirer de la Dame de Monsoreau? Peut-être. L’ouvrage une fois accepté, les directeurs l’ont admirablement monté ; je les en félicite. Mais ils ne devaient pas l’accepter. Surtout, ils ne devaient pas le commander. Le système de la commande est périlleux toujours, avec n’importe quel compositeur. Périlleuse est aussi la clause qui oblige les directeurs à donner chaque année un ouvrage nouveau. Que l’année soit mauvaise pour la musique, tant pis, ils doivent leur opéra annuel; et cet opéra, ils le font faire dans un délai donné, sur une pièce également donnée, avec engagement réciproque entre eux et les auteurs de livrer l’œuvre à telle époque et de la représenter à telle autre, sous peine de dédit. Si j’étais un directeur, ou deux directeurs de l’Opéra, j’attendrais qu’on m’apportât des œuvres toutes faites, paroles et musique, et je jugerais du tout ensemble sur une audition, ou plusieurs, auxquelles prendrait part le personnel du théâtre. C’est ainsi que j’aurais entendu la Dame de Monsoreau, et, après l’avoir entendue,.. je l’aurais refusée.


CAMILLE BELLAIGUE.