Revue musicale - 14 avril 1843



REVUE MUSICALE.

S’il y a un musicien au monde qui semble peu fait pour brusquer la Muse et soumettre son talent aux calculs administratifs d’une spéculation dramatique, c’est à coup sûr M. Halévy. Esprit correct et soigneux, naturellement peu doué, il ne saurait produire rien d’estimable qu’à force de patience et d’élaboration. La mélodie elle-même, lorsque par hasard vous la rencontrez, est chez lui un résultat obtenu, plutôt que le jet libre et spontané d’une imagination qui s’exalte. En bonne conscience, et pour se conformer aux lois imprescriptibles de son organisation, M. Halévy aurait dû se contenter d’écrire un opéra tous les dix ans. Au lieu de cela, que voyons-nous ? À la Reine de Chypre succède immédiatement Charles VI ; les partitions de M. Halévy encombrent le répertoire, et quelles partitions ! bon Dieu ! Jamais moins de cinq actes ! Voilà certes un bien superbe défi jeté à la nature, mais dont on ne saurait envisager sans tristesse les conséquences ; car, s’il est beau de voir l’homme entrer en lutte avec la nature extérieure, dompter les torrens, combler les précipices, creuser des chemins à travers les montagnes, je ne sais pas de plus désolant spectacle que celui que présente une imagination aux prises avec elle-même et s’efforçant de remuer un sol ingrat et stérile, qui, pour prix de tant de peines et de sueurs, ne lui donnera à récolter que l’insuccès et la déception. Je le répète, personne moins que M. Halévy n’était appelé à faire de la musique de commande. Une pareille besogne exige une facilité de mise en œuvre et des qualités d’improvisation qu’il n’aura jamais. Il y avait pour l’auteur de la Juive une autre route bien tracée. En mettant son aptitude instrumentale, sa science des moindres détails de l’orchestre, au service du peu d’imagination que la nature lui a départi,et cela sans s’épargner ni le temps ni la peine, M. Halévy pouvait se maintenir dignement dans l’estime du public et produire de loin en loin, sinon des chefs-d’œuvre (qui fait des chefs-d’œuvre aujourd’hui ?), du moins de ces partitions honorables, et qui réussissent à l’aide d’un grand chanteur dont on exploite les prémices, ou mieux encore d’une procession ordonnée avec pompe. Après cela, que M. Halévy trouve plus avantageux d’entasser partitions sur partitions, qu’il soit plus selon les calculs de sa fortune de ne laisser son cerveau se reposer un seul jour, nous le concevons très volontiers ; seulement, il nous est permis de lui dire qu’il perd à ce jeu le peu qu’il avait. En effet, en pareille matière, le dernier des maîtres italiens lui en remontrerait. Ceux-là du moins ont le génie de l’improvisation ; ils savent comment on fabrique un opéra de pièces et de morceaux, et se tirent d’affaire à force de réminiscences et d’artifices. M. Halévy, au contraire, apporte jusque dans ces ébauches une pesanteur classique et une monotonie qui vous assomment ; c’est une lettre que nul esprit ne vivifie, un canevas de conservatoire où l’on sent que le musicien n’a point pris la peine de broder une pensée qui lui soit propre, en un mot le vide organisé.

On ne s’attend point à ce que nous analysions l’un après l’autre les vingt ou trente morceaux qui composent cette énorme partition de Charles VI, écrite au jour le jour, sans ordre, sans suite et sans conviction ; autant vaudrait prétendre discourir sur la valeur historique de ces habits rouges dont on a si naïvement affublé les soldats de Lancastre. Le musicien qui accepte une tâche du genre de celle que M. Halévy vient d’accomplir se range volontairement dans la catégorie des machinistes et des costumiers, et, comme tel, il ne nous appartient pas de le juger. M. Halévy rirait bien de nous voir prendre au sérieux ces trombones, ces tambours et ces clairons qui accompagnent pour la quatrième fois ce fameux cortége de cavaliers et de fantassins qui depuis tantôt dix ans ne se lasse pas de défiler dans tous ses opéras. D’ailleurs, pour que la critique puisse s’exercer utilement sur une œuvre, il faut que cette œuvre ait en elle des conditions essentielles et vitales que nous ne reconnaissons point à Charles VI. Dans sa première scène avec Odette, le vieux roi dit quelque part que pour les morts il n’est fleurs ni soleil, à quoi nous nous contenterons d’ajouter qu’il n’est pas non plus de critique. Un morceau cependant conserve le privilége d’exciter les applaudissemens : nous voulons parler du duo des cartes au second acte. Ce vieux roi en démence jouant à la bataille avec une jeune fille présentait en effet une situation originale et neuve. Mais le musicien en a-t-il su tirer parti ? Il s’en faut que la phrase du début réponde à l’appel héroïque des paroles. Nous ne saurions voir là qu’un assemblage de trompettes et de tambours, qu’un véritable tintamarre des cuivres, rendu encore plus assourdissant par les cris de Mme Stolz ; et si vous enlevez cette phrase ramenée jusqu’à trois fois, que reste-t-il à ce duo ? Nous préférons de beaucoup à ce morceau la ritournelle qui accompagne l’entrée du roi, motif savamment conduit, où se trouve un trait de basses d’un beau caractère. Nous indiquerons aussi en passant le trio entre Odette, Charles VI et le dauphin, au troisième acte, non que les idées abondent davantage, mais du moins croit-on y voir percer ça et là quelques lueurs mélodieuses, auxquelles on s’attache avec cette avidité de gens poursuivant à travers le chaos et les ténèbres un pèlerinage de cinq heures. Au bout de ces lueurs fugitives, nous citerons un passage de clarinettes d’un goût charmant, et qu’on s’étonne de ne pas voir reproduit dans le cours du morceau. D’où vient que M. Halévy l’abandonne si vite ? Est-ce parce qu’il rappelle presque note pour note la délicieuse phrase de l’air d’Adolar dans l’Euryanthe de Weber ? Ce serait là au contraire une raison de ne point se lasser de le répéter.

Le poème de M. Casimir Delavigne était peu fait, nous l’avouons, pour inspirer un musicien. Peut-être un homme comme Weber ou Meyerbeer, un esprit amoureux du caractère et de la couleur historique, aurait-il trouvé dans cette donnée le motif de quelque tentative intéressante et originale. Dans la musique comme dans les lettres, il y a des esprits qui aiment à creuser le fond d’un sujet, à s’inspirer plutôt de l’idée que du texte, et qui voient autre chose dans un opéra que des cavatines, des chœurs et des duos à coudre à la file les uns des autres. C’est en une disposition pareille que Weber créa son Euryanthe, Meyerbeer ses Huguenots. Mais d’abord M. Halévy n’appartient point à cette famille de penseurs ; ensuite le poème de M. Delavigne, plus littéraire si l’on veut que les Huguenots de M. Scribe, ou que l’Euryanthe de Mme de Chézy, était loin d’offrir les mêmes ressources à un compositeur. Il y a dans les Huguenots une intelligence du drame lyrique, une habileté à distribuer les masses chorales, à manipuler, si je puis m’exprimer ainsi, le élémens que la musique anime et coordonne, dont M. Casimir Delavigne ne se doute pas ; et quant à la fable si extravagante d’Euryanthe, elle échappait, par son extravagance même, aux conditions prosaïques et bourgeoises de la pièce de Charles VI, conditions anti-musicales s’il en fut. Qu’attendre en effet de cette espèce de Géronte couronné, qui va et vient dans son palais, sans cesse cramponné à la jupe d’une petite fille qu’il suit comme son ombre ? La musique est un art épique, à l’Opéra plus que partout ailleurs et quand vous nous montrez un roi de France qu’on amène à signer l’acte de déchéance de son fils, en lui confisquant pour un moment son jeu de cartes, une pareille scène touche de plus près au grotesque, à la parade, qu’au vrai drame lyrique. Pourquoi, si l’on tenait tant à mettre au théâtre un roi fou, pourquoi ne pas emprunter à Shakspeare une de ses plus magnifiques créations, pourquoi ne point prendre le Roi Lear ? Celui-là du moins reste grand et poétique dans son infortune, et sa démence n’a rien qui blesse ou qui répugne. Il est vrai qu’avec le Roi Lear on était forcé de s’interdire tous ces charmans refrains de gloire et de victoire, ainsi que ces piquans défis à grand orchestre jetés à l’Angleterre, sur lesquels l’auteur des Messéniennes devait naturellement compter beaucoup pour le succès. Somme toute, le grand tort de l’opéra de M. Casimir Delavigne, c’est de ressembler à la première tragédie médiocre qu’il vous plaira de choisir dans le répertoire du théâtre français. J’imagine que M. Delavigne avait ébauché jadis une tragédie en bonne forme sur le sujet de Charles VI, que telle ou telle circonstance le força d’interrompre et d’oublier dans quelque carton où elle dormait du bienheureux sommeil des justes et des tragédies, lorsqu’il y a deux ans, les évènemens ayant amené des chances de guerre avec l’Angleterre, la mouche de l’allusion politique vint tout à coup le piquer à l’oreille, et ce fut sans doute à cette époque que le chantre de Jeanne d’Arc conçut l’idée de faire d’une vieille tragédie un opéra nouveau.

Il sera dieu, table ou cuvette.

Les poètes utilisent tout. Malheureusement, des conditions fondamentales s’opposent à ces transformations, et ce serait s’abuser étrangement que de croire qu’on trouvera dans une tragédie manquée l’étoffe d’une bonne partition. L’opéra est un genre constitué, un genre peu littéraire sans doute, mais ayant sa poétique à part, sa poétique fort connue de M. Scribe, auprès duquel M. Casimir Delavigne eût bien fait de s’informer d’avance.

Mme Stoltz apporte dans le personnage d’Odette cet aplomb singulier de cantatrice et de comédienne dont elle a déjà donné tant de preuves sur le théâtre de l’Opéra. À la bonne heure, voilà du moins un rôle combiné à souhait pour mettre en relief tout son mérite, et ses prétentions doivent être comblées. En effet, pour peu que vous y preniez garde, vous vous apercevez qu’il n’y a dans Charles VI de musique et d’action que pour elle ; à peine si les autres chanteurs osent ouvrir la bouche ; Mme Stoltz réduit tout le monde au silence. Dans les cinq actes interminables de cette grande œuvre, évidemment dédiée par les auteurs à l’illustre virtuose, Duprez, Barroilhet, Mme Dorus, n’apparaissent qu’au second rang, et jouent un peu le rôle de comparses, fort heureux encore d’être admis à donner la réplique, car après tout l’idée pouvait bien venir à Mme Stoltz de chanter des duos à elle seule. Au fait, pourquoi Mme Stoltz ne se passerait-elle pas cette fantaisie ? Ne possède-t-elle pas deux voix bien tranchées, bien distinctes, une voix de contralto grave et caverneuse pour tenir l’emploi de Barroilhet, et, pour s’exercer dans les régions aériennes de Mme Dorus, une voix de soprano à rendre une fauvette jalouse ? Il y a là peut-être des ressources auxquelles M. Halévy fera bien de songer pour la partition nouvelle qu’il médite sans doute déjà ; de la sorte, du moins, la mise en scène ne sera point entravée, et les auteurs s’épargneront les réclamations et la mauvaise humeur de tout ce monde mécontent de se voir sacrifié aux exigences de la prima donna. Nous ne concevrons jamais qu’on puisse prendre au sérieux cette manière de chanter, qui consiste à ouvrir la bouche, et à s’en remettre ensuite au pur hasard de la justesse d’une intonation. À quelle école, bon Dieu ! appartient cet art de phraser ? D’où cette vocalisation excentrique nous vient-elle ? On voit que Mme Stoltz a beaucoup écouté chanter Duprez, dont elle a retenu çà et là certains procédés qu’elle répète de routine, ce qui doit faire à peu près tout le fond de son éducation musicale ; mais ces imitations, que nous consentirions volontiers à prendre pour d’assez amusantes parodies d’un grand chanteur, ne sauraient avoir cours sur la scène de l’Académie royale de musique, et dans un opéra affichant des prétentions sérieuses. Que dites-vous aussi de cette pantomime agaçante, de cette fureur d’aller et de venir, et de gesticuler sans relâche ? Nous recommandons surtout à l’attention du public un certain mouvement de bras sur la dernière mesure de l’introduction du fameux duo de la partie de cartes, et par lequel l’illustre virtuose, à genoux sur un carreau et renversée sur elle-même, a l’air de faire signe aux bravos de descendre des combles de la salle. On annonce que Mme Stoltz va jouer prochainement la Fenella de la Muette, un rôle de danseuse créé jadis par Mlle Noblet ; c’est sans doute pour préluder à ce nouveau caprice que Mme Stoltz s’évertue de la sorte dans Charles VI, pour rendre cette figure calme et naïve d’Odette, croit devoir s’inspirer de Mme Montessu dans la Fille mal gardée. Nous nous abstiendrons de parler de Duprez dans le rôle du dauphin. Évidemment il y est à la gêne, et sur un comédien qui chante par autorité de justice, la critique perd ses droits. D’ailleurs, nous respectons trop les arrêts du tribunal, pour rien oser dire qui puisse décourager Duprez, et le mettre de nouveau en rébellion vis à vis de son directeur. Quand il nous plaira de constater l’état où cette voix, jadis toute puissante, est désormais, nous irons l’entendre dans un rôle plus favorable, et moins fait pour soulever les répugnances d’un grand chanteur qui, tout déchu qu’il est, n’en conserve pas moins au fond de l’ame l’orgueil du premier rang, et à ce titre seul méritait mieux. Quant à Barroilhet, tel vous l’avez vu dans le Lusignan de la Reine de Chypre, tel vous le retrouvez dans Charles VI, avec cette différence toutefois, que le timbre de sa voix semble avoir souffert et perdu quelque peu de cette vibration métallique qui en constituait le charme principal. Barroilhet fera bien d’y prendre garde, et de porter toute sa sollicitude du côté de son organe, si délicat et si fragile dans sa force apparente. Il y a deux ans, nous disions, à propos des débuts de Barroilhet, que c’était là un de ces virtuoses de luxe qu’il faut, avant tout, savoir employer, un chanteur appelé à venir dire à un moment donné sa cavatine et son duo, comme Taglioni ou Fanny Elssler dansent un pas, mais incapable de tenir tête aux écrasantes conditions du grand opéra français. Nous sommes-nous trompé, et M. Donizetti, qui, certes, en sa qualité de maître italien, doit se connaître en voix, ne donnait-il point raison d’avance à nos critiques, en composant tout exprès, pour le transfuge de Milan et de Naples, la partie d’Alfonse dans la Favorite, partie de chanteur, s’il en fut, et qui côtoie les grandes situations de l’ouvrage, à la manière des rôles que Meyerbeer écrivait dans ses opéras pour Mme Damoreau ? Aussi ce rôle d’Alfonse dans la Favorite reste encore aujourd’hui la création la plus estimable de Barroilhet et son meilleur titre à la faveur du public. Avec son inexpérience de l’art du chant, et l’habitude qu’il a de traiter la voix humaine comme un trombone, M. Halévy ne pouvait que méconnaître les conditions du talent de Barroilhet. Deux opéras de l’auteur de la Juive coup sur coup, et deux fois un rôle capital dans ces opéras, il y avait là, sans aucun doute, plus qu’il n’en fallait pour briser dans sa délicatesse une organisation d’élite ; et si le mal n’est pas encore consommé, du moins doit-on en constater dès aujourd’hui les tristes progrès. Ainsi, ces ravissantes demi-teintes, ce clair obscur délicieux que Barroilhet empruntait à l’école moderne d’Italie, ont tout-à-fait disparu par la nécessité constante où il se trouve de lutter avec ces masses d’orchestre que M. Habeneck déchaîne sur lui à tour de bras. Heureux encore si les agrémens seuls étaient à regretter ; mais l’habitude de forcer la voix a amené des accidens plus graves, et vous surprenez à tout moment l’intonation en défaut. Nous reprocherons aussi à Barroilhet cette couleur uniforme et terne qu’il donne à tous ses rôles indistinctement. Personne plus que nous n’est disposé à reconnaître les rapports qui existent entre le Lusignan de la Reine de Chypre et le Charles VI de l’opéra nouveau. Nourrit lui-même aurait eu de la peine à créer une physionomie individuelle à chacun de ces personnages, d’un caractère également languissant et soporifique. Mais Guillaume-Tell, par exemple, n’appartient point à cette famille de rois imbéciles et moribonds, et Barroilhet, lorsqu’il aborde, à certains intervalles, l’opéra de Rossini, devrait bien se garder d’y apporter ce ton de véritable psalmodie qu’a développé chez lui un commerce déjà beaucoup trop prolongé avec les chefs-d’œuvre de M. Halévy.

La clôture des Italiens a été marquée cette année par toute sorte de petits incidens bouffes ou sérieux, comme il vous plaira, et qui sont venus remplacer avec assez d’avantage ces éternels tributs de fleurs dont le dilettantisme enthousiaste avait coutume de joncher la scène à pareille époque. Nous avons eu, entre autres divertissemens, les harangues de Lablache, qui a cru devoir prendre congé du public parisien par une allocution touchante, débitée devant la rampe d’un ton moitié paterne, moitié goguenard, emprunté à ses meilleures créations. Il est donc vrai, Lablache se retire ? Eh quoi ! Tamburini nous menace de ne plus revenir ? Voilà donc la troupe italienne en pleine dissolution. Que dire ? que faire ? Se peut-il maintenant qu’il y ait des gens pour se réjouir de ce qui arrive ? Pourquoi pas ? Certes, Lablache et Tamburini tenaient une bien large place dans la constitution du Théâtre-Italien, et nul ne songe à revenir sur des mérites si réels et de si légitimes renommées ; mais ces illustres virtuoses, niera-t-on que le public les savait par cœur désormais, celui-ci avec ses points d’orgue en saccades celui-là avec ses bouffonneries sublimes, mais un peu stéréotypées, quoi qu’on dise. Quant à nous, cet état de choses n’a rien qui nous effraie. Nous commençons par reconnaître que nous ne l’eussions point provoqué ; mais, puisqu’il éclate, qu’il nous soit permis d’en prendre franchement notre parti, et d’y voir moins un péril de ruine imminente pour les Bouffes qu’une occasion de se raviver par la nouveauté. Maintenant qu’on est une fois sorti de la voie facile et commode sur laquelle il suffisait de se laisser aller, c’est à l’administration de montrer son habileté ; il y a plus d’un essai intéressant à tenter, plus d’une chance à courir. Nous ne disons pas qu’on fera mieux ; on fera autrement, et l’art ne peut que gagner à ces transformations, à ces luttes, toujours incompatibles avec les habitudes d’une troupe organisée comme l’avait été jusqu’ici la troupe du Théâtre-Italien, naturellement trop sûre d’elle-même pour s’informer de ce qui se passait au dehors, trop confiante en ses propres forces, trop gâtée du public pour ne pas s’endormir entre les succès de la veille et ceux du lendemain. D’ailleurs, cette dissolution que l’on déplore ne date pas d’hier, mais du jour où Rubini déserta notre scène. De ce jour Tamburini et Lablache, ses deux compagnons de gloire, ses acolytes naturels, étaient restés chez nous dépareillés, un peu semblables à ces oiseaux sympathiques qui se tiennent sur leur perchoir immobiles et contristés, lorsque le coryphée mélodieux qui leur donnait la note s’est envolé aux campagnes du ciel. La première condition pour vivre, c’est de se renouveler ; il n’est pas de si exquise jouissance qui ne doive finir par amener la satiété, et, quant à moi, je n’ai jamais pu comprendre comment faisaient les dieux immortels pour se repaître ainsi toute une éternité de nectar et d’ambroisie, régime monotone, s’il en fut, auquel nous défions le plus intrépide dilettante de résister plus de douze ans. Maintenant, si l’on recherche la cause de cette grande rumeur, elle est tout entière dans l’avènement de Ronconi.

Au commencement de la saison, Ronconi arrive ici, libre de toute espèce d’engagements ; il venait soi-disant pour voir Paris, étudier les chanteurs en renom, observer le public et passer trois ou quatre mois qu’il voulait perdre en attendant le jour où de nouveaux engagemens le rappelaient à Vienne, toutes raisons qui ne l’empêchèrent de se faire entendre dès la seconde semaine de son arrivée. On sait quel mouvement unanime il excita, d’abord à I’ambassade de Naples, et, de là, dans tous les salons, où les succès les plus flatteurs, les plus incontestés, l’accueillirent soudain. À peine Ronconi avait chanté dix fois, qu’il était à la mode pour l’hiver et qu’il érigeait contre les Italiens du théâtre Ventadour la plus dangereuse concurrence. En effet, partout on ne voulait que lui, Tamburini fut répudié, on oublia Lablache, et la Grisi vit chômer ces belles soirées où des pluies d’or tombaient à ses pieds pour une cavatine. Nous savons quelle part il convient de faire, en toute chose, au hasard de la mode, à la fortune du premier jour, en un mot à ce qu’on appelle l’engouement du public ; cependant on nous accordera qu’un chanteur parfaitement inconnu la veille, et qui, sans journaux, sans coterie, sans avoir mis en œuvre aucun de ces appareils organisés au moyen desquels les succès se brassent de nos jours, s’acquiert du soir au lendemain une si unanime célébrité, doit avoir quelque valeur dans son art et mériter qu’on s’en occupe. Quoi qu’il en soit, le directeur des Italiens dut céder devant l’autorité des suffrages qui se déclaraient pour Ronconi, et force fut bien à l’administration de faire taire les répugnances qu’elle avait manifestées d’abord à l’endroit de l’engagement du nouveau baryton, répugnances peu sérieuses du reste, et qui, nous aimons à le croire, venaient moins de son propre chef que de certaines suggestions intéressées, et surtout d’une sorte d’effroi qui s’emparait d’elle au moment de porter la main sur cette espèce de statu quo de douze années. Ronconi une fois engagé, Tamburini quittait la place, on le conçoit ; mais Lablache, qui donc l’obligeait à prendre ainsi la mouche dirons-nous ? Geronimo est père de famille, don Magnifico a un fils qui chante le baryton, un fils auquel il destinait, dans sa pensée, l’héritage de Tamburini, beau rêve paternel que l’avènement de Ronconi dissipait en un moment. D’ailleurs, Ronconi chante, à ce qu’on assure, certains rôles du répertoire de Lablache, entre autres le charlatan de l’Elisir d’Amore. N’était-ce point assez que tout cela pour provoquer une rupture définitive entre l’illustre buffo et l’administration du Théâtre-Italien ? Il ne nous appartient pas de prévoir quel effet Ronconi est appelé à produire sur notre scène, nous laisserons ce soin aux juges plus compétens qui l’ont vu tenir son emploi sur les théâtres de Milan, de Naples ou de Vienne ; mais pour ce qui regarde le virtuose, le chanteur, nous pouvons dire, dès à présent, que c’est là un artiste de premier ordre, un maître tel que depuis Rubini, nous n’en avions pas rencontré. Nous en appelons sur ce point à tous ceux qui l’ont entendu chanter l’air de Beatrice di Tenda, la romance de Maria di Rudenz, dans le genre bouffe le duo de l’Elisir d’Amore, et cette admirable scène de la Calumnia, de Rossini, qu’on lui redemandait toujours.

La manière de Ronconi appartient à cette nouvelle méthode italienne qui préconise avant tout un style large et ferme, veut une voix égale, un son pur, et n’admet que rarement les roulades, les points d’orgue, et s’éloigne autant de ce chant saccadé auquel Tamburini nous avait accoutumés, que des éternelles ondulations du style soi-disant sostenuto. Il existait dans le chant classique d’autrefois deux règles immuables : nous voulons parler des fameux crescendo en montant et diminuendo en descendant, formules sacramentelles dont il ne fallait pas démordre, et qui, lorsqu’abondaient les passages montans et descendans, produisaient à la longue une espèce de roulis à nous donner le mal de mer. L’école de Crescentini, de Bianchi, de Nozzari, de Velluti même, n’était pas exempte de ce défaut ; à cela près, la nouvelle méthode italienne se rapproche de celle de Crescentini, surtout dans ce que cette méthode avait de vraiment spianato. Ainsi je citerai dans le cahier de solféges de Crescentini un certain exercice dans le style dit religioso, qui, chanté avec plus de franchise et d’un ton un peu moins ondulé, rentrerait tout-à-fait dans la manière de Ronconi. Sans être très étendue, la voix de Ronconi allie aux cordes vibrantes du baryton les plus suaves et les plus molles inflexions du ténor. Du reste, dans ce qu’elle est, cette voix est parfaite ; vous n’y trouverez pas à côté d’une belle note une note faible ; tous les registres s’unissent et se fondent avec une égalité merveilleuse. Qu’il faille voir dans ce niveau parfait un don de la nature ou un effort de l’art, on ne saurait assez l’admirer, aujourd’hui surtout que les voix égales semblent devenir si rares, qu’on dirait que l’espèce va s’en perdre. Mais la plus belle qualité de Ronconi, celle qui constitue la physionomie originale, le vrai caractère de son talent, c’est une expression mordante, un accent d’ironie froide et perçante comme l’acier, une sorte de rage contenue (qu’on se rappelle l’admirable duo d’Elena di Feltra) qui donne à la voix une vibration singulière et met comme la sourdine aux cordes du larynx. Aux avantages que nous énumérons ici, on reconnaîtra facilement tout ce que Barroilhet emprunte au brillant coryphée de l’école italienne moderne. La meilleure partie des succès qui l’accueillirent lors de son arrivée, Barroilhet la dut sans contredit à sa manière tout adroite d’imiter Ronconi. C’était même là l’originalité de ce chanteur.

Maintenant oserons-nous bien nous lancer à travers cette innombrable armée de virtuoses instrumentistes qui viennent chaque hiver s’abattre sur Paris des quatre coins de l’Europe, tous plus ou moins fameux, plus ou moins prodiges, plus ou moins illuminés au front d’un éclair de génie, rois d’un après-midi ou d’une soirée par la grace de leur piano, de leur basse ou de leur violon ? À ce propos, je n’ai jamais pu m’expliquer comment ce monde-là faisait pour se reproduire avec une si incroyable rapidité. D’une année à l’autre, ce sont des noms nouveaux, d’autres talens, d’autres chevelures. Cela pullule et fourmille, bourdonne et vibre, et multiplie au point que vous finissez par ne plus vous y reconnaître. Le héros d’hier se voit délaissé tout à coup pour l’heureux vainqueur d’aujourd’hui, qui, à son tour, cèdera la place au triomphateur sur qui l’étoile de demain se lèvera. Se souvient-on seulement à l’heure qu’il est du nom de certains virtuoses qu’on encensait naguère avec un fanatisme ridicule ? Qui parle de M. Vieuxtemps aujourd’hui ? Et M. Batta, l’angélique M. Batta, l’héritier du théorbe de sainte Cécile, se serait-il par hasard envolé vers le ciel sur les ailes du glorieux séraphin dont l’extase rayonnait dans ses traits, lorsqu’il chantait sur son violoncelle les mélodies langoureuses de Bellini ? En vérité, il s’agit bien de M. Batta : nous avons aujourd’hui M. Servais ; il s’agit bien de M. Vieuxtemps : voilà Sivori, le petit Italien à l’œil de flamme, à l’archet d’or, gnome issu de l’inspiration fantastique de Paganini. Et telle est la nature éphémère de ces illustrations sans consistance, qu’elle vous frappe non seulement chez les talens de second ordre, mais jusque dans les plus hautes renommées. Voyez M. Thalberg. Qui se serait attendu jamais à l’accueil froid et glacial qu’il a reçu cet hiver de la société parisienne ? À peine s’est-on informé de lui dans le monde, et l’unique fois qu’il se soit fait entendre en public, au concert donné pour Galli, le public ne lui a témoigné qu’un assez médiocre intérêt. D’où vient cela ? De pareils mécomptes ne sont-ils donc imputables qu’à l’inconstance du succès, et n’y aurait-il pas plutôt dans ces retours d’opinion un peu de la faute des virtuoses eux-mêmes ? En effet, à peine le succès se déclare en leur faveur, ces messieurs ne songent plus qu’à l’exploiter au profit de leur fortune. Un morceau réussit-il, soudain ils colportent ce morceau par toute l’Europe. Ils vont de Londres à Vienne, de Vienne à Berlin, de Berlin à Saint-Pétersbourg, puis nous reviennent toujours avec cet éternel morceau favori, qui, pour recommencer son tour du monde vient tâcher de reprendre un peu d’élan chez nous. Cette fois-là cependant, lorsqu’on voit que rien n’a varié dans ce jeu, que c’est toujours le même mécanisme savamment combiné, mais dépouillé du prestige des premiers jours, et dont une exploitation quotidienne a chassé l’ame, on fait pour eux comme le public de Paris a fait pour M. Thalberg ; on leur dit : À quoi bon nous chanter cette vieille gamme que nous savons par cœur ? Tâchez de découvrir un pays où vos procédés ne soient pas encore connus ; mais, pour revenir nous voir, attendez le jour où vous aurez quelque chose de nouveau à nous dire. Du reste, M. Thalberg semble avoir compris cet avertissement, car il se propose, sitôt en quittant Paris, de s’embarquer pour l’Amérique, et d’aller chercher au-delà des mers, dans le Nouveau-Monde, les succès qui l’abandonnent dans celui-ci.

Pendant que l’astre de Thalberg déclinait cette année du côté de l’Océan, nous avons vu l’étoile de Dreyschock se lever. Ici du moins, on assiste à l’élan fougueux d’une inspiration pleine de jeunesse et de sève, au travail libre et généreux d’une poétique nature qui se livre sans réserve et jette au hasard des sons ses fantaisies, ses caprices, ses rêves, en un mot tout ce qu’elle sent. J’ai rarement rencontré un talent plus essentiellement poétique, et chez lequel l’imprévu joue un rôle plus original. Sans parler de ces foudroyantes octaves et de cette puissance matérielle qu’il exerce sur son instrument, je dirai que jamais on ne vit tant de fraîcheur, de grace, de légèreté vaporeuse, s’unir à une force véritablement herculéenne. Il y a du barbare, du sauvage du Nord dans cet homme nerveux qui s’assied au piano, frappe un coup sec, et mêle à grand bruit ses élémens dont il fait un chaos, comme pour se donner la joie de le débrouiller plus tard à loisir. Vous vous croiriez au fond d’un bois de chênes : le vent siffle à travers les branches, la tempête gronde, mais derrière ces épais nuages noirs qui filent, emportés en si grande hâte, glisse toujours par instans ce romantique rayon de lune de la poésie allemande, cette vaporeuse lueur qui calme et qui apaise, et vient rasserenar il cielo, comme disent tous les finales de l’Opéra-Italien. Nous avons entendu plusieurs fois Dreyschock jouer ses deux morceaux de prédilection : le Vallon et les Clochettes, et tel est l’effet qu’il a toujours produit sur nous.

Après Dreyschock, et puisque nous sommes sur le chapitre des pianistes, il faut citer encore un virtuose qui se recommande surtout par une étude approfondie des grands maîtres. Nous voulons parler de M. Halle, l’interprète religieux de Beethoven. M. Halle a voué aux chefs-d’œuvre du sublime musicien de Bonn ce culte intelligent et généreux que le Conservatoire ne cesse de leur rendre depuis quinze ans ; et pour tant de veilles et d’efforts, on peut dire que l’esprit du chantre immortel de la symphonie en ut a passé dans les doigts de son jeune interprète. M. Halle compose une symphonie de Beethoven, et l’exécute ensuite avec ce soin minutieux, cette exactitude profonde, cette scrupuleuse fidélité qu’on ne trouve que dans cette noble association des concerts de la rue Bergère. Son piano, c’est l’orchestre du Conservatoire en miniature, et nous ne connaissons pas de plus bel éloge à lui faire. On sait du reste quelle pénible tâche est celle-là, et comme il faut s’abdiquer soi-même pour en venir à rendre jusqu’à la dernière note, jusqu’à la plus imperceptible intention, un génie aussi exigeant, aussi entier que Beethoven. M. Liszt avec toutes les ressources musicales et poétiques de son organisation, ou plutôt à cause même de ces ressources, ne réussit pas toujours en pareil cas, et le public de Vienne lui reprochait, au plus fort de son enthousiasme, de sacrifier Beethoven à son élan fantasque, et de mettre sa propre individualité à la place de celle du grand maître. Cette œuvre d’interprétation exige, de la part de celui qui s’y livre, des qualités de recueillement et d’abnégation qui ne se rencontrent guère d’ordinaire chez les virtuoses accoutumés à faire la chasse au succès : qualités négatives, si l’on veut, mais en fin de compte les seules utiles, tant qu’on ne nous prouvera pas que l’art de l’exécutant ait été inventé dans un autre but que celui de traduire, pour l’édification du plus grand nombre, le texte sacré des maîtres.

Les concerts de M. Berlioz ont manqué cette année ; ce complément indispensable au carnaval nous a fait défaut. À l’heure qu’il est, l’auteur de Benvenuto Cellini voyage en Allemagne et promène, à travers les villes et les bourgs de la Prusse et de la Bavière, le théâtre forain de ses symphonies. Au nombre des particularités amusantes qui signalent ce pèlerinage au pays de Mozart et de Beethoven, on cite un fait digne du Roman comique, et que nous craindrions de passer sous silence. Dernièrement, M. Berlioz donnait concert à Berlin, et, selon les habitudes hétéroclytes du musicien fantastique, il y avait deux orchestres sur la scène, un orchestre que dirigeait à tour de bras le bénéficiaire lui-même, l’autre conduit par M. Mendelsohn. Jusque-là, tout allait bien. Celui-ci avait le département des trombones et des ophycléïdes, celui-là menait les grosses caisses. Courage Mendelsohn ! bravo Berlioz ! vive le chantre de Paulus ! gloire à l’immortel poète d’Harold aux montagnes ! L’enthousiasme grandissait avec le bruit. On se renvoya la paume à qui mieux mieux, on s’anima, on s’échauffa, on s’exalta, on fit si bien, que, sur les dernières mesures, les deux maëstri, n’y tenant plus, s’élancèrent tout ébouriffés l’un vers l’autre, et, après s’être embrassés comme deux oncles de comédie, échangèrent solennellement leurs bâtons de mesure aux yeux de tout un public qui ne comprenait rien à ce singulier manège. Ainsi, voilà l’univers bien et dûment averti que désormais c’est avec le bâton de Mendelsohn-Bartholdy, l’auteur de Paulus, que l’auteur de la Symphonie fantastique dirigera dans la salle Musard l’exécution de ses chefs-d’œuvre, et qu’à son tour Mendelsohn-Bartholdy, l’auteur de Paulus, aura pour conduire Paulus la baguette sacro-sainte dont se servait naguère le chantre de la Symphonie fantastique ! Les journaux allemands, qui, malgré qu’on en dise, s’obstinent à ne vouloir prendre au sérieux ni M. Berlioz, ni sa musique, se sont fort égayés de cette ridicule pasquinade. Nous citerons, entre autres, dans la Gazette de Leipzig, un article très vif attribué à l’auteur des Lettres sur Paris. Certes, si M. Gutzkow ne se fût jamais attaqué qu’à de semblables sujets, à coup sûr personne n’eût songé à se récrier. Un Français parcourt l’Allemagne en y donnant des représentations tombe naturellement sous la juridiction de la critique du pays. Un concert public n’est point une invitation privée, une de ces admissions toutes de confiance où la plume de l’écrivain, à plus forte raison lorsque cet écrivain est étranger, n’a rien à voir. Si, comme on l’a prétendu, M. Berlioz voyage en Allemagne par ordre du ministre de l’instruction publique, nous demanderons de quelle utilité il peut être pour les progrès de la musique en France que la symphonie d’Harold soit applaudie ou sifflée à Berlin, et que signifie une semblable mission, à moins qu’elle n’ait eu pour but secret de conquérir à notre pays le bâton de mesure de M. Mendelsohn-Bartholdy ?

Nous ne terminerons pas sans dire un mot d’une fondation toute méritante et faite pour intéresser au plus haut point le dilettantisme éclairé, Il vient de se former dans le monde, et sous la présidence de M. le prince de la Moskowa, une association ayant pour but de mettre en lumière les chefs-d’œuvre, fort ignorés encore chez nous, des anciens maîtres italiens, et de développer le sentiment de la musique religieuse. À une époque où la chapelle du roi a cessé d’exister en France, une pareille tentative ne saurait qu’être approuvée des gens de goût, d’autant plus que l’intelligence parfaite du directeur (il faut bien lui donner son nouveau titre), non moins que l’instinct musical des patronesses, les plus illustres voix qu’on cite dans la société parisienne, répondent d’avance des soins qui seront apportés tant dans le choix des morceaux que dans l’exécution. M. de la Moskowa, qui joint aux connaissances techniques d’un compositeur l’érudition et la patience d’un archiviste, a découvert, à ce qu’on assure, de véritables trésors dans ce genre. Il ne s’agit de rien moins que de nous faire entendre ou plutôt de nous révéler Orlando di Lasso, Allegri, Scarlatti, et jusqu’à Vittoria, vieux maître espagnol dont à coup sûr vous ne vous doutiez guère. On parle déjà d’un certain cantique : Alla Trinità, du xvie siècle, et sans nom d’auteur, qui aux répétitions fait merveille. Nous le dirons encore, une semblable institution trouvant ses ressources en elle-même, et dirigée avec tact et bon goût, ne peut manquer d’avoir pour la musique de très utiles et de très avantageux résultats. Seulement, s’il nous était permis de risquer un avis, nous recommanderions au directeur de veiller de toute son autorité à ce que l’esprit du programme soit maintenu, et d’empêcher que cette fondation pour la musique religieuse et classique ne dégénère, à la longue, en une société de concerts où Bellini et Donizetti finiraient par prendre la place d’Allegri et de Palestrina. De toute façon, en pareille matière, un peu d’exclusion ne messied pas. Ce qu’il y a de mieux à faire, c’est de rester ce qu’on est, et de ne point oublier qu’il s’agit d’une institution tout aristocratique, d’une espèce d’Almacks musical.


H. W.