Revue littéraire - Montesquieu

Revue littéraire - Montesquieu
Revue des Deux Mondes3e période, tome 82 (p. 694-706).

REVUE LITTERAIRE

MONTESQUIEU

Esprit des lois, livres I à V, précédés d’une introduction et suivis de notes explicatives par M. Paul Janet. Paris, 1887 ; Delagrave. — Montesquieu, par M. Edgar Zévort. Paris, 1887 ; Lecène et Oudin. — Montesquieu, par M. Albert Sorel. Paris, 1887 ; Hachette.

M. Paul Janet vient de rééditer, pour l’usage des classes, les cinq premiers livres de l’Esprit des lois, précédés d’une savante Introduction et suivis de notes explicatives. Chez un autre éditeur, pour une collection de Classiques populaires, préparatoire en quelque sorte à la connaissance de nos grands écrivains, et où les extraits tiennent presque autant de place que la biographie, M. Edgar Zévort vient d’écrire un assez bon Montesquieu. Enfin, pour cette bibliothèque ou galerie des Grands écrivains français, moins « populaire, » inaugurée tout récemment par un si joli volume de M. Gaston Boissier sur Madame de Sévigné, et un si malicieux de M. Jules Simon sur Victor Cousin, son maître ; M. Albert Sorel, qui s’était chargé du Montesquieu, nous le donnait il y a quelques jours. Écrivant tous les trois pour un public différent, et ne s’étant proposé le même but qu’en gros, si l’on peut ainsi dire, il n’y a pas lieu de comparer l’édition de M. Janet à la biographie de M. Zévort, ni celle-ci au livre de M. Sorel. Ce qu’ils ont cependant*de commun, c’est de venger au moins Montesquieu de l’édition qu’en avait publiée jadis Edouard Laboulaye, mais surtout de la soi-disant Histoire de sa vie et de ses ouvrages qu’on devait à M. Louis Vian. Et, nous, pour parler de l’Esprit des lois et de Montesquieu, ne pouvant assurément souhaiter des guides plus sûrs, un secours plus utile, une occasion surtout plus favorable, nous la saisissons avec empressement.

Nous manquons, on le sait, de renseignemens sur Montesquieu, nous manquons d’anecdotes et de particularités, et si jamais on publie les papiers du château de la Brède, nous n’en aurons pas davantage : ils contiendront des extraits de ses lectures, des commencemens de pensées, des notes sur Bantam ou sur le Japon, sur les usages d’Achem et les coutumes de Macassar, dont l’auteur n’en a mis qu’un trop grand nombre déjà dans son Esprit des lois. Seul, en effet, ou presque seul de ses contemporains, avec Buffon, Montesquieu n’a point écrit de Mémoires sur lui-même, il n’a pas cru devoir « se confesser, » et sa Correspondance, assez maigre d’ailleurs, est assez insignifiante. On peut noter, dans cette réserve même, un premier trait de caractère. Il est de ceux qui ne donnent d’eux au public que leurs ouvrages ; et jusque dans l’intimité, nous savons d’autre part, au témoignage de ses amis, qu’il n’aimait pas à se livrer : il n’a point connu de Mme de Warens dont il ait trahi les complaisances, il n’a confié à aucune demoiselle Volland le secret de ses infirmités ni de celles de Mme de Montesquieu, sa femme. Toutefois, de quelques-unes de ses Pensées diverses, d’un court portrait qu’il a tracé de lui, mais surtout d’une étude attentive de son Esprit des lois, de ses Lettres persanes, de son Temple de Cnide, il y a des indications à tirer, sinon des a révélations ; » et M. Sorel, dans son livre, l’a, en vérité, très habilement fait.

C’est un gentilhomme, tout d’abord, ou qui se croit tel, et qui ne badine point sur l’article de la noblesse. Il parle volontiers de ses « terres, » de ses « vassaux ; » et s’il a l’air de se moquer de sa généalogie, c’est pour prévenir les mauvais plaisans, mais tout de même il la fait faire. Tout Gascon qu’il soit, et philosophe, très dégagé de préjugés, et son scepticisme voisin ou cousin de celui de Montaigne, il ne tient pas moins à descendre des « anciens Germains, » conquérans de la Gaule romaine, possesseurs nés du sol français. Même c’est cette illusion, comme le fait justement observer M. Sorel, qui l’a sans doute jeté dans ces longues recherches sur les lois féodales, ardues, ingrates, assez inutiles à l’objet de son Esprit des lois : dans les vingt et quelque premiers livres de son grand ouvrage, après avoir « retrouvé les titres perdus du genre humain, » il a voulu, dans les derniers, retrouver et fonder en droit ceux des barons de la Brède et de Montesquieu. Pour la même raison, parce qu’il en est et qu’il est sensible à la gloriole d’en être, il exagère volontiers le rôle de la noblesse dans l’état monarchique. Et ne pourrait-on pas dire qu’en plus d’une rencontre le préjugé ne laisse pas d’avoir altéré la justesse de son sens historique habituel, comme dans ces condamnations qu’il a prononcées sur Louvois, sur Richelieu, « les plus méchans citoyens de France, » et sur Louis XIV ? Et, en effet, l’un après l’autre ou ensemble, si quelqu’un, dans l’ancienne France, a brisé l’aristocratie de la noblesse ou, comme disait Saint-Simon, « rendu tout peuple et vil peuple » devant « les ministres, intendans ou financiers de la dernière espèce, » n’est-ce pas eux ? Et jamais Montesquieu ne le leur a pardonné !

Le préjugé n’est pas moins fort en lui contre les gens de lettres. On l’eût fâché, blessé même de le comparer à Fontenelle ou à Voltaire. Je ne dis rien des autres, les Duclos, les Jean-Jacques, les Diderot, qui se glorifieraient volontiers de manquer de naissance ou d’éducation, et qui trop souvent croient faire acte de « citoyen, » en le faisant de grossier personnage. Bien né, bien élevé, de bonne compagnie et de bon ton, — sinon toujours de bon goût, — jusque dans la licence et le libertinage, Montesquieu est un homme du monde, qui a un état et une condition. Qu’est-ce que seraient Voltaire ou Fontenelle, s’ils n’étaient les auteurs de leurs œuvres ? Un mince procureur, un petit avocat. Montesquieu, lui, serait encore et toujours le Président, comme on l’appelle dans les salons qu’il fréquente, c’est-à-dire un personnage ; et il en respecte en lui la dignité sociale. Je trouve des marques de son mépris dans la manière dont il a parlé, non-seulement des gens de lettres, mais encore de la matière de leurs occupations, du théâtre, du roman, de la poésie. Son mot d’ailleurs est assez connu : « J’ai la maladie de faire des livres, disait-il, et d’en être honteux quand je les ai faits ; » et l’on sait qu’il n’a mis son nom ni aux Lettres persanes, ni aux Considérations, ni à l’Esprit des lois. La vocation était la plus forte, mais en la déclarant publiquement il eût cru déroger ; et, ne pouvant se tenir d’écrire, il voulait avoir l’air au moins d’écrire en se jouant, de n’en pas faire métier ni marchandise, de s’y délasser enfin d’occupations plus graves, plus convenables à son rang et aux fonctions qu’il avait traversées, ou plus utiles à la société, — comme de faire son vin, par exemple, et d’améliorer ses terres.

Ajoutons encore un ou deux traits à sa physionomie : il y a en lui du magistrat, avec sa morgue et ses hauteurs, avec cette manie aussi d’expliquer habituellement, par un long circuit de raisons très lointaines et très compliquées, les actions les plus simples. C’est ce que l’on a quelquefois appelé le machiavélisme de Montesquieu. Il n’est pas simple, il le sait bien, mais il se pique de ne pas l’être. Dans ses Considérations, il aime à expliquer de grands succès par un mélange heureux de crimes ou de vices : ainsi ceux de Sylla, de César ou d’Octave ; et, dans l’Esprit des lois, il note, ici et là, des « qualités admirables » dont il prétend montrer que les effets politiques sont très pernicieux à ceux qui les possèdent. Les magistrats, à leur manière, sont de grands réalistes, comme les médecins, et un peu pour les mêmes raisons, sans assez réfléchir peut-être qu’ils n’ont communément affaire, les uns qu’avec le vice et les autres qu’avec la maladie. Le président de Montesquieu, qui faisait en gros trop d’estime de l’espèce humaine, la méprise trop en détail.

Et c’est enfin un bel esprit, et, à de certains égards, si je l’ose dire tout bas, un bel esprit de province. Il a des goûts littéraires bizarres, des admirations capricieuses, très indépendantes, mais aussi très particulières, et assez peu justifiées. Parmi les anciens, ce n’est pas Salluste ni César, Tite-Live ni Tacite qu’il préfère, c’est Florus, et son Abrégé de l’histoire romaine, avec ses faux brillans. Ou bien encore, chez les modernes, l’Inès de Castro, de La Motte Houdard, lui parait un chef-d’œuvre ; et les tragédies du vieux Crébillon, son Atrée, son Rhadamiste, son Catilina même, le troublent, le ravissent, le font entrer, selon son expression, « dans le transport des bacchantes. » En revanche, il a du regret de voir Tite-Live « jeter des fleurs sur les colosses de l’antiquité, » — ce qui sans doute est dit d’une manière galante, — et il déclare que Voltaire ne fera jamais « une bonne histoire. » A-t-il écrit, comme on le veut, son Temple de Cnide pour faire sa cour à Mme de Clermont ? Mais plutôt c’est qu’il se complaît en ces sortes de pastiches, et, jusque dans l’Esprit des lois, entre un livre sur les Lois dans le rapport qu’elles ont avec le principe qui forme l’esprit général d’une nation, et un livre sur les lois dans le rapport qu’elles ont avec le commerce, nous le voyons introduire cette étrange Invocation aux muses : « Vierges du mont Piérie, entendez le nom que je vous donne ! .. » Jacob Vernet, qui surveillait à Genève l’impression du livre de Montesquieu, lui fit sacrifier ce morceau. Le bon M. Laboulaye s’en indigne, et, s’il l’osait, il injurierait cet imprudent ami ; M. Sorel ne laisse pas d’y trouver des traits d’une admiration profonde et sincère de l’antiquité ; je n’y puis voir que l’affectation de bel esprit et le pédantisme d’un magistrat lettré. Montesquieu a trop d’esprit, plus encore d’envie d’en avoir, et cet esprit n’est pas toujours du bon aloi ni du meilleur goût. C’est ainsi que, mêlés à des traits d’une ironie supérieure, le fameux chapitre sur l’Esclavage des nègres en contient quelques-uns qui ne sont guère que des plaisanteries de robin, ou qui sentent la province. Mais n’est-ce pas se moquer du monde, et pas très plaisamment, que d’écrire le chapitre suivant ?


CHAPITRE XV.
Moyens très efficaces pour la conservation des trois principes.

« Je ne pourrai me faire entendre que quand on aura lu les quatre chapitres suivans. » Il y a un mot plus juste que celui de Mme du Deffand pour caractériser ce genre d’esprit, avec la nuance propre de gravité qui persiste sous l’affectation, et ce mot est de Voltaire : « C’est faire le goguenard, disait-il, dans un livre de jurisprudence universelle. »

De tout cela cependant, de ces défauts et de ces qualités, dont les uns ne sont pas vulgaires et dont les autres sont rares, de ce souci de garder et de maintenir son rang, de cette gravité de magistrat et de cette impertinence d’homme du monde, de cette préoccupation de bien dire et surtout de dire autrement que les autres, s’est formé laborieusement ou forgé un style unique, d’une pénétration, d’une concentration, d’une densité, si je puis ainsi parler, et d’une hardiesse d’effet souvent admirable et toujours singulière. Fénelon disait de saint Augustin qu’il était touchant, même en faisant des pointes : on pourrait dire de Montesquieu qu’avec tous les défauts d’un bel esprit on n’est pas, au fond, plus éloigné d’en être un. « Lorsque la vertu cesse dans le gouvernement populaire, l’ambition entre dans les cœurs qui peuvent la recevoir et l’avarice entre dans tous. Les désirs changent d’objets : ce qu’où aimait, on ne l’aime plus ; on était libre avec les lois, on veut être libre contre elles ; chaque citoyen est comme un esclave échappé de la maison de son maître : ce qui était maxime, on l’appelle rigueur ; ce qui était règle, on l’appelle gêne ; ce qui était attention, on l’appelle crainte. C’est la frugalité qui y est l’avarice et non pas le désir d’avoir. Autrefois le bien des particuliers faisait le trésor public, mais pour lors le trésor public devient le patrimoine des particuliers. La république est une dépouille, et sa force n’est plus que le pouvoir de quelques citoyens et la licence de tous. » Ce n’est pas ici le lieu de rechercher dans ce tableau ce qu’il pourrait y avoir d’applicable à des temps et des hommes pour lesquels Montesquieu ne l’avait pas tracé. Mais ce style haché et heurté, sentencieux et épigrammatique, qui procédé par addition successive de traits également forts, ces antithèses qui expliquent les lois des choses en fixant le sens des mots, ces remarques de grammairien, qui sont en même temps les observations d’un moraliste et d’un homme d’état, une certaine fierté stoïque, je ne sais si je ne devrais dire une certaine tristesse, qui recouvre et enveloppe tout le reste, voilà ce qui était sans modèles dans la langue française et dont nous n’avons revu depuis lors que de faibles imitations. C’est que précisément les particularités du caractère et de la condition de Montesquieu y concourent pour la meilleure part, et Bossuet seul peut-être ou Pascal ont écrit d’un style plus personnel, sous son apparente impersonnalité, plus original, et qui soit plus « l’homme » tout entier.

C’est pourquoi Montesquieu n’a point conformé son style à ses sujets, mais plutôt ses sujets à son style ; et sa manière d’écrire lui a comme imposé sa manière de penser. Le titre importe à peine, et le cadre, et la nature des digressions ; sous le nom de Lettres persanes, de Considérations sur la grandeur et la décadence des Romains, d’Esprit des lois, Montesquieu, en réalité, n’a jamais écrit qu’un seul ouvrage ; et les huit ou dix volumes de ses œuvres sont huit ou dix volumes de Considérations sur les mêmes matières. C’est un homme qui lit, non pas à l’aventure, mais sans beaucoup de suite, qui médite sur ce qu’il a lu, qui le reprend à son compte, qui le plie aux exigences de sa propre personnalité, qui le transforme en se l’assimilant, — et qui ne réussit pas d’ailleurs à lui imposer une véritable unité. Je veux bien, comme le dit M.- Janet, au début de son Introduction, que « l’Esprit des lois, sans aucun doute, soit le plus grand livre du XVIIIe siècle, » — quoique pourtant l’Essai sur les mœurs, et la Nouvelle Héloïse, et l’Histoire naturelle, dans des genres assez différens, comme l’on voit, soient d’assez grands livres aussi, — mais il faut bien l’avouer, le désordre y est extrême et la lecture en est laborieuse. Bodin, au XVIe siècle, dans sa République, est beaucoup plus prolixe ; il est à peine plus confus. Qui donc a dit que l’intelligence de Montesquieu était en quelque sorte fragmentaire, peu capable d’ordre, et tout à fait inhabile à la composition ? On pourrait ajouter, quelque sujet dont il s’empare, comme il le creuse très profondément, que ses conclusions vont en s’éloignant, en divergeant les unes des autres à mesure même qu’il leur donne cette forme arrêtée et définitive, qui est la sienne. Il ne perd pas sa matière de vue, mais elle lui échappe d’elle-même, et les a mains paternelles, » selon son expression, lui en tombent de découragement : Bis patriæ cecidere manus. Il y a trop de choses dans l’Esprit des lois, trop diverses, et un plan trop vaste.

Plus j’ai lu l’Esprit des lois, et moins j’en ai discerné le véritable objet. Les analyses que l’on en a données ne m’ont pas éclairé davantage, et elles n’ont pas non plus éclairé les autres, puisque autant que j’ai consulté de critiques ou de commentateurs de l’Esprit des lois, autant en ai-je trouvé d’interprètes. L’Essai sur les mœurs, ou le Discours sur l’histoire universelle, voilà qui est clair, qui est lumineux, dont l’objet et l’idée générale, faciles à saisir, faciles à retenir, n’ont jamais fait hésiter personne. Il n’en est pas de même de l’Esprit des lois. « Ceux qui auront quelques lumières, disait Montesquieu dans sa Défense de l’Esprit des lois, verront du premier coup d’œil que cet ouvrage a pour objet les lois, les coutumes et les divers usages des peuples de la terre. » C’est à peu près comme s’il nous disait que son ouvrage a pour objet toute la jurisprudence et toute la politique, toute l’histoire et toute la morale. Il se moque de nous, et sa définition n’est qu’une gasconnade. Mais la vérité, c’est que deux ou trois principaux objets se disputent, dans l’Esprit des lois, la pensée de Montesquieu ; qu’incertain lui-même entre eux, il va sans cesse de l’un à l’autre, non sans plier à chaque pas sous l’amoncellement de ses notes, et qu’en vain il affecte la décision et la sécurité, il manque du point fixe qui devrait servir de repère à ses excursions, de but à ses démarches et de centre à son livre.

Si nous en voulions croire Laboulaye, dans son édition, — et M. Zévort, qui l’a suivi de trop près, à mon sens, — l’Esprit des lois ne serait qu’une continuation des lettres persanes : j’entends une satire politique habilement voilée, un pamphlet allusif dans le goût du Prince Caniche ou de Paris en Amérique. Partout donc où Montesquieu parle de despotisme, c’est la Perse antique, la Turquie moderne ou la régence d’Alger qu’il faudrait entendre ; lorsqu’il écrit Démocratie, ce serait tantôt Rome et tantôt l’Angleterre ; et enfin et surtout ce qu’il dit de la Monarchie, il faudrait constamment le prendre de la France du XVIIIe siècle, la France du régent et celle de Louis XV. Comme les Caractères et comme le Diable boiteux, l’Esprit des lois deviendrait ainsi ce que l’on appelle un « livre à clé ; » et, moins absolu qu’autrefois en ce point, je n’en repousse pas tout à fait l’idée. Car, l’interprétation n’a peut-être pas l’avantage, comme le croyait Laboulaye, de « rajeunir Montesquieu, » — elle l’envieillirait plutôt, — mais elle peut servir à le justifier, entre autres critiques, de celles que l’on adresse à sa théorie des « principes » des trois gouvernemens. S’il fait de la vertu le principe des gouvernemens démocratiques, et de l’honneur celui des monarchiques, ce n’est pas qu’un démocrate ne puisse aimer l’honneur, ou que la vertu soit exilée nécessairement des monarchies, c’est tout simplement que l’honneur, c’est-à-dire le sentiment de la dignité personnelle, était, en son temps, le principal ressort de la noblesse française, et la vertu, c’est-à-dire l’amour des institutions politiques de l’Angleterre, le principe effectif de la puissance britannique. Admettons donc, sans difficulté, qu’il se soit glissé dans l’Esprit des lois plus d’une intention de satire, et que non-seulement une cour ou un parlement, mais plus d’un ministre et plus d’un traitant aient « posé » devant Montesquieu. Le brillant auteur des Lettres persanes pouvait-il, en effet, renoncer à ces allusions malignes où il excellait ? Pour ne pas découvrir, jusque dans les matières les plus graves, un peu de ridicule, n’était-il pas d’ailleurs un observateur trop attentif ; un artiste aussi trop complaisant à lui-même pour ne pas s’en amuser ? Et enfin, s’il faut tout dire, dans les salons qu’il fréquentait, chez Mme du Deffand ou chez Mme Geoffrin, pourquoi voudrions-nous qu’il eût compromis sa réputation d’homme d’esprit ?

Il convient seulement de ne rien exagérer ; et, à ce propos, pour qu’on l’accepte, M. Sorel a très bien montré qu’il fallait aussitôt et rigoureusement limiter cette interprétation. Les procédés de Montesquieu, dit-il excellemment, ou sa méthode, si l’on veut, est celle des classiques. Comme à La Bruyère dans ses caractères, comme à Bourdaloue dans ses sermons, comme à Molière dans ses comédies, les réalités prochaines ou présentes ne lui servent que d’une occasion pour étudier en elles quelque chose de plus général et de plus permanent qu’elles-mêmes. Il est possible que Tartufe ait quelques traits de M de Roquette ; que la cour, en tremblant, reconnût le maître lui-même dans le fameux Sermon sur l’Impureté ; qu’on doive mettre des noms propres, ceux de Brancas ou de Lauzun, sous les portraits de La Bruyère ; mais La Bruyère, Bourdaloue et Molière se flattent bien d’y avoir aussi insinué quelques traits qui soient de tous les temps comme de tous les lieux ; et c’est même pour cela que leurs comédies, que leurs portraits et que leurs sermons survivent à tant d’autres. Montesquieu tout de même. Il a Rome et l’antiquité dans sa bibliothèque, il a la Turquie, la France et l’Angleterre sous les yeux ; mais il a aussi les Relations des voyageurs, il a la collection des Lettres édifiantes, il voit les lois se faire et se défaire, les institutions changer avec les mœurs ; et de tout cela il a bien la prétention de tirer des conséquences, d’induire des principes qui soient vrais de l’avenir comme du présent et comme du passé, de définir enfin des rapports fondés sur la a nature des choses, » et qui participent de sa nécessité. Cette interprétation de l’Esprit des lois, plus large, plus conforme aussi, je crois, à la pensée de l’auteur, ne détruit pas la première : elle la limite, comme nous disions ; mais en la limitant elle s’y ajoute ; et il n’est pas douteux qu’en s’y ajoutant, la confusion du livre s’en augmente.

En voici cependant une troisième ; et, d’après Vinet, qui se rencontre ici, par hasard, avec Auguste Comte, l’idée maîtresse de Montesquieu, l’objet propre de l’Esprit des lois, ce serait ce qu’ils appellent « l’histoire naturelle des lois. » Observateur désintéressé du spectacle des choses humaines, les phénomènes de l’histoire, aux yeux de Montesquieu, ne se distingueraient qu’en apparence de ceux de la nature, mais en réalité seraient soumis comme eux à des lois invariables. La détermination de ces lois, comme aussi celle des rapports qu’elles soutiennent entre elles, de leur corrélation et leur solidarité, de leurs connexions et de leurs dépendances, tel serait le but de l’ouvrage. Et, au fait, il l’a dit lui-même : « J’ai d’abord examiné les hommes, et j’ai cru que dans cette infinie diversité de lois et de mœurs, ils n’étaient pas uniquement conduits par leurs fantaisies. J’ai posé les principes, et j’ai vu les cas particuliers s’y plier comme d’eux-mêmes, les histoires de toutes les nations n’en être que les suites, et chaque loi particulière liée à une autre loi ou dépendre d’une autre plus générale. » On oublie seulement que, s’il l’a dit, c’est dans une Préface, et que la question est de savoir si le livre en a tenu les promesses. Tout ce que l’on peut dire avec vérité, c’est que Montesquieu a bien en le pressentiment de cette histoire naturelle des lois, qu’il en a même esquisse, si l’on veut, quelques chapitres, dans sa théorie des climats, par exemple ; mais le fait est qu’il ne l’a point écrite ; et, dans l’état de la science de son temps, quand les matériaux ne lui eussent pas manqué pour remplir le plan, c’eût encore été la décision d’esprit, le parti-pris philosophique et la sévérité de composition qu’il lui fallait pour le tracer seulement.

Est-ce tout ? Non pas encore, et s’il y a dans l’Esprit des lois des traces de fatalisme, les intentions révolutionnaires ou réformatrices y abondent, et d’Alembert, dans son Éloge de Montesquieu, n’y a guère vu que cela. C’est une autre manière de comprendre et d’interpréter le livre. « Pour Montesquieu, l’homme est de tous les pays et de toutes les nations ; .. il s’occupe moins… des lois qu’on a faites que de celles qu’on a dû faire,.. des lois d’un peuple particulier que des lois de tous les peuples. » Et il est évident, quand il fait la théorie de la séparation des pouvoirs ou l’apologie de la constitution anglaise, comme quand il plaide contre l’esclavage, que Montesquieu ne croit point l’esclavage nécessaire, ni le régime parlementaire ou les lois protectrices de la liberté civile tellement liés au sol, au climat, à l’histoire de l’Angleterre qu’on ne les puisse transplanter sur le continent. Si ce beau système a été trouvé dans les bois, c’est dans les villes qu’il se pratique, et si l’on le voulait, ce serait à Paris tout aussi bien qu’à Londres. Montesquieu n’étudie donc point les lois pour elles-mêmes, ni surtout pour elles seules, mais pour les leçons ou les exemples qu’on en peut tirer, et pour les applications prochaines, quand il les trouve bonnes, que l’on en pourrait faire à sa propre patrie. C’est un publiciste, comme on dit aujourd’hui, c’est un citoyen, comme on disait au XVIIIe siècle ; il travaille pour le bien public, et non pas seulement, comme Buffon, pour la science. L’histoire naturelle des lois l’intéresse, mais son pays autant ou davantage, et le progrès, et l’humanité. Citons encore d’Alembert et passons lui son emphase habituelle toutes les fois qu’il parle d’un collaborateur de l’Encyclopédie : « L’amour du bien public, le désir de voir les hommes heureux, se montrent de toutes parts dans l’Esprit des lois, et n’eût-il que ce mérite si rare et si précieux, il serait digne par cet endroit seul d’être la lecture des peuples et des rois. » D’Alembert est un contemporain ; et je ne puis me faire à l’idée que, pour entendre un livre, il soit indispensable de n’avoir pas vécu soi-même parmi les préoccupations qui le dictaient à son auteur.

Sans doute, on dira que toutes ces intentions, non-seulement se touchent, mais s’entre-tiennent ; et je répondrai que c’est justement quand les matières se touchent qu’il est nécessaire de les bien distinguer, quand elles s’entre-tiennent qu’il importerait de nous en faire voir le lien. C’est ce lien que je ne vois pas dans l’Esprit des lois, et je crains qu’il n’y soit point. Faute de cela, l’Esprit des lois n’est pas un grand livre ; mais seulement l’idée, ou encore mieux, les fragmens d’un grand livre ; il y fait constamment penser, il ne l’est pas lui-même, il ne l’a jamais été. .Stat magni nominis umbra : c’est le souvenir d’un grand monument, mais le monument n’a jamais existé. On a quelquefois accusé de sa ruine, comme de celle de l’Histoire naturelle de Buffon, le progrès même de la science ; maison n’a pas fait attention que l’érudition moderne avait renouvelé de fond en comble aussi l’histoire romaine, et qu’en dépit d’elle cependant les Considérations demeuraient toujours debout. C’est que les Considérations font un ensemble, et qu’à défaut d’une idée maîtresse, la chronologie toute seule y mettrait encore cette unité qu’on exige d’un livre. L’Esprit des lois est à peine un livre ; ni chronologie ni perspective, comme le dit M. Sorel, tout y est au même plan, s’y éclaire de la même lumière ; ce n’est pas seulement l’unité qu’on y regrette, c’est encore la suite, c’est surtout l’ordre et la clarté.

Y seraient-ils peut-être, si Montesquieu, dont il faut bien dire que la décision ne laisse pas de cacher souvent une certaine timidité, avait pris paru dans la première question, et la plus importante, que soulevait le dessein, quel qu’il fût, de son Esprit des lois ? C’est la question de la liberté. Dans une monarchie, s’il ne dépend que de nous de pratiquer les vertus républicaines, quelles sont ces connexions que l’on veut établir ; et à quoi bon tant d’esprit pour démontrer que tout différera nécessairement dans l’état, selon que la puissance publique est aux mains de plusieurs ou d’un seul ? Mais pourquoi nous indignerons-nous contre l’esclavage ou contre l’inquisition, si les phénomènes historiques et sociaux sont conditionnés eux-mêmes par d’autres phénomènes, sur lesquels nous ne pouvons rien de plus que sur la révolution de la terre autour de son axe ou sur le refroidissement du soleil ? On voit aisément que, si l’auteur de l’Esprit des lois avait résolu la question, une moitié de son livre tombait, pour ainsi dire, cessait d’être, n’avait plus de raison d’exister. Et ce que l’on voit peut-être encore mieux, c’est ce qu’il eût dû sacrifier de ses lectures et de ses observations, et qu’en le lui demandant on ne lui eût demandé rien de moins que de changer sa méthode de travail ou de transformer sa nature même d’esprit. Moins libre en son plan, moins capricieux en sa diversité, plus clair et mieux ordonné, l’Esprit des lois serait sans doute un livre mieux fait, qui donnerait moins de prise à la critique, il serait moins de Montesquieu, si l’on peut ainsi dire, image ou portrait moins fidèle de son génie fragmentaire. Et puisque enfin sa manière de penser procède elle-même de l’originalité de sa manière d’écrire, il serait impie de souhaiter qu’au lieu de Montesquieu il se fût appelé… Goguet.

Ce qu’en effet toutes ces remarques ne sauraient faire, c’est que Montesquieu ne soit lui-même un très grand esprit, et son livre un livre essentiel dans l’histoire de la littérature française. Il marque d’abord une date, une époque même de la prose classique. Toutes ces considérations de droit public et de jurisprudence, toutes ces matières de politique et d’économie, la théorie des gouvernemens comme celle du change, ou l’interprétation des lois civiles comme celle des lois pénales, enfouies jusque-là dans les livres savans et spéciaux des Cujas ou des Barthole des Grotius ou des Puffendorf, des Domat ou des Pithou, l’Esprit des lois, pour la première fois, les faisait sortir de l’enceinte étroite des écoles, de l’ombre des bibliothèques, et, les mettant à la portée de tous, accroissait ainsi le domaine de la littérature de toute une vaste province de celui de l’érudition. C’est ce que Descartes, avec son Discours de la méthode, avait fait pour la philosophie, Pascal, pour la théologie, dans ses Lettres provinciales ; et c’est ce que faisaient, vers le même temps que Montesquieu, pour l’histoire, Voltaire, dans son Essai sur les mœurs, et pour la science, Buffon, avec son Histoire naturelle. Les hommes du monde dans les salons, les femmes elles-mêmes à leur toilette, s’étonnèrent de se trouver si savantes en politique, si avancées dans ces problèmes qu’on leur avait jusqu’alors enveloppés de tant de mystère, et comme défendus par tant de barrières. L’étonnement devint de l’admiration en devenant du plaisir. Et c’était justice, puisque aussi bien cette bonne fortune n’est jamais échue qu’à de très grands écrivains. Elle exige, en effet, pour être méritée, deux qualités voisines du génie : un sentiment très sûr, très profond, des ressources d’une langue et un tact très subtil du point d’avancement de l’intelligence publique. Montesquieu, dès les Lettres persanes, eut ce sentiment et ce tact : l’un lui dicta le choix de son sujet, l’autre lui procura les moyens de le traiter ; et c’est ainsi que par l’Esprit des lois, la politique et la jurisprudence entrèrent dans la littérature. Elles en sont depuis quelquefois sorties.

Le livre eut un autre mérite : ce fut de donner aux études historiques une direction nouvelle. Apologétique ou érudite avec les Bénédictins, polémique avec Bossuet, narrative avec Voltaire, l’histoire, avec l’Esprit des lois, devient philosophique, en ce sens qu’elle fait désormais consister son principal objet dans la recherche des causes. Je n’examine point à ce propos si Montesquieu lui-même a réussi dans cette recherche des causes, ni s’il n’en a point sacrifié quelques-unes, et des plus effectives, à son goût personnel d’expliquer les événemens par les plus lointaines ou les plus générales. La philosophie de l’Esprit des lois a quelquefois besoin d’être corrigée par la philosophie de l’Essai sur les mœurs. Si ce n’est point « la fortune qui domine le monde, » on peut douter pourtant que « tous les accidens soient soumis à des causes » qui en déterminent la forme. « Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé, » Mais ce qui est certain, c’est l’influence de Montesquieu sur tous les historiens qui l’ont suivi et sur la manière même de considérer, d’étudier et d’écrire l’histoire. C’est l’Esprit des lois qui a dégagé les historiens de la superstition des modèles antiques, en leur proposant une autre ambition que d’imiter de loin César ou Tite-Live. Ce que l’on n’avait pas clairement discerné dans les Considérations, quoique la méthode y fût déjà tout entière, on le vit à plein dans l’Esprit des lois ; et « comme un ouvrage original en fait toujours construire cinq ou six cents autres ; » quand on l’eut vu, on ne l’oublia plus. Voltaire même, autant qu’il le pouvait, se mit à l’école de Montesquieu, les Anglais suivirent, et de nos jours encore chez Guizot, chez Tocqueville, chez M. Taine enfin, rien ne serait plus facile que de retrouver l’influence de l’Esprit des lois. « Si nous devons reprendre en sous-œuvre l’édifice du maître, a dit quelque part M. Taine, c’est seulement parce que l’érudition accrue a mis en nos mains des matériaux plus solides et plus nombreux. » Et c’est peut-être bien aussi qu’en donnant aux idées de Montesquieu plus d’extension et de portée qu’elles n’en avaient dans sa pensée même, nous les avons un peu dénaturées, mais enfin, ce sont bien les siennes, et celles que l’on en a tirées, elles y étaient contenues, après tout, comme la conséquence l’est dans son principe.

Enfin, — et peut-être est-ce là, de tous les services qu’il a rendus, le plus considérable et le plus oublié, — à cette société du XVIIIe siècle, envahie par le doute et l’incrédulité, Montesquieu vint enseigner la grandeur et, par conséquent, le respect de l’institution sociale. Quelques épigrammes que l’auteur des Lettres persanes ait dirigées contre les institutions de son temps et de son pays, quelques libertés qu’il ait prises, trop souvent, et jusque dans l’Esprit des lois, avec la morale, Montesquieu n’en considère pas moins la société comme la plus belle invention des hommes, si l’on peut ainsi dire, puisque aussi bien elle est la condition, le lieu et la garantie enfin de toutes les autres. C’est pour cela qu’il a écarté de son Esprit des lois toute recherche scientifique et toute spéculation métaphysique sur l’origine et la formation des sociétés. Il lui suffit qu’elles soient. « Je n’ai jamais ouï parler du droit public, a-t-il dit dans ses Lettres persanes, que l’on n’ait commencé par rechercher soigneusement quelle est l’origine des sociétés, — ce qui me parait ridicule. » Il a raison ; qu’importe l’origine, si le droit public ne commence lui-même qu’avec la société formée ? Ne serait-ce pas aussi pour cela qu’il n’a pas cru devoir discuter plus à fond le problème de la liberté ? Libres ou non, esclaves de la fortune ou artisans de nos destinées, toute société des hommes n’est-elle pas effectivement fondée sur l’hypothèse, ou, comme disent les philosophes, sur le postulat de la liberté ? Quelle est la loi pénale qui ne suppose la liberté de celui qu’elle frappe ? la loi civile qui ne dérive du consentement ou du vœu des parties ? la loi politique dont un accord fictif ou réel des volontés ne soit l’origine, le principe et la sanction ? Et c’est encore pour cela qu’en dépit de beaucoup d’erreurs, qu’il ne pouvait guère éviter, et d’un peu d’utopie, sans laquelle il ne serait pas tout à fait de son siècle, Montesquieu est si modéré, et au fond si peu révolutionnaire. « Il est quelquefois nécessaire, a-t-il encore dit, de changer certaines lois. Mais le cas est rare, et lorsqu’il arrive, il n’y faut toucher que d’une main tremblante : on y doit observer tant de solennités, et apporter tant de précautions, que le peuple en conclue naturellement que les lois sont bien saintes, puisqu’il faut tant de formalités pour les abroger. » Bossuet lui-même n’a pas mieux parlé de ce quelque chose d’inviolable sans lequel la loi n’est pas tout à fait loi.

Il y a toutefois une différence entre, l’auteur de la Politique tirée de l’Écriture sainte et celui de l’Esprit des lois : il y en a même plusieurs, mais je n’en retiens ici qu’une seule. Tandis que Bossuet fait de la religion le fondement mystique de l’institution sociale, c’est le respect de l’institution sociale dont on peut dire qu’il fait lui seul toute la morale, toute la philosophie, toute la religion de Montesquieu, Nous sommes nés pour la société, pour en exercer les devoirs, sans en attendre, en les exerçant, d’autre récompense que d’en avoir, chacun pour notre part, entretenu le culte. Ou encore, quand la société n’aurait d’autre objet qu’elle-même, non-seulement nous serions tenus de toutes nos obligations envers elle, mais c’est alors qu’il faudrait nous y attacher plus étroitement que jamais. Et ce dernier trait, si je ne me trompe, en achevant de caractériser l’homme, achève aussi de mesurer l’influence, et de préciser la portée de l’œuvre. C’est par là, en effet, qu’il, a surtout agi, que le publiciste a conquis, qu’il a gardé longtemps la confiance et l’autorité que nous ne reconnaissons plus aux théologiens. C’est par là que son œuvre, si quelques parties en ont peut-être vieilli, n’a pas péri tout entière, que la vie continue toujours, de circuler sous ses rides, que sa bienfaisante influence n’a pas cessé d’opérer sur ceux mêmes qui l’ignorent. Et c’est par là, enfin, que Montesquieu, si Français cependant, et voire un peu Gascon, est presque un plus grand homme, encore dans l’histoire de la pensée européenne que dans celle de la littérature française.


F. BRUNETIERE.