Revue des Romans/Paul Lacroix

Revue des romans.
Recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers.
Contenant 1100 analyses raisonnées, faisant connaître avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénoûment de chaque roman.
1839
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LACROIX (Paul),
connu aussi sous le pseudonyme de P. L. Jacob, bibliophile,
né à Paris le 27 février 1806


L’ASSASSINAT D’UN ROI, roman historique, 2 vol. in-12, 1825. — Dans ce roman, l’auteur a voulu faire connaître les détails inconnus de la conjuration qui porta Damien à poignarder Louis XV ; mais ces détails, qui sont tous de son invention, laissent à désirer plus de conformité avec la vraisemblance historique. Cependant tous les personnages qu’il met en scène sont vrais ; les discours, la conduite des jésuites, sont généralement conformes à ce que nous connaissons d’eux ; leurs phrases sont presque toutes puisées dans leurs propres ouvrages.

SOIRÉES DE WALTER SCOTT, recueillies et publiées par le bibliophile Jacob, 2 vol. in-8, 1829-31. — En 1826, quand Walter Scott vint chercher à Paris et rassembler en quinze jours les matériaux du volumineux pamphlet qu’il a publié depuis sous le titre d’Histoire de Napoléon, le bibliophile Jacob, grand amateur d’autographes, désira de se procurer la signature de l’illustre Écossais. Portant sous son bras un gros livre qu’il croit être les œuvres de Jean Scot le théologien, et qui devait devenir le texte d’une galanterie d’érudit, il se fait conduire chez une dame où le baronnet devait passer la soirée. Il parvient enfin à le saisir dans un coin, et il sollicite la signature désirée. Walter Scott consent obligeamment, prend le gros livre, en lit le titre, et, sur la première page, écrit ces mots : « Voilà mon maître : Walter Scott. » M. Jacob s’était mépris ; ce livre était Froissard. Chacun de se récrier sur l’humilité du grand écrivain ; Walter Scott insiste et affirme avoir tiré de nos chroniques bonne partie de ses richesses littéraires, et il offre, pour preuve, de raconter quelques histoires qu’il y a puisées. On accepte avec enthousiasme, on s’assied en cercle, on écoute avidement, et M. Jacob sténographie les contes qui font le sujet du livre qui nous occupe en ce moment. Parmi ces Soirées, nous signalons surtout le Trésor, excellent tableau de l’état politique et civil des juifs vers 1400 ; la Pierre, histoire d’une journée de Louis XI ; l’Échafaudage, histoire de la Saint-Barthélemy ; le Guet, comique et curieuse peinture de cette institution ; les Écoliers, tableau d’une autre institution ancienne qui a donné naissance à l’université. Voici l’ordre de distribution des nouvelles dans les deux volumes : premier volume, le Trésor, le Grand œuvre, le Page, l’Imprimerie, la Pierre, le Jour des Innocents, l’Estrapade, les Morts cordeliers, la Pantoufle du pape, le Fouet, l’Échafaudage, les Dragées, la Sarbacane ; deuxième volume, le Charivari, le Guet, la Redevance, les Écoliers, la Chasse.

LES DEUX FOUS, histoire du temps de François Ier, in-8, 1830, ouvrage publié sous le pseudonyme de P. L. Jacob, bibliophile. — Cette histoire du roi François Ier et de Diane de Poitiers n’est, à le bien prendre, que l’histoire du vieux Paris, de son peuple, de ses coutumes, de ses usages, de ses superstitions. L’auteur a voulu placer François Ier sur le premier plan, et après lui sa belle maîtresse, et Triboulet, comme opposition au roi, et Caillette, comme contraste à Triboulet. Tous ces personnages étaient sagement disposés quand il s’est mis à l’ouvrage ; mais l’abondance des matériaux à mettre en œuvre est venue déranger son plan, où sont entrés de toutes parts la ville, la cour, le peuple, les soldats, les magistrats, tout le siècle, chacun parlant son langage, tantôt patois, tantôt français, si bien que c’est souvent à ne pas s’entendre. Un grave reproche à adresser encore à l’auteur, c’est d’avoir fait notre vieux peuple beaucoup trop laid ; en effet, il n’y a pas un honnête homme dans son livre, pas une femme honnête, pas un bourgeois qui ait du cœur ; ce n’est pas cependant ce que nous avons entendu dire de la noblesse de nos ancêtres, de leur courage civil, de leur noble résistance aux excès du pouvoir. Des hommes qui ont parcouru l’Italie en vainqueurs, qui sont restés fidèles à leur roi prisonnier en Espagne, qui ont chassé l’Anglais du territoire, ne sont pas des hommes comme les peint M. Jacob. Il n’y as pas jusqu’à Triboulet dont le véritable caractère soit méconnu : le joyeux Triboulet, grelots en tête, marotte en main, bossu deux fois, faisant la grimace à tout le monde, était un fou et rien de plus. Mais en revanche Caillette, le premier fou, le héros du livre, est une création originale. Caillette porte un cœur noble sous la livrée de fou ; il est fou par sa charge, mais sage de tête. C’est lui qui amène Diane à Paris, lui qui l’aime sans oser le lui dire, lui qui est fait le témoin de cet amour qui le tue, lui qui meurt à la fin du livre. « Caillette, pauvre cher fol, » dit François Ier en essuyant deux larmes sur ses joues, « pauvre fol d’amour : il y a des larmes dans cette mort. »

LA DANSE MACABRE, in-8, 1832. — Toute la terreur sépulcrale, ignorante, pieuse, douloureuse du moyen âge, est puissamment résumée dans ce livre. Autour du bohémien Macabre il y a des morts ; autour de ces morts des maisons pourries, noires, brunes, puantes, tortues, tremblantes, mal éclairées ; autour de ces maisons un peuple sale et crochu ; au-dessus de ce peuple une vapeur sombre et mate, traversée par les rayons d’un soleil qui brûle ; puis, entre Macabre et le peuple, des têtes de juifs que l’auteur a faites si belles et si laides, qu’on les croirait creusées dans le cuivre par le burin de Rembrandt. Tout cela est puissant sans doute ; mais l’espèce humaine n’est étudiée dans ce livre que sous un seul point de vue, sous le point de vue horrible ; la vie s’y montre à travers les fentes du cercueil. Il est à regretter qu’on n’y trouve pas un peu de grâce, un peu d’air frais et pur sous un ciel ouvert, un oiseau qui chante en ployant la branche souple du sureau en fleur, un petit enfant qui joue avec le sable, une candide physionomie de bourgeois, fût-elle même un peu niaise. Au lieu de cela, de la terreur, rien que de la terreur ; le grotesque enragé à côté du terrible enragé, toute l’énergie humaine portée sur un seul point, l’existence aperçue sous une seule face, l’extrême épouvante touchant à l’extrême burlesque !

La danse des morts est une conception du moyen âge, inventée par le bohémien Macabre, qui vint du temps des Anglais récréer le populaire parisien par la mise en scène de ce bizarre spectacle. Le dimanche de Pâques fleuries 1438, les crieurs annoncent dans toutes les rues de Paris, pour le jeudi suivant, une nouvelle représentation de la danse des morts. La foule s’y presse ; bourgeois et soudards, moines et filles de joie, truands et damoiselles, des milliers de spectateurs encombrent les étroites limites du cimetière des Innocents, se pressent aux gothiques fenêtres des bâtiments qui l’environnent ; quelques planches forment auprès de la tour des Bois, demeure de Macabre, un ignoble tréteau. Macabre, long, maigre, décharné, dont la cadavéreuse nudité est à peine en quelques parties recouverte d’un linceul, apparaît au public assemblé ; c’est la mort. Aux magiques accents du rebec, elle évoque ses nombreux sujets ; ils viennent : voici le pape, l’empereur, un cardinal, et la cruelle mort les entraîne violemment dans les tournoiements de sa danse infernale, et ne répond à leurs lamentables prières que par les éclats d’une joie ironique. Mais tout à coup l’éclatant soleil d’avril s’efface dans les ténèbres d’une éclipse ; le peuple, saisi d’épouvante, regagne en hâte ses logis et ses églises. Bientôt la mort exerce ses ravages dans la cité qu’assiégent les Anglais, et les crimes s’accumulent sur cette terre de désolation ! Voyez : cloué sur la croix, un enfant meurt exhalant, par les piqûres innombrables dont les juifs ont tatoué son corps, la vie avec le sang ; tout à côté, son père, vieux mari jaloux, étouffe dans les convulsions d’une conjugale angoisse, et Malplaquet, le faux ladre, s’étend dans une bière croyant y reposer, et se réveille au milieu des tortures de la plus effroyable agonie ; plus loin, un moine est boulu vivant dans une chaudière emplie d’eau bouillante, et la compagne de Macabre précipite son despote de mari du sommet de la tour des Bois sur les dalles qui en forment la base ; puis, à son tour, elle expire lapidée par des garnements dont les mains s’arment au hasard d’ossements et de crânes mortuaires ; ensuite le prêtre Thibault est dévoré par les loups dans la rue des Bourdonnais, en revenant d’accomplir une mission charitable. Enfin, pour dénoûment, on voit murer une épousée dans une cellule étroite, où la mort viendra la trouver après de longues années de solitude ! … N’est-ce pas là une pitoyable histoire ?

LES FRANCS TAUPINS, 3 vol. in-8, 1833. — L’action de ce roman se passe vers l’année 1440, un peu avant l’organisation des compagnies d’ordonnance et l’institution de la milice communale des francs archers, par Charles VII. Le vieux Guy, seigneur de la Rochefoucauld, est presque mourant dans son château de Barbezieux ; auprès de lui arrive son bâtard, Ambroise, que sa vocation appelait au métier des armes, mais que la volonté paternelle a relégué dans les ordres monastiques. Ambroise a conçu une passion violente pour sa sœur naturelle, Jeanne Sanglier, et c’est pour obtenir son amour qu’il est accouru de l’abbaye de Saint-Maixent. Ne pouvant réussir à faire partager son amour, il va consommer par la violence, dans la chambre même du vieillard, le déshonneur de Jeanne, lorsque le vieux Guy, retrouvant quelque force à la vue du crime qui va se commettre, se lève sur son séant, et repousse de sa main froide et décharnée son fils Ambroise, en prononçant sur lui sa malédiction. Le fils maudit quitte le château ; dans sa fuite il s’égare, et tombe dans un parti de routiers. Aveuglé par sa passion, il persuade aisément au capitaine Salazard de venir mettre le siége devant Barbezieux. Le château est pris ; pendant trois jours la ville est en proie au feu, au meurtre et au viol ; à la faveur de ce désordre, Ambroise enlève Jeanne Sanglier, et la transporte dans les souterrains de l’abbaye de Saint-Maixent. Cependant, Guy de la Roche, capitaine au service du roi, fils naturel du vieux Guy, revient à Barbezieux, et, pour venger la mort de son père et le sac de la ville, il appelle aux armes les gens de la tauperie, qu’on appela plus tard francs-taupins, et les engage dans une guerre acharnée contre les routiers. Le roman s’achève dans les luttes de cette guerre, et dans les efforts de Guy de la Roche pour retrouver et venger sa sœur naturelle, Jeanne Sanglier. Dans ce livre, l’auteur fait passer sous nos yeux tous les personnages marquants de cette époque : Agnès Sorel, les ducs de Bourbon et d’Orléans, Bernard d’Armagnac, le connétable de Richemont, Dunois, la Trémouille, Xaintraille, la Hire et autres.

LE BON VIEUX TEMPS, 2 vol. in-8, 1835. — Le Bon vieux Temps est un recueil composé de dix nouvelles, dont l’une, intitulée la Servante, occupe un volume presque tout entier, et a le tort, ainsi qu’une autre appelée la Pipée, d’être un peu trop égrillarde. Dans la Servante, les détails un peu trop libres sont compensés par une assez bonne étude du caractère de Rabelais. Les huit contes qui, avec la Pipée et la Servante, complètent la galerie du bibliophile, sont de petits tableaux d’un dessin correct et vrai, où le vieux temps est reproduit avec assez de grâce et de fidélité.

UNE FEMME MALHEUREUSE, 2 vol. in-8, 1836. — L’auteur a voulu donner dans ce roman une histoire complète de la femme, considérée dans les quatre conditions de la vie : fille, femme, amante, mère. Cécile Rolland a été placée dans un pensionnat, dont la maîtresse loge son fils unique, Albert, jeune homme de vingt-trois ans, profond mathématicien, qui fait tourner la tête à toutes les jeunes filles. Cécile en devient amoureuse, mais Albert, toujours plongé dans les espaces problématiques, ne remarque pas les attentions charmantes dont il est l’objet. Cécile prend l’initiative et lui déclare sa passion, à laquelle Albert répond par la plus froide indifférence. Cécile quitte sa pension ; son père veut la marier à un intrigant italien ; mais elle le refuse, et son père finit par la laisser maîtresse de ses volontés. Afin de présenter Albert à ses parents, Cécile donne un bal à ses amies de pension, et réitère ses attaques sur le cœur d’Albert. Celui-ci, qui voyait dans Cécile un excellent parti, mais qui pensait que ce serait une femme bien dangereuse, n’était nullement pressé de s’expliquer. Ces lenteurs ne convenaient point à Cécile ; le lendemain du bal, à la pointe du jour, elle se rend chez Albert, se jette dans ses bras, et se livre à tous les excès d’une passion délirante. Albert résiste. Cécile sort le cœur navré, et veut mettre fin à sa malheureuse existence en se précipitant dans le canal Saint-Martin. Elle est heureusement sauvée par un jeune et brave jeune homme, qui lui prodigue ensuite les soins les plus empressés, et que Cécile épouse par reconnaissance. Cécile mariée est jalouse à l’excès de son mari ; un jour elle le rencontre donnant le bras à une dame qu’elle prend pour une rivale, et elle jette de l’eau-forte au visage de cette dame, qui n’est autre que sa mère… Ainsi finit le roman de M. Lacroix ; mais ce n’est que la première partie de l’œuvre ; l’auteur se propose, dans un prochain ouvrage, de nous montrer la femme malheureuse amante et mère. — Ce roman, où l’on trouve quelques belles pages, a le tort impardonnable d’être tout à fait invraisemblable. L’auteur le donne comme une étude de femme, et où donc, bon Dieu, a-t-il étudié de pareilles femmes ? Ce ne peut être que dans un temps bien étrange et dans un monde bien singulier, dont ce que nous connaissons ne nous donne aucune idée.

Nous connaissons encore de M. P. Lacroix : *Mémoires du cardinal Dubois, 4 vol. in-8, 1829. — *Mémoires de Gabrielle d’Estrées, 4 vol. in-8, 1829. — Le Couvent de Baïano, in-8, 1829. — Le Roi des Ribauds, 2 vol. in-8, 1831. — Un Divorce, in-8, 1831. — Contes du bibliophile Jacob à ses petits-enfants, 2 vol. in-12, 1831. — Vertu et Tempérament, 2 vol. in-8, 1832. — Convalescence du vieux Conteur, in-12, 1832. — La Perle, choix de morceaux en vers et en prose, in-18, 1832. — Quand j’étais jeune, 2 vol. in-8, 1833. — Médianoches, 2 vol. in-8, 1835. — La Folle d’Orléans, 2 vol. in-8, 1835. — Mon grand Fauteuil, 2 vol. in-8, 1836. — Pignerol, 2 vol. in-8, 1836. — L’Homme au masque de fer, in-8, 1836. — Les Adieux des fées, in-12, 1836. — Promenades dans le vieux Paris, in-12, 1836. — Suite de la Convalescence du vieux Conteur, in-12, 1836, ou in-8, 1837. — De près et de loin, roman conjugal, 2 vol. in-8, 1837.