Revue des Romans/Marin Le Roy de Gomberville

Revue des romans.
Recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers.
Contenant 1100 analyses raisonnées, faisant connaître avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénoûment de chaque roman.
1839
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GOMBERVILLE (le Roy de).


POLIXANDRE, 5 vol. petit in-8, 1637. — Ce roman est d’un excès de folie si curieux, qu’il donne le courage de le lire, à la vérité un peu légèrement. La princesse, héroïne de ce terrible ouvrage, est une certaine Alcidiane qui est bien la plus extraordinaire créature que l’on ait jamais imaginée. Elle est aimée de tous les monarques du monde, et il lui vient des ambassadeurs de tous les coins de l’univers pour la demander en mariage. Ceux qui ne peuvent pas y prétendre se contentent de se déclarer ses chevaliers à cinq ou six cents lieues d’elle, rompent des lances en son honneur, et s’abstiennent de regarder aucune femme au monde après avoir vu le portrait d’Alcidiane. La princesse est très-offensée de cette espèce d’hommage, et trouve très-mauvais que le grand kan des Tartares, et le roi de Cachemire, et le sultan des Indes, aient la hardiesse d’être amoureux d’elle, quoique d’un peu loin. Enfin, aimer Alcidiane, même à mille lieues, est un crime digne de mort, excepté pour Polixandre, le héros du roman, à qui seul elle a permis de l’aimer, parce qu’après tout il faut bien faire grâce à quelqu’un. En qualité de son chevalier, elle le dépêche dans toutes les cours pour châtier les insolents qui osent se déclarer ses soupirants sans sa permission. Polixandre fait ainsi le tour du monde, défiant tout ce qu’il rencontre ; et quand il a tué l’un, blessé l’autre, détrôné celui-ci, fait celui-là prisonnier, et tiré paroles de tous qu’ils n’oseront plus se dire amoureux d’Alcidiane, il revient auprès de sa belle, qui daigne l’honorer d’un regard, mais qui ne peut encore s’accoutumer que longtemps après à l’idée d’épouser un homme après en avoir fait tant tuer. Lui-même ne le conçoit pas plus qu’elle ; et lorsque enfin il est marié, il a toutes les peines du monde à se persuader qu’un mortel puisse être l’heureux époux d’Alcidiane, et que cet époux ce soit lui. La tête lui tourne lorsqu’il faut monter à l’appartement de sa femme ; il lui faut deux écuyers pour le soutenir dans l’escalier ; il est prêt à tomber à chaque marche, et le roman est fini que l’on n’est pas encore bien assuré de sa vie. — Madame de Gomez a donné une suite à ce roman, en 3 vol. in-12.