Revue des Romans/Marianne Alcoforado

Revue des Romans,
recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers.
contenant 1100 analyses raisonnées, faisant connaitre avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénoûment de chaque roman.
1839
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ALCAFORADA (Marianne), religieuse portugaise.


LETTRES PORTUGAISES, traduites en français, par Guilleragues, ambassadeur, 1669. Nouvelle édition in-12 conforme à la première, avec une notice biographique sur ces Lettres, et un texte portugais, par don J. Mar. Souza, in-12, 1824. M. de Souza n’a admis dans cette édition, comme dans la première, que cinq lettres, qui sont les seules véritables ; sept autres lettres, qu’on trouve dans les éditions ordinaires, sont absolument supposées, ainsi que les prétendues réponses qu’on y a faites. — Ces Lettres, écrites par l’amante la plus passionnée et la plus malheureuse, manquent souvent de naturel et de correction. Cependant telle est la vérité, la chaleur des sentiments dont elles sont remplies, qu’il est impossible de douter qu’elles n’aient été écrites par une amante malheureuse, et qu’en les lisant on ne suppose pas un seul instant que des choses si tendres, si délicates, dites avec tant de négligence et d’abandon, aient pu sortir de l’imagination d’un auteur, quelque ingénieux qu’on puisse se le figurer.

Chamilly, qui devint ensuite maréchal de France après s’être signalé par la belle défense de Grave contre le prince d’Orange, passa en Portugal vers l’année 1663, et y devint amoureux de la jeune et belle chanoinesse Alcaforada, à laquelle il inspira la plus tendre et la plus vive passion. Cette âme naïve, que l’amour avait si profondément pénétrée, est cruellement trompée par Chamilly, qui l’abandonne pour retourner en France. Les deux amants devaient s’écrire pendant leur absence ; un temps assez long s’écoule, et Marianne ne reçoit rien de celui auquel elle a voué toutes ses affections ; les soupçons les plus cruels viennent déchirer cette âme sensible ; ses yeux se dessillent lentement ; mais enfin une lumière affreuse pénètre par degrés au fond de son cœur ; elle s’écrie alors : « Vous m’avez trompée ; votre bouche, vos caresses, vos regards étaient menteurs ; vous ne m’avez jamais aimée ! » Que fait cependant l’indigne Chamilly ? Il se distrait du souvenir de l’infortuné. Il lui écrit enfin pour lui parler d’amitié, de reconnaissance ; toutes ses démarches sont pleines de réserve, de froideur. Alors, trop sûre de son inconstance, cette Marianne si tendre, si généreuse, se livre tout entière aux transports de sa passion, au plus violent désespoir, et ses lettres peignent le désordre et les déchirements de son âme. Depuis la première ligne jusqu’à la dernière, elles sont l’expression de l’amour le plus vrai, le plus passionné ; pleines d’une éloquence douce, naïve, pénétrante, abondante en sentiments simples et profonds, en expressions de l’âme, elles attachent, elles charment, elles portent au fond du cœur une émotion triste et voluptueuse ; et quand la lecture en est achevée, on se plaît à y revenir. Dès la première lettre, l’âme noble et généreuse de Marianne se dévoile tout entière. Dès que son amant l’a quittée, accablée de son absence, elle n’est plus alors sensible qu’aux douleurs ; les souvenirs d’une félicité passée se changent en amertume, et sa jeunesse se flétrit au sein des larmes. Cependant elle se flatte encore de la tendresse de son amant, elle espère dans la générosité de son cœur, elle n’ose croire qu’il l’aurait oubliée ; trompée dans toutes ses espérances, elle ne saurait y renoncer ; désabusée mille fois, elle cherche à s’abuser encore ; elle espère du moins parvenir à régler sa passion, à oublier l’ingrat qui l’oublie, à cicatriser les blessures d’une âme trop tendre et navrée de toutes parts. Inutiles projets, aussitôt abandonnés que conçus ! Elle retombe à l’instant dans toute sa faiblesse ; elle s’irrite, elle se révolte contre elle-même ; mais sa colère devient par degrés gémissante, et ses efforts pénibles et vains ne servent qu’à montrer la violence d’un feu que rien ne peut éteindre. Lors même qu’elle a acquis la preuve de l’inconstance de son amant, elle s’efforce de n’en rien croire ; elle en repousse l’affreuse idée. Mais quand enfin cet amant lui-même avoue son crime, quand d’une voie indifférente il ose lui proposer l’hommage d’une offensante amitié, quand elle voit pour jamais tant de confiance trahie, tant d’amour payé d’ingratitude, et qu’il ne lui reste plus même dans son malheur le pouvoir de le dissimuler encore, alors, tout entière à son désespoir, elle voit sa santé, sa raison même altérées ; et, la mort dans le cœur, elle adresse pour la dernière fois à l’ingrat qui l’a trahie, des reproches terribles et trop mérités. — Nous ne savons si beaucoup de lecteurs partageront l’émotion profonde que nous a causée la lecture de ces lettres, mais nous osons assurer ceux qui connurent l’amour, l’amour brûlant, passionné, ses révolutions, son trouble, ses ravages, qu’ils trouveront dans ce recueil la douce et naïve peinture de ce qu’ils ont éprouvé et senti.