Revue des Romans/Jonathan Swift

Revue des Romans,
recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers.
contenant 1100 analyses raisonnées, faisant connaitre avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénoûment de chaque roman.
1839
◄  Surr Tarbé des Sablons  ►


SWIFT (Jonathan), littérateur anglais,
né à Dublin le 3 novembre 1667, mort le 30 octobre 1745.



VOYAGES DU CAPITAINE LAM. GULLIVER EN DIFFÉRENTS PAYS ÉLOIGNÉS, traduit par l’abbé Guyot Desfontaines, 2 vol. in-12, 1727. – Considéré comme une œuvre de pure imagination, cet ouvrage a tant de charmes, et on le lit si souvent comme tel, qu’une bibliothèque de romans passerait pour incomplète si l’on n’y trouvait pas les Voyages de Gulliver. Ce livre eut un succès prodigieux lors de sa publication ; jamais, peut-être, ouvrage n’eut autant d’attrait pour toutes les classes de la société : les lecteurs du grand monde y trouvaient une satire personnelle et politique ; le vulgaire, des incidents bas et grossiers ; les amis du romanesque, du merveilleux ; les jeunes gens, de l’esprit ; les hommes graves, des leçons de morale et de politique ; la vieillesse négligée et l’ambition déçue, des maximes de misanthropie sombre et amère. – Le plan de la satire varie dans ses différentes parties. Le voyage à Lilliput est une allusion à la cour et à la politique de l’Angleterre : sir Robert Walpole est peint dans le caractère du premier ministre Flimnap ; les factions des torys et des whigs sont désignées par les factions des talons hauts et des talons plats ; les petits-boutiens et les gros-boutiens sont les papistes et les protestants. Le prince de Galles, qui traitait également bien les whigs et les torys, rit de bon cœur de la condescendance de l’héritier présomptif, qui portait un talon haut et un talon plat. Blefuscu est la France, où l’ingratitude de la cour lilliputienne force Gulliver à venir chercher un asile, pour ne pas avoir les yeux crevés : allusion à l’ingratitude de la cour d’Angleterre envers Ormond et Bolingbroke, qui furent obligés de se réfugier en France. Les personnes qui connaissent l’histoire secrète du règne de Georges Ier, saisiront facilement les autres allusions. — Dans le voyage à Brobdingnag, la satire est d’une application plus générale, et il est difficile d’y rien trouver qui se rapporte aux événements politiques et aux ministres du temps ; c’est un jugement des actions et des sentiments des hommes porté par des êtres d’une force immense, et en même temps d’un caractère froid, réfléchi et philosophique. Le monarque de ces fils d’Anack est la personnification d’un roi patriote, indifférent à ce qui est curieux, froid pour ce qui est beau, et ne prenant intérêt qu’à ce qui concerne l’utilité générale et le bien public. – Dans le voyage à Laputa, on trouve quelques allusions aux philosophes les plus distingués du temps ; mais la satire est plutôt dirigée contre l’abus de la philosophie que contre la science elle-même. – Le voyage chez les Houyhnhnms est une diatribe sévère contre la nature humaine, inspirée par l’indignation que Swift éprouvait pour le gouvernement de l’Irlande. Vivant dans ce pays qu’il détestait, où il voyait l’espèce humaine divisée en petits tyrans et en esclaves opprimés ; idolâtre de la liberté et de l’indépendance qu’il voyait chaque jour foulées aux pieds, l’énergie de ses sentiments n’étant plus contenue, lui fit prendre en horreur une race capable de commettre et de souffrir de telles iniquités. Cette quatrième partie des Voyages de Gulliver est de beaucoup inférieure aux trois autres.

La réputation des Voyages de Gulliver se répandit promptement en Europe. Voltaire, qui se trouvait alors en Angleterre, en fit l’éloge à ses amis de France, et leur recommanda de les faire traduire. L’abbé Desfontaines entreprit d’en faire une version, et depuis lui on en a fait plusieurs traductions. On a aussi publié en Angleterre une continuation et une imitation des Voyages de Gulliver, ainsi que des parodies, des clefs et des critiques : tout cela est oublié depuis longtemps ; mais le chef-d’œuvre de Swift est resté, et d’années à autres on en publie de nouvelles éditions.

LE CONTE DU TONNEAU, traduit par Van Effen, 8 vol. in-12, fig. La Haye, 1786. — Le conte du Tonneau est un roman satirique et allégorique, contre les trois principales communions qu’il y a dans la religion chrétienne. Sous les noms de Pierre, de Martin et de Jean, qui sont les trois héros du livre, il faut entendre l’Église catholique, dont saint Pierre a été le premier chef visible ; par Martin, l’auteur entend la religion protestante, dont Martin Luther a été le promoteur ; Jean représente les réformés, dont Jean Calvin a été le chef. Le frontispice de ce volume représente le théâtre d’arlequin, la chaire d’un ministre, et l’échelle d’un pendu qui harangue la populace pour la dernière fois.