Revue des Romans/Jean-Pons-Guillaume Viennet

Revue des romans.
Recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers.
Contenant 1100 analyses raisonnées, faisant connaître avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénoûment de chaque roman.
1839
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VIENNET, poëte et romancier contemporain.


LA TOUR DE MONTLHÉRY, histoire du XIIe siècle, 2 vol. in-8. — Suger, Louis le Gros, Bertrade, son odieuse marâtre, Héloïse, plusieurs barons, défenseurs plus ou moins fidèles de la royauté qui cherche à se développer, ou ennemis jaloux de l’habile comte de Paris, tels sont les personnages qui figurent dans ce roman, où l’auteur a encore groupé quelques figures de convention. Au moment où commence l’action, Hugues de Cressy est seigneur de la forteresse de Montlhéry, en vertu d’une usurpation, et oppose le fait de la possession aux droits légitimes de Milon, qui est demeuré fidèle au roi, tandis que l’usurpateur déploie sa bannière parmi celles des autres barons rebelles. Milon aime Luciane, fille d’Amaury de Montfort, et en est aimé ; mais Amaury donne sa fille au comte Hugues de Cressy. Au moment où le mariage va se célébrer, Luciane réussit à s’échapper, et laisse en sa place une de ses suivantes, Bathyle, que le tyran de Montlhéry conduit à l’autel le visage caché sous le voile nuptial. La méprise est découverte. Milon, furieux, mais craignant les railleries de la joyeuse noblesse de France, épargne les jours de Bathyle, à condition qu’elle alléguera un vœu de religion pour garder son voile, jusqu’à ce qu’il ait retrouvé sa fiancée. Cette ardente poursuite, aiguillonnée par l’amour, par la honte et par la colère, forme le nœud et amène tous les incidents du drame. Luciane s’est réfugiée auprès de Suger ; pour la reconquérir, Hugues prend une part active à tous les actes de rébellion que détermine la ligue des seigneurs contre le roi. Une des situations les plus touchantes est celle de Bathyle, emprisonnée dans Montlhéry ; Hugues l’aimait avant ce mariage forcé, et l’avait obtenue par séduction ; dans quelques mois elle va le rendre père. Le comte de Cressy revient à elle un moment, épris qu’il est de sa beauté ; mais sa maîtresse, qui tout en l’aimant rougit d’être unie à lui malgré lui, est blessée d’un retour de tendresse qui prouve seulement qu’elle est belle et que Luciane est sa rivale : c’est une existence manquée que l’amour a faite et qu’il doit défaire.

LE CHÂTEAU SAINT-ANGE, 2 vol. in-8, 1834. — Le sujet de ce roman est un des plus intéressants qu’offre l’histoire. On est à Rome à la fin du XVe siècle, sur cette terre souillée par les Borgia. Les principaux personnages du livre sont le pape Alexandre VI, le cardinal César, Lucrèce, Charles, roi de France, et le sultan Zizim. Tout le monde sait que ce prince, dépossédé du trône par son frère Bajazet II, se réfugia en Europe et y mourut. Les amours de Zizim sont la partie fabuleuse du roman ; ce qui en fait le fond historique, c’est la fin malheureuse du prince turc, ce sont les débordements de Lucrèce, c’est la lutte sanglante de César Borgia contre les grands, c’est enfin l’entrée de Charles VIII en Italie, comme pour y dévoiler tous les scandales et tous les forfaits de l’Église. Ce sujet est beau, mais l’exécution est loin de répondre à la grandeur du plan. Le roman est généralement froid et compassé ; on n’y remarque aucune de ces hautes pensées qui éclairent l’histoire, aucun de ces élans d’imagination et de sensibilité qui emportent la pensée et qui remuent le cœur.