Revue des Romans/Gabrielle de Paran

Revue des Romans.
Recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers.
Contenant 1100 analyses raisonnées, faisant connaître avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénoûment de chaque roman.
1839
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PABAN (Mlle Gabrielle), née à Lyon le 22 février 1793.


JANE SHORE, 2 vol. in-12, 1824 (publié sous le pseudonyme de Marie d’Heures). — L’histoire de Jane Shore occupe à peine vingt lignes dans les vieilles chroniques, et les événements dont se compose sa vie étaient à peine connus, lorsque le poëte Rowe les amplifia, et prit dans une vieille ballade la marche et le dénoûment de sa pièce. Depuis le succès de Rowe, de modernes historiens s’occupèrent de Jane, discutèrent beaucoup, et on découvrit peu de choses. Cependant, il est un point sur lequel tout le monde est d’accord ; c’est l’extrême beauté de Jane et ses aimables qualités. Dans la tragédie de Rowe, Jane meurt de faim et de douleur, deux ou trois jours après la pénitence publique à laquelle la condamna le cruel Richard III, successeur d’Édouard. Beaucoup d’historiens prétendent, au contraire, qu’elle survécut longtemps à ses malheurs ; c’est cette dernière version qu’a suivie l’auteur du roman. — La première entrevue de Jane et d’Édouard a lieu à la campagne. La jeune épouse du joaillier Shore rencontre Édouard déguisé en chasseur sous les murs de son parc ; elle est loin de se douter que le beau chasseur est un prince ; aussi Édouard ne se fait-il aimer qu’en cachant son rang. Mais quel est l’étonnement de Jane, lorsque, de retour à Londres, elle assiste à l’entrée solennelle du roi, et qu’elle reconnaît son jeune ami dans la personne du monarque. La scène où Jane, séduite par son cœur, cède aux vœux du prince, et abandonne pour lui la maison de son vieil époux, rappelle, sans la copier, celle où Louis XIV triomphe à Chaillot des scrupules de la tendre la Vallière, et l’entraîne avec lui à la cour. Cependant, les événements s’accomplissent ; le roi meurt, la favorite est proscrite, dépouillée, persécutée, puis oubliée. De nouvelles grandeurs s’élèvent et tombent ; d’autres pouvoirs succèdent à ceux qui avaient persécuté Jane ; enfin, quarante années s’étaient écoulées depuis la mort d’Édouard, lorsque un jour lord Henri Dorset, fils d’un des plus ardents défenseurs de Jane, conduisant sa nouvelle épouse dans une terre charmante, autrefois la propriété de l’infortunée favorite, et qui, de confiscation en confiscation, était tombée dans la famille du lord, aperçut, en traversant un village, un groupe de paysans rassemblés autour d’un chanteur public, qui psalmodiait la ballade composée jadis sur les malheurs de Jane Shore. La jeune lady fit arrêter son élégante voiture devant ce groupe, et remarqua bientôt qu’une vieille femme couverte de haillons, et qui était près de là à cueillir des herbes dans un champ, parut émue au second couplet, et tomba évanouie au troisième. Soudain son intérêt s’éveille ; elle s’approche de la vieille, la fait mettre dans sa voiture, et obtient de son mari qu’elle sera reçue au château. L’infortunée, déposée dans une élégante chambre à coucher, est longtemps à reprendre ses sens ; elle ouvre enfin les yeux, les fixe avec étonnement sur un portrait qui décorait la chambre, et qui représente une femme en grande parure, dans tout l’éclat de la jeunesse et de la beauté. « Ô Dieu ! s’écria la vieille, ce portrait, cette chambre, quels souvenirs ! Cette maison fut donc la mienne ! … » Ces exclamations furent entendues. L’infortunée Jane, car c’était elle, ne put cacher son nom et sa misère ; lord Dorset se trouva heureux d’accueillir l’ancienne amie de son père, et de lui donner l’hospitalité. Dès lors Jane vécut paisible et honorée ; car on avait oublié sa faiblesse, et non ses vertus. — Peu de personnages secondaires sont groupés autour de Jane Shore et de son royal amant ; lord Hastings, Alicia et l’orfévre Shore ne jouent dans le roman que des rôles secondaires.

Nous connaissons encore de cet auteur : Le Nègre et la Créole, 3 vol. in-12, 1825.