Revue des Romans/Adel. de Cueüllet

Revue des Romans.
Recueil d’analyses raisonnées des productions remarquables des plus célèbres romanciers français et étrangers.
Contenant 1100 analyses raisonnées, faisant connaître avec assez d’étendue pour en donner une idée exacte, le sujet, les personnages, l’intrigue et le dénoûment de chaque roman.
1839
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CUELLET (Mlle Adèle).


LE VOILE, ou Valentine d’Alté, 3 vol. in-12, 1813. — Le Voile est un de ces romans qu’une femme seule pouvait écrire, et dont une analyse ne peut donner qu’une idée très-imparfaite. La jeune et belle marquise d’Alté, veuve d’un mari joueur, qui l’a laissée dans la misère, habite à Montpellier la maison du docteur Dacy, doyen de la faculté de médecine de cette ville. Un jeune et bel Anglais, lord Cherbury, arrive dans la même maison, mourant des suites d’une passion malheureuse. Le lait de femme est le seul remède qui puisse le rappeler à la vie. Mme d’Alté, qui est veuve depuis quelques mois seulement, est accouchée d’un fils peu de temps après la mort de son mari, et ce fils lui-même vient de mourir. Mme d’Alté n’a rien au monde que des dettes ; elle ne subsiste que de ce que ses amies lui font accepter, et sa délicatesse en souffre infiniment. Que les lecteurs rapprochent, qu’ils pèsent ces circonstances, et qu’ils essayent de deviner la proposition que le docteur Dacy fait à la marquise. Cette proposition la révolte, et elle la rejette bien loin ; mais le docteur, homme très-positif, combat par d’excellents arguments cette résistance ; la marquise cède, et, sous un déguisement, est installée nourrice de lord Cherbury, mais à condition qu’elle aura toujours un voile sur sa figure. On s’attache aux personnes par le bien qu’on leur fait, autant et quelquefois plus que par le bien qu’on reçoit d’elles. Tandis que lord Cherbury n’éprouve encore que de la reconnaissance pour la jeune femme qui lui rend la vie et la santé, celle-ci conçoit pour l’homme qu’elle sauve de la mort un sentiment plus vif et plus tendre : il est vrai qu’elle le voit, tandis que lui il ne la voit pas, ou du moins ne voit pas son visage. Mais ici l’action se complique, et Mme d’Alté va faire un second personnage. Le matin, l’humble nourrice, sous son voile, vient allaiter son cher nourrisson ; et le soir, la belle marquise, à visage découvert, reçoit chez elle lord Cherbury, qui bientôt l’aime autant qu’il est aimé d’elle. Après beaucoup d’incidents et de traverses, dont il est juste de laisser le plaisir à ceux qui liront l’ouvrage, le Voile tombe, et lord Cherbury est enchanté d’épouser à la fois sa nourrice et sa maîtresse. — La situation singulière qui sert de base à tout le roman, est traitée avec cette délicatesse qui appartient aux femmes, et qui est pour elles un sûr moyen de plaire. Ce voile, qui a donné son nom au roman, sauve et embellit tout ; il est à la fois décent et mystérieux ; il s’étend sur l’ouvrage comme sur la figure de l’héroïne.

Nous connaissons encore de Mlle Cuellet : Le Stratagème, ou le Château de Montyvon.