Revue de métaphysique et de morale/1908/Supplément 6

REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE


SUPPLÉMENT
Ce supplément ne doit pas être détaché pour la reliure.
(No DE NOVEMBRE 1908)



NÉCROLOGIE


Frédéric Paulsen.
(1840-1908.)

La mort de Fr. Paulsen, professeur à l’Université de Berlin, vient d’enlever à la philosophie allemande un de ses représentants les plus distingués. Esprit clair, élégant et souple plus que vigoureux et original, Paulsen était moins propre à renouveler les problèmes et les solutions philosophiques qu’à dégager des grandes doctrines classiques ce qu’elles gardent d’essentiel et ce qui leur donne le droit d’être enseignées. Ses préoccupations pédagogiques lui firent écrire un ouvrage considérable, précieux à consulter, sur l’histoire de l’enseignement dans les écoles et les universités allemandes de la fin du moyen âge jusqu’à nos jours. Elles le portèrent aussi à publier — donnant ainsi un exemple qui a été fort suivi en Allemagne — une Einleitung in die Philosophie, plusieurs fois rééditée et traduite en diverses langues, sorte de manuel supérieur destiné à préparer les étudiants ainsi que le grand public à l’intelligence des principales questions et des principaux concepts philosophiques. Son Système de morale, que M. Ruyssen a fait connaître jadis aux lecteurs de cette Revue, reste encore, dans ses grands traits, un livre de professeur ; il vaut par un effort pour suivre dans leur application aux problèmes suscités par l’évolution de la vie privée, de la vie domestique et de la vie sociale les principes généraux exposés et défendus en tête. Quant à ces principes mêmes, ce sont ceux de l’ « énergisme » tel que l’ont défendu sous diverses formes Hobbes, Spinoza, Shaftesbury, Leibniz, Wolff, par opposition à l’ « hédonisme » ; ce sont aussi ceux des doctrines « téléologiques » par opposition au formalisme kantien, trop désintéressé de la répercussion de nos actes sur l’existence de l’homme en société et sur la nature des rapports sociaux. — Dans le fond, cependant, tout en faisant sur la morale kantienne comme ailleurs sur la théorie kantienne de la connaissance d’assez grandes réserves, Paulsen restait animé de l’esprit de Kant, bien manifeste dans sa façon de combattre à la fois le naturalisme et le cléricalisme, dans son adhésion très ferme à la distinction de la science et de la croyance. De bonne heure il avait écrit sous le titre : Ce que Kant peut être pour nous, un article qui marquait nettement la direction de sa pensée dans ce sens-là. Son Essai d’une histoire du développement de la théorie kantienne de la connaissance est un travail précis et bien ordonné, qui sur un point important, à savoir l’époque et la nature de l’influence de Hume en combattant l’opinion traditionnelle, a provoqué des controverses utiles et de nouvelles recherches. Enfin son ouvrage d’ensemble sur Kant, qui fait partie de la collection « Fromanns Klassiker », se recommande par la simplicité élégante de l’exposition : pour avoir dans ce travail fait prédominer le Kant métaphysicien sur le Kant critique, l’auteur eut à subir, de la part de kantiens allemands qui se jugeaient eux-mêmes de plus sûrs dépositaires de la pensée du maître, des attaques d’une violence inouïe, auxquelles il répondit par quelques arguments, et surtout avec beaucoup de dignité.


LIVRES NOUVEAUX

La philosophie religieuse de Charles Renouvier, par André Arnal, 1 vol. in-4 de 335 p., Fischbacher, 1907 – Cet exposé, écrit du point de vue du protestantisme orthodoxe, est consciencieux et judicieux. On peut lui reprocher — outre sa forme bien compacte, indigeste et obscure par endroits — d’être à la fois long et incomplet. Que l’auteur, ayant spécialement en vue la philosophie religieuse de Renouvier, n’ait rien dit de sa table des catégories par exemple, on peut à la rigueur se l’expliquer : mais qu’il ait cru pouvoir passer totalement sous silence sa morale, cela a l’air d’une gageure. Il était inévitable, dès lors que M. Arnal méconnût les raisons profondes qui séparent jusqu’au bout, malgré tant et de si éclatantes ressemblances, la pensée de Renouvier, non seulement du catholicisme, mais même du christianisme en général : c’est que Renouvier reste fermement rationaliste en matière de pratique, et que sa morale est par essence la morale de la justice et du droit, défiante irréductiblement à l’égard de toute doctrine d’amour pur, de complet renoncement et de sacrifice. — On peut regretter de même que M. Arnal se soit contenté de chercher dans le personnalisme néo-criticiste une confirmation ou un appui pour l’apologétique protestante, tout heureux d’établir même que sur les points où il y a désaccord, les thèses de la théologie classique sont aussi plausibles que celles du philosophe : on eût aimé à le voir critiquer son auteur d’un point de vue plus intérieur et plus profond. La portée de son livre eût été sans doute singulièrement accrue s’il nous eût montré dans le Renouviérisme la lutte d’un rationalisme vivace et de toutes sortes de tendances déjà pragmatistes ; il se fût expliqué par là ce qui l’a si fort étonné, la répugnance de son auteur à admettre le miracle, alors que, comme il le remarque avec raison, l’intervention de la libre volonté divine dans le cours des phénomènes naturels n’eût fait que correspondre très logiquement à l’intervention de la libre volonté humaine dans le cours des phénomènes historiques.

Éléments de morale sociale (classe de 3e), par L. Appuhn, 1 vol. in-16, xvi-227 p. Paris, Juven, 1908. — Ce petit livre est la suite des Lectures de morale personnelle parues en 1906. Bien que l’auteur soit toujours animé de la même préoccupation – se tenir aussi près que possible des faits et de la vie, — il y a ici, par la nature même des choses, moins d’histoires et plus de principes, un peu moins d’épisodes inattendus et un peu plus de construction systématique. On regrette pourtant que la systématisation n’en soit pas encore assez serrée et que l’auteur n’ait pas essayé de relier par une idée dominante — celle de la solidarité, par exemple, inscrite en tête du programme officiel – toute cette suite de considérations sur les conditions générales de la vie sociale et sur les diverses formes de l’association humaine. Il semble bien que les enfants, et aussi les hommes, ne comprennent véritablement et ne retiennent que ce qui est lié. Un peu plus de soin à poser et à éclaircir d’abord quelques principes très simples et très généraux aurait singulièrement accru la clarté et l’efficacité pratique des idées si judicieuses, si humaines sans déclamation, si démocratiques sans affectation, que M. Appuhn expose au cours de cet excellent petit livre.

Pour le fond, parmi tant de bons conseils donnés d’un ton si juste, on regrette quelque indécision dans la conception que M. Appuhn se fait de la justice. Il semble d’abord la concevoir comme l’ensemble des conditions du maintien de la société et d’une collaboration efficace entre les hommes : c’est à ce titre qu’il parait nécessaire de vouloir l’égalité et la liberté des citoyens. Mais d’autre part la société ne lui parait acceptable à la conscience que si elle est telle que la personne s’y puisse développer librement et dans sa plénitude. De sorte qu’il semble tour à tour définir la justice en fonction de la société dont elle serait la conditions et définir la société en fonction de la justice qui en serait la fin.

Leçons de logique et de morale (Classe d’Elémentaire et Saint-Cyr), par R. Hourtigq. 1 vol. in-12 de 320 p. Paris, Paulin. — On ne peut que louer la clarté et la précision de ces leçons. Bien qu’elles soient parfois un peu succinctes, l’ensemble fait un livre commode et qui rendra des services.

Toutefois on peut regretter, en ce qui concerne la logique, que le souci de la simplicité et de la clarté ait conduit M Hourticq à découper la théorie de la méthode expérimentale en menus morceaux — observation, expérimentation, classification, induction, hypothèse, etc., – dont on voit mal comment ils se raccordent. L’unité de la méthode s’évanouit. Et surtout ce qui devient peu intelligible, c’est la nature de l’induction qui semble posée là comme une opération, spéciale — singulièrement placée entre la classification et l’hypothèse — alors qu’elle n’est que le mouvement général de l’esprit dont toutes les autres opérations sont les degrés successifs.

Les leçons de morale pratique sont tout particulièrement intéressantes, car M Hourticq s’y est efforcé de sortir des généralités édifiantes et de saisir le réel dans sa riche complexité, pour y adapter ses conseils. On n’en regrette que plus vivement qu’en sa morale théorique M. Hourticq n’ait pas su prendre plus nettement parti entre les tendances qui divisent les moralistes. Il paraît hésiter au début entre la morale rationnelle qu’il déclare insuffisante et la morale sociologique de son maître, M. Durkheim. Finalement c’est le rationalisme qu’il affirme : la morale née d’un effort spontané de la volonté raisonnable pour se discipliner. Est-ce faire des concessions à la morale sociologique que d’accorder que l’homme se développant dans la société, il doit vouloir la discipline sociale, ou que la perfection individuelle et le progrès de l’humanité sont deux aspects d’un même idéal et doivent être voulus au même titre par la volonté raisonnable ?

Kant ne le nierait point si même il ne l’affirme expressément. Pourquoi donc, s’il veut être, au fond, purement kantien, M. Hourticq ne le dit-il pas plus nettement et hardiment en résistant aux tentations du sociologisme ? Il faut bien dire non, même aux maîtres le plus vénérés.

Philosophie zoologique ou exposition des considérations relatives à l’histoire naturelle des animaux, par Lamarck. 1 vol. in-8 de xlii-316 p. Paris, Schleicher. — Il convient de signaler cette réimpression d’un ouvrage capital dont les diverses éditions anciennes sont depuis longtemps épuisées. La nouvelle édition fait partie d’une collection qui comprend déjà des œuvres de Büchner, de Hæckel, et prétend former une sorte d’encyclopédie « rationaliste », lisons : matérialiste. Nous craignons que l’œuvre de Lamarck ne soit moins édifiante, dans le sens du matérialisme, que les directeurs de la collection ne le supposent peut-être. Lamarck n’a qu’une faible part dans la création du système matérialiste qui se réclame de lui. S’il a inspiré M. Le Dantec, il a inspiré non moins directement le panoesthétisme de Cope, et ce qu’il a dit de la souplesse presque indéfinie des organismes à s’adapter aux conditions nouvelles satisfait assez un vitaliste comme Driesch (Cf. The science and philosophy of the organism, p. 271 sq.)

Sociologie de l’action, par E. de Roberty, 1 vol. in-8 de xi-352 p., Paris, Alcan, 1908. — On ne peut nier les progrès vers la clarté qu’ont accomplis, depuis ses premiers ouvrages, les idées de M. de Roberty. Pourtant, elles seraient non seulement plus répandues mais plus solides, si l’auteur, renonçant à sa manière toute dialectique, consentait à leur donner un cortège d’ « illustrations » qui seraient des preuves. Mais tout espoir, à cet égard, nous est ravi : M. de Roberty (p. 348) refuse formellement de « s’amender ».

Essayons de dégager celles de ces idées qui, dans cet ouvrage où reparaissent tous les thèmes chers à l’auteur, sont adaptées au problème spécial qu’il voulait résoudre. L’action est le phénomène social le plus apparent : aussi est-ce à l’étude des actions humaines que s’arrêtent en général les sociologues. Ils expliquent les actions par d’autres actions par exemple par l’imitation ou par la contrainte. Mais ces explications demeurent superficielles. Comment rendre compte de l’incitation et de la contrainte elles-mêmes ? Nous n’imitons autrui que si l’acte pris comme modèle est conforme à nos goûts (facteur esthétique). Nos goûts, à leur tour, dérivent de notre conception générale des choses (facteur philosophique) qui résulte elle-même de l’expérience détaillée que nous en avons (facteur scientifique). Prenez n’importe quelle action psychologique (bio-sociale) ou historique (cosmo-bio-sociale) et vous retrouverez, derrière elle, ces trois facteurs dans un ordre irréversible. Ainsi, l’action a pour cause dernière la connaissance. « La sociologie est la science qui s’attache, à travers l’analyse des faits sociaux concrets, à l’étude du mouvement idéologique, des courants d’idées qui sillonnent l’histoire » (p. 259). On voit à quel point la théorie de M. de Roberty s’oppose aux diverses espèces de pragmatisme ou, comme il dit, d’ « activisme » qui sont de mode à l’heure présente.

C’est par la connaissance, en dernière analyse, que s’explique l’action. Mais deux remarques sont nécessaires : D’abord cette connaissance n’est pas la pensée individuelle. Elle est elle-même un produit social. Suivant une thèse souvent développée par l’auteur dans ses précédents ouvrages et reprise dans la première partie de sa Sociologie de l’action, la raison est fille de la cité ; on ne passe « de la conscience à la connaissance », du percept au concept que sous l’influence de la vie sociale ; la logique est le produit de l’expérience collective. La connaissance qui détermine faction sociale est donc elle-même sociale. Et elle varie suivant les progrès de la société. Rien n’est plus éloigné de la pensée de M. de Roberty qu’une explication du sociologique par le psychologique, puisque le psychologique ou bio-social est, à ses yeux, une résultante dont le sociologique n est qu’une des composantes.

En second lieu, la connaissance comprend deux moments : l’un analytique et hypothétique : la science, l’autre, la philosophie synthétique et apodictique (conditionnellement apodictique, dit l’auteur ; mais cette expression est contradictoire ; mieux vaudrait dire : dogmatique). Or, la science n’influe sur l’action que par l’intermédiaire de la philosophie. La connaissance analytique précéda nécessairement la connaissance synthétique et l’engendre non moins nécessairement. Ce n’est pas tout : pour agir, la pensée se fait symbolique ; l’art est un intermédiaire inévitable entre la philosophie et la pratique. L’art n’est ni un jeu ni un luxe : l’art est un facteur nécessaire de la conduite humaine. Si l’influence de la connaissance sur l’action n’apparaît pas à tous les yeux c’est qu’elle est voilée par ces deux « intermèdes » : la philosophie et l’art. C’est aussi que la conduite d’une époque est souvent dictée par l’art d’une époque précédente, que l’art d’un siècle exprime souvent les dogmes d’un siècle antérieur, qu’enfin la philosophie d’un temps est souvent en retard sur la science de ce temps. Cette « loi de retard » explique l’illusion du pragmatisme, et confirme la théorie de l’auteur.

Nous ne demandons pas mieux que d’accepter cette théorie et d’attribuer aux facteurs logiques une importance prépondérante dans l’interprétation des faits sociaux. Les hommes sont tous, à des degrés divers, comme le dit M. de Roberty, savants, philosophes et artistes : leurs connaissances particulières, plus ou moins confuses, déterminent leurs idées générales, plus ou moins vagues, qui s’expriment en symboles plus ou moins « plaisants « avant de dicter leur conduite plus ou moins morale. Mais cette réduction des actions humaines à un principe unique, outre qu’elle aurait besoin d’être prouvée par des arguments moins purement verbaux, ne dispenserait pas les sociologues, comme paraît le désirer M. de Roberty, de classer les phénomènes sociaux suivant leurs caractères extérieurs, de distinguer des faits économiques, politiques, etc., et rechercher les conditions immédiates de ces faits. Pour employer le langage de notre auteur, sa sociologie est une « philosophie » sociale, synthétique et dogmatique. Loin d’exclure, elle paraît supposer une « science » sociale, analytique et conjecturale, précise et modeste, mais que ces qualités recommandent aux esprits qu’effraient un peu les constructions intéressantes mais ambitieuses de M. de Roberty.

La Pensée moderne (de Luther à Leibniz), par Joseph Fabre, 1 vol. in-8 de 564 p., Paris, Alcan, 1908. — Ce volume fait suite à la Pensée antique et à la Pensée chrétienne du même auteur. L’ouvrage de M. Joseph Fabre nous paraît pouvoir être assez exactement apprécié d’un seul mot : c’est un travail d’amateur. Disons tout de suite que cette formule, dans notre pensée, n’a rien de méprisant ni d’hostile. Travail d’amateur, cela éveille l’idée d’un ouvrage dépourvu d’un vain amas d’érudition, écrit avec aisance et clarté, se lisant d’un bout à l’autre sans ennui. Et nous trouvons toutes ces qualités dans La Pensée moderne. L’ouvrage est divisé en huit livres : la Rénovation religieuse ;la Rénovation philosophique et scientifique ;Descartes ;Pascal ;les Penseurs français de Gassendi à Malebranche ;Spinoza ;les Penseurs anglais de Hobbes à Newton ;Leibniz. Si l’on réfléchit que ces huit livres réunis ne font même pas six cents pages, on verra tout de suite qu’il s’agit nécessairement d’un résumé. Rien de plus difficile à réussir qu’un bon résumé, surtout en de si complexes sujets. Or le résumé que nous offre M. Fabre est un peu trop superficiel ; il contient malheureusement des affirmations sans preuves, et même quelques inexactitudes historiques ; il n’est pas exempt de toute partialité. En voici des exemples qu’il nous est impossible de ne pas signaler. L’auteur n’aime pas le catholicisme ; c’est bien son droit. Mais sa méthode de polémique est d’une simplicité inquiétante : toutes les fois qu’il rencontre un penseur moderne catholique de quelque valeur, il lance contre lui l’anathème, tel un pape, et le déclare hors de l’orthodoxie. Ainsi Newman est un « pseudo-catholique », un « protestant qui s’ignore » (p. 123). Ailleurs on voit avec étonnement Mgr Duchesne rangé parmi ceux qui « constatent le vide des légendes que le catholicisme a incorporées à son essence et néanmoins se piquent de rester catholiques » (p. 119). Voilà une assertion qui surprendra bien les lecteurs de la très orthodoxe et très érudite Histoire ancienne de l’Église. Ailleurs, M. Fabre s’improvisant théologien, déclare que l’essence du catholicisme,… c’est l’immutabilité dans le dogme, et il cite saint Vincent de Lérins parmi le protoganistes de cette façon de voir (p. 123). Il est toujours regrettable de citer un auteur qu’on connaît insuffisamment. Il se trouve en effet que Vincent de Lérins a soutenu la théorie du développement des dogmes, qu’il compare volontiers à la croissance des germes ; Newman s’en inspire constamment.

Lamennais, sa vie et ses doctrines, t. II : Le catholicisme libéral, par l’abbé Charles Boutard, 1 vol. in-8 de 407 p., Perrin, 1908. — On trouve dans ce second volume les mêmes qualités de précision et d’impartialité qui avaient fait du tome Ier la meilleure biographie existante de Lamennais jusqu’en 1828. M. l’abbé Boutard étudie cette fois la période qui va de 1828 à 1834, date de la rupture définitive avec Rome. Il était fort délicat pour un catholique et pour un prêtre de faire sur cette matière œuvre d’historien, et de concilier avec une sympathie profonde pour le caractère de Lamennais et les idées libérales, le respect de décision de l’Église et d’une politique à bien des égards discutable. M. l’abbé Boutard s’est montré supérieur à cette tâche difficile. L’analyse des facteurs qui ont rendu la crise inévitable est menée avec beaucoup de précision et de tact : facteurs moraux, hâte de Lamennais à imposer ses vues prophétiques, impatience de rester incompris du côté libéral comme du côté catholique ; — facteurs intellectuels, évolution des idées mennaisiennes du traditionnalisme pur vers une sorte d’évolutionnisme plus ou moins teinté de positivisme, et du monarchisme théocratique à la théocratie républicaine ; — facteurs politiques, inintelligence et égoïsme de la bourgeoisie, lenteur du clergé à s’adapter à la société nouvelle, apprentissage insuffisant de la liberté par le peuple ; — facteurs religieux enfin, nécessité pour l’Église de défendre contre l’évolutionnisme l’idée de l’immutabilité du dogme et de l’immobilité de la révélation, difficulté de tracer avec précision les frontières du spirituel et du temporel, etc. Tous ces facteurs interviennent à leur place, au moment où ils ont agi. Il n’y a rien à reprendre à cette analyse, qui, en même temps qu’elle suit l’évolution des idées de Lamennais sous la pression des faits et sous l’influence dominante de son caractère passionné, retrace un chapitre important de l’histoire politique et religieuse du xixe siècle.

Nous ne ferons qu’une restriction. Il serait injuste de reprocher à M. l’abbé Boutard de n’avoir pas fait ce qu’il n’a pas voulu faire. Il rentre dans le plan qu’il s’est imposé de n’étudier la doctrine mennaisienne que dans la mesure où elle est engagée dans la vie de Lamennais. Mais il nous semble qu’une autre tâche pouvait tenter l’historien et le philosophe : analyser la doctrine de Lamennais pour elle-même et pour son intérêt proprement philosophique. M. l’abbé Boutard analyse au passage les écrits de Lamennais ; au passage aussi il montre la valeur prophétique de ses idées ; mais ce n’en est pas moins l’intérêt biographique qui domine, l’intérêt philosophique restant au second plan. La publication récente de la plus grande partie des inédits de Lamennais doit permettre au philosophe de reconstituer la doctrine mennaisienne et d’en suivre l’évolution logique : elle n’est certainement pas, comme l’étude de M. l’abbé Boutard nous le donne quelque peu à craindre, l’œuvre exclusive d’un caractère et des circonstances, mais avant tout celle d’une intelligence, et d’une des plus synthétiques, des plus éprises d’idées et de logique que notre xixe siècle ait produites.

Au moins, si cette étude doit être tentée, les deux volumes de M. l’abbé Boutard seront-ils, pour celui qui la tentera, d’un très grand secours.

William Godwin (1756-1836), sa vie, ses œuvres principales, la « Justice politique », par Raymond Gouras, docteur ès lettres, professeur au lycée de Carcassonne. 1 vol. in-8 de xvi-320 p. Paris, Alcan, 1908. — Cet ouvrage nous inspire de mélancoliques pensées. Que M. Gouras soit laborieux et consciencieux, la bibliographie qui achève l’ouvrage, les notes qui se trouvent au bas de chaque page, en témoignent. Que d’ailleurs William Godwin, l’auteur un instant fameux de l’Enquête sur la Justice politique, fondateur de l’anarchisme philosophique, et dont le grand ouvrage eut la fortune de provoquer la retentissante réponse de Malthus, soit digne d’une étude attentive, nous sommes prêts à le reconnaître. Mais il faut avouer, d’autre part, que le livre de M. Gouras et une compilation gauche et indigeste. Biographie. Puis analyse de la Justice politique qui dégénère en « extraits » du livre, puis en analyses des précurseurs, plus ou moins éloignés de Godwin. Puis analyse des principaux romans qu’il écrivit ; résumé de la polémique que souleva, en Angleterre, la Justice politique, et se prolongea plusieurs années, jusqu’au début du xixe siècle. Tout cela décousu, sans proportion, presque illisible. Une traduction de la Justice politique ou une publication d’extraits, aurait coûté moins de peine à M. Gouras, et rendu plus de services au lecteur français. À qui la faute ? À M. Gouras ? Non, mais surtout à la mauvaise organisation du travail scientifique. M. Gouras est un bon ouvrier dont le travail s’est trouvé gâché, faute d’un maître.

Die Weltanschauung Spinozas, par Wenzel. Erster Band, Spinozas Lehre von Golt, von der menschlichen Erkenntniss und von dem Wesen der Dinge, 1 vol. in-8 de viii-479 p. Engelmann. Leipzig, 1907. — Outre une introduction d’une quarantaine de pages contenant des aperçus généraux sur la philosophie de Spinoza, sa position historique et son importance présente, l’ouvrage comprend deux parties principales dans la première est exposée la théorie de la connaissance, dans la deuxième la doctrine relative à l’essence des choses.

1° Le point de départ nécessaire de toute connaissance est le fait de la perception sensible, l’idée inadéquate dont l’âme est affectée en vertu d’un ordre commun de la nature qu’elle ne peut concevoir clairement ; telle est, en effet, la condition de l’homme que les choses doivent être imaginées par lui et qu’il doit être contraint par elles avant qu’il puisse les connaître et conquérir sa liberté. Le monde de l’expérience sensible, loin d’être un fantôme irréel duquel le sage doive se détourner est la réalité même, imparfaitement, confusément perçue. Toute idée a un objet réel et par conséquent se rapporte à Dieu car le réel est Dieu et Dieu est le réel. Telle est la pensée directrice de l’auteur dans la partie de son livre où il montre comment l’homme peut s’élever à la science intuitive et se donner la béatitude.

2° Dieu étant posé d’autre part, la nature, qui est un devenir perpétuel, est posée par cela même car l’unité de la substance divine n’exclut pas mais implique l’infinie multiplicité des attributs et des modes et le changement, loin d’être une apparence vaine, exprime la libre activité de Dieu. Dieu est l’être indéterminé en ce qu’il a un pouvoir infini de se déterminer lui-même et chacune de ses déterminations enveloppe toutes les autres : ainsi les attributs peuvent bien être conçus séparément par l’entendement humain, en eux-mêmes ils sont absolument inséparables, non du tout des formes sous lesquelles nous percevrions la substance mais des modes réels d’existence (Daseinsweisen) lui appartenant ; les choses par lesquelles s’exprime l’inépuisable fécondité de l’être, occupent bien, pour qui les considère du dehors, une place dans la durée à la suite les unes des autres et sont bien produites ou causées les unes par les autres, l’existence de chacune d’elles n’en est pas moins une suite nécessaire de son essence considérée comme elle doit l’être dans sa relation avec toutes les autres essences. Si d’autres interprètes sont arrivés à des conclusions différentes c’est qu’ils ont mal saisi le rapport existant selon Spinoza entre la substance et les attributs ou entre la substance et les modes. M. Wenzel examine en particulier la thèse connue de Camerer et fait voir qu’elle découle de ce que, suivant cet auteur, « Spinoza aurait bien affirmé mais n’aurait nullement rendu concevable l’unité des attributs dans la substance et avec elle la liaison des choses produites par les attributs ». Zeller avait dit non moins faussement que « dans la substance de Spinoza les attributs s’excluent qualitativement bien qu’ils soient donnés comme constituant un seul et même être ».

C’est dans la dissertation de Friedrichs, Der Substænzbegriff Spinozas, neu und gegen die heerschenden Ansichten zu Gunsten des Philosophen erläutert, Greifswald, 1896, que M. Wenzel a trouvé, comme il le déclare dans son avertissement, avec une intelligence plus claire et plus complète de la pensée de Spinoza une notion de l’être spinoziste permettant de résoudre les problèmes jugés insolubles par un trop grand nombre d’interprètes. À cette dissertation M. Wenzel se réfère souvent et il en cite de nombreux passages. Moins nouvelles peut-être, au moins en France, qu’il ne le croit lui-même, ses vues nous paraissent dans l’ensemble d’une justesse irréprochable. Sur certains points on souhaiterait des explications plus précises, le plan suivi par l’auteur l’amène à présenter les mêmes idées plus souvent peut-être qu’il ne serait nécessaire, son livre n’en est pas moins des plus intéressants et l’on voit, dès le début, que l’auteur, très épris de son sujet, a vécu dans une longue familiarité avec les écrits de Spinoza.

Die Kunst, 2e édition. Tome III : De la Völkerpsychologie de Wilhelm Wundt. 1 vol. in-8 de 564 p., W. Engelmann, Leipzig, 1908. — On sait que la psychologie ethnique devait, d’après le plan primitif, comprendre trois volumes seulement : Le langage, Le mythe et Les mœurs. Mais, ainsi que l’auteur le rappelle dans sa préface, l’œuvre ne tarda pas à s’étendre bien au delà des limites prévues. « L’art » rattaché d’abord au « mythe », se présente aujourd’hui non plus comme un simple chapitre, intermédiaire entre la psychologie de l’imagination en général et celle de l’imagination mythologique, mais comme un volume spécial bien délimité et comme un terme de passage important entre le langage et le mythe.

Wundt étudie d’abord l’imagination comme fonction psychique générale, en exposant les données fournies par l’analyse expérimentale et l’évolution de la conscience individuelle. Puis il décrit l’évolution des arts plastiques, particulièrement celle de l’art décoratif et de l’art idéal. Enfin, sous la dénomination d’arts musicaux, il considère dans leurs formes primitives la chanson, la narration et l’épopée, la danse et la musique, la mimique et le drame.

Nous ne pouvons que signaler ici la richesse de ce contenu à ceux qui n’en ont pas encore pris connaissance dans l’édition de 1905 ; nous croyons plus utile, dans les quelques lignes dont nous disposons, d’indiquer les changements qui caractérisent la nouvelle édition et qui, sans être essentiels, ne sont pourtant pas négligeables. Nous n’insistons pas sur les additions secondaires que l’on trouvera aux pages suivantes : 63, effets rythmiques de la respiration ; 84-6, 102-3, distinction de l’art et du jeu ; 135, rôle du dessin ; 140-1, 143 note, 149, 184-5, 286, 298 ; 124, 126, note en réponse à Schmarsow ; 340, la plainte funèbre, référence au récent ouvrage d’Otto Böckel, Psychologie der Volksdichtung ; 405, épopée et conte fantastique ; 415-18, nouvelle et roman.

Il faut relever spécialement trois nouveaux paragraphes complémentaires : L’art au point de vue de la psychologie ethnique (p. 6-12) ; Phénomènes élémentaires de l’imagination créatrice (p. 51-6, p. 74-5) ; L’unité des arts plastiques et musicaux (p. 548-53).

À côté de l’histoire, de la psychologie, de l’ethnologie de l’art, il y a place, selon Wundt, à une étude spéciale au point de vue de la Völkerpsychologie, qui considère l’art dans ses formes primitives et populaires avant d’avoir reçu l’empreinte du génie individuel, et qui le traite comme un produit de l’imagination collective. La psychologie ethnique a pour objet de déterminer les motifs primitifs de la production artistique spontanée, les transformations de ces motifs, et les fins de cette activité.

Tandis que la première édition de l’ouvrage ne comptait que deux principes généraux de l’activité imaginative, la deuxième édition en énumère un de plus : c’est l’activité spontanée de l’esprit dans la mise en œuvre des matériaux de la perception, ou la puissance créatrice de l’imagination, qui est plus essentielle dans le domaine de l’art que dans celui de la mythologie. D’autre part, Wundt donne une désignation différente au deuxième principe, qui s’énonce : Principe du renforcement des émotions par assimilation, et non plus par illusion. L’auteur a voulu éviter ainsi une erreur d’interprétation et une confusion possible avec la théorie de Konrad Lange, dans son livre Die bewusste Selbsttäuschung als Kern des ästhetischen Genusses.

Dans son dernier paragraphe, Wundt fait la synthèse des résultats de son investigation et formule ainsi sa conception générale : « L’art, dans chacune de ses formes et d’une manière éminente dans leur union, offre un tableau concret des objets de la vie qui préoccupent la conscience humaine, et surtout des sentiments et des états d’âme multiples liés à ces objets. L’évolution de l’art est parallèle à l’enrichissement de la conscience de la vie, et à la réalisation qui en est accomplie par la volonté et l’action… Bref, l’art, c’est la vie prise dans tous ses éléments qui tendent à l’unité. » Ainsi l’observation scientifique et intelligente des faits prépare la voie a une théorie esthétique large et féconde.

Ist Metaphysikfreie Naturwissenschaft möglich ? par L. Nelson, 1 vol in-8, i-55 p., Göttingen. Vandenbock et Ruprecht, 1908. — Dans cette étude, publiée dans les Abhandlungen der Frie’schen Schule, Nelson pose un problème très général, mais l’examine seulement à l’occasion d’une œuvre particulière, le dernier livre de Mach : son étude, pour comporter des conclusions dogmatiques, n’en est pas moins avant tout un examen critique d’Erkenntnis und Irrtum, une critique de l’empirisme évolutionniste de Mach. Mach admet comme fondement de toute connaissance l’intuition, la sensation, l’observation : mais de la sensation, nous ne pouvons faire sortir la dépendance des sensations et surtout la connaissance de cette dépendance, qui est la science même. La dépendance, que poursuit la science, implique — à tort ou à raison — la croyance à une liaison nécessaire, et l’empirisme est impuissant à rendre compte de cette idée : L’association des idées, « liaison d’éléments de représentation », ne peut expliquer l’attente « représentation d’une liaison des éléments », qui gît au fond de toute inférence, et l’intérêt biologique, loin de rendre compte de ce sentiment, le suppose bien plutôt. Rejetant la possibilité de légitimer logiquement le raisonnement par induction, Mach a recours au succès : mais le succès même n’implique-t-il pas le postulat de la régularité des lois de la nature ? D’ailleurs, Mach admet lui-même en certains passages qu’il y a autre chose que des sensations associées, que le jugement est plus qu’une observation. Qu’est-ce qui s’ajoute alors à l’observation ? Nulle part, il ne le dit. En vain, veut-il réduire les procédés intellectuels de connaissance à n’être que de simples moyens de description : la simple description ne rend pas compte de la puissance indéfinie d’application des jugements et des lois. En vain veut-il expliquer les principes mêmes de l’intelligence par l’économie de pensée : un principe d’évolution peut rendre compte de la variation et du renforcement de certaines propriétés, il ne peut répondre à la question de l’existence primordiale, de l’origine première des propriétés. L’empirisme est impuissant à fonder la science et à résoudre les problèmes que pose l’existence même de la science. Que faut-il penser de cette critique ? Il y a, croyons-nous, un malentendu fondamental dans ce genre de critique, — et voici pourquoi. Le centre du débat est au fond la question de la causalité, de la dépendance des phénomènes, sur laquelle repose la science. Le criticiste demande qu’on légitime cette causalité : légitimer cette causalité, c’est pour lui expliquer la science. Le positiviste (en prenant le mot dans un sens large) croit ce problème insoluble, — et, alors, admettant cette causalité, dans la mesure où elle est et parce qu’elle est, expliquer la science, c’est montrer pourquoi et comment — la possibilité d’une science étant déjà admise — les hommes ont constitué la science réelle que nous voyons. Il est plus important de prendre conscience de la différence des attitudes, que de critiquer l’une du point de vue de l’autre. Et c’est dans la mesure où une critique comme celle de Nelson peut nous aider à nous représenter plus nettement l’une et l’autre position qu’elle nous paraît utile : la tentative n’est pas oiseuse, Mach n’ayant pas toujours apporté dans l’expression de ses conceptions toute la clarté et la précision désirables.

The philosophy of loyalty, by Josiah Royce. 1 vol. petit in-8 de xiii-409 p. New-York, Macmillan, 1908. — M. Royce a réuni dans un petit volume des conférences qu’il a données dans diverses universités des États-Unis, et qui semblent bien présenter la formule définitive de ses vues morales. Mais ce serait diminuer la portée de ce livre que d’en faire une sorte d’éthique popularisée. Il renferme tout un système des relations de l’individu avec les autres individus, avec les différents groupes humains, avec la vérité, avec le monde en général ; et cet exposé, qui n’est pas fait, nous dit M. Royce, pour les philosophes seulement, mais pour « tous ceux qui s’attachent à quelque idéal » s’adresse tout particulièrement aux Américains, à « un pays que nous voyons maintenant si mûr pour l’idéalisme ». « Et tel chapitre du livre sera une pressante exhortation aux bonnes volontés américaines qui ne désespèrent pas du salut moral d’un peuple que bien des Européens croient livré à la brutalité des « business-men ». — Faisant une revue des divers types d’individualisme que nous offre le monde moderne, l’auteur les réfute rapidement et non sans verve, pour en venir à cette conclusion — qui à bien des lecteurs peut paraître un postulat – que l’individu ne peut pas trouver en lui-même, dans « l’affirmation » de sa personnalité, sa fin morale, et qu’il doit, à quelque moment de sa vie, se tourner vers le dehors. Il ne prouve vraiment son autonomie que par le libre choix d’une cause à laquelle il dévoue sa vie : c’est là même ce que notre auteur entend par « loyalisme » (loyalty). Mais qu’est-ce qu’une cause ? Ce ne peut être ni l’intérêt d’un individu, ni celui d’un groupe en tant que groupe ; la « cause » est ce qui constitue la raison d’être de ce groupe, non une abstraction impersonnelle, mais « l’union de plusieurs individus animés d’une vie unique ». Ce qui fait, aux yeux de M. Royce, la valeur morale singulière de cette conception du « loyalisme », c’est que, tout en donnant pour chaque personne une réponse immédiate et précise à la question : « Pourquoi suis-je ici-bas ? », elle accroît aussi la valeur du groupe. Ainsi le « loyalisme » se trouve investi d’une valeur intrinsèque, il est par lui-même une fin morale. Dès lors, quand il s’agit du choix d’une « cause », la maxime générale du choix sera celle-ci : une cause est bonne, non seulement pour moi, mais encore pour l’humanité, pour autant que je suis, en la servant, loyal au « loyalisme » (in so far as it is a loyalty to loyalty), c’est-à-dire que je donne au « loyalisme » de mes semblables une occasion de s’épanouir ; une cause est mauvaise pour autant qu’elle marque une diminution du « loyalisme » de mes semblables, quand bien même, en apparence, elle exalterait le mien. — De ce point de vue, l’auteur voit s’ouvrir devant lui de larges perspectives : toute une morale individuelle, toute une morale sociale, enfin une conception semi-religieuse du monde, dans laquelle l’objet suprême du « loyalisme », pris dans sa plus générale acception, rejoint l’être tel qu’il nous apparaît conçu dans les précédents ouvrages de M. Royce : la conscience universelle, qui n’est que la somme, non abstraite, mais douée de vie personnelle, de toutes les consciences individuelles. En passant, il emprunte à sa maxime générale de « loyalisme » des préceptes particuliers à l’usage des Américains, qu’il exhorte à la décentralisation, et surtout une théorie de la vérité qu’il oppose vigoureusement au pragmatisme de son ami W. James.

Tout le livre est animé d’une conviction un peu autoritaire, jointe à une éloquence simple qui conquiert la sympathie, si elle n’emporte pas l’adhésion. On ne peut pourtant se défendre de regretter que l’auteur ne nous ait pas donné, au sujet de l’individualisme, un exposé plus complet, et surtout une réfutation plus compréhensive.

Le problème de la femme. Son évolution historique ; son aspect économique, par Lily Braun. Traduit de l’allemand par Madeleine Mourlon, Em. Bernheim, S. Braun, L. Réau, Ch. Andler. Tome Ier, 1 vol. in-18 de viii-419 p. Paris, Société nouvelle de librairie et d’édition (Cornély), 1908. — C’est une bonne idée qu’ont eue les traducteurs de nous donner une édition française de l’important ouvrage de Mme Lily Braun, précieux recueil de documents sur le problème de la femme. L’auteur se rattache à l’école du matérialisme historique et fait dépendre la situation de la femme des conditions économiques. Pourtant l’historique par lequel débute l’ouvrage eût pu montrer plus nettement cette dépendance. Il ne semble pas que Mme Braun ait utilisé, pour l’histoire de l’humanité primitive, l’ouvrage capital de Grosse sur les Formes de la famille et les Formes de l’économie. Il est pourtant antérieur au sien. D’ailleurs, cet historique est, chez elle, sommaire et simpliste. Une évolution continue, si nous l’en croyions, aurait entraîné la femme de la situation peu enviable qui lui était faite aux temps primitifs jusqu’à l’aube de l’émancipation que nous commençons à entrevoir. Nulle mention n’est faite des civilisations (par exemple de la civilisation égyptienne) qui rompraient cette belle ordonnance historique. Ce qu’il y a d’artificiel dans cette méthode d’exposition aurait dû frapper l’auteur, car l’évolution économique n’est pas unilinéaire : l’évolution de la condition féminine, si elle dépend de facteurs économiques, ne doit pas l’être davantage.

Mais l’intention principale de Mme Braun, n’est pas de retracer l’histoire de la femme, c’est d’exposer, sous son aspect actuel, le problème de la femme. Et il n’est pas douteux que, si l’énoncé de ce problème s’est modifié au xixe siècle, les facteurs économiques ont puissamment contribué à cette révolution. L’auteur distingue entre le mouvement féministe bourgeois et le mouvement féministe prolétarien. Elle raconte les femmes de la bourgeoisie luttant durant la fin du xixe siècle, pour obtenir l’accès des professions libérales, des fonctions publiques, des emplois commerciaux. Pourquoi s’engagent-elles dans cette lutte ? C’est que les femmes, particulièrement dans la bourgeoisie, sont plus nombreuses que les hommes ; c’est qu’en outre un certain nombre de ceux-ci n’ont pas de goût pour le mariage : beaucoup de femmes doivent donc renoncer à compter pour vivre sur le travail de leur mari. Beaucoup n’ont, d’autre part, que de la répugnance pour l’oisiveté à laquelle on les condamnait autrefois. Ont-elles le droit d’aspirer aux professions viriles ? Rien dans leur nature physiologique ou psychologique ne le leur interdit (liv. II, chap. iii : un des plus intéressants du volume). Parallèlement au mouvement féministe bourgeois se développe le mouvement prolétarien : le machinisme appelle les femmes à l’usine. Ce tome Ier se termine par une statistique du travail dans le prolétariat féminin. Statistique difficile à établir, étant donné les incertitudes et les incohérences des documents officiels Mme Braun s’est efforcée d’obtenir quelques résultats précis ; son travail, très méritoire, ne saurait pourtant être considéré comme définitif. L’inconvénient de semblables travaux, c’est qu’à peine terminés ils sont à refaire. La situation des femmes n’est plus la même, au moment l’on traduit l’ouvrage de Mme Lily Braun, qu’au moment où elle l’écrivait. On peut même regretter que les traducteurs français n’aient pas, dans leurs notes, modifié, au moins en ce qui concerne la France de 1908 certains chiffres et certaines appréciations qui ne manquaient pas d’exactitude en 1900. L’ouvrage est, en effet, un excellent tableau de la situation économique des femmes au début du xxe siècle. On y trouvera, en outre, des idées intéressantes et mesurées sur les revendications féminines : l’auteur est l’ennemie déclarée du féminisme qui voudrait ériger le sexe auquel elle appartient en caste égale ou supérieure à la caste masculine : le féminisme qu’elle défend ne sépare pas les sexes, ne les oppose pas l’un à l’autre, mais estime qu’en dépit des différences sexuelles, tous les êtres humains ont des droits égaux.

L’évolution de la vie, par H. Charlton-Bastian, trad. avec avant-propos par H. de Varigny, avec la collaboration de Mlle G. de Varigny, un vol. in-8 de vii-272 p. avec 12 planches hors texte. Bibl. scient. internationale, Paris, Alcan, 1908. — Cet ouvrage complète les Études d’hétérogénèse dont il a été rendu compte ici même (n° de juillet 1904). L’hétérogénèse au sens précis que l’auteur donne à ce mot est la production par un organisme d’autres organismes d’espèces différentes, par ex. l’apparition de micro-organismes à l’intérieur d’un être vivant supérieur, animal ou végétal, tout risque d’apport externe ayant été écarté. Le nouvel ouvrage de Bastian est consacre à l’Archébiose, c’est-à-dire la production de la vie dans un milieu soigneusement stérilisé. Il touche donc plus encore que le précédent à la question célèbre de la génération spontanée.

Tout le livre est consacré à la description nécessairement minutieuse des expériences qui ont permis à l’auteur de faire apparaître la vie dans des liquides préalablement exposés à des températures de 125° et 130°. — D’abord l’auteur essaie de déterminer les limites de la résistance vitale à la chaleur. Il croit pouvoir affirmer que ces limites sont des températures plus basses que celles indiquées par l’école de Pasteur, sinon en ce qui concerne les spores, du moins en ce qui concerne les bactéries.

Cette première partie de l’ouvrage est extrêmement intéressante au point de vue de la méthode : elle laisse penser que les expériences de Pasteur, parfois citées par les logiciens comme des modèles, ne sont pas irréprochables et surtout comportaient des interprétations diverses qui n’ont pas été toutes examinées. Partant de l’idée que la vie n’apparaît pas là où ne subsiste aucun germe vivant, Pasteur affirmait que des germes devaient avoir subsisté si des bactéries apparaissaient à nouveau dans un liquide préalablement bouilli. Ainsi la théorie des germes n’était jamais mise en défaut : il suffisait d’admettre pour les germes la possibilité de survivre à des températures très élevées : la preuve qu’ils survivaient à ces températures était le fait même de la réapparition des bactéries. Il y avait cercle et on ne peut éviter ce cercle qu’en imaginant une autre méthode pour fixer le point thermique de mort. C’est à quoi Bastian s’est appliqué.

Même si de nouvelles expériences devaient un jour ruiner les conclusions de cet ouvrage, il resterait comme un document pour l’épistémologie à cause des mille précautions dont s’est entouré l’expérimentateur, de l’ingéniosité à démêler le défaut des expériences adverses, de l’art déployé pour grouper les présomptions en faveur d’une thèse que l’autorité de Pasteur a peut-être trop longtemps condamnée.

Mais si les découvertes de l’auteur sont confirmées elles auront une grande importance à la fois pour la pathologie et pour la philosophie. Elles seraient la démonstration expérimentale d’une continuité absolue entre la matière vivante et la matière brute, elles prouveraient la perpétuelle élaboration des espèces inférieures, au sein des milieux inorganiques. Elles montreraient, d’autre part, au médecin que la contagion n’est ni l’unique danger ni peut-être le principal et que la spécificité des germes infectieux est mal établie.

La place de l’Homme dans l’Univers, par Alf. Russel Wallace, trad. de l’anglais par Mme C. Barbey-Boissier, 1 vol. in-8 de xxiv-306 p. Paris, Schleicher, 1908. — Ce petit livre de vulgarisation pourrait aussi bien s’appeler : Essai de finalisme scientifique. Il veut montrer, par des preuves qui n’ont pas toutes une égale valeur, que la place de l’Homme dans l’Univers, c’est le centre, et qu’en tout cas, si l’ensemble des lois naturelles avait dû converger vers l’apparition et la conservation de l’être humain que nous connaissons, elles ne seraient pas autres qu’elles ne sont. La principale partie du livre est un chapitre d’astronomie populaire : ce qui tient surtout au cœur de l’auteur, c’est d’appuyer de toutes les autorités qu’il peut rassembler l’opinion de Herschel qui fait de la voie lactée un grand cercle de la sphère céleste, constituant pour l’univers un plan de symétrie, le système solaire occupant à peu près le centre de ce cercle. Passant aux conditions de l’apparition de la vie sur la terre, l’auteur s’efforce de démontrer qu’elles ne sont toutes réunies que sur notre planète, et que l’hypothèse de l’habitabilité des autres mondes est pour le moins « frivole ». Enfin des raisons d’ordre moral, qui ne pouvaient manquer d’intervenir en une telle argumentation, terminent l’ouvrage. On aimerait qu’un naturaliste comme Russel Wallace, qui avançait en même temps que Darwin la théorie évolutionniste de l’origine des espèces, présente à l’appui de ses conclusions anthropomorphiques d’autres preuves que des citations de « savants qualifiés », et ne se contente pas, sur certains points des plus importants de son exposé, de décider pour ou contre une thèse d’après le nombre et le poids de ces autorités.

The Science and Philosophy of the organism. The Gifford lectures delivered before the University of Aberdeen in the year 1907, by Hans Driesch. 1 vol. in-8 de xiii-329 p. London, 1908. — Ce volume contient la première série seulement des conférences faites en Angleterre par le savant biologiste de Heidelberg. Il sera suivi d’un second volume plus proprement philosophique, mais qui supposera la connaissance des faits minutieusement étudiés dans le premier. L’auteur choisit quatre grandes questions qui sont toute la biologie : la morphogenèse, l’adaptation, l’hérédité, la théorie de la descendance. Il résume à propos de chacun de ces problèmes les vues qu’il a exposées dans une multitude de travaux disséminés : il n’est donc pas de meilleur ouvrage pour connaître dans son ensemble le système vitaliste de Driesch.

Personne n’est plus attentif que Driesch à écarter les preuves insuffisantes du vitalisme. Ainsi il consacre plus de cinquante pages à examiner les exemples remarquables d’adaptations sans consentir à trouver dans cette merveilleuse souplesse de l’organisme une seule preuve indiscutable de l’autonomie de la vie. Mais cependant, après éliminination des arguments équivoques, deux vraies preuves lui paraissent subsister, l’une tirée de la morphogenèse et surtout des restitutions d’organes, l’autre de l’hérédité. Ni la chimie, ni la physique ne lui semblent pouvoir expliquer ce fait que tant d’organismes sont capables de régénérer un membre coupé, parfois même de régénérer une régénération. Assimile-t-on la morphogenèse à une désintégration chimique, une fois cette désintégration faite elle ne se refera pas ; une portion de l’organisme adulte représentera un processus de décomposition achevé qui n’a aucune possibilité de se produire dans la même région. De plus, si la formation d’un organisme était un phénomène d’ordre chimique, les parties distinctes de cet organisme correspondraient à autant de composés chimiques différents. Mais ce n’est pas ce qui a lieu, puisqu’un organisme au contraire est fait d’un nombre très limité de tissus qui se répètent dans presque toutes ses parties (nerfs et muscles par ex.). La forme même des organes élémentaires ne s’accorde avec aucune théorie chimique, car une forme d’équilibre chimique est toujours une forme géométrique, comme nous en montre la cristallographie : ce n’est point par la chimie qu’on expliquera la forme de chaque os du pied d’un vertébré. Veut-on joindre l’explication physique à l’explication chimique ? On se demandera quelle machine concevable pourrait se comporter comme un organisme. Il faudrait une machine qui produisît des effets très déterminés dans chacune des dimensions de l’espace et telle cependant qu’on pût supprimer une partie de cette machine sans modifier le fonctionnement de l’ensemble. Or les faits nous enseignent qu’un développement total (quoique plus petit) se produit dans un organisme élémentaire mutilé pourvu qu’on laisse subsister un certain volume de matière vivante V. Donc toute la machine existe en V. Mais elle existe non moins dans une portion V1 égale en volume à V, et dans V2 et dans V3 et dans une portion. Vx faite d’une moitié de V et d’une moitié de V1, contigu à V, etc. Donc toute partie de l’organisme est constitutive de n’importe quelle pièce de la machine, ce qui prouve l’absurdité de la théorie de la machine vivante.

La seconde preuve de l’autonomie de la vie est tirée de l’étude de la reproduction. Si on admet qu’un œuf, en se divisant et en se différenciant pour former un organisme, n’est rien de plus qu’une machine en mouvement, comment comprendra-t-on que cette machine en se divisant mille et mille fois forme à nouveau une machine identique à elle-même c’est-à-dire un œuf capable de la même évolution ?

Tels sont les deux arguments essentiels du vitalisme nouveau. Ils nous invitent à dépasser les explications physico-chimiques de la vie, à admettre le rôle d’un principe spécial que Driesch appelle provisoirement l’entéléchie de l’organisme et sur lequel il s’expliquera dans son second volume.

Une critique un peu rapide, mais très substantielle du darwinisme et du lamarckisme, que l’auteur rejette l’un et l’autre, termine cette première série de conférences.

American philosophy : the early schools, by I. Woodbridge Riley, 1 vol. in-8 de x-593 p. Dodd, Mead and Co, New-York, 1907. — Par cette volumineuse étude sur la philosophie américaine xviie et xviiie siècles, M. Woodbridge Riley a contribué à éclairer une période de l’histoire de la philosophie qui se présentait jusqu’ici comme une masse indistincte de faits mal connus. Avant lui, on avait fait en Amérique de nombreux travaux de détail sur les débuts de la philosophie dans la Nouvelle-Angleterre. Mais il n’y avait guère qu’un seul ouvrage où l’on pût trouver des vues d’ensemble sur toute l’époque qui s’étend des premières années de la colonisation jusqu’à la pénétration du transcendantalisme allemand. C’était le livre du P. Becelaere, publié en français à New-York sous le titre : Philosophie en Amérique depuis les origines jusqu’à nos jours. Outre que le xviiie siècle, si important au point de vue de la pénétration des systèmes européens, n’y était pas l’objet de recherches plus détaillées que les autres périodes, on pouvait penser que le P. Becelaere, à la fois comme étranger et comme thomiste, n’était pas armé comme il convient pour suivre de près les diverses directions, d’une pensée où les influences des sectes protestantes jouent un rôle égal a celle des événements politiques, où l’histoire des doctrines est tellement solidaire de celle des divers collèges, Harvard, Yale, Princeton, qu’il importe, pour comprendre l’une, d’avoir fait revivre l’autre. Enfin ce n’est pas le moindre mérite de M. Woodbridge Riley d’avoir révisé le procès de tous les penseurs qu’il étudie en recourant à tous les documents encore inédits que lui livraient les bibliothèques du Nouveau-Monde, et dont il a publié une importante partie dans son livre.

Grâce à ce procédé, il a pu montrer avec quelque précision à quel moment, par quelles voies et sous quelles formes les doctrines élaborées en Europe se sont introduites dans l’enseignement et la littérature américaines. Il distingue ainsi cinq phases presque aussi nettement distinctes dans l’ordre chronologique que par leur caractère spéculatif, et qui s’échelonnent de 1620 à 1830 environ : 1° le puritanisme, qui se trouve naturellement commander toutes tes premières productions de l’esprit anglais dans la Colonie ; 2° l’idéalisme à forme berkeleyenne s’implante dans la Nouvelle-Angleterre et y fait de rapides progrès sous l’impulsion de Samuel Johnson et de Jonathan Edwards ; 3° le début du xviiie siècle est marqué par une forte réaction contre l’étroitesse et l’intransigeance calvinistes : c’est l’épanouissement du déisme, qui à la même époque réunit tant d’adeptes en Europe ; 4° le matérialisme ; 5° le « réalisme » — c’est le nom que donne l’auteur à la philosophie de Reid — pousse des racines si fortes aux Etats-Unis à la fin du xviiie siècle qu’on a pu dire que c’était la philosophie la plus proprement américaine. Aucune de ces périodes, à la vérité, ne marque une impulsion originale ; mais il ne faudrait pas croire que la pensée américaine n’est que le reflet de la pensée européenne. M. Woodbridge-Riley a voulu montrer quelles furent les formes particulières que la première a données aux matériaux que lui cédait la seconde. C’est pourquoi son livre a dû prendre l’aspect un peu rebutant d’une série de monographies individuelles : il importait de comprendre quelle fut la marque propre du déisme, de l’idéalisme, du matérialisme, du « réalisme » américains. Il fallait faire voir aussi la contribution spéciale des jeunes universités au mouvement de pensée collectif. À mesure qu’elles naissent, elles ont une coloration particulière : Harvard est tout d’abord le centre du déisme, Yale le foyer le plus actif de l’idéalisme, Princeton est plus tard celui de la philosophie de Reid et de Beathie.

La seconde période nous paraît être la plus intéressante. Berkeley apporte en quelque sorte lui-même sa doctrine aux colons d’Amérique. C’est de sa conversation et de sa correspondance avec Samuel Johnson que naît l’enthousiasme de ce déiste rationaliste pour la nouvelle philosophie. Dans la première partie de sa carrière de professeur à Yale College, Johnson avait répandu une sorte de cartésianisme dans la manière des encyclopédistes français ; après 1729, et surtout à l’apparition de l’Alciphron (où le personnage de Criton est censé représenter Johnson lui-même), le « scholar » de Yale ne songe plus qu’a faire des adeptes à l’idéalisme. De son ardeur de nouveau converti est sorti, en 1752 son livre d’Elementa philosophiæ, qui, dépassant la pensée berkeleyenne, fait pressentir le criticisme par sa conception de l’intellect, distinct de la perception qui conçoit instinctivement des propositions synthétiques a priori. Dans l’atmosphère idéaliste que l’enseignement de Johnson avait créée à Yale, se forma un des esprits les plus attachants de l’histoire américaine, Jonathan Edwards (1703-1758), qui est, dit M. Woodbridge Riley comme la « quintessence de la culture puritaine ». Parti du berkeleyisme, Edwards devait arriver, à la fin de sa courte carrière, à un panthéisme mystique qui contribue à faire de cet esprit original une personnalité très marquée dans le milieu où il écrivait. Woodbridge Riley s’élève contre l’opinion très répandue que le plus subtil des philosophes américains doit tout à Berkeley par l’intermédiaire de Johnson : mais le second berkeleyisme, celui de la Siris, selon lequel l’ « esse » est moins encore le « percipi » que le « concipi », ne date que de 1744, alors que bien avant il avait été développé par Edwards. — L’idéalisme, pour avoir été si bien représenté en Amérique, n’en eut pas moins une influence très restreinte. Le déisme voltairien devait, en un tel pays, réunir beaucoup plus d’adeptes. Des hommes comme Franklin, dans le Nord, et Jefferson, dans le Sud, accentuèrent le mouvement.

Mais les États du Sud s’ouvraient plutôt à l’influence du matérialisme anglais, et les régions intermédiaires à celle de la philosophie écossaise. On peut dire que seule cette dernière fournit une carrière durable aux États-Unis. Et cela tient à deux causes : 1° la doctrine de Reid était la mieux adaptée au sens pratique qui devait rester comme la caractéristique de la colonie ; 2° l’union assez étroite des collèges et de l’église imposait cette doctrine un peu simple qui sauvegardait la foi dans l’esprit des jeunes gens. Déjà les principaux « réalistes » fleurissent au début du xixe siècle, et sortent un peu du cadre chronologique du livre.

Certes, dans son ensemble, l’ouvrage n’est pas d’une lecture aussi attrayante que s’il se présentait sous une forme plus systématisée, et, en quelque sorte, plus fondue. Il n’en constitue pas moins un très consciencieux et assez maniable recueil de notes et de documents — dont la plupart sont de première main — sur une partie, peu familière au lecteur européen, de l’histoire des doctrines modernes.

Le moderne dottrine teocratiche (1600-1850), par Antonio Falchi. 1 vol. in-8 de 510 p., Torino, fratelli Bocca, 1908. — Les doctrines théocratiques, en grand honneur au Moyen âge, disparaissent à la Renaissance. On ne les trouve, au xvie siècle, que dans des ouvrages insignifiants, si l’on admet, avec M. Falchi, que Bodin ne peut être compté parmi leurs partisans. Au xviie siècle, les défenseurs du droit naturel les critiquent d’autant plus vigoureusement qu’ils ont subi davantage l’influence du rationalisme cartésien.

Pourtant, à cette même époque, ces doctrines renaissent ; mais leur caractère s’est modifié : au Moyen âge, on avait dû, pour exalter le pape au-dessus des souverains temporels, abaisser ceux-ci et reconnaître aux peuples des droits. Mais cette alliance de la théocratie et de la démocratie était accidentelle. Au xviie, au xixe siècle, les deux doctrines se développent indépendamment l’une de l’autre, et elles s’opposent radicalement l’une à l’autre. Avec Bossuet, avec Saint-Martin, avec de Maistre et de Bonald, la doctrine théocratique est nettement anti-démocratique et anti-individualiste. Elle s’appuie sur l’histoire pour montrer que l’homme est social par nature, et que, par suite, toute théorie du contrat social est fausse. Dès lors, le pouvoir ne naissant pas d’un accord entre individus, doit venir d’une puissance surhumaine. Lorsqu’il fait à la démocratie des concessions ; lorsque, avec Lamennais, il se mue en « démocratisme chrétien », le théocratisme se suicide.

Aussi bien il a précisément à cette date, accompli sa « fonction historique » : il a versé son contenu dans le positivisme naissant : que l’homme soit social par nature, c’est ce que Comte répète après de Maistre. L’école théocratique, après l’avènement du comtisme, manque d’originalité parce qu’elle n’a plus de raison d’être. Son histoire est donc tout entière comprise entre 1600 et 1850.

Son évolution est due, comme l’évolution de toute pensée humaine, à des facteurs logiques et à des facteurs historiques. Il serait inexact de l’expliquer exclusivement par des circonstances contingentes ; la renaissance du théocratisme n’est pas seulement une entreprise contre-révolutionnaire : la preuve, c’est qu’elle est due à Bossuet et que les thèses essentielles de Saint-Martin sont antérieures la Révolution. De Maistre et de Bonald, s’ils ont voulu combattre la Révolution et la philosophie du xviiie siècle, ne l’ont fait qu’en développant des prémisses posées dès le xviie siècle.

Nous venons de résumer les principales conclusions de M. Falchi. Nous ne pouvons pas signaler toutes ses analyses qui sont souvent pénétrantes ; plusieurs doctrines oubliées ou négligées (celles de Bodin, de Suarez par exemple) sont étudiées avec beaucoup de soin dans son livre ; il excelle à retracer les divers moments de la pensée d’un auteur (voir, en particulier, ses chapitres sur J. de Maistre et sur Lamennais). Dans le détail, on relève sans doute quelques erreurs, surtout en ce qui concerne l’histoire de France (p. 197, la Régence du duc d’Orléans est datée de 1711 ; p. 204, Louis XV est confondu avec le duc de Bourgogne et désigné comme l’élève de Fénelon ; p. 412, la date de 1848 est attribuée au coup d’État de Napoléon III). Mais l’interprétation des doctrines est généralement exacte.

Nous nous demandons pourtant si l’auteur n’exagère pas quand il appelle méthode « inductive », la méthode des Bossuet, des de Maistre et des de Bonald. Sans doute, ces auteurs font appel à l’histoire, mais à une histoire singulièrement rétrécie ou mutilée. Tantôt ils se contentent de choisir des exemples dans l’histoire du peuple hébreu et dans celle des peuples méditerranéens. Tantôt ils se déclarent effrayés par la complexité des faits historiques, ils aiment mieux fermer les yeux que d’en analyser le détail, et c’est précisément parce qu’ils refusent de débrouiller ce chaos qu’ils conservent le droit d’y voir un mystère sacré. Leur méthode n’est pas exclusivement déductive, soit ; mais n’est-ce pas abuser des mots que de lui donner le nom qu’on réserve aux méthodes de la science expérimentale ? Quelle « induction » d’ailleurs, pourrait leur donner ce qu’ils cherchent : la preuve de l’intervention divine dans le gouvernement des sociétés ?

Quelle induction pourrait leur révéler l’antipathie qu’à leur avis Dieu doit éprouver pour la démocratie ? Mais sont-ils tous de cet avis ? M. Falchi qui, à plusieurs reprises, signale très judicieusement les sophismes de l’école théocratique, nous paraît se tromper quand il lui refuse le droit d’être démocrate. Rien ne prouve mieux, nous semble-t-il, l’insuffisance de cette doctrine que son impuissance à choisir entre les divers régimes politiques : monarchiste avec Bossuet, avec de Bonald et de Maistre, elle peut être républicaine avec Ballanche ou Bordas-Demoulin (oublié par M. Falchi). Pourquoi Dieu, en effet, ne remettrait-il pas le pouvoir aux peuples au lieu de le remettre aux rois ? S’il y a, comme le pensaient de Maistre et de Bonald, des familles qui, par nature, sont « royales », c’est entre leurs mains que Dieu place le sceptre ; si les hommes sont égaux, c’est que Dieu veut la souveraineté du peuple. La doctrine théocratique est logiquement inconsistante, parce que, laissée à elle-même, elle autorise des conclusions contradictoires ; ses partisans en tirent ce qu’ils veulent, par l’intermédiaire de certaines propositions que leur dictent soit leurs observations, soit leurs préjugés : les hommes sont inégaux, disent les uns ; les hommes sont égaux, disent les autres. Ces propositions sont les véritables prémisses de leurs raisonnements, et l’on pourrait enlever de leurs ouvrages les principes proprement théocratiques sans modifier leurs conclusions. Le principe théocratique, présenté comme le fondement de l’édifice, n’est jamais qu’une pièce arbitrairement surajoutée. M. Falchi s’en serait aperçu s’il n’avait pas écarté de son horizon les démocrates chrétiens.

L’infinito, Saggio di psicologia della Matematica, par E. Vecchietti, 1 vol. de vii-181 p., Rome, Albrighi, 1908. — L’école des mathématiciens logiciens s’est efforcée, dans un but de rigueur logique, de déterminer avec précision les postulats fondamentaux de la mathématique et d’étudier tés formes des raisonnements qu’elle emploie. M. Vecchietti reconnaît l’importance de ces études, mais il constate que le logicien se place à un point de vue purement formel, il vide les notions fondamentales de leur contenu psychologique (exemple : définition de la grandeur selon Grassmann). Or, le but de l’auteur est précisément de retrouver et de déterminer ce contenu psychologique. « Pour connaître la forme du lit d’un fleuve, dit-il, il faut en détourner l’eau… Mais où l’on ne peut plus suivre l’école logique, c’est quand elle refuse de jamais reconduire l’eau dans le lit du fleuve. » Et il ajoute : « La mathématique n’existerait pas si les êtres dont elle traite n’étaient pas des concepts vivants, pleins de contenu intuitif, répondant à des états d’âme réels, à des idées qui quoique abstraites sont nées du moins directement de la vie et de l’observation. » L’auteur délimite, d’ailleurs, son sujet avec précision, il n’étudie que la notion d’infini considérée comme distincte du fini et de l’indéfini. Nous ne pouvons analyser en détail cet ouvrage documente où l’auteur fait preuve de connaissances mathématiques étendues ; indiquons seulement que les principaux chapitres traitent : du continu, des bases du calcul infinitésimal, des nombres irrationnels (doctrines de Weierstrass, Méray, Dedekind, J. Tannery), de la notion de limite, des nombres transfinis de Cantor.


REVUES ET PÉRIODIQUES

Les Revues catholiques. — Une des conséquences du grand mouvement de pensée catholique caractérisant ces dernières années (mouvement qui a déjà fait l’objet de plusieurs études dans la présente revue[1]) a été d’une part la fondation de nouvelles revues, d’autre part un renouveau d’activité dans celles qui existaient déjà. Nous allons examiner brièvement l’inspiration générale et les caractéristiques des plus notables de ces publications.

Au premier rang se placent les Annales de Philosophie chrétienne (paraissant le 15 de chaque mois). Cette revue compte déjà, quatre-vingts ans d’existence. Depuis sa fondation, elle a eu des fortunes diverses, jusqu’en octobre 1905, date à laquelle M. l’abbé Laberthonnière en a pris la direction. C’est grâce à lui, tant par son active collaboration personnelle que par le concours des diverses compétences dont il a su s’entourer, que les Annales sont devenues ce qu’elles sont aujourd’hui. L’esprit en semble inspiré par une double préoccupation : d’une part, souci constant de l’orthodoxie et ferme volonté de se maintenir dans la tradition authentique et profonde de l’Église ; d’autre part, large et sincère sympathie pour tout travail de bonne foi, pour toute recherche laborieuse et désintéressée. C’est ce qu’exprime bien le texte de saint Augustin que porte la couverture des Annales : « cherchons donc comme cherchent ceux qui doivent trouver, et trouvons comme trouvent ceux qui doivent chercher encore ; car il est dit : « l’homme qui est arrivé au terme ne fait que commencer ». — Parmi les travaux les plus remarquables de l’année écoulée, citons : Laberthonnière, Dogme et Théologie — suite d’articles pénétrants et singulièrement riches d’idées dans lesquels l’auteur, à propos du Dogme et Critique de M. Le Roy, critique de récents articles du P. Lebreton — lesquels prétendaient exposer les théories traditionnelles du dogme — et élabore toute une théorie de la connaissance religieuse. — Duhem, Essai sur la notion de théorie physique de Platon à Galilée. — Ch. Huit, Le Platonisme en France au XVIIIe siècle.

La Revue de Philosophie est d’origine relativement récente. Dirigée par M. Peillaube, professeur de psychologie à l’Institut catholique, elle a été fondée en 1900 et parait le 1er de chaque mois. Il est assez difficile de préciser son orientation : elle publie des articles très divers, et ceux qui traitent de problèmes religieux sont en minorité (on en compte en tout trois dans le semestre janvier-juin 1908 ; encore sont-ils purement historiques). Peut-être convient-il de s’en réjouir, car en général les rares études religieuses publiées par la Revue de Philosophie ne lui font guère honneur. En disant cela nous avons surtout en vue deux articles sur les vieilles preuves de l’existence de Dieu (juillet-août 1908) dans lesquels M. l’abbé Gayraud prend à partie les études de M. Le Roy : Comment se pose le problème de Dieu (Revue de Métaphysique, mars-juillet 1907). Voici un spécimen de la méthode de discussion de M. Gayraud : « Parce que leur philosophie » (celle de ceux qui ne sont pas scolastiques) « procède à l’inverse du sens commun — ce qui sent bien aussi l’anthropomorphisme, mais celui des acrobates qui vont sur leurs mains et à reculons — ils ont besoin de railler ceux qui s’obstinent à aller droit sur leurs pieds à la manière de tout le monde. Des culs-de-jatte accusant les bons marcheurs d’anthropomorphisme, voilà le jeu d’esprit de ces philosophes ! » Ces pénibles facéties, qui sentent le bas journalisme ne semblent guère à leur place dans une revue qui se pique de quelque tenue scientifique. Cet article et ceux qui lui ressemblent mis à part, nous avons plaisir à citer les études de M. Duhem : Le mouvement absolu et le mouvement relatif, et une intéressante enquête sur l’idée de démocratie.

La Revue pratique d’Apologétique (fondée en 1905, paraissant le 1er et le 15 de chaque mois) est surtout une revue de vulgarisation, et la valeur des études qu’elle publie est très inégale. On en compte cependant quelques-unes d’une tenue très satisfaisante. Ainsi les discussions par MM. Touzard (15 mars 1908) et Mangenat (1er avril) des articles de M. Guignebert : le Modernisme et la tradition catholique en France — semblent d’excellents exemples de critique loyale et scientifique.

Restent en dernier lieu trois revues qui maintiennent intégralement la tradition scolastique. Ce sont, par ordre d’ancienneté : la Revue Thomiste (xvie année, — bimensuelle) ; — la Revue Néo-scolastique (xve année, — trimestrielle) ; — la Revue des sciences philosophiques et théologiques (n° année, – trimestrielle). Sans méconnaître l’intérêt historique que présente le fait d’esprits distingués pensant tout en fonction de saint Thomas d’Aquin, nous sentons malgré nous de telles mentalités étrangères à la nôtre, et nous ne pouvons nous défendre d’éprouver un sentiment d’inactuel en voyant, par exemple, M. Bergson convaincu des « pires erreurs » pour s’être séparé de saint Thomas (Revue Thomiste, mai-juin 1908, p. 163). Plutôt que d’insister sur ce point, nous préférons louer l’ampleur d’information de ces revues. Par exemple, la Revue des sciences philosophiques et théologiques rend compte des publications nouvelles et de tous les événements (cours, conférences, nominations, retraites, décès, etc.) qui intéressent la théologie ou la philosophie, dans le monde entier, et donne dans chacun de ses numéros la recension détaillée d’au moins cinquante revues et périodiques. Ce sont là de précieux secours pour tous les travailleurs.

Archives de Psychologie publiées par Th. Flournoy et Ed. Claparède, t. VI, nos 25 à 27, 1 vol. in-8 de 320 p., Genève, 1908.

Études Générales.

Classification et plan des méthodes psychologiques, par Ed. Claparède, n° 28 (juillet 1908), p. 321-365. — La classification proposée par M. Claparède, très complète repose sur le principe suivant. Une première grande division est établie entre les méthodes de réception qui s’appliquent à rechercher comment un individu est effet, et à déterminer les conditions de réception d’un phénomène psychique donné ; et les méthodes de réaction, destinées à nous montrer comment l’individu est cause et à déterminer la réaction d’un phénomène psychique donné. Cette dernière classe se divise en trois groupes suivant les trois types distincts que peut revêtir la réaction : elle est en effet tantôt un choix, tantôt une exécution tantôt une simple réaction motrice ou émotive, un mouvement d’expression. D’où la distinction des méthodes de Jugement, d’Exécution, d’Expression. À cette division fondée sur la considération du processus psychologique sur lequel porte l’investigation s’en ajoute une autre basée sur les moyens techniques mis en œuvre. De ce point de vue, la méthode peut être quantitative (Psychométrie) ou qualitative (M. Claparède propose pour nommer cette méthode, le mot de Psycholexie). La psychométrie considère soit les degrés de l’excitant (Psychophysique), soit la durée du processus (Psychochronométrie), soit le travail fourni (Psychodynamique), soit le nombre des sujets (Psychostatistique), d’autre part la Psychologie qualitative ou Psycholexie peut être fondée soit sur l’analyse subjective (Psycholexie introspective) soit sur des signes extérieurs (Psycholexie extrospective). Chacune de ces six catégories de méthodes peut se retrouver dans les quatre grandes classes établies du point de vue psychologique ce qui permet de distinguer vingt-quatre types et méthodes psychologiques distincts, dont M. Claparède décrit comme exemples quelques procédés et quelques applications à l’étude des différentes fonction spsychiques. Cette étude très complète et qui marque un progrès dans la question des classifications et méthodes nous paraît seulement insister trop peu sur la division essentielle entre la psychologie qualitative et la psychologie quantitative ou psychologie physiologique. Et par leurs méthodes, et par leur objet elles diffèrent si profondément qu’on pourrait presque les considérer comme des sciences distinctes ou du moins reliés par un rapport analogue à celui qui rattache à la chimie, la chimie biologique, ou à la physique, la physique physiologique.

Essai d’une classification des glossolalies. par E. Lombard, n° 25 (juillet 1907), p. 1-52. — M. Lombard distingue trois grands groupes (ou plutôt trois degrés) de glossolalies. — I. Le premier est constitué par les Phonations inarticulées et phénomènes connexes, chants, exclamations rythmées, etc., qui, tous, marquent une dégression vers le langage émotionnel du primitif et un état mental qui se rapproche de l’infantilisme. Elles s’observent fréquemment dans les états hystériques. — II. La glossolalie proprement dite est caractérisée par ce fait que le langage parlé est inintelligible souvent pour le sujet lui-même. Ce langage résulte du groupement des rudiments verbaux du stade inférieur qui s’unissent autour de la volonté latente d’obtenir un langage aussi différent que possible de celui que parle ordinairement le sujet pour attester que ce n’est plus l’homme qui parle, mais l’Esprit. Dans cette glossolalie proprement dite, M. Lombard distingue trois degrés : a) Pseudo-langage… assemblage de sons articulés simulant un discours, mais où manque la correspondance régulière de tels sons ou groupes de sons à telles idées déterminées. b) les formations néologiques occasionnelles réapparaissant dans un pseudo-langage et toujours avec un sens déterminé. c) Les formations néologiques systématisées ou glossopoièses, formation d’une langue complète plus ou moins riche, dont le meilleur exemple est celui qu’a si complètement étudié M. Flournoy sur H. Smith. — III. La xenoglossie, emploi d’une langue étrangère, constitue le troisième groupe et présente aussi plusieurs degrés. a) Irruption isolée de mots étrangers dans une suite de noms articulés, dépourvus de sens. b) Contrefaçon linguistiques constituées par des expressions étrangères authentiques délayées dans une série de sons qui ne signifient rien mais qui par leur contexture et leur tonalité rappellent étonnamment la langue étrangère à laquelle les expressions étrangère appartiennent. On ainsi un idiome imité dont les textes hindous de Mlle Smith sont un exemple typique. c) Xénoglossie proprement dite ou « don des langues » phénomène extrêmement rare, difficile à interpréter et dont l’explication paraît devoir être cherchée dans des rapprochements avec la cryptomnésie et la transmission mentale.

Quelques mois sur la définition de l’hystérie, par Ed. Claparède, n° 26 (octobre 1907) p. 169-194. — M. Claparède examine d’abord et critique la théorie récente de Babinski qui définit, a priori, les troubles hystériques par la possibilité d’apparaître et de disparaître sous l’influence exclusive de la persuasion. Cette définition, incomplète et trop exclusive, entraîne une pétition de principe, dans l’usage qu’en fait Babinski, car elle est donnée tantôt comme simplement empirique, comme une formule pratique destinée à délimiter les troubles hystériques, tantôt comme une conception de l’hystérie, puisqu’il l’applique à tous les cas, donc à des cas autres que ceux sur lesquels elle repose. Pour M. Claparède la suggestion et l’auto-suggestion ne constituent pas des explications suffisantes. On ne fait que reculer la question. D’où vient que la suggestibilité est exagérée ? Or la suggestibilité, destinée normalement à harmoniser l’individu avec son milieu, est une fonction défensive, et toutes les réactions de défense sont exagérées chez l’hystérique par suite du phénomène du refoulement ou résistance qu’opposent ces malades à la réminiscence de certains groupes de souvenirs qui les affectent péniblement. Suivant que cette réaction de défense s’adresse à des souvenirs, à des actes ou à certaines régions du corps on obtient des amnésies, des paralysies ou des anesthésies ; quand l’inhibition est totale, on a la crise syncopale, homologue chez l’homme du réflexe de la simulation de la mort fréquent chez les animaux. — Le travail de M. Claparède pose des problèmes plutôt qu’il ne les résout, mais par son hypothèse ingénieuse de l’exagération des réactions de défense, et de la régression comme caractéristiques des troubles hystériques primitifs, par sa conception de l’hystérie « édifice à plusieurs étages » où les troubles hystériques s’enchaînent et se soutiennent les uns les autres, il ouvre la recherche des voies nouvelles.

Les bases psychologiques de la sociologie, par De Maday, n° 25 (juillet 1907), p.52-63.

Mémoire et association des idées.

Le rôle de la récitation comme facteur de la mémorisation, par D. Katzaroff, n° 27 (février 1908), p. 225-258. — Par une série de dispositifs ingénieux M. Katzaroff a vérifié ce fait que la récitation sous le rapport de la conservation, de la promptitude et de la certitude du souvenir, a une action fixatrice supérieure à celle d’une lecture ordinaire. Il en voit les causes psychologiques : 1° dans le contrôle qu’exerce sur la mémorisation une lecture intercalaire ; 2° dans l’état affectif du sujet qui n’est pas du tout la même au cours d’une lecture ou au cours d’une récitation ; 3° au point de vue de la dynamique cérébrale, dans le fait que les trajets nerveux que fraye la récitation sont ceux-là mêmes qui fonctionneront lors de l’épreuve. M. Katzaroff aurait pu ajouter encore que la récitation transpose les mots à apprendre d’une catégorie d’images dans une autre (images usuelles ou images motrices d’articulation), travail qui doit être fait et que l’on a par conséquent avantage à faire d’avance surtout si le sujet est un verbo-moteur.

Expériences scolaires sur la mémoire de l’orthographe, par Mlle M. Métral, n° 26 (octobre 1907), p. 152-160.

Associations d’idées familiales, par C.-G. Jung, n° 26 (octobre 1907), p. 160-169.

Psychologie de l’enfance.

Les idéals d’enfants, par J. Varendouck, n° 28 (juillet 1908), p. 364-382. À quelle personne que vous connaissez par vos études ou par la conversation voudriez-vous ressembler ? À cette question, posée aux élèves de diverses écoles belges M. Varendouck obtint 745 réponses d’où il tire les conclusions suivantes. Les parents sont choisis très souvent comme idéal par les tout jeunes enfants et de moins en moins fréquemment à mesure qu’ils avancent en âge de huit à treize ans (p. 369). Inversement les personnes de l’entourage des enfants le sont de plus en plus souvent (p. 370). Le nombre des littérateurs choisis est assez restreint (p. 371). La liste des hommes célèbres présente plus de diversité que celle des auteurs (p. 373). Les filles choisissent beaucoup plus souvent leur idéal dans l’autre sexe que les garçons (p. 375). Les raisons du choix montrent que les préoccupations matérielles tiennent une grande place chez beaucoup de ces jeunes enfants, ce qui tient à la misère du milieu dans lequel ils vivent et l’auteur en conclut que les tentatives faites pour assurer aux écoliers une alimentation saine et abondante au moyen des cantines scolaires présentent un puissant intérêt pédagogique et, en améliorant les conditions d’existence des écoliers, élèvent par là même leur idéal. Enfin les qualités intellectuelles et artistiques sont en grand honneur parmi les enfants et le deviennent de plus en plus au fur et à mesure qu’ils avancent en âge.

Un cas de mythomanie (contribution à l’étude du mensonge et de la fabulation chez l’enfant), par G. Rouma, n° 27 (février 1908), p. 259-282. – Observation intéressante et détaillée d’un enfant de cinq ans débile et à hérédité très chargée, qui présentait une tendance pathologique à la construction de fables, de récits imaginaires. M. Rouma distingue en effet très justement le mensonge vrai (p. 260) — amené par des mobiles émotionnels : moyen de défense, désir de plaire, de paraître, etc., — et la fabulation normale — due à ce que chez l’enfant les représentations peu précises se prêtent au travail de l’imagination créatrice — de la mythomanie, tendance pathologique plus ou moins volontaire et consciente au mensonge et à la création de fables imaginaires. Tandis que le phénomène psychologique normal apparaît motivé, épisodique et proportionné à sa cause, ce phénomène psychologique morbide se montre non ou insuffisamment motivé, persistant dans sa durée et disproportionné dans son intensité (p. 269).

Observations

Automatisme téléologique antisuicide par Th. Flournoy, n° 26 (octobre 1907), p. 113-137.

Un nouveau cycle somnambulique de Mlle Smith. Ses peintures religieuses par Aug. Lemaitre, n° 25 (juillet 1907) p. 63-84.

Nouvelles contributions à la psychopathologie de la vie quotidienne, par A. Maeder, n° 27 (février 1908), p. 283-300.

Faits récent de glossolalie, par E. Lombard, n° 27 (février 1908), p. 300-304.

Philosophical Review, t. XV (1906).

N° 1. — La philosophie de l’expérience, par le prof. Warner Fite. — La philosophie dite « de l’expérience » se résume en cette affirmation fondamentale : seule l’expérience est donnée et immédiate. Or ce principe est précisément l’erreur première d’une telle philosophie ; pas plus que la chose en soi, l’expérience n’est absolument donnée, et il est illusoire, et il est d’ailleurs inutile, de rechercher l’absolu aussi bien dans l’expérience qu’au delà. — Contribution de Hume à la Méthode historique, par G.-H. Sabine. Ce n’est pas dans Hume historien qu’il faut chercher cette contribution, encore que Hume, dans son Histoire d’Angleterre, ait attaché à l’étude des us et coutumes plus d’importance que ses contemporains. Mais, d’une manière générale, toute philosophie qui met l’accent sur la nature organique de la société met sur la voie de la véritable méthode historique, et, à cet égard, on peut considérer Hume comme un précurseur. — La transcendance (self-transcendency) de la connaissance, par W. B. Pitkin. Discussion sur les sophismes introduits par l’imperfection du langage psychologique dans la solution du problème de l’objectivité. L’auteur ne trouve pas moins de six significations diverses à ce terme : transcendance de la connaissance.

N° 2. — Croyances et réalités, par G. Dewey. Bon exposé de la forme spéciale donnée par le célèbre pragmatiste à sa doctrine. Après avoir défini ce qu’est la croyance pour « l’homme moyen », à savoir la représentation de choses réelles, capables, comme telles, d’exercer une action réelle sur les choses, Dewey retrace le conflit historique de la philosophie traditionnelle issue principalement du stoïcisme, d’après laquelle la connaissance a pour objet l’absolu tandis que la croyance n’obtient que l’apparence, et de la métaphysique chrétienne qui aperçoit dans la foi un procédé pratique d’atteindre l’absolu. Aujourd’hui, les sciences, par un retour inattendu, nous ramènent à la métaphysique de l’action, car les hypothèses qui les animent – notamment celles de la biologie et de la sociologie – ne sont jamais, en définitive, que des formules pratiques pour réussir des expériences. Ce point de vue, d’ailleurs loin de conduire au scepticisme, réconcilie pleinement le naturalisme le plus outrancier et les exigences du sens moral. — Psychologie, sciences de la nature et philosophie. par R. Frank Thilly. Pour différentes raisons, la psychologie est irréductible aux sciences de la nature, encore qu’elle ait besoin du concours de celle-ci. Connexes avec les variations cérébrales, les faits psychiques n’en ont pas moins leur nature propre et l’introspection ne peut être entièrement suppléée par aucune méthode externe. Sans doute, la continuité semble manquer aux faits psychiques, ce qui conduit à emprunter l’observation externe pour combler les lacunes ; mais cette discontinuité peut n’être qu’apparente et, en tout cas, troublerait également l’étude des faits cérébraux. En revanche, si la psychologie est distincte des sciences de la nature, elle est inséparable de la philosophie qui lui fournit des hypothèses indispensables et qu’elle éclaire sur la vie de l’esprit.

L’Évolution et l’absolu, par H. Haath Bawoen. Toute explication de l’univers oscille nécessairement entre deux systèmes : unité ou multiplicité continue, conservation ou évolution. Mais, en réalité, l’opposition n’est pas absolue entre ces termes, les principes de la conservation et de l’évolution sont tous deux vrais dans la mesure où ils sont interprétés l’un par l’autre. On ne peut connaître la nature d’une chose sans s’interroger sur son développement, ni comprendre son développement sans avoir une notion de la nature qui s’y manifeste. L’évolutionnisme purement mécaniste de Spencer n’est donc pas plus tenable que l’absolutisme de Bradley et de Royce. — Compte rendu de la 5e assemblée annuelle de l’Association américaine de philosophie (27-29 déc. 1905).

N° 3. — La Philosophie en France, par André Lalande. M. Lalande continue l’excellent exposé annuel du mouvement philosophique français qu’il a inauguré l’an dernier. Il étudie d’abord le pragmatisme français, en montre les origines néo-critiques et les affinités avec la philosophie religieuse, et insiste sur la réaction intellectualiste dont MM. Brunschvicg, Poincaré, Milhaud ont donné le signal, encore que ces derniers, à certains égards, se rapprochent du pragmatisme. Vient ensuite une étude assez détaillée du mouvement pédagogique, social et moral auquel se rattachent principalement les noms de MM. Séailles, Bouglé, Durkheim, Belot, et l’Union pour la Vérité. De courtes pages sont consacrées aux travaux de psychologie et d’esthétique. — La signification des principes méthodologiques, par Ernest Albec. Si l’on examine les rapports du kantisme et du rationalisme, on aboutit à cette conclusion que les principes « régulateurs » n’ont de valeur que s’ils correspondent à quelques principes « constitutifs » de l’expérience ; or ces derniers sont inaccessibles. Toutefois, les principes méthodologiques conservent une valeur en fonction de l’expérience. La connaissance et l’expérience s’organisent graduellement au nom de l’hypothèse aussi indémontrable qu’inévitable de l’unité et de la rationalité dernières du monde. — La morale de Schiller dans ses relations avec celle de Kant, par Emil C. Wilm. Schiller, avant d’avoir subi l’influence de Kant, a cherché à concilier le spiritualisme et le naturalisme, notamment par des considérations d’esthétique. Une fois touché par la philosophie critique, il abandonne le naturalisme, il admet l’impératif catégorique, mais il reste trop soucieux d’esthétique pour admettre pleinement la rigorisme kantien contre lequel il maintient les droits du sentiment.

Le développement de la conscience subjective d’après Schleiermacher, par Edmund H. Hollands. Hegel n’avait guère considéré dans le développement de la pensée que l’idée, c’est-à-dire l’élément objectif. Schleiermacher a eu le mérite de mettre en relief le rôle de la conscience subjective dans la formation et l’unification de l’expérience. Mais par là même les deux philosophes, bien loin de s’opposer l’un à l’autre, comme on l’admet communément et comme eux-mêmes l’ont cru, se complètent et se corrigent mutuellement.

N° 4. — Contribution psychologique à la notion de justice, par James H. Tulfis. La psychologie moderne, en renvoyant à l’ancienne conception, abstraite, métaphysique, de l’individu, en signalant ce qu’il y a en lui de complexe, de fait d’habitudes, de social, contribue fortement à éclairer la notion du juste. La justice pénale, la distribution des biens matériels et spirituels, l’éducation prennent, envisagées sous cet angle, un aspect tout nouveau. — La place de la psychologie dans la classification des sciences, par A.-E. Taylor. Cet article est presque exactement la contre-partie de l’article de Fr. Thilly résumé plus haut : la psychologie est une science naturelle, parce qu’elle a pour objet des « données de fait », ses données sont tout aussi objectives que celles de n’importe quelle science de la nature ; et si sa méthode est encore principalement subjective et peu près fermée à la mensuration, ce peut n’être qu’un stade provisoire de son développement. Si donc elle a une importance toute spéciale pour le philosophe, qu’elle exerce aux méthodes empiriques, elle n’en est pas moins distincte des sciences philosophiques qui interprètent les faits comme des valeurs morales ou esthétiques en les comparant à quelque type transcendantal et noumènal. – L’idéalisme de Malebranche, par Grace Neal Dolson. L’auteur revendique énergiquement l’originalité singulière du système de Malebranche. Contrairement à l’interprétation de H. Joly, c’est bien un idéalisme, car la matière y est plus qu’une construction de l’esprit, du moins est-elle dépourvue de toute efficacité et de tout attribut. Si l’on voulait chercher un analogue à ce système, ce n’est pas chez Berkeley, c’est chez les idéalistes post-kantiens qu’il faudrait le chercher. — Quelques difficultés relatives à l’épistémologie du Pragmatisme et de l’empirisme radical, par John B. Russell. Dans cette courte note, le célèbre logicien ramène ces difficultés à quatre chefs : confusion de fait entre les notions maîtresses et la méthode de la psychologie, science du contenu, et celles de la logique, science de la forme ; – restriction excessive du rôle de la pensée, dépouillée de toute notion qui lui soit propre ; – impossibilité de définir le vrai par ses conséquences ; – impossibilité de généraliser le savoir et d’échapper au solipsisme.

N° 5. – L’expérience et l’idéalisme objectif, par John Dewey. Confirmation du pragmatisme par la critique de l’idéalisme objectif. Celui-ci, avec Kant, a bien montré que Hume avait mutilé la connaissance en prétendant que l’expérience sensible est toute l’expérience ; mais il a vainement tenté de combler la lacune laissée par Hume, en cherchant dans un élément a priori et formel l’explication de l’objectivité ; c’est là une explication secrètement théologique, qui suppose, sans l’expliquer, l’accord a priori de l’esprit et des choses. Il faut donc s’en tenir à l’empirisme radical, seul capable de conférer aux jugements de valeur une portée véritablement objective. – L’expérience et la pensée, par J. E. Creighton. On a souvent prétendu, dans les discussions récentes soulevées par le pragmatisme, que celui-ci a fait perdre de son importance au problème épistémologique. Il n’en est rien. Le propre de la vie mentale n’est pas simplement d’être une relation entre un sujet et un objet ; car, vis-à-vis de l’objet, le sujet a sa vie propre ; il réagit sur l’objet, s’élève à cette forme supérieure de conscience qu’est le jugement, et de là à la vie rationnelle, qui déborde l’existence individuelle. Dès lors, dans son développement continu, la vie de l’esprit ne peut plus se définir simplement comme une fonction relative à l’objet, mais comme un effort vers un mode de vie de plus en plus indépendant de l’objet. Il subsiste donc toujours quelque chose du dualisme que le pragmatisme prétend réduire, et, à ce point de vue, le problème épistémologique conserve sa signification irréductible. — Morale, sociologie et personnalité, par J.-A. Leighton. — Tant que les habitudes morales restent au niveau de la simple obéissance passive aux règles établies, la morale n’est qu’un chapitre de la sociologie. Mais la conscience individuelle se sépare graduellement de la conscience sociale, et devient par elle-même susceptible de porter des jugements de valeurs. Toutefois, ce développement n’aboutit nullement à une hypertrophie de l’individualisme, car l’activité réfléchie du moi se développe, spontanément dans un sens supra-individualiste,

N° 6. — La théorie de la connaissance de William James, par A.-K. Ragers. — Exposé critique de la doctrine soutenue par James dans ses articles récents du Mind (oct. 1905} et du Journal of Philosophy. L’auteur reproche principalement à James de confondre le point de vue de la genèse de la connaissance et celui de la valeur. Expliquer comment se fait l’expérience n’est pas expliquer la nature de la réalité qu’atteint cette expérience. S’il était conséquent avec lui-même, le pragmatisme devrait aller jusqu’au subjectivisme pur. Or il est certain que James n’admettrait pas cette conclusion extrême. Il reste donc plus d’une obscurité à dissiper dans la thèse pragmatiste. — La continuité et le et le nombre, par Walter B. Pitkin. Distinction du continu arithmétique et du continu géométrique et physique, c’est de façon purement symbolique que le continu logique de l’arithméticien peut exprimer un aspect de la continuité réelle de l’espace et du changement. – La conséquence logique de l’empirisme radical, par John B. Russell. Bref remaniement de l’une des critiques du pragmatisme relevées plus haut (n° 4) sous la plume de Russell : cette conséquence logique, c’est le solipsisme ; puisque, pour le pragmatiste, perception, pensée, connaissance, sont des attitudes purement individuelles, et que l’analyse ne permet même pas de corroborer de celle d’autrui l’expérience de l’individu. — Le rapport de la science à l’expérience concrète, par Edmund H. Hollands. Si la science est abstraite, comme l’admettent tous les logiciens, quels rapports soutient-elle avec la réalité ? Ce problème ancien a été récemment rajeuni par le volontarisme de Münsterberg, par le pragmatisme (James, Dewey) et par le sensationnisme positiviste (Mach-Pearson). C’est encore l’idéalisme de Hegel qui fournit la solution la plus satisfaisante, car il rend raison de l’abstraction de la science considérée comme une simple étape vers la conquête de l’absolue et laisse ouverte la « route royale » qui va de la science à la métaphysique.

International Journal of Ethics. — (Juillet 1907). — O.-A. Shruesde cherche à déterminer la relation du dogme théologique à la religion. Le sentiment instinctif du bien de la communauté est pour lui l’élément constant de la religion, le dogme est un élément représentatif passager. — Sous ce titre alléchant : Quelques faits de la vie pratique, vous trouverez… ?  ? un article de Mailow Alexander Shaw tendant à montrer que le besoin de salut qui travaille l’humanité ne peut être satisfait que par la doctrine paulinienne de la justification par la foi. — W.-R. Sorley continue son étude sur les Aspects éthiques de l’Économie. Condamnant à la fois un matérialisme sans dignité et un idéalisme ignorant, il montre que les problèmes économiques ne peuvent être résolus si l’on ne tient compte de la dignité du travailleur. La vie économique fait partie d’un ensemble. Le travail doit être réglé de façon à ne pas perdre sa valeur éducative ; la richesse ne doit pas faire perdre le sentiment de la responsabilité. — F. Carrel fait semblant de se demander si la sociologie a une base morale ? mais comme il divise la sociologie en deux parts, l’une, qui est la morale sociale, l’autre, la sociologie statistique, qui, à moins de faire faillite, doit tendre à une fin pratique, la question est vite résolue. — John E. Boodin soutient les thèses de l’idéalisme évolutionniste (the Ought and Reality). Outre le temps, l’espace, l’énergie, l’univers a une quatrième dimension : le devoir. Le flux des choses a une direction absolue. Cette direction n’est d’ailleurs qu’une limite ; c’est cette loi qu’il faut une loi. Sans le devoir, l’histoire, l’expérience, la science même sont dépourvues de signification. Il n’est pas né de l’expérience, il lui sert de règle. Il n’a pas de contenu propre, chaque âge lui donne un contenu, mais il élimine ce qui n’est pas conforme à la direction de l’évolution. Cet impératif catégorique universel est la loi même de l’être, car la limite a autant de réalité que ce qu’elle limite. Il faut donc soutenir avec l’optimisme que le monde en son fond est déjà parfait et immobile. — Harrold Johnson attire l’attention sur quelques points essentiels de l’éducation morale : développer chez l’enfant le sens du respect et du mystère, l’esprit de désintéressement ; ne pas séparer l’éducation morale du culte de la vérité et de la beauté ; agir par le milieu social tout entier ? l’enseignement est un apostolat. Évidemment H. Johnson écrit pour des « pays neufs ». — Herbert L. Stewart prend la défense du néo-hégélianisme de Green qui propose la réalisation de soi-même comme fin de la morale, et selon lequel « la rectitude de la conduite est déterminée par la place d’un individu (a man’s place) dans l’ensemble social, et par rien d’autre ; si bien que le devoir peut être complètement déduit d’une connaissance parfaite des corrélations intérieures d’un organisme social ». H. Stewart résume bien les principales objections qu’on peut faire à cette thèse : définir le devoir par l’accomplissement de sa fonction ne nous avance guère pour résoudre un cas de conscience un peu complexe ; la « réalisation de soi » semble le contraire de la vertu qui est « abnégation de soi ». H.-L. Stewart se contente de répondre que l’ambiguïté du principe ne vient pas d’une défectuosité du critère choisi, mais d’une analyse incomplète des circonstances due au caractère fini de notre intelligence, à l’entremêlement des phénomènes moraux ; et que pour une connaissance parfaite l’abnégation n’est qu’une forme de la réalisation de soi. — La psychologie du préjugé conduit Josiah Morse à rejeter la définition du prof. Patrick (Pop. sci. Monthly, vol. XXXVI) pour qui le préjugé n’est qu’un nom populaire pour l’aperception. L’aperception, c’est notre façon de voir individuelle, suscitée par l’ensemble de notre vie psychologique antérieure : ainsi dans un terrain vague l’étudiant voit un emplacement pour le foot-ball, la jeune fille pour le tennis, l’entrepreneur pour des maisons de rapport. J. Morse remarque avec raison que ces points de vue individuels sont une légitime utilisation des ressemblances qui nous intéressent et que l’aperception est source de développement mental et d’adaptation aux circonstances. Le préjugé, au contraire, est un arrêt de développement, une négation des ressemblances et des différences exactes, un entêtement stérile dus à une perversion du jugement par l’intérêt ou la passion. — À lire, le compte rendu de « la pensée politique de Platon et d’Aristote », par Barker.

Octobre 1907. – Warner Fite esquisse une théorie de la démocratie. Il y a dans la démocratie actuelle deux principes antithétiques : le principe de la liberté individuelle et de la règle de la majorité, et dans la démocratie américaine (car « à cet égard nous sommes plus Latins qu’Anglo-Saxons » ) c’est le second qui l’emporte. La règle de la majorité vient d’une conception mathématique, mécanique de la vie sociale, à chaque individu sa place, et une place égale ; entre ces égoïsmes opposés la majorité seule et l’uniformité tyrannique qui en résulte peut faire régner un ordre. La vraie démocratie, soucieuse de liberté, repose au contraire sur une conception idéaliste, le culte de la conscience et de la responsabilité. Dans l’ordre de l’esprit, ce qui profite à chacun profite à tous ; l’ordre résulte de la coopération, dans un organisme social où les différenciations individuelles vont de pair avec une plus complète organisation de l’État. – L’allocution de David J. Brewer à la Society for Ethical culture de New-York, sur la loi et la morale est une belle définition du rôle de l’homme de loi, avocat défenseur, ou avocat-conseil, la manifestation d’une noble conscience professionnelle et sociale, réconfortante à lire « en ce temps d’intense commercialisme ». — Dans un fort intéressant article R.-F. Alfred Haernlé essaye de définir la notion de la possibi'lité dans ses rapports avec la conduite. Contre le déterminisme il s’efforce de ruiner le principe que tout ce qui est réel est nécessaire et de montrer que le présent ne peut jamais contenir toutes les conditions du futur, sans quoi le futur serait déjà. Le déterminisme repose sur une construction idéale faite sur les bases du présent. Le caractère, qui déterminerait l’action, n’est lui-même qu’une généralisation abstraite inférée de l’action même, et l’action d’ailleurs forme elle-même le caractère. Le déterminisme perd de vue l’aspect dynamique du présent, nécessaire pour expliquer le mouvement de la vie. Contrairement à l’expérience, il fait de la volition une pure ignorance, et rejette la notion du possible, parce qu’il ne conçoit que la possibilité théorique, laquelle consiste en effet dans l’ignorance d’une partie des conditions d’une réalité complexe. Mais l’expérience du vouloir nous révèle une possibilité pratique qui consiste essentiellement dans la réalisation même de l’indéterminé, du futur. — Walter L. Sheldon se plaint de ce qu’il y a d’insuffisant et de suranné dans les modernes classifications des devoirs et des vertus. C’est là un problème que les moralistes, trop préoccupés des questions d’origines et de fins suprêmes, ont dédaigné. Ils se contentent des vieilles divisions, bonnes tout au plus pour le pédagogue et l’éducateur, en devoirs de justice et de charité, devoirs envers soi-même et envers autrui. Il n’y a rien là de philosophique, et les traités de morale retardent singulièrement sur les traités de psychologie.

W.-L. Sheldon croit qu’il y a là une question importante qui devrait être mise, pour une discussion sérieuse entre spécialistes, à l’ordre du jour d’un congrès annuel de morale. — Halen Wodehouse tente un essai d’établissement de l’idéalisme destiné à ses yeux moins à lever toutes les difficultés philosophiques de la question qu’à servir de bonne méthode progressive à un étudiant qui voudrait s’approcher du point de vue idéaliste et de voir les difficultés se révéler graduellement. Après d’intéressantes réflexions sur l’analogie entre le développement de l’activité et le développement de l’intelligence. H. Wodehouse propose à la formule de T.-H. Green une légère retouche : on ne saurait affirmer qu’il ne peut y avoir d’écart entre le bien de l’individu et le bien de l’ensemble si l’on appelle bien la satisfaction de nos désirs ; il faut dire que le bien, c’est ce qui satisfait nos besoins réels, tels que parvient à les connaître un individu dont la conscience s’est éclairée : il ne peut plus alors vouloir un bien qui serait en conflit avec le bien de l’ensemble auquel il appartient : H. Wodehouse reconnaît que la connaissance complète de nos besoins réels ne peut être atteinte que par la métaphysique, qui nous rattache à Dieu. — Franck N. Freeman traite de l’éthique du jeu, dont l’immoralité consiste essentiellement dans une atteinte à la socialité : le gain d’un joueur n’est possible que par la perte de l’autre, la connection entre le prix et le risque est arbitraire, la propriété y dérive de la chance. Cette triple atteinte à la solidarité s’aggrave d’une grande désorganisation de l’esprit et du caractère chez le joueur, avec toutes ses conséquences sociales. L’auteur s’applique à distinguer du jeu le principe des assurances, lesquelles renforcent au contraire la solidarité, et, tout en montrant la fonction de la spéculation, marque ses rapports avec le jeu et son immoralité presque fatale. — J.-J. Findlay, répondant à l’article de James Oliphant de janvier dernier, traite des droits des parents à l’école. Il distingue d’une part l’organisation extérieure de l’établissement, ses rapports avec le milieu et estime qu’en dehors du contrôle des pouvoirs central et local, ils devraient, dans un pays démocratique, être réglés par un conseil de directeurs nommé par les parents eux-mêmes ; et d’autre part l’aménagement interne de l’école, qui doit être entièrement entre les mains des maîtres, mais avec un certain contrôle des parents, dont quelques-uns seraient élus pour venir, en des soirées spéciales, comme cela se voit dans certaines écoles allemandes, échanger avec les maîtres leurs vues sur l’enseignement et l’éducation. — Quelques points de controverse morale sont soulevés enfin par A.-C, Pigon. D’abord la question de méthode, la déduction étant impossible, l’intuition, la perception du bien s’impose ; puis la question de savoir si un seul élément fait d’un état d’âme un bien, ou si le bien n’est pas plutôt « fonction de plusieurs variables » (bonne volonté, plaisir, amour) : enfin la question de savoir s’il y a vraiment contradiction à affirmer que les biens des différents peuples et des différents individus peuvent entrer en lutte, et s’il est possible d’en conclure à la nécessité d’une autre vie. — À lire : un intéressant compte-rendu de Glück und Sittlichkeit d’Ermann Schwarz, et un autre du Dr Bosanquet, sur les Mémoires de Thomas Hill Green.

Janvier 1908. — Le développement moral des races de l’Afrique du Sud doit être cherché, selon Ramsden Balmforth. Beaucoup moins dans l’enseignement des dogmes que dans une action directe sur les mœurs par le travail et par des écoles véritablement adaptées aux besoins des indigènes, comme celle des Booker Washington. R. Balmforth indique ce qui a été fait et ce qui est à faire. Des chiffres intéressants sont apportés sur le développement des diverses sectes chrétiennes dans la colonie du Cap. — La question des Trusts rend d’un intérêt tout actuel l’article de John A. Ryan sur l’immoralité du stock-wattering (le « mouillage des capitaux », la multiplication factice des capitaux d’une entreprise par des émissions exagérées). L’auteur étudie en même temps les répercussions économiques de ces procédés de surcapitalisation et essaye de définir les bases d’une capitalisation normale. — Chester Holcombe étudie les morales d’Orient comparées avec les systèmes occidentaux ou plutôt fait ressortir les similitudes entre les morales de Laotz et de Confucius et la morale chrétienne. — L’article de M. Boutroux sur la Psychologie du Mysticisme, paru dans la Revue bleue du 15 mars 1902 est traduit par miss Cruve. — Chas. W. Super donne une série d’observations faites par lui sur quelques types individuels étudiés au point de vue des motifs de conduite. — Ira W. Howerth ; montre la nécessité de définir l’idéal social aussi scientifiquement que possible et comme la plus haute manifestation de la société actuelle. Trois éléments essentiels constituent cet idéal : 1° une intelligence sociale, c’est-à-dire une véritable conscience publique, « des individus intelligents ne nous garantissent pas nécessairement une société intelligente » ; 2° une économie sociale, se donnant pour tâche essentielle, par le moyen d’une démocratie véritable, de réduire le gâchage (waste) en hommes, en intelligences, en produits, et de satisfaire les besoins constants de la société par un mécanisme sans frottements ; 3° une coopération volontaire et consciente, soutenue par un idéal capable d’exciter l’enthousiasme. Charles Theodore Burnett croit avoir trouvé une épreuve fondamentale pour le déterminisme qui permettrait de le reléguer parmi « les problèmes morts ». Un déterminisme est, selon lui incapable de persuader, et, s’il réfléchit, de se persuader lui-même de la vérité, de sa thèse. Si l’on applique le déterminisme même au raisonnement du philosophe sur le déterministe, les arguments du déterministe apparaissent capables de contraindre, non de persuader. Mais une pensée contrainte n’est plus une pensée, nous méprisons l’homme qui pense malgré lui, il n’est plus juge de la valeur de sa pensée, — donc plus juge de la valeur du déterminisme. Ainsi le déterministe « s’est fait sauter lui-même avec son propre pétard ». D’aucuns trouveront cette fois le pétard mouillé. C’est une conception libertiste de la pensée que Ch.-T. Burnett applique au raisonnement du déterministe pour le disqualifier, et non, comme il l’avait promis, le déterminisme même. Il y a encore de beaux jours pour ce problème mort. À lire un important compte rendu du livre de James, sur le Pragmatisme et un autre, touchant les Lectures ou Humanisme de Mackenzie.

Avril 1908. – J.-S. Mackenzie publie son adresse présidentielle à la « Moral Instruction League » de Londres sur le problème de l’instruction morale. Il se demande principalement si les principes de la moralité sont suffisamment définis pour être enseignés à tous les enfants sous une forme généralement acceptable, ou si nous sommes tenus, par la dispersion des croyances, de nous contenter des, atmosphères morales variées ou même opposées, dont des communautés diverses s’efforceraient d’entourer l’enfant, en faisant appel à un dressage sentimental plutôt qu’à une morale réfléchie ? Et il applique cette difficulté générale à ce problème particulier : est-ce l’esprit social ou l’esprit individualiste qui doit pénétrer l’enseignement moral ? Sans nier la difficulté, l’auteur s’efforce surtout de montrer qu’il y a là plutôt des difficultés que des obstacles infranchissables et que l’effort même à faire pour les surmonter est éducatif. – Marel Atkinson montre que la lutte pour l’existence n’est que la forme primitive, animale, tout intensive de la volonté de vivre ; mais que le vouloir-vivre lui-même, développe le souci d’autrui, l’abnégation de soi, seul moyen de réaliser la maximation de la vie. Ainsi sont conciliés Huxley et Tolstoï, et Nietzsche la science et la religion. — Dans un fort intéressant article George H. Mead fait reposer curieusement sur le système évolutionniste la base philosophique de l’Éthique la plus concrète et la plus expérimentale. On présente trop souvent l’évolution comme si l’individu évoluait dans un milieu immobile. Mais l’individu et le milieu évoluent l’un par l’autre. L’organisme détermine son propre milieu comme celui-ci l’organisme. Cette vérité éclate principalement dans les questions morales, où elle fut le plus méconnue. On présente la moralité comme la conformité à une règle, ou à une volonté sociale extérieure à l’individu et inconcevable ? On peut former ainsi des habitudes, faire naître des réactions émotionnelles, mais on fait perdre à la moralité tout son intérêt intellectuel et toute son efficacité. L’individu construit la société comme la société l’individu. La nécessité de l’action morale résulte non de sa conformité à des fins antérieurement posées, mais de la nécessité de l’action elle-même, telle que l’aperçoit l’intelligence de l’individu occupée — telle celle de l’ingénieur ou du savant – à approprier exactement ses réactions aux situations, celles-ci étant perçues elles-mêmes et considérées au point de vue des tendances actives de l’individu. « La nécessité de la probité dans les affaires publiques ne repose pas sur un idéal transcendant de perfection personnelle, ni sur la réalisation de la somme possible de bonheur humain, mais sur l’économie, l’efficacité et la constance qu’on réclame à l’activité industrielle, commerciale, sociale du esthétique de ceux qui composent la société. » — Effort extrêmement intéressant et utile de morale concrète, saine et active ; mais doit-on perdre de vue pour cela le rôle des constructions théoriques générales. L’ingénieur même s’en passe-t-il ? — Waldo L. Cook compare les guerres et les guerres du travail, et, sans les excuser moralement, montre comment les violences des grèves résultent de l’état de guerre légalement reconnu et de la conscience de classe qui s’y développe. Il conclut au droit de la société d’intervenir pour en restreindre les dommages, à condition qu’elle intervienne, non dans un intérêt de classe, mais dans l’intérêt de l’ensemble. – A.-C. Pigon montre que l’Ethique de Nietzsche a souvent été défigurée parce que l’on a considéré comme absolument condamné par lui ce qu’il ne condamnait que comme moyen. Certaines choses, mauvaises en soi, comme la souffrance ou la tyrannie, ou la grossièreté, des masses, ont de bons effets, et il les chante ; la pitié même, par les actes où elle conduit, et la justice sont mauvaises, et il les conspue. Mais quelques textes épars indiquent que dans l’homme complet (le Surhomme, que, selon A.-C. Pigon, Nietzsche n’aurait pas exclusivement placé dans l’avenir), une certaine harmonie des vertus contraires était conçue, et que l’amour et la sympathie y eussent trouvé un rôle. — H.-W. Wright montre que la notion d’évolution vient compléter la création de la réalisation de soi. Depuis que l’on a abandonné le point de vue de Green qui distinguait un moi inférieur et un moi supérieur, la doctrine de la self-réalisation est devenue la doctrine du développement harmonieux des facultés et le danger est l’égoïsme. L’idée d’évolution nous conduit à distinguer des degrés successifs dans le développement de l’individu, et ainsi l’on peut, au nom de l’intérêt d’un moi plus évolué, à venir exiger des sacrifices du moi actuel. — Ray Madding Mc Connell étudie la question de l’intervention de l’État dans les relations domestiques et conclut à sa justification, au nom de l’intérêt social et du plus grand développement des individus. — À lire les comptes rendus relatifs Morals in Evolution de L.-T. Hobhouse, The theory of Good and Evil de Rashdall, et les Studies in Humanism de Schiller.

The Journal of Philosophy, Psychology, and Scientific Methods, édité par The Science Press Lancaster, 4e année, 12 septembre au 19 décembre 1907 ; 5e année, 2 janvier au 13 août 1908. — Ce qui frappe d’abord le lecteur cette année, c’est la tendance des philosophes américains à distinguer, dans les mots employés par les pragmatistes, des sens multiples, dans l’école pragmatiste des conceptions diverses ; c’est une décomposition du pragmatisme. Au moment où MM. W. James et Schiller, et après eux Bawden essaient de donner des exposés d’ensemble, où l’école de Chicago semble sceller son alliance avec James par la publication des Essays Philosophical and Psychological qui lui sont dédiés, les représentants même de cette école, s’attachent à montrer ce que le pragmatisme a de mêlé, et, disent-ils, d’incohérent. Seul M. Max Meyer de Missouri (V, 321) déclare que du point de vue pragmatiste, ces distinctions s’évanouissent toutes. M. Perry, de Harvard, avait commencé l’œuvre, M. Lovejoy, de Chicago (V, 5), la continue et découvre treize pragmatismes : à côté de la théorie de la signification qui peut se prendre d’ailleurs en des sens différents, suivant que les conséquences dont elle tient compte, dérivent des idées, ou sont fatales, il distingue encore une théorie de la vérité, des théories diverses sur les critères, et le temporalisme métaphysique du pragmatisme. M. Dewey, le chef de l’école, ne les cède pas à Lovejoy en subtilité (V, 85). James, dit-il, quand il parle des objets, définit leur sens (meaning) par leur réaction en face de nous ; il est réaliste ; quand il parle des idées, leur sens réside pour lui dans les changements qu’elles opèrent dans les objets, et il est idéaliste ; quand il parle des vérités, leur sens, c’est leur caractère agréable ou désagréable. De plus, James se sert-il de sa méthode pour trouver la valeur des formules données, pour les critiquer, ou pour constituer des formules nouvelles ? Remplacera-t-il l’idée de cause finale par exemple par sa signification pragmatiste : une vague confiance dans le futur ? Ou lui superposera-t-il simplement ce dernier sens ? Ou veut-il dire qu’indépendamment du bien fondé de la croyance, la croyance elle-même a une valeur ? L’idée de vérité aussi est équivoque dans le pragmatisme ; et même la théorie d’après laquelle une idée vraie est une idée qui satisfait, peut s’interpréter de façons diverses.

M. Dewey, en passant, ne ménage pas ses critiques ; et les idées pragmatistes doivent leur attrait, dit-il, la plupart du temps, à ce qu’elles combinent la banalité avec la fausseté. Il ne veut voir dans le pragmatisme qu’une orientation de méthode, distingue soigneusement son école du pragmatisme synthétique malgré toute l’admiration qu’il a pour James, son créateur, et surtout des théories de Schiller dont il n’accepte ni le personnalisme ni l’idéalisme. Le pragmatisme doit désormais se résoudre en ses éléments primordiaux et Dewey conclut par un appel au travail positif et spécialisé. Voici encore Strong (V, 256) de cette même école, qui voudrait délivrer la pensée pragmatiste de son practicalisme et de son psychologisme et faire ressortir son empirisme et romanti-intellectualisme. Fidèle aussi à cet esprit de complication et de distinction qui rend souvent le Journal pénible à lire, il ne se contente pas de distinguer la théorie épistémologique et la théorie psychologique dans le pragmatisme ; il reconnaît la valeur du pragmatisme en cinq sens différents.

Strong se déclare à la fois platonicien et pragmatiste dans sa communication à l’assemblée d’Ithaca ; le pragmatisme selon lui s’applique seulement aux vérités dont les conséquences sont à venir ; pour lui nous copions réellement les objets extérieurs ; la vérité est la potentialité des conséquences, et non les conséquences elles-mêmes ; et se représenter la communication de notre esprit avec les choses sans un abîme à franchir, à sauter, c’est nier l’élément platonicien dans le réel Ce sont presque les mêmes objections qui se trouvent sous la plume de Pratt, luttant encore avec James (V. 122) ; il croît aussi à la nécessité du saut, à l’erreur des pragmatistes quand ils appliquent leur théorie à des faits dont les conséquences sont données, et non pas futures, quand ils abusent du mot : « plan d’action » qu’ils appliquent à tort aux idées, le plan d’action est par delà le vrai et le faux. Dans un court et important article de réponse (Truth versus Truthfulness ; V, 179), M. William James admet derrière la vérité pragmatique, complètement et positivement établie (trathfulness), quelque chose qu’on peut nommer vérité par pure courtoisie et par nécessité pratique — ce qui pour M. W. James devrait être une raison péremptoire — et qui n’est en réalité, dit-il, que l’ensemble des conditions de la vérité. M. W. James conclut que la lutte entre le pragmatisme et l’absolutisme est un combat académique, une simple question de préséance. Si nous nous rappelons que M. Strong déclare s’être mis à peu près d’accord avec M. W. James, nous sommes amenés à croire que le grand philosophe de Harvard a conçu une sorte de platonisme, — mais ajoutons vite, un platonisme renversé pour lequel le monde des idées est un reflet affaibli du réel.

Nous croirions à un recul du pragmatisme si M. Dewey ne continuait ses études, et ne donnait comme un pendant à ses articles des Essays : après avoir montré l’élément pratique dans la réalité, il s’attache à faire voir l’élément personnel dans les idées (V, 85). « Une nouvelle ère de la philosophie commencera quand on reconnaîtra avec franchise ce caractère » ; il insiste aussi sur l’élément logique dans la vie mentale (V, 376) ; il célèbre la fin de l’associationisme, le développement de la psychologie fonctionnelle ou dynamique, qui ne s’occupe plus guère d’états de conscience, de relations entre les choses, mais qui s’exprime en termes de choses ; elle part de l’étude des crises, des problèmes, des jugements ; elle voit dans la connaissance un mode de contrôle et de réadaptation après ces crises, et dans la raison, une construction d’hypothèses efficaces, de croyances tentatives, expérimentales. M. Moore donne (V, 429) un exposé d’ensemble du pragmatisme : faut-il dire avec M. Bradley que la vérité est la satisfaction d’un instinct spécial ou avec M. W. James qu’elle répond aux exigences de nos instincts pris dans leur ensemble ? D’après M. Moore qui se rattache à l’école de Chicago, l’objet en se développant, donne naissance, lors d’une crise, à la fois aux matériaux de la pensée, et aux processus de la pensée. Le pragmatisme, c’est ce qu’il appelle the conflict mediational view of thought and its value.

Le journal nous fait assister cette année encore, en même temps que les Essays de Dewey, au développement de ce qu’on nomme là-bas le nouveau réalisme. Ce réalisme est la caractéristique des écoles pragmatistes américaines. M. Mac Gilary représente le « réalisme tentatif » (IV, 580, 683), M. Bernard C. Erder le « réalisme naturel » qui se refuse à poser des questions sur les causes dernières (IV, 630) ; Sellars (V, 235) expose dans un bel article la conception d’un réalisme idéaliste mais qui se place dans l’espace discontinu tandis que l’idéalisme se meut dans la continuité du temps. D’une façon assez générale, comme dit M. Bode, dans un article de critique (V, 150), ce réalisme, moins timide que celui d’autrefois, met les qualités secondes sur le même plan que les qualités premières ; panobjectiviste, il opère un dépouillement de la conscience qui devient quelque chose de diaphane, d’évanouissant. — On ne pourrait en dire autant du réalisme de l’école de Chicago ; pour M. Montagne (V, 209), la conscience est une forme de l’énergie ; pour M. Moore (IV, 272), il est un réalisme fonctionnel, dynamique, qui est lié très étroitement de pragmatisme : d’après lui, il y a une reconstruction constante de la réalité par elle-même grâce aux idées parties intégrantes du réel.

M. Boodin part lui aussi, dans une série d’articles subtils et compliqués (IV, 533 ; V, 169, 225, 365, 393), des données du réalisme, d’un réalisme non immédiatiste, pour lequel le monde est construit. La conscience est pour lui comme pour un grand nombre de réalités quelque chose de formel, a non-stuff dimension of reality ; plutôt qu’une énergie capable de plus ou de moins, elle est un milieu objectif et continu M. Boodin montre qu’il faut admettre malgré William James et son phénoménisme que l’expérience n’est pas son propre support, qu’il faut recourir à quelque chose de non expérimental pour expliquer la continuité dans le temps et dans l’espace, pour rendre compte de nos besoins et de nos volontés, de tout l’intérieur des choses. Il faut, dit-il, être jusqu’à un certain point moniste, admettre ce grand principe que le dissemblable agit sur le dissemblable ; mais c’est dire aussi qu’il faut admettre des centres discontinus et distinguer plutôt qu’unifier. Puisque nous parlons de métaphysique phénoméniste, disons que la métaphysique de Schiller, l’idée d’une ὕλη indéterminée a trouvé dans M. Gifford un critique pénétrant (V, 99). C’est une hypothèse invérifiable, et une hypothèse inutile, car l’indéterminé pur ne peut donner naissance au déterminé ; elle est doublement contraire à l’esprit pragmatique. — M. William James, dans un article intitulé The Absolute and the Strenuons Life (IV, 546), montrait que le monisme ne dicte aucune règle de conduite, et les sanctionne toutes, tandis que le monde est toujours vulnérable, mal établi pour les pluralistes ; en dernière analyse, le pluralisme est dur ; il demande la volonté de vivre sans garantie, le désir du risque. Son infériorité au point de vue pragmatiste, c’est qu’il n’a rien à dire aux âmes malades.

Le pragmatisme n’a pas été sans influence sur la psychologie on en trouverait sans peine la preuve dans le Journal. Tandis que Mary Whiton Calkins oppose à la psychologie des idées d’un Titchener, à la psychologie des fonctions d’un Stout, d’un Thorndike, l’étude du moi, possesseur des idées et des fonctions (IV, 673 ; I, 12, 64, 113) Tawney, qui se rattache à l’école de Chicago revendique les droits de la psychologie des fonctions et des valeurs (V, 459) ; au lieu de se fonder sur l’idée vague et inutile d’un moi, venue du sens commun, et transformée avec plus ou moins de justesse, la psychologie sera l’étude des contenus : de l’expérience en tant que possédant une valeur immédiate. Kirk Patrick expose une théorie fonctionnelle qui tiendrait compte de l’inconscient (IV. 542). M. Thomas P. Bailey donne l’exemple curieux de ce qu’il appelle l’étude structurale et fonctionnelle des attitudes mentales (V, 406). M. Percy Hughes appelle l’attention sur « la synthèse conceptuelle concrète » (IV, 623). M. Rowland Haynes essaie de faire comprendre ce que serait l’étude des bases physiologiques de la métaphysique, en établissant que le concept d’infini correspond à l’évanouissement de l’attention (IV, 601). M.A.-E. Davies tente de prouver que les empiristes modernes doivent, à la suite de Hume, opposer à la pensée pure des intellectualistes l’imagination (IV, 645). Il est vrai que, d’après Vinck, les images naissent de l’arrêt du courant mental dans l’âme du psychologue qui s’étudie, et qu’elles n’apparaissent pas en temps ordinaire. La reconnaissance, la perception d’un changement se font le plus souvent sans l’intervention des images trop lentes et trop complexes ; ce qu’on prend pour elles dans le cas de mouvement volontaire, c’est la représentation d’actions qui commencent. Cette théorie, assez semblable à celle que M. Woodworth avait exposée dans le Journal (III, 701) et qui se rapproche à la fois de l’analyse du sentiment et de l’effort dans les œuvres de William James, et de la distinction entre les deux mémoires dans le livre de M. Bergson, méritait d’être signalée.

Bref, désagrégation et recul, au moins apparents du pragmatisme. Beaucoup d’idées remuées, çà et là, des résultats.

Proceedings of the Seventh Annual Meeting of the American Philosophical Association, Heldat Cornell University Decemher 27-28 1907. Together with the Address of the Président. The problem of truth, by Professor H. N. Gardiner. Reprinted from the Philosophical Review, vol. XVII, no 2, March 1908 (p. 113-137 et 167-190).

On a discuté surtout dans l’assemblée d’Ithaca, sur la question de la vérité et la question de la réalité ; et si on a fait des réserves sur le pragmatisme, on a affirmé de plus en plus nettement le réalisme.

J. Gardiner, le président, dans son discours (The problem of truth) use de la méthode concrète et particulière du pragmatisme ; mais il sépare du monde des faits, les vérités qui appartiennent à un règne idéal, en un sens opposé à la réalité. La vérité n’est ni le sujet ni le prédicat d’un jugement ; elle n’est ni « substantive » ni « objective » : elle est une forme idéale objective et universelle dont la présence dans la conscience est pur accident. C’est de cette théorie que part l’auteur pour reprendre les principales objections déjà adressés au pragmatisme, mais on peut lui demander si les relations qui existent pour lui entre l’idée et le fait, — réflexion, assimilation de l’un par l’autre, ne sont pas métaphoriques et imprécises. — M. A.-E. Taylor a lu une communication sur le processus mental dans la connaissance ; à la suite d’Avenarius, il pense qu’il faut concevoir les objets non comme causes de la pensée, mais seulement comme appréhendés par elle ; et il distingue fortement, comme M. Gardiner, mais dans un sens un peu différent, les idées, objets extra-mentaux en réalité, et le processus mental proprement dit. « Connaître n’est pas mettre en certains rapports les choses extra-mentales, mais affirmer qu’elles sont reliées de telle ou telle façon. » Ces idées de MM. Taylor et Gardiner constituent une intéressante transformation du rationalisme, en réaction contre le psychologisme pragmatiste.

M. William James a fait un exposé de la vérité. « Je rends compte de la vérité en réaliste, dit-il, et me conforme au dualisme épistémologique du sens commun. » — De fait, James insiste surtout sur son réalisme, déclare que la notion d’une réalité indépendante de nous est à la base de la définition pragmatiste de la vérité ; pour être vraie une idée doit concorder avec cette réalité. — Mais qu’est-ce que M. William James entend par concordance ? C’est ici que se devine une lutte inconsciente entre le réaliste et le pragmatiste ; pragmatiste M. W. James définit cette concordance par les succès pratiques de l’idée (Workings) ; réaliste, il compte au nombre de ces succès, les relations de ressemblance, de copie entre l’idée et le fait, oublieux, semble-t-il, de tous les efforts qu’il a faits lui-même avec MM. Dewey et Schiller pour détruire la « copy theory ». — La même indécision se manifeste quand M. W. James déclare d’un côté qu’une affirmation particulière ne peut être définie comme vraie, si elle n’a pas de possibilités fonctionnelles, et d’un autre côté, qu’on peut, malgré tout appeler vérité cette affirmation abstraite, — par courtoisie. — MM. Creighton, Balzewell, Hibben ont renouvelé, contre James, des objections déjà faites, sans paraître voir ce qu’il y avait de nouveau dans son exposé. Nous parlons plus haut, des objections de M. Strong, beaucoup plus intéressantes, dans le compte rendu du Journal of Philosophy, Psychology and Scientific Methods.

Le réalisme, nécessaire au pragmatisme contient, comme nous venons de voir, des éléments qui peuvent lui être funestes et c’est à toute une efflorescence de réalismes divergents que nous assistons.

M. Norman Smith, reprenant comme Taylor la théorie d’Avenarius, critique la théorie subjectiviste d’après laquelle nos idées sont à la fois appréhensions et effets des objets, exclues de leur milieu et incluses en lui ; il arrive à une forme spéciale du réalisme, empruntée à M. Bergson : notre cerveau, dit-il, est un organe moteur. M. Hollands se fait l’avocat d’un néo-réalisme qui nie comme le précédent la théorie représentative de la connaissance ; par là, dit M. Hollands, il se rapproche de l’idéalisme. Mais contre l’idéalisme, il affirme que la connaissance n’agit pas, que « esse » n’est pas « percipi ». Le néoréalisme définira-t-il la conscience comme une simple awareness, comme une sorte de verre transparent ? Où bien verra-t-il en elle une relation entre les objets, une orientation objective ? — L’auteur pose la question, et ne la résout pas. M. B.-C. Erder reprend le même problème, oppose le représentationnisme au réalisme pour lequel la conscience est simplement une relation d’awareness et qui maintient les qualités dans les objets eux-mêmes. Ces deux théories sont justes, conclut-il, si elles sont jointes ; elles se mêlent dans la réalité, et leur dosage varie, M. W.-T. Marvin fait place dans les données premières de la connaissance, à côté des axiomes et des inférences, aux jugements dont la seule garantie est le contenu, saisi immédiatement par la conscience ; ce contenu c’est ce qu’il appelle le « factuel ».

Nous avons ici les exemples d’une forme spéciale, née sous l’influence d’Avenarius et de Bergson, de ce réalisme qui semble vouloir se constituer, comme dit M. Erder, en doctrine épistémologique, et prendre la succession du pragmatisme.


LA PHILOSOPHIE DANS LES UNIVERSITÉS

(1907-1908.)
FRANCE


Paris.
Collège de France.

Psychologie : le Dr P. Janet, professeur, analyse psychologique des émotions et des sentiments.

Faculté des Lettres.

Histoire de la philosophie moderne : M. Lévy-Bruhl, professeur. — Mercredi, 4 h. 3/4. La philosophie de Kant. — Mardi, 9 heures. Explication de textes et préparation au diplôme d’études supérieures. — Jeudi, 10 heures. Exercices pratiques en vue de l’agrégation.

Histoire de la philosophie ancienne : M. Rodier, chargé de cours.

Cours public : Platon.

Conférences (diplôme d’études et agrégation) : Explication d’Épictète, Entretiens, livre II, et de Platon, Le Sophiste.

Bordeaux.

Philosophie : M. Paul Lapie, professeur.

Cours public : La valeur morale.

Conférences : 1° Psychologie appliquée à l’éducation (conférence destinée aux candidats à l’inspection primaire et à la direction des écoles normales).

2° Explication de Hume : Essais philosophiques sur l’entendement humain (1er semestre) — et de Kant : Critique de la Raison pure, dialectique transcendentale (2e semestre). Conférence destinée aux candidats à l’agrégation.

3° Leçons d’étudiants ; correction des travaux écrits. Conférence destinée aux candidats de l’agrégation, à la licence, au certificat d’aptitude à l’enseignement secondaire des jeunes filles.

Histoire de la philosophie : M. Th. Ruyssen, chargé du cours.

1° Cours : Les sources de la philosophie de Schopenhauer.

2° Conférences préparatoires a l’agrégation : Explication du Sophiste, du De Divinatione et des Entretiens (II) d’Épictète.

3° Conférences préparatoires à la licence : travaux pratiques.

Lille.

Philosophie : M. Penjon, professeur.

Le jeudi, de 2 à 4 heures : Préparation à l’agrégation. Dissertations, leçons, explications des auteurs. Diplômes d’études supérieures.

Le vendredi, de 3 à 4 heures : Licence et agrégation. Histoire de la philosophie moderne : Locke, Berkeley, Hume et Reid.

Lyon.

Philosophie : M. A. Bertrand, professeur.

I. Cours public de philosophie. Le fait : Critique des faits fondamentaux.

II. Cours public de sociologie. Le pragmatisme et le sociologisme en morale.

III. Conférence de Psychologie. Psychologie et métaphysique de la Volonté.

Histoire de la philosophie et des sciences : M. E. Goblot, professeur.

Cours fermé : 1° Étude du pragmatisme. 2° Aristote métaphysique A. Critique de la théorie des Idées de Platon.

3° Philosophie de Newton.

Philosophie et pédagogie : M. Chabot, professeur.

Cours public : L’Enseignement moral.

Conférence de licence : Morale pratique.

Conférence de psychologie appliquée à l’éducation : Les lois de l’intelligence (II).

Conférence aux stagiaires d’agrégation : Pédagogie de l’Enseignement secondaire.

Conférences de pédagogie préparatoires à l’inspection primaire et au professorat des écoles normales.

Nancy.

Philosophie : M. Paul Souriau, professeur.

Le mardi, à 9 h. 1/2. Cours de psychologie.

Le vendredi, à 9 h. 1/2. Préparation à la licence, exercices pratiques.

Le samedi, à 9 h. 1/2. Explication de textes philosophiques.

Toulouse.

Philosophie : M. Thouverez, professeur. Mardi : Licence.

1er Semestre : Auteurs philosophiques.

2e Semestre : Philosophie générale.

Jeudi : Pédagogie.

1er Semestre : l’Éducation à l’École.

2e Semestre : Auteurs pédagogiques.

Samedi : Agrégation.

1er Semestre : Histoire de la philosophie.

2e Semestre : Explication des auteurs.

Philosophie sociale : M. Bouglé, professeur. M. Fauconnet, chargé du cours.

Le mercredi, à 5 heures : Cours de morale.

Le lundi et le samedi, à 5 heures : Exercices pratiques en vue de la licence et de l’agrégation.

SUISSE
Genève.

M. Otto Karmin, privat-docent à l’Université de Genève, donnera pendant le semestre d’hiver 1908/1909 son cours sur F. Oppenheimer et sa théorie de l’État.

M. André de Maday, D. ès sc. politiques.

Mardi, à 2 heures. Sociologie descriptive, soit sociographie. — La famille et le féminisme.

Lundi et mercredi, à 2 heures. Philosophie du droit.

Lundi, à 9 heures. Législation ouvrière comparée


DIPLÔME D’ÉTUDES SUPÉRIEURES DE PHILOSOPHIE

Lyon.

1. Le mécanisme de Descartes et le dynamisme de Leibniz. L’auteur a montré que l’œuvre métaphysique de Leibniz avait son origine et sa raison d’être dans son œuvre scientifique, que le principe des forces vives et le calcul infinitésimal ont amené la philosophie des monades.

2. La théorie de la connaissance chez les Épicuriens et les Stoïciens.

3. La liberté chez les Épicuriens et les Stoïciens.

4. La finalité dans Aristote.

5. Critique de la théorie des Idées par Aristote.

Toulouse.

Mémoire : Que la méthode de Malebranche n’est pas cartésienne.

Texte : Spinoza. Tractatus politicus.




Coulommiers. — Imp. P. Brodard
  1. G. Sorel : La Crise de la pensée catholique (septembre 1902) ; — J. Wilbois : La Pensée catholique en France au commencement du XIXe siècle (mai-juillet 1907).