Revue canadienne/Tome 1/Vol 17/Causerie Scientifique (juin)

Compagnie d’imprimerie canadienne (17p. 374-378).

CAUSERIE SCIENTIFIQUE.



Les maladies charbonneuses. — Expériences de Pasteur. — Le seul préventif du charbon. — Une autre trichine. — Tanner et ses émules. — Science gastronomique. — Salade. — Son historique, ses qualités. — Comment on colore le fromage de Hollande. — La lumière électrique à New-York. — Edison.


Je vous ai déjà parlé de la théorie de Pasteur, qu’on appelle la théorie des germes, voici une nouvelle découverte que l’infatigable travailleur a faite au sujet des maladies charbonneuses qui ravagent nos campagnes, jetant la désolation et le deuil sur nos fermes. Cette découverte peut se résumer dans la formule suivante, qui est la conclusion de son rapport à l’Académie des Sciences.

« De la terre recueillie au-dessus des fosses où sont enfouis des animaux charbonneux depuis plusieurs années, convenablement traitée, est susceptible de produire le charbon par inoculation. Les vers de terre sont les agents qui ramènent constamment les germes morbides, de la profondeur des fosses à la superficie du sol, au moyen de leurs excréments. »

M. Colin, si souvent incrédule, a nié le fait, une commission académique a été organisée et M. Villemin a fait le rapport suivant :

Trois sortes de terre ont été expérimentées :

1o. Une terre recueillie sur une fosse des animaux charbonneux avaient été enfouis depuis douze ans.

2o. Une terre recueillie sur une fosse où des animaux charbonneux avaient été enfouis depuis trois ans.

3o. Enfin une terre vierge, c’est-à-dire recueillie sur du terrain, où de mémoire d’homme, il n’avait été enfoui d’animal charbonneux.

Des expériences ont été pratiquées en outre avec des excréments de vers de terre provenant des deux premières fosses. Huit séries d’expériences ont été instituées par la commission, avec tout le soin et toutes les précautions exigées en pareille matière. Toutes furent concluantes en faveur de Pasteur.

Il résulte de ces faits qui doivent venir à la connaissance publique, par tous les moyens et le plus vite possible, que nous n’avons à notre disposition qu’une seule ressource contre un mal qui semble pousser avec l’herbe de nos champs c’est l’incinération, c’est le feu.

Les autorités, — le conseil d’agriculture, je suppose, — devraient voir à ce que des circulaires soient envoyées dans chaque localité, recommandant la destruction immédiate par le feu de tout animal charbonneux. Il faut se mettre à l’œuvre, guetter les travaux de la science, et mettre en pratique sans hésitation ses commandements.

Le charbon fait penser à la trichine : abyssus abyssum invocat.

Un savant de Berlin vient de découvrir au moyen du microscope un petit ver semblable à une sangsue, très différente de la trichine, et qui n’est pas encore connu. Ces vers rampent dans les parties musculaires, quelquefois se mouvant avec rapidité.

Définitivement il va nous falloir dire adieu aux jambons même sucrés, aux petits salés qui ont bien aussi leur succulence, et à toute la nombreuse famille des saucissons, et puis… à mort les poulets et les perdreaux. Car enfin, l’idée d’être mangé vivant par les vers, ce n’est pas un mythe ! Cela est. Et l’idée de ne pas manger du tout, cela ne peut pas être.

Car on n’est pas Tanner à volonté.

Au sujet du grand homme de l’an dernier, il est bien juste de répéter ici le dicton vulgaire : l’on trouve toujours son maître.

Un Hongrois, pensionnaire de la maison des pauvres à Allantown en Pensylvanie, vient de dormir, sans boire ni manger conséquemment, pendant soixante-douze jours. Mais le malheureux a eu un réveil terrible, il s’est tué en sautant par une fenêtre ; c’était un bon moyen pour s’endormir de nouveau, et profondément cette fois-ci.

Une autre émule de Tanner offre de rester quarante-cinq jours sans prendre de nourriture. Quarante-cinq jours pendant les grandes chaleurs, sans manger… un pied de salade, quel tour de force anti-gastromane, n’est-ce pas ?

La salade, ai-je dit ? Se priver de salade pendant quarante-cinq jours de chaleur ! Quelle imprudence ! La salade en effet est bien un aliment aussi agréable qu’hygiénique, aussi sain que rafraîchissant. Je suppose que j’ai quelques lecteurs qui s’intéressent à tout ce qui flatte le palais et fait le ventre, je leur laisse en passant les notes suivantes sur ce précieux légumineux, car la salade a aussi son histoire, qui n’en aurait pas ?

L’étymologie du mot salade vient des deux mots latins, sal (sel) et latus (laitue), qui indiquent deux des principaux ingrédients qui la composent, laitue signifiant ici toute feuille qu’on peut lui substituer, romaine, pissenlit, cresson, etc., etc.

Le maître en l’art d’assaisonner la salade, nous dit le Dr Meyer, à qui j’emprunte ces notes gastronomiques, fut un Français, le chevalier Gaudet.

Salut, chevalier !

Obligé d’émigrer de France, lors des troubles de la Révolution, Gaudet s’enfuit en Angleterre sans moyen d’existence, sans profession, sans argent. Comme le philosophe ancien, il s’écria en prenant pied sur la terre anglaise : « Je porte mon trésor avec moi. » Il disait vrai ; ce trésor, qui devait lui procurer une honnête aisance, n’était autre que l’art de savoir faire une salade. Il introduisait l’usage, jusqu’alors inconnu, des couverts à salade.

Nul mieux que lui ne connaissait aussi exactement le juste milieu entre le trop et le trop peu par la quantité de sel, de poivre, d’huile et de vinaigre nécessaires ; nul ne savait mieux choisir la salade appropriée à chaque saison. Avec quelle grâce il divisait les feuilles ! avec quelle dignité il mélangeait les ingrédients dans le plat !

Aussi notre célèbre Vatel était-il l’honneur et l’orgueil des maisons les plus nobles.

On ne sera pas surpris que je consacre une page à la laitue quand on saura, avec ce que j’ai dit plus haut de ses vertus, le fameux dicton dont se vante l’art gastronomique : « Celui qui sait faire une bonne salade peut écrire un bon livre. »

Je regrette de ne pas être dans les secrets des dieux de la cuisine, de ne pas avoir le génie du chevalier Gaudet : je donnerais volontiers ma recette, aux abonnés de la Revue, à titre de prime secondaire.

…En revanche, je vous enseignerai bien la manière dont on colore le fromage de Hollande.

La maurelle est une plante dont on fait une teinture et qui, dans le commerce, se trouve dans deux états différents : en drapeaux et en pain.

La préparation du tournerol ou maurelle en drapeaux est l’industrie d’un village de la Provence, Grand-Gallargues, aux environs de Lanel.

Le tournerol en pain se fait en Auvergne.

Un des lanessan, nous parlant de la première fabrication, nous fait la révélation suivante :

Les sommités et les fruits de la maurelle sont cueillis, puis broyés pour en extraire le suc. Dans ce suc on trempe des morceaux de toile d’emballage, qu’on arrose d’urine et qu’on fait sécher rapidement. On les place ensuite entre deux couches de paille sur des tas de fumier de cheval en fermentation et dégageant en abondance des vapeurs d’ammoniaque. Au bout d’une couple d’heures les chiffrons se colorent fortement en bleu ; on les fait sécher, puis on les imbibe de nouveau de suc de la plante mélangé d’urine. On les soumet à la même opération dans le fumier jusqu’à ce qu’ils aient pris une belle teinte pourpre. Tels sont les drapeaux, et voici ce qu’on en fait :

On les expédie en Hollande où ils servent à colorer le fromage de la manière suivante : les drapeaux sont macérés dans de l’eau cellei devenue bleue, qui sert à recevoir les fromages qu’on y laisse tremper quelque temps, et qu’on fait ensuite sécher. Les acides du fromage changent en rouge la matière colorante bleue qui s’est fixée dans l’épaisseur du fromage.

Et dire qu’il y en a qui peuvent se faire mourir pour un fromage !

Je ne puis pourtant close cette causerie sans parler encore de l’électricité. Peut-on faire une chronique scientifique sans consacrer quelques instants à cette partie de la science qui absorbe tout.

Ottawa a refusé l’offre de Spaulding ; les garanties paraissaient pourtant satisfaisantes : cette grande satisfaction ne devait pas nous être donnée, et l’innovation que nous nous plaisions avec orgueil à placer dans notre capitale devait appartenir à une autre ville ; il était écrit que le peuple qui a fait tant pour les applications pratiques de l’électricité pourrait se vanter aussi d’avoir, le premier, éclairé ses villes au moyen d’un système inouï jusqu’ici.

En effet on va élever à New-York, ce que nous ambitionnions de contempler à Ottawa, une tour en fer de 280 pieds de hauteur et qui supportera six lampes électriques, dont la lumière équivaudra à celle de trente-six mille bougies. Ce système d’éclairage doit être appliqué à toute la ville.

Il était réservé ce triomphe au sorcier de Menlo Park, et les efforts de ce génie ne pouvaient avoir plus beau théâtre.

Edison va plus loin, c’est-à-dire que la distance pour l’électricité n’est pas un obstacle ; néanmoins il paraît curieux d’entendre ce savant nous dire qu’il pourra transmettre la lumière de l’Union Park, N.-J., au Hâvre, et cela par le câble.

Son triomphe ne se borne pas là, il nous annonce d’autres merveilles ; ainsi le mouvement des ascenseurs par l’électricité en est une qui en vaut bien d’autres, etc.

Sévérin Lachapelle, M. D.