Revue Musicale de Lyon 1903-11-10/Grands Concerts

correspondance de paris

Grands Concerts

M. Gabriel Pierné a fait dimanche ses débuts comme chef d’orchestre aux Concerts-Colonne.

On savait depuis longtemps qu’il était non seulement un compositeur distingué quoique un peu impersonnel, mais aussi un musicien rompu à toutes les finesses de son art, ayant eu une brillante scolarité au Conservatoire, connaissant en somme son métier à fond. Ses solides qualités musicales lui ont permis de se mettre d’emblée à la tête du bel orchestre du Châtelet et d’y faire bonne figure.

Il fut acclamé très justement après l’exécution de cette Symphonie en ré dans laquelle César Franck transparait tout entier avec son âme ardente, passionnée, mystique et candide, et sa science profonde mais si peu rébarbative, si modeste qu’elle se fait oublier.

La direction de M. Pierné, sans avoir les molles séductions de celle de M. Colonne fut d’une netteté et d’une intelligence de détails parfaites, et manifesta un vrai musicien qui sent profondément et qui sait communiquer clairement ses impressions personnelles. Avec de telles qualités de fond, M. Pierné s’assimilera vite les petites roueries de métier, les ficelles professionnelles ; il est d’ailleurs à bonne école.

Après la symphonie de Franck, le programme du concert comprenait une seconde audition de la mélancolique et pénétrante musique de Fauré sur Pelléas et Mélisande ; la Toussaint de Joncières, musique point trop personnelle, mais honnête et sincère et qu’on s’attendait à entendre aux obsèques du regretté compositeur ; l’ouverture des Francs-Juges de Berlioz, mélange étrange de solennité un peu surannée et de fougue romantique, exécutée dans le Brouhaha de la sortie.

Le concert était complété par quatre airs chantés par Mme Schumann-Heinck. Le premier, un air de la Clémence de Titus de Mozart, a permis d’apprécier une voix quelque peu stupéfiante qui réunit des qualités de voix de chanteuse légère et de puissant contralto avec un médium qui ne le cède en rien aux registres extrêmes.

Dans les autres airs : un fragment meyerbeerien de Rienzi, une mélodie de Schubert, la Toute-Puissance d’une allure grandiose, mais un tantinet monotone avec sa batterie vieillotte ; enfin la splendide évocation d’Erda du Rheingold, Mme Schumann-Heinck a fait montre d’une sincérité et d’une passion vibrante qui furent très acclamées.

Edouard Millioz.