REMONSTRANCES

FAITES A MESSIEURS

LES PREVOST DES MARCHANS,

Echevins, & Principaux Habitans

de la Ville de Lyon :

Touchant la Necessité & Vtilité des Ecoles Chrétiennes,
pour l’instruction des Enfans
pauvres.

Par Mre Charles Démia, Pre. Comissaire deputé, pour
la visite des Eglises de Bresse, Bugey, Dombes, &c.

1668.


LES marques illustres que Messieurs les Prevost des Marchans, & Echevins de la Ville de Lyon ont donné de tout tems, du zele qu’ils ont eu de la rendre une des mieux policées du Royaume, et la pieté de ses principaux Habitans ; ont fait naître la pensée à quelque personne de remontrer à Messieurs du Consulat, & plus Notables qui resident dans Lyon, que le principal moyen d’achever la splendeur & magnificence de cette grande Ville, est d’y établir des Ecoles Chrétiennes, où les pauvres de l’un & l’autre sexe, soient enseignez gratuitement dans leur bas âges.

Cet Etablissement est de telle Importance, et d’une si grande utilité, qu’il n’est rien dans la Police, qui soit plus digne des soins et de la vigilance des Magistrats ; puis que de là dépend le bonheur & la tranquilité publique, qui ne peuvent subsister, à moins que les Particuliers ne s’acquittent de leurs devoirs envers Dieu, envers leur Patrie, & leur Famille.

Or il est impossible de s’en bien aquitter, si les jeunes gens n’en sont instruis de bonne heure, en des lieux où l’on fasse profession particuliere d’enseigner ces Devoirs, dont ils ne peuvent avoir d’eux-méme connoissance, puisqu’ils n’apportent en ce monde que l’ignorance, le peché, & une grande pente au mal.

Il est vray que les enfans d’honneste famille reçoivent l’instruction de ces Devoirs dans leurs Maisons, par leurs parens, dans les Ecoles par les Maîtres qu’ils payent, dans les Colleges par les Regens que la Ville entretient.

Mais les Pauvres n’ayans pas le moyen d’élever ainsi leurs enfans ; ils les laissent dans l’ignorance de leurs obligations : le soin qu’ils ont de vivre, fait qu’ils oublient celui de leur faire apprendre à bien vivre, & eux-mêmes ayant été mal élevez, ils ne peuvent communiquer une bonne éducation qu’ils n’ont jamais euë ; Outre que le desordre dans lesquels la pluspart de ces Peres ont vécu pendant leur jeunesse, fait qu’ils se soucient fort peu, que leurs enfans aprennent les bonnes mœurs, & les Devoirs du Christianisme qu’ils ignorent.

Les Parrains qui devroient supléer à ce manquement, ne connoissans pas leurs obligations, n’en tiennent pas plus conte que leurs peres : ainsi l’on voit avec un sensible deplaisir que cette éducation des enfans, du pauvre peuple est totalement negligée, quoy qu’elle soit la plus importante de l’État, dont ils sont le plus grand nombre, & qu’il soit autant & méme plus Necessaire, d’entretenir pour eux des Ecoles publiques, que des Collèges pour les enfans d’honnête famille.

De ce peu de soin qu’on a d’élever les jeunes gens, s’ensuit la prodigieuse ignorance de Dieu, qu’ils sont neanmoins obligez de connoître, d’aimer & de servir, s’ils veulent avoir part en son Royaume. Mais comment le connoîtront-ils ? S’ils n’ont des Maîtres qui les instruisent. Comment les Maîtres les instruiront-ils ? si quelqu’un ne les entretient. Qui les entretiendra ? si le corps de Ville, les Curez & Marguilliers de chaque Parroisse n’entreprennent cette dépence ?

Peut-être que quelqu’un voudroit dire que les jeunes gens pourroient recevoir cette connoissance par les Sermons & Catechismes qui se font dans les Parroisses : Mais comme plusieurs ne les frequentent point, & que ceux qui y assistent n’en profitent aucunement, soit parce que la pluspart des instructions qui s’y font, sont au dessus de leur portée, soit à cause que la semence Divine qui s’y jette, est souvent étoufée par la corruption de la nature, & les mauvaises compagnies qu’ils frequentent dés qu’ils en sont dehors ; ainsi les pauvres ne peuvent par cette voye quitter l’ignorance où ils croupissent, & satisfaire à cette obligation d’aimer & servir Dieu, dont le Fils a cheri si tendrement l’État d’enfance, & par lequel il a bien voulu commencer le Mystere de nôtre Redemption.

Si bien qu’aprés tant de bienfaits que les hommes ont receus, & qu’ils reçoivent encore en leurs bas âge, aprés le commandement exprés d’un Dieu, qui exige qu’on lui offre les premices des années aussi bien que des fruits, il ne faut pas s’étonner s’il châtie si severement ceux qui manquent à ce devoir ; Si l’on voit la perte de tant de belles esperances dans les uns, la mort précipitée dans les autres ; tous ces malheurs n’ont autre source, sinon la mauvaise instruction de la jeunesse ; Qui est encore cause du peu de sentiment de la vertu dans le bas âge, de l’estime du vice dans l’âge viril, de l’endurcissement et impenitence finale dans la vieillesse.

Si ce defaut de bonne instruction est cause que l’on peche contre les Devoirs que l’on doit rendre à Dieu, il prejudicie encore beaucoup au public et particulier qui le composent.

Car les jeunes gens mal élevez, tombent ordinairement dans la feneantise ; de là vient qu’ils ne font que ribler[1] & battre le pavé, qu’on les voit attroupez par les carrefours, où ils ne s’entretiennent le plus souvent, que de discours dissolus, qu’ils deviennent indociles, libertins[2], joüeurs, blasphemateurs, querelleux ; s’adonnent à l’yvrognerie, à l’impureté, au larcin & brigandage, qu’ils deviennent enfin les plus depravez & factieux de l’État, duquel étant les membres corrompus, ils gâteroient le reste du corps, si le foüet des bourreaux, les galeres des Princes, les gibets de la Justice, n’enlevoient de terre ces serpens venimeux, qui infecteroient le monde par leurs venins & leurs dissolutions. Adeo à teneris assuescere malum est ?

C’est encore de ce défaut de bonne éducatiő que naît la difficulté qu’on a de trouver des serviteurs fideles, & des bons Ouvriers ; Que l’on voit tăt de feneans & vagabons par les rues, qui ne sçachans que boire & manger & mettre au monde des miserables, causent dans la Ville une fourmilliere de gueux, qui pourroient non seulement faire apprehender des desordres publics (telle sorte de gens étant ordinairement porté à la sedition, & capables de toutes les mauvaises entreprises) mais encore donner juste sujet de craindre, que le fond destiné pour la subsistance de l’Aumône generale de l’Hôtel-Dieu ne fût à la fin épuisé, Ce qui retomberoit à la Charge du Consulat, notamment pour l’Hôtel-Dieu, dont les Prevos des Marchans & Echevins sont les Recteurs primitifs.

Si la bonne instruction est si necessaire dans les pauvres garçons, elle ne l’est pas moins pour la gloire de Dieu & le bien public dans les Pauvres Filles ; Ce sexe ayant d’autant plus besoin d’être soûtenu par la vertu, que la foiblesse est grande, & que de leur bon commencement dépend leur fin heureuse. D’où croit on que viennent les desordres, & la jalousie dans les maisons, tant de lieux infames dans la Ville, tant d’enfans exposez dans l’Hôpital, tant de dissolutions publiques, si ce n’est qu’on n’a pas eu assez de soin de l’éducation des jeunes filles, qu’on les a laissées dans l’ignorance, & qu’ensuite elles sont tombées dans l’oisiveté, & puis dans le mensonge, l’indocilité, l’inconstance, & enfin dans la misere, qui est l’écueil le plus commun, où la pudeur de ce sexe fait ordinairement naufrage : Haec fuit iniquitas sodomæ, otium filiarum, ejus mendacium, furtum, adulterium inundaverunt, dit un Prophete.

On a trouvé le moyen de regler le Clergé, & les Cloîtres en établissant des Ecoles, qu’on appelle Seminaires & Noviciats : Il n’y a point aussi d’autre moyen de tarir la source de tant de desordres, & reformer Chrétiennement les Villes & les Provinces, qu’en établissant des petites Ecoles, pour l’instruction des enfans du Pauvre peuple, dans lesquelles, avec la crainte de Dieu, & les bonnes mœurs, on leur apprendroit à lire, écrire & chiffrer, par des Maîtres capables de leur enseigner ces choses, qui les mettroient heureusement en état de travailler en la pluspart des Arts & des Professions ; n’y en ayant aucune, où ces premieres connoissances ne servent d’un grand secours, & d’acheminement pour s’avancer dans les emplois les plus considerables.

PAR CE MOYEN les Fabriques et Manufactures se rempliroient peu a peu de bons Aprentis, qui pourroient ensuite devenir d’excellens Maitres [ de metiers], puisque dans ces Ecoles on leur enseigneroit, l’obligation, qu’ils ont de travailler fidelement et fortement, et les moyens dont it faudroit qu’ils se servissent pour sanctifier et faire fructifier leur travail, en leur insinuant une grande horreur de la chicane et de la feneantise : Il n’y auroit pas tant de peine de purger la Ville de lieux infames, puisque l’oisivete et la pauvrete qui sont les deux sources de la prostitution du sexe, en seroient bannies, vu que l’on remedieroit a l’une en les occupant a la lecture et ecriture, et qu’on surviendroit a[3] l’autre en ouvrant leur esprit par des saintes connoissances, qui les rendroient industrieuses pour gagner leur vie, et mieux disposées aux emplois qu’on leur voudroit bailler.

CES PETITES ECOLES SEROIENT, comme autant de Pepinieres, dans lesquelles ces jeunes plantes étant élevées soigneusement, seroient ensuite dans tous les emplois en odeur de benediction. La semence que les Pasteurs jetteroient dans ces petits chams seroit cultivee, par ces bons Maitres, lesquels, foilissans ces terres qu’on laisse en friche, pourroient parfois decouvrir des tresors d’autant plus utiles au public, que souvent il se rencontre de l’Or dans cette Bouë, et parmi ces Rochers des Pierres precieuses, c’est à dire des Sujets autant et quelquefois mieux disposez pour les Arts, les sciences et la vertu, que parmi le reste des hommes ; ce que grand nombre d’exemples confirment assez clairement. Ces Ecoles publiques seroient encore comme des Academies de la perfection des pauvres enfans, on les fougueuses passions de la jeunesse seroient domtées et soumises a la raison, leur entendement eclaire des vertus qu’on leur enseigneroit, leur memoire remplie de bonnes choses qu’ils y entendroient, et leur volonte echaufee par les exemples de vertu qu’ils y verroient pratiquer.

Elles seroient encore, si vous voulez, comme des Bureaux d’adresse, et des lieux de Marche sa parler au langage de l’Ecriture)10 dans lesquels les personnes les plus commodes[4]pourroient aller prendre, les uns pour se servir dans leurs Maisons, les autres pour emploier dans le Negoce, quelques-uns mêmes pour avancer dans les Sciences ; Enfin on pourroit envoier ces petits Ouvriers dans la vigne, et les emploier chacun selon leurs dispositions et talens, lesquels aians été perfectionnez dans cette Academie de vertu, formeroient des personnes sages pour leur conduite, industrieux pour les Arts, adroits pour le Negoce, et généralement des gens propres a tout ce a quoi on voudroit les emploier.

EN ELEVANT de cette façon les jeunes gens, l’on banniroit les débauches, l’on versoir le vice diminuer, parce qu’on leur en donneroit de l’aversion et de l’horreur pendant l’enfance, l’experience ne faisant que trop voir, que les crimes ne sont ordinairement commis que par ceux qui ont été mal élevez : Comme au contraire, il est tres-certain que les bonnes habitudes contractées dans la jeunesse, ne se perdent que rarement, et que la semence qu'on a jettée de bonne heure dans leur esprit, germeroit tot ou tard, en telle sorte, que si parfois on en voit quelques-uns qui s'ecartent de leur devoir en certain tems, ils en reviennent d'autant plus facilement en d'autres, que l'on peut dire qu'ils ont ete sanctifiez par le joug du Seigneur qu'on leur a fait porter des leur enfance, et qu'etans des vaisseaux imbibez d'une liqueur salutaire dans leur commencement, ils en conservent long-tems une si suave odeur, qu'elle attire sur eux tant de benediction, qu'ils en deviennent, a ce que dit un saint Pere, plus savans par leur age, plus assurez par leur experience, plus sage par la longueur du tems, et moissonnent agreablement dans leur vieillesse les fruits du bon grain, qu'on a jette en eux dans leur bas âge.

La sainte Ecriture, et les Saints Peres sont remplis de Passages, qui confirment la necessite de la bonne education. Il suffit ici d'en indiquer quelques endroits, qui sont cottez a la marge. Job au Chapitre 2. Thern. c. 3. tout l'Ecclesiaste. Saint Chrysostome en a fait un traité particulier. Saint Jerome en a ecrit un Epitre ad Letam, et plusieurs autres Sains Peres, raportez par un pieux et savant Docteur de Sorbonne de ce tems 12dans le traite particulier qu'il a fait pour l'instruction de la jeunesse: et dans une Instruction Chretienne, sur les obligations des parens, à l'egard des enfans, compose[e] par Messieurs du Seminaire Saint Nicolas du Chardonnet. Le grand Gerson, quoique Chancelier de la premiere Universite du monde, avoit tant d'estime de ces petites Ecoles, qu'il ne dedaigna pas de s'y apliquer dans cette Ville; i1 dit meme, qu'il ne sait rien qui soft plus utile, ni plus necessaire dans la Republique Chretienne que cela. Nescio prorsus si quidquam majus esse potest, quam animas ab ipsis inferni portis eripere; et tales parvulorum animas, quasi plan tare, aut rigare.

Le Saint Concile de Trente, dit ces paroles qui sont tres-remarquables. Cum Adolescentium aetas, nisi recte instituatur prona sit ad mundi voluptates sequentas, et nisi a teneris annis ad pietatem injormetur, ante quam vitiorum habitus totos possideat; numquam perfecte ac SINE MAXIMO DEI OMNIPOTENTIS A UXILIO, in disciplina Christiana perseveres. C'est pourquoi ce saint Concile dans ce meme entroit, veut qu'on etablisse des lieux que l'on apelle pour les Ecclesiastiques Seminaires, et pour le reste des Fideles, [qu']elle qualifie d'ECOLES. Sancta Synodus statuit certum puerorum numerum in Collegio religiose educare, &c.

Enfin les Decrets des Souverains Pontifes, les Ordonnances de nos Rois, les Arrets des Parlemens s'acordent tous en faveur de l'etablissement de cette sainte Œuvre.

L'ON POURROIT PEUT ETRE DIRE, que ces Ecoles ne seroient si utile que l'on a proposé, parce qu'il semble qu'elles porteroient plutot ) la feneantise, et a la Chicane qu'au Travail.

Quoi qu'on aie sufisamment satisfait à cet[te] Objection, par ce qui est dit en diferens endrois de ces Remontrances; on ajoutera seulement ici, 1. Que les Maitres auroient soin d'inspirer à la Jeunesse de l'aversion de l’oisiveté, des procez et de la chicane : La vertu qui ne gâte jamais rien, qu’on leur enseigneroit, rectifiant leurs Esprits, en les rendant plus judicieux, les eloigneroit plutot de ces vices que de les y porter. 2. Qu’on ne pretendroit pas de les pousser dans la perfection de l’ecriture, et beaucoup moins au Latin ; Mais plutot de leur inspirer l’amour du travail et les moiens de se sanctifier, a quoi on commenceroit de les former, les faisant travailler dans ces Eccles a certaines heures aux boutons, tricotages, dantelles, etc. 3. On ne retiendroit ces enfans a l’Ecole, que jusques a ce qu’ils fussent en etat d’aprendre quelque profession, qu’on tacheroit de leur procurer par raport a leurs dispositions. 4. On espère enfin que les fruits que l’experience fera tirer dans la suite, détruiront plus que sufisamment cet Objection, et toute celles que l’on pourra faire contre une si Sainte entreprise.

MAIS POUR L’EXECUTION de cette œuvre, a qui peut-on avoir recours si ce n’est a la charite et au zele de Messieurs les Sacristains, Curez, et Marguilliers de chaque Paroisse. Qu’a ceux qui &sans dans les charges de Magistrature, sont apellez communement les Pères du Peuple ; Certainement par l’établissement de ces Ecoles Chrétiennes, ils le deviendront par un nouveau titre, et d’une maniere bien plus excellente que les Pères naturels, puisque ceux-ci leur aians bailie l’être, ne leur laissent que la misere, et le vice, pour apanage, pendant une vie qui se termine souvent a une mort eternelle ; Au lieu que ceuxta supleent au defaut, et a l’impuissance des autres, leur procurant une instruction qui leur donne une seconde vie plus precieuse que la première, dont la fin ne peut être que tres-heureuse.

L’on ne doute pas que le bon menage des deniers publics, auquel Messieurs les Prevost des Marchans et Echevins de Lyon, s’apliquent soigneusement, ne fust un obstacle pour l’exécution de ce dessein, s’il s’agissoit d’une dépense superflue ou peu profitable ; Mais tant s’en faut, que cet établissement des petites Ecoles, et le gage des Maitres qui en auroient le soin tilt a charge au public, qu’au contraire elle seroit un moien d’epargner d’autres dépenses plus considerables a la Charite et a l’Hôtel-Dieu, qu’on dechargeroit peu a peu de ces enfans trouvez, dont le libertinage du peuple le remplit : La prodigieuse multitude d’Aumones de pain que l’on distribue par les quartiers, seroit aussi notablement diminuee, parce que la nécessite du menu peuple, qui ne procede ordinairement que de l’oisivite, et de leur debauche, se finiroit en peu de tems, et l’on pourroit même faire une plus juste distribution de ces Aumones, parce que les plus nécessiteux, et plus dignes de secours seroient mieux connus.

Outre que l’Aumône d’une bonne éducation seroit plus profitable, et plus solide que toutes les autres qu’on leur pourroit faire, parce que celle-ci ne regarde pas seulement le soutien du corps, mais aussi la nourriture et perfection de l’ame : Quand on fournit aux Pauvres des vivres contre la faim, et des vêtemens contre la rigueur des saisons, ce sont la des bienfaits passagers, dont les uns se consomment par la chaleur natuselle, et les autres par l’usage ; Mais la bonne education est une aumone permanente ; et la culture des esprits des jeunes gens est un avantage en eux, qu’ils possedent pour toujours, et dont ils tirent des fruits tout le tems de leur vie.

En éfet, en procurant la première teinture pour la Piet&, et pour les Arts, a une foule inombrable de pauvres peuples, ne sera-ce pas leur donner du pain, les loger, meubler, habiller, et leur fournir les choses nécessaires pour cette vie, et pour l’autre ? puisque par le moien de leur industrie, ils seront en etat de se pourvoir, non seulement de toutes ces choses, et exemter des miseres de la vie ; mais encore par Ia lecture des bons Livres, et la pratique des Commandemens de Dieu, les porter estoacement a la fin pour laquelle ils ont été mis au monde. De maniere que ce sera un excellent moien de santifier la jeunesse, et de pourvoir originellement a toutes les nécessitez, que de commencer a leur ouvrir l’esprit, par les premiers documens de la vertu.

APRES DES CONSIDERATIONS si pressantes, et l’exemple de plusieurs autres Villes du Royaume, notamment de celle de Paris, on ces établissemens ont été faits avec tant de succez, et un si bel ordre : Apres que Messieurs les Magistrats se sont apliquez si heureusement à procurer le bien temporel des Habitans de Lyon, a rendre cette Ville une des plus considerables dans le Negoce, des plus regulieres dans les Batimens, des mieux policees dans les Reglemens, leur vigilance s’etant même etendue jusqu’au pave des rues, et aux boues des carrefours ; I1, a grand sujet d’esperer, qu’ils ne negligeront pas une occasion si favorable, pour rendre leur memoire illustre a la posterite, en s’apliquant au bien spirituel de cette Ville, par la bonne education des pauvres enfans de leurs Citoiens, qui courans les rues et les carrefours deviennent des clouaques infects de toutes sorter de vices.

LES AVANTAGES infaillibles qui proviendront de cet établissement, les bénédictions de Dieu et du Peuple, dont il sera suivi, recompenseront la dépense que l’on fera pour cet efet, par tant d’honeur et de profit, que dans peu d’annees l’on reconnoitra, que c’est l’un des plus pieux, l’un des plus utiles, et des plus glorieux emplois que Messieurs les Sacristains, Curez, Magistrats, et autres aient faits, et qu’ils puissent jamais faire de leurs deniers. Puisque par ce moien ils contribueront à former des bons Serviteurs de Dieu, de fideles Sujets de Sa Majeste, des sages Citoiens de leur Ville, et qu’enfin ils assureront leur salut par celui des autres.

MAIS comme cet établissement regarde de plus près le salut des amen du pauvre peuple, que l’avantage qu’ils en pourroient tirer pour les nécessitez de leur vie, et que la Direction des petites Ecoles est de la competence[5]des Evêques, qui sont apelez par les sains Docteurs, les Pères des Pauvres : On espère aussi que

MONSEIGNEUR L’ARCHEVEQUE, aussi zelé pour le salut de ses Oüailles, qu’afectioné au bien de les Arrests du Conseil, donnez en faveur des Ecoles, raportez dans les Memoires du Clergé.

cette Ville, qu’il procure avec tant de bonté & d’assiduité, ne laissers pas échaper cette occasion, de donner des marques Paternelles de sa pieté & de son zele, à l’égard de tant de Pauvres Enfans, qui implorent par ce grossier écrit son autorité pour l’acomplissement de cet ouvrage si important pour la gloire de Dieu, le bien de l’Etat, l’utilité des particuliers & l’avantage de la Ville, laquelle aiant receu par cet établissement le dernier trait de beauté, qui sembloit lui manquer pour la rendre parfaite, pourra ensuite servir de modele acompli aux autres Villes du Roiaume ; étant non moins chrétienne que policée ; non moins reglée dans les mœurs de ses Habitans, que reguliere dans ses Bâtimens ; autant illustre en Pieté, que florissante en Commerce ; Enfin autant obéïssante à Dieu, que soumise à son Roi, & à ses Magistrats.

Ces Remontrances aiant été envoiées en divers lieux, Monsieur Feret, Curé de S. Nicolas du Chardonnet, les aiant fait lire en plusieurs Communautez, de Paris, écrivit du depuis, qu’elles avoient fait un tel fruit, que Monsieur Roland, Theologal de Rheims, avoit prit resolution d’en établir dans Rheims ; & qu’une autre personne de merite, se disposoit d’emploier pour cette fin, uns somme tres-considerable.

Messieurs de la Ville de Lyon, firent la Deliberation suivante. N..


No 2.

EXTRAIT DES REGITRES CONSULAIRES
de la Ville de Lyon, portant Don, en faveur des
Ecoles, de la somme de deux cens livres,
annuellement.

Du Mardi trentiéme Decembre mil six cens septante, aprés
midi en l’Hôtel Commun de la Ville de Lyon.


IL a été arrêté, qu’il sera paié à l’avenir des Deniers communs, annuellement la somme de deux cens livres, en deux paiemens, savoir la moitié à la Saint Jean, & l’autre à Noël : dont le premier commencera à la Saint Jean-Baptiste prochain, pour être emploié à l’établissement & entretien d’une Ecole publique, pour instruire les Pauvres aux Principes de la Religion Chrétienne ; & même à lire & écrire, & que le fond en sera mis és mains du Sieur *** Bourgeois de ladite Ville, ou de telle autre personne de probité & pieté connuë, qui sera choisi & préposé à cet éfet. Et pour le paiement de ladite somme de deux cens livres, seront expediez de Mandemens Consulaires sur le Receveur des deniers communs, dons, & octrois de ladite Ville à l’écheance des termes. Signé par Extrait. DEGLAREINS, Secretaire.

  1. ribler : courir la nuit comme font les filous, cf. Furetière
  2. refusant de « s’assujettir aux loix » cf. Furetière
  3. au sens de « avant »
  4. commodes= obligeantes
  5. Voiez les Ordonnances etc., les Arrests du Conseil, donnez en faveur des Ecoles, raporte_ dons les Mémoires du Clergé. Démia a pu disposer de l’éd. de 1646. L’Assemblée du clergé de 1660 décida une nouvelle édition, plus complète, laquelle sortit de presse en 1674. Elle fut distribuée en 1675. C’est donc à l’éd. de 1646 que les Remontrances de 1668 font allusion, sans négliger toutefois le supplément paru en 1652. Il est évident que Démia usa ensuite de l’éd. de 1674-75].