Relation de ce qui s’est passé dans le pays des Hurons en l’année 1636/11

Chapitre VI.

De la police des Hurons, & de leur gouuernement.



IE ne pretends pas icy mettre nos Sauuages en parallele auec les Chinois, Iaponnois, & autres Nations parfaitement ciuiliſées ; mais ſeulement les tirer de la condition des beſtes, ou l’opinion de quelques-vns les a reduits, leur donner rang parmy les hommes, & faire paroiſtre qu’il y a meſme parmy eux quelque eſpece de vie Politique & Ciuile. C’eſt déja beaucoup à mon aduis de dire qu’ils viuent aſſemblez dans des Villages, quelquefois iuſques à cinquante, ſoixante, & cent Cabanes, c’eſt à dire trois cens & quatre cens ménages ; qu’ils cultiuent des champs, d’où ils tirent à ſuffiſance pour leur nourriture de toute l’année, & qu’ils s’entretiennent en paix & amitié les vns auec les autres. Il eſt vray que ie ne penſe pas qu’il y ayt peut-eſtre Nation ſouz le ciel plus recõmandable en ce point qu’eſt la Nation des Ours ; oſtez quelques mauuais eſprits qui ſe rencontrent quaſi par tout, ils ont vne douceur, & vne affabilité quaſi incroyable pour des Sauuages ; ils ne ſe picquent pas aiſément : & encor s’ils croyent auoir receu quelque tort de quelqu’vn, ils diſſimulent ſouuent le reſſentiment qu’ils en ont ; au moins en trouue-on icy fort peu qui s’échapent en public pour la colere, & la vengeance. Ils ſe maintiennent dans cette ſi parfaite intelligence par les frequentes viſites, les ſecours qu’ils ſe donnent mutuellement dans leurs maladies, par les feſtins, & les alliances. Si leurs champs, la peſche, la chaſſe, ou la traitte ne les occupe ils ſont moins en leurs Cabanes que chez leurs amis ; s’ils tombent malades, & qu’ils deſirent quelque choſe pour leur ſanté, c’eſt à qui ſe monſtrera le plus obligeant. S’ils ont vn bon morceau, ie l’ay déja dit, ils en ſont feſtin à leurs amis, & ne le mangẽt quaſi iamais en leur particulier. Dans leurs mariages il y a cecy de remarquable, qu’ils ne ſe marient iamais dans la parenté en quelque degré que ce ſoit ou direct, ou collateral, mais font touſiours de nouuelles alliances, ce qui n’eſt pas vn petit auantage pour maintenir l’amitié. Dauantage en cette fréquentatiõ ſi ordinaire, comme ils ont la plus part l’eſprit aſſez bon, ils s’eueillent & ſe façonnent merueilleuſement ; de ſorte qu’il n’y en a quaſi point qui ne ſoit capable d’entretien, & ne raiſonne fort bien, & en bons termes, ſur les choſes dont il a la cognoiſſance : ce qui les forme encor dans le diſcours ſont les conſeils qui ſe tiennent quaſi tous les iours dans les Villages en toutes occurrences : & quoy que les anciens y tiennent le haut bout, & que ce ſoit de leur iugement que dépende la deciſion des affaires ; neantmoins s’y trouue qui veut, & chacun a droit d’y dire ſon aduis. Adioutez meſme que l’honneſteté, la courtoiſie & la ciuilité, qui eſt comme la fleur & l’aggréement de la conuerſation ordinaire & humaine, ne laiſſe pas encor de ſe remarquer parmy ces Peuples ; ils appellent vn homme ciuil Aiendaȣasti. A la verité vous n’y voyez pas tous ces baiſe-mains, ces complimens, & ces vaines offres de ſeruice, qui ne paſſent pas le bout des léures ; mais neantmoins ils ſe rendent de certains deuoirs les vns aux autres, & gardent par bien-ſceance de certaines couſtumes en leurs viſites, dãſes, & feſtins, auſquelles ſi quelqu’vn auoit manqué, il ne manqueroit pas d’eſtre releué ſur l’heure ; & s’il faiſoit ſouuent de ſemblables pas de clerc, il paſſeroit bien toſt en prouerbe par le village, & perdroit tout à fait ſon credit. A la rencontre pour toute ſalüade, ils s’appellent chacun de leur nom, ou diſent mon amy, mon camarade, mon oncle, ſi c’eſt vn ancien. Si vn Sauuage ſe trouue en voſtre Cabane lors que vous mangez, & que vous luy preſentiez voſtre plat, n’y ayant encor guieres touché, il ſe contentera d’en gouſter, & vous le rendra. Que ſi vous luy preſentez vn plat en particulier, il n’y portera pas la main qu’il n’en ait fait part à ſes compagnons ; & ceux-cy ſe contentent d’ordinaire d’en prendre vne cuillerée. Ce ſont petites choſes à la verité, mais qui monſtrent neantmoins que ces Peuples ne ſont pas tout à fait ſi rudes & mal polis que quelqu’vn ſe pourroit bien figurer. En outre, ſi les loix ſont comme la maiſtreſſe rouë qui regle les Communautez, ou pour mieux dire l’ame des Republiques : il me ſemble que i’ay droit, eu egard à cette ſi parfaite intelligence qu’ils ont entr’eux, de maintenir qu’ils ne ſont pas ſans loix. Ils puniſſent les meurtriers, les larrons, les traiſtres, & les Sorciers : & pour les meurtriers quoy qu’ils ne tiennent pas la ſeuerité que faiſoient iadis leurs anceſtres, neantmoins le peu de deſordre qu’il y a en ce point, me fait iuger que leur procedure n’eſt guieres moins efficace qu’eſt ailleurs le ſupplice de la mort : car les parens du defunct ne pourſuiuent pas ſeulement celuy qui a fait le meurtre, mais s’addreſſent à tout le Village, qui en doit faire raiſon, & fournir au pluſtoſt pour cet effet iuſques à ſoixante preſens, dont les moindres doiuent eſtre de la valeur d’vne robbe neufue de Caſtor : le Capitaine les preſente luy meſme en perſonne, & fait vne longue harangue à chaque preſent qu’il offre ; de façon que les iournées entieres ſe paſſent quelquefois dans cette ceremonie. Il y a deux ſortes de preſens ; les vns, tels que ſont les neuf premiers qu’ils appellent andaonhaan, ſe mettent entre les mains des parens, pour faire la paix, & oſter de leur cœur toute l’aigreur, & les deſirs de vengeance, qu’ils pourroient auoir contre la perſonne du meurtrier : les autres ſe mettent ſur vne perche, qui eſt étẽdue au deſſus de la teſte du mort, & les appellẽt Andaerraehaan ; c’eſt à dire qui ſe mettent ſur la perche. Or chacun de ces preſens a ſon nom particulier. Voicy ceux des neuf premiers, qui ſont les plus conſiderables, & quelque fois chacun de mille grains de Pourcelaine. Le Capitaine parlant, & hauſſant ſa voix au nom du coulpable, & tenant en ſa main le premier preſent, comme ſi la hache eſtoit en cor dans la playe du mort, condagee onſahachȣtaȣas ; voila, dit-il, dequoy il retire la hache de la playe, & la fait tomber des mains de celuy qui voudroit venger cette iniure. Au ſecond preſent, condagee oſcotaȣeanon ; voila dequoy il eſſuie le ſang de la playe de ſa teſte : par ces deux preſens il temoigne le regret qu’il a de l’auoir tué, & qu’il ſeroit tout preſt de luy rendre la vie s’il eſtoit . poſſible. Toutefois comme ſi le coup auoit reially ſur la Patrie, & comme ſi le Pays auoit receu la plus grande playe ; il adiouſte au troiſieme preſent, en diſant condayee onſahondechari ; voila pour remettre le Pays en eſtat, condayee onſahondȣaronti, etotonhȣentſiai ; voila pour mettre vne pierre deſſus l’ouuerture & la diuiſion de la terre, qui s’eſtoit faite par ce meurtre. Les metaphores ſont grandement en vſage parmy ces Peuples ; ſi vous ne vous y faites, vous n’entendez rien dans leurs conſeils, ou ils ne parlent quaſi que par metaphores. Ils pretendẽt par ce preſent reünir les cœurs & les volontez, & meſmes les Villages entiers, qui auoient eſté comme diuiſez. Car ce n’eſt pas icy comme en France & ailleurs, où le public & toute vne ville entiere n’épouſe pas ordinairement la querelle d’vn particulier. Icy vous n’y ſçauriez outrager qui que ce ſoit, que tout le Pays ne s’en reſſente, & ne ſe porte contre vous, & meſme contre tout vn Village ; c’eſt de là que naiſſent les guerres, & c’eſt vn ſujet plus que ſuffiſant de prendre les armes contre quelque Village, quand il refuſe de ſatisfaire par les preſents ordonnez pour celuy qui vous auroit tué quelqu’vn des voſtres. Le cinquiéme ſe fait pour applanir les chemins, & en oſter les broſſailles, condayee onſahannonkiai, c’eſt à dire afin qu’on puiſſe aller doreſnauant en toute ſeureté par les chemins, & de Village en Village. Les quatre autres s’adreſſent immediatement aux parẽs, pour les conſoler en leur affliction, & eſſuyer leurs larmes, condayee onſahoheronti ; voila, dit-il, pour luy donner à petuner, parlant de ſon pere, de ſa mere, ou de celuy qui feroit pour venger ſa mort ; ils ont cette creance qu’il n’y a rien ſi propre que le Petun pour appaiſer les paſſions ; c’eſt pourquoy ils ne ſe trouuent iamais aux conſeils que la pippe ou calumet à la bouche ; cette fumée qu’ils prennent leur donne, diſent-ils, de l’eſprit, & leur fait voir clair dans les affaires les plus embroüillées. Auſſi en ſuitte de ce preſent on en fait vn autre pour remettre tout à fait l’eſprit à la perſonne offenſée, condayee onſah hondionroenkhra. Le huictieſme eſt pour donner vn breuuage à la mere du defunct, & la guerir comme eſtant griefuement malade à l’occaſion de la mort de ſon fils, condayee onſah aȣeaknoncȣa d’ocȣeton. Enfin le neuſiéme eſt, comme pour luy mettre, & étendre vne natte, ſur laquelle elle ſe repoſe, & ſe couche durant le temps de ſon deüil, condayee onſa hohiendaen. Voila les principaux preſens, les autres ſont comme vn ſurcroiſt de conſolation, & repreſentent toutes les choſes dont ſe ſeruoit le mort pendant ſa vie ; l’vn s’appellera ſa robbe, l’autre ſon collier, l’autre ſon Canot, l’autre ſon auiron, ſa rets, ſon arc, ſes fleches, & ainſi des autres. Apres cela, les parẽs du defunt ſe tiennẽt plainemet ſatisfaits. Autrefois les parties ne s’accordoient pas ſi aiſémẽt, & à ſi peu de frais : car outre que le public payoit tous ces preſens, la perſonne coupable eſtoit obligée de ſubir vne honte, & vne peine que quelques-vns n’eſtimeroient peut eſtre gueres moins inſupportable que la mort meſme. On etendoit le mort ſur des perches, & le meurtrier eſtoit contraint de ſe tenir deſſous, & receuoir deſſus ſoy le pus qui alloit dégoutant de ce cadaure ; on luy metoit aupres de luy vn plat pour ſon manger, qui eſtoit incontinent plein de l’ordure & du ſang pourry qui peu aà peu en tomboit, & pour obtenir ſeulemẽt que le plat fuſt tãt ſoit peu reculé, il luy en couſtoit vn preſent de ſept cens grains de Pourcelaine, qu’ils appelloient haſſahendiſta ; pour luy il demeuroit en cet eſtat tant & ſi long temps qu’il plaiſoit aux parens du defunct ; & encore apres cela pour en ſortir luy falloit-il faire vn riche preſent qu’ils appelloient akhiataendiſta. Que ſi les parens du mort ſe vengeoient de cette iniure, par la mort de celuy qui auoit fait le coup, toute la peine retomboit de leur coſté ; c’eſtoit auſſi à eux à faire des preſens a ceux meſmes qui auoient tué les premiers, ſans que ceux cy fuſſent obligez à aucune ſatisfaction, pour montrer combien ils eſtiment que la vengeance eſt deteſtable, puis que les crimes les plus noirs, tel qu’eſt le meurtre, ne paroiſſent quaſi rien en ſa preſence, qu’elle les abolit, & attire deſſus ſoy toute la peine qu’ils meritent. Voila pour ce qui eſt du meurtre : les bleſſeures à ſang ne ſe gueriſſent auſſi qu’à force de preſens de colliers, de haches, ſelon que la playe eſt plus ou moins notable.

Ils puniſſent auſſi ſeuerement les Sorciers, c’eſt à dire, ceux qui ſe meſlent d’empoiſonner, & faire mourir par ſort ; & cette peine eſt authoriſée du conſentement de tout le Pays ; de ſorte que quiconque les prend ſur le fait, il a tout droit de leur fendre la teſte, & en défaire le monde ſans crainte d’en eſtre recherché, ou obligé de faire aucune ſatisfaction.

Pour les larrons, quoy que le Pays en ſoit remply, ils ne ſont pas pourtant tolerez : ſi vous trouuez quelqu’vn ſaiſi de quelque choſe qui vous appartienne, vous pouuez en bonne conſcience ioüer au Roy dépouilé, & prendre ce qui eſt voſtre, & auec cela le mettre nud comme la main ; ſi c’eſt à la peſche, luy enleuer ſon Canot, ſes rets, ſon poiſſon, ſa robbe, tout ce qu’il a : il eſt vray qu’en cette occaſion le plus fort l’emporte : tant y a que voila la couſtume du Pays, qui ne laiſſe pas d’en tenir pluſieurs en leur deuoir.

Or s’ils ont quelque eſpece de Loix qui les maintiennent entre eux, il y a auſſi quelque ordre eſtably pour ce qui regarde les Peuples eſtrangers : & premierement pour le commerce ; pluſieurs familles ont leurs traittes particulieres, & celuy là eſt cenſé Maiſtre d’vne traitte qui en a fait le premier la decouuerte : les enfans entrent dans le droict de leurs parens pour ce regard, & ceux qui portent le meſme nom ; perſonne n’y va ſans ſon congé, qui ne ſe donne qu’à force de preſens ; il en aſſocie tant & ſi peu qu’il veut ; s’il a beaucoup de marchandiſe c’eſt ſon aduantage d’y aller en fort petite compagnie, car ainſi il enleue tout ce qu’il veut dans le Païs : c’eſt en cecy que conſiſte le plus beau de leurs richeſſes. Que ſi quelqu’vn eſtoit ſi hardy que d’aller à vne traitte, ſans le congé de celuy qui en eſt le Maiſtre, il peut bien faire ſes affaires en ſecret & à la deſrobée, car s’il eſt ſurpris par le chemin, on ne luy fera pas meilleur traittement qu’à vn larron, & il ne rapportera que ſon corps à la maiſon, ou il faut qu’il ſoit en bonne compagnie : que s’il retourne bagues fauues, on ſe contente de s’en plaindre, ſans en faire autre pourſuitte.

Dans les guerres meſmes où regne ſouuent la confuſion, ils ne laiſſent pas d’y tenir quelque ordre : ils n’en entreprennent point ſans ſuiet, & le ſuiet le plus ordinaire qu’ils ayent de prendre les armes, eſt lors que quelque Nation refuſe de ſatisfaire pour quelque mort, & de fournir les preſens que requierent les conuentions faites entre eux ; ils prennent ce refus pour vn acte d’hoſtilité, & tout le païs meſme eſpouſe cette querelle : ſur tout les parens du mort s’eſtiment obligez par honneur de s’en reſſentir, & font vne leuée pour leur courir ſus. Ie ne parle point de la conduite qu’ils tiennent en leurs guerres, & de leur diſcipline militaire, cela vient mieux à Monſieur de Champlain qui s’y eſt trouué en perſonne, & y a commandé ; auſſi en a-t-il parlé amplement, & fort pertinemment, comme de tout ce qui regarde les mœurs de ces Nations barbares. Ie diray ſeulement, que ſi Dieu leur faiſoit la grace d’embraſſer la Foy, ie trouuerois à reformer en quelques vnes de leurs procedures ; car premierement il y en a tel qui leuera vne trouppe de ieunes gens deliberez pluſtoſt, ce ſemble, pour venger vne querelle particuliere, & la mort d’vn amy, que pour l’honneur & la conſeruatiõ de la Patrie : & puis quand ils peuuẽt tenir quelques-vns de leurs ennemis ils les traittent auec toute la cruauté qu’ils ſe peuuent imaginer : les cinq & ſix iours ſe paſſeront quelquefois à aſſouuir leur rage, & les bruler à petit feu, & ne ſe contentent pas de leur voir la peau toute grillee, ils leur ouurent les iambes, les cuiſſes, les bras, & les parties les plus charnues, & y ſourrent des tiſons ardens, ou des haches toutes rouges ; quelquefois au milieu de ces tourmens ils les obligent à chanter ; & ceux qui ont du courage le font, & vomiſſent mille imprecations cõtre ceux qui les tourmentẽt : le iour de leur mort il faut encor qu’ils paſſẽt par là, s’ils ont les forces ; & quelquefois la chaudiere dãs laquelle on les doit mettre boüillir ſera ſur le feu, que ces pauures miſerables chanteront encore à pleine teſte. Cette inhumanité eſt tout à fait intolerable ; auſſi pluſieurs ne ſe trouuent pas volontiers à ces funeſtes banquets. Apres les auoir enfin aſſommé, s’ils eſtoiẽt vaillãs hommes, ils leur arrachẽt le cœur, le font griller ſur les charbons, & le diſtribuent en pieces à la ieuneſſe ; ils eſtiment que cela les rẽd courageux : d’autres leur font vne inciſion au deſſus du col, & y ſont couler de leur ſang, qui a, diſent-ils, cette vertu, que depuis qu’ils l’ont ainſi meſlé auec le leur, ils ne peuuent iamais eſtre ſurpris de l’ennemy, & ont touſiours connoiſſance de ſes approches, pour ſecrettes qu’elles puiſſent eſtre. On les met par morceaux en la chaudiere ; & quoy qu’aux autres feſtins la teſte, ſoit d’vn Ours, ſoit d’vn Chien, d’vn Cerf, ou d’vn grand poiſſon eſt le morceau du Capitaine ; en celluy-cy la teſte ſe donne au plus malotru de la compagnie : en effet quelques-vns ne gouſtent de ce mets non plus que de tout le reſte du corps, qu’auec beaucoup d’horreur : il y en a qui en mangent auec plaiſir ; i’ay veu des Sauuages en noſtre Cabane parler auec appetit de la chair d’vn Iroquois, & louer ſa bonté en meſmes termes que l’on feroit la chair d’vn Cerf, ou d’vn Orignac : c’eſt eſtre bien cruel ; mais nous eſperons auec l’aſſiſtance du Ciel, que la cognoiſſance du vray Dieu bannira tout à fait de ce Païs cette barbarie. Au reſte pour la garde du Païs, ils entourẽt les principaux Villages d’vne forte palliſſade de pieux, pour ſouſtenir vn ſiege : ils entretiennent des penſionnaires dans les Nations neutres, ou meſmes parmy les ennemis, par le moyen deſquels ils ſont aduertis ſouz main de toutes leurs menées : ils ſont bien ſi aduiſez & circonſpects en ce poinct, que s’il y a quelque Peuple auec qui ils n’ayent pas entierement rompu, ils leur donnent en effet la liberté d’aller & venir dans le Pays ; mais neantmoins pour plus grande aſſeurance on leur aſſigne des Cabanes particulieres où ils ſe doiuent retirer ; ſi on les trouuoit ailleurs on leur feroit vn mauuais party.

Pour ce qui regarde l’autorité de commander, voicy ce que i’en ay remarqué. Toutes les affaires des Hurons ſe rapportent à deux chefs : les vnes ſont comme les affaires d’Eſtat, ſoit qu’elles concernent ou les citoyens, ou les Eſtrangers, le public ou les particuliers du Village, pour ce qui eſt des feſtins, danſes, ieux, croſſes, & ordre des funerailles. Les autres ſont des affaires de guerre. Or il ſe trouue autant de ſortes de Capitaines que d’affaires. Dans les grãds Villages il y aura quelquefois pluſieurs Capitaines tant de la police, que de la guerre, leſquels diuiſent entre eux les familles du Village, comme en autant de Capitaineries ; on y void meſme par fois des Capitaines, à qui tous ces gouuernemens ſe rapportent à cauſe de leur eſprit, faueur, richeſſes, & autres qualitez, qui les rendent conſiderables dans le Pays. Il n’y en a point, qui en vertu de leur election ſoient plus grands les vns que les autres. Ceux là tiennent le premier rang, qui ſe le ſont acquis par leur eſprit, eloquence, magnificence, courage, & ſage conduite, de ſorte que les affaires du Village s’addreſſent principalement à celuy des Capitaines, qui a en luy ces qualitez ; & de meſme en eſt-il des affaires de tout le Pays, où les plus grands eſprits ſont les plus grãds Capitaines, & d’ordinaire il n’y en a qu’vn qui porte le faix de tous. C’eſt en ſon nom que ſe paſſent les Traictez de Paix auec les Peuples eſtrangers ; le Pays meſme porte ſon nom : & maintenant par exemple, quand on parle d’Anenkhiondic dans les Conſeils des Eſtrangers, on entend la Nation des Ours. Autrefois il n’y auoit que les braues hommes qui fuſſent Capitaines, & pour cela on les appelloit Enondecha, du meſme nom qu’ils appellent le Pays, Nation, terre, comme ſi vn bon Capitaine & le Pays eſtoient vne meſme choſe ; mais auiourd’huy ils n’ont pas vn tel égard en l’élection de leurs Capitaines ; auſſi ne leur donnent-ils plus ce nom là, quoy qu’ils l’appellent encor atiȣarontas, atiȣanens, ondakhienhai, les groſſes pierres, les anciens, les ſedentaires. Cependant ceux là ne laiſſent pas de tenir, comme i’ay dit, le premier rang tant dans les affaires particulieres des Villages, que de tout le Pays, qui ſont les plus grands en merites & en eſprit. Leurs parens ſont cõme autant de Lieutenans & de Conſeillers.

Ils arriuent à ce degré d’honneur, partie par ſucceſſion, partie par élection, leurs enfans ne leur ſuccedent pas d’ordinaire, mais bien leurs neueux & petits fils. Et ceux cy encor ne viennent pas à la ſucceſſion de ces petites Royautez, comme les Dauphins en France, ou les enfans en l’heritage de leurs peres ; mais en tant qu’ils ont les qualitez conuenables, & qu’ils les acceptent, & ſont acceptez de tout le Pays. Il s’en trouue qui refuſent ces honneurs, tant parce qu’ils n’ont pas le diſcours en main, ny aſſez de retenue ny de patience, que pource qu’ils ayment le repos ; car ces charges ſont pluſtoſt de ſeruitudes, qu’autre choſe. Il faut qu’vn Capitaine faſſe eſtat d’eſtre quaſi touiours en campagne : ſi on tient Conſeil à cinq ou ſix lieuës pour les affaires de tout le Pays, Hyuer ou Eſté en quelque ſaiſon que ce ſoit il faut marcher : s’il ſe fait vne Aſſemblée dans le Village, c’eſt en la Cabane du Capitaine : s’il y a quelque choſe à publier, c’eſt à luy à le faire ; & puis le peu d’authorité qu’il a d’ordinaire ſur ſes ſuiets, n’eſt pas vn puiſſant attrait pour accepter ceſte charge. Ces Capitaines icy ne gouuernent pas leurs ſuiets par voye d’empire, & de puiſſance abſolue ; ils n’ont point de force en main, pour les ranger à leur deuoir. Leur gouuernement n’eſt que ciuil, ils repreſentent ſeulement ce qu’il eſt queſtion de faire pour le bien du village, ou de tout le Pays. Apres cela ſe remuë qui veut. Il y en a neantmoins, qui ſçauent bien ſe faire obeyr, principalement quand ils ont l’affection de leurs ſuiets. Quelques vns ſont auſſi reculez de ces charges, pour la memoire de leurs anceſtres qui ont deſeruy la Patrie. Que s’ils y ſont receus, c’eſt à force de preſens, que les Anciens acceptent en leur Aſſemblée, & mettent dans les coffres du Public. Tous les ans enuiron le Printemps ſe font ces reſurrections de Capitaines, ſi quelques cas particuliers ne retardent ou n’aduancent l’affaire. Ie demanderois volontiers icy à ceux qui ont peu d’opinion de nos Sauuages, ce qu’il leur ſemble de cette conduite.

Mais en preuue de ce que ie viens de dire de l’eſprit de nos Capitaines, il faut que ie conclue ce Chapitre par vn diſcours que me fit ce Printemps vn Capitaine, nommé Aenons, il pretendoit nous perſuader de tranſporter noſtre Cabane en ſon Village. Surquoy nous auons à loüer Dieu, de ce qu’il nous fait la grace d’eſtre aymez & recherchez dans le Pays ; c’eſt à qui nous aura en ſon Village : les Arendoronnon nous en ont ſouuent porté la parole, les Altignenonghac, & ceux du Village Oſſoſſané, que nous appellons la Rochelle, nous font encor plus d’inſtance : mais ſi nous auons égard aux importunitez, aſſeurément ce Capitaine l’emportera ; il y a plus de ſix mois qu’il ne nous donne aucun repos, quelque affaire du Pays qu’il nous raconte, il ne manque point d’en tirer expreſſement ou tacitement cette concluſion ; mais ſur tout à ce Printemps il a employé toute ſa Rhetorique pour nous faire dire le mot, & obtenir tout à fait noſtre conſentement. Allant donc vn iour à ȣenrio, pour aſſiſter vn de nos Chreſtiens malade à la mort, ie trouuay par le chemin vn Sauuage qui me venoit querir de la part d’Aenons ; ie l’allay voir apres auoir ſatisfait à noſtre malade, qui nous menoit particulierement. Il me fit ce diſçours : mais ie luy feray tort de le mettre icy, car ie ne luy donneray pas la grace qu’il auoit en la bouche de ce Capitaine ; n’importe, on verra touſiours ſes penſées, que i’ay rangées à mon aduis à peu prés dans leur ordre. Voicy comme il commença.

Echon, ie vous ay mandé pour ſçauoir au vray voſtre derniere reſolution : ie ne vous euſſe pas donné la peine de venir iuſques icy, n’euſt eſté que ie craignois de ne pas trouuer chez vous la commodité de vous parler : voſtre Cabane eſt touſiours pleine de tant de perſonnes qui vous viſitent, qu’il eſt quaſi impoſſible de vous y communiquer quelque choſe en particulier : & puis maintenant que nous ſommes ſur le poinct de nous aſſembler pour deliberer touchant l’eſtabliſſement d’vn nouueau Village, cette entreueue euſt peû eſtre ſuſpecte à ceux qui deſirent vous retenir.

Les François ont touſiours eſté attachez à moy, & m’ont aymé, ie les ay auſſi touſiours aſſiſté en tout ce que i’ay peu, & n’ont pas trouué en toutes ces terres de meilleur amy que moy : ce n’a pas eſté ſans encourir l’enuie de tout le Pays, qui m’en regarde il y a long temps de mauuais œil, & a fait tout ce qu’il a peu pour me mettre mal aupres de vous ; iuſques là que, comme vous ſçauez, on m’a imputé la mort de Bruſlé, & incontinent apres qu’il eut eſté tué, quand il fut queſtion de deſçendre à Kebec, on diſoit haut & clair que ſi i’y allois, ſans doute i’y laiſſerois la teſte : nononſtant tout cela l’année ſuiuante (car pour cette année là i’allay en traite ailleurs) ie ne laiſſay pas de m’embarquer, & deſcendre, appuyé que i’eſtois ſur mon innocence. Au reſte ſi ce malheur me fuſt arriué, la hache eſtant leuée ſur ma teſte, i’euſſe demandé vn peu de temps pour parler, & ie croy que ie me fuſſe ſi bien iuſtiſié, que i’euſſe obligé celuy qui commandoit ou de faire manifeſtement vne iniuſtice, ou me laiſſer la vie. Mais ie n’en fus pas en la peine, & ceux qui s’attendoient de me voir aſſommer furent bien eſtonnez, quand ils virent l’honneur qu’on me fit ; iuſques là que quelques vns diſoient, que puis qu’on traitoit ſi fauorablement vn meurtrier, le vray moyen de ſe faire aimer des Francrois eſtoit de fendre la teſte à quelqu’vn. Tous ces diſçours n’ont point empeſché que mon innocence n’ait eſté touſiours au deſſus de l’enuie : quoy qu’on diſe, i’aimeray & obligeray toute ma vie les Francrois en tout ce que ie pourray.

Echon, nous penſions que voſtre Village deuſt nous ſuiure, & ſe ioindre à nous, maintenãt que nous sõmes ſur le poinct d’en faire vn autre ailleurs, & il n’a pas tenu à vous, les preſens que vous fiſtes l’an paſſé ſur ce ſuiet n’eſtoient que trop capables de les porter à cette reſolution ; mais cependant, à ce que nous voyons, il n’en faut plus parler ; c’eſt vne piece tout à fait detachée, & nagueres que i’allay chez vous pour ſçauoir voſtre reſolution, ie perdis courage, vous me reſpondiſtes ſi froidement, que ie m’eſtois comme reſolu de ne vous en plus parler.

Toutefois la choſe eſt de telle importance, tant pour vos intereſts que pour les noſtres, que i’ay iugé à propos de vous en dire mon ſentiment encore vne fois : ſi vous ne me reſpondez auiourd’huy diſtinctement, iamais plus ie ne vous en ouuriray la bouche. Nous nous aſſemblerons demain cinq Villages que nous ſommes pour conclure le deſſein que nous auons de nous vnir, & n’en faire qu’vn. Nous auons ſuiet de prendre cette reſolution, puis que ſi nous ſommes en paix cette année, nous ne pouuons manquer le Printemps ſuiuant d’auoir l’ennemy ſur les bras : nous n’en ſommes que trop bien informez ; en l’eſtat que vous nous voyez maintenant nous ſerions en peine, au moins pour nos femmes, & nos enfans, ſi la neceſſité nous contraignoit de prendre les armes : au lieu que ſi nous ſommes en vn bon Village bien fermé de pieux, noſtre ieuneſſe aura ſuiet de faire paroiſtre ſon courage, & nous mettrons nos femmes & nos enfans en aſſeurance. A cette occaſion tout le Païs iette les yeux ſur vous ; nous nous eſtimerons tout à fait hors de crainte, pourueu que nous vous ayons auec nous ; vous auez des armes à feu dont le ſeul bruit eſt capable de donner l’epouuante à l’ennemy, & le mettre en fuite.

Au reſte, il y va auſſi de vos intéreſts ; voyez en quelle peine vous eſtes au moindre bruit de guerre : & puis ſi on vous fait quelque tort, à qui aurez vous recours demeurans en ce petit Hameau où vous eſtes ? Vous n’auez point là de Capitaine qui vous prenne en ſa protection, & vous faſſe faire raiſon ; il n’y a perſonne qui tienne la ieuneſſe en deuoir : ſi les bleds vous manquent, qui donnera ordre qu’on vous en pouruoye, car voſtre Village n’eſt pas capable de vous en fournir a ſuffiſance, & quelle peine d’en aller vous meſmes chercher ailleurs. Au lieu que ſi vous eſtes des noſtres, rien ne vous ſçauroit manquer ; cõme nous vous aurons voulu auoir aupres de nous, auſſi ſerons nous obligez de vous nourrir : & au cas que l’on ſe portaſt laſchement à vous fournir voſtre prouiſion, ie vous donne parole que i’employeray tout mon credit pour repreſenter à nos gens l’obligation qu’ils vous auront, & ie ſçay bien qu’il n’y en a pas vn qui ne ſe mette incontinent en deuoir de vous ſeruir : de meſme quand il ſera queſtion de dreſſer voſtre Cabane, ie commanderay à toute la ieuneſſe de mettre la main à l’œuure, & vous vous verrez incontinent auſſi bien logez que vous pouuez ſouhaitter dans le Païs.

Il s’arreſta icy, & il me dit qu’il n’auoit pas neantmoins encor acheué, mais qu’il deſiroit auant que de paſſer outre, que ie communiquaſſe à vn de nos Peres qui eſtoit auec moy ce qu’il venoit de dire. Puis il continua en ces termes :

Echon, ie vois bien que vous m’allez dire que vous craignez d’eſtre plus éloignez du Lac que vous n’eſtes maintenant ; & moy ie vous donne parole que vous n’en ſerez pas ſi éloignez que vous pourriez bien penſer puis quand ainſi ſeroit, dequoy vous mettez vous en peine ? Vous n’allez point à la peſche, tout le Village y ira pour vous : Vous aurez de la peine à embarquer vos paquets pour Kébec rien moins, il n’y aura perſonne dans le Village qui ne ſe tienne heureux de vous ſeruir en cette occaſion. Il eſt vray que vous ne ſerez pas au bord du Lac pour receuoir les paquets qu’on vous enuoyera ; mais qu’importe, puis qu’on vous les apportera iuſques chez vous : & au cas que vous deſiriez vous ſeruir de ceux de la Rochelle, s’ils vous aiment, comme ils doiuent ordinairement paſſer deuant le Village que nous pretendons baſtir, ils ne vous donneront pas la peine de les aller querir à leur Village. Echon, voila ce que i’auois à vous dire : ie vous prie que ie ſçache maintenant voſtre derniere reſolution, afin que i’en faſſe demain le rapport au Conſeil.

Voila la harangue de ce Capitaine, qui paſſeroit, à mon aduis au iugement de pluſieurs pour vne de celles de Tite Liue, ſi le ſuiet le portoit : elle me ſembla fort perſuaſiue. En effet ie luy fis reſponſe, qu’il nous obligeoit de l’affection qu’il teſmoignoit pour nous, qu’il l’auoit aſſez faict paroiſtre en pluſieurs occaſions ; mais ſur tout en celle cy : que nous eſtions tres contens de tranſporter noſtre Cabane en ſon Village ; qu’il y auoit long temps que nous en auions le deſſein ; que nous ne nous eſtions arreſtez a lhonatiria, que comme en vn Village qui releuoit de luy, & qui ne faiſoit bande à part que pour vn temps : mais neantmoins que nous ne pouuions pas encor nous reſoudre à engager noſtre parole, que les Capitaines des cinq Villages qui ſe deuoient aſſembler ne nous promiſſent premierement au nom de tous leurs ſuiets, qu’ils ſeroient contens de receuoir la Foy, croire tout ce que nous croyons, & viure comme nous. Ie pris de là occaſion de luy repeter quelques principaux myſteres de noſtre Foy, & taſchay ſur tout de luy monſtrer quelle facilité ils deuoient auoir en ce poinct, puisque Dieu ne nous commandoit rien qui ne fuſt tres raiſonnable, & qu’ils ne iugeaſſent eux meſmes par apres tres aduantageux pour le Païs. Il m’écouta fort attentiuement, & me promit d’en faire fidelement ſon rapport au Conſeil, adiouſtant que pour luy il eſtoit dans la reſolution de ſe faire baptiſer, & que toute ſa Cabane auoit la meſme penſée.

Le Conſeil ſe tint quelques iours apres ; ce Capitaine s’y trouua. On luy demanda quel eſtoit enfin le ſentiment & la reſolution des François. Il leur répondit, que nous faiſions quelque difficulté. Ils luy demanderent, quelle difficulté nous pouuions faire. Ils ne veulent point, dit-il, ſe mettre dans vn Village, qu’ils ne ſoient aſſeurez d’auoir affaire à des perſonnes, qui écouteront, & feront tout ce qu’ils enſeignent. A cela ils repartirent. Voila qui va bien : Nous en ſommes contens, il nous enſeignera puis nous ferons tout ce qu’il deſirera. En effect ils creurent l’affaire ſi bien conclue, qu’ils nous vindrent dire par apres qu’ils venoient querir noſtre Cabane pour la tranſporter : mais ce ne ſera pas encor pour cette année, la feſte des Morts a trauerſé, dit-on, ce deſſein. Cependant ce Capitaine qui eſt ſi echauffé à nous auoir auec luy en ce nouueau Village, voyant que noſtre Cabane eſtoit quaſi inhabitable, & qu’il ſembloit que noſtre Village ſe vouluſt diſſiper : & craignant que nous ne priſſions party ailleurs, nous vint offrir ſa Cabane, à peine de s’incommoder, luy, & toute ſa famille. Neantmoins nous auons iugé plus à propos de paſſer encor vn Hyuer où nous ſommes, tant pour cultiuer ces nouuelles plantes que nous y auons acquiſes à noſtre Seigneur, par le moyen du ſainct Bapteſme ; que par ce que nous eſperons que les Chefs de ces Villages qui pretendent de s’aſſembler, & ſont maintenant en diuiſion auec le reſte du Pays, pourront entre cy & le Printemps ſe reünir, & ainſi nous pourrons plus aiſément tourner du coſté que nous iugerons plus à propos pour la gloire de Dieu, ſans craindre d’offenſer perſonne. Ce qui nous ſeroit maintenant bien difficile en l’eſtat où ſont les affaires.

Cette reſolution priſe nous a obligez de penſer à reſtablir & accroiſtre noſtre Cabane : i’en fis ouuerture au Capitaine de noſtre Village ; il aſſembla incontinent les Anciens, & leur communiqua noſtre deſſein, ils en furent ſi contens, qu’ils nous en vinrent faire des coniouïſſances ; car ils craignoient de iour en iour que nous ne les quitaſſions.

Pour les encourager ie leur fis preſent d’vne douzaine de pains de Petun, & quelques peaux ; ils me rendirent les peaux, diſant que c’eſtoit à eux à nous en donner ; & que d’ailleurs ils nous auoient déja aſſez d’obligation, que nous les obligions tous les iours à vne infinité d’occaſions ; que ſi quelques-vns auoiẽt beſoin d’vn couſteau, ou d’vne alaiſne, ils n’auoient qu’à venir chez nous, & que nous les leurs donnions incontinent. Au reſte ces témoignages de bien veillance ne furẽt pas ſeulement des paroles, ils furent ſuiuis de bons effets ; ils mirent diligemment la main à l’œuure, & trauaillerẽt auec tãt d’aſſiduité, qu’ils nous dreſſerent preſque en trois iours vne nouuelle Cabane ; auſſi persõne ne s’y épargna, les vieillards y eſtoient les premiers. Quelques-vns meſmes s’oublians de leur aage montoient iuſques au haut de la Cabane, les autres alloient querir & preparoient force écorces pour lier, ou trauailloient à dreſſer le bas de la Cabane.

La diligence du Capitaine empeſcha le dernier iour quatre d’entre nous de dire Meſſe ; car dés le point du iour il ſe mit en beſogne, & du haut de la Cabane où il eſtoit crioit à pleine teſte, & inuitoit au trauail toute la ieuneſſe qui n’eſtoit pas encor bien éueillee. Mais diſons vn mot de leurs Conſeils.