Reconnaissance de la région Andine, de la République Argentine/11

XI

RÉSULTATS GÉNÉRAUX


Bien que l’ensemble des travaux exécutés par la section d’explorations du Musée, dont j’achève de donner un léger aperçu, sera publié dans les rapports partiaux détaillés des divers expéditionnaires, il est nécessaire de présenter ici un résumé général afin de compléter ces notes abrégées.

Pendant le cours des opérations, les diverses sections ont reconnu et relevé, entre les 36° et 46° 30′ de latitude, et à l’ouest du 70° 30′ de longitude ouest de Greenwich, 7155 kilomètres de terrain ; 3 longitudes, 328 latitudes et 201 azimuts ont été obtenus. On a établi 360 stations avec le théodolite et 180 avec la boussole prismatique, 271 observations trigonométriques d’altitude, 1072 barométriques, et l’on a pris 960 clichés photographiques. Nos collections se sont enrichies de 6250 échantillons de roches et de fossiles, sans compter un bon nombre de représentants de la faune et de la flore patagonique, ainsi que des objets anthropologiques (planche XLI).

Des erreurs importantes ont été rectifiées dans la géographie mal connue de ces régions, et l’on a pu étudier avec soin l’orographie de la zone adjacente à la Cordillère des Andes, ainsi qu’une section de celle-ci, étude qui modifie presque complétement les idées émises par MM. Serrano-Montaner, Steffen, Fischer et Stange, dans leurs diverses publications concernant la topographie de ces régions, et principalement dans la brochure publiée par le premier, intitulée Límites con la República Argentina (Santiago du Chili, 1895), ainsi que dans Memoria é Informe relativo a la Expedición Exploradora del Rio Palena. Décembre 1893 à Mars 1894 (Santiago du Chili, 1895), qui contient la description des travaux effectués par les deuxièmes au cours de cette intéressante expédition.

On a relevé, pour une carte à l’échelle de 1:400 000, la région comprise entre le Rio Limay et les lacs Lacar et Nahuel-Huapi, antérieurement complétement inconnue des géographes, et qui sera certainement colonisée aussitôt que la Nation se décidera à la fractionner en lots et à la confier au véritable colon.

Les vallées arrosées par les affluents du Caleufu, abritant les lacs Metiquina, Hermoso, Machonico, Filohuehuen, Falkner et Villarino, peuvent être utilisées immédiatement pour l’établissement de colonies agricoles et l’élevage, sur une étendue comprise entre le lac Lolog et les montagnes qui séparent le bassin hydrographique du Caleufu de celui du Traful, ainsi que le bassin de ce dernier, qui renferme un si grand nombre de vallées abritées recouvertes d’herbages, sur les rives du lac Traful et de ses affluents ; tandis que l’on pourrait former, avec les terrains de la rive nord du lac Nahuel-Huapi, et ceux des lacs Correntoso, Espejo, Totoral, etc., un autre centre d’agriculture et d’élevage de grande importance.

Nous possédons pour la première fois une carte préliminaire exacte du lac Nahuel-Huapi, qui offre des contours bien distincts de ceux qu’on lui attribuait jusqu’ici, et l’on a pu étudier la zone du sud jusqu’au Palena, les vallées fertiles du Manso, les affluents du Puelo, le Maiten, et le beau réseau lacustre formé par les lacs Cholila, Rivadavia, Menendez, Fta-Lafquen et Situacion, lesquels étaient ou inconnus, ou sans emplacement fixe dans la géographie patagonique. L’identité du Fta-Leufu et du rio Frio, tributaire du Palena, a été établie ; on a levé la carte générale de la Vallée 16 de Octubre, et étudié le Carrenleufu, depuis le point extrême atteint par les explorateurs chiliens, jusqu’à ses sources dans le lac General Paz, au pied des collines et dans les dépressions de l’est, et l’on a pu démontrer qu’il n’existe en cet endroit aucun cordon de la Cordillère des Andes.

Les plaines où les affluents du rio Claro qui s’incorpore aussi au Palena, prennent leur source, ont été également étudiées avec soin ; ce sont de véritables plaines, dans lesquelles s’effectue la division interocéanique des eaux, à une centaine de kilomètres au moins à l’orient de la Cordillère des Andes.

Les lacs Fontana et La Plata ont été explorés jusqu’aux abords de l’Océan Pacifique, où ils sont limités par le chaînon andin proprement dit, ainsi que les régions où naissent les affluents de l’Aysen qui se déverse dans le Pacifique et les affluents du Senguerr, Mayo, Chalia et Quenguel, dans les conditions identiques à celles des affluents du rio Claro ; ce qui confirme ainsi ce que j’ai toujours soutenu, à savoir que la division interocéanique des eaux se produit, à l’extrémité de ce continent, à l’orient de la Cordillère des Andes, et que des cours d’eau qui auparavant se versaient dans l’Atlantique, se jettent aujourd’hui dans le Pacifique. Il a été démontré de la même manière qu’aujourd’hui encore ces cours d’eau prennent, à certaines époques, ces deux directions opposées, phénomène qui reconnaît comme cause les crues du printemps. L’anse orientale du lac Buenos Aires a été explorée ainsi que le rio Fenix.

On a étudié la manière d’exploiter pour la colonisation toutes ces régions, indubitablement argentines, ce à quoi elles se prêtent admirablement, des territoires qui peuvent se métamorphoser en peu de temps en centres de production de premier ordre, à condition qu’on change le mode actuel de distribution des terres publiques et que les lots ne soient concédés qu’à ceux qui peuvent les faire valoir par le travail personnel. Enfin, pour compléter ce cadre d’investigations, on a étudié les meilleures voies de communication possibles entre les Andes et l’Atlantique.

Ces voies ont deux principaux points de départ : Puerto San Antonio et Telly Road (planche XLII).

Les renseignements que j’ai réunis depuis 1879 montrent que des navires qui calent vingt et un pieds peuvent entrer dans le Port San Antonio ; les parties les moins profondes au sud-est de Punta Villarino en ont vingt et un, et cette profondeur minimum ne se trouve que sur des espaces réduits ; le fond est mou et le dragage n’y offrirait pas de difficultés ; par conséquent, des navires calant vingt-cinq pieds, et même davantage, pourraient y entrer. La Punta Villarino est un point très important pour y construire des fortifications qui ferment complétement le port. L’eau potable s’obtient au moyen de puits de quatre à cinq mètres de profondeur, et si l’on y fondait un port, il serait facile d’amener par un canal l’eau de l’arroyo Balcheta, en attendant qu’on en construise un autre depuis le Rio Negro, ainsi que le projet en existe déjà.

Si l’on décidait la construction de chemins de fer depuis San Antonio, ils devraient se diriger :

1° À Viedma sur le Rio Negro (150 kilomètres). La construction de cette ligne ne serait pas coûteuse. Les étendues qu’elle traverserait sont, en général, des terrains où l’herbe est abondante. L’eau est obtenue au moyen de puits. Près de la côte, le terrain est bon, et l’eau s’y trouve en plus grande quantité. Le bois des arbustes ne manque nulle part. Ce chemin de fer transporterait au port les produits de la vallée du Rio Negro à moins de frais que n’importe quel autre qui pourrait se construire. On sait que le port de San Blas n’offre pas la sécurité de celui de San Antonio et que la barre du Rio Negro n’en permet pas l’entrée aux navires qui calent plus de douze pieds, et seulement lorsque le temps est beau.

2° À Choelechoel par la rive sud du Rio Negro. La ligne amènerait les produits de cette longue vallée et des plateaux voisins jusqu’à la mer à moins de frais que par la voie de Choelechoel à Bahia Blanca. Les renseignements recueillis indiquent des facilités pour la construction d’un canal qui relierait les environs de Choelechoel avec San Antonio, et il serait également avantageux de faire passer la ligne du chemin de fer par le même bas-fond (170 kilomètres) pour amener jusqu’à la côte les produits de l’ouest et du nord-ouest du Rio Negro, sur un parcours bien inférieur à la moitié de celui qui sépare Choelechoel et Bahia Blanca (500 kilomètres).

3° Un embranchement à Nahuel-Huapi (560 kilomètres). Les terrains que traverserait cette ligne, bien qu’ils ne puissent être comparés à ceux de la province de Buenos Aires, permettent pourtant l’élevage avec des résultats satisfaisants ; sur tout le trajet existent déjà des établissements d’éleveurs. Ces champs sont plus uniformes au nord qu’au sud, où le terrain est élevé, coupé par de profonds cañadones, où l’on trouve de l’eau et des herbages. La vallée de l’arroyo Balcheta a de bons pâturages et peut être arrosée partiellement ; elle se peuplera le jour où elle sera traversée par un chemin de fer. D’autres vallées existent au sud de celle-là, également riches en eau et en herbages, et où commence à s’exercer l’industrie de l’élevage, principalement sur le cours supérieur de l’arroyo de la Sierra de San Antonio, près de l’arroyo de Los Berros, et de l’arroyo Verde, parages qui communiquent avec Balcheta et San Antonio par des charrières.

L’année dernière se sont vendues aux enchères une centaine de lieues de terres fiscales appartenant à la zone que traversera la ligne, et le prix moyen obtenu fut de trois mille cinq cents piastres la lieue. À mesure que le chemin de fer avancera à l’ouest, il traversera de meilleurs terrains, avant d’arriver à Maquinchau où s’est établie la Compagnie anglaise des terres du Sud. Au sud de cette exploitation, il existe des champs fertiles, dans les vallées et les cañadones d’un massif de montagnes situé en cet endroit. Comme il y a une voie traficable jusqu’au Chubut, le transport des produits jusqu’à la ligne serait facile.

De Maquinchau au Nahuel-Huapi, les terrains sont meilleurs qu’à l’orient et dans les gorges et les cañadones ; on peut installer des établissements destinés à l’élevage, en y réservant pendant l’été les fourrages, tandis que les troupeaux iraient paître sur les collines presque toujours herbeuses. Au Nahuel-Huapi, les terrains se divisent en forêts et prairies ; les animaux appartenant aux espèces ovine, bovine et chevaline s’y développent bien ; on y trouve déjà quelques estancias. L’aire utilisable pour l’élevage de l’espèce bovine est plus considérable que celle destinée aux espèces ovine et chevaline. Les troupeaux peuvent vivre en tout temps dans ces régions, depuis Junin au sud. À l’extrémité ouest du Nahuel-Huapi, il y a déjà un établissement avec cinq cents bêtes à cornes (Potrero Huber), et on y cultive le blé, l’orge, les pommes de terre, les oignons, les fèves, etc. Les montagnes y forment un grand nombre de belles vallées, où le bétail prospère admirablement, surtout au sud du Nahuel-Huapi, dans les vallées arrosées par les affluents du rio Puelo. Dans l’une de celles-ci s’élèvent des estancias avec deux mille têtes bovines amenées là par des éleveurs de Valdivia.

Les environs de Nahuel-Huapi se prêtent admirablement à l’établissement de colonies agricoles et d’élevage, et ils sont déjà habités par quelques colons allemands qui ont émigré de la province de Valdivia pour s’établir au bord du lac argentin.

En passant par les colonies du lac Llanquihué, j’ai été consulté par un grand nombre de colons qui désiraient obtenir des terres dans ces régions à l’orient des Andes pour s’y transporter avec leurs familles. Les produits du Nahuel-Huapi causent de l’admiration dans ces colonies, et leurs habitants qui ont visité le lac ne cessent de se lamenter de ne savoir comment faire pour s’y établir. Les travaux de ces colons dans le sud du Chili sont pénibles et coûteux, le résultat presque nul : j’ai conversé avec quelques-uns d’entre eux ayant vécu quarante années dans ces parages sans parvenir à progresser, malgré le labeur continu. Chacun d’eux avait droit à cent cuadras carrées de terrain ; mais le coût du défrichement, sans compter l’abattage et l’extraction des troncs, est de cent piastres la cuadra ; les concessions actuelles sont de cinquante cuadras. Les chacras labourables sont petites et humides au Llanquihué, ce qui ne permet pas de développer toute l’énergie. En outre, le climat très pluvieux fait que les récoltes sont toujours pauvres, tandis que de ce côté-ci des Andes, c’est le contraire qui arrive : le labourage est plus facile, et les pluies n’offrent pas ce caractère excessif.

Je suis certain que le jour où on destinera à la colonisation la terre fiscale comprise entre le lac Lacar et le lac Buenos Aires, sur une extension de huit cents kilomètres, elle sera peuplée rapidement, comme le cas s’est produit à l’égard des colons de la vallée 16 de Octubre, qui considèrent cette région comme bien supérieure à la vallée du Chubut tout prés de l’Atlantique. L’exploitation des forêts avoisinant le Nahuel-Huapi, et de celles qui croissent épaisses aux sources du Caleufu et du Traful, fournira du travail aux colons pendant de longues années. L’exploitation des bois sur les rives du lac et des lacs voisins qui s’y déversent peut se faire très facilement. Les îles du lac elles-mêmes abondent en cyprès et en coihués, essences qui prédominent dans la région boisée, tandis que les mélèzes ne se trouvent que dans les encaissements à l’ouest du lac, mais en proportion suffisante pour que leur exploitation soit rémunératrice.

Au sud du Chili, dans les parages où l’exploitation était aisée, le mélèze a complétement disparu et il ne s’y trouve plus aujourd’hui un seul arbre. Il faut les chercher vers le golfe de Reloncavi et sur les bords des fjörds du sud. Ce bois facile à travailler et de même couleur que le cèdre du Paraguay, s’emploie pour les constructions au Chili où le cyprès est rare. Le coihué est transformé en poutres, usage auquel le destine la résistance de ses fibres, qui lui fait obtenir à cet égard la préférence sur tous les autres, au Chili. Il y a d’autres bois de construction, tels que le cannelier, le maniu, etc., mais leur développement n’est pas aussi considérable.

L’exportation des bois de Nahuel-Huapi devra se faire par le chemin de fer de San Antonio. Si le fleuve Limay peut être considéré comme navigable, quand toutefois on en aura enlevé les roches formant ses rapides, il ne le sera pourtant pas toute l’année, et il ne sera pas possible d’y faire descendre de grands radeaux par suite des nombreux bancs mobiles qui se trouvent dans sa partie inférieure et dans le Rio Negro. Le bois jeté libre dans le courant pour être flotté par le fleuve, échouera sur les rives, et il faudra un nombreux personnel pour le remettre à flot. En outre, le trajet est très long ; et le remorquage vapeur sera toujours périlleux à cause de ces bancs. Ce bois flottant devrait être embarqué à la tête de ligne du chemin de fer située à la confluence ou à Carmen de Patagones ; et j’ai déjà signalé les difficultés que présente la barre du Rio Negro pour les navires de quelque calaison. Le transport par le chemin de fer à San Antonio sera toujours le mode le plus économique. La coupe pourrait être commencée immédiatement dans les îles du lac dont les cyprès donneront des milliers de poteaux de télégraphes, tandis que les coihuales de ces mêmes îles fourniront les dormants pour la ligne. Les forêts sont très vastes, et il n’est pas à craindre que le bois s’y épuise.

4° De Cumallo se détacherait un embranchement sur Valdivia, en traversant le Limay par un des endroits où son cours se trouve resserré, au sud de Collon-Cura ; il arriverait à Junin de los Andes par les rives du Collon-Cura, jusqu’à l’arroyo Quemquemtreu, puis par les gorges du plateau, jusqu’à la vallée du Chimehuin. Cet embranchement desservirait toute la fertile région du sud du Territoire du Neuquen dont les vallées spacieuses pourront être destinées à l’agriculture, des canaux d’irrigation pouvant y être facilement établis. Ainsi le bassin du Caleufu jusqu’aux lacs de Metiquina et Filohuehuen, et le bassin du Traful, la belle campagne de Junin et la vallée de Maipu se peupleraient immédiatement, et leurs produits abondants fourniraient au chemin de fer des transports assurés. Aujourd’hui, sans moyens de communication, il s’est formé un centre de commerce important à Junin de los Andes, et, à mon passage, j’y ai rencontré des commerçants de Valdivia qui commençaient déjà l’installation d’une distillerie. Toutes ces étendues de terrain se prêtent parfaitement à l’élevage du bétail d’espèces bovine et ovine.

Cet embranchement continuerait de Junin au Chili, sur les rives du lac Huechu-Lafquen, ou par le Malleco, par Trancura, Quetropillan et Villarica, s’embranchant sur la ligne longitudinale de Santiago à Valdivia, dans les environs de Villarica ; il mettrait ainsi, durant toute l’année, le sud du Chili en communication avec l’Atlantique.

Entre Valdivia et San Antonio, la distance est moins grande qu’entre Valdivia et Santiago du Chili. Ce chemin de fer n’exigera pas de travaux considérables, ni de tunnels importants, car l’altilude du passage le plus élevé ne dépasse pas mille mètres. Il servirait de plus, du côté argentin, à transporter à l’Atlantique les produits de tout le versant depuis le Bio-Bio jusqu’au Maiten. Le prix de transport sera moindre pour les centres producteurs du nord jusqu’à Codihué que celui que fixera le chemin de fer du Sud, si la ligne de Bahia Blanca à la confluence des fleuves Limay et Neuquen est prolongée jusqu’aux Andes.

La longueur de la ligne entre le port de San Antonio et la ville de Valdivia n’atteindra pas neuf cents kilomètres ; c’est une distance moindre que celle que parcourrait le chemin de fer Bahia Blanca-Confluencia, s’il était prolongé jusqu’à Codihué.

La ligne de Nahuel-Huapi servirait aussi aux colonies qui se forment entre ce lac et la vallée du Maiten. Aujourd’hui, les véhicules du 16 de Octubre mettent au moins dix-huit jours pour arriver jusqu’à Rawson, capitale du Territoire, en traversant des étendues en grande partie stériles. Il existe une charrière entre Nahuel-Huapi et 16 de Octubre.

Il ne serait pas possible sans frais excessifs de prolonger un chemin de fer jusqu’au Pacifique par Nahuel-Huapi ; mais la navigation de ce lac est commode, et le gouvernement chilien fait construire une charrière entre le lac Todos los Santos et le Boquete Perez Rosales, situé non loin du Nahuel-Huapi. Ce chemin pourra rester ouvert à la circulation toute l’année. La navigation du lac Todos los Santos est facile ; à son extrémité occidentale, commence la charrière qui arrivera à Puerto Montt, en côtoyant en partie le lac Llanquihué. Ce lac est maintenant desservi par des vapeurs qui relient les colonies allemandes de ses rives. La distance entre Nahuel-Huapi et Puerto Varas, dans le lac Llanquihué, est de 170 kilomètres, de moins de 200 jusqu’à Puerto Montt, et de 260 kilomètres jusqu’à la ville La Union, en communication par chemin de fer avec Valdivia. Une fois la partie andine des territoires du Neuquen, du Rio Negro et du Chubut reliée au port de San Antonio, celui-ci sera dans l’avenir pour ces régions ce qu’est aujourd’hui le port du Rosario pour le nord de la République. Si l’on ajoute a cela la facilité des Communications avec la moitié du Chili, qui pourront être immédiatement utilisées, on peut admettre que le chemin de fer de Puerto San Antonio au Chili offre de grands avantages au commerce international. La ligne entre Buenos Aires et Santiago du Chili a 1424 kilomètres d’extension ; celle de la ligne de San Antonio à Valdivia ne dépassera pas 900 kilomètres.

Mais le chemin de fer de San Antonio, avec ses embranchements, ne pourra desservir économiquement les colonies andines situées dans le bassin du Chubut et dans la vallée 16 de Octubre. Il ne serait pas non plus avantageux d’établir une voie ferrée de Rawson jusqu’aux Andes, parce que les deux tiers des terrains que traverserait cette ligne ne sont pas applicables à l’agriculture, ou tout au moins ne produiraient que d’infimes résultats.

L’unique voie possible entre l’Atlantique et la région andine comprise entre le 42° et le 47°, est celle qui aurait pour point de départ un port dans le golfe de San Jorge. Il y a dans ce golfe divers ports qui n’exigeraient que des travaux peu considérables pour devenir de véritables ports de commerce. La rade de Tilly (Tilly Road) exigera davantage de travaux, mais en revanche sa proximité des bassins des lacs Musters et Coluhuapi et de leurs vallées fertiles, et les facilités qu’offre une gorge transversale qui conduit presque depuis l’Atlantique jusqu’au Rio Chico du Chubut, indiquent ce point comme le plus convenable pour y établir la tête de ligne d’un chemin de fer à la vallée 16 de Octubre. Il ne se présente pas une seule difficulté sur tout ce trajet. Les seuls travaux de quelque importance consisteraient en deux petits ponts construits sur le Senguerr ; la pente est insignifiante ; et, dans aucun cas, sur la ligne principale et ses embranchements que j’indique plus loin, on ne voit de différences de niveau comme il s’en rencontre sur la ligne Gran Oeste, entre Villa Mercedes et Mendoza.

Les terrains que traverserait cette voie sont tous exploitables ; elle passerait en grande partie par de belles vallées qui peuvent renfermer des millions de têtes de bétail d’espèces bovine et ovine. La ligne principale passerait par la vallée du Rio Chico et par celle des lacs Coluhuapi et Musters ; elle suivrait le Senguerr jusqu’à la belle pampa de Choiquenilahué, et continuerait au nord, en suivant le cours du rio Gennua jusqu’à ses sources, et pourrait arriver à 16 de Octubre soit par le Carrenleufu, soit par le rio Tecka y la gorge d’Esguel. Depuis Esguel, il serait facile de construire un embranchement jusqu’à la vallée du Maiten ; et des environs du lac Musters, par la vallée du Rio Mayo, on pourrait établir un embranchement au lac Buenos Aires et aux vallées de l’Aysen supérieur, tandis qu’un autre se détacherait de Choiquenilahué par la vallée du Senguerr jusqu’au lac Fontana.

Je ne crois pas qu’on puisse penser pour le moment à l’établissement d’une voie longitudinale qui réunirait le Neuquen au détroit de Magellan, car elle serait très coûteuse ; le prix des transports, pour l’immense parcours de 16 de Octubre à Bahia Blanca, serait beaucoup plus élevé que la valeur même des produits ; mais les lignes que j’indique, partant de San Antonio et de Tilly Road, peuvent être construites sans difficultés et à peu de frais.

Si ces ligues pouvaient être établies de la même manière que celles qui étendirent leur réseau aux États-Unis, lors de la conquête du Far West, en bien peu d’années le capital employé à leur construction aurait rapporté un intérêt élevé.

Le peuplement de la Patagonie établira l’harmonie entre les éléments qui constituent la Nation, et, par conséquent, contribuera à sa grandeur. Et comme pour peupler ces territoires aussi riches qu’abandonnés, il ne faut aujourd’hui qu’un peu de bonne volonté et d’attention de la part des pouvoirs publics, afin de faire connaître les richesses qu’ils renferment, ainsi que les facilités d’exploitation qu’ils offrent, je ne doute pas un seul instant que cette aspiration de tous les argentins ne se réalise dans un avenir prochain.