Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations/Livre 1/4
Guillaumin, réédition de 1843 (première édition en 1776) (tome I, p. 28-37).
CHAPITRE IV.
La division du travail une fois généralement établie, chaque homme ne produit plus par son travail que de quoi satisfaire une très-petite partie de ses besoins. La plus grande partie ne peut être satisfaite que par l’échange du surplus de ce produit qui excède sa consommation, contre un pareil surplus du travail des autres. Ainsi, chaque homme subsiste d’échanges ou devient une espèce de marchand, et la société elle-même est proprement une société commerçante.
Mais dans les commencements de l’établissement de la division du travail, cette faculté d’échanger dut éprouver de fréquents embarras dans ses opérations. Un homme, je suppose, a plus d’une certaine denrée qu’il ne lui en faut, tandis qu’un autre en manque. En conséquence, le premier serait bien aise d’échanger une partie de ce superflu, et le dernier ne demanderait pas mieux que de l’acheter. Mais si par malheur celui-ci ne possède rien dont l’autre ait besoin, il ne pourra pas se faire d’échange entre eux. Le boucher a dans sa boutique plus de viande qu’il n’en peut consommer ; le brasseur et le boulanger en achèteraient volontiers une partie, mais ils n’ont pas autre chose à offrir en échange que les différentes denrées de leur négoce, et le boucher est déjà pourvu de tout le pain et de toute la bière dont il a besoin pour le moment. Dans ce cas-là, il ne peut y avoir lieu entre eux à un échange. Il ne peut être leur vendeur, et ils ne peuvent être ses chalands ; et tous sont dans l’impossibilité de se rendre mutuellement service. Pour éviter les inconvénients de cette situation, tout homme prévoyant, dans chacune des périodes de la société qui suivirent le premier établissement de la division du travail, dut naturellement tâcher de s’arranger pour avoir par devers lui, dans tous les temps, outre le produit particulier de sa propre industrie, une certaine quantité de quelque marchandise qui fût, selon lui, de nature à convenir à tant de monde, que peu de gens fussent disposés à la refuser en échange du produit de leur industrie.
Il est vraisemblable qu’on songea, pour cette nécessité, à différentes denrées qui furent successivement employées. Dans les âges barbares, on dit que le bétail fut l’instrument ordinaire du commerce ; et quoique ce dût être un des moins commodes, cependant, dans les anciens temps, nous trouvons souvent les choses évaluées par le nombre de bestiaux donnés en échange pour les obtenir. L’armure de Diomède, dit Homère, ne coûtait que neuf bœufs[1] ; mais celle de Glaucus en valait cent. On dit qu’en Abyssinie le sel est l’instrument ordinaire du commerce et des échanges ; dans quelques contrées de la côte de l’Inde, c’est une espèce de coquillage ; à Terre-Neuve, c’est de la morue sèche ; en Virginie, du tabac ; dans quelques-unes de nos colonies des Indes occidentales, on emploie le sucre à cet usage, et dans quelques autres pays, des peaux ou du cuir préparé ; enfin, il y a encore aujourd’hui un village en Écosse, où il n’est pas rare, à ce qu’on m’a dit, de voir un ouvrier porter au cabaret ou chez le boulanger des clous au lieu de monnaie.
Cependant, des raisons irrésistibles semblent, dans tous les pays, avoir déterminé les hommes à adopter les métaux pour cet usage, par préférence à toute autre denrée. Les métaux non-seulement ont l’avantage de pouvoir se garder avec aussi peu de déchet que quelque autre denrée que ce soit, aucune n’étant moins périssable qu’eux, mais encore ils peuvent se diviser sans perte en autant de parties qu’on veut, et ces parties, à l’aide de la fusion, peuvent être de nouveau réunies en masse ; qualité que ne possède aucune autre denrée aussi durable qu’eux, et qui, plus que toute autre qualité, en fait les instruments les plus propres au commerce et à la circulation. Un homme, par exemple, qui voulait acheter du sel et qui n’avait que du bétail à donner en échange, était obligé d’en acheter pour toute la valeur d’un bœuf ou d’un mouton à la fois. Il était rare qu’il pût en acheter moins, parce que ce qu’il avait à donner en échange pouvait très-rarement se diviser sans perte ; et s’il avait eu envie d’en acheter davantage, il était, par les mêmes raisons, forcé d’en acheter une quantité double ou triple, c’est-à-dire pour la valeur de deux ou trois bœufs, ou bien de deux ou trois moutons. Si, au contraire, au lieu de bœufs ou de moutons, il avait eu des métaux à donner en échange, il lui aurait été facile de proportionner la quantité du métal à la quantité précise de denrées dont il avait besoin pour le moment.
Différentes nations ont adopté pour cet usage différents métaux. Le fer fut l’instrument ordinaire du commerce chez les Spartiates, le cuivre chez les premiers Romains, l’or et l’argent chez les peuples riches et commerçants[2].
Il paraît que, dans l’origine, ces métaux furent employés à cet usage, en barres informes, sans marque ni empreinte. Aussi Pline[3] nous rapporte, d’après l’autorité de Timée, ancien historien, que les Romains, jusqu’au temps de Servius Tullius, n’avaient pas de monnaie frappée, mais qu’ils faisaient usage de barres de cuivre sans empreinte, pour acheter tout ce dont ils avaient besoin. Ces barres faisaient donc alors fonction de monnaie.
L’usage des métaux dans cet état informe entraînait avec soi deux grands inconvénients : d’abord, l’embarras de les peser, et ensuite celui de les essayer. Dans les métaux précieux, où une petite différence dans la quantité fait une grande différence dans la valeur, le pesage exact exige des poids et des balances fabriqués avec grand soin. C’est en particulier, une opération assez délicate que de peser de l’or. À la vérité, pour les métaux grossiers, où une petite erreur serait de peu d’importance, il n’est pas besoin d’une aussi grande attention. Cependant, nous trouverions excessivement incommode qu’un pauvre homme fût obligé de peser un liard chaque fois qu’il a besoin d’acheter ou de vendre pour un liard de marchandise. Mais l’opération de l’essai est encore bien plus longue et bien plus difficile ; et à moins de fondre une portion du métal au creuset avec des dissolvants convenables, on ne peut tirer de l’essai que des conclusions fort incertaines. Pourtant, avant l’institution des pièces monnayées, à moins d’en passer par cette longue et difficile opération, on se trouvait à tout moment exposé aux fraudes et aux plus grandes friponneries, et on pouvait recevoir en échange de ses marchandises, au lieu d’une livre pesant d’argent fin ou de cuivre pur, une composition falsifiée avec les matières les plus grossières et les plus viles, portant à l’extérieur l’apparence de ces métaux. C’est pour prévenir de tels abus, pour faciliter les échanges et encourager tous les genres de commerce et d’industrie, que les pays qui ont fait quelques progrès considérables vers l’opulence ont trouvé nécessaire de marquer d’une empreinte publique certaines quantités des métaux particuliers dont ils avaient coutume de se servir pour l’achat des denrées. De là l’origine de la monnaie frappée et des établissements publics destinés à la fabrication des monnaies ; institution qui est précisément de la même nature que les offices des auneurs et marqueurs publics des draps et des toiles. Tous ces offices ont également pour objet d’attester, par le moyen de l’empreinte publique, la qualité uniforme ainsi que la quantité de ces diverses marchandises quand elles sont mises au marché[4].
Il paraît que les premières empreintes publiques qui furent frappées sur les métaux courants, n’eurent, la plupart du temps, d’autre objet que de rectifier ce qui était à la fois le plus difficile à connaître et ce dont il était le plus important de s’assurer, savoir la bonté ou le degré de pureté du métal. Elles devaient ressembler à cette marque sterling qu’on imprime aujourd’hui sur la vaisselle et les lingots d’argent, ou à cette empreinte espagnole qui se trouve quelquefois sur les lingots d’or ; ces empreintes, n’étant frappées que sur un côté de la pièce et n’en couvrant pas toute la surface, certifient bien le degré de fin, mais non le poids du métal. Abraham pèse à Éphron les quatre cents sicles d’argent qu’il était convenu de lui payer pour le champ de Macpelah. Quoiqu’ils passassent pour la monnaie courante du marchand, ils étaient reçus néanmoins au poids et non par compte, comme le sont aujourd’hui les lingots d’or et d’argent. On dit que les revenus de nos anciens rois saxons étaient payés, non en monnaie, mais en nature, c’est-à-dire en vivres et provisions de toute espèce. Guillaume le Conquérant introduisit la coutume de les payer en monnaie ; mais pendant longtemps cette monnaie fut reçue, à l’Échiquier, au poids et non par compte.
La difficulté et l’embarras de peser ces métaux avec exactitude donna lieu à l’institution du coin, dont l’empreinte, couvrant entièrement les deux côtés de la pièce et quelquefois aussi la tranche, est censée certifier, non-seulement le titre, mais encore le poids du métal. Alors ces pièces furent reçues par compte, comme aujourd’hui, sans qu’on prît la peine de les peser.
Originairement, les dénominations de ces pièces exprimaient, à ce qu’il semble, leur poids ou la quantité du métal qu’elles contenaient. Au temps de Servius Tullius, qui le premier fit battre monnaie à Rome, l’as romain ou la livre contenait le poids d’une livre romaine de bon cuivre. Elle était divisée, comme notre livre de Troy[5], en douze onces, dont chacune contenait une once véritable de bon cuivre. La livre sterling d’Angleterre, au temps d’Édouard Ier, contenait une livre (poids de la Tour) d’argent d’un titre connu. La livre de la Tour paraît avoir été quelque chose de plus que la livre romaine, et quelque chose de moins que la livre de Troy. Ce ne fut qu’à la dix-huitième année du règne de Henri VIII que cette dernière fut introduite à la Monnaie d’Angleterre. La livre de France, au temps de Charlemagne, contenait une livre, poids de Troyes, d’argent d’un titre déterminé. La foire de Troyes en Champagne était alors fréquentée par toutes les nations de l’Europe, et les poids et mesures d’un marché si célèbre étaient connus et évalués par tout le monde. La monnaie d’Écosse, appelée livre depuis le temps d’Alexandre Ier jusqu’à celui de Robert Bruce, contenait une livre d’argent du même poids et du même titre que la livre sterling d’Angleterre. Le penny ou denier d’Angleterre, celui de France et celui d’Écosse, contenaient tous de même, dans l’origine, un denier réel pesant d’argent, c’est-à-dire la vingtième partie d’une once, et la deux cent quarantième partie d’une livre. Le schelling ou sou semble aussi d’abord avoir été la dénomination d’un poids. « Quand le froment est à 12 schellings le quarter[6], dit un ancien statut de Henri III, alors le pain d’un farthing[7] doit peser 11 schellings 4 pence. » Toutefois, il paraît que le schelling ne garda pas, soit avec le penny d’un côté, soit avec la livre de l’autre, une proportion aussi constante et aussi uniforme que celle que conservèrent entre eux le penny et la livre. Sous la première race des rois de France, le schelling ou sou français paraît en différentes occasions avoir contenu cinq, douze, vingt et quarante deniers. Chez les anciens Saxons, on voit le schelling, dans un temps, ne contenir que cinq pence ou deniers, et il n’est pas hors de vraisemblance qu’il aura été aussi variable chez eux que chez leurs voisins les anciens Francs. Chez les Français, depuis Charlemagne, et chez les Anglais, depuis Guillaume le Conquérant, la proportion entre la livre, le schelling et le denier ou penny, paraît avoir été uniformément la même qu’à présent, quoique la valeur de chacun ait beaucoup varié ; car je crois que, dans tous les pays du monde, la cupidité et l’injustice des princes et des gouvernements, abusant de la confiance des sujets, ont diminué par degrés la quantité réelle de métal qui avait été d’abord contenue dans les monnaies. L’as romain, dans les derniers temps de la république, était réduit à un vingt-quatrième de sa valeur primitive, et au lieu de peser une livre, il vint à ne plus peser qu’une demi-once[8]. La livre et le penny anglais[9] ne contiennent plus aujourd’hui qu’un tiers environ de leur valeur originaire ; la livre et le penny d’Écosse, qu’un trente-sixième environ, et la livre et le penny ou denier français, qu’à peu près un soixante-sixième. Au moyen de ces opérations, les princes et les gouvernements qui y ont eu recours se sont, en apparence, mis en état de payer leurs dettes et de remplir leurs engagements avec une quantité d’argent moindre que celle qu’il en aurait fallu sans cela ; mais ce n’a été qu’en apparence, car leurs créanciers ont été, dans la réalité, frustrés d’une partie de ce qui leur était dû. Le même privilège se trouva accordé à tous les autres débiteurs dans l’État, et ceux-ci se trouvèrent en état de payer, avec la même somme nominale de cette monnaie nouvelle et dégradée, tout ce qui leur avait été prêté en ancienne monnaie. De telles opérations ont donc toujours été favorables aux débiteurs et ruineuses pour les créanciers, et elles ont quelquefois produit dans les fortunes des particuliers des révolutions plus funestes et plus générales que n’aurait pu faire une très-grande calamité publique[10].
C’est de cette manière que la monnaie est devenue chez tous les peuples civilisés l’instrument universel du commerce, et que les marchandises de toute espèce se vendent et s’achètent, ou bien s’échangent l’une contre l’autre, par son intervention.
Il s’agit maintenant d’examiner quelles sont les règles que les hommes observent naturellement, en échangeant les marchandises l’une contre l’autre, ou contre de l’argent. Ces règles déterminent ce qu’on peut appeler la valeur relative ou échangeable des marchandises.
Il faut observer que le mot valeur a deux significations différentes ; quelquefois il signifie l’utilité d’un objet particulier, et quelquefois il signifie la faculté que donne la possession de cet objet d’en acheter d’autres marchandises[11]. On peut appeler l’une, valeur en usage, et l’autre, valeur en échange. Des choses qui ont la plus grande valeur en usage n’ont souvent que peu ou point de valeur en échange ; et au contraire, celles qui ont la plus grande valeur en échange n’ont souvent que peu ou point de valeur en usage. Il n’y a rien de plus utile que l’eau, mais elle ne peut presque rien acheter ; à peine y a-t-il moyen de rien avoir en échange. Un diamant, au contraire, n’a presque aucune valeur[12] quant à l’usage, mais on trouvera fréquemment à l’échanger contre une très-grande quantité d’autres marchandises.
Pour éclaircir les principes qui déterminent la valeur échangeable des marchandises, je tâcherai d’établir :
Premièrement, quelle est la véritable mesure de cette valeur échangeable, ou en quoi consiste le prix réel des marchandises.
Secondement, quelles sont les différentes parties intégrantes qui composent ce prix réel.
Troisièmement enfin, quelles sont les différentes circonstances qui tantôt élèvent quelqu’une ou la totalité de ces différentes parties du prix au-dessus de leur taux naturel ou ordinaire, et tantôt les abaissent au-dessous de ce taux, ou bien quelles sont les causes qui empêchent que le prix de marché[13], c’est-à-dire le prix actuel des marchandises, ne coïncide exactement avec ce qu’on peut appeler leur prix naturel.
Je tâcherai de traiter ces trois points avec toute l’étendue et la clarté possibles, dans les trois chapitres suivants, pour lesquels je demande bien instamment la patience et l’attention du lecteur : sa patience pour me suivre dans des détails qui, en quelques endroits, lui paraîtront peut-être ennuyeux ; et son attention, pour comprendre ce qui semblera peut-être encore quelque peu obscur, malgré tous les efforts que je ferai pour être intelligible. Je courrai volontiers le risque d’être trop long, pour chercher à me rendre clair ; et après que j’aurai pris toute la peine dont je suis capable pour répandre de la clarté sur un sujet qui, par sa nature, est aussi abstrait, je ne serai pas encore sûr qu’il n’y reste quelque obscurité.
- ↑ Le marquis Garnier a dépensé beaucoup d’érudition pour contester ce passage de Smith ; il prétend que les bœufs d’Homère étaient de véritables monnaies métalliques : cela est possible ; mais il n’en est pas moins vraisemblable, qu’à des époques plus reculées encore, on s’est servi de bétail comme de monnaie d’échange. Mac Culloch.
- ↑ Ce serait se livrer à la plus infructueuse de toutes les recherches, que de prétendre remonter à l’époque où la monnaie a été pour la première fois mise en usage parmi les hommes. Autant vaudrait remonter à l’origine même de la civilisation. La monnaie n’est ni une invention ni une découverte ; on ne la doit ni au hasard ni au génie ; elle est née naturellement des besoins de la société. Smith a parfaitement établi que le penchant à échanger, particulier à l’espèce humaine, est le principe qui donne lieu à la division du travail, et que cette division ne peut se développer et s’étendre qu’à mesure qu’il y a pour chacun plus de moyens d’échanger le surplus des produits de son travail. On peut donc affirmer que partout où l’on voit qu’une grande division de travail a eu lieu, il y a eu nécessairement beaucoup d’activité dans les échanges, et que par conséquent il a existé un instrument destiné à faciliter et à accélérer les échanges, c’est-à-dire une monnaie. Tout peuple a dû choisir pour instrument d’échange la substance la plus propre à remplir cette fonction, de même qu’il a choisi, pour se nourrir et pour se vêtir, ce qu’il a pu trouver de plus convenable et de plus commode.
Les peuples qui n’ont point eu connaissance de l’usage des métaux, se sont fait une monnaie de celle de leurs marchandises qui réunissait aux plus haut degré les deux qualités nécessaires à ce service : 1o celle de pouvoir se diviser de manière à s’approprier aux plus petits échanges ; 2o celle de pouvoir se garder pendant un certain temps sans frais et sans déchet. Il n’est donc pas surprenant qu’en Abyssinie, comme Smith le rapporte, le sel ait été adopté comme instrument ordinaire des échanges ; que, dans quelques contrées des côtes de l’Inde, on ait choisi pour cet usage le cauris, petit coquillage d’un blanc et d’un poli remarquables, et qui a une valeur comme objet de parure ; que la morue à Terre-Neuve, le tabac en Virginie, le sucre dans quelques colonies des Antilles, les peaux et cuirs préparés, dans d’autres lieux, enfin des clous même dans un village d’Écosse, puissent assez bien remplir la fonction de monnaie ; tous ces objets ayant une valeur réelle, étant divisibles, et pouvant se garder sans frais et sans déchet jusqu’au moment où le possesseur trouve occasion d’acheter. Mais parmi tous les articles divers qui sont la matière des échanges entre des hommes réunis en société, il n’en est assurément aucun qui soit moins propre à rendre le service de monnaie ou instrument intermédiaire du commerce, que ne l’est le bétail, puisqu’il ne peut être gardé et mis en réserve, ne fût-ce que pour quelques jours, sans coûter des frais de garde et des dépenses de nourriture ; puisqu’il est exposé à des accidents et à des maladies qui rendent sa possession hasardeuse ; puisque, d’un autre côté, il ne peut s’adapter à aucun autre échange que celui qui se trouverait en rapport exact avec toute la valeur de l’individu, celui-ci ne pouvant être divisé sans entrer aussitôt dans la consommation. Le bétail serait également la mesure la plus imparfaite des valeurs, attendu que la valeur de chaque animal en particulier, est diverse, dans la même espèce, à raison de l’âge, de la force, de la taille et de la santé, et une quantité d’autres circonstances, sans compter les épizooties et autres accidents naturels qui, d’un moment à l’autre, peuvent avoir une influence considérable sur la valeur tout entière de l’espèce existante dans le pays.
Les peuples qui ont fait usage des métaux n’ont pu s’empêcher de reconnaître que ces substances possédaient éminemment les propriétés convenables à un instrument d’échanges ; et que spécialement l’or et l’argent étaient à préférer pour ce genre de service, comme étant plus inaltérables, d’une valeur plus constante, et représentant plus de richesse sous un moindre volume. Aussi les métaux grossiers ne furent-ils employés comme monnaie, que par les nations qui n’avaient pas de métaux précieux qu’elles pussent consacrer à cet usage. Garnier.
- ↑ Pline, Histoire naturelle, livre XXXIII, chap. iii.
- ↑ Le lecteur désireux d’approfondir cette importante matière, pourra consulter avec fruit l’excellent ouvrage de M. Jacob : An historical Inquiry into the production and consumption of the precious metals, 2. vol. in-8o, 1831 ; les Considérations de Law sur le numéraire, et le livre V du Cours d’Économie politique de M. Storch, édition de J.-B. Say, avec ses notes. On peut lire aussi le chap. xxiv de notre Histoire de l’Économie politique, où se trouvent résumés les divers systèmes monétaires qui ont régné en Europe depuis les anciens jusqu’à la découverte des mines du nouveau monde. A. B.
- ↑ Voyez à la fin de l’ouvrage, la table pour l’évaluation des monnaies, poids et mesures anglaises.
- ↑ Voyez, à la fin de l’ouvrage, le rapport des mesures anglaises à celles de France.
- ↑ Quart du penny ou du denier sterling.
- ↑ M. le sénateur Garnier a contesté l’exactitude de ce fait dans une longue note historique, qui n’est qu’un plaidoyer en faveur de la probité des Romains. Nous ne croyons pas devoir la citer, parce qu’elle n’aboutit à aucune conclusion vraiment scientifique. A. B.
- ↑ Dans tout le cours de cet ouvrage, toutes les valeurs exprimées en livres, sous et deniers, doivent toujours s’entendre de livres, sous et deniers sterling. On a employé indifféremment le mot sou ou schelling*, et le mot denier ou penny. Pence est le pluriel de penny.
*. Il est à regretter que le traducteur d’Adam Smith ait commis l’erreur grave d’assimiler le sou français au schilling anglais. Il en résulte une confusion fâcheuse. Le sou, fraction de l’ancienne livre française, ne saurait être comparé que par analogie, au schilling fraction de la livre anglaise. A. B.
- ↑ Mac Culloch renvoie le lecteur à l’article Monnaie (Money) de l’Encyclopédie britannique ; cet article contient un tableau des altérations pratiquées sur les coins d’Angleterre, de France et des autres pays.
- ↑ Il n’y a pas de sujet qui ait plus exercé les économistes et qui ait donné lieu à plus de dissertations que la définition de la valeur. La plupart des écrivains se sont égarés dans un dédale d’arguties métaphysiques sur le sens économique de ce mot. Nous ne citerons pas la longue nomenclature de ces monographies désormais inutiles. Il est reconnu aujourd’hui par tous les auteurs qui font autorité dans la science, que la distinction établie par Adam Smith a l’inappréciable avantage d’établir nettement le caractère particulier de la valeur en échange, la seule sur laquelle s’exercent les transactions, parce qu’elle est le produit du travail humain. A. B.
- ↑ Le mot valeur a souvent été employé pour désigner, non seulement le prix d’échange d’un article, ou sa faculté d’être échangé pour d’autres objets que le travail seul peut donner, mais encore son utilité, ou la propriété qu’il possède de satisfaire à nos besoins ou de contribuer à notre bien-être et à nos jouissances. Mais il est évident que l’utilité des marchandises est une qualité tout à fait différente de leur faculté d’échange : témoin le pouvoir qu’a le blé d’apaiser notre faim, et l’eau d’étancher notre soif. Le Dr. Smith a découvert cette différence, et il a démontré l’importance qui s’attachait à distinguer l’utilité des marchandises ou, comme il le disait, leur valeur d’usage ou naturelle, de leur valeur d’échange. Confondre des qualités si essentiellement distinctes, serait évidemment entrer dans la voie des plus absurdes conclusions. Aussi, pour éviter de méconnaître le sens d’un mot aussi important que celui de valeur, il serait mieux de ne l’appliquer qu’à la valeur d’échange, et de réserver le mot utilité pour exprimer le pouvoir ou la faculté que possède un article de satisfaire à nos besoins ou de répondre à nos désirs.
Mac Culloch.
- ↑ L’usage veut que l’on appelle valeur échangeable la quantité de toute marchandise que l’on donne en échange de celle qu’on veut avoir, et prix la quantité de monnaie que l’on donne pour le même objet. J.-B. Say.