Recherches sur la culture de la pomme de terre industrielle et fourragère/CHAP. VI

Aimé Girard
Chapitre VI. Conséquences théoriques et pratiques
des recherches précédentes.





CHAPITRE VI.


CONSÉQUENCES THÉORIQUES ET PRATIQUES DES RECHERCHES PRÉCÉDENTES..




Conséquences théoriques.


En entreprenant les recherches dont je viens de développer les phases successives, je m’étais proposé pour but d’abord de reconnaitre si c’est chose possible pour la culture française que d’obtenir normalement des récoltes de pommes de terre aussi abondantes que celles obtenues par les cultivateurs de certaines régions de l’Allemagne, ensuite de rechercher les procédés culturaux à l’aide desquels notre production pourrait marcher de pair avec celle de ces cultivateurs. De ces deux buts le premier a été atteint, si je ne me trompe, par mes recherches de 1886, 1887 et 1888. Les résultats obtenus en 1889 et 1890 par les agriculteurs qui ont bien voulu accepter mes conseils et par moi-même établiront, tout à l’heure, que le second de ces deux buts est atteint comme le premier et même aujourd’hui dépassé. Les rendements réalisés sur notre territoire ont été, dans ces derniers temps, plus élevés que les rendements les meilleurs signalés par les publications allemandes.

La question de l’amélioration possible de la culture de la pomme de terre en France peut donc être considérée comme résolue dans le sens de l’affirmative.

Par une suite de cultures de plus en plus étendues, je me suis attaché, en 1886, 1887 et 1888, à donner de cette solution une démonstration pratique et indépendante de toute considération théorique. J’ai abouti, en fin de compte, malgré les conditions météorologiques défavorables de la campagne, à récolter, en 1888, sur 1 hectare entier, 33185kg d’une variété, la Richter’s Imperator, riche à 17,6 pour 100 de fécule anhydre, et représentant, aux cours moyens, une valeur de plus de 1200fr par hectare ; sur des surfaces moindres, de 18 ares et de 15 ares d’abord, de 5 ares et de 4 ares ensuite, etc., j’ai cultivé de même une vingtaine de variétés dont la moitié au moins m’a fourni des rendements tels en poids et en richesse, que la valeur marchande de la récolte peut être évaluée à 800fr et 900fr par hectare.

Ces rendements ont été depuis (1889 et 1890) largement dépassés par mes collaborateurs et par moi.


Ce point capital établi, et avant que de chercher à reconnaître les conditions à l’aide desquelles ce résultat cultural peut être obtenu, il m’a semblé nécessaire d’entreprendre l’étude du développement progressif de la pomme de terre considérée, à la fois. dans ses parties aériennes et dans ses parties souterraines.

J’ai pu alors, dans le développement de cette plante, caractériser quatre phases bien distinctes la première, pendant laquelle la plante constitue exclusivement son appareil foliacé et son appareil radiculaire les tubercules n’existent pas alors ; la seconde, pendant laquelle feuilles, tiges, tubercules et radicelles s’accroissent : la troisième, pendant laquelle les feuilles et les tiges commencent à décroître, tandis que les radicelles restent stationnaires et que les tubercules continuent à croître, mais lentement ; la dernière enfin pendant laquelle feuilles, tiges et radicelles, mourantes ou déjà mortes, laissent les tubercules dans le sol, isolés de tout organe nourricier et privés, par suite, de toute faculté d’accroissement ou d’enrichissement. C’est l’époque de la maturité, et c’est aussi l’époque qu’il convient d’adopter pour la récolte. A partir du moment où les feuilles sont fanées et les tiges desséchées, les tubercules ne font plus aucun gain.

L’accroissement des tubercules en fécule s’est présenté, au cours de mes recherches, comme l’un des sujets les plus intéressants. J’ai montré alors cette richesse augmentant rapidement au furet à mesure que croît le tubercule dont, à l’état sec, la fécule représente les trois quarts. En certaines circonstances, cependant, la régularité de cet accroissement semble cesser et les tubercules semblent s’appauvrir en matière féculente ; ce n’est là qu’une apparence c'est aux époques de pluie que le phénomène correspond, et c'est à une imbibition passagère des tubercules qu'il est dû; l'eau et la fécule représentent, en effet, dans la composition de ceux-ci, une somme constante.


De l'étude des variations que subissent, dans leurs proportions relatives, la fécule et les matières qui l'accompagnent, se dégagent des vues nouvelles relativement à la genèse de la matière amylacée que les tubercules emmagasinent. A côté de la fécule qui croit, on voit, en effet, les autres produits rester stationnaires, à l'exception d'un seul, le saccharose; qui décroît. C'est chose naturelle alors que de chercher une relation entre ces deux faits, et c'est ainsi que j'ai été amené à voir dans le saccharose que la feuille élabore et que la tige transmet la matière première de la production de la fécule, amené par conséquent à pressentir l'importance que possède, en réalité, le développement de l'appareil foliacé au point de vue de cette production.


Mis, par l'élude qui précède, en possession des conditions physiologiqucs dans lesquelles la pomme de terre se développe, j'ai pu ensuite consacrer mes soins à la détermination des conditions pratiques nécessaires à la production, par cette plante, de la plus grande quantité possible de tubercules, et par suite de fécule, sur une surface de terrain déterminée.

Ces conditions sont nombreuses, et il faut y compter, en dehors des conditions météorologiques sur lesquelles le cultivateur ne peut rien le recours à des labours profonds, dont j'ai numériquement démontré les avantages, l'action d'engrais appropriés et choisis d'après la composition chimique du sol, la régularité de la plantation, la précocité de cette plantation encore, l'espacement des plant, etc.

Mais, au-dessus de ces conditions, il en est une bien plus importante c'est celle du choix qu'il convient de faire parmi les tubercules récoltés pour en constituer le plant de la culture prochaine.

Deux facteurs principaux doivent intervenir à ce choix d'un côté, la grosseur des tubercules; d'un autre, les qualités héréditaires des sujets d'où ces tubercules proviennent.

Au sujet de la grosseur, mes recherches m’ont conduit à des indications un peu différentes de celle que l’on admet d’habitude. Celles-ci consistent, on le sait, dans le rejet des petits tubercules, dans le choix des gros. Rejeter les petits malgré la puissance productive extraordinaire qui les caractérise est, en effet, nécessaire, car rarement ils fournissent une récolte suffisante ; mais, entre les petits et les gros tubercules, il faut faire une place spéciale aux moyens ceux-ci, en général, fournissent des récoltes sensiblement égales aux récoltes que donne la plantation des gros. Des expériences nombreuses, exécutées sur la descendance entière d’un sujet déterminé, l’ont établi avec netteté au cours de ces recherches, et dès lors c’est faire une dépense inutile que de choisir comme plant les gros tubercules ; les moyens, dont le poids est à fixer pour chaque variété, donnent au cultivateur un produit aussi abondant et aussi riche.

L’intervention, en grande culture du moins, de la considération des qualités héréditaires appartenant à chaque sujet doit être regardée comme nouvelle ; de deux façons j’ai démontré l’existence de ces qualités et leur influence sur la récolte. Sans revenir sur les essais à l’aide desquels celte démonstration a été établie, je résumerai ce point capital en disant qu’aux tubercules d’un pied à rendement élevé appartient toujours une puissance productive plus grande qu’aux tubercules d’un pied à faible rendement.

En dernier lieu enfin j’ai, à l’aide de données numériques, établi de la façon la plus nette l’efficacité du traitement de la maladie de la pomme de terre par les composés cuivriques.


Conséquences pratiques. — Procédés culturaux à suivre.


Les recherches qui, exposées dans les Chapitres précédents, m’ont permis de préciser les conditions qu’exige la production de récoltes abondantes et riches, devaient avoir pour conséquence pratique l’adoption de procédés culturaux plus rationnels que ceux auxquels j’avais a priori attribué l’infériorité de nos cultures de pommes de terre.

Ces procédés, je les ai communiqués depuis trois ans aux cultivateurs qui ont bien voulu m’apporter leur concours dans l’œuvre que je poursuis et, comme conclusion de mes recherches, je les résumerai dans ce chapitre.


DE LA NATURE DU TERRAIN.


Des faits que j’ai observés pendant six années, que j’ai exposés en détail (p. 111), et que sont venus confirmer des récoltes faites sur 3, 4 et même 6 hectares, il semble résulter que la composition générale du sol n’exerce pas sur le rendement une influence aussi grande qu’on le croit généralement. Des terres argilo-siliceuses, argilo-calcaircs, calcaires, même argileuses, peuvent donner de bons résultats. Mais il n’en est pas de même de la profondeur et de l’ameublissement du sol ; leur influence est considérable, et l’on n’a pas lieu d’en être surpris lorsque l’on lient compte du grand développement radiculaire de la pomme de terre.

Une considération capitale, en outre, est celle de la fertilité naturelle du terrain l’infériorité de celui-ci, cependant, ne saurait être un obstacle au succès ; en 1890, j’ai, pour la première fois, abordé la culture en terres pauvres, et j’ai vu l’application des procédés que je recommande aboutir sur des terres de troisième et de quatrième classe à des rendements qui, avec la variété Richter’s Imperator, s’élevaient encore à 20 et alors que, dans les terres fertiles, ce rendement atteignait en moyenne 37000kg, sans être jamais descendu, en 1890, au-dessous de 32000kg.


DE LA PROFONDEUR DES LABOURS.


C’est un préjugé très répandu que, sous le rapport de la préparation du sol, la pomme de terre n’est pas une plante exigeante. Nombre de cultivateurs, rencontrant, au moment de l’arrachage, les tubercules à fleur de terre, considèrent que, pour cette culture, point n’est besoin de labourer le sol au delà de quelques centimètres. Il suffit d’avoir considéré une fois le chevelu long et touffu de la pomme de terre[1] pour comprendre à quel degré cette coutume est mauvaise ; elle est cependant presque générale.

J’ai démontré, par des cultures comparatives, qu’à la pomme de terre, au contraire, des labours profonds sont nécessaires.

J’estime qu’en général ces labours doivent être aussi importants que le permettent, d’un côté, l’épaisseur de la couche de terre arable, d’un autre, les instruments dont le cultivateur dispose. Travaillé à 0m,10 ou 0m,15 seulement, le sol, toutes autres conditions égales d’ailleurs, ne fournira jamais que des récoltes inférieures, égales tout au plus à la moitié, au tiers quelquefois des récoltes qu’il eût donné s’il eût été labouré à 0,30-0,35 et même 0,40.

Il convient donc de labourer aussi profondément que possible ; l’emploi d’un fort brabant suivi d’une petite charrue fouilleuse suffit à assurer de très bons résultats.


DE LA NATURE ET DE LA PROPORTION DES ENGRAIS.


L’engrais doit être abondant ; il est impossible d’indiquer, à son propos, une formule générale. Il faut, à la pomme de terre, et à la fois, de l’acide phosphorique, de l’azote et de la potasse. Les formes les meilleures sous lesquelles ces agents fertilisants peuvent être donnés, sont le fumier de ferme, le superphosphate de chaux, le nitrate de soude et le sulfate de potasse. Mais la proportion des uns et des autres varie avec la composition chimique du sol, et c’est sur les exigences habituelles du terrain qu’il exploite que le cultivateur doit se guider. Tout ce qu’il est permis de dire, à ce sujet, c’est que, dans un terrain de composition moyenne, on peut compléter une fumure ordinaire au fumier par l’emploi d’un engrais chimique composé de :


parties.
Superphosphate de chaux riche 
 62
Sulfate de potasse 
 23
Nitrate de soude 
 15

100


Les quantités de cet engrais complémentaire qu’il convient d’ajouter au fumier varient naturellement dans une large mesure suivant la qualité de celui-ci ; quelquefois 500kg par hectare seront suffisants ; d’autres fois, on aura avantage à porter la dose jusqu’à 800kg ; le cultivateur seul peut être juge en chaque cas particulier. En tout cas, il conviendra de répandre le superphosphate de chaux et le sulfate mélangés, après l’enfouissement du fumier, avant le dernier hersage, et de semer le nitrate de soude seul, en couverture, quelques jours avant la levée.

Les proportions que je viens d’indiquer, n’ont, d’ailleurs, rien d’absolu ; elles doivent varier avec la richesse ou la pauvreté du sol relativement à l’un ou à l’autre des éléments fertilisants que la culture réclame.


DU CHOIX DU PLANT ET DE LA SÉLECTION.


Des conditions diverses qu’exige la production des récoltes maxima, la plus importante, et de beaucoup, est celle qui consiste dans le choix du plant.

On ne s’en doute que bien peu en France, aujourd’hui encore les plants sont mis en terre, comme ils viennent et sans choix : même c’est une coutume que de destiner à la vente tous les beaux produits et de réserver pour le plant les tubercules de rebut. On ne saurait plus mal agir.

Dès le début de mes recherches, c’est à fixer les conditions que le plant doit remplir que je me suis surtout attaché ; et j’ai, dans cette voie, reconnu des faits importants desquels j’ai pu déduire des règles précises pour la sélection des tubercules de plant. J’ai d’abord établi qu’il ne suffisait pas de choisir ceux-ci uniquement d’après leur poids ; 1500 tubercules provenant d’une même récolte, et de poids absolument égal, ont fourni, dans le même champ, des récoltes variant de 0kg,500 à 2kg par poquet.

J’ai reconnu ensuite qu’en plantant tous les tubercules, petits et gros, fournis par la récolte d’un même sujet, on voit toujours les petits, malgré une puissance productive quelquefois énorme. donner en surface des récoltes inférieures, tandis qu’au delà se rencontre une zone comprenant les moyens et les gros et dans laquelle les récoltes ne varient que dans des limites peu étendues.

Des observations ainsi faites, au nombre de plus de 1000, j’ai pu déduire cette règle que si, dans le choix du plant, le cultivateur doit rejeter les petits, il est inutile qu’il recherche les gros ; les moyens lui donneront à moindre frais une récolte aussi belle.

Les recherches qui m’ont permis d’établir cette règle devaient cependant me conduire à des résultats plus considérables encore elles devaient me permettre d’établir sans conteste les qualités héréditaires des sujets et mettre entre mes mains une méthode de sélection permettant d’assurer à chaque variété la perpétuité et même l’amélioration de ses qualités originelles.

L’importance de ces qualités héréditaires, dont quelques horticulteurs soupçonnaient l’existence, n’avait jamais été établie scientifiquement jusqu’ici, pas plus en Allemagne qu’en France ; elles constituent cependant le nœud de la question.

A chaque tubercule de pomme de terre appartiennent des qualités de reproduction qui se retrouvent intactes dans sa descendance tout tubercule provenant d’un pied à grosse récolte fournil, une récolte abondante, et inversement. Les conditions d’après lesquelles le plant doit être choisi dérivent de cette observation ; c’est aux tubercules moyens que le cultivateur doit s’adresser, et ces tubercules il les doit demander aux pieds qui ont fourni une récolte abondante et riche.


J’ai d’ailleurs démontré, au cours de mes recherches, un fait que. jusqu’alors et faute de recourir à la balance, on n’avait pas reconnu entre l’abondance de la récolte que prépare chaque pied de pommes de terre d’une variété déterminée et la richesse de sa végétation aérienne, il existe une relation voisine de la proportionnalité ; au pied de tout sujet à riche végétation se forme une récolte abondante.

De là, pour opérer la sélection, un procédé très simple ; celui-ci consiste à marquer dans le champ les sujets faibles qu’on veut rejeter, si l’ensemble de la culture est beau, les sujets forts que l’on veut conserver au contraire, si ce sont eux qui font l’exception.

C’est au pied de ces sujets forts que le cultivateur devra toujours aller chercher son plant et, ce plant, il le formera des tubercules de poids moyen. Ce poids moyen variera naturellement suivant les variétés ; mais on peut dire qu’en général, pour les variétés à gros rendement, il oscille entre 60gr et 100gr, que pour les variétés à rendement moindre, il est compris entre 40gr et 80gr.

DE LA FRAGMENTATION DES TUBERCULES DE PLANT.


S’il est, chez les planteurs de pommes de terre, une habitude bien enracinée, c’est celle qui consiste à couper les tubercules de plant en deux ou trois fragments, de manière à obtenir d’un poids donné de semenceaux l’ensemencement le plus étendu possible. Cette habitude est essentiellement mauvaise ; en opérant de cette façon on économise le plant, il est vrai, mais on diminue dans une importante mesure le rendement à l’hectare.

La théorie l’indique et la pratique le prouve. Chaque tubercule de pomme de terre, il est vrai, porte à sa surface un nombre d’yeux et par suite de bourgeons très supérieur au nombre des tiges qu’il développera plus tard ; mais ce serait se tromper beaucoup que d’attribuer à tous ces bourgeons une égale vitalité. Ceux-là seulement sont aptes à fournir une végétation aérienne active qui se pressent nombreux près de l’extrémité du tubercule opposée à l’ombilic ; les autres ne germeront pas ou ne fourniront que des tiges grêles et sans énergie productive.

De telle sorte que diviser en deux un semenceau, ce n’est pas, comme le croient nombre de cultivateurs, doubler l’énergie vitale de ce semenceau, c’est, tout simplement, en laissant cette énergie exactement ce qu’elle était avant la division, la répartir sur une surface de terrain double en étendue. Les produits que cette énergie fournira seront dans l’un et l’autre cas peu différents.

Au point de vue économique, d’ailleurs, ce n’est pas la dépense en tubercules de plant qui doit surtout préoccuper le cultivateur, ce sont les dépenses bien autrement importantes qu’entraînent le loyer, les labours, les engrais, les façons, etc. ; celles-ci sont absolument proportionnelles à l’étendue de la surface cultivée, et c’est à accumuler sur cette surface la plus grande quantité possible de produits qu’il faut s’attacher.

La fragmentation des tubercules, en outre, a lieu bien souvent d’après des procédés barbares ; on les coupe suivant l’équateur, sans réfléchir que le haut bout emporte presque tous les bourgeons féconds, et que le bout inférieur ne pourra qu’à grand’peine fournir quelques tiges sans force végétative. D’autres fois, on les coupe au hasard, et l’on se contente de laisser un œil sur chaque fragment. Ces procédés doivent être abandonnés. Lorsque, pour une cause particulière, le cultivateur est obligé de couper ses semenceaux, lorsque, par exemple, préoccupé de produire du plant, il attache plus de prix au rendement par rapport au poids de la semence qu'au rendement par rapport à l'étendue de la surface cultivée, il doit diviser chaque tubercule, avec précautions, suivant un plan perpendiculaire à l'équateur et passant par les deux pôles opposés de ce tubercule. Dans ces conditions seulement, il est certain de laisser sur chaque moitié un nombre sensiblement égal de bourgeons féconds.

Mais, je ne saurais trop le répéter, c'est seulement dans le cas où quelque circonstance particulière l'y oblige, lorsque, par exemple, il ne dispose que de tubercules de grosseur exagérée, qu'il doit se résoudre à couper ses tubercules de plant.

Toujours il trouvera avantage à planter entiers des tubercules moyens provenant de sujets vigoureux.


DATE DE LA PLANTATION.


Des études répétées sur ce point m'ont permis de montrer que le cultivateur avait pour planter une latitude assez grande. Du milieu de mars au milieu d'avril la récolte n'est pas sensiblement influencée par la date de la plantation; mais j'ai montré qu'en tardant davantage on en diminue le poids.


RÉGULARITÉ nE LA PLANTATION.


Les cultivateurs n'attachent en général aucune importance à cette question; j'ai montré qu'au contraire l'importance en était grande. En comparant dans une même pièce cultivée des parties plantées ait pas, c'est-à-dire arbitrairement, et des parties plantées au rayonneur, j'ai pu établir que, dans le second cas, on réalisait une augmentation de récolte qui, à l'hectare, pouvait s'élever jusqu'à 3000kg.

ESPACEMENT DES TUBERCULES DE PLANT.


La question est capitale au point de vue du rendement ; j’ai dû sur ce point lutter contre de vieux préjugés. On aime, en général. à espacer largement le plant. J’ai montré par des expériences précises, faites tantôt sur de petites surfaces, tantôt sur des cultures étendues, qu’il fallait au contraire serrer le plant jusqu’aux limites extrêmes que permettent les façons culturales. L’espacement que l’expérience a montré être le meilleur comprend des lignes écartées à 0m,60, sur lesquelles les tubercules sont plantés à 0m,50 l’un de l’autre ; on compte alors 330 poquets à l’arc. Il faut, malgré les habitudes locales, s’efforcer d’obtenir des ouvriers cet espacement ; on y arrivera aisément, en rayonnant la pièce à 0m,60 d’abord, puis en croisant les lignes à 0m,50 et plantant à tous les points de croisement.

En exposant dans le prochain Chapitre les résultats culturaux des campagnes 1889 et 1890, je montrerai plusieurs exemples de diminution des récoltes, du fait d’espacements exagérés.


DES FAÇONS.


On ne saurait trop recommander le soin à donner aux binages ; toute plante adventice à laquelle on laisse son libre développement diminue, dans une mesure appréciable, la récolte des sujets oui l’avoisinent ; si l’opération a lieu au moyen d’une sarcleuse à cheval, il faut soigneusement faire reprendre à la main, les entrepieds que cet outil n’a pu atteindre.

Lorsqu’il s’agit de variétés telles que la Richter’s Imperator, la Red-Skinned, la Jeuxey, le butage doit être élevé afin de bien couvrir les tubercules qui s’enfoncent peu. A l’écartement de 0m,60 entre les lignes, il est aisé de donner cette façon à l’aide d’une buteuse à cheval.


DE LA MALADIE DE LA POMME DE TERRE ET DE SON TRAITEMENT.


J’ai précédemment établi l’efficacité des composés cuivriques contre la maladie de la pomme de terre ; quelques explications sur l’application du traitement sont nécessaires.

Des différents agents conseillés pour combattre l’invasion des cultures par les parasites de la famille des péronosporées, ce sont, à mon avis, les bouillies à l’oxyde de cuivre et à la chaux qu’il convient de préférer ; le mélange proposé par M. Michel Perret, sous le nom de saccharate de cuivre, semble également donner de bons résultats.

Mais les poudres sèches ne sont pas recommandables ; le vent les emporte avec trop de facilité ; l’eau céleste paraît dangereuse, etc. La bouillie que j’emploie maintenant est composée de la manière suivante :


Eau 
 100lit
Sulfate de cuivre 
 3kg
Chaux 
 3kg


La chaux doit être pesée à l’état vif, mais elle ne doit intervenir à la composition qu’après avoir été éteinte à l’aide de l’eau et par cette hydratation même, réduite en fine poussière. La préparation est des plus simples ; près du champ qu’il s’agit de traiter, on apporte une barrique défoncée, une terrine et un mouveron en bois. Dans la terrine on place les 3kg de chaux vive et on les arrose d’eau jusqu’à ce que la matière en soit bien imbibée l’excès d’eau est aussitôt rejeté, et la chaux mouillée, abandonnée à elle-même. Bientôt elle s’échauffe, se fendille, foisonne et se réduit d’elle-même en poussière, elle est bonne alors à employer.

Dans la barrique on jette 3kg de sulfate de cuivre, concassé de préférence, on les recouvre de 10lit à 20lit d’eau et, à l’aide du mouveron, on agite le mélange jusqu’à ce que la dissolution soit complète.

Cela fait, on verse sur la dissolution une quantité d’eau suffisante pour compléter le volume d’un hectolitre, et, dans la solution de sulfate de cuivre, enfin, on jette, peu à peu, par portion de 200 ou 300gr à la fois, et en agitant sans cesse avec le mouveron, la poudre de chaux éteinte.

Le mélange trouble, bleuâtre, fourni par cette opération constitue la bouillie préservatrice.

Abandonnée quelques instants dans un verre, elle doit, si elle est bien préparée, fournir en quelques minutes un dépôt gris bleuâtre, que surnage un liquide absolument incolore et capable de ramener au bleu un papier de tournesol rouge.

La bouillie est prête alors autre employée ; il ne reste plus, après l’avoir bien agitée pour mettre le précipité en suspension, qu’à la verser dans la hotte de l’un quelconque des pulvérisateurs usités pour le traitement du mildew de la vigne. L’ouvrier, la hotte sur le dos, la lance à la main, s’avance ensuite suivant un rayon, arrosant à sa gauche autant de files que la force de son pulvérisateur le permet. Certains de ces instruments permettent de bien couvrir d’un seul jet cinq files espacées de 0m,60 ; ce sont naturellement les appareils de ce genre que l’on doit préférer ; 17 à 18 hectolitres de bouillie sont nécessaires pour couvrir un hectare.

C’est, en général, vers la fin de juin, au commencement de juillet, au plus tard, au moment où, sous l’action combinée des pluies et de la chaleur, la maladie rencontre les conditions les plus favorables à son développement, qu’il convient de placer le traitement : celui-ci, en effet, doit, autant que possible, être toujours préventif, et c’est une imprudence que d’attendre l’apparition du mal pour chercher à le combattre.


DE LA RÉCOLTE.


Il convient d’en retarder l’époque jusqu’à ce que la végétation de la plante ait entièrement cessé. On ne saurait, bien entendu, indiquer, à l’avance, pour chaque variété, hâtive ou tardive, une date précise ; cette date est, dans tous les cas, sous la dépendance des conditions météorologiques de la saison.

Mais, d’une manière générale, on peut fixer les caractères extérieurs auxquels on reconnaît le moment où les tubercules cessent de s’accroître, et où l’arrachage, par conséquent, doit avoir lieu.

Ce moment il faut, si l’on veut avoir le rendement maximum, le retarder jusqu’à la dernière limite ; presque toujours, on arrache trop tôt, et le bénéfice ainsi perdu est quelquefois important.

Alors même que tout le feuillage latéral de la planté est fané, s’il reste encore au sommet des tiges un bouquet terminal de quelques feuilles, on peut être certain que la plante travaille encore et que chaque jour, par ce petit bouquet terminal, elle fabrique une certaine quantité de matière organique qui, spécialement destinée aux tubercules, peut, même en une quinzaine, augmenter sensiblement le poids et la richesse; mais, aussitôt que ce bouquet terminal est fané à son tour, le gain devient nul et il convient de procéder à l'arrachage.




  1. Voir l’album d’héliogravures publié par MM. Gauthier— Villars et fils.