Recherches sur l’action réciproque du soufre et du charbon

RECHERCHES

SUR L’ACTION RÉCIPROQUE

DU SOUFRE ET DU CHARBON.

Par M. A. B. Berthollet.

L’action du soufre sur le charbon a été spécialement examinée par M. Lampadius et par MM. Clément et Desormes ; mais l’on trouve autant d’opposition entre les conséquences qu’ils ont tirées de leurs expériences qu’entre les vues dans lesquelles ils les ont entreprises. Dès 1796 M. Lampadius, pour évaluer le produit en soufre d’une pyrite martiale, la traitant à un grand feu avec du charbon, avoit remarqué la production d’un liquide très-évaporable dont Gréen a fait mention dans son Neues journal der physik, et que Van Mons a annoncé en 1797 dans le n°. 8 du Journal des pharmaciens de Paris. Quelques-unes des propriétés de cette substance avoient fait soupçonner à M. Lampadius qu’elle pouvoit être composée de soufre et d’hydrogène. Plus récemment il l’a soumise encore à des recherches[1], qui, sans le conduire à une détermination précise de sa composition, lui ont paru propres à confirmer ses premières conjectures. Il donne à ce liquide le nom de alcool de soufre à cause de sa grande volatilité. Dans le travail que MM. Clément et Desormes entreprirent pour combattre les faits qui avoient servi à prouver l’existence de l’hydrogène dans le charbon, ils imaginèrent[2] de faire agir le soufre sur le charbon porté à une haute température. Ils observèrent que par ce moyen le charbon disparoissoit, sans aucun dégagement de gaz, et qu’il se produisoit un liquide plus évaporable que l’éther, et cependant plus lourd que l’eau, d’une odeur peu différente de celle de l’hydrogène sulfuré, très-inflammable, et qu’ils trouvèrent entièrement composé de soufre et de carbone. Ils nommèrent en conséquence ce liquide soufre carburé. Ils donnèrent également les noms de soufre carburé solide et de soufre carburé gazeux à deux produits, l’un concret et ayant l’apparence du soufre, l’autre aériforme ; qu’ils obtinrent dans des circonstances particulières.

Ainsi selon M Lampadius le résultat de l’action du soufre sur le charbon étoit un liquide composé d’hydrogène et de soufre, et selon MM. Clément et Desormes, c’étoit un liquide qui ne contenoit que du soufre et du carbone.

Une différence aussi grande dans la nature de produits obtenus des mêmes substances, étoit d’autant plus propre à inspirer des doutes, qu’il y avoit la plus grande analogie entre les propriétés qu’on a reconnues à l’un et à l’autre de ces liquides. Il paroît de plus peu vraisemblable qu’un liquide doué d’une tension plus forte que celle de l’éther, et, qui plus est, un gaz permanent, puissent être formés par la combinaison de deux corps solides, dont l’un est un des plus fixes que l’on connoisse. J’ai cru utile de dissiper l’obscurité que ces résultats contradictoires et peu satisfaisans répandent sur ce sujet, intimement lié à plusieurs des plus importantes déterminations de la chimie.

J’ai suivi le procédé indiqué par MM. Clément et Desormes, en n’apportant que de légères modifications à la disposition de l’appareil.

Un tube de verre long d’environ un mètre, traversoit horisontalement un fourneau de réverbère de telle façon que d’un des côtés il sailloit tout au plus d’un décimètre ; de l’autre il excédoit la paroi du fourneau de la moitié de sa longueur. On l’inclinoit un peu de ce côté vers le premier. La partie comprise dans l’intérieur du fourneau étoit enduite d’un lut capable de résister à une forte chaleur. À la première extrémité du tube étoit ajustée une alonge lutée à un petit récipient tubulé qui communiquoit par un tube avec un flacon à deux tubulures. Les gaz, après avoir traversé l’eau de ce flacon, étoient conduits par un tube doublement coudé dans un appareil pneumato-chimique. Le ballon contenoit un peu d’eau distillée. On plaçoit des morceaux de charbon dans la partie lutée du tube, et après avoir introduit des morceaux ou des fleurs de soufre dans le reste du tube, on fermoit hermétiquement son orifice. Cela fait, on échauffoit la partie qui contenoit le charbon, et lorsqu’elle étoit incandescente on faisoit couler du soufre en le fondant peu-à-peu.

Dès que le soufre et le harbon étoient en contact, il se dégageoit un gaz dont les bulles se succédoient rapidement. En même tems l’alonge et le ballon se remplissoient de vapeurs blanchâtres qui, en se condensant, se réunissoient sous l’eau en gouttes d’un liquide blanc, quelquefois un peu jaune. Lorsque le dégagement de gaz et la condensation du liquide se ralentissoient on faisoit passer plus de soufre sur le charbon, et si, malgré cela, l’opération ne s’accéléroit pas on élevoit la température de celui-ci. Le plus souvent il sortoit du tube avec les vapeurs et les gaz, du soufre liquide, qui se solidifioit dans l’alonge. La manière de conduire cette expérience en fait varier les résultats. Lorsqu’on a pour but de former principalement du liquide, il faut maintenir le charbon au rouge cerise, et ne faire passer qu’un léger excédent de soufre. Il est bon aussi, dans ce cas, de tenir dans un mélange réfrigérant le ballon et le flacon. Si on fait passer trop peu de soufre on n’obtient que des gaz et quelques gouttes d’un liquide surnageant l’eau, qui, dans le cours de l’expérience, reprend lui-même l’état gazeux ; s’il en passe trop, les effets sont les mêmes, et il coule dans l’alonge beaucoup de soufre à cet état particulier qui l’a fait appeler par MM. Clément et Desormes soufre carburé solide. On peut, par des variations analogues dans la température, apporter les mêmes différences dans les résultats.

Quand l’opération a été conduite de la manière la plus favorable à la formation du liquide, le dégagement du gaz, dont elle est toujours accompagnée, cesse après un certain tems, et l’opération se termineroit alors si on n’augmentoit beaucoup à la fois la température du tube, et la quantité de soufre qu’on y fait passer. Dans ces nouvelles circonstances il ne se condense plus de liquide, mais le dégagement de gaz se ranime et continue encore longtems. La durée de cette expérience peut donc, d’après ces indications, être partagée en deux termes. On verra qu’ils ne sont pas moins caractérisés par la nature des produits qui se forment pendant chacun d’eux, et que ces modifications sont dues à l’influence de celle des deux substances dont la quantité est prédominante.

Le charbon que j’ai employé a toujours été tenu préalablement pendant une demi-heure dans un creuset rouge, afin de le dégager de l’eau qu’il contient et des substances gazeuses qu’il abandonne à la première impression de la chaleur. À la fin de l’opération, je tenois le tube incandescent quelque tems après que le soufre avoit cessé de couler, pour volatiliser celui qui se seroit trouvé en contact avec le résidu au moment du refroidissement et en auroit changé la nature. J’empêchois aussi que ce résidu fût altéré par l’introduction de l’air dans l’appareil, en fermant un robinet adapté à la tubulure du ballon.

Je passe maintenant à l’examen des résultats de cette expérience, en commençant par ceux que l’on obtient en l’arrêtant à son premier terme.

L’eau du flacon à travers laquelle passoient les gaz étoit devenue laiteuse. Elle avoit l’odeur et tous les caractères de l’eau d’hydrogène sulfuré. Le gaz lui-même en avoit l’odeur. Agité ou laissé longtems en contact avec l’eau il s’absorboit, en la rendant laiteuse, et en lui donnant les propriétés de l’eau d’hydrogène sulfuré. Il brûloit avec une flamme bleue et en exhalant l’odeur d’acide sulfureux. Mêlé avec de l’oxigène, il détonoit vivement par l’étincelle électrique, quelquefois sans troubler l’eau de chaux, le plus souvent en y produisant un léger précipité. Par cette épreuve le gaz provenant d’une opération où on a fait passer peu de soufre en déposoit abondamment, quoiqu’il fût mêlé à volume égal avec l’oxigène. On reconnoît à ces divers caractères un gaz hydrogène sulfuré moins soluble dans l’eau que celui qu’on produit ordinairement en décomposant par un acide les sulfures alcalins où métalliques ; mais ce n’est pas là le premier exemple des changemens que ce gaz peut éprouver dans ses propriétés et ses proportions. Schéele[3] a obtenu un gaz hydrogène sulfuré entièrement insoluble. Kirwan[4] en a fait connoître un qui n’est qu’en partie soluble. Enfin Chaptal fils[5] a observé de grandes variations dans la solubilité de différens gaz de ce genre.

La liqueur qui s’étoit réunie sous l’eau du ballon et dont quelques globules s’étoient aussi condensés dans le flacon, m’a présenté tous les caractères de l’alcool de soufre de M. Lampadius ou du soufre carburé de MM. Clément et Desormes. Cette liqueur étoit d’une transparence presqu’aussi parfaite que celle de l’eau. Son odeur étoit assez analogue à celle de l’hydrogène sulfuré, cependant plus vive et plus piquante. En l’agitant dans le flacon où on la conservoit sous l’eau, elle s’attachoit en gouttelettes au verre et le graissoit comme auroit fait une huile. Elle brûloit vivement avec une flamme bleue et l’odeur d’acide sulfureux : mais ici cesse l’accord entre mes observations et celles de MM. Clément et Desormes. Ils ont obtenu, disent-ils, par cette combustion un résidu composé de charbon noir comme à l’ordinaire : pour moi, j’ai constamment vu la combustion produire l’entière destruction de cette substance, sans qu’il me fût possible de distinguer d’ailleurs, dans sa couleur ou sa consistance, aucun signe d’altération pendant qu’elle brûloit ; et si j’arrêtois la combustion, je n’appercevois que du soufre entièrement exempt de tout corps étranger. Cette liqueur est très-volatile et produit par conséquent sur la peau l’impression d’un froid vif. Exposée sous une cloche avec de l’air atmosphérique, elle en augmente beaucoup le volume ; celui-ci s’enflamme, après cela, par l’approche d’un corps embrasé et brûle paisiblement en bleu ; il ne détonne point par l’étincelle électrique, et il revient à son premier volume, par le contact de l’eau, qui prend, par là, les propriétés de l’eau d’hydrogène sulfuré : ce fait suffit pour rendre manifeste l’existence de l’hydrogène dans cette liqueur. Quelque transparente qu’elle fût, je n’ai jais pu la volatiliser en entier et, soit que je l’abandonnasse au contact de l’air, sans élever sa température, soit que je hâtasse son évaporation par la chaleur, j’ai toujours obtenu un résidu composé de soufre, que je pouvois sublimer complettement, sans avoir le plus léger indice de charbon : résultat opposé à celui de MM. Clément et Desormes, mais conforme à celui de M. Lampaduis.

Le résidu de cette opération ne m’ayant pas présenté de charbon, j’ai voulu m’assurer encore que le gaz qui en résulte ne contient pas de carbone outre l’hydrogène et le soufre que j’y ai reconnus. Pour cela, quoique j’eusse constaté que le mélange de ce gaz avec l’oxigène détonne très-fortement par l’approche d’un corps enflammé, ainsi que l’ont annoncé MM. Clément et Desormes, j’eus recours à l’étincelle électrique, comme au moyen le plus direct. La détonation qui se produit ainsi est si violente, que je n’ai pu par aucune précaution prévenir sur la cuve de mercure les explosions et la rupture des tubes eudiométriques, épais de 3 millimètres. Mais en opérant sur l’eau, dans des tubes épais et avec de petites quantités de gaz, on peut effectuer plus sûrement la détonation. Si l’expérience est faite sur l’eau de chaux, on ne voit se former aucun précipité ; quoique la quantité d’eau de chaux soit plus considérable que celle qu’il faudroit pour saturer les deux acides qui peuvent se développer. Cette liqueur ne contient donc pas de carbone.

À l’appui de cette conséquence je puis citer encore l’action que l’acide muriatique oxigéné et les alcalis exercent sur cette liqueur. Le premier de ces réactifs agit lentement sur elle ; il ne se dégage point de gaz ; l’acide perd son odeur ; en le renouvelant un assez grand nombre de fois, la liqueur perd graduellement de sa liquidité, et laisse enfin un résidu ayant la couleur et la consistance du soufre, dans lequel on ne peut reconnoître de charbon. Si, comme l’ont dit MM. Clément et Desormes, l’acide muriatique oxigéné agissoit d’abord sur le charbon qu’ils croyoient exister dans cette liqueur, on devoit, puisqu’on n’a point obtenu d’acide carbonique à l’état gazeux, en retrouver quelques traces mêlées dans l’eau avec l’acide muriatique : or les eaux de chaux et de barite n’y dénotent que de l’acide sulfurique.

L’eau de potasse agitée avec cette liqueur passe lentement à l’état de sulfure hydrogéné : la digestion à une chaleur douce accélère cet effet. En employant une suffisante proportion d’alcali, j’ai fait ainsi entrer totalement en combinaison une certaine quantité de liqueur, sans aucun indice de résidu charbonneux qu’on avoit annoncé.

Je conclu, de tout ceci, que la liqueur produite par l’action du soufre sur le charbon incandescent ne contient pas de carbone, et qu’elle n’est composée que de soufre et d’hydrogène, ainsi que l’avoit présumé M. Lampadius. Elle doit donc porter le nom de soufre hydrogéné, déja donné à une combinaison qui est tout-à-fait semblable à celle-ci[6], ou, du moins, qui n’en diffère que par quelques modifications évidemment dues à une moindre proportion d’hydrogène.

Si l’on distille ce soufre hydrogéné sous l’eau, à une chaleur de 30 à 36°, et dans un appareil entièrement purgé d’air, on recueille d’abord un gaz pareil à celui qui est produit par l’évaporation à l’air, ou dans le gaz oxigène. Il a l’odeur de l’hydrogène sulfuré, brûle en bleu quand il est mêlé avec de l’air, détonne vivement s’il l’est avec de l’oxigène, s’absorbe promptement dans l’eau en la rendant laiteuse par précipitation d’un peu de soufre, et en lui donnant les caractères d’une eau d’hydrogène sulfuré. Après ce gaz, passe un liquide parfaitement transparent et incolore, qui nage en gouttes à la surface de l’eau. Dès que ces gouttes ont le contact de l’air elles s’évaporent, et bientôt, ou elles précipitent au fond de l’eau, ou leur évaporation continue jusqu’à ce qu’elles ne laissent plus à leur place que de petites parcelles de soufre. Lorsqu’en continuant la distillation on a graduellement élevé la chaleur jusqu’à 45°, le dégagement de gaz n’a plus lieu, et les gouttes de liquide qui se condensent prennent une densité plus grande que celle de l’eau. À mesure que le soufre hydrogéné devient plus difficilement évaporable on voit changer son apparence. Il devient de plus en plus jaune et opaque. En arrêtant l’opération quand la chaleur a été maintenue quelque tems à 45°, il se prend par le refroidissement en une masse dans laquelle on distingue des cristaux prismatiques très-prononcés. Par l’impression de la même chaleur cette masse redevient liquide et, en continuant à élever la température, on arrive à n’avoir que du soufre que l’on peut ensuite sublimer sans résidu. Ces divers phénomènes ont également lieu dans un appareil d’où l’on n’a point exclu l’air ; seulement la quantité de gaz produite est plus grande, et celle du liquide condensé moindre. Enfin, à l’air libre, l’évaporation est beaucoup plus rapide et donne aussi, comme on l’a vu plus haut, un résidu de soufre. Il n’y a dans ces petites différences rien qui ne dépende de la théorie générale de la vaporisation.

Lorsqu’on fait passer trop peu de soufre sur une grande quantité de charbon, on voit de même se former des liquides de densités différentes, dont les uns, plus lourds que l’eau, se condensent dans le ballon ; d’autres ne se condensent que dans l’eau du flacon et viennent se répandre à sa surface ; d’autres enfin, après avoir traversé cette eau, passent encore dans l’appareil pneumato-chimique et surnagent l’eau qu’il contient : une température élevée favorise la formation presque simultanée de ces différens liquides.

Le soufre donne donc avec l’hydrogène des liquides dont les proportions dépendent des circonstances dans lesquelles leur combinaison s’opère. Ces variations sont d’autant plus multipliées que, l’un des élémens étant solide, l’autre, qui est gazeux et qui paroît n’avoir éprouvé qu’une faible condensation, conserve une grande disposition à reprendre l’état élastique et, sous cette nouvelle forme, peut encore entrer à des proportions différentes en combinaison avec le premier. La constitution de ces liquides est si variable, que je crois superflu, d’indiquer ici les propriétés qui en dépendent, telles que la tension, la pesanteur spécifique, etc.

Les expériences que je viens de rapporter offrent encore une grande analogie entre la distillation du liquide qui résulte de la combinaison du soufre avec l’hydrogène, et celle de quelques liquides composés d’hydrogène et de carbone. Dans l’une et dans l’autre la première action de la chaleur est de séparer des produits gazeux, et ensuite des produits de moins en moins volatils à mesure que la substance soumise à la distillation s’approche elle-même de l’état solide, et, cet effet même est une conséquence de la nature de ces composés.

Je reviens aux produits de l’expérience dans laquelle on obtient le soufre hydrogéné. J’ai dit que, outre les gaz et le liquide, il sortoit aussi du tube incandescent du soufre qui se solidifioit en refroidissant. Ce soufre a un aspect différent de celui qui a été simplement fondu ; on sait que celui-ci, même refroidi rapidement, conserve dans sa cassure une tendance à former des aiguilles. Celui qui a passé sur le charbon affecte une disposition différente : il est lamelleux, léger, boursoufflé, d’une couleur jaune quelquefois dorée ; nouvellement sorti de l’appareil, il a l’odeur du soufre hydrogéné, et dans quelques circonstances il en est assez imprégné pour que, à la température de l’atmosphère, il puisse augmenter le volume de l’air. Une chaleur douce suffit pour le faire entrer en fusion et en dégager du gaz hydrogène sulfuré. Je l’ai sublimé complettement en élevant suffisament la température. Sa combustion à l’air libre ne m’a point donné le résidu charbonneux que MM. Clément et Desormes ont obtenu, et qui les avoit déterminés à donner à ce soufre le nom de soufre carburé solide. À la vérité, en brûlant plusieurs gros morceaux de ce soufre dans une capsule de porcelaine il est resté sur le fond quelques petites taches irisées. Leur épaisseur étoit si foible, qu’elles ne formoient pas une saillie sensible. Je n’ai pu les faire entrer en combustion en dirigeant sur elles la flamme d’une bougie à l’aide du chalumeau ; mais en les recouvrant d’une parcelle de potasse, elles se sont fondues en globules noirâtres. Je crois, d’après ces épreuves et quelques autres, que ces taches étoient dues à de très-petites quantités de sulfures formés par le fer et le manganèse contenu dans le charbon, et peut-être aussi dans le soufre en canons. Le soufre qui reprend la forme solide, après avoir passé sur le charbon incandescent, ne contient donc pas non plus de carbone ; il est seulement modifié par l’hydrogène qu’il retient, et, si l’on jugeait nécessaire dans quelques cas de le désigner par un nom particulier, le seul qui lui appartienne est celui de soufre hydrogéné solide.

Je me suis assuré que le soufre précipité dans la décomposition des sulfures hydrogénés par les acides retient de même de l’hydrogène, qu’une foible chaleur en dégage. Ainsi, dans cette opération, comme dans celle qui est l’objet de ce mémoire, on peut produire des combinaisons de soufre et d’hydrogène qui prendront, selon les circonstances, les formes gazeuse, liquide ou solide.

Cette observation confirme et semble completter l’analogie déja remarquée entre les combinaisons que l’hydrogène peut former, soit avec le soufre, soit avec le carbone. Cette ressemblance entre des résultats fournis par des agens de nature aussi différente, et la variété des états auxquels peuvent exister leurs nombreuses combinaisons, dépendent évidemment des dispositions qui sont généralement communiquées aux combinaisons par leurs élémens, et de l’influence qu’a celui qui domine[7]. Plusieurs faits recueillis dans ces recherches offrent aussi des exemples frappans des modifications qu’apportent dans les résultats de l’action chimique les proportions des substances entre lesquelles elle s’exerce, la température et les autres causes qui concourent avec l’affifité à déterminer les combinaisons[8].

Po faire connoître tous les résultats, je n’ai plus à parler que de l’état du charbon mis en expérience. Il ne porte aucun signe extérieur d’altération ; les morceaux ont conservé leur forme et leur couleur. Il retient cependant du soufre qui doit être regardé comme engagé dans une combinaison ; car j’ai prévenu que, pour éviter toute erreur, je maintenois, quelques minutes après qu’il ne passoit plus de soufre, le tube à la chaleur de l’incandescence, bien supérieure à celle qui est nécessaire pour volatiliser le soufre non combiné. On peut enlever ce soufre par les alcalis, ou en l’exposant au contact de l’air, à la chaleur nécessaire pour sa combustion. On voit alors une flamme bleue se former à la surface du charbon, qui devient lui-même incandescent, mais ne tarde pas à s’éteindre quand le soufre est complettement bridé. Le charbon ainsi dégagé de soufre est très-léger et très-friable ; il laisse sur le papier des traces du plus beau noir. Ce qui le caractérise le plus, c’est la difficulté qu’on éprouve à le brûler ; et elle est telle que, à moins qu’on ne dirige dessus un courant d’air rapide, il s’éteint promptement quoique posé tout embrasé sur des charbons bien allumés.

Tout ce qui précède prouve que le charbon contient une grande quantité d’hydrogène qui lui est enlevée par le soufre à une haute température. Le volume de gaz hydrogène sulfuré recueilli porte même à croire que ce charbon est complettement dépouillé d’hydrogène. On prend bien plus de confiance encore dans l’efficacité de ce moyen lorsque, en soumettant à cette expérience du charbon tenu une heure à un feu de forge capable de ramollir les creusets de Hesse, et qui par là a perdu plus du quart de son poids, on voit que, à une température beaucoup inférieure, dès que le charbon a le contact du soufre, il se dégage abondamment de l’hydrogène sulfuré. Malgré la perte d’hydrogène que ce charbon a éprouvée, j’ai recueilli plus d’un litre de gaz hydrogène sulfuré d’un gramme de charbon, en ne poussant l’opération que jusqu’au point où il auroit fallu élever beaucoup la chaleur pour que le dégagement de gaz continuât. Ce charbon n’étoit pas plus altéré que celui dont j’ai déja parlé. Ainsi il faut admettre qu’il y a de l’hydrogène dans le charbon qui a été soumis à l’effet de la plus vive chaleur que nous puissions produire. La conséquence à laquelle on est ainsi conduit n’est pas neuve, et Kirwan l’avoit déduite de faits convaincans[9]. On ne trouve donc, dans celui que je rapporte, qu’un complément aux preuves déja recueillies en faveur de cette opinion[10].

L’action que le soufre exerce sur l’hydrogène combiné avec le charbon qui a éprouvé l’action de la plus forte chaleur, paroissoit propre à en faire connoître la proportion ; et l’on pouvoit espérer d’atteindre à une précision suffisante, malgré la difficulté d’évaluer la quantité et les proportions de chacun des produits que l’on obtient. Mais un obstacle bien plus puissant s’est présenté dans l’impossibilité de substituer des caractères certains aux indices vagues dont je me suis contenté jusqu’à présent pour marquer la fin de cette opération. En effet, une chaleur supérieure à celle que j’ai prescrite suffit pour qu’on n’apperçoive pas dans le cours de l’expérience cette interruption dont je me suis servi pour la partager en deux termes. Lorsqu’on s’est conformé rigoureusement aux conditions que j’ai regardée comme favorables à la production du soufre hydrogéné, si l’on élève la température, et si en même tems on fait passer plus de soufre quand l’absorption de l’air extérieur est sur le point de s’opérer dans l’appareil, les gaz recommencent à se dégager. L’opération entre ainsi dans sa seconde période, dont la fin est annoncée par celle de la production du gaz. On ne retrouve plus alors de charbon dans le tube, et il doit être entré en totalité dans les combinaisons qui se sont formées : celles-ci sont tout-à-fait semblables à celles qu’on obtient dans les opérations où dès le commencement on fait passer une trop grande quantité de soufre. Dans ces deux cas on trouve à peine quelques gouttes de soufre hydrogéné liquide. Comme on a fait couler un grand excès de soufre, il d’en solidifie beaucoup dans l’alonge qui prend l’apparence décrite. L’eau du flacon et celle du ballon sont devenues laiteuses et ont dissous de l’hydrogène sulfuré. Le gaz en a les principaux caractères : sa manière de brûler, son odeur, sa solubilité dans l’eau et les propriétés qu’il lui communique, ne laissent aucun doute sur l’existence de l’hydrogène et du soufre dans ce gaz produit le plus abondant de cette expérience. Un gramme de charbon calciné m’en a donné de 4 à 5 litres, et l’expérience prolongée jusqu’à l’entière destruction de ce corps a duré de 5 à 6 heures. On voit donc qu’on ne peut être sûr d’avoir, par ce procédé, du carbone parfaitement dégagé d’hydrogène.

En arrêtant l’opération avant que le dégagement du gaz cesse, les morceaux de charbon portent, ainsi que l’ont observé MM. Clément et Desormes, des marques non équivoques d’érosion. Ce même charbon remis en expérience continuera encore à donner de ce gaz dans laquelle l’hydrogène et le soufre s’annoncent si clairement. On ne peut soupçonner que le charbon entre alors dans la composition d’un liquide analogue au soufre hydrogéné ; car la quantité de celui qui se forme, bornée à quelques gouttes, est insuffisante pour rendre compte de tout le charbon qui a disparu, et d’ailleurs le plus fréquemment on ne peut recueillir de liqueur. Le soufre qui a repris la forme solide dans l’alonge est hydrogéné. La chaleur en dégage de l’hydrogène sulfuré ; mais je n’ai pu obtenir aucun indice de charbon par sa sublimation et sa combustion. Le charbon qui a été mis en expérience devoit donc être recelé dans le gaz ; et en effet celui-ci, mêlé avec de l’oxigène, a produit, par sa détonation au moyen de l’étincelle électrique, un précipité abondant dans l’eau de chaux. Ainsi l’hydrogène est combiné avec le soufre et le carbone dans ce gaz, probablement semblable à celui que MM. Clément et Desormes avoient appelé soufre carburé gazeux. Ce gaz triple n’est soluble qu’en partie dans l’eau ; il faut pour le brûler complettement un volume d’oxigène presqu’égal au sien, et il reçoit par la détonation une expansion telle que si on n’emploie pas un tube qui excède en longueur au moins quinze fois l’espace occupé par le gaz, il en sortira infailliblement une partie dans ce moment.

On pourroit concevoir quelques doutes sur la nature d’un précipité formé dans l’eau de chaux par la combustion d’un gaz contenant du soufre, à cause de la foible solubilité du sulfite de chaux : elle est cependant assez grande pour qu’il ne se sépare pas de ce sel toutes les fois que le volume du gaz n’est qu’environ le cinquantième de celui de l’eudiomètre où se fait la détonation. Mais, dans tous les cas, pour reconnoître plus sûrement le carbone qu’on recherche dans le gaz, on peut laisser déposer l’eau de chaux qui a été troublée, et redissoudre ensuite le précipité par l’acide sulfureux, qui indiquera par une effervescence s’il s’y trouve du carbonate de chaux.

Toutefois en considérant le volume du gaz recueilli et la faculté que j’ai reconnue au soufre de retenir de l’hydrogène à l’état solide, il n’étoit pas invraisemblable que le soufre employé dans ces expériences en eût fourni lui-même.

Pour constater jusqu’à quel point cette conjecture étoit fondée, j’ai d’abord fait passer des morceaux de soufre en canons, à la chaleur du rouge blanc, à travers un tube de verre enduit de lut, auquel étoit soudé un tube propre à recueillir les gaz. J’ai eu de très-légers indices d’hydrogène sulfuré. Mais en faisant dans des cornues de grès des sulfures métalliques, j’en ai obtenu assez pour précipiter la dissolution de plomb et pour en enflammer à plusieurs reprises. Je n’avois négligé aucune des précautions nécessaires pour éloigner toutes les inexactitudes d’expériences dont je ne pouvois attendre qu’un produit peu abondant. Ainsi, après m’être assuré qu’il n’y avoit aucuns corps étrangers dans les cornues, je les desséchois fortement au feu avant de les employer. Je me suis servi tantôt de lames de cuivre rosette, tenues quelque tems au rouge dans un Creuset, tantôt de clous et de limaille de fer préparés exprès et rougis de même dans un creuset, et enfin de mercure que j’avois fait bouillir dans la cornue avant d’y introduire le soufre. C’est avec ce dernier métal que j’ai le plus facilement dégagé l’hydrogène sulfuré. Le soufre ne pouvoit lui-même contenir aucun corps capable d’induire en erreur, car je m’étois assuré, avant de l’employer, que la distillation n’en dégageoit aucun gaz. Priestley[11] avoit remarqué, qu’en faisant passer de l’eau en vapeur sur du soufre tenu en fusion dans un tube de grès, il se dégageoit un air inflammable qu’il attribuoit à la même cause que celui qu’il obtenoit avec le fer. En répétant cette expérience, j’ai recueilli de l’hydrogène sulfuré ; mais en même tems je me suis convaincu que l’eau n’avoit pas été décomposée, car le muriate de barite n’a point dénoté d’acide sulfurique dans l’eau à travers laquelle le gaz avoit passé ; et il est évident qu’il n’a pu se former d’acide sulfureux, puisque ce gaz et l’hydrogène sulfuré se décomposent dès qu’ils sont en contact. L’hydrogène sulfuré ne provenait donc que du soufre et la vapeur d’eau servoit à l’en dégager de la même manière qu’elle favorise la décomposition des carbonates de chaux et de barite par la chaleur.

On ne peut douter d’après cela qu’il n’y ait de l’hydrogène dans le soufre. Cet hydrogène a dû contribuer pour plus qu’on ne le concluroit de ces dernières expériences seulement au volume des gaz dégagés lorsque le soufre, porté en grande quantité sur le charbon, le volatilise à l’aide d’une haute température. Le gaz qui se développe alors est dû à l’action réciproque du soufre et du charbon, et à celle qu’ils exercent l’un et l’autre sur l’hydrogène combiné dans chacun deux : mais la quantité de soufre qui devient nécessaire pour que cette combinaison se forme, autorise à conclure, en supposant que le charbon contienne encore de l’hydrogène, que c’est néanmoins le soufre qui en donne la plus grande partie.

RÉSULTATS.

1°. Le charbon, à quelque température qu’il ait été exposé, retient de l’hydrogène.

2°. Le soufre agit à la température rouge sur l’hydrogène contenu dans le charbon ; il forme avec lui des combinaisons dont les proportions varient, et qui, selon les circonstances, prennet la forme de fluides élastiques, de liquides ou de solides. Cette même variété d’états se retrouve dans les combinaisons d’hydrogène et de soufre qui se produisent par la décomposition des sulfures hydrogènes alcalins.

3°. Le charbon en grande partie privé d’hydrogène forme avec le soufre un composé solide dans lequel celui-ci entre en petite quantité et qui conserve l’apparence du charbon.

4°. Le soufre en canons contient de l’hydrogène.

5°. À une haute température il se forme par l’action réciproque du soufre, du carbone et de l’hydrogène un gaz inflammable composé de ces trois substances.


NOTE.


Lorsque je présentai ces recherches à la classe des sciences physiques et mathématiques de l’Institut, M. Vauquelin annonça qu’il s’étoit occupé du même objet, et l’on n’apprendra pas sans regret, que la publication de mon travail a privé la science de celui que préparoit ce célèbre chimiste. Il s’étoit déja convaincu que la liqueur sur laquelle M. Lampadius et MM. Clément et Desormes avoient successivement porté leur attention, ne contient pas de carbone, et qu’elle n’est qu’un soufre hydrogéné. La dissolution de cette liqueur dans l’alcool lui en avoit fourni une preuve frappante, en ce que, par l’addition de l’eau, elle laisse précipiter du soufre pur. D’autres expériences, en lui faisant connoître plusieurs propriétés intéressantes du soufre hydrogéné, confirmoient cet indice. Je n’en pourrois donner ici qu’un résumé très-succinct, et je me borne à renvoyer à l’article des Annales de chimie[12], où M. Robiquet, qui a eu l’avantage de seconder M. Vauquelin, les a décrites.

Loin de chercher à donner aux conséquences que j’ai tirées de mes observations toute l’extension dont elles sont susceptibles, je me suis attaché à les présenter telles qu’elles dérivent immédiatement des faits. On pressent aisément combien ceux-ci influent sur les relations que l’on a établies entre le diamant et le carbone. Ils jettent aussi beaucoup d’incertitude sur les proportions de l’acide carbonique, qui entrent comme données dans toutes les évaluations relatives à la respiration et à la chaleur des animaux, au développement et à la nutrition des végétaux, ainsi que dans le plus grand nombre des analyses de matières végétales ou animales.

Des motifs moins puissans m’auroient déterminé à poursuivre ces recherches, que je regarde comme ne devant pas être infructueuses, avec d’autant plus de confiance que, quand elles ne satisferoient pas entièrement à ces vues capitales, je puis espérer qu’elles donneroient au moins plus de certitude à quelques-uns de mes résultats, qui, je ne me le dissimule pas, n’ont point encore toute la précision desirable.




  1. Jour. de chim. de Van Mons, tom. 5.
  2. Ann. de chim. tom. 42.
  3. Traité de l’Air et du Feu, p. 253.
  4. Trans. Phil. 1785.
  5. Stat. chim. tom. 2, p. 104.
  6. Ann. de chim. tom. 25.
  7. Statique chim. tom. 1, chap. 4.
  8. Statiq. chim. sect. 5.
  9. Trans. Phil. 1785.
  10. Statiq. chim. tom. 2, p. 41 ; et Mém. de l’Instit. tom. 4.
  11. Observ. sur différentes branches de la physique, tom. 4, p. 161.
  12. Voy. Ann. de chim. tom 61, p.140.