Recherches statistiques sur l’aliénation mentale faites à l’hospice de Bicêtre/I/VI/A

A.Manie.

Les lésions observées chez les 14 maniaques dont nous avons fait l’autopsie sont de plusieurs sortes. Nous avons vu les membranes du cerveau sèches, injectées, couvertes de taches purulentes, infiltrées de sérosité gélatiniforme, présentant à leur surface quelques lambeaux de fausses membranes. Nous avons trouvé de la sérosité sanguinolente dans la cavité de l’arachnoïde ; les ventricules remplis de sérosité trouble, leur membrane interne granulée ; le cerveau plus ou moins altéré, les circonvolutions turgescentes ; les substances corticale et médullaire, tantôt injectées, tantôt pâles et décolorées ; enfin, nous avons rencontré un foyer sanguin, un ramollissement étendu et des traces de la méningite la mieux confirmée.

Voilà certainement des altérations bien manifestes des organes encéphaliques ; et cette seule exposition suffirait, ce nous semble, pour faire voir qu’ils ont trop généralisé les auteurs qui ont avancé qu’on ne trouvait jamais de lésions dans la manie. Mais cet aperçu général ne peut faire juger de la valeur de chacune de ces altérations, et il est bon pour les apprécier convenablement d’entrer dans quelques particularités. Examinons d’abord le degré de fréquence.

Injection de la pie-mère, 6
Taches purulentes, 4
Sécheresse de l’arachnoïde, 2
Sérosité gélatiniforme sous-arachnoïdienne, 2
Circonvolutions turgescentes, 2
Injection de la substance corticale, 2
Injection de la substance médullaire, 2
Ramollissement, 2
Ventricules dilatés par de la sérosité limpide, 1
Granulations de leur membrane interne, 1
Sérosité trouble, 1
Sérosité purulente sous l’arachnoïde du cervelet, 1
Sérosité purulente à la base, 1
Méningite, 1
Absence de toute lésion, 1
Manie chronique.
Absence de toute lésion, 1
Pâleur de la substance grise, 1

L’état le plus constant a été l’injection de la pie-mère, qui s’est rencontrée dans presque la moitié des cas. Deux fois les membranes ont été trouvées desséchées, deux fois il existait une infiltration gélatiniforme, deux fois des taches purulentes. En somme, les lésions ont été plus communes dans les membranes que dans la substance cérébrale, qui n’a été profondément altérée que dans deux cas.

Nous avons vu deux autres cas où le cerveau et les membranes n’ont offert aucune modification appréciable dans leur coloration, leur texture et leur consistance, quelque soin que nous ayons mis à les rechercher. Parmi les altérations que nous avons rencontrées, aucune ne s’est présentée constamment, puisque la plus fréquente n’a point été vue dans la moitié des cas. Aucune n’est donc nécessairement liée au trouble cérébral de la manie, mais il ne s’ensuit point non plus qu’elles en soient indépendantes ; et nous nous garderons de nier la valeur qu’elles ont pu avoir, persuadés que des états anatomiques différents peuvent produire un effet identique et troubler de la même manière les fonctions de l’organe au milieu duquel ils se sont développés. Mais précisons davantage, et cherchons dans chacun de ces cas le rôle qu’il est convenable de leur assigner.

Parmi les 14 aliénés dont nous avons fait l’autopsie, 2 avaient une manie chronique qui durait depuis plus de 10 ans, et sont morts, l’un subitement par asphyxie, l’autre à la suite d’un dévoiement opiniâtre ; 10 étaient malades depuis peu de temps, c’étaient des manies aiguës avec agitation qui se sont terminées dans la période d’excitation ; les deux autres offraient une manie tranquille, l’un est mort à la suite d’un abcès du foie, l’autre s’est éteint graduellement par les progrès d’une entérite chronique.

Les deux cas de manie chronique ont été remarquables par l’absence de toute lésion, si ce n’est la décoloration de la substance grise observée chez l’un d’eux ; mais est-elle de quelque importance chez un individu mort dans le marasme et un état d’infiltration générale ? Tous deux étaient, avons-nous dit, aliénés depuis longtemps, et l’un d’entre eux, ancien sculpteur, était remarquable par son incohérence. Chez deux maniaques qui ont succombé à des maladies intercurrentes, nous avons trouvé des granulations de la membrane ventriculaire ; un état gélatineux sous-arachnoïdien chez l’un, chez l’autre un léger épaississement de l’arachnoïde et une infiltration séro-purulente au-dessous d’elle.

Dans ces deux cas, il nous est permis de rattacher ces lésions au trouble cérébral, et de regarder celui-ci comme symptomatique des modifications survenues dans l’organe matériel de la pensée. Chez l’un d’eux, qui offrait des hallucinations de plusieurs sens, nous n’avons rien trouvé dans les nerfs spéciaux, le nerf optique excepté, qui était atrophié et réduit à son névrilème. Mais le malade était aveugle depuis plusieurs années, et, chose curieuse, il n’avait point d’hallucinations de la vue. Ce fait vient à l’appui de ce que l’un de nous (M. Aubanel) a avancé dans sa thèse inaugurale (Thèses de Paris, 1839) sur l’indépendance des organes des sens dans la production de cette forme symptomatique de la folie. Il nous reste 40 cas de manie aiguë qui sont terminés rapidement. Deux d’entre eux doivent être distingués des autres à cause de l’altération profonde que l’encéphale a présentée : c’était un ramollissement très étendu chez l’un, un foyer hémorragique de récente formation chez l’autre. Les deux malades étaient hémiplégiques. Le délire avait été consécutif au travail phlegmasique survenu autour de ces lésions, et nous ne devons point les confondre avec les cas dont il nous reste à parler.

Ceux-là, au nombre de 8, ont présenté un délire maniaque des mieux caractérisés ; tous, à l’exception d’un seul, nous ont offert des altérations ; les principales résidaient dans les enveloppes du cerveau. Chez deux, un état de sécheresse bien prononcé ; chez deux autres, des taches purulentes et sérosité trouble dans les ventricules. Chez un, une méningite bien caractérisée. Deux fois turgescence des circonvolutions et injection des deux substances, mais jamais rien dans le cerveau, le cervelet et le mésocéphale. Ce sont toujours des lésions périphériques et superficielles que nous avons rencontrées.

Il nous reste un cas de manie aiguë, où le résultat nécroscopique a été entièrement négatif. C’était un maniaque remarquable par son agitation et le caractère ambitieux de son délire ; il se disait Charles XI ; et nous l’eussions regardé comme un cas de monomanie, s’il y avait eu dans son affection moins de cette excitation qui fait le caractère des manies aiguës voisines du délire de la méningite, à cause du mouvement fébrile qui les accompagne si souvent. Cet aliéné avait été dans ce cas pendant toute la durée de sa maladie.

Dans les faits que nous venons d’exposer, nous n’avons point trouvé toutes les altérations qui ont été signalées par les auteurs. M. Parchappe, qui a fait le travail le plus complet sur l’anatomie pathologique de l’aliénation mentale, a donné le tableau des lésions observées par lui.

Hyperémie générale du cerveau et de ses membranes (5), pie-mère (2),
7
Ecchymoses sous-arachnoïdiennes,
6
Épaississement et opacité de l’arachnoïde,
5
Dureté générale de l’encéphale (1), du cerveau (2) ou de la substance blanche (1),
4
Injection pointillée de la surface corticale cérébrale avec (2) ou sans (1) ramollissement,
3
Coloration rose de la couche corticale (1) et de son plan interne (1),
1
Épanchement séro-sanguinolent, purulent et sanguinolent de la cavité arachnoïdienne,
2
Infiltration séreuse de la pie-mère,
1
Ramollissement partiel de la couche corticale des lobes antérieurs,
1
Mollesse générale du cerveau,
1
Altérations nulles,
1

Cinq fois ce sont des altérations des membranes, six fois des altérations du cerveau, et ces dernières, à l’exception d’une seule, sont bornées à la substance corticale. Ce résultat, obtenu sur 9 malades, n’est point conforme au nôtre, puisque trois fois nous avons observé une absence complète de lésions et que celles des méninges l’ont emporté sur celles de la substance cérébrale. Enfin, nous trouvons indiquées dans ce tableau des lésions que nous n’avons point notées. Ce sont :

1oEcchymoses sous-arachnoïdiennes ;

2oDureté du cerveau ;

3oRamollissement de la substance corticale ;

4oColoration rose du plan interne de la couche corticale ;

5oMollesse générale.


Quoique nous n’ayons point rencontré ces altérations, nous sommes loin de vouloir nier l’importance qu’elles peuvent avoir.

En résumé : 1osi l’on trouve des cerveaux de maniaques parfaitement sains, il existe le plus souvent des altérations manifestes ;

2oCelles-ci s’observent plutôt dans les méninges et à la superficie du cerveau que dans sa profondeur ;

3oElles n’ont point de fixité ; quelquefois réunies sur un même individu, le plus souvent séparées ;

4oQuoique variées dans leur forme, elles se rapprochent de celles que nous sommes habitués à rapporter à un travail de nature phlegmasique.