Recherches statistiques sur l’aliénation mentale faites à l’hospice de Bicêtre/I/V/Sec 2/Art 3/D

D.Influence des saisons.

Les saisons, ou plutôt leur élément principal, la température, ont sur la mortalité une influence qu’il est impossible de nier. MM. Quetelet et Lombard, de Genève, ont constaté que le maximum des décès correspond à l’hiver, et le minimum à l’été ; d’où ils concluent que le froid augmente la mortalité et qu’une température élevée tend à la diminuer. Les résultats se font surtout sentir dans la première enfance, et à partir de 60 ans. À cet âge, suivant M. Lombard, la différence entre l’hiver et l’été est très considérable (107 au lieu de 54 en été). C’est, d’après M. Quetelet, à partir de 40 ans que les effets de l’hiver deviennent sensibles ; il meurt 2 à 3 vieillards pour un seul en été.

Voici le résultat des observations faites par M. Quetelet dans les Pays-Bas pendant 12 années :

MOIS Villes. Campagne. MOIS. Villes Campagne.
Janvier. 1,158 1,212 Juillet. 0,874 0,809
Février. 1,088 1,198 Août. 0,910 0,822
Mars. 1,050 1,192 Septembre. 0,971 0,888
Avril. 1,002 1,120 Octobre. 0,999 0,954
Mai. 0,946 0,978 Novembre. 1,024 0,935
Juin. 0,901 0,882 Décembre. 1,076 1,030

Le tableau suivant, sauf quelques différences que nous chercherons à expliquer, est d’accord avec la loi générale que nous venons d’établir.

MOIS. M. Esquirol. M. de Boutteville. M. Bouchet. M. Rech. M. Bertolini. M. Bonacossa.
Janvier. 38 12 2 12 7 46
Février. 53 19 3 3 7 50
Mars. 34 18 1 6 8 43
Avril. 35 14 » 2 2 54
Mai. 38 10 2 2 5 72
Juin. 19 13 2 2 2 36
Juillet. 29 8 6 4 2 50
Août. 29 10 » 6 5 32
Septembre. 24 16 » 3 6 36
Octobre. 46 10 4 2 6 31
Novembre. 30 13 1 10 4 34
Décembre. 31 15 4 6 3 41
Totaux. 406 158 25 58 57 525

Si l’on examine la mortalité de chaque mois séparément, on est frappé des différences qui s’observent dans chaque statistique. Le maximum est en février, pour MM. Esquirol et de Boutteville ; en janvier, pour M. Rech ; en mars, pour M. Bertolini ; en mai, pour M. Bonacossa ; en juillet, pour M. Bouchet ; tandis que le minimum se trouve, à Charenton, en juin ; en juillet, à Saint-Yon ; en juin, juillet, avril, à Turin (Bertolini) ; en avril, août, septembre, à Nantes ; à Montpellier, dans les mois d’avril, juin, octobre ; enfin, en octobre à Turin (Bonacossa). Les autres mois présentent aussi beaucoup de variétés sous le rapport du rang qu’ils occupent. La température doit nous rendre facilement compte de ces différences, les observations n’ayant point été faites dans les mêmes années et sous les mêmes climats.

Pour faire une comparaison plus utile, il faut réunir les mois en saisons ; ce que nous avons fait, en formant l’hiver avec le dernier mois de l’année et ceux de janvier et de février ; le printemps avec les mois qui suivent ; l’été avec ceux de juin, juillet et août ; et l’automne avec ceux de septembre, octobre et novembre.

SAISONS. M. Esquirol. M. de Boutteville. M. Bouchet. M. Rech. M. Bertolini. M. Bonacossa.
Hiver. 122 46 9 21 17 137
Printemps. 107 42 3 10 15 169
Été. 77 31 8 12 9 118
Automne. 100 39 5 15 16 101
Totaux. 406 158 25 58 57 525

Chez tous, à l’exception d’un seul, l’hiver est la saison qui offre le plus grand nombre de décès. Le printemps vient ensuite ; seulement, pour M. Bonacossa, ce serait la saison la plus meurtrière. L’été et l’automne occupent un rang plus variable, ce qui est dû à la cause déjà invoquée plus haut, l’époque des chaleurs se trouvant quelquefois au commencement de l’automne.

On sera étonné du chiffre considérable des décès dans le mois de juillet à l’hôpital de Nantes ; il se trouve expliqué par l’état désespéré de plusieurs aliénés admis dans ce mois, et qui sur un fort petit nombre de malades ont dû produire une différence considérable. Nous avons d’ailleurs changé l’ordre dans lequel les mois étaient placés, décembre étant compris dans l’automne, ce qui plaçait le maximum de la mortalité dans cette saison.

Nous allons donner successivement les tableaux des décès suivant les mois en 1839 et dans les années écoulées de 1831 à 1838. Nous verrons que, pour 1839, le maximum se trouve en mars, mois pendant lequel la température a été peu élevée et les changements atmosphériques assez brusques ; le minimum dans les mois de juillet et d’août.

Tableau de la mortalité en 1839.
INDICATION
des
MOIS.
Manie. Monomanie. Démence. Idiotisme. Épilepsie. Totaux.
Janvier. 3 » 11 3 1 18
Février. » 1 13 » 1 15
Mars. 1 » 18 » 1 20
Avril. 5 » 11 » 2 18
Mai. 5 1 8 » 2 16
Juin. » » 11 » » 11
Juillet. 1 » 5 » 1 7
Août. » » 5 » 2 7
Septembre. 2 » 13 » 1 16
Octobre. 1 » 13 1 » 15
Novembre. 2 » 7 » » 9
Décembre. 1 » 10 » 1 12
Totaux. 21 2 125 4 12 164
Tableau de la mortalité relativement aux mois de 1831 à 1838.
MOIS. 1831 1832 1833 1834 1835 1836 1837 1838 Totaux.
Janvier. 12 22 9 18 17 18 21 19 136
Février. 8 14 17 21 15 20 29 9 133
Mars. 12 4 14 13 18 12 24 22 119
Avril. 10 53 13 15 14 15 21 19 160
Mai. 15 48 10 11 10 20 16 10 140
Juin. 16 19 10 15 17 18 15 13 123
Juillet. 10 20 11 11 18 23 16 8 117
Août. 15 15 8 11 16 19 9 12 105
Septembre. 19 19 5 17 18 17 16 14 125
Octobre. 15 16 14 22 14 25 10 16 132
Novembre. 14 15 10 11 23 17 22 13 125
Décembre. 14 7 14 18 21 21 24 23 142
Totaux. 160 252 135 183 201 225 223 178 1557

Si nous réunissons les mois en saisons, voici l’ordre dans lequel elles se rangent :

En 1839,

Printemps, 54
Hiver, 45
Automne, 40
Été, 25
164

La moyenne des décès de 1,557 malades admis depuis 1831 à 1838 a donné le même résultat :

Printemps, 419
Hiver, 411
Automne, 382
Été, 345
1557

Si nous sommes en opposition avec quelques auteurs au sujet de la saison qui fournit le plus de décès, puisque pour nous le maximum est dans le printemps, nous trouvons que ces résultats sont parfaitement en harmonie avec la mortalité de la ville de Paris ; c’est, en effet, au printemps qu’il y meurt le plus grand nombre d’individus.

La mortalité du printemps paraît surtout due au chiffre élevé des décès pendant le mois de mars ; ce qui pourrait s’expliquer par les brusques variations de température qu’on observe dans ce mois, et par le froid qui y règne souvent.

Le minimum se trouve toujours pendant l’été. Nous sommes portés à conclure que la saison du printemps, et le mois de mars en particulier, favorisent la mortalité chez les aliénés ; que ce fait ne détruit point la loi que nous avons indiquée en commençant ce chapitre ; que les aliénés sont sous les mêmes influences que les autres individus, et que celles-ci se font sentir d’une manière plus funeste encore chez des malades affaiblis ou épuisés pour la plupart.