Recherches statistiques sur l’aliénation mentale faites à l’hospice de Bicêtre/I/V/Sec 2

DEUXIÈME SECTION.
GUÉRISONS SURVENUES PARMI LES MALADES ENTRÉS EN 1839.

Parmi les malades entrés en 1839, nous avons vu dans le tableau des mutations que 203 étaient sortis de l’hôpital. Il nous reste à déterminer le nombre de ceux qui étaient guéris et de ceux qui ne l’étaient point pour nous occuper spécialement des premiers.

Tableau des sorties.
VARIÉTÉS DE DÉLIRE. MALADES
guéris.
Non guéris. Totaux.
Maniaques. 88 10 98
Monomaniaques. 37 7 44
Mélancoliques. 9 2 11
Stupides. 3 » 3
Déments. » 28 28
Imbéciles. » 7 7
Épileptiques. » 12 12
Totaux. 137 66 203

Nous avons regardé comme non guéris tous les déments, les imbéciles et les épileptiques qui comptent parmi les sortants. Plusieurs d’entre eux cependant avaient éprouvé, à la suite d’un bon régime, une grande amélioration, et il leur avait été permis de reprendre leurs occupations ordinaires ; mais ce mieux n’ayant été probablement que momentané, et tout le monde s’accordant assez sur l’incurabilité de ces trois affections, nous avons cru devoir les retrancher pour être plus rigoureux dans nos calculs, et pour ne pas mériter le reproche d’avoir exagéré le chiffre des guérisons.

Ainsi, en retranchant du nombre des sortants tous les déments, les imbéciles et les épileptiques, et quelques maniaques ou monomaniaques sortis non guéris, notre chiffre de 208 se trouve réduit à 137, nombre des guérisons réelles survenues chez les 549 malades admis cette année. Ce qui nous donne la proportion de 1 malade guéri sur 4,008 malades entrés, proportion, comme on voit, peu favorable. Et si on la compare avec celle des médecins dont nous avons consulté les travaux (voy. p. 118), on aura droit d’en conclure que les guérisons sont moins communes qu’autrefois, et que Bicêtre en fournit moins que les autres hôpitaux. Mais, ainsi que nous l’avons fait pressentir plus haut, est-il possible de comparer ces résultats obtenus par des procédés si différents ? Plusieurs auteurs n’ont pas été assez rigoureux dans la détermination du chiffre des guérisons. Une cause puissante qui a dû le faire varier, c’est la proportion relative des divers genres d’aliénation que reçoit chaque hôpital ; en effet, toutes les formes n’ont pas le même degré de curabilité, et l’on sait à priori que là où la démence prédomine, on a un nombre de guérisons bien moindre que dans les maisons où l’on reçoit moins de déments. Nous nous trouvons à Bicêtre, sous ce rapport, dans des conditions extrêmement fâcheuses. Aucun hôpital ne reçoit un si grand nombre d’individus en démence, et ces malades, arrivant la plupart des hôpitaux de Paris, augmentent considérablement la mortalité et diminuent d’autant le nombre des guérisons. M. Desportes a trouvé qu’à Bicêtre, pour les années comprises entre 1825 et 1833, les guérisons étaient aux admissions comme 1 est à 3. Nous avons, nous aussi, obtenu un résultat semblable en procédant de la même manière ; et cette proportion si favorable l’a été davantage pour les dernières années sur lesquelles nous avons opéré ; mais, nous l’avons déjà dit, cette manière de procéder est extrêmement fautive, et c’est s’exposer à l’erreur que de se borner pour ce genre de travail aux indications que donnent les registres des hôpitaux.

Pour arriver à quelque chose de plus précis, nous avons cru devoir retrancher du nombre des admissions tous les fous qui étaient incurables au moment de leur entrée ; ainsi les déments, les imbéciles : notre chiffre, réduit alors aux malades qui offraient quelques chances de curabilité, et comparé aux guérisons survenues, nous a donné une proportion extrêmement avantageuse, 1 sur 2,02 ; c’est-à-dire que presque la moitié de ces aliénés ont été guéris. Ce résultat, qui est un des plus favorables qu’on puisse obtenir, le serait certainement davantage si l’on retranchait encore du nombre des admissions une vingtaine d’individus nouvellement reçus, et chez lesquels la nature ou le traitement n’ont apporté encore aucune modification.

Ceci posé, nous allons nous arrêter un instant sur les divers genres d’aliénation qui sont entrés dans le chiffre des guérisons.

La lypémanie nous en a donné une proportion assez forte relativement au petit nombre de malades qu’elle a fournis aux admissions ; 9 mélancoliques ont été guéris sur 21 qui étaient entrés, c’est-à-dire 1 sur 2,33. La moyenne de la durée de séjour a été de 83 jours.

Voici l’indication du temps qui a été nécessaire à leur guérison.

1 malade a été guéri dans le premier mois,
3 dans le second,
2 dans le troisième,
1 dans le quatrième,
1 dans le cinquième,
1 dans le sixième.
09

Les stupides nous ont donné 3 guérisons sur 10 admissions, c’est-à-dire 1 sur 3,33. Ils ont mis à guérir, l’un 50 jours, l’autre 85, et le troisième 4 mois. Parmi ceux qui restent, nous en avons deux qui sont presque guéris et qui ne tarderont pas à être rendus à la société.

Les maniaques ont donné une belle proportion de guérisons : nous en avons eu 88 sur 181, c’est-à-dire 1 sur 2,05. Nous avons mis au nombre des guéris trois maniaques qui n’étaient qu’améliorés, mais chez lesquels tout annonçait un prochain rétablissement. La durée du séjour a été très variable ; nous avons eu pour moyenne 67 jours ; c’est moins que pour les mélancoliques, c’est plus que pour les monomaniaques, ainsi que nous allons le voir dans un instant. Voici, par semaine et par mois, la durée du temps qu’ils ont passé à l’hôpital.

Seconde semaine, 6
Troisième semaine, 8
Premier mois, 10
Second mois, 30
Troisième mois, 10
Quatrième mois, 11
Cinquième mois, 6
Sixième mois, 2
Septième mois, 4
Onzième mois, 1
88

Il nous reste à parler des monomanies, parmi lesquelles nous comptons 37 guérisons, dont 33 ont été complètes et 4 incomplètes. Les entrées ayant été de 66, nous avons 1 malade guéri sur 1,78. Cette proportion est la plus favorable de toutes, et l’emporte notablement sur celle des maniaques. Il en est de même de la durée de séjour, qui a été de 56 jours.

Voici le temps qu’ils ont mis à guérir :

Troisième semaine, 1
Quatrième semaine, 6
Cinquième mois, 3
Sixième semaine, 8
Deuxième mois, 3
Troisième mois, 9
Quatrième mois, 3
Cinquième mois, 4
37

Nous ne dirons rien des déments et épileptiques qui sont sortis améliorés. Cependant nous ne pouvons taire un cas d’épilepsie périodique qui a été singulièrement amendé par l’administration de l’extrait de belladone. Le malade avait régulièrement un accès tous les 15 jours ; il en eut moins souvent à mesure qu’il fit usage de ce médicament, et il y avait 62 jours qu’il n’avait eu d’accès lorsque ses parents, ayant réclamé sa sortie, nous fûmes obligés de discontinuer le traitement.