Recherches statistiques sur l’aliénation mentale faites à l’hospice de Bicêtre/I/V/Sec 1

PREMIÈRE SECTION.

Voici pour les années comprises entre 1831 et 1838, et pour 1839, le nombre des malades guéris sur lequel nous avons à opérer. Nous mettons encore en regard celui des admissions annuelles, afin que l’on puisse voir le rapport des guérisons aux entrées.

Années. Guérisons. Admissions. Proportions.
1831 113 406 1 sur 3,59
1832 117 471 1 sur 4,01
1833 118 460 1 sur 3,88
1834 162 491 1 sur 2,90
1835 151 510 1 sur 3,37
1836 211 536 1 sur 2,53
1837 135 547 1 sur 3,96
1838 208 522 1 sur 2,52
1839 243 549 1 sur 2,25

Ce tableau nous donne pour chaque année un chiffre de guérisons toujours de plus en plus élevé. L’année 1839 l’emporte presque du double sur celle de 1831 ; la proportion qu’elle donne de 1 sur 2,25, comparativement aux admissions de l’année, est la plus favorable qu’on ait rencontrée. Voici un autre tableau qui va nous faire connaître la proportion des guérisons de plusieurs statistiques.

M. Vastel.
1 sur 7
Nantes.
1 sur 2,57
M. de Boutteville.
1 sur 4,03
M. Greco.
1 sur 2 1/2
M. Desportes.
1 sur 3,07
M. Ferrus.
1 sur 1,96
M. Esquirol.
1 sur 3
Statistique de Gand.
1 sur 1,61
M. Rech.
1 sur 2 1/2
M. Bottex.
1 sur 1,05

La proportion la plus défavorable est celle de M. Vastel, où les guérisons ne sont que d’un sur sept ; la plus avantageuse est celle de M. Bottex, qui en donne 1 sur 1,05 ; ensuite celle de Gand, et celle de M. Ferrus, qui trouve un aliéné guéri sur 1,96. Toutes les autres proportions varient de 1 sur 2 et 1 sur 4 environ. Plusieurs circonstances doivent être cause de la différence de ces résultats. Ainsi, les uns n’ont établi leur calcul que sur le nombre des malades qui, au moment de l’entrée, avaient des chances de guérison ; les autres n’ont point fait cette distinction, et ont opéré sur la masse totale des réceptions annuelles ; il en est enfin qui ont joint à celle-ci les malades restant des années précédentes, et chez lesquels tout espoir de réussite n’était pas perdu. Ignorant une foule d’autres causes qui ont pu faire varier les résultats, nous ne chercherons point, du tableau qui précède, à déduire les chances de curabilité qu’offrent ces divers établissements. Il faut être bien circonspect dans une critique de ce genre, et il vaut mieux s’en abstenir pour ne pas être injuste à l’égard de plusieurs des auteurs que nous avons consultés : nous ne pouvons croire, par exemple, que M. Vastel obtienne à Caen si peu de guérisons ; nul doute qu’il ait été plus rigoureux que les autres médecins dans le calcul auquel il se livrait.

Maintenant il ne serait pas sans intérêt de déterminer le temps pendant lequel les malades ont séjourné à l’hôpital. Nous aurions fait ce travail de chiffres si nous n’eussions été convaincus que ce genre de calcul ne mérite point, médicalement parlant, la confiance qu’on lui a accordée. En effet, pendant l’année 1839, nous avons eu dans un grand nombre de guérisons une durée de séjour qui n’a pas été au delà de deux ou trois mois. Mais à côté de ces aliénés se trouvent des individus qui sont restés dans la division pendant 4, 5, 6 ou 7 mois ; et enfin, il en existe plusieurs qui sont sortis comme guéris après 5, 10 et même 18 ans. Faire entrer ces derniers dans le calcul général, c’est abréger le temps de séjour pour quelques-uns aux dépens du plus grand nombre ; et suivant qu’on les comprendra dans le chiffre total ou qu’on les distinguera de ceux qui ne sont restés que quelques mois, on aura une moyenne plus ou moins élevée. Il faudrait aussi, dans une détermination de ce genre, séparer les diverses espèces de folie ; ne jamais placer à côté des maniaques, qui guérissent rapidement, les déments, qui ne sortent qu’améliorés, et les épileptiques, que leur maladie condamne à passer toute leur vie à l’hôpital, et qui comptent, s’ils viennent à sortir, une ou plusieurs années de séjour. Toutes ces distinctions n’ont pas été faites par M. Desportes ; et quelle que soit l’habileté qu’il ait mise dans la confection de son travail, nous ne pouvons prendre la moyenne de séjour qu’il a donnée comme exprimant la durée réelle qui est nécessaire à la guérison de la folie. Nous en dirons autant de toutes les statistiques où les calculs ont été établis sans distinction de maladie, et où l’on a confondu les guérisons des aliénés entrés récemment avec celles qui ne sont arrivées qu’après plusieurs années. Ainsi, cette moyenne est difficile à trouver. Le grand Pinel a dit, qu’il est très ordinaire de voir la folie se prolonger pendant tout le cours de la vie ; mais la prudence, dit-il, permet-elle de prononcer sur son incurabilité absolue ? Nous sommes de cet avis. M. Leuret, dans ces derniers temps, nous a fait voir par les succès qu’il a obtenus qu’il ne faut pas toujours désespérer, quelle que soit la durée de la maladie. Certainement les fous qu’il a guéris étaient bien en dehors de toutes les prévisions que les moyennes auraient pu indiquer.