Révolutions de la quinzaine - 14 février 1832


RÉVOLUTIONS
DE
LA QUINZAINE.


14 février 1832.

Les mois d’hiver, bon gré mal gré, sont des époques d’oisiveté et de plaisir. On a beau s’arranger pour l’émeute, s’arranger pour la conspiration, tout cela devient je ne sais comment un tumulte qui n’est pas l’émeute, une échauffourée qui n’est pas une conjuration. La frivolité de la saison l’emporte sur les choses les plus sérieuses. Les bals de la cour nuisent aux réquisitoires du procureur du roi ; les concerts font manquer son effet à la détonnation du pistolet républicain ; Louis xi ou Teresa ont ôté beaucoup de leur importance à la première communion de Henri v. Frivole et futile et aimable nation ! elle accepte tout avec joie et transport : le bruit, le sang, les fêtes, les discours de la tribune, les compositions des poètes, le tapage des journaux, les regrets du passé, la tristesse du présent, les menaces de l’avenir, toutes choses qui l’amusent. Aujourd’hui elle danse, hier elle menaçait ; laissez venir les premières feuilles du printemps, elle ira se battre. Vous voyez bien que ce n’est pas un titre trop exagéré pour notre revue que ce titre : Révolutions.

Donc je disais que la conjuration est mal venue, elle a mal pris son temps, non-seulement pour réussir, mais encore pour être de quelque importance et de quelque effet. La conjuration s’était d’abord huchée sur les tours de Notre-Dame, elle avait posé son pied léger sur les cloches muettes ; mais soit que la cloche fût infidèle, soit que la conjuration eût le pied trop lourd, l’une ou l’autre avait tinté avant l’heure. La police était venue ; elle avait saisi des conjurés et des pains de quatre livres, un drapeau blanc et un bonnet rouge ; que voulez-vous ? On donne ce qu’on a quand on est émeute, on prend ce qu’on peut quand on est police. Tirée ainsi de ses hauteurs, la conjuration avait été coucher à la salle Saint-Martin. On en avait beaucoup plus parlé à Londres qu’à Paris, et avant même qu’on en parlât à Paris. Depuis un mois, les prévenus avaient eu le temps de manger leur pain sec, le bonnet rouge avait eu le temps de se déteindre ; on ne pensait plus à la conspiration, même au parquet, mais la malencontreuse conspiration ne devait pas s’arrêter là.

Tout-à-coup, un jour de bal à la cour !… Le bal était triomphant. On avait composé, tant bien que mal pour cette fête, une espèce d’aristocratie ; chose difficile ! car le faubourg Saint-Germain boude toujours. Disons un mot du faubourg Saint-Germain.

Le faubourg Saint-Germain, c’est le vieux monde avant 89 ; ce sont les vieux noms, les vieilles fortunes, les vieux préjugés. Grands noms, et qui sont restés sonores en dépit de tous les efforts. Ces noms-là et ces personnages inscrits dans Philippe de Comines et dans la Henriade, c’est une de ces vaines parures pour lesquelles les rois du peuple, quels qu’ils soient, ont toujours une secrète faiblesse. Quoi qu’on dise, ce monde à part d’aristocrates rehausse merveilleusement ces quatre morceaux de bois et ces deux aunes de velours qu’on appelle un trône. Bonaparte, qui a fait tant de noblesse, aimait beaucoup la vieille noblesse, et il eut peine à en venir à bout même par ses fêtes. L’empire se divisa en deux salons, en deux mondes bien distincts : les nés et les parvenus, les grands seigneurs de droit et les grands seigneurs de fait ; deux choses qui ne se sont pas mêlées encore ; deux mondes qui sont loin de se confondre l’un dans l’autre. La division existe encore plus aujourd’hui qu’elle n’existait sous l’empire. Les nobles qui avaient cédé à l’empereur se sont redressés pour Louis-Philippe. Le faubourg Saint-Germain tout entier est fermé à toutes les agaceries des nouvelles Tuileries. Les Tuileries s’en passent, il est vrai, attendant un temps plus doux. La finance et la robe, souveraines maîtresses de ce monde, se pavanent dans cette galerie de Diane, hantée naguère par l’église et la noblesse ; les triomphateurs du jour dansent à la lueur des flambeaux allumés pour les vaincus de la veille ; ils s’asseient à la table servie pour le vieux monde d’autrefois ; le repas des funérailles à peine refroidi, ils le mangent. Insensés ! comme si l’ombre de Banco ne pouvait pas reprendre sa place ! Or ici, l’ombre de Banco, c’est tout simplement le faubourg Saint-Germain. On le laisse bouder, il est vrai ; mais qu’il se ravise, toutes les portes lui seront ouvertes, à lui, le vrai monde des salons, des fêtes, des bals de la cour, des conversations oiseuses ; à lui, le vrai monde des plaisirs et des honneurs qui n’en sont pas. Que voulez-vous que nous allions faire à la cour, nous autres occupés de la tribune, du barreau, de la garde nationale ou du journal ? À son premier geste, de bonne volonté, nous rendrons au faubourg Saint-Germain toutes ces futilités qui sont faites pour lui, pour lesquelles il est si bien fait.

Je disais donc qu’on dansait aux Tuileries aussi aristocratiquement que possible. Le plaisir était partout. Toute la ville bourgeoise était là ; il y avait même un garçon restaurateur attiré par la fête, philosophe sceptique, qui avait voulu voir par lui-même la quantité de contredanses que contenait le palais des rois. Tout-à-coup un bruit circule dans le bal. On parle de la conspiration qui doit éclater à minuit, l’heure des fantômes ! On dit tous les détails de cette conspiration, on en nomme les héros, on montre même du doigt la porte par laquelle ils viendront. C’est ainsi sans doute qu’on montrait la muraille teinte de caractères formidables au dernier festin de Balthasar.

Vous parlez de visions fantastiques ! Oh ! cela en effet eût été une chose fantastique, de voir tout-à-coup s’ouvrir à deux battans cette grande porte du salon de Diane. Comme la musique eût retenu son dernier son perdu dans l’air ! comme la danse animée fût devenue pâle ! comme elle eût jeté sa couronne ! Comme la conspiration eût paru grande dans l’ombre, à ce monde doré en robes de gaze et en épées de soie ! C’eût été beau et grand de voir les doctrinaires se tirer de ce danger ! C’eût été beau et intéressant de savoir comment l’aristocratie bourgeoise aurait supporté ces glaives nus, et si elle aurait eu le cœur de l’autre aristocratie en 93 et des jeunes duchesses de 93. Notez bien que nous ne sommes pas conspirateurs. Nous jugeons tout ceci sous le côté artiste et bien qu’il y ait eu ce soir-là conspiration, nous ne croyons pas aux conspirations.

Vous savez comment cela s’est passé : chez un restaurateur, rue des Prouvaires, à minuit. Les conjurés mangeaient, ils préparaient leurs armes et cachaient leur or. Tout-à-coup la police frappe à la porte un de ces coups qui retentissent si fort dans l’âme quand on lit l’histoire de Venise. La police entre et se précipite. Elle saisit les armes, les conjurés, l’or et l’argent ; elle saisit jusqu’à un paquet de charpie préparée en cas d’accident. Il faut avouer que les conjurations modernes sont prévoyantes. La conjuration du restaurateur se munit de charpie, celle des tours de Notre-Dame fait une provision de pain sec ! Sans doute l’une et l’autre voulaient par là compenser ce qui leur manquait du côté de la discrétion, du nombre et des moyens. Pauvres gens ! heureusement qu’ils n’ont pas réussi. S’ils avaient pris Paris la nuit de ce bal, qu’en auraient-ils fait le lendemain matin ?

Conspirer aujourd’hui, c’est être fou ; ce fut une folie de conspirer dans tous les temps. Voyez dans l’histoire romaine à quoi aboutissent les conspirations les mieux conduites ! Il n’y a pas trois conspirations dans le monde qui aient réussi. Notez bien que je n’appelle pas conspirer se révolter contre l’étranger qui nous domine, contre le tyran qui s’est mis lui-même hors la loi. La mort du ministre Vasconcellos en Portugal n’est pas une conspiration, non plus que la mort des Français en Sicile. Ce qui a fait la beauté et la force des trois journées de juillet, c’est que personne n’avait conspiré. De nos jours avec la tribune, avec la liberté de la presse, une conspiration est chose presque aussi absurde qu’un poème épique. À quoi bon une conspiration, si vous vous battez pour un principe ? (et quelle chose, quelle personne vaut la peine qu’on se batte, si ce n’est un principe ?) Écrivez ou parlez ; si vous et le principe que vous défendez, vous êtes forts, vous êtes sûrs de triompher tôt ou tard. M. La Fayette a été le maître de Paris. M. Odilon-Barrot sera peut-être ministre. Voilà ce qui fait la force d’une constitution. Mais aussi la constitution, quand elle est forte et puissante, se met rarement en colère ; elle se contente de rafraîchir le sang aux conspirateurs par quelques jours de diète et de prison, puis quand ils sont assez punis, elle leur rend leurs chapeaux cirés et leurs gilets à la Robespierre, et elle les renvoie à leurs mamans, tout en leur recommandant d’être plus sages à l’avenir.

C’est assez parler conspirations, c’est assez parler bals et musique. Après le bal du roi, un Anglais s’est avisé de donner un bal aux partisans d’Holy-Rood. Cette fois la contre-danse a arboré la cocarde légitimiste, la chaîne-anglaise a arboré le drapeau blanc, la queue-du-chat a été henriquinquiste, les dames ont porté la livrée vert et blanc ; à la porte on distribuait un petit livret aux anciennes armes royales ; je ne jurerais pas que le souper n’ait eu aussi quelque bonne odeur de laurier ou de thym cueilli à Édimbourg. Quoi qu’il en soit, la fête a été complète. Les maîtres ont fait de l’opposition au-dedans. Les laquais ont soupé au-dehors. Le lendemain, on murmurait à Paris contre cette fête comme d’une inconvenance. Nous ne voyons pas ce qu’il y avait d’inconvenant à cela. Laissons la vie privée dans ses quatre murs ; laissons danser chacun comme il l’entend ; ne défendons pas le ruban vert, excepté aux brunes qu’il brunit davantage ; soyons bons enfans pour tout le monde, même pour les conspirateurs.

Ainsi a fait la chambre des députés. Le budget a été bien plus facile à voter que la liste civile. Seulement, quand on en est venu aux pensions, il y a eu quelques clameurs. L’opposition voulait supprimer les pensions de la Vendée, la majorité les défendait, s’appuyant sur un principe d’ordre public. On a dit à ce sujet que la sœur de Robespierre touchait une pension sous la restauration et sous l’empire. On a dit aussi que la nourrice de celui qui fut roi de Rome en naissant, touchait une pension de Louis xviii ; on a eu raison de citer la nourrice du fils de l’empereur, on a eu grand tort de citer la sœur de Robespierre. Il est des noms qu’il ne faut jamais prononcer dans les affaires d’un royaume ; noms infâmes et tachés de sang, qui font tressaillir des générations entières dans leurs tombeaux ! À ces porteurs de pareils noms, on ne donne jamais de pensions nationales, on leur jette une aumône mensuelle, pour qu’ils ne souillent pas la main du passant, en mendiant dans les rues. Après bien des débats, les pensions ont été conservées ; en revanche on a diminué le traitement de plusieurs fonctionnaires publics. Ceci s’appelle se venger sur le chien du lépreux.

Au-dehors toutes choses sont à-peu-près dans la même position. Nous attendons encore l’adhésion des puissances qui devait arriver le 30. L’Italie encore une fois est en présence de l’Autriche et de la France, toujours prête à défaire ce qu’aura fait l’Autriche : à cette seule condition, l’Italie gardera sa nationalité. Encore une fois ces nouvelles étrangères resteront dans cette espèce de statu quo jusqu’au dernier dégel. Redeunt certamina campis. Variation des vers d’Horace.

Tout ceci entrecoupé comme à l’ordinaire de drames, bariolé de romans et d’histoires, indécemment saupoudré de vaudevilles. Quelle plus grande révolution dramatique voulez-vous que celle-ci ? Une tragédie de M. Casimir Delavigne tombée, sifflée, mauvaise ! Voilà ce que c’est que de s’y prendre onze ans à l’avance pour faire un chef-d’œuvre ! L’enfant a de la barbe, les ongles longs, et sent le bouc quand on le met dans le monde. Les habitués du salon, voyant l’enfant pour la première fois, demandent à leur voisin : — Quel est ce vilain vieillard ?

La plus grande révolution de la quinzaine, la savez-vous ? Ce n’est pas la suppression du dimanche, proposition que la chambre a prise en grande considération, qui fera grand plaisir à quelques juifs, qui affligera beaucoup de chrétiens, et qui ne profitera à personne, pas même à celui qui l’a faite. La plus grande-révolution, la voici : il est à-peu-près décidé que nous aurons un panthéon.

Oui, un panthéon à grands hommes ! Un garde-meuble pour la gloire, orné de tiroirs à étiquettes et à compartimens ! Cela se décidera à l’unanimité comme pour un académicien. On sera grand homme à vingt boules blanches, faute d’un point on sera citoyen vulgaire. D’abord on devait transporter au Panthéon les dépouilles du mort ; mais on a réfléchi qu’après plusieurs années d’inhumation, l’exhumation serait difficile, surtout dans les années de choléra-morbus. D’abord on ne devait être panthéonisé qu’au bout de dix ans ; mais comme la nation veut jouir tout de suite de sa gloire, on a décidé que le panthéon serait valable après cinq ans de trépas. On dit que cette nouvelle résolution de la chambre a causé une grande joie à M. Viennet. En effet c’est cinq ans de gagnés à M. Viennet pour son immortalité. Aux grands hommes la patrie reconnaissante !

On sourit de pitié à ces inutiles efforts d’une époque sceptique et insouciante pour toutes choses, pour la gloire plus que pour tout le reste. Quelle rage subite d’immortalité ! Et cette immortalité qui va se nicher dans un temple désert, aboli, vide en tout temps, bouleversé dans tous les sens par le fanatisme politique et par le fanatisme religieux, deux monstres également hideux ; un temple où s’étala Marat !

Voulez-vous à présent une bien petite révolution ? Il y a un quarante de moins à l’institut.

On parle pour le représenter de M. Dupin ou de M. Guizot, autre bien petite révolution !

Revue des Deux Mondes.