Réception de M. Robert de Flers à l’Académie Française

RECEPTION
DE M. ROBERT DE FLERS
A L’ACADÉMIE FRANÇAISE

Il y avait le 16 juin à l’Académie, trois présidents de la République, quatre maréchaux, des duchesses, des comédiennes, le monde, les écrivains. Ils entendirent deux discours faits à la perfection, pétris de courtoi-sie et relevés de satire, mêlés de finesses et de grandes pensées, très bien dits, et dont les mots heureux soulevaient un brouhaha de plaisir. Les auditeurs se déridaient d’autant mieux qu’ils avaient coutume d’être plus graves. Où les comédiens se contentaient de sourire, les maréchaux riaient pour tout de bon, et les économistes débridés se convulsaient, atteints dans la fraîcheur de leur âme par ces traits et ces flèches. M. de Flers a dit que l’érudition ne riait pas tous les siècles : après la séance d’hier, elle en a pour cent ans.

Et il y a encore le mystérieux public des tribunes, ce triple parterre incliné de specta-teurs entassés dans une ombre où leur foule s’enfonce ; et il y a aussi ceux des niches, et ceux qui, plafonnants et accoudés à une balustrade, font, au-dessus du bureau, un motif de tableau vénitien. C’est là, bien plus que parmi les spectateurs trop notoires du centre, que se forment les mouvements et que se décide le succès. Il s’établit dans ce public et dans les discours même, des traditions : l’hommage aux maréchaux, l’hommage à M. Poincaré, le souvenir de la Marne, l’éloge de la France. Des tempêtes de bravos font réponse à ces allusions sacrées. La solennité du lieu, la qualité des esprits, le choix des spectateurs, le sentiment de la durée, donnent à ces rites nouveaux quelque chose d’assez fort. Nulle part plus qu’ici les morts ne sont mêlés aux vivants. Leurs ombres familières sont présentes à nos yeux. Les mathématiciens parlent d’un continu à quatre dimensions, dont l’une serait le temps. C’est la définition même de cet espace illustre qui est compris sous la coupole.

Mais une autre tradition veut que ce fort enchaînement entre toutes les gloires du pays, se fasse au milieu des fleurs ; que le ton accoutumé soit la bonne grâce ; et qu’il y ait enfin entre les grands sentiments toutes sortes de petits divertissements, qui ne se donnent que là, et qui sont, eux aussi, très anciennement français : des portraits, des maximes, des réflexions. Le public en est aussi friand que pouvaient l’être les hôtes de Mme de Rambouillet. Une idée générale qui passe à portée est guettée, saisie, épinglée, et elle fait l’ornement d’une page. Un académicien qui compose un discours, c’est un homme mûr qui va à la chasse aux papillons.

M. de Flers, qui a couru sans sourciller de plus graves dangers, était visiblement ému et un peu pâle. Il commença son discours par une plaisanterie ingénieuse, sur la confusion dont il convient qu’un récipiendaire soit couvert : « Depuis 1634, dit-il, il n’a jamais existé un placement d’humilité plus recherché, ni plus avantageux. » On a ri ; c’était à la cinquième ligne de son discours ; le public était conquis. Cette émotion dissimulée, cette raillerie aimable et désabusée, cet art de plaire aussitôt, cet applaudissement immédiat et universel, n’est-ce pas, dans le raccourci d’une minute, le symbole même du théâtre de Robert de Flers ?

Là-dessus, il a commencé le plus joli discours du monde. Il a d’abord appelé son ami Gaston Arman de Caillavet, d’un geste fraternel, dans l’hémicycle sacré ; et cette évocation a été faite en termes émus, touchants et justes. M. Doumic parlera aussi de ce charmant esprit ; il en montrera la verve comique ; qui sait ce que cette verve cachait de mélancolie, et de quels sentiments profonds et tendres cette gaîté était la pudeur ?

On attendait une allusion à l’Habit vert. M. de Flers en fit son exorde. Il rappela comment, avec Samuel et un décorateur, il avait pénétré sous la coupole pour prendre le plan de la tribune et les mesures de Fénelon et de Bossuet. De cette aventure de trois conspirateurs dans l’ombre, il fit une scène à la Sardou, et toute dramatique. Puis il rappela l’ambition des figurants, qui intriguaient pour porter l’habit vert. Mais il n’osa pas citer un trait qu’il m’a conté jadis et qu’on peut redire. Un vieux figurant avait souhaité comme les autres la broderie aux feuilles d’olivier. M. de Flers lui expliqua que seuls les membres du bureau seraient en uniforme. Le figurant partit désespéré et revint radieux. « Monsieur, dit-il à l’auteur, j’ai trouvé le moyen de faire reconnaître que je suis de l’Institut. » — « Qu’avez-vous trouvé ? » demanda M. de Flers épouvanté. — « Monsieur, dit le figurant, je me mettrai du coton dans les oreilles. »

Après avoir fait amende pour l’Habit vert d’autant plus spirituellement qu’il niait qu’il la fit, M. de Flers en vint, selon l’usage, à l’éloge de son prédécesseur qui était le marquis de Ségur. Il y a, pour les récipiendaires, une grande inégalité entre les morts. Il en est qu’on a toutes les peines du monde à faire revivre, et qui ont pour ainsi dire une ombre grise. Mais il en est d’autres qui ne demandent qu’à reparaître. Au premier signe, ils sont là, comme au jour de leur propre élection. L’homme aimable, l’historien distingué qui fut celui de Mlle de Lespinasse, ne pouvait manquer de reprendre avec plaisir sa place à l’Académie à la voix de M. de Flers. Il avait toutes les raisons du monde de se rendre à son appel avec bienveillance. En effet, Robert de Flers est le petit-neveu de ce M. de Guibert, qui fut la grande passion de Mlle de Lespinasse. M. de Ségur n’a rien à lui refuser ; aussi l’a-t-il très heureusement inspiré.

Un auteur dramatique, toujours contraint d’emprunter le langage des autres, a, le jour de sa réception, une occasion presque unique de parler en son nom, et nous sommes tout étonnés d’entendre sa voix naturelle. M. de Flers, cessant d’être le docile interprète de Youyou et de Miquette, a mis une coquetterie, qui ne lui est pas moins naturelle, à écrire un autre français que ces aimables personnes ; et son discours a des grâces. Mais l’auteur dramatique se connaît toujours : son état est de composer des scènes ; la prosopopée, qui épouvante les professeurs de rhétorique, est de toutes les images celle qui lui est la plus familière ; l’évocation n’est pas pour lui de la magie, mais du métier courant, et un simple office de régisseur. M. de Flers a donc rempli son discours d’incantations : il a ainsi appelé en scène M. de Ségur : « Voici son geste simple, ... voici son visage,... voici ses yeux bleus. » Il a ensuite amené sur le plateau les Portraits d’ancêtres. Et les Portraits d’ancêtres sont venus docilement dire leur couplet. Il a confié la scène suivante à Mme de Ségur, avec cette indication : « Elle porte un chapeau cabriolet en taffetas lilas orné de roses pompon, une robe de popeline violette et un talma de soie noire. » Et il a terminé le premier acte, après une entrevue entre Bonaparte et le maréchal de Ségur, par le défilé des victoires de Fiance.

Le deuxième acte a commencé par une jolie scène entre Mme Geoffrin et M. de Ségur, s’est poursuivi par un dialogue entre Victor Cousin et le duc de la Rochefoucauld, et s’est achevé par un défilé final de tous les personnages sous l’Arc de Triomphe, le 14 juillet 1919. Pendant ce défilé, Mlle de Lespinasse fait un choix de cœur entre les maréchaux. C’est une jolie idée de revue, et le discours même est une revue, pleine d’esprit, de sentiment et parfois de grandeur d’âme, et parfaitement composée pour le public qui l’a acclamée. Cette fois encore, la « première » de M. de Flers a été un triomphe.

Après la pièce, la critique. Le hasard, qui est un dieu prévoyant, avait voulu que le soin de répondre à un auteur dramatique fût confié à un critique, qui est le directeur même de cette Revue. Mais, par un échange agréable, tandis que M. de Flers avait lu, immobile, sans un geste, et en mettant tout son art dans l’inflexion de sa voix sonore, M. Doumic a mis en scène son discours. Sa main gauche, qui tenait près des yeux un tout petit papier plié, jouait le rôle de souffleur ; mais sa main droite, libre, déroulait subtilement dans l’air la mimique de la scène ; sa voix variée l’établissait pour ainsi dire dans ses plans, et en nuançait la courtoisie acérée.

Un vif et pittoresque tableau de la salle de rédaction du Figaro, il y a vingt ans ; puis un autre tableau, charmant et touchant, de la collaboration de Robert de Flers avec Gaston de Caillavet ; une définition exacte et fine de leur art ; une analyse des Sentiers de la vertu, et, au bout de cette route, une vue d’ensemble sur les caractères de ce théâtre.

L’énumération de ces caractères est plaisante, et M. Doumic l’a faite avec une sympathie amusée et un peu scandalisée : entre mille combinaisons d’événements, la plus folle se réalise ; rien n’a d’importance ; le mari est bête, mais l’amant est sot, et l’homme le plus nul est toujours le plus aimé ; il y a un bon côté aux catastrophes, et c’est peut-être pour le bien de Valentin qu’Hélène s’est fait enlever vingt minutes avant d’être sa femme. Et que de traits, où l’apparente naïveté est une observation profonde : « Moi, dit un personnage, je ne peux réfléchir aux choses qu’après les avoir faites. Avant, on ne peut pas se rendre compte... » Quelques phrases de cette sorte ont amené les noms de Rivarol et de Chamfort. Puis M. Doumic a montré comment, dans ce peuple menu et fantasque, on retrouvait des personnages d’une autre espèce, « des types de chez nous, tels que nous avons coutume de les voir et de les aimer près de nous. » Il a cité Primerose et la charmante aïeule, si bonne et si fine, de race si vraiment française, avec son esprit pénétrant, son indulgence, son dévouement tendre, sa vie modeste, et le tour vif de ses propos : Mme de Trévillac. M. Doumic est venu à la trilogie des pièces satiriques, le Roi, le Bois sacré, l’Habit vert, et il s’est diverti à montrer, non sans malice, combien cette satire était de tradition, presque vénérable par son archaïsme et, en somme, inoffensive. Un satirique, ainsi l’a voulu le ciel, est toujours un conservateur. Toute cette partie essentielle du discours restera comme une page de critique pénétrante et complète.

Nous voici arrivés aux temps de la guerre. M. Doumic a donné un dernier regard à ce théâtre léger, fait pour les temps légers d’autrefois. Puis, après avoir montré en beaux termes la conduite de M. de Flers aux armées roumaines, après avoir rappelé ce raid hardi par-dessus les armées ennemies et toute la Roumanie, de Jassy en Macédoine, il a conclu qu’il nous fallait maintenant un théâtre adapté au sérieux des temps nouveaux. Il a rappelé le devoir de l’écrivain envers son pays, et comment il doit en soutenir au loin la renommée. Beaucoup d’auteurs qui n’étaient pas dans la salle, pourraient prendre cette semonce à leur compte. « Nous ne sommes pas seuls dans le monde, » a dit M. Doumic. Qu’il ait terriblement raison, il m’a été donné trop souvent de le constater en voyageant chez d’autres peuples, et de souffrir de l’image que des livres français donnaient de la France. C’est l’avis universel, et M. Marcel Prévost l’a rappelé, lui aussi, dans un discours académique. Et c’est enfin ce que M. de Flers lui-même venait de dire dans une phrase magnifique : « Peut-être nous-mêmes, ne savons-nous pas assez qu’être Français, ce n’est pas seulement une nationalité, mais une dignité, et qu’il ne tiendrait qu’à nous que nous fussions un peuple de vingt millions d’ambassadeurs, auxquels dix siècles de sacrifice et d’honneur, ont donné, dans le monde entier, leurs lettres de créance. » — Ainsi tout le monde pense de même, et c’est très bien ainsi.

HENRY BIDOU.