Râmâyana (trad. Roussel)/Bâlakânda/XX

Traduction par Alfred Roussel.
(1p. 62-64).

SARGA XX


REFUS DE DAÇARATHA


1. Le tigre des rois, ayant ouï le langage de Viçvâmitra, eut plusieurs pamoisons. Après avoir repris ses sens, il dit :

2. Râma aux yeux de lotus n’a que quinze ans ; je ne crois pas qu’il puisse se mesurer avec des Râkshasas.

3. L’armée complète dont je suis le chef et le maître, j’irai avec elle combattre ces rôdeurs de nuit.

4. Mes braves, mes vaillants serviteurs que voilà, rompus au métier des armes, sont de taille à lutter contre les troupes de Râkshasas ; mais n’emmène point Râma.

5. Moi leur chef, un arc à la main, j’irai au front de la bataille et tant que j’aurai le souffle, je combattrai les coureurs nocturnes.

6. (Tu pourras) accomplir tes pieux devoirs sans obstacle, sous (ma) sauvegarde. Je me rendrai sur le lieu (du sacrifice), mais n’emmène pas Râma.

7. C’est un enfant, il est sans expérience ; il ignore ce qu’il peut ou ce qu’il ne peut pas ; il est (encore) inapte au maniement des armes et ne connaît point l’art de la guerre.

8. Il ne saurait se mesurer avec les Râkshasas qui sont de rusés guerriers. Séparé de Râma, je ne pourrais vivre un instant.

9. Ô tigre des ascètes ; n’emmène point Râma. Toutefois, si tu t’obstines à vouloir emmener ce descendant de Raghu, ô Brahmane fidèle à tes vœux,

10. Je l’accompagnerai à la tête (d’une armée composée) de ses quatre éléments. À l’âge de soixante mille ans, ô Kauçika,

11. J’ai obtenu avec peine cet (enfant) ; n’emmène pas Râma ; de mes quatre fils (celui qui fait) ma suprême joie,

12. C’est l’aîné, dont la vertu est éminente. Oh ! n’emmène pas Râma. Quelle est la puissance de ces Râkshasas ? Quel est leur père ? Qui sont-ils ?

13. Quelles sont leurs ressources ? Quels sont leurs chefs, ô taureau des Munis ? Et comment Râma pourrait-il entreprendre (quelque chose) contre ces Râkshasas ?

14. Mes troupes, ô Brahmane, moi-même (que pourrons-nous) contre ces perfides ennemis ? Enseigne-moi tout (cela), ô Bienheureux, comment dans le combat,

15. Je pourrai résister à ces êtres méchants ; car les Râkshasas sont d’une force redoutable. À ce discours Viçvâmitra répondit :

16. Il est un Râkshasa, du nom de Râvana, descendant de la race de Pulastya. Grâce à une faveur de Brahmâ, il tourmente cruellement les trois mondes.

17. Vigoureux, énergique, entouré de nombreux Râkshasas, ô grand roi : tel est, dit-on, Râvana, le chef des Râkshasas.

18. Or, le frère de Vaiçravana, le puissant fils de l’ascète Viçravas, lorsqu’il n’apporte point personnellement d’obstacles au sacrifice,

19. Envoie deux Râkshasas doués d’une grande force, Mârîca et Subâhu, pour l’empêcher.

20. À ces mots de l’ascète, le roi répliqua : Je ne saurais, dans le combat, résister à ce pervers.

21. Ô vertueux (ascète), fais-moi grâce au sujet de mon cher enfant, je suis peu favorisé du bonheur, et tu es ma divinité, mon Gourou.

22. Devas, Dânavas, Gandharvas, Yakshâs, Patagas, Pannagas, sont incapables de lutter contre Râvana, à plus forte raison les hommes.

23. Dans le combat, Râvana dépouille les vaillants de leur vaillance. Je ne saurais lui résister, non plus qu’à ses troupes,

24. Fussé-je, ô excellent Muni, accompagné de mes soldats et de mes fils. Comment donc ce bien-aimé (Râma), qui ressemble à un dieu, mais qui ne connaît point la science des combats,

25. Cet enfant, mon fils, ô Brahmane, comment pourrais-je te le livrer ? Et puis ils sont pareils à Kâla, sur le champ de bataille, les deux fils de Sunda et d’Upasunda ;

26. Ce sont eux qui font obstacle à ton sacrifice. Non, je ne te donnerai point mon bien-aimé. Mârîca, Subâhu sont pleins de force et d’expérience.

27. Chacun d’eux à part, j’irai le combattre, escorté de mes nombreux amis ; mais si cela ne se peut, je te supplie avec mes parents de recevoir mes excuses.

28. À ce discours du monarque, une violente colère s’empara de l’Indra des ascètes, du fils de Kuçika. Tel qu’Agni, comblé d’honneurs, dans le sacrifice, et arrosé de beurre clarifié, ainsi étincelait le taureau des grands Rĭshis.


Tel est, dans le vénérable Râmâyana,

Le premier des poèmes, œuvre de Vâlmîki, le Rĭshi,

Le vingtième Sarga du Bâlakânda.