Râja-yoga ou Conquête de la nature intérieure
Traduction par S. W..
Publications théosophiques (p. 115-125).


CHAPITRE VIII

RÉSUMÉ DE RÂJA YOGA


Ceci est un résumé de Râja Yoga librement traduit du Kurma Purâna.

Le feu de Yoga brûle la cage de péché qui entoure l’homme. Le savoir est purifié et le Nirvanâ est aussitôt atteint. Le savoir découle du Yoga et le savoir vient, de son côté, en aide au Yogî. Le Seigneur est content de celui qui est à la fois un mélange de Yoga et de Savoir. Ceux qui pratiquent Mahâyoga une fois, deux fois, trois fois par jour ou toujours, savent que le savoir et le Yoga sont des dieux. Le Yoga se divise en deux parties : l’une se nomme Abhâva, et l’autre Mahâyoga.

Abhâva, c’est la méditation sur soi-même considéré comme néant et privé de toute qualité. Le Yogî, par chacune de ces deux parties, arrive à la pleine connaissance de son « Moi ». La méditation où l’on voit son « Moi » rempli de bénédiction, libre de toute impureté et ne faisant qu’un avec Dieu, se nomme Mahâyoga. Les autres Yogas que nous lisons et dont nous entendons parler, ne valent pas une parcelle de ce puissant Brahmayoga, dans lequel le Yogî, et avec lui tout l’univers, se trouve comme Dieu lui-même. C’est le plus grand de tous les Yogas.

Les étapes de Râja Yoga sont les suivantes : Yama, Niyama, Âsana, Prânâyâma, Pratyâhâra, Dhâvana, Dhyâna, et Samâdhi. Ce que l’on nomme Yama consiste à ne faire de tort à personne, à être véridique, à n’être pas envieux, à être chaste, à ne recevoir aucun présent ; tout cela purifie le mental, la Chitta. Ne faire aucune peine, par la pensée, par la parole, ou par l’acte, jamais, à aucun être vivant se nomme Ahimsa, ou : ne pas faire de mal. Il n’y a pas de vertu plus haute que celle-là. Il n’y a pas de plus grand bonheur que celui de l’homme qui arrive à cette bienveillante attitude envers toute la création. La vérité nous conduit au travail. La vérité nous mène à tout ; tout est basé sur la vérité. Dire les faits tels qu’ils sont : telle est la vérité. Ne pas prendre le bien d’autrui par ruse ou par force se nomme Asleyam, ou non-convoitise. Brahmachârya, c’est la chasteté de la pensée, de la parole, de l’acte, toujours et partout. Ne recevoir de cadeaux de qui que ce soit, même dans la plus terrible souffrance, se nomme Aparigraha. La théorie veut que l’homme qui reçoit un présent d’un autre homme, devienne impur de cœur ; il s’abaisse, il perd son indépendance, il est lié, il est esclave. Ce qui suit aide à réussir dans l’étude du Yoga : Niyama ou les habitudes et les observances régulières, Tapas ou l’austérité, Svâdhyâya ou l’étude, Santosa ou le contentement, Saucham la pureté, Îshvara pranidhâna ou l’adoration de Dieu. Le jeûne et les autres procédés de domination du corps, constituent le Tapas physique.

Réciter les Vedas ou d’autres mantrams purifie la matière sattvique du corps et se nomme étude ou Svâdhyâya. Il y a trois façons de réciter les Mantrams. L’une est verbale, l’autre semi-verbale, et la troisième mentale. Celle qui est verbale et que l’on peut entendre est la moins belle ; la plus haute est celle qui est mentale et que l’on n’entend pas. La récitation verbale est celle qui est faite à voix assez haute pour que tout le monde puisse l’entendre ; dans la suivante les organes commencent seulement à vibrer ; mais on n’entend aucun son, un proche voisin ne peut distinguer ce qui se dit. La récitation silencieuse, purement mentale de mantram, pendant laquelle le récitant pense au sens des mots qu’il répète, se nomme « murmure mental » et c’est la plus élevée de toutes. Les sages ont dit qu’il y avait deux espèces de purification, l’une intérieure, l’autre extérieure. La purification du corps se fait par l’eau, par la terre ou par d’autres matières ; c’est la purification extérieure, celle que procurent les bains. La purification de l’âme par la vérité et par toutes les autres vertus est ce qu’on nomme la purification intérieure. Ces deux purifications sont nécessaires. Il ne suffit pas que l’homme ait l’âme pure s’il a le corps sale. Lorsqu’on ne peut pas avoir les deux propretés, celle de l’âme est préférable à l’autre, mais nul ne deviendra un Yogî s’il n’est à la fois pur de corps et d’esprit.

L’adoration se fait par la louange, par la mémoire, par la dévotion à Dieu. Nous avons parlé de Yama et de Niyama ; ensuite vient Prânâyâma. Prâna représente les forces vitales de son propre corps, et Yama, c’est la domination de ces forces. Il y a trois sortes de Prânâyâma : le très simple, le moyen, le supérieur. Le Prânâyâma tout entier se divise en deux parties : l’une consiste à remplir, l’autre à vider. En d’autres termes à inspirer et à expirer. Lorqu’on débute par un exercice de douze secondes, c’est le Prânâyâma le plus faible ; le Prânâyâma moyen comporte un exercice de vingt-quatre secondes. Le meilleur Prânâyâma est celui qui débute par un exercice de trente-six secondes. Le Prânâyâma supérieur à tous les autres est celui dans lequel on commence par transpirer, puis où l’on tremble de tout son corps pour se soulever de son siège et sentir son âme baignée d’une grande béatitude. Il y a un Mantram appelé Gâyatris ; c’est un verset très saint des Vedas : « Nous méditons sur la gloire de l’Être qui a créé l’univers ; qu’il daigne éclairer notre esprit. » Puis on joint le mot « Om » au début et à la fin. Dans un Prânâyâma il faut réciter trois Gâyatris. Tous les livres disent que Prânâyâma est divisé en Rechaka (rejeter l’air ou exhaler) ; Pûraka (inhaler) et Kumbhaka (retenir le souffle, rester sans inspirer ni expirer). Les Indriyas ou organes des sens agissent extérieurement et sont en contact avec les objets externes. Le Pratyâhâra consiste à les mettre sous la domination de la volonté. La traduction littérale de ce mot est : « rassembler par devers soi ».

On appelle Dhâranâ l’action qui consiste à fixer la pensée sur le lotus du cœur ou sur le centre de la tête. Dhyâna ou méditation consiste à rester en un même endroit, à ne pas bouger d’une place déterminée, jusqu’à ce que les vagues de l’âme se soulèvent, sans subir le contact d’autres vagues, qui, elles, seront toutes immobiles, pour qu’une de ces vagues gagne l’esprit. Lorsqu’aucune base n’est nécessaire, lorsque l’esprit tout entier est devenu une seule vague, une chose sans forme, l’état dans lequel on se trouve porte le nom de Samâdhi. Privée de tout secours quant à la place ou au centre, seule, la signification de la chose est présente. Si la pensée peut se fixer pendant douze secondes sur un centre, on aura accompli un Dhâranâ ; douze de ces Dhâranâs forment un Dhyâna et douze Dhyânas constituent un Samâdhi. L’étape suivante se nomme Âsana (posture). Le seul point à observer est de tenir le corps vertical et libre, la poitrine, les épaules et la tête formant une ligne droite. Il ne faut pas s’exercer au Yoga quand on est près du feu, dans l’eau, sur un sol jonché de feuilles sèches, là où il y a des animaux sauvages, à un carrefour de quatre chemins ; non plus que là où il y a trop de bruit, ou de la peur, ou trop de fourmilières, ni parmi trop de gens mauvais. Ceci s’applique plus spécialement aux Indes. Ne pratiquez pas quand vous sentez votre corps très paresseux, ni quand votre âme est chagrine ou désolée, ni quand vous êtes souffrant. Retirez-vous en un endroit caché où les tiers ne viendront pas vous déranger. Le seul fait de vouloir passer inaperçu auprès d’eux éveille toute leur curiosité ; si par contre vous voulez, dans la rue, attirer l’attention des gens, ils ne prendront pas garde à vous. Ne choisissez pas non plus les endroits malpropres ; mais plutôt quelque beau site ou une belle chambre dans votre propre maison. Avant de pratiquer, rendez d’abord hommage à tous les anciens Yogîs, à votre propre Gourou, à Dieu, et commencez ensuite.

On parle de Dhyâna et l’on donne quelques exemples des sujets sur lesquels il convient de méditer. Asseyez-vous bien droit et regardez le bout de votre nez. Nous saurons plus tard comment cela amène la concentration de la pensée, comment la maîtrise des deux nerfs optiques fait faire un grand pas vers la domination de l’arc de réaction, et par suite vers la domination de la volonté. Voici quelques thèmes de méditation : Imaginez un lotus placé à quelques centimètres du sommet de la tête, avec, pour centre, la vertu, et pour tige, le savoir. Les huit pétales du lotus sont les huit pouvoirs du Yogî. À l’intérieur, les étamines et les pistils sont l’image du renoncement. Si le Vogî renonce aux pouvoirs extérieurs il sera sauvé. Ainsi donc les huit pétales du lotus sont les huit pouvoirs, mais les étamines et les pistils représentent le renoncement absolu, le renoncement à tous les pouvoirs extérieurs. Figurez-vous qu’à l’intérieur du lotus, se trouve l’Être d’or, le Tout-Puissant, l’intangible, celui dont le nom est Om, l’Inexprimable, tout baigné d’une lumière éclatante. Méditez là-dessus. Voici un autre sujet de méditation : imaginez un coin de votre cœur ; au centre de ce coin, croyez voir une flamme qui brûle. Pensez que cette flamme est votre propre âme et qu’il est en cette flamme un autre point resplendissant, c’est l’âme de votre âme, Dieu. Méditez sur ceci en votre cœur.

Être chaste, ne faire de mal à personne, pardonner à tous, même à ses plus grands ennemis, dire toujours la vérité, avoir foi dans le Seigneur, ce sont là autant de divers Vrittis. Si vous ne possédez pas toutes ces qualités jusqu’à la perfection, ne vous en effrayez pas, travaillez, et ce qui vous manque vous viendra. Celui qui a renoncé à tout attachement, à toute crainte, à toute colère, celui dont l’âme entière appartient au Seigneur, celui qui s’est réfugié auprès de Lui et dont le cœur est purifié, celui-là peut s’approcher du Seigneur et quelque désir qu’il nourrisse le verra satisfait. Adorez-donc le Seigneur, de tout votre savoir, adorez-le de tout votre amour ou de votre entier renoncement.

« Il est mon adorateur bien-aimé, il est mon Bhakta bien-aimé ; il n’est jaloux d’aucun être au monde ; il est l’ami de tous ; il est celui qui ne possède rien à lui, celui qui n’a point d’égoïsme ; celui qui est toujours satisfait ; celui qui travaille toujours en Yoga, qui a su maîtriser son moi, dont la volonté est inébranlable, dont la pensée et l’intelligence me sont consacrées ; sachez qu’il est lui, mon Bhakta bien-aimé. Jamais il n’est la cause d’un trouble et n’en cause jamais non plus aux autres. Il a renoncé à la joie excessive, au chagrin, à la peur et à l’anxiété. Tel est mon bien-aimé. Celui qui est indépendant, pur, actif, qui a renoncé à tout, qui est indifférent au bien comme au mal qui lui puisse advenir, celui-là n’est jamais malheureux ; celui qui reste pareil devant la louange ou devant le blâme, dont la pensée est silencieuse, songeuse ; celui qui est satisfait du peu qu’il rencontre sur sa route, celui qui est sans toit, car celui qui n’a pas de maison est chez lui partout, celui qui reste fidèle à ses idées, celui qui est ainsi, devient un Yogî. »

Il existait autrefois un grand sage nommé Nârada. De même qu’il y a des sages, de grands Yogîs parmi les hommes, de même il y a de grands Yogîs parmi les dieux. Nârada était un bon et un très grand Yogî. Il voyagea partout et, comme un jour il traversait une forêt, il vit un homme qui méditait depuis si longtemps que les fourmis blanches avaient eu le temps de construire un grand monticule autour de lui. Il dit à Nârada : « Où vas-tu ? » Nârada répondit : « Je vais au ciel. — Alors demande à Dieu, quand viendra le jour où il aura pitié de moi, où j’aurai atteint à la libération. » Plus loin, Nârada vit un autre homme. Il sautait, chantait, dansait et il dit : « Ô Nârada, où vas-tu ? » Sa voix et ses gestes étaient sauvages. Nârada répondit : « Je vais au ciel. — Alors demande quand viendra le jour où je serai libéré. » Et Nârada poursuivit sa route. Quelque temps après, il repassa par le même chemin et il revit l’homme qui avait tant médité que les fourmis avaient eu le loisir de construire leur nid autour de lui. Il dit : « Ô Nârada, as-tu demandé au Seigneur ce qu’il adviendra de moi ? — Oui, certes. — Eh bien, qu’a-t-il répondu ? — Que tu conquerrais la liberté après quatre nouvelles naissances. »

Alors l’homme se mit à pleurer et à gémir, et dit : « J’ai si longtemps médité qu’une fourmilière s’est élevée autour de moi et pourtant il me faut encore quatre naissances ! » Nârada s’avança vers l’autre individu : « As-tu posé ma question ? — Sans doute. — Eh bien ? — Vois-tu ce tamarinier ? Le Seigneur a répondu que tu naîtras autant de fois qu’il y a de feuilles à cet arbre et tu gagneras ensuite ta liberté ! »

Alors l’homme se mit à danser de joie et s’écria : « Il me suffira donc de si peu de temps pour de venir libre ! » Une voix se fit entendre alors et dit : « Mon enfant, tu seras libre à l’instant même. » Telle fut la récompense de sa persévérance. Il était prêt à traverser toutes ces naissances nouvelles et rien ne le décourageait, tandis que le premier trouvait que c’était trop long d’attendre quatre nouvelles naissances. La persévérance pareille à celle de cet homme qui était prêt à attendre pendant des æons, peut seule conduire au résultat le plus élevé.