Quelques poëtes français des XVIe et XVIIe siècles à Fontainebleau/Le Voyage d’Olympe


LE VOYAGE D’OLYMPE



Cette rare plaquette est conservée à la Bibliothèque municipale de Fontainebleau, et j’en dois la communication à l’inaltérable obligeance de l’excellent bibliothécaire de la Ville. On peut la décrire ainsi : 4 ff. in-4, non chiffrés. Le titre ne tient que le haut de la page 1, terminée par la stance initiale. Au bas de la page 8 se lit : À Paris, chez la Venue Jean Camuzat, rue S. Iacques, à la Toyson d’Or, 1642. Auec Priuilege du Roy. Voici la pièce, transcrite, en ses particularités d’orthographe, plus servilement encore que lorsque c’étaient des textes courants de vérification facile.

LE VOYAGE
D’OLYMPE ET D’HERMINIE
à fontainebleau.

Stances.

Que vos appas incuitables
Ont de charmes doux et puissans,
Pour assujettir tous les sens
Et les cœurs les plus indomptables !
Que cette aymable qualité
De la Grâce et de la Beauté
A de glorieux avantages !
Les hommes, et les immortels
Les courtisans, et les sauuages
Luy dressent partout des autels.

Quand vos mespris illégitimes
Vous ont fait desdaigner la Cour,
Cherchant dans un autre séjour
D’autres vœux, et d’autres victimes ;
Apres que les traicts de vos yeux
Se sont rendus victorieux
Des Heros les plus inuincibles.
Vous portez parmy les forests
Dans l’âme des plus insensibles
Les conquestes de vos attraicts

On dit que vous vistes paraistre
Les Nimphes et les Demi-dieux
Qui président dans tous ces lieux
Auec vne pompe champestre ;
Et que toutes ces Deïtez
Esprises de tant de Beautez
Qu’elles virent sur vos visages,
Vous offroient chacune à son tour
Ou les debuoirs de leurs homages,
Ou des marques de leur amour.

Ces Dieux rauis de la présence
De tant d’agréables objects
Formoient desja mille projects
Pour en auoir la jouïssance :
Chacun exposoit deuant vous
Leurs contentemens les plus doux
Et leurs raretez nonpareilles
Pour vous attirer par leurs jeux
Et par leurs charmantes merueilles
A vivre dans les bois comm’eux.

Ils vous presentoient des Ombrages
Si calmes, si verds, et si fraiz,
Qu’on n’y sentit jamais les traicts
Ny du Soleil, ny des orages ;
Ils vous faisoient voir des Valons,
Des Prez, des Rochers, des Sablons,
Des Précipices, des Montaignes ;
Et toutes ces diuersitez
De Ruisseaux, de Bois, de Campaignes
Qu’habitent ces Diuinitez.

Vertumne et sa chère Pomone
Prenant la forme d’un Oyseau
Paroissoit sur vn Arbrisseau
Comme sur vn florissant trône ;
Là parmy des feuillages verds
Ils monstroient les trésors diuers
Qui chargeoient ces fécondes branches
Vous inuitant par vn doux bruit
A cueillir auec vos mains blanches
Le plus délicat de leur fruit.

Flore et son amoureux Zephire
Faisoient briller sur mille fleurs
Les plus esclatantes couleurs
Pour vous faire aymer leur empire ;

ils estaloient deuant vos yeux
Les traicts les plus industrieux
Des ouurages de la Nature ;
Mais jugeant par vostre froideur
Que vous mesprisez leur peinture.
Le vent vous en portoit l’odeur.

Diane admirant vostre grâce
Si puissante à se faire aymer,
S’esforçoit de vous animer
A vous diuertir à la chasse ;
Et pour tesmoigner son pouuoir
Elle voulut vous faire voir
Parmy ses Nimphes les plus belles
Toutes les Pompes de leur Cour,
Pour vous retenir auec elles
Dans ce délicieux séjour.

Les Cerfs sçachant leur priuilege
Y bondissent avec les Dains,
Ne craignans pas que les humains
Osent commettre vn sacrilège.
Elles seules tendoient des retz
Au long de ces vastes forestz
Si propres à leurs sacrifices,
Vous monstrant comme en vn tableau
Les plaisirs qu’en leurs exercices
On peut prendre à Fontainebleau

Ou si vos humeurs moins saunages
Aprehendoient tant de trauaux
A poursuiure ces animaux
Parmy l’aspreté des Bocages,
Elle&^effroient à vostre choix
En mille différends endroits
Des Grotes et des Solitudes,

 
Où l’esprit le plus agité
De désirs, et d’inquiétudes
Trouueroit la tranquilité.

Mais toutes ces réjouissances
Ne touchèrent point vos esprits,
Et vos ordinaires mespris
Payèrent leurs magnificences.
Vos injustes seueritez
Ne virent point de raretez
Dignes d’arrester vos pensées.
À peine ces troupes de Dieux,
Furent elles recompensées
D’vn seul regard pour vos adieux.

Vn d’eux piqué de cet outrage
Se cachant dessous vn ruisseau,
Oposoit le cours de son eau
Pour empescher vostre passage ;
Et voyant que pour vos desdains
Tous leurs homages estoient vains
Voulut vser de violence,
Mais par cette indiscrétion
Il tesmoigna son insolence
En tesmoignant sa passion.

Poussé d’vne amoureuse rage
Il tendit vn piège fatal
Sous les ondes de son Cristal
Pour s’enrichir par ce naufrage.
Soudain ce traistre vous trompa,
Vous surprist, vous enuelopa
Dedans son Elément liquide,
Et suiuant tousiours vn dessein
Si téméraire et si perfide,
Vous baisa mesme jusqu’au sein.

Mais grâce à l’Ange tutelaire
Qui veille au salut des beautez ;
Vous vainquistes ses cruautez
Et les efforts de sa colère.
Grâce à cet Esprit Eternel ;
il a puny ce criminel
De cette barbare contrainte,
Et l’empeschant de se vanger,
il nous a deliuré de crainte
En ous desliurant de danger.

Vous dont l’ingrate tyrrannie
N’a pour la constance des cœurs
Que des mespris, et des rigueurs,
Vn jour vous la verrez punie.
Croyez moy fuiez de ces lieux
Où les Amans injurieux
Ne sçauroient modérer leurs flâmes,
Venez triompher dans la Cour
Où les Amans ont dans leurs âmes
Plus de respect et plus d’Amour.


Les vers m’ont paru jolis. Ils offrent, à la cinquième stance, une description fort juste et fort exacte, et qui n’est pas en l’air et marque que l’auteur a vu ce dont il parle. Ces expressions, quasi locales, de Rochers et de Sablons que nous avons rencontrées maintes fois déjà s’y retrouvent, comme la note de couleur, le trait de crayon qui particularise le paysage et l’empêche d’être confondu avec aucun autre. Et puis, ce récit d’une promenade de deux belles dédaigneuses est agréable, avec cet exposé des avances que leur fait la Forêt, avec cet épisode d’une chasse finement peinte dans la manière mythologique, avec cette anecdote d’une chute accidentelle dans un des canaux qui sillonnent les jardins. Ce sont des vers de la bonne époque ; ils en ont la grâce spéciale, un peu contournée ; ils figureraient sans dommage dans le recueil de n’importe lequel des plus distingués poètes du temps. De qui sont-ils ? L’imprimé ne donne nul indice à ce sujet.